Dossier Industrialisation de la filière BTP Février Mars … · scrupuleux, des sous-traitants...

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dans ce secteur la numérisation déjà en place depuis plus de 20 ans dans d’autres secteurs, la préfabrication de sous-ensembles d’ouvrages et la mise en œuvre de matériaux jusqu’ici peu utilisés dans la construction, comme les bétons fibrés ou les structures bois, se développent, l’impression 3D est annoncée comme une technologie pro- metteuse, le présent dossier présente un état des lieux des nouvelles façons de concevoir et réaliser des ouvrages de BTP d’ores et déjà mises en œuvre, et engage une réflexion prospective sur les grands changements à venir. Ainsi, Bouygues Bâtiment Île-de-France décrit l’impact de l’industrialisation sur la construction de logements ; Rabot Dutilleul analyse le couplage entre la préfabrication de par- ties d’ouvrages, la formalisation des processus et le BIM ; BH- groupe Bénéteau montre comment l’industrie nautique offre de nouvelles façons de concevoir et réaliser des logements, avec plus de fiabilité ; VINCI Construction France examine la convergence entre la transition numérique dans le bâtiment (ou digitalisation de la filière BTP) et la transition écologique. Gageons que ces évolutions indispensables au renouveau du secteur de la construction s’affirmeront au service de la per- formance durable des ouvrages et que les enjeux technolo- giques et humains de cette conduite du changement incite- ront de jeunes ingénieurs talentueux à rejoindre les entre- prises du BTP. Quelles formes d’industrialisation pour le BTP ? Il est coutumier depuis quelques années de s’interroger sur les raisons pour lesquelles le BTP, et plus particulièrement le secteur du bâtiment, n’ont pas suivi dans la seconde moitié du XX e siècle les actions de rationalisation des processus, de standardisation des composants et des assemblages, d’infor- matisation de la chaîne de production, de mécanisation de la fabrication, qui ont apporté aux industries manufacturières, comme à l’agriculture, des gains de productivité considé- rables et une maîtrise accrue de la qualité délivrée. Or, des études menées ces dernières années ont conduit à évaluer à plus de dix milliards d’euros par an, en France, le coût de la non-qualité dans le bâtiment. De fait, le secteur du bâtiment est un monde de tradition orale, où peu de processus sont formalisés, encore moins informatisés et où le savoir-faire est encore bien souvent ins- crit dans la compétence individuelle des artisans et des com- pagnons plutôt que dans le plan, le modèle 3D et la base de données descriptive de l’ouvrage à construire voire de la cinématique de chantier. Au moment où, d’une part : le ralentissement des investissements publics réduit l’acti- vité de nombreuses entreprises de construction, la concurrence farouche qu’elles se livrent sur un marché dont les volumes se sont réduits les oblige à abaisser leurs coûts de revient pour préserver leurs marges, et d’autre part : le BIM (Building Information Modeling) semble enfin prêt à se déployer massivement dans la filière BTP, injectant ainsi Introduction Philippe ROBART (P88) Directeur Ingénierie et Innovation VINCI Construction France Dossier INDUSTRIALISATION DE LA FILIÈRE BTP 27 Mines Revue des Ingénieurs #483 Janvier/Février 2016

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dans ce secteur la numérisation déjà en place depuis plusde 20 ans dans d’autres secteurs,

• la préfabrication de sous-ensembles d’ouvrages et la miseen œuvre de matériaux jusqu’ici peu utilisés dans laconstruction, comme les bétons fibrés ou les structuresbois, se développent,

• l’impression 3D est annoncée comme une technologie pro-metteuse,

le présent dossier présente un état des lieux des nouvellesfaçons de concevoir et réaliser des ouvrages de BTP d’ores etdéjà mises en œuvre, et engage une réflexion prospective surles grands changements à venir.

Ainsi, Bouygues Bâtiment Île-de-France décrit l’impact del’industrialisation sur la construction de logements  ; RabotDutilleul analyse le couplage entre la préfabrication de par-ties d’ouvrages, la formalisation des processus et le BIM ; BH-groupe Bénéteau montre comment l’industrie nautique offrede nouvelles façons de concevoir et réaliser des logements,avec plus de fiabilité ; VINCI Construction France examine laconvergence entre la transition numérique dans le bâtiment(ou digitalisation de la filière BTP) et la transition écologique.

