Dossier 16 Forces Repression

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Comit Justice pour l'Algrie

Lorganisation des forces de rpression

Dossier n 16

Jeanne Kervyn et Franois Gze Septembre 2004

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SommaireRsum 4 Introduction : le rle central de larme et des services 6 Bref historique 6 La Scurit militaire au cur du pouvoir 7 La rorganisation de la SM partir de septembre 1990 7 I. Les objectifs de la rpression : les principales phases de la guerre 9 1990-1991 : casser le mouvement islamiste et lcarter du pouvoir 9 1992-1993 : resserrer les rangs des militaires et de la socit civile derrire loption anti-islamiste des gnraux 11 1994-dbut 1996 : le dchanement de l'hyperviolence d'tat 13 1996-1998 : asseoir le pouvoir des gnraux par la terreur, ou la politique de la terre brle 15 1999-2004 : maintenir une terreur diffuse, consolider le soutien de la communaut internationale 15 II. Les organes de rpression 17 Les principaux commanditaires 17 Lorganisation du DRS (Dpartement du renseignement et de la scurit) 19 La Direction du contre-espionnage (DCE) 19 La Direction centrale de la scurit de larme (DCSA) 23 Le service de presse et de documentation 23 Le Groupement dintervention spcial (GIS) 24 Les forces de rpression au sein de lANP (Arme nationale populaire) 24 Les rgions militaires 24 Le Commandement des forces terrestres (CFT, install An-Nadja) 25 Le Commandement de la dfense arienne (CFDAT, install Cheraga) 26 Les troupes spciales et le Centre de conduite et de coordination des actions de lutte antisubversive (CCC/ALAS) 27 Les forces de rpression au sein de la police 29 Les milices 30 Les organes cachs de la rpression : les faux maquis et les escadrons de la mort 32 Conclusion 36 III. Les mthodes de rpression 39 Les mthodes d action psychologique et la manipulation de la violence islamiste 39 Lendoctrinement et la dsinformation 39 Autres mthodes de pression et daction psychologique 45

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Linfiltration et la manipulation de ladversaire 48 Les violations massives des droits de lhomme par les forces de scurit 51 Les rafles et les dportations 51 La torture 51 Les disparitions forces, les excutions sommaires et extrajudiciaires 52 Les assassinats de membres de larme et de la police 54 Les assassinats de personnalits 55 Le napalm et les incendies 57 La destruction de maisons, les punitions collectives 58 Le vol et le racket 58 Les massacres et les dplacements forcs de population 59 Lorganisation du secret et de limpunit 60 Le secret absolu et le cloisonnement 60 Labsence de coordination entre services, la guerre entre agents 61 Limpunit et la folie meurtrire 63 Depuis 1999 : le contrle de la violence et le maintien de la terreur 63 Annexe : les responsables civils et militaires algriens, 1988-2004

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RsumLa stratgie des gnraux algriens pour barrer la route aux islamistes et garder le pouvoir quils dtiennent depuis lindpendance du pays a amen lAlgrie sur le chemin dune vritable guerre civile. Ce dossier prsente lvolution de la rpression mene par larme et les services de scurit, de 1990 2004 (lanalyse des forces de la mouvance islamiste qui sy sont opposes, y compris ses composantes qui sengageront dans la lutte arme, est traite dans dautres dossiers du CJA : n 10, 11, 12 et 19 ; ce dossier ne peut donc en aucune faon tre peru comme une exonration des crimes dont se sont rendus coupables les groupes arms islamistes). Dans ce dossier, cinq tapes principales sont distingues dans le droulement de la guerre conduite par les gnraux dcideurs : la premire tape, en 1990 et 1991, a consist tenter dempcher, par divers types de manipulations, les islamistes du FIS darriver au pouvoir par les urnes ; la deuxime tape, du coup dtat de janvier 1992 au dbut de 1994, a vis amener les partis politiques, les syndicats, la presse indpendante et lensemble des forces de scurit (arme, police, gendarmerie) suivre loption radicatrice des dcideurs . Elle a consist liminer ou briser par la violence toute opposition se rclamant de lislamisme, par une combinaison de rpression brutale et de manipulations de la violence islamiste qui commence alors saffirmer ; cette politique nayant que partiellement russi, ltape suivante (de mars 1994 jusquau dbut 1996) sera la plus meurtrire : pour couper la population des groupes islamistes , la rpression sauvage conduite par larme et ses services secrets (DRS) frappe la population civile (cest lpoque de la multiplication des disparitions forces et de la cration de milices), tandis que les groupes islamistes autonomes sont dcims ou, par les manipulations et les infiltrations, mis au service du pouvoir ; la quatrime tape, du dbut 1996 1998, consistera asseoir le pouvoir des gnraux par la terreur (prenant notamment la forme de massacres de masse), exerce, sous la houlette du DRS, par les forces de scurit et par les groupes islamistes , dsormais trs largement contrls par les services ; dans une cinquime tape, de 1999 2004, le pouvoir sest attach rechercher une lgitimit internationale, tout en maintenant, par laction de ses forces de scurit, de ses milices et des groupes islamistes quil contrle ou manipule, un niveau de violence permettant dempcher toute affirmation dune alternative dmocratique et pacifique. Pour mener bien cette rpression, le pouvoir sest dot dun puissant appareil policier, militaire et paramilitaire, dont le cur est constitu par les structures de la police politique, la trs puissante Scurit militaire (devenue DRS en septembre 1990). Aprs le rappel des grandes phases de la guerre, ce dossier prsente ces organes de rpression et leur volution. Et il propose ensuite une synthse des mthodes de rpression utilises par les forces de scurit, caractrises la fois par un recours massif aux techniques clandestines de laction psychologique (infiltration, dsinformation, manipulation et cration par larme de groupes arms islamistes, etc.) et par le dploiement de larsenal classique du terrorisme dtat (torture systmatique, assassinats par milliers et massacres de masse, disparitions forces, etc.). Cette prsentation est videmment trop succincte pour rendre pleinement compte des multiples facettes de ces annes de feu et de sang. Mais elle est aussi limite par lopacit voulue et entretenue par le pouvoir algrien sur ce conflit, par la loi du silence quil impose 4

jusqu ce jour (par la terreur et la menace) la population et la majeure partie des acteurs politiques. De ce fait, certaines des hypothses prsentes dans ce dossier seront peut-tre un jour partiellement contredites par des rvlations nouvelles. Reste que les informations disponibles (ouvrages dacteurs et de journalistes, articles de presse, rapports dorganisations nongouvernementales sur les violations des droits de lhomme et surtout tmoignages de victimes de la rpression et dex-membres des forces de scurit, tmoignages qui se recoupent et se compltent) permettent de donner une lecture de cette tragdie dont on peut affirmer, sans risque derreur, quelle correspond, pour lessentiel, la ralit.

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Introduction : le rle central de larme et des services Un tat peut rester assez stable et certainement invulnrable aux rvoltes de masses internes mme aprs avoir subi une importante dlgitimation, surtout si ses appareils de rpression gardent leur cohsion et leur efficacit. Theda Skocpol1

Bref historique Le 19 mars 1962, au terme de presque huit annes de guerre et au prix de plusieurs centaines de milliers de morts, les accords dEvian scellent lindpendance de lAlgrie. De 1962 1988, lAlgrie vit sous le rgime du parti unique, le FLN servant de vitrine un pouvoir en ralit confisqu et exerc par lArme nationale populaire (ANP). Devenu prsident en 1965, le colonel Boumediene dirigera larme et le pays en vritable patron (jusqu son dcs en dcembre 1978), entranant une confusion presque totale entre institutions politiques et militaires au profit de ces dernires2 . son arrive au pouvoir, en 1979, le prsident Chadli Bendjedid conservera, comme son prdcesseur, le ministre de la Dfense, mais il dlguera, sous linfluence de son minence grise, le gnral Larbi Belkheir, un certain nombre de responsabilits dordre militaire : il nomme un secrtaire gnral du ministre de la Dfense et recre, en 1984, un poste de chef dtat-major de larme. Dans les annes 1980, la croissance dmographique, le tarissement des ressources de ltat-providence et lappropriation de la rente ptrolire par les cercles dirigeants font entrer lAlgrie dans une zone de turbulences. En octobre 1988, les jeunes descendent dans la rue. Larme prend position et tire sur les manifestants la mitrailleuse lourde : plus de 500 jeunes perdent la vie et plusieurs centaines dautres sont emprisonns et sauvagement torturs. Ce traumatisme, voulu par le clan constitu autour de Larbi Belkheir, va lui servir pour imposer une ouverture dmocratique sous contrle , quil estime ncessaire pour servir ses intrts conomiques (fonds sur la captation, par la corruption, dune part de la rente ptrolire) : la nouvelle Constitution de fvrier 1989 autorise le multipartisme et impose que larme sorte, du moins en apparence, de la scne politique. Tandis que ce printemps dmocratique voit la monte en flche du Front islamique du salut (FIS), qui parvient canaliser la rage et le dsir de justice sociale dune part importante de la population, lquipe du Premier ministre Mouloud Hamrouche tente de smanciper de la tutelle de Larbi Belkheir et entreprend des rformes conomiques qui, si elles devaient tre appliques, menaceraient les sources de corruption qui enrichissent la caste au pouvoir. Les chefs de larme, qui avaient renonc leurs siges au comit central du FLN et gard le silence pendant un an, sortent de leur rserve. Il ne peut tre question pour eux de perdre le contrle du pouvoir politique et de la rente ptrolire. En juillet 1990, pour la premire fois, un ministre de la Dfense est nomm : le gnral Khaled Nezzar. Cest la confirmation officielle que le prsident Chadli nest pas le chef rel de larme, mme sil le reste au regard de la Constitution, et quil nest que le reprsentant public dun collge occulte

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Theda SKOCPOL, tats et rvolutions sociales, Fayard, Paris, 1985, p. 58. Nicole CHEVILLARD, Algrie : laprs-guerre civile , Nord-Sud Export, juin 1995, p. 41.

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de gnraux dont il dpend. Ces gnraux sapprteront alors affronter le FIS, le provoquer et le manipuler, notamment en instrumentalisant ses franges radicales. Ltat de guerre que cela devait amener justifierait ensuite la reprise en main de la socit par la rpression et les armes. La Scurit militaire au cur du pouvoir La Scurit militaire, la police politique du rgime, est lhritire du MALG (ministre de lArmement et des Liaisons gnrales), qui avait fait assassiner, en dcembre 1957, Abbane Ramdane, tte pensante du FLN, lorsque celui-ci voulut imposer la primaut du politique sur le militaire. Comme le rappellera Hocine At-Ahmed, lun des chefs historiques de la lutte pour lindpendance : Le MALG tait la seule institution disposant dun programme et de moyens de recrutement. Il navait pas revendiquer la priorit pour embrigader les cadres les plus instruits et les plus dynamiques, il lavait sur le terrain : premier arriv, premier servi3.