Gageons que ces évolutions indispensables au renouveau dusecteur de la construction s’affirmeront au service de la per-formance durable des ouvrages et que les enjeux technolo-giques et humains de cette conduite du changement incite-ront de jeunes ingénieurs talentueux à rejoindre les entre-prises du BTP. ■

Quelles formes d’industrialisation pour le BTP ?

Il est coutumier depuis quelques années de s’interroger surles raisons pour lesquelles le BTP, et plus particulièrement lesecteur du bâtiment, n’ont pas suivi dans la seconde moitiédu XXe siècle les actions de rationalisation des processus, destandardisation des composants et des assemblages, d’infor-matisation de la chaîne de production, de mécanisation de lafabrication, qui ont apporté aux industries manufacturières,comme à l’agriculture, des gains de productivité considé-rables et une maîtrise accrue de la qualité délivrée.

Or, des études menées ces dernières années ont conduit àévaluer à plus de dix milliards d’euros par an, en France, lecoût de la non-qualité dans le bâtiment.

De fait, le secteur du bâtiment est un monde de traditionorale, où peu de processus sont formalisés, encore moinsinformatisés et où le savoir-faire est encore bien souvent ins-crit dans la compétence individuelle des artisans et des com-pagnons plutôt que dans le plan, le modèle 3D et la base dedonnées descriptive de l’ouvrage à construire voire de lacinématique de chantier.

Au moment où, d’une part :• le ralentissement des investissements publics réduit l’acti-

vité de nombreuses entreprises de construction,• la concurrence farouche qu’elles se livrent sur un marché

dont les volumes se sont réduits les oblige à abaisser leurscoûts de revient pour préserver leurs marges,

et d’autre part :• le BIM (Building Information Modeling) semble enfin prêt à

se déployer massivement dans la filière BTP, injectant ainsi

Introduction

Philippe ROBART (P88)

Directeur Ingénierie et InnovationVINCI Construction France

Dossier INDUSTRIALISATION DE LA FILIÈRE BTP

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vœux un retour à des méthodes plus industrielles et pluséconomes.

Pourquoi cela ne marche-t-il pas ? Une fois n’est pas coutu-me, et si la rédaction ne me censure pas, je vais utiliser unoutil de marketing (les 7P) pour décrire les enjeux en présence.

PRICE : le logement, c’est très cher. On n’en a qu’un seul engénéral et on s’endette sur des dizaines d’années pour lepayer.

PLACE : c’est très important l’emplacement pour l’acquéreur.Le constructeur doit s’y adapter, même si c’est au cœur de lacapitale…

PEOPLE : entre un architecte sensible à l’image qu’il laisse autravers de «son œuvre», des entrepreneurs plus ou moinsscrupuleux, des sous-traitants qui doivent souvent commu-niquer dans des langues différentes, des voisins susceptibles(et on peut le comprendre), un chantier, c’est une histoire depersonnes.

PHYSICAL ENVIRONMENT : le soleil, le vent, la pluie… laneige !

PRODUCT : un logement, c’est unique. À ce prix, ça devraitêtre très beau et spécial, non ?

PROCESS : c’est au rythme des toupies de béton que se vit legros œuvre. Puis, lors du second œuvre, il y a une quinzained’entreprises sous-traitantes sur le chantier (électricien,plombier, peintre, couvreur, etc.). Ces entreprises ont la parti-cularité d’être petites et nombreuses. Gérer les interfacesentre ces 15 indépendants sur un site en constante évolu-tion, c’est là qu’un peu d’optimisation serait bénéfique.

PROMOTION : pas besoin de faire les soldes. Avec l’appeld’offres, le client a en général le prix le plus bas, surtout ences temps de forte concurrence.

En somme, et pour paraphraser Claude Riveline (révérantprofesseur d’évaluation des coûts), un secteur où il y a de l’ar-gent en jeu, de nombreux intervenants différents et beau-coup d’affectivité est une bombe en puissance. Certes, maisune bombe qui est largement sous le contrôle du ministèredu logement, avec les nombreuses aides et subventions aulogement, les nombreuses réglementations/labels et l’omni-potence du CSTB. Alors, c’est une bombe qui ne peut plusexploser !

On comprend mieux aussi que ce secteur ne puisse pas nonplus vraiment innover. En termes de business model, c’esttrès complexe de faire différemment. Et en termes de tech-niques de construction, tout étant organisé autour d’un

S’il est bien un fait surprenant, c’est l’imperméabilitétotale dont a fait preuve le secteur de la constructionface à la poussée des méthodes industrielles depuis

les années 80 : «six sigma», «Kanban», «zéro stocks», «cinq S»,«lean manufacturing»… Posez la question, vous serez bienétonnés !

Pourtant, on pensait que tout le monde y était passé : dupetit électroménager à la rame de TGV, même la banque, letourisme ou la grande distribution avaient intégré cesméthodes avec l’aide de consultants chevronnés. Or, toussont dorénavant tendus vers la 3e révolution industrielledécrite par J. Rifkin, fascinés par la montée en puissance du«digital» et à l’affût des risques d’«uberisation» de leur propremarché. Alors quoi ? Le secteur de la construction resterait-ilfâché avec l’industrialisation, définitivement à l’écart de cesnouveaux enjeux ?

Je ne le crois pas. Et je vous propose un petit itinéraire pourvous convaincre de l’intérêt d’investir en ce moment dans lesstart-ups liées à la construction. Je parlerai surtout de laconstruction de logements, secteur que je connais le mieux.Voyons d’abord en quoi ce secteur est si spécifique et lescauses probables qui font qu’il n’a pas pris le récent virage del’industrialisation. Puis, parcourons quelques-unes desrécentes innovations qui ne sont ni plus ni moins que lessignes avant-coureurs d’un bouleversement prochain dusecteur. Enfin, voyons comment un grand groupe commeBouygues Construction essaie d’anticiper et de s’adapter àces changements à venir.

La construction imperméable à l’industrialisation ?

Dans les années 70, les méthodes de construction étaientplutôt industrialisées, avec notamment les «coffrages tun-nels» par exemple, qui permettaient de minimiser la maind’œuvre de réalisation des immeubles. Aujourd’hui, peu degens regrettent l’abandon de ces techniques, au regard del’architecture uniforme qu’elle tendait à produire.Cependant, la question du coût du logement est toujoursd’actualité et nombreux sont ceux qui appellent de leurs

Construction de logementsquel impact de l’industrialisation ?

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Damien DELBENDE (P04)

Chef de groupe R&DBouygues Bâtiment IDF

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Du côté de l’industrialisation de la construction proprementdite, beaucoup de choses ont déjà été tentées, mais c’est seu-lement par une approche d’ensemblier qu’on atteindra lesgains escomptés. De fait, les préfabricateurs de pièces enbéton (dalles, poutres, murs, etc.) existent depuis longtempssans parvenir à s’imposer vraiment. Ce qu’on voit arriver en cemoment ce sont des sous-ensembles techniques de bonnequalité  : salles de bains préfabriquées, chaufferies préfabri-quées, voire des modules de chambres étudiants préfabri-quées, etc.

Le chantier est de moins en moins un site de production etde plus en plus un site d’assemblage. Cela signifie que tousles matériaux utilisés sont déjà passés par une usine : les lava-bos, les fenêtres, le parquet, les cloisons, les aciers et mêmele béton. Pour autant, le chantier n’est pas le lieu idéal pourtravailler : approvisionnement par des cages d’escalier, travailpeu ergonomique, malfaçons, perte de matériel, etc. Aussidéplacer des heures de main d’œuvre du chantier vers l’usineest souvent bénéfique en termes de productivité. On estimeque 30% des coûts d’un chantier sont constitués de cettemain-d’œuvre d’assemblage.Cette fébrilité liée aux nouveaux outils, aux innovations, auxnouveaux procédés est le signe d’un secteur en mutation.Des changements radicaux sont en cours.

Que peuvent faire les majors comme

Bouygues Construction ?

Dans son rôle d’intégrateur, Bouygues Construction va pou-voir franchir une étape supplémentaire avec le développe-ment de la maquette numérique et des flux d’informationassociés. L’entreprise va aussi devoir intégrer autant que pos-sible les innovations diverses et variées des start-ups dont ledynamisme va croissant.