De la mme faon, dans lAlgrie indpendante, la force de la Scurit militaire rsidera dans les moyens humains et matriels dont elle disposera, et dans son omniprsence, tant sur le plan conomique que politique. Comme pourront lcrire deux spcialistes de lAlgrie en 1998, la SM est, en dehors du secteur des hydrocarbures, la seule institution qui fonctionne vraiment Quadrillant la socit, contrlant une part importante du commerce extrieur, nommant nombre de hauts fonctionnaires, y compris parmi les ambassadeurs, infiltrant les mdias, la police, les entreprises dtat, les partis politiques et les groupes islamistes arms, souponne dtre derrire plusieurs attentats et de multiplier les coups tordus, elle dsinforme et manipule lopinion comme, dailleurs, les prsidents coup de rapports volontairement errons ou faussement alarmistes4

Tout au long des annes 1980, le prsident Chadli sefforcera, sans grand succs, daffaiblir les services pour tenter den prendre le contrle. En novembre 1987, toujours sous linfluence du gnral Larbi Belkheir, Chadli rorganise la SM en profondeur. Lappellation SM est officiellement abandonne, et elle est scinde en deux organismes distincts : la DGPS (Dlgation gnrale de la prvention et de la scurit), qui regroupe les services de renseignements extrieurs et le contre-espionnage, devient une dlgation ministrielle dpendant directement de la prsidence ; tandis que la DCSA (Direction centrale de la scurit de larme, lautre branche de lancienne SM qui soccupe de surveiller le personnel militaire et de protger ses infrastructures) fera partie intgrante du ministre de la Dfense. La rorganisation de la SM partir de septembre 1990 Comme nous lavons vu, en juillet 1990, un poste de ministre de la Dfense est cr, privant de facto totalement le chef de ltat de ses prrogatives en tant que chef de larme. En septembre de la mme anne, ce ministre le gnral Khaled Nezzar prendra sous sa tutelle les services secrets runifis, baptiss dsormais Dpartement de renseignement et de scurit (DRS)5. Cette manuvre visait notamment couper le prsident de ses sources de renseignements et donner aux dcideurs militaires lentier contrle des Services .

Hocine AT-AHMED, LAffaire Mcili, La Dcouverte, Paris, 1989. Jos GARON et Pierre AFFUZI, Larme algrienne : le pouvoir de lombre , Pouvoirs, n 86, septembre 1998, Seuil, Paris, p. 50. 5 Jusqu aujourdhui, le DRS est encore couramment appel Scurit militaire (SM) . On retrouvera dans ce texte les deux appellations.4

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Le gnral Mohamed Mdine, dit Tewfik entre alors dans ce groupe des dcideurs en devenant patron du DRS (il lest encore en septembre 2004). Larbi Belkheir et Khaled Nezzar placent la tte de la DCSA (Direction centrale de la scurit de larme) et de la DDSE (Direction de la documentation et de la scurit extrieure) respectivement les colonels Kamel Abderrahmane6 et Sadi Fodhil7. La troisime direction, la DCE (Direction du contreespionnage), sera dirige par le colonel (promu gnral fin 1992) Smal Lamari, dit Sman , vieux routier des services (il tait toujours au mme poste en septembre 2004). Lhgmonie de larme et du DRS saffirme donc au dtriment du chef de ltat. Le prsident Chadli sera dmissionn le 11 janvier 1992, en violation de la Constitution (voir Dossier n 13), aprs lannulation par larme de la victoire lectorale du FIS, et remplac par un Haut Comit dtat prsid par Mohammed Boudiaf. Ltat durgence est proclam en fvrier 1992. Boudiaf, qui tente de sautonomiser par rapport aux gnraux, est assassin en juin ; le pays bascule lentement dans la violence. Depuis la dmission force de Chadli, tous ses successeurs ont vu leurs pouvoirs rogns et leurs prrogatives se sont rduites, pas du point de vue constitutionnel mais dans les faits. [] La hirarchie militaire a trac autour du prsident des limites claires au-del desquelles il ne doit pas saventurer8.

Ces limites concernent, entre autres, la dsignation du ministre de la Dfense, les promotions au sein de larme, son budget, le dossier du FIS Dans la suite de ce dossier, nous allons dabord rappeler les objectifs des diffrentes tapes de la politique rpressive des chefs militaires de 1990 nos jours (premire partie), avant de prsenter les diffrentes forces de scurit mobilises pour cette rpression (deuxime partie). Nous examinerons ensuite les mthodes quelles ont utilises (troisime partie). Il est trs important de prciser que lobjet de ce dossier est limit au fonctionnement du pouvoir militaire et des forces (militaires, policires et paramilitaires) quil contrle. Lanalyse de la mouvance islamiste, et notamment de lengagement de certaines de ses composantes dans la lutte arme et le terrorisme, fait lobjet dautres dossiers dtaills tablis par le CJA9.

Kamel Abderrahmane, issu de larme de terre, chef dunit pendant ltat de sige doctobre 1988, connut une ascension fulgurante grce la protection du gnral Mdine. Il restera directeur de la DCSA de septembre 1990 mai 1996 (il a t promu gnral en 1993). Il est nomm ensuite commandant de la 2e rgion militaire (Oran, Ouest), poste quil occupe jusquen aot 2004, date laquelle il prend la tte de la 5e rgion militaire (Constantine, Est) 7 Sadi Fodhil, galement issu de larme de terre (ancien responsable du renseignement militaire), sera dmis de ses fonctions en juillet 1994 ( linstigation de Smal Lamari) pour tre nomm commandant de la 4e rgion militaire (il a t remplac la tte de la DDSE par le gnral Rachid Laalali, dit Attafi) ; en dsaccord avec les pratiques des gnraux Tewfik et Sman, Sadi Fodhil sera assassin (dans un accident de la route ) le 4 juin 1996. 8 Nicole CHEVILLARD, Algrie, perspectives gnrales , Nord- Sud Export, dcembre 1999. 9 Voir les Dossiers CJA n 10, 11, 12 et 19.

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I. Les objectifs de la rpression : les principales phases de la guerre La dmocratie, cela ne nous arrangeait pas. Avec la violence, on tait en position de force. Le pouvoir, ctait nous. Sous la terreur, le maire, ctait nous, le wali, ctait nous On avait tous les pouvoirs. Abdelkader Tigha, ex-adjudant du DRS de 1991 199910.

1990-1991 : casser le mouvement islamiste et lcarter du pouvoir Ds la fin 1990, alors que le chef de ltat disposait de moyens lgaux (dissoudre le Parlement, proposer une modification de la Constitution, arrter les lments radicaux) pour empcher le FIS dimposer au pays une thocratie islamiste, par les urnes ou par la force, le tandem Belkheir-Nezzar a labor secrtement un plan subversif qui, au contraire, utilisera la violence islamiste pour casser le FIS et, plus largement, pour museler tout mouvement populaire et contestataire. Lexistence de ce plan, secret, ne sera connue que bien plus tard sous le nom de Plan Nezzar , car cest le gnral Nezzar lui-mme qui la rvle dans ses mmoires, publies Alger en 1999 ; il y reproduit le Mmoire sur la situation dans le pays et point de vue de lArme nationale populaire labor en dcembre 1990 lattention du prsident et du Premier ministre Mouloud Hamrouche par le ministre de la Dfense pour contrer lislamisme. Rejet par Hamrouche, ce document ( la formulation videmment euphmise, sagissant des actions clairement illgales prconises, comme linfiltration et la manipulation de la mouvance islamiste) servira de fait de guide daction aux menes subversives des chefs de larme jusquau coup dtat de janvier 199211.

Abdelkader Tigha, notes personnelles. En poste, de 1993 aot 1998, au CTRI de Blida (antenne du DRS ayant jou, on y reviendra, un rle majeur dans la sale guerre ), lex-adjudant Tigha, en dsaccord avec ses suprieurs et estimant sa vie en danger, a choisi de quitter lAlgrie en dcembre 1999. Aprs un long et difficile priple, qui la men de la Syrie la Thalande (o il est rest incarcr de fvrier 2000 septembre 2003), il a gagn la Jordanie, puis, en dcembre 2003, les PaysBas, o il a t dtenu jusquen septembre 2004, dans lattente du rsultat de sa demande dasile politique. Ds aot 2001, Tigha a donn divers tmoignages la presse internationale sur les trs graves violations des droits de lhomme dont il dit avoir t tmoin de la part du DRS (voir notamment : NORD-SUD EXPORT, Les rvlations dun dserteur de la SM , 21 septembre 2001 ; Arnaud DUBUS, Un ancien militaire algrien rvle les circonstances du rapt et de lassassinat des trappistes franais en 1996. Les sept moines de Tibehirine enlevs sur ordre dAlger , Libration, 23 dcembre 2002 ; Interview dAbdelkader Tigha pour le documentaire de Jean-Baptiste RIVOIRE, Services secrets : rvlations sur un vrai-faux enlvement, 90 minutes , Canal Plus, 1er dcembre 2003). Abdelkader Tigha a par ailleurs rdig des notes circonstancies sur son exprience au sein du DRS, dont nous avons pu avoir connaissance ; ses informations recoupent trs largement les autres tmoignages de militaires et policiers dissidents (certains anonymes, dautres non) et semblent de ce fait particulirement dignes de crdit, mme si, bien sr, elles ne pourraient tre pleinement valides que par des enqutes indpendantes, aujourdhui impossibles en Algrie. Cest avec cette prcaution en tte quil faut donc considrer ces notes , que nous citerons souvent dans ce dossier. 11 Ce document est galement reproduit dans louvrage collectif Algrie, arrt du processus lectoral. Enjeux et dmocratie (Publisud, Paris, 2002, p. 131-149), que le gnral Nezzar a fait publier en juillet 2002, reproduisant, avec de nombreuses pices annexes, le mmoire en dfense prpar par ses conseils pour rpondre la plainte pour tortures dpose contre lui Paris, par trois Algriens victimes de tortures, le 25 avril 2001.