Pour cela, depuis quelques années déjà, BouyguesConstruction développe sa R&D et son service de prospecti-ve. Et, plus récemment aussi, un service en charge des parte-nariats et du co-financement des start-ups a été monté. Lescollaborateurs sont ainsi invités à parrainer une start-upqu’ils vont soutenir jusque devant les directeurs généraux.La R&D interne se livre à des expérimentations de plus enplus ambitieuses. Ici, par exemple, des chambres d’étudiantsont été complètement aménagées et meublées avant d’êtreintégrées à un bâtiment traditionnel en béton.L’industrialisation est en route !

En conclusion, si le secteur du bâtiment n’a quasiment pas étéimpacté par les vagues successives d’industrialisation de ces30 dernières années, principalement du fait de sa culture des«prototypes», de nombreux signes laissent penser que larévolution digitale en cours pourrait changer la donne. Par lasuite, liés à une démarche d’industrialisation, de nombreuxgains de productivité s’ensuivraient ! Ce double choc pourraitavoir lieu sur 10-15 ans et être assez brutal. Mais, n’en doutonspas, les pouvoirs publics et les majors veilleront à accompa-gner au mieux les évolutions d’un secteur porteur d’emploiset à désamorcer encore cette «bombe potentielle». ■

matériau : le béton, ce n’est pas simple non plus. La filière dela construction bois a bien du mal à percer, malgré ses nom-breux avantages.

Un secteur, où il faut faire des objets «uniques», structuré parle matériau béton, avec des sous-traitants très fragmentés,marqué par une culture «nomade» (on arrive, on construit,on part ailleurs), et tellement réglementé ne pouvait pas«s’industrialiser».

Les modes opératoires sont donc restés les mêmes et lesgains de productivité sont demeurés limités aux seules évo-lutions des matériels utilisés. On voit sur ce graphe l’écart deproductivité se creuser dans les années 2000 entre l’industrieet la construction.

Quels sont les signes du changement ?

Le plus gros changement en cours, c’est sûrement l’arrivéedu BIM (Building Information Model) ou maquette numé-rique dans la chaîne de conception. Cela va se traduire parune culture du travail concourant, qui va peu à peu rempla-cer le travail séquentiel en vigueur jusqu’ici, entraînant plusd’agilité dans les études amont. En fait, c’est surtout le faitd’utiliser un support commun qui va apporter de la valeur àchacun. Les ressaisies seront limitées, les vérifications auto-matisées, les dessins immédiats, l’historique organisé, etc.Des variantes du projet pourront être étudiées très rapide-ment et les bases de données seront partagées dans unemême entreprise entre les différents métiers. Par exemple,calculer l’impact thermique sur un bâtiment d’enlever unétage sera quasi instantané, alors qu’auparavant, cela pou-vait nécessiter plusieurs jours de calcul. Le secteur va d’abord industrialiser la conception avant depouvoir réellement industrialiser la construction.

Parallèlement, de nombreuses innovations tentent d’émer-ger. Pour n’en citer que quelques-unes  : chauffage parDatacenter déporté, éclairage solaire via fibre optique, recy-clage de la chaleur des eaux grises, suivi de l’avancementd’un chantier par survol de drone, la start-up «Made in plan»propose de se substituer aux architectes et constructeurs,des façades en bois intégrant isolant et fenêtres, des pan-neaux photovoltaïques produisant eau chaude et électricité,etc. Les nouveaux entrants ne manquent pas d’imagination !

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venant habituellement sur le chantier, ce dernier se réduisantexclusivement à un lieu de montage.

En organisant un transfert de production du chantier à l’ate-lier ou à l’usine, elle garantit ainsi l’efficience qualitative (qua-lités physiques et d’aspect) et économique (économie detemps, de main-d’œuvre, de matériaux et d’énergie) de l’ob-jet préfabriqué qui, bien que réalisé avec des moyensmodestes, est généralement plus élaboré et performant quela plupart des matériaux traditionnels comme la pierre ou labrique.

En France, la préfabrication va tout d’abord se développerdans le contexte de pénurie générale de la Libération. Dansun second temps, l’opération des «4  000  logements de larégion parisienne» en 1953 inaugure la généralisation de lapréfabrication pour la construction des grands ensembles delogements en France.