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Ce plan a consist, dans un premier temps (dbut 1991), intensifier les pratiques occultes de surveillance et daffaiblissement du FIS (mise sous coute de ses leaders, installation de filatures, intensification des divisions au sein du parti salafistes/djazaaristes, etc. neutralisation des meneurs par la rcupration politique ou la corruption), tout en feignant de ngocier avec les chefs du parti. Paralllement, le FLN (lancien parti unique) est soutenu par loctroi de subventions et un meilleur accs aux mdias. Le DRS met aussi en place une stratgie de dsinformation mdiatique pour dprcier limage du FIS et carter ses membres des postes sensibles : affichage de faux communiqus, qui lui sont attribus, appelant prendre les armes (surenchrissant les vrais communiqus, eux-mmes dj radicaux), publication dimages et de discours attestant de linculture des extrmistes, etc. Alors mme que certains leaders importants du FIS multiplient les dclarations hostiles la dmocratie, rpute impie au nom de leur vision conservatrice de lislam (et surtout dune instrumentalisation populiste de celui-ci), les manipulations du DRS en rajoutent pour donner de lensemble des sympathisants islamistes limage dun conglomrat indistinct et dangereux recherchant linstauration dune thocratie totalitaire 12. La rpression les principaux leaders du FIS et des centaines dislamistes sont arrts et interns en juin et juillet 1991 est mene par le DRS, lequel se dote alors dune nouvelle structure, le Poste de commandement oprationnel (PCO), cr en juin 1991, qui coordonne ses actions avec celles de la police et de la gendarmerie. Par ces manipulations et la rpression, les gnraux espraient pousser la faute la petite minorit dislamistes radicaux hostiles laile modre du FIS et effrayer la population par les horreurs qui pouvaient tre commises au nom de lislam. Ce plan a t dautant plus facilit que les responsables du FIS ne se sont jamais clairement dmarqus des violences des courants radicaux. Mais ce plan ira plus loin, puisquil comprendra, bien avant le coup dtat de janvier 1992, une vritable campagne pour exacerber la violence des noyaux extrmistes (comme celle des quelques centaines de jeunes militants revenus du djihad en Afghanistan, surnomms les Afghans ) et, en pratiquant un vaste amalgame, limputer au FIS. Pour ce faire, des lments radicaux ont t recruts par les Services pour devenir des mirs de quartiers et des rseaux islamistes prnant la violence ont t infiltrs et encourags, voire crs de toutes pices (le DRS mettra mme en place, ds cette poque, quelques faux maquis islamistes). Les gnraux se prparaient ainsi lventualit dune guerre dradication, au travers dune politique de pourrissement. La gagner signifiait attendre que les conditions soient propices la liquidation du mouvement islamiste (et de toute opposition) et linstauration du pouvoir sans partage des gnraux. Cette occasion leur sera donne avec la victoire du FIS au premier tour des lections lgislatives de dcembre 1991. De nombreux acteurs et observateurs de cette priode estiment que le rsultat de cette lection avait t envisag par les dcideurs et quils avaient programm, dans ses grandes lignes, le coup dtat qui a suivi :- Mohammed Samraoui (ex-colonel du DRS, jusquen 1996) : En dcembre 1990, lors dune runion prside par le gnral Nezzar, Bni-Messous, et laquelle taient convis les principaux responsables de la SM, le ministre de la Dfense nous fit part de mesures pour contrer le FIS. Il nous dclara que celui-ci ne serait tolr que sil ne dpassait pas 30 % des votes lors des lections lgislatives, [] sinon lANP serait amene prendre ses responsabilits13 ; - Lounis Aggoun et Jean-Baptiste Rivoire (journalistes) : La rapidit avec laquelle

Mohamed LAMARI, Lenjeu de 1991-1992 tait de prserver le rgime rpublicain pour que lAlgrie ne soit pas un rgime thocratique totalitaire , Le Soir dAlgrie, 9 janvier 2003. 13 Mohammed SAMRAOUI, Chronique des annes de sang. Algrie : comment les services secrets ont manipul les groupes islamistes, Denol, Paris, 2003, p. 66.

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sorganise la fronde exigeant larrt du processus lectoral montre que ce scnario a t soigneusement prpar, du moins dans ses grandes lignes14 ; - gnral Larbi Belkheir, ministre de lIntrieur, au lendemain du premier tour des lections : Un tat islamique en Algrie, jamais15 ! ; - Hocine At-Ahmed (prsident du Front des forces socialistes) : Nous avons un coup dtat, sinon dans la forme, du moins dans les faits. [] Jai le regret de dire que tout cela a t voulu et organis16.

1992-1993 : resserrer les rangs des militaires et de la socit civile derrire loption antiislamiste des gnraux Dbut janvier 1992, le colonel Sman Lamari, numro deux du DRS, renforce son contrle sur le renseignement au travers la cration dune cellule d Analyse et de Documentation , qui travaille linsu de lANP. Il runit les cadres de sa direction et leur assure que le FIS narrivera jamais au pouvoir. On comprend quil sera dtruit : Je suis prt et dcid liminer trois millions dAlgriens sil le faut pour maintenir lordre que les islamistes menacent , dclarera ce dernier en mai de la mme anne au cours dune runion au poste de commandement de la police17. Larme a alors un objectif clair : dcapiter ce qui reste de ltat-major politique du FIS, liquider les chefs islamistes les mieux forms et les moins manipulables, dporter ses militants et sympathisants dans des camps du Sud et discrditer les islamistes. Ds le dpart, les chefs de larme dcident daccentuer leur lutte par le dploiement dun dispositif scuritaire essentiellement policier et militaire. Ltat durgence est proclam en fvrier 1992 et les oprations de ratissage connaissent un certain succs. Ds mars 1992, le colonel Kamel Abderrahmane [chef de la DCSA] avait donn comme instructions [] de ne plus prsenter les intgristes irrcuprables la justice18 et de les liquider. cette poque, en effet, des personnes arrtes et tortures avaient t libres faute de chefs dinculpation et les responsables de la rpression dsapprouvaient ce laxisme 19. En avril 1992, le DRS prend le contrle de la police et en septembre 1992, nous y reviendrons, est cr le Centre de conduite et de coordination des actions de lutte antisubversive (CCC/ALAS), plaant sous le commandement du gnral Mohamed Lamari le noyau dur des forces de rpression, compos des rgiments des forces spciales de larme et des principales units oprationnelles du DRS et de la gendarmerie. En octobre, des cours spciales de justice entrent en fonction ; cest le rgne de lexception et de larbitraire. Les abus de la part du DRS et de la police saccumulent : arrestations collectives, tortures, assassinats Tout est fait, dans le mme temps, pour rprimer et radicaliser la contestation islamiste. Lex-colonel Samraoui note que si lon avait voulu pousser une partie de la jeunesse dans laction arme, on ne se sy serait pas pris autrement20 : le 20 janvier 1992, une loi est promulgue, interdisant les rassemblements aux abords des mosques, dclenchant un cycle de14

Lounis AGGOUN et Jean-Baptiste RIVOIRE, Franalgrie, crimes et mensonges dtats, La Dcouverte, Paris, 2004, p. 242. 15 Ibid., p. 241. 16 Cit par Abed CHAREF, Algrie, le grand drapage, LAube, La Tour dAigues, 1994, p. 257. 17 Propos dont a t tmoin lex-colonel Mohammed Samraoui, qui tait alors responsable du Service de recherche et danalyse (SRA) du DRS et travaillait directement avec le colonel Sman Lamari (Mohammed SAMRAOUI, Chronique des annes de sang, op. cit., p. 162). 18 Ibid., p. 199. 19 Ibid., p. 200. 20 Ibid., p. 141.

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protestation/rpression ; les rafles se multiplient, menes laveuglette et pargnant souvent des lments extrmistes dj reprs ; les dportations massives dans les camps du sud accroissent au maximum le sentiment dinjustice et nourrissent une violente colre populaire ; certains actes de terrorisme imputs aux islamistes (comme lattentat la bombe laroport Houari-Boumediene, le 26 aot 1992, qui fait neuf morts et des dizaines de blesss) sont plus que probablement couverts ou organiss par la SM aucune enqute srieuse, des preuves qui disparaissent, etc. Le jeune sous-lieutenant Habib Souadia, qui vient alors dtre vers dans les forces spciales de larme engages dans la lutte antiterroriste , observera lanne suivante : Tout se passait comme si, malgr les pertes svres que nous subissions, les gnraux limitaient volontairement notre action pour laisser les terroristes en action. Souvent, nous recevions des ordres qui nous bloquaient pour finir une opration ou liminer un groupe que nous poursuivions21.

Dbut 1993, principalement dans lAlgrois, des cellules armes islamistes commencent occuper le terrain, dans les villes comme dans les campagnes. La police et les gendarmes se barricadent lintrieur de leurs siges22, tandis que larme intervient massivement et sauvagement contre les zones tenues par les islamistes : Ds 1993, il y a eu des ordres stricts : on ne fait pas de prisonniers. Et quand il y a des blesss, on les achve23.

Malgr le dploiement de forces blinds dans les villes, bombardements des campagnes, napalm sur les forts pour dtruire les refuges, etc. , le commandement semble perdre le contrle de la situation dans certaines zones. Et de nombreux policiers et fonctionnaires, mais aussi des civils, sont assassins par les noyaux dislamistes arms. Mais beaucoup le sont aussi linitiative du DRS, dans le but de motiver les troupes . En mme temps quun plan de fidlisation de larme est tabli (augmentation des soldes, distribution de primes diverses), les chefs du DRS utilisent des groupes arms islamistes dj infiltrs et contrls24 et des escadrons de la mort clandestins (voir infra) pour assassiner des militaires et des policiers (particulirement les lments jugs douteux ) assassinats attribus aux islamistes et revendiqus ds la fin 1992 par le GIA (Groupe islamique arm). Ces crimes crent une atmosphre de suspicion et de vengeance qui encourage la troupe participer la rpression, comme le relve Samraoui, qui souligne que cette politique jouera un grand rle dans lemballement meurtrier des annes suivantes : lpoque, en effet, la hantise de ces derniers, au premier rang desquels les gnraux Larbi Belkheir et Khaled Nezzar, tait quune partie de larme et de la police refuse de les suivre dans leur politique dradication de lislamisme, voire se lve contre eux. Leur calcul, trs probablement, tait que, une fois ce danger cart et le ralliement de tous obtenu une affaire de quelques mois, tout au plus , il suffirait de liquider dfinitivement les groupes islamistes manipuls (aprs les avoir utiliss pour liminer ceux qui ne ltaient pas) pour que tout rentre dans lordre. Mais ce calcul criminel allait draper, enclenchant une spirale de lhorreur incontrlable : ses instigateurs navaient sans doute pas prvu que la haine pour le peuple quils allaient ainsi faire natre chez les jeunes cadres du DRS, de la police et des forces spciales de lANP, dboucherait sur des violences et des crimes dune telle ampleur que la seule faon de les grer serait la fuite en avant dans toujours plus dhorreur21 22

Habib SOUADIA, La Sale Guerre, La Dcouverte, Paris, 2001, p. 185. Abdelkader TIGHA, notes. 23 Capitaine Hacine Ouguenoune, dit Haroun , entretien avec Jean-Paul CHAGNOLLAUD, Confluences Mditerrane, n 25, 1998. 24 Voir sur ce point les pages trs rigoureusement documentes de Lounis AGGOUN et Jean-Baptiste RIVOIRE, Franalgrie, crimes et mensonges dtats, op. cit., notamment pp. 318-324 et 406-408.

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et de manipulations, au prix de dizaines de milliers de morts25.