C’est dans ce contexte que la société Saint LéonardMatériaux est née (1959) et s’est rapidement développée,principalement sur la région Île-de-France. Avec une produc-tion annuelle de 100 000 tonnes de produits en béton et sixsites de production répartis sur l’Île-de-France et le Centre, leGroupe Saint Léonard est en mesure de répondre à la plupartdes besoins du Bâtiment et des Travaux Publics que ce soitdes besoins structurels ou purement esthétiques.Nous avons la chance de disposer sur l’Île-de-France duCentre de carrières alluvionnaires (Loire et Seine) de trèsbonne qualité et aux ressources très conséquentes qui per-mettent de réaliser des produits en béton de haute technicité.

Sur un marché du bâtiment en pleine mutation et un marchédes travaux publics atone, chaque site de production doitaujourd’hui s’adapter et répondre aux exigences grandis-santes des entreprises et donneurs d’ordre : • Une pression très forte sur les prix.• Des délais de plus en plus courts.• Une exigence qualité accrue et des demandes de la part

des architectes de plus en plus complexes.• Un impératif de sécurisation des usines et des outils de tra-

vail.

Le secteur de la préfabrication est aujourd’hui en surcapacitésur la plupart des segments produits et la différenciation estun véritable challenge qui conduit à explorer des voies trèsdiverses (allègement des bétons, réduction de la porositépour un meilleur vieillissement, système RFID de traçabilitédes pièces en béton, recyclage des bétons, optimisation descircuits d’approvisionnement et de distribution, implanta-tion sur des marchés émergents, etc.).

Lapréfabrication est une technique de constructionqui consiste à fabriquer à l’écart du site deconstruction même les éléments d’un ouvrage qui

sont traditionnellement construits sur place, puis à lesassembler sur le site de l’ouvrage pour le former. Ceci s’ap-plique généralement à des éléments répétitifs et/ou com-plexes, comme des maisons ou des immeubles (HLM notam-ment).

Cette préfabrication peut avoir lieu en usine ou dans unchantier externe, ou même à l’écart de l’emplacement d’as-semblage final, sur le site même de la construction.

Ce terme s’applique généralement au domaine de laconstruction, on parle alors d’«élément préfabriqué», etlorsque des composantes de machine sont préfabriquées, onparle souvent de «sous-assemblages».

La genèse : les 30 glorieuses et la reconstruction

de la France

Même si l’on doit très probablement retrouver des traces depréfabrication très tôt (probablement dans l’Antiquité), onpeut dire que la préfabrication a pris son essor en mêmetemps que l’industrialisation par la prise de conscience ducoût de la main-d’œuvre et du potentiel de gain économiquese trouvant dans l’organisation des chantiers.

Les différents aspects de cette industrialisation : mécanisa-tion, organisation rationnelle du chantier, préfabrication enbéton qui se développent avec la Seconde Guerre mondialen’est plus seulement un moyen de construire plus efficace-ment, mais devient un nouveau principe générateur du pro-jet d’architecture. Conçus et réalisés pour être assemblésavec un maximum de rendement sur le chantier par unemain-d’œuvre peu qualifiée et peu nombreuse, la plupart deces procédés obéissent à des règles strictes de mise enœuvre. La solution passe par la production en usine dans desconditions optimales de «grands éléments complexes», c’est-à-dire réunissant dès l’amont du processus de fabricationl’ensemble des corps d’état principaux et secondaires inter-

La préfabrication béton

Bertrand MALET (E94)

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Le choix de la préfabrication béton sur un marché

mature : l’exemple du Tribunal de Grande

Instance de Paris

Le Groupe Saint Léonard a fourni 468 escaliers préfabriquésen béton spécialement conçus pour ce chantier. Le challengesur ce type d’aménagement est véritablement de s’adapterau mieux au planning de l’entreprise générale et de pouvoirle cas échéant stocker des escaliers ou au contraire derépondre dans un temps très court à une forte demande touten garantissant la qualité exigée par le marché.

La force de la préfabrication sur un marché

émergent : l’Inde

Chantier du Tribunal de Grande Instance de Paris

Le choix de l’emploi de la préfabrication pour un chantier telque le TGI de Paris a été guidé par une comparaison essen-tiellement économique avec la construction sur place. Legros œuvre confié au Groupe Bouygues, s’inscrit, de par sasituation géographique (XVIIe arrondissement de Paris), dansun contexte urbain contraignant. La préfabrication est par-faitement adaptée à ce type de situation et permet d’at-teindre le meilleur compromis sur l’ensemble des critères desélection suivants :• Coût :

- Amortissement de l’outil de production (moules de fabri-cation en métal).