Pour museler dfinitivement toute opposition des lites au dchanement du terrorisme dtat, partir du printemps 1993, des intellectuels, des responsables politiques, des journalistes, des mdecins seront leur tour victime dattentats (toujours attribus par la propagande officielle aux groupes arms islamistes et dailleurs cautionns par certains dirigeants de lexFIS, mais conduits selon toute probabilit linitiative du DRS). Et, fin 1993, le DRS cre des pseudo-groupes antiterroristes (comme lOSRA et lOJAL), censs cette fois maner de la socit civile rpublicaine , mais qui ne sont en fait que des tiquettes pour habiller les assassinats de sympathisants islamistes par les hommes du DRS26. Le FIS volontairement associ au GIA sera prsent dans la presse comme lassassin de lintelligence et de la culture . Les fatwas prononces par les islamistes contre certains membres de la socit civile qui avaient soutenu le coup dtat tombaient point et pouvaient servir dalibi cette campagne de terreur. Elle obtiendra les effets escompts : la plupart des intellectuels, en Algrie et en Europe, resteront silencieux, et nombre dentre eux vont apporter un soutien inconditionnel la politique rpressive du rgime. La violence des groupes intgristes arms, manipuls ou non, justifie les abus de la lutte antiterroriste ; cest loccasion pour les gnraux de mettre au pas les vritables dmocrates ( Lobjectif, selon le haut commandement militaire, est que chacun se sente inscuris, quil bunkrise sa vie et limite son expression27 ) et damener la population, comme larme, adhrer leur politique anti-islamiste. Mais la guerre est sale et la rpression froce. Dans de nombreux quartiers, elle alimente un courant de sympathie vis--vis de laction arme des groupes islamistes, qui imposent aussi parfois ce soutien par la coercition. Des milliers de jeunes montent aux maquis et les manipulations de tout ordre ont vite atteint un tel niveau que la gestion de la violence a commenc chapper aux services de scurit. 1994-dbut 1996 : le dchanement de lhyperviolence dtat partir de mars 1994, la lutte antiterroriste passe un stade suprieur : il sagit de faire regretter ses choix politiques la partie de la population qui a vot pour le FIS, tout en limpliquant dans la guerre. Le pouvoir bnficie alors dun encouragement inespr de la part de la communaut internationale : aprs avoir promis, en avril, un concours dun milliard de dollars lAlgrie, le FMI accepte, en mai, de rchelonner une partie de sa dette extrieure (value 27.5 milliards de dollars) et, le 1er juin, la demande pressante de la France, le Club de Paris signe son tour un accord portant rechelonnement de cinq milliards de dollars de dette algrienne 28 . Grce cette formidable bouffe doxygne conomique, les gnraux janviristes disposent dsormais de moyens considrables pour dcupler la terreur dtat. Des milliers de personnes sont arrtes illgalement, systmatiquement tortures dans les commissariats ou gendarmeries et surtout dans les centres du DRS (les CTRI, voir infra) et pour la plupart assassines (voir Dossier CJA n 3 sur les disparitions forces). Sman Lamari demande aux CTRI dagir sans laisser de traces29. Il faut tuer le moindre suspect. Les arresta-

Voir Mohammed SAMRAOUI, Chronique des annes de sang, op. cit., p. 149. Ibid., pp. 202-204. 27 Abdelkader TIGHA, notes. 28 Lounis AGGOUN et Jean-Baptiste RIVOIRE, Franalgrie, crimes et mensonges dtats, op. cit., pp. 377-378. 29 Abdelkader TIGHA, notes.26

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tions ont lieu de jour et de nuit. Le slogan est : Terroriser le terrorisme30. Une stratgie de chtiment collectif sera instaure, comme lexpliquera lex-capitaine Ouguenoune, dit Haroun , ancien du DRS : Pour dtruire la base des terroristes et couper le peuple des islamistes, pour que la peur change de camp31, les militaires et la police tuent les proches des suspects32.

Ce que confirme lex-colonel Samraoui, pour qui la dclaration du Premier ministre Rdha Malek exprimait, sans dtour, le nouveau programme des janviristes : puisque les islamistes navaient pu tre isols de la population (leur milieu naturel), ce serait la population qui serait isole des islamistes ! Ainsi commencrent les grands massacres dans les fiefs supposs de lex-FIS, principalement dans lAlgrois des massacres fort peu mdiatiss33.

Cette stratgie saccompagnera de disparitions, dexcutions sommaires, de confiscation dargent et dobjets de valeur et aussi de dmolitions de maisons souponnes davoir servi dhbergement des groupes arms. La population sera pousse rclamer des armes, initiative encourage, la mme poque, par la cration de milices armes par ltat (voir Dossier CJA n 17). En collaborant avec les gendarmes et militaires et en servant dagents de renseignements au DRS, elles encadreront la socit et privatiseront la guerre : les problmes se rglent par les armes et dans limpunit. De nouveaux seigneurs de la guerre apparaissent. Ils peuvent racketter, tuer, voler et enlever, au nom de la lutte antiterroriste. Une vritable politique dradication, par llimination physique, des islamistes et de leurs sympathisants supposs (rels ou non) se met en place. La violence bat son plein, que ce soit celle des groupes arms manipuls par le DRS ou celle des groupes qui ne le sont pas. Cest cette poque, en octobre 1994, que Djamel Zitouni, agent du DRS, devient l mir national du GIA (voir Dossier CJA n 19). Les milices affronteront le GIA et lAIS (Arme islamique du salut, bras arm du FIS, cre en juin 1994), elle aussi infiltre et arme par le DRS et pousse dans cette guerre fratricide. Le conflit devient de moins en moins lisible, la confusion saccrot, et la furie meurtrire se prolonge. Au cours de lanne 1995, force dliminations et dinfiltrations, le DRS arrivera faire prendre par ses agents officiers du DRS se faisant passer pour des islamistes, ou islamistes retourns le contrle effectif de la plupart des groupes arms. Lexadjudant Abdelkader Tigha, par exemple, tmoigne que lon rencontre alors couramment des terroristes du GIA au CTRI de Blida : On soignait les terroristes chez nous, ils passaient des nuits linfirmerie. On leur donnait manger puis on les amenait dans des hpitaux civils, puis on les renvoyait aux maquis34.

Au dbut de 1996, les vritables opposants sont presque tous limins, la rsistance islamiste au coup dtat est dfinitivement discrdite aux yeux de lopinion, tant nationale quinternationale, et les gnraux ont obtenu le soutien des pays occidentaux (grce notamment la campagne dattentats conduite en France par le DRS, au travers dislamistes du GIA

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Mounir, Le tmoignage dun officier , Le Monde, 16 septembre 1994. Selon le propos du Premier ministre Rdha Malek, le 16 mars 1994. 32 Capitaine Haroun , Ils souponnent la Scurit militaire , Der Spiegel, 12 janvier 1998. 33 Mohammed SAMRAOUI, Chronique des annes de sang, op. cit., p. 211. 34 Abdelkader TIGHA, notes.

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manipuls35). Mais la population va encore payer un lourd tribut aux luttes de pouvoir des clans qui dirigent le pays et leur politique de terreur. 1996-1998 : asseoir le pouvoir des gnraux par la terreur, ou la politique de la terre brle Les clans au pouvoir rglent leurs comptes : les gnraux radicateurs (Belkheir, Nezzar, Mdine, Lamari, etc.) veulent le dpart du prsident Liamine Zroual et de son conseiller, le gnral Mohamed Betchine, souponns de vouloir sentendre leurs dpens avec les chefs politiques de lex-FIS. Que la cause soit entendue : seul le noyau dur du pouvoir militaire doit grer le pays. partir du dbut 1996, pour affaiblir le clan prsidentiel, mais aussi pour contraindre les civils (notamment ceux du sud de lAlgrois) quitter leurs villages, les responsables de la rpression vont utiliser grande chelle la technique du massacre de masse, pratique par ceux que la population appelle les gorgeurs (lments des forces spciales et des groupes islamistes contrls par le DRS). Des centaines de milliers de personnes fuiront les lieux des massacres, sentassant dans les bidonvilles de la banlieue de la capitale. Les massacres se succdent, des quartiers entiers ou des villages sont attaqus par des hordes sanguinaires ; femmes, hommes et enfants meurent par milliers, jusquaux tueries spectaculaires de la fin 1997 (voir Dossier CJA n 2). En octobre 1997, lAIS ngocie avec le DRS une trve unilatrale, mais cela namliore pas la situation. Cette barbarie amnera les organisations internationales de dfense des droits de lhomme et mme le Dpartement dtat amricain36 demander une commission denqute internationale. Les officiers du DRS commencent avoir peur des tribunaux internationaux , affirmera Tigha37. Pourtant, les groupes contrls par le DRS seront utiliss contre la population civile jusqu la dmission du prsident Zroual, en septembre 1998. Des lections prsidentielles anticipes sont alors annonces pour avril 1999. Une fraude massive amnera le nouveau candidat de larme, Abdelaziz Bouteflika, au pouvoir. 1999-2004 : maintenir une terreur diffuse, consolider le soutien de la communaut internationale Le peuple ne demande plus que la paix. La loi dite de concorde civile , qui prvoit des rductions de peine pour les membres des groupes arms qui se rendront, pour autant quils naient pas commis de crimes de sang ou de viols, est approuve par un rfrendum organis le 16 septembre 1999 (et truqu comme lhabitude). Les quelques milliers dhommes arms qui se sont rendus (en fait, librs sans jugement, ce qui facilitait la rinsertion dans larme des lments infiltrs du DRS) feront dire au prsident Bouteflika en juin 2004, au mpris de toute ralit, que : la concorde civile a contribu au rtablissement de la scurit et au retour des valeurs sculaires de tolrance et de dialogue du peuple algrien, favorisant ainsi llargissement continu du champ des liberts38 .

Lounis AGGOUN et Jean-Baptiste RIVOIRE, Franalgrie, crimes et mensonges dtats, op. cit., pp. 434-459. 36 Daily Press Briefing released by the Office of the Spokeman, US Department of State, 6 janvier 1998. 37 NORD-SUD EXPORT, Les rvlations dun dserteur de la SM , loc. cit. 38 Mmorandum prsent par le prsident Bouteflika au 30e sommet du G8, le 8 juin 2004.

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En novembre 1999, lassassinat dAbdelkader Hachani, numro trois de lex-FIS et interlocuteur incontournable pour un rglement de la crise, carte dfinitivement toute solution politique du conflit. La torture, les menaces et les assassinats diminuent, mais se poursuivent nanmoins ; le racket, les crimes crapuleux et, loccasion, les embuscades et les massacres par des groupes islamistes (lorsque des tensions apparaissent entre les clans du pouvoir et quil sagit pour eux de montrer leur capacit de nuisance) font au moins cent deux cents morts par mois de 2000 2003 (et encore au moins cinquante morts par mois en 2004). Et les forces de scurit nhsitent pas rprimer brutalement toutes les rvoltes contre linjustice et la misre. En avril 2001, suite aux provocations du pouvoir, la Kabylie sest ainsi enflamme et le nombre de morts a dpass la centaine. La population est maintenue dans la peur et le pouvoir militaire se prsente plus que jamais comme le seul rempart contre l intgrisme islamiste . Depuis le 11 septembre 2001, la menace islamiste a t transforme en rente ; elle garantit le soutien inconditionnel des tats occidentaux et une aide, notamment en matire darmements. Ltat durgence, jamais rvoqu jusqu aujourdhui, empche toute concession substantielle qui serait un chemin vers la dmocratie et ltat de droit.