- Coût de l’acheminement des matières premières.- Rendement de la main d’œuvre de fabrication et d’assem-

blage.- Coût des éléments ou pièces d’assemblage.- Coût du transport des éléments préfabriqués.- Surface ou hangar de préfabrication et zone de stockage

ainsi que le conditionnement.• Délai :

- Gain lié à la possibilité de préparer les éléments en amontet de les assembler par la suite.

- Temps d’assemblage des éléments préfabriqués.- Possibilité de s’affranchir des aléas climatiques (préfabri-

cation en hangars).• Qualité :

- Précision dans la construction des éléments préfabriqués(qualité géométrique).

- Pérennité de l’élément préfabriqué (qualité de fabrica-tion).

- Qualité de l’élément d’assemblage.• Sécurité :

- Réduction du temps d’exposition des ouvriers aux condi-tions dangereuses.

- Faisabilité de l’assemblage (parfois trop acrobatique).• Environnement :

- Consommation de carburants.- Pertes, chutes de matières premières. Usine de préfabrication béton (Pune – Inde)

L’Inde présente toutesles caractéristiques duterrain de jeu idéalpour la préfabricationbéton : • Une démographie

largement positive(pas de politiquefamiliale) et desbesoins en loge-ment considérables(1,2 milliard d’habi-tants).

• Des infrastructuresroutières peu déve-loppées et un coûtd ’approvis ionne-ment des chantiers très important.

• Un manque de formation et de qualification des ouvrierssur chantier.

• Des délais à tenir de plus en plus courts.

Cimenterie dans l’état de Mahārāshtra(Mumbai)

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• Une règlementation croissante du gouvernement sur lagestion des matières premières (sable et granulats).

• Une mécanisation naissante mais grandissante des chan-tiers (grue, etc.).

• Un développement quasi inexistant de la préfabricationbéton (1% de la consommation de ciment).

• Un contexte politique stable et permettant d’envisager desprojets à long terme.

C’est tout naturellement que le Groupe Saint Léonard s’estorienté depuis deux ans vers ce marché pour commencerson internationalisation et son implantation sur des marchésdu BTP en forte croissance.

L’Inde s’est engagée depuis le début des années 2000 dansune course à l’urbanisation et un déplacement massif despopulations rurales vers les villes. Les besoins de construc-tion se concentrent donc essentiellement autour desgrandes villes dites «Tier1» (mégalopoles dépassant les 20millions d’habitants comme Mumbai, Calcutta et New Delhi)et «Tier2» (villes de 10 à 20 millions d’habitants).

Le foncier est une problématique très importante car il estcher (plus de 70 euros/m2 autour des grandes villes) et lesréserves foncières sont de plus en plus faibles dans les zonesurbaines. Le gouvernement indien détient une grande majo-rité des parcelles et régule très fortement les permis des par-

celles privées en limitant les accès au marché à quelques pro-moteurs bien placés.Les besoins constructifs sont donc énormes en ce qui concer-ne les immeubles résidentiels et les équipements urbainsnécessaires à la vie de ces nouveaux quartiers. Ces construc-tions sont généralement réalisées en périphérie des villes oùtoutes les structures publiques sont à créer. Il existe d’ailleursune nouvelle Mumbai appelée Navi Mumbai.

La préfabrication ne représente que 1% des techniquesconstructives utilisées actuellement sur le marché du BTP etdevrait connaître un essor considérable dans les années àvenir à mesure que les chantiers vont se mécaniser et que lesexigences en termes de délai et qualité vont augmenter. ■

Quartier en construction à l’est de New Delhi

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Il faut également noter que les bâtiments construits onténormément évolué sur la même période, du fait de l’amé-lioration des performances thermiques et environnemen-tales, de la plus forte complexité des opérations immobilièresdans les zones urbaines (mixité de produits, densification), etde l’amélioration du confort (locaux à vélo, locaux d’orduresménagères, équipements pour les véhicules électriques, etc.).

Dans la même période, des gains de productivité réguliersont bien évidemment été réalisés par les entreprises et l’en-semble des acteurs de la construction, mais ceux-ci n’ont paspu contenir la forte augmentation des coûts qui pèsent surce secteur d’activité.