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II. Les organes de rpressionEn 1992 et 1993, progressivement, toute larme et une bonne partie de la police et de la gendarmerie ont t engages dans la lutte antiterroriste, cest--dire plus de 300 000 hommes. Mais en pratique, la rpression a t principalement mene par une petite partie de ces effectifs, ceux des forces spciales de larme, les units spciales de la police et de la gendarmerie et les hommes de la Scurit militaire (DRS). La guerre mene par ces derniers est une guerre secrte, faites de dsinformation, de manipulations, de torture et dassassinats. Si les consignes non crites qui organisent la rpression manent de conclaves qui regroupent les gnraux les plus influents, les chefs des rgions militaires et les chefs dunits, cest bien le DRS qui, ds avant le dclenchement de la guerre en 1992, a principalement assur la coordination de la rpression, officielle (avec le centre de conduite de la lutte antisubversive coordonnant les forces spciales de larme) aussi bien que clandestine. Les chefs du DRS ont linformation, laborent la stratgie et parce quils ne possdent aucune force de frappe propre en dehors du GIS (Groupe dintervention spciale) et des BMP (Bataillons de police militaire) , ils utilisent les effectifs de larme, de la police et des milices selon leurs besoins et objectifs. Avant de prsenter les diffrentes structures utilises dans la rpression, il est important den prsenter brivement les principaux commanditaires. Les principaux commanditaires partir de 1990 (et jusqu ce jour, quatorze ans plus tard), on peut considrer que lessentiel du pouvoir rel en Algrie est concentr aux mains dune poigne de gnraux, dont certains occupent des fonctions officielles et dautres non. Certains observateurs les ont qualifis de janviristes , car ce sont eux qui ont conduit le coup dtat de janvier 1992. Et ils sont les principaux responsables et ordonnateurs de la guerre mene depuis lors, dans toutes ses dimensions (adoption de la lgislation antiterroriste , oprations militaires de lutte antiterroriste, oprations clandestines et violations massives des droits de lhomme). Le gnral-major Larbi Belkheir, n en 1938, a t lminence grise du rgime pendant les annes 1980. Ancien secrtaire gnral de la prsidence (1979-1986), puis directeur de cabinet du prsident de la Rpublique (1986-1991), gnral-major depuis 1991, cet homme est crdit dun pouvoir immense. En octobre 1991, il occupe le poste de ministre de lIntrieur et supervise le droulement des lections lgislatives puis lorganisation du coup dtat. Il joue donc un rle majeur dans la mise en place de la rpression de masse dabord dirige contre les militants et sympathisants du FIS, dans la dissolution de ce parti, dans le choix de Boudiaf comme nouveau prsident. Aprs lassassinat du prsident en juin 1992, le gnral Belkheir se retire officiellement de la scne politique (il quitte alors ses fonctions de ministre de lIntrieur) et ny reviendra quen avril 1999, comme directeur de cabinet du prsident Bouteflika (poste quil occupe toujours en septembre 2004). En fait, il na jamais cess de participer activement et directement lorganisation du pouvoir en Algrie39. Comme en attestent les nombreux tmoignages, le gnral Belkheir assure la jonction entre le pouvoir civil et le pouvoir militaire. Il peut compter sur la fidlit dhommes quil a placs au sein du gouvernement, des partis, de la Banque centrale et des

lire sur ce sujet Lounis AGGOUN et Jean-Baptiste RIVOIRE, Franalgrie, crimes et mensonges dtats, op. cit.

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services. Il connat tous les dossiers les plus dlicats sur les plans internes et externes. Il est considr par de nombreux observateurs comme le parrain du systme, ayant bnfici tout au long de ces annes du soutien indfectible et dcisif des principaux tnors de la classe politique franaise, de gauche comme de droite. Le gnral-major Khaled Nezzar, n en 1937, lautre faiseur de rois , tait commandant des forces terrestres de lANP au moment des meutes doctobre 1988, dont il conduira directement la rpression sanglante (plus de cinq cents morts). Il est nomm juste aprs chef dtat-major de lANP, et un mois aprs le raz-de-mare du FIS aux lections locales de juillet 1990, il obtient le portefeuille de la Dfense, poste rserv depuis 1965 au prsident de la Rpublique. En (presque) osmose avec Belkheir, Nezzar devient alors lhomme de toutes les dcisions au sein du pouvoir. Il joue un rle important pour limoger, en juin 1991, le Premier ministre rformateur, Mouloud Hamrouche, puis lors du coup dtat de janvier 1992, il devient membre du Haut Comit dtat, la prsidence collgiale dirige par Mohamed Boudiaf. En juillet 1993, il se retire de ses fonctions ministrielles sans sortir du Haut Comit dtat, qui sera dissous en janvier 1994. Depuis cette date, le gnral Nezzar na plus de fonctions officielles, mais, avec Larbi Belkheir, il a exerc une influence considrable tout au long des annes 1990 : il a appuy la nomination des gnraux qui ont men la guerre depuis 1992, il tait cout et avait ses relais ltat-major comme aux services secrets. Depuis 1999, son influence sur le pouvoir rel serait nettement moindre. Le gnral de corps darme Mohamed Lamari, n en 1939, a t chef du Commandement des forces terrestres de lANP entre 1989 et avril 1992. Il a jou lui aussi un rle de premier plan dans lorganisation du coup dtat de janvier 1992 ; plac sur une voie de garage par le prsident Boudiaf, qui ne le jugeait pas suffisamment respectueux de son autorit, il reviendra en force aprs lassassinat de ce dernier en juin 1992. Avec lappui du gnral Nezzar, il prend en septembre 1992 la direction de la structure de coordination des troupes dlite antiterroristes dont il a prn la cration (CCC/ALAS, voir infra) et se retrouve la tte de moyens considrables en hommes et en matriels et donc en pouvoirs extraordinaires de rpression. Il deviendra chef dtat-major de lANP en juillet 1993, poste quil a occup jusqu son viction en aot 2004 et qui lui a valu dtre au premier rang de la lutte antiterroriste tout au long des annes de la sale guerre . Il mettra larme au service des deux patrons des services spciaux, les gnraux Mohamed Mdine et Sman Lamari, et confortera, par l, leur pouvoir. Le gnral-major Mohamed Mdine (dit Toufik ), n en 1939, homme discret, form en URSS au sein du KGB, est le chef du DRS depuis septembre 1990 (jusqu ce jour). Son poids est considrable dans le systme politico-militaire et il est le principal organisateur, avec son adjoint Smal Lamari, des oprations spciales de la guerre ouverte en 1992 (manipulation de la violence islamiste, cration des escadrons de la mort, organisation des disparitions forces, etc.). Il possde par le biais de ses rseaux un puissant ascendant sur les mdias, les partis politiques, les lobbies daffaires et les diffrents courants de larme. Certains observateurs le considrent aujourdhui comme lhomme le plus puissant du pouvoir, galit avec Larbi Belkheir, voire en mesure de le supplanter la tte du pouvoir rel. Le gnral-major Smal Lamari (dit Sman ), bras droit de Toufik, est depuis septembre 1990 (et jusqu ce jour) le chef de la Direction du contre-espionnage (DCE), principale branche du DRS. Homme de lombre personne navait vu la photo avant le dbut de lanne 2001 , Sman a t depuis 1992 le premier responsable oprationnel des actions clandestines conduites par le DRS, contrlant directement les principaux centres de dtention, de torture et dexcutions extrajudiciaires, dont les six CTRI (antennes du DRS dans chaque rgion militaire, voir infra) et ceux de la police, ainsi que les groupes arms islamistes contr18

ls par le DRS. Synthse de lhomme de renseignement et de lhomme daction, il est rput, selon de nombreux observateurs, capable dinventer les scnarios les plus tordus pour mieux rprimer et manipuler. Il est depuis 1985 linterlocuteur privilgi de la DST franaise. Si ces cinq hommes sont les piliers de la rpression mene par larme et les services secrets, bien dautres les chefs ont plac leurs hommes tous les postes sensibles ont jou un rle important (voir annexe). On peut citer notamment le gnral Kamel Abderrahmane, chef de la DCSA (Direction centrale de la scurit de larme), lautre branche importante du DRS, de septembre 1990 mars 1996. Ou le gnral Brahim Fodhil Chrif, numro deux de la lutte antiterroriste conduite par les forces spciales de lANP40. Ou encore le colonel Mhenna Djebbar, un proche de Sman Lamari, chef du CTRI de Blida de 1990 2003 et responsable ce titre de tortures et dassassinats grande chelle ; et le colonel (devenu gnral en juillet 2003) Athmane Tartag, dit Bachir , chef du CPMI de Ben-Aknoun daot 1990 mars 2001, lui aussi tortionnaire de grande envergure. Linfluence de ces hommes et leurs alliances ont fluctu au cours de cette priode sanglante, mais ce qui fait la force du cercle restreint des dcideurs est incontestablement quils ont russi rester soud sur lessentiel, savoir la prservation de leur pouvoir, politique, militaire et conomique. Lorganisation du DRS (Dpartement du renseignement et de la scurit) Lors de sa reconstitution en septembre 1990 sous le nom de DRS (dont le sige est la caserne de Delly-Brahim, dans la banlieue ouest dAlger), lex-SM a t rorganise comme on la vu en trois directions principales (voir aussi Dossier CJA n 6), sous la direction du gnral Mohamed Mdine, dit Tewfik (toujours en poste ce jour) : la Direction du contre-espionnage (DCE), dirige par le colonel Smal Lamari (jusqu ce jour), dont le sige est situ avenue Ahmed-Ghermoul Alger ( Centre Ghermoul ) ; la Direction centrale de la scurit de larme (DCSA), dirige par le colonel Kamel Abderrahmane (jusquen mai 1996) ; la Direction de la documentation et de la scurit extrieure (DDSE), dirige par le colonel Sadi Fodhil ; celle-ci na jou aucun rle dans la lutte antiterroriste, dautant plus que son premier responsable tait en dsaccord avec les autres chefs du DRS sur la conduite de la guerre (il a t cart de son poste en juillet 1994, et sera assassin par eux-mmes, selon toutes les informations disponibles41 deux ans plus tard) ; partir de juillet 1994 (dirige par le gnral Hassan Bendjelti, puis par le gnral Rachid Laalali, dit Attafi , un homme de Sman Lamari, toujours en poste en 2004), la DDSE utilisera ses agents ltranger pour surveiller et intimider les opposants exils. La Direction du contre-espionnage (DCE) La mission premire de la DCE, contrairement son intitul officiel, est de surveiller et dinfiltrer la socit. Elle comporte plusieurs services et sous-directions, dont les appellations et comptences semblent avoir vari au fil des annes. Par dfinition secrte, son organisation nest connue, de faon parcellaire, que par les rvlations de militaires dissidents, comme40

Nomm gnral en juillet 1993, il a t commandant adjoint du CCC/ALAS de 1992 1995, chef dtat-major de la Gendarmerie nationale de mars 1995 juillet 1997, puis chef du Dpartement emploi-prparation de ltat-major jusquen fvrier 2000, puis commandant de la 1re rgion militaire (Blida-Alger), jusquen aot 2004, date laquelle il a t mis lcart. 41 Voir notamment Mohammed SAMRAOUI, Chronique des annes de sang, op. cit., p. 277 sq.

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lex-colonel Mohamed Samraoui et lex-adjudant Abdelkader Tigha. Au dbut de la guerre, Samraoui signale, au sein de la DCE, le rle particulier du Service de recherche et danalyse (SRA, quil a dirig de mars 1990 juin 1992) et du Centre principal des oprations (CPO). Ces deux structures taient complmentaires : le SRA rcoltait linformation pour la DCE, qui donnait ensuite ses ordres au CPO. * Le SRA (Service de recherche et danalyse), install depuis 1991 au Centre Antar , assurait cinq missions principales : - la scurit intrieure, cest--dire le contrle des partis politiques et des organisations de masse (syndicales, estudiantines), le contrle de la presse, celui des ples dintrts (justice, port, aroport, htels), le suivi des meetings, congrs, runions et manifestations, la participation aux activits administratives des wilayas (lquivalent du dpartement), daras (lquivalent dune sous-prfecture) et communes ; et galement llaboration danalyses prospectives ncessaires la prise de dcision du commandement ainsi que la prparation des actions des services oprationnels42 ; - le contre-espionnage soccupait des trangers, du personnel diplomatique, des socits et compagnies trangres ; - la prvention conomique concernait la lutte contre la criminalit conomique ainsi que tout ce qui avait trait la vie sociale (syndicats, grves.) et la gestion des assistants de scurit prventive installs dans chaque institution de ltat ; - les enqutes dinvestigation et dhabilitation, servant dsigner les personnalits des fonctions suprieures de ltat ; - le suivi de la presse. * Le CPO (Centre principal des oprations), appel Centre Antar (localis BenAknoun, dans la banlieue ouest dAlger, prs du parc zoologique), est charg des actions illgales du DRS (surveillance, filature, perquisitions secrtes, enlvements, interrogatoires, faux tmoignages, infiltrations, mise en place de groupes arms islamistes)43. Le CPO est aussi un important centre de torture44 (de membres des services de scurit, de militaires et de civils). Il a t dirig de 1990 mai 1992 par le commandant Amar Guettouchi, puis par le colonel Farid Ghobrini et, partir de 1995, par le colonel Kamel Hamoud. * Les CTRI (centres territoriaux de recherche et dinvestigation) sont les antennes de la DCE dans chacune des six rgions militaires. Ils sont issus de la fusion, en mars 1993, des CRI (centres rgionaux dinvestigation, dpendant de la DCE) et des CMI (centres militaires dinvestigation, dpendant de la DCSA). partir de 1994, ces centres (particulirement ceux dOran, de Constantine et de Blida) auront un poids dterminant dans lorganisation de la lutte antiterroriste. Non seulement ils placeront des collaborateurs dans les administrations, les services publics et les entreprises, mais toutes les units antiterroristes leur obissaient sur le plan oprationnel. Les CTRI seront amens infiltrer et manipuler les GIA et lAIS et participer la cration des milices. Ils joueront un rle majeur dans les arrestations, tortures et liquidations de dizaines de milliers de civils (surtout entre 1994 et 1998). On verra que leur travail sera appuy par les autres structures du DRS : le Service de Police judiciaire, la gendarmerie, le

Ibid., p. 37. Ibid., p. 59. 44 ALGERIA-WATCH et Salah-Eddine SIDHOUM, Algrie, la machine de mort. Un rapport sur la torture, les centres de dtentions secrets et lorganisation de la machine de mort, octobre 2003, .43

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PCO et le GIS. Le CTRI de Blida Les lments du CTRI de Blida, assurment celui qui a jou le rle le plus important dans la sale guerre , iront enseigner leurs mthodes (tortures, assassinats et massacres) aux autres CTRI. Ce centre a t dirig par le commandant (devenu colonel) Mhenna Djebbar de septembre 1990 octobre 2003, actif organisateur dune politique rpressive extrme et trs largement clandestine45 : des milliers de personnes y seront tortures et excutes. Son centre sera aussi une plaque tournante dans le recrutement et larmement des milices et lorigine de la cration descadrons de la mort46. Selon Abdelkader Tigha, le CTRI de Blida a jou un rle majeur dans le contrle du GIA, surtout partir de la prise du poste d mir national du GIA en octobre 1994 par Djamel Zitouni, un agent du DRS trait par le numro deux du CTRI, le capitaine Abdelhafidh Allouache, dit Hafidh, chef du Service de coordination oprationnelle (jusquen 1994, celui-ci avait t le secrtaire personnel du gnral Sman)47. Mais, partir de la mi-1994, le CTRI de Blida aurait galement orchestr la guerre fratricide entre lAIS, nouvellement cre, et le GIA. Toujours selon Tigha, cest l que se rencontreront secrtement le pouvoir politique ntait pas inform de ces rencontres des reprsentants du DRS, de larme et de lAIS, dans le but damener celle-ci combattre le GIA avec le soutien de dtachements militaires : Le DRS a utilis lAIS pour combattre le GIA. Pour les moyens matriels, notre centre (le CTRI de Blida) sest occup de la livraison des munitions et de larmement de lAIS et laide mdicale. [] Les groupes de lAIS sont appuys par des dtachements militaires48. Selon Tigha, lorganisation du CTRI de Blida tait la suivante, la fin des annes 1990 : - le commandant et son adjoint soccupent de larmement des milices, de la Scurit Intrieure, de la contre-ingrence, des partis politiques et des analyses de fichiers ; - ladministration et les finances soccupent du secrtariat, de la trsorerie, de la cuisine, et de linfirmerie ; - ladministration du matriel roulant soccupe aussi de larmement du CTRI ; - la compagnie de garde comprend 250 hommes de troupes, des caporaux et quelques sous-officiers ; - le service de la police judiciaire dispose dun bureau de fichiers et soccupe des interrogatoires et de la torture ; - le service de recherche fait les investigations et les enqutes ; - enfin, le service de surveillance comprend la surveillance visuelle, la filature, la protection physique, la photographie, lcoute, la serrurerie. En tout, plus de 550 personnes dpendent de ce centre. * Le PCO (Poste de commandement oprationnel), explique Samraoui, a t : cr en juin 1991 An-Nadja, lors de linstauration de ltat de sige ; dabord nomm Commandement des oprations de base, le PCO assurera partir du coup dtat de janvier 1992 la coordination de laction rpressive des diffrents services de scurit DRS, DGSN et gendarmerie nationale ; plac sous lautorit du colonel Smal Lamari, il est instal-

45 46

Ibid. Algrie. Dossier politique , Nord-Sud Export, n 460, mars 2003. 47 Mohammed SAMRAOUI, Chronique des annes de sang, op. cit., p. 217. 48 Abdelkader TIGHA, notes.

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l depuis avril 1992 dans la caserne de Chateauneuf49 .

La grve du FIS du mois de mai 1991 a en effet donn loccasion aux officiers suprieurs de lancer le dbut dune vritable offensive contre-insurrectionnelle. Le Poste de commandement oprationnel (PCO), mis alors sur pied linitiative de Larbi Belkheir et Sman Lamari et dirig par ce dernier, sera charg de coordonner les actions de la DCE avec la police et la gendarmerie, de collecter les renseignements et de mener des oprations de rpression. Il deviendra un centre de torture et dexcutions. Le PCO regroupera toutes les brigades de police judiciaire du pays, celles du port dAlger et de laroport international, ainsi que les services rgionaux de police judiciaire (voir plus loin la section consacre au rle de la police) et il collaborera avec les CTRI et les troupes spciales. Ce service, dot de vhicules banaliss et de moyens techniques importants, est compos des sections suivantes : section de surveillance visuelle et filature (le PCO suit lvolution des agents sur le terrain, enregistre et filme leurs contacts avec leur agent recruteur) ; section de la serrurerie (utile pour les perquisitions) ; section de photographie secrte ; section dcoute tlphonique ; section de protection (protection de tout contact avec un agent). En travaillant avec le DRS, la gendarmerie et la police seront amenes faire des rafles, arrter et torturer. Sman Lamari avait affranchi les hommes du poste de commandement de toutes les rgles juridiques en vigueur ; ils avaient carte blanche, raconte lex-souslieutenant Habib Souadia : Jai pu me rendre compte quils npargnaient personne et ne reculaient devant rien pour arriver leurs fins : militaires ou civils, les suspects arrts ou plutt kidnapps taient systmatiquement torturs puis assassins. [] La nuit, ils prenaient leurs armes et partaient la chasse largent avec ces voitures (banalises). Ils dbarquaient chez les bijoutiers ou commerants aiss. [] Ceux qui refusaient taient abattus sur place ou emmens Chateauneuf, o ils taient torturs puis assassins50.

Ce nouveau service permettra donc la Direction du contre-espionnage non seulement de mener des oprations de rpression plus larges et de rcolter des informations, mais aussi denseigner aux gendarmes et policiers les arrestations arbitraires et la torture. Celle-ci se gnralisera ds 1992 dans tous les commissariats et gendarmeries. Le PCO a t officiellement dissous lt 1998, au moment de la visite du panel onusien, mais il demeure un centre de police. * LONRB (Office national de rpression du banditisme), cr en avril 1992 linitiative du gnral Larbi Belkheir, sera le premier centre de gestion de la lutte antisubversive. Dpendant thoriquement de la direction de la police (DGSN), il sera en fait plac sous le contrle de la DCE, renforant ainsi le contrle de facto de la police par le DRS. Install Chteauneuf, il tait aussi considr comme le premier centre de tortures et dexcutions. Son surnom tait El Akhira , ce qui peut se traduire par lau-del ou lenfer. Il tait constitu dunits spciales de la police (des ninjas , portant un uniforme bleu), de la gendarmerie et dlments du GIS et soccupait entre autres des oprations secrtes (cration de faux maquis, infiltration de groupes arms, cration de groupes comprenant de vrais islamistes mais dirigs pas des membres du DRS, etc.). La cration de lONRB avait comme objectif selon lex-colonel Samraoui de faire croire lopinion internationale que la lutte contre lintgrisme islamique ntait pas mene

49 50

Mohammed SAMRAOUI, Chronique des annes de sang, op. cit., p. 316. Habib SOUADIA, La Sale Guerre, op. cit., p. 81.

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par les services et par larme, mais par la police51 . Il sera dissous trois mois aprs sa cration (mme si les appellations ONRB ou brigades de rpression du banditisme continueront tre utilises par la suite pour dsigner le PCO et ses antennes). Tous ses commissaires (dont le commissaire Tahar Kra, second par les commissaires Mohamed Issouli et Mohamed Ouaddah) continueront oprer au PCO plac sous le contrle direct du gnral Sman Lamari. En septembre de la mme anne, un nouveau centre de gestion de la lutte antisubversive sera cr (le Centre de conduite et de coordination des actions de lutte antisubversive), mais il dpendra, nous le verrons, officiellement de larme (ce qui, pour autant, ne retirera rien au rle central de la DCE, beaucoup moins officiel ). La Direction centrale de la scurit de larme (DCSA) La mission de la DCSA, deuxime direction du DRS, est en principe spcifiquement militaire : elle consiste protger le personnel et les infrastructures de larme. En fait, sous la direction (de 1990 1996) du colonel Kamel Abderrahmane, la DCSA se positionnera souvent en concurrente de la DCE dans la mise en uvre des oprations clandestines de rpression, surtout partir de janvier 1992. Les principales structures de la DCSA sont les suivantes : * Le CPMI (Centre principal militaire dinvestigation, situ Ben-Aknoun) a t dirig de 1990 mars 2001 par le colonel Athmane Tartag, dit Bachir . Il a servi dabord, aprs le coup dtat de janvier 1992, surveiller et rprimer les lments douteux des diffrents corps de larme : de nombreux militaires suspects de sympathies avec le FIS y ont t arrts, torturs et liquids. Selon le MAOL, certains des lments du CPMI formeront, dbut 1992, un escadron de la mort ( Unit 192 ) charg de llimination des officiers rcalcitrants et qui tendra, son action, partir de 1993, llimination de civils (voir infra). Poursuivant cette politique occulte, il jouera un rle essentiel dans la manipulation du FIS en mettant en place des noyaux islamistes dans les zones frontalires et crera plus tard des groupes arms ex nihilo52. Le CPMI sera aussi un des principaux centres de torture et de liquidation des opposants53. * Les CMI (centres militaires dinvestigation), antennes du CPMI dans les six rgions militaires, ont fusionn en mars 1993 avec les centres de recherche et dinvestigation (CRI) de la DCE. * Les BPM (Bataillons de police militaire) : les 90e BPM (Bni-Messous) et 91e BPM (Blida), connus sous le nom de brets rouges , ont t crs respectivement en 1990 et 1991 (ce qui explique leur nom de baptme ; dautres seront crs ensuite). Ils ont t utiliss par le commandement de la DCSA pour tendre son pouvoir en participant diverses oprations de maintien de lordre. Ils se sont illustrs diverses occasions par leurs mthodes brutales et violentes54. Le service de presse et de documentation galement connu sous le nom de Centre de la communication et de la diffusion (CCD, situ au centre Belaroussi), ce service dpendant directement du chef du DRS, le gnral Mohammed Mdine, est charg du contrle des mdias : censure, diffusion de communiqus, articles publier. Il a t dirig par le colonel Djillali Meraou, dit Salah , jusqu son51 52

Mohammed SAMRAOUI, Chronique des annes de sang, op. cit., p. 208. Ibid., p. 93. 53 ALGERIA-WATCH et Salah-Eddine SIDHOUM, Algrie, la machine de mort, op. cit. 54 Habib SOUADIA, La Sale Guerre, op. cit., p. 182.