Il s’ensuit une situation paradoxale, notamment dans le loge-ment : les besoins sont structurellement élevés, ils ont mêmeaugmenté (allongement de la durée de la vie, diminution dela taille des ménages, etc.), et pourtant la production n’aug-mente pas. Une des raisons est le fait que l’offre ne rencontrepas la demande, notamment pour des raisons financières(prix de vente des producteurs versus pouvoir d’achat desacquéreurs).

Bien entendu, ceci ne saurait réduire à la notion de coût leproblème de la pénurie de logements en France, mais le pro-pos ici est d’analyser le facteur coût.

Dans ce contexte, les entreprises, dont Rabot Dutilleul, ontcherché à innover, à développer de nouvelles méthodes d’or-ganisation, de nouveaux procédés constructifs.

En particulier, les méthodes qui se sont développées avecsuccès dans l’industrie sont de plus en plus répandues dansle secteur de la construction. Le mouvement est accompa-gné d’éléments de langage empruntés au secteur de l’indus-trie : industrialisation, productivité, Lean, etc.

À noter que le terme de «préfabrication» de parties d’ouvra-ge (façades, murs, éléments constructifs en béton : poteaux,poutres, dalles, etc.) est connoté négativement dans lalangue française. Un «bâtiment préfabriqué» est souventsynonyme de piètre qualité, alors que le procédé constructif(construction sur site ou préfabrication en atelier) n’est enrien lié à un appauvrissement de la qualité du produit fini.Situation paradoxale, également, puisque la préfabricationen atelier devrait au contraire permettre d’augmenter la qua-lité des processus de construction, et donc du produit !

On confond donc souvent les méthodes de production (pré-fabrication) et le produit fini. C’est pourquoi, dans le langagecommercial, pour sortir de cette image négative, le termed’«industrialisation» est régulièrement préféré à celui de«préfabrication».

Constat : l’augmentation des coûts de construction

Les prix de l’immobilier ont plus que doublé sur les quinzedernières années. Pour autant, le bâtiment n’est pas le princi-pal responsable de cette hausse  : les coûts de constructiondes bâtiments ont augmenté deux à trois fois moins rapide-ment que les prix de vente des logements sur la même pério-de. Par ailleurs l’évolution des prix des bâtiments s’expliquetrès largement, en répercussion, par celle des coûts suppor-tés par les entreprises du secteur. On peut également signa-ler que ces évolutions sont similaires d’un pays européen àl’autre. L’analyse de l’indice ICC du coût de la constructionmontre que les coûts de construction ont augmenté de 50%entre 2000 et 2010.

Plusieurs raisons expliquent cette évolution :• La flambée des prix de l’énergie, des matières premières et

des matériaux utilisés dans la construction (béton, acier,etc.),

• L’augmentation du coût de la main-d’œuvre.• Le développement de la réglementation et des normes

(réglementations thermiques, acoustiques, sismiques, pro-tection incendie, réglementations en matière d’accessibili-té, d’amiante, de plomb, etc.).

• D’autres éléments ont pesé sur les coûts : l’amélioration dela sécurité, l’aménagement des bases vies, la vidéo sur-veillance, le gardiennage, les clauses d’insertion, etc., ainsique la fiscalité spécifique (droits de voirie, etc.).

L’industrialisation dans laconstruction-révolution industrielleExemples d’applications chez Rabot Dutilleul

François DUTILLEUL (P92)

Président du directoire de Rabot Dutilleul

Rabot Dutilleul est la 9e entreprise française de BTP (classement LeMoniteur, décembre 2015). Son chiffre d’affaire est de 800 M€ pourun effectif de 2 000 collaborateurs (55% de cadres et agents de maî-trise, 45% de compagnons). L’entreprise, familiale, a été fondée en1920, et est présente en France, en Belgique, en Pologne, et ponc-tuellement dans d’autres pays européens (Angleterre, Allemagne).Elle exerce son activité dans la construction de bâtiments, en entre-prise générale, et dans la promotion immobilière.

François DUTILLEUL (P92)

Il est président du directoire de Rabot Dutilleul depuis 2013, après avoirexercé l’essentiel de sa carrière depuis 1998 dans les différentesbranches de l’entreprise.

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