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assassinat, le 19 fvrier 1995 ; ce dernier a alors t remplac par le colonel Tahri Zoubir, dit Hadj Zoubir ou El-Hadj, lui-mme remplac en dcembre 2001 par le colonel Faouzi. Grce ses rseaux en Algrie et ltranger et ses agents placs dans les diffrents quotidiens nationaux, le CCD, dot de grands moyens et connaissant les mthodes de conditionnement de lopinion, a pu promouvoir trs efficacement linterprtation officielle du conflit : la juste lutte des militaires contre la barbarie islamiste. Il dispose de quatre services : Exploitation et manipulation (recrutement et entretien des agents) ; Soutien oprationnel (arrestation et prise en charge des agents potentiels) ; Soutien et contrle (contrle mdiatique) ; Analyse et traitement (analyse, traitement de linformation et de la stratgie mdiatique). Le Groupement dintervention spcial (GIS) Le GIS a t cr en 1987, sur le modle du GIGN franais, avec un encadrement militaire et un personnel de police. Sa mission tait plutt offensive55. partir de juin 1991, il sera engag dans la lutte antiterroriste et ses effectifs seront renforcs (environ 300 hommes). Des brigades dintervention du GIS seront installes prs de certains points nvralgiques du pays, Boufarik, prs de la base arienne, Alger, Blida. Selon lex-sous-lieutenant Habib Souadia : Ces hommes suivaient des stages de para-commandos lEATS de Biskra. L, ils taient pris en charge par des instructeurs nord-corens [] [qui leur] apprenaient [] un art martial coren appel Kuk Sool. [] Celui qui matrisait [cette technique de combat] pouvait facilement tuer mains nues56.

Aprs lassassinat du prsident Mohammed Boudiaf en juin 1992 par un officier du GIS, le GIS a t officiellement dissous, mais il sera reconstitu ds la fin de 1992 par le gnral Mohamed Lamari. Pour ce faire, explique Habib Souadia : il a eu recours aux forces spciales de larme de terre : trois rgiments de paracommandos, le 12e RPC, le 18e RAP et le 4e RAP, ont fourni chacun une section de trentedeux hommes. Plus tard, avec le dveloppement de la lutte antiterroriste, le GIS a t considrablement renforc57.

Ses hommes seront prsents dans tous les commissariats, dans toutes les casernes dune certaine importance. Dans chaque CTRI, une unit du GIS denviron cinquante lments, en tenue noire, ayant un armement spcifique, soutenait le service de Police judiciaire pendant le couvre-feu dans les oprations urbaines de lutte antiterroriste (assauts, arrestations, oprations de nettoyage des cadavres de personnes assassines, jetes devant chez elles ou en dautres lieux). Les units du DRS pouvaient faire appel cette entit nimporte quel moment du jour et de la nuit. Elle disposait de ses propres vhicules (des Toyota blindes) et dun armement lourd et sophistiqu58. Les forces de rpression au sein de lANP (Arme nationale populaire) Les rgions militaires Les chefs des six rgions militaires font partie du petit groupe des hauts grads qui font la dcision. Regroupant la grande majorit de la population algrienne, les trois rgions militaires du Nord ont une importance politique certaine. La 1re rgion militaire, la plus stratgi55 56

Ibid., p. 84. Ibid., p. 62. 57 Ibid., p. 63. 58 Abdelkader TIGHA, notes.

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que, regroupe Alger, la Kabylie et la Mitidja ; son sige est Blida et elle rassemble environ 60 % de larme. Le sige de la 2e rgion militaire (ouest) est Oran, et celui de la 5e rgion (est) est Constantine. Des trois rgions du Sud, la 4e (sud-est, sige : Ouargla) a un poids particulier : elle est la rgion de lor noir, lenjeu du pouvoir. La 3e (sud-ouest, sige : Bchar), situe face l ennemi marocain, est galement importante ; enfin la 6e rgion (sige : Tamanrasset) contrle le sud profond. En 1986, furent crs les commandements des forces terrestres (CFT), ariennes (CFDAT) et navales (CFN). Seuls les deux premiers ont jou un rle significatif dans la rpression depuis 1992. Leurs units dpendent organiquement de chaque chef de rgion militaire, mais, pour prvenir les risques de coup dtat, elles ne reoivent leurs ordres que du chef dtat-major de lANP. Le Commandement des forces terrestres (CFT, install An-Nadja) Larme de terre constitue lossature de lANP, elle est compose au dbut des annes 1990 de 160 000 hommes, auxquels il faut ajouter une part importante des appels du contingent, environ 185 000 hommes59. Ses diffrents corps (troupes spciales, gendarmerie, infanterie mcanise ou motorise, blinds, artillerie, units de transport) nont pas tous t impliqus de la mme faon dans la sale guerre . Mais il est pratiquement impossible de reconstituer un organigramme clair des forces en principe places sous le commandement du CFT. Dabord parce que les informations ce sujet restent secrtes (et quelles ne sont donc disponibles, de faon parcellaire, que par les tmoignages de militaires dissidents ou par les confidences calcules des responsables de lANP). Ensuite parce que les responsabilits et structures ont volu au fil des annes. Enfin, et surtout, parce que cet organigramme nexiste pas vraiment : le petit noyau des gnraux dcideurs , contrlant lensemble de larme et des services, a en effet construit partir de 1990 ce qui sapparente un dsordre organis, multipliant les doubles ou triples tutelles sur les units oprationnelles. Les raisons de cette situation sont multiples. Il sagit, en partie, dun choix volontaire, les dcideurs ayant doubl les chanes de commandement officielles par des chanes de commandement occultes (largement contrles, de facto, par les chefs du DRS, Mohamed Mdine et Smal Lamari), la fois pour assurer limpunit aux responsables des actions de rpression illgales et pour carter le risque dune opposition des ordres illgaux dofficiers lgalistes. Mais il sagit aussi du rsultat de concours de circonstances : jamais certains de la fidlit de leurs officiers (en dehors des responsables, peu nombreux et tris sur le volet, des principales units du DRS et des forces spciales), les dcideurs ont multipli au fil des ans les postes de responsabilit , constituant autant de sources de prbendes et permettant de grer les dlicats quilibres rgionaux (afin quaucun clan dofficiers lis par la solidarit rgionale Oranie, Kabylie, Constantinois, etc. ne puisse sorganiser dans la dure, au risque de menacer la prminence du groupe des vrais dcideurs ). Pour ces raisons, les informations donnes ci-aprs concernent principalement les grandes lignes, tablies de faon quasi certaine, de limplication des diffrents segments de lANP dans la rpression et le terrorisme dtat dploys partir de 1992, sans entrer dans des dtails techniques qui ncessiteraient des dveloppements beaucoup plus importants et que seules des enqutes approfondies et impartiales permettront un jour dtablir. * Les paracommandos des troupes spciales (quelques milliers dhommes seulement) ont jou un rle majeur, aux cts des units du DRS, de la police et de la Gendarmerie, dans la rpression sauvage dchane contre la population civile partir de 1992, et surtout de59

Nicole CHEVILLARD, Algrie : laprs-guerre civile , op. cit., p. 40.

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1994. Leur action a t coordonne par le Centre de conduite et de coordination des actions de lutte antisubversive (CCC/ALAS), cr en septembre 1992 et plac sous la direction du gnral Mohamed Lamari (voir infra). * Les troupes ordinaires serviront surtout aux oprations de bouclage et de ratissage pralables aux interventions des troupes spciales et des units du DRS. De nombreux tmoignages font tat du mpris avec lequel elles ont t traites (jusqu ce jour). Mal prpars et mal quips, ses effectifs ont t les victimes les plus nombreuses des embuscades meurtrires des groupes arms islamistes, indpendants ou contrls par le DRS. * La Gendarmerie a dabord agi, partir de janvier 1992, pour le maintien de lordre de faon assez autonome (son champ daction tait plutt les priphries des villes et la campagne, laissant la police les centres urbains), mais elle a rapidement t intgre dans les diffrentes structures mises en place dans la campagne antiterroriste. Entre 1990 et 1995, ses effectifs ont t multiplis par trois, pour atteindre 80 000 hommes. Les gendarmes pratiqueront couramment la torture dans leurs locaux et participeront de multiples arrestations et oprations de reprsailles. Cest encore eux qui seront chargs, aprs chaque excution ou massacre, daller ramasser les cadavres et de les enterrer sous x , selon lex-adjudant Tigha, du CTRI de Blida : Le commandant de la gendarmerie est tenu inform par notre chef Djebbar. Il donne des ordres ses brigades pour aller ramasser les cadavres. [] Le procureur est aussi tenu inform lissue de chaque excution. Il signe un permis dinhumer la gendarmerie sans demander des comptes. La gendarmerie, avec la protection civile, procde lenterrement des cadavres sous x60.

La Gendarmerie a par ailleurs t dote elle aussi dunits spciales , les GIR (groupes dintervention rapide). Dans lAlgrois, le GIR 1 (localis Chraga) et le GIR 2 (localis Rghaa) ont jou un rle particulirement actif dans la rpression61 (ses hommes patrouillaient souvent la nuit, dans des voitures blindes, pratiquant des arrestations et des excutions extrajudiciaires). * La Garde rpublicaine, dirige de 1991 fvrier 2000 par le gnral-major Dib Makhlouf, a en principe pour mission de protger la rsidence du prsident. Mais elle a t aussi utilise pour des ratissages et des arrestations, en collaboration avec des lments du DRS et des miliciens62. Le Commandement de la dfense arienne (CFDAT, install Cheraga) Larme de lair dispose dunits dhlicoptres de combat, quips de lance-roquettes et de systmes de vision infrarouge pour fonctionner de nuit, qui ont jou un rle important, tout au long de la guerre, en apportant un soutien logistique (en transportant hommes et matriels) des commandos chargs doprations de ratissage, ou, en 1996 et 1997 selon certaines sources , des commandos chargs de massacrer des populations civiles63. La base arienne de Boufarik, sige du GLAM (Groupe de liaison arienne militaire), tenu en alerte permanente, a ainsi jou un rle nvralgique (elle a notamment servi transporter les milliers de dports vers les camps du Sud, en 1992). Selon Malik , un officier de larme de lair ayant dsert en 1997 :Abdelkader TIGHA, notes. Habib SOUADIA, La Sale Guerre, op. cit., p. 87. 62 Voir les tmoignages sur les disparitions : . 63 Lounis AGGOUN et Jean-Baptiste RIVOIRE, Franalgrie, crimes et mensonges dtats, op. cit., p. 375.61 60

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Laviation est implique dans cette guerre, notamment avec ses escadrilles oprationnelles dhlicoptres du type MI 17 et MI 8, stationnes Blida. Cest ainsi que dans les oprations de ratissage et les bombardements dans la Mitidja, Chlef ou Laghouat, larme de lair a jou un rle essentiel. Il sagissait den finir avec les maquis dislamistes, mais aussi de faire comprendre la leon une population hostile au pouvoir, quitte en radiquer des pans entiers. Cest la raison pour laquelle larme est entirement implique dans cette guerre. La marine est le seul corps de larme qui nest pas compromis, tous les autres le sont. Le corps le plus impliqu est larme de terre. Larme de lair apporte son appui, mais les bombardements, lutilisation de napalm, les incendies et lradication de villages entiers de la carte sont le fait de larme de terre64.

Les troupes spciales et le Centre de conduite et de coordination des actions de lutte antisubversive (CCC/ALAS) Les troupes spciales , vritable arme dans larme, composes pour lessentiel de troupes parachutistes spcialement formes, ont jou comme on la dit le rle principal dans la rpression officielle . Jugeant insuffisamment efficace la gestion de la lutte antiterroriste par la gendarmerie, la police et le GIS, le gnral Mohamed Lamari a en effet opr un vritable coup de force interne larme65 et impos ses pairs, partir de septembre 1992, la constitution dun vritable corps darme spcialis dans la lutte antigurilla : le Centre de conduite et de coordination des actions de lutte antisubversive (CCC/ALAS, plus communment appel CCLAS ou CLAS), command par le gnral Mohamed Lamari et son bras droit, le gnral Brahim Fodhil Chrif (et partir de 1993 par le gnral Sad Bey66). Lex-sous-lieutenant Habib Souadia, lui-mme membre lpoque dun des rgiments du CCLAS (le 25e RR), expliquera dans son livre : Le CCLAS comportait cinq units dlite charges daller au combat : le 25e rgiment de reconnaissance (25e RR), command par le lieutenant-colonel Daoud ; le 18e rgiment aroport (18e RAP, rebaptis ensuite 18e RPC) de Hassi-Messaoud, command par le colonel Alaymia ; le 12e rgiment de paracommandos (12e RPC) de Biskra, command par le colonel Athamnia ; le 4e RAP (devenu plus tard RPC) bas Laghouat, qui allait tre command par le commandant Tlemani (jusqualors numro 2 de lEATS) ; et le 90e bataillon de police militaire (90e BPM), les brets rouges commands par le colonel Bendjenna. Ds le dbut de 1993, ces cinq rgiments seront redploys dans lAlgrois. Des units appartenant au DRS et plusieurs units de logistique dpendaient galement du CCLAS et assistaient les rgiments des forces spciales. Au total, le CCLAS comptait [initialement] environ 6 500 hommes, dont 3 500 pour les seules forces spciales67.

Selon lex-colonel Samraoui, le CCLAS disposait galement du Groupement dintervention rapide de la gendarmerie (GIR) et dlments de la DCSA chargs dencadrer et dorienter les oprations de ratissage, darrestations, de neutralisations68 . Et Souadia pr Malik , Cest larme qui massacre , tmoignage recueilli par Algeria-Watch, dbut 1999, . 65 Nicole CHEVILLARD, Algrie : laprs-guerre civile , op. cit., p. 51. 66 En mai 1994, le gnral Sad Bey sera nomm chef de la 1re rgion militaire (Centre). En septembre 1997, considr ce titre comme responsable direct de la non-intervention de larme dans les grands massacres de lAlgrois il fallait bien alors dsigner un bouc missaire pour ces crimes en vrit perptrs, on y reviendra, linitiative du DRS , il sera sanctionn par le prsident Zroual et envoy en poste Bruxelles, en tant quattach militaire. Aprs ce purgatoire dor, le 24 fvrier 2000, il prend la tte de la 5e rgion militaire (Constantine), jusquen aot 2004, date laquelle il prend la direction de la 2e rgion militaire (Oran). 67 Habib SOUADIA, La Sale Guerre, op. cit., p. 71. 68 Mohammed SAMRAOUI, Chronique des annes de sang, op. cit., p. 192.64

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cise quil exerait son contrle sur la gendarmerie et les autres composantes de larme qui constituaient les troupes normales : le commandement des forces terrestres (CFT, dirig par le gnral Gad Salah, contrlant les diffrentes units de larme de terre : infanterie, blinds, transmissions, transport, artillerie, etc.), le commandement des forces ariennes (CFA), le commandement de la dfense arienne (CFDAT) et le commandement des forces navales (CFN)69 . Par la suite, les effectifs du CCLAS ne feront que crotre : partir de 1995, les cinq rgiments initiaux des forces spciales ont t renforcs par plusieurs nouvelles units spcialement cres, comme le 1er RPC (Tbessa), le 5e RPC (Djidjel), le 85e BPM (El-Harrouch) et le 93e BPM (Oran)70.

En mars 1993, seront crs six centres oprationnels de la lutte antisubversive (COLAS), structures du CCLAS dans la 1re rgion militaire (Algrois et zones voisines), rgion la plus peuple du pays et o se concentreront de ce fait les violations massives des droits de lhomme par les forces de rpression. La mise en place de ces structures de quadrillage du territoire correspond rigoureusement aux prconisations de la doctrine dite de la guerre moderne (ou guerre rvolutionnaire ) qui avait t thorise et mise en uvre en Algrie par larme franaise lors de la guerre dindpendance (doctrine qui servira ensuite de modle, dans les annes 1970, aux dictatures latino-amricaines, puis bien dautres rgimes militaires, dont lAlgrie daujourdhui71). Les six COLAS sont : le SOMO (secteur oprationnel Mitidja Ouest) ; le SOME (secteur oprationnel de la Mitidja Est) ; le SOB (secteur oprationnel de Bouira) ; le SOHP (secteur oprationnel des Hauts Plateaux) ; le SOAD (secteur oprationnel de An-Defla) ; et le SOAL (secteur oprationnel dAlger). Chaque COLAS chapeautera localement la police, la gendarmerie, un dtachement de lANP, et plus tard, les milices72. Ses chefs rendaient compte directement au chef dtat-major de lANP, Mohamed Lamari. Les COLAS collaboreront troitement avec le CTRI de Blida, antenne du DRS (DCE) au niveau de la 1re rgion militaire, le CTRI dfinissant les objectifs atteindre et pouvant garder secrte la nature des missions. Par exemple, raconte Abdelkader Tigha, pour certaines oprations de nuit, le CTRI informera tel secteur oprationnel de la sortie des quipes, de lheure, du lieu. Le secteur oprationnel donnera linstruction aux units situes proximit de ne pas intervenir ; les bavures seront ainsi vites et le CTRI naura pas rvl lobjectif poursuivi (selon Tigha, ce scnario sera notamment utilis lors des massacres de masses perptrs dans la priphrie dAlger, lautomne 1997, par des groupes islamistes contrls et encadrs par le DRS). Lex-sous-lieutenant Habib Souadia rsume ainsi dans son livre La Sale Guerre le rle des forces spciales et explique pourquoi, malgr son rang subalterne, il a pu en avoir une assez bonne vision : Depuis 1993, ce sont donc ces units dlite qui ont conduit la sale guerre. Le rle des autres units de larme tait dassurer des missions de surveillance et deffectuer parfois de grandes oprations contre les maquis (ratissages, bouclages, barrages), dont la partie offensive tait laisse aux troupes du CCLAS. Au total, dans les premires annes, ce sont donc peine 5 000 ou 6 000 hommes qui ont t les principaux acteurs des atrocits que jai rapportes dans ce livre. Et parmi eux, au premier rang, les 3 500 parachutistes des cinq rgiments du CCLAS. Cest ce qui explique que nous avions pas mal dinformations sur la faon dont se droulait vraiment la guerre, mme si nous ne savions pas tout. En effet, chacun Habib SOUADIA, La Sale Guerre, op. cit., p. 72. Ibid., p. 184. 71 Voir Marie-Monique ROBIN, Escadrons de la mort, lcole franaise, La Dcouverte, Paris, 2004. 72 ALGERIA-WATCH et Salah-Eddine SIDHOUM, Algrie, la machine de mort, op. cit.70 69

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de ces rgiments ne comportait quun petit nombre dofficiers : une quinzaine de souslieutenants, dix lieutenants, huit capitaines et un commandant ou un colonel ; soit au total environ cent soixante-dix officiers des forces spciales. Nous nous connaissions pratiquement tous (beaucoup dentre nous staient connus Cherchell) et nous avions souvent loccasion de nous rencontrer, lors dopration ou de permissions. Mme si elles restaient entre nous, les informations circulaient73

partir de 1993, larme, grce au CCLAS, est donc omniprsente. Elle mne une lutte impitoyable contre tous ceux qui contestent larrt du processus lectoral et elle supervise la rpression. Ses rgiments mcaniss et blinds aident au maintien de lordre, ses forces ariennes bombardent et transportent la troupe, ses paracommandos se livrent toutes les formes de violence et les units ordinaires appuient les diffrents corps de scurit (ratissages, bouclages et gardes des points sensibles). Les forces spciales dressent des barrages, contrlent les voitures, procdent aux arrestations et aux rafles et prennent dassaut les zones contrles par les islamistes. Le CCLAS sera le pilier de la rpression mene contre les islamistes et la population civile, mais il navait pas son propre service de renseignement. Le DRS dtenait linformation scuritaire, contrlait la stratgie et les diverses manipulations. De ce fait, ses chefs ne perdront jamais leur suprmatie de facto sur larme. Et les militaires travailleront troitement avec les lments du DRS. Sman Lamari (DCE) et Kamel Abderrahmane (DCSA) seront en contact permanent avec Mohamed Lamari et ses officiers suprieurs. Les forces de rpression au sein de la police La Police judiciaire dpend en principe de la Direction gnrale de la sret nationale (DGSN), relevant du ministre de lIntrieur et non pas de celui de la Dfense. Mais ds avril 1992, avec la cration de lOffice national de rpression du banditisme, elle passera de facto sous le contrle de la DCE, qui utilisera galement ses commissariats comme centres de torture (les centres les plus tristement rputs sont alors, Alger, le commissariat central et celui de Cavaignac, et Chateauneuf, le sige du PCO74). De nombreux tmoignages de policiers dissidents attestent de la subordination de la police au DRS (quils appellent toujours, comme tout le monde, Scurit militaire ou SM ), tout au long de la guerre. Citons notamment deux tmoignages significatifs de policiers, recueillis en 1998 : Couper le courant tait un de nos travaux. [] Un des ntres a dtruit le systme lectrique, plongeant ainsi vingt trente maisons dans le noir complet. Nous devions surveiller le quartier, mais ne pas agir. La Scurit militaire vint et ressortit aprs un moment. [] Aprs leur dpart, nous sommes alls nettoyer les lieux. Il y avait l seize corps, deux familles, to