Domitien gsell

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 ESSAI SUR LE RÈGNE DE L’EMPEREUR DOMITIEN Thèse de doctorat présentée à la Faculté des Lettres de Paris Par Stéphane GSELL — 1893

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on the reign of roman empror Domitien. scholar and academic work.

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ESSAI SUR LE RGNE DE LEMPEREUR DOMITIEN

Thse de doctorat prsente la Facult des Lettres de Paris

Par Stphane GSELL 1893

AVANT-PROPOS CHAPITRE PREMIER. Domitien avant son rgne CHAPITRE II. Caractre du gouvernement de Domitien CHAPITRE III. Religion. - Censure des murs, lgislation, justice CHAPITRE IV. Rome sous DomitienPremire partie Deuxime partie

CHAPITRE V. LItalie, les provinces, larme CHAPITRE VI. GuerresPremire partie. - Guerres dAgricola en Bretagne Deuxime partie. - Guerres sur le Rhin Troisime partie. - Guerres sur le Danube Domitien et les Parthes. Guerre en Afrique

CHAPITRE VII. Hostilit de laristocratie contre Domitien. Premiers complots. Rvolte dAntonius Saturninus CHAPITRE VIII. Priode de terreur CHAPITRE IX. Perscution des philosophes CHAPITRE X. Politique de Domitien lgard des Juifs et des chrtiens. - Perscution religieuse CHAPITRE XI. Meurtre de Domitien. Consquences de son rgne Appendice I. - Observations sur les principales sources du rgne de Domitien Appendice II. - Fastes consulaires et provinciaux

AVANT-PROPOSDepuis Lenain de Tillemont1, les principaux vnements du rgne de Domitien ont t exposs dans les histoires romaines de Merivale2, de Peter3, de MM. Duruy4 et Schiller5 : ces deux derniers crivains ont su apprcier avec mesure un prince sur lequel on a beaucoup dclam. M. Herzog, dans son Histoire de la constitution romaine, a consacr quelques pages au gouvernement de Domitien6. Les guerres de cet empereur sont racontes brivement dans le cinquime volume de lHistoire romaine de M. Mommsen. Il existe quelques tudes spciales sur ce rgne. Lhistoire des Flaviens de Joguet7 manque de critique. Imhof, dans son livre sur Domitien8, a rassembl avec soin les textes des auteurs anciens, mais il na gure pu utiliser les renseignements que donnent les inscriptions et les monnaies. La petite dissertation de Kraus9 est sans valeur. Halberstadt a crit un pangyrique outr de Domitien10. La dissertation de M. Pichlmayr11 nest pas inutile, mais elle est trop courte et mal compose. Jaurai indiquer dans le cours de cet ouvrage un certain nombre de travaux dun caractre moins gnral, traitant des questions qui se rattachent au rgne du dernier empereur flavien. Je nai gure insist sur les murs et les croyances de la socit de cette poque, sur les lettres et les arts, mtant propos dtudier le gouvernement de Domitien, non de tracer un tableau complet de ltat du monde romain la fin du premier sicle. Novembre 1892.

Histoire des Empereurs (dition de Venise, 1732), t. II, p. 64-133. A history of the Romans under the Empire, t. VII (1862), p. 72-193. Geschichte Roms, 4e dit., t. III, 1881, p. 467-495. Histoire des Romains, dition in-4, t. IV, 1882, p. 688-726. Geschichte der romischen Kaiserzeit, t. I, 1883, p. 520-538. Geschichte und System der romischen Staatsverfassung, t. II, ersie Abtheilung,1887, p. 301308. 7 Les Flaviens, avec une introduction par V. Duruy. Livre dit en 1876, mais crit en 1847. La partie relative Domitien comprend les pages 91-162. 8 T. Flavius Domitianus, ein Bettrag zur Geschichte der rmischen Kaiserzeit. Halla, 1857. 9 Zur Charakteristik des Kaisers Domitianus. Landshut, 1875. 10 Disputatio historico critica de imperatoris Domitiani moribus et rebus. Amsterdam, 1877. 11 T. Flavius Domitianus. Erlangen, 1889.1 2 3 4 5 6

CHAPITRE PREMIER. DOMITIEN AVANT SON RGNE. Domitien (Titus Flavius Domitianus)1 naquit le 24 octobre 512, dans un lieu de la sixime rgion de Rome appel Malum Punicum, o il fit lever plus tard un temple de la famille flavienne3. Vespasien, son pre, tait alors consul d-sign4. Domitien fut assez abandonn dans son enfance. Sa mre Domitilla mourut, semble-t-il, quand il tait encore trs jeune5 : quant Vespasien, des affaires dtat et des disgrces lloignrent de Rome plusieurs reprises depuis lanne 516. Titus, frre de Domitien, g de dix ans de plus que lui7, quitta tt la maison paternelle, pour vivre la cour dabord, puis dans les camps8. Lducation de Domitien fut nglige. Il fut laiss dans la gne. par Vespasien, alors assez pauvre9 : on raconta mme que dans sa jeunesse il stait vendu plusieurs fois10. Nous ne savons rien de plus sur ses premires annes. Son pre avait t en 67 charg de rprimer la rvolte des Juifs. Aprs la mort de Nron, il avait successivement reconnu Galba, Othon, Vitellius. Mais craignant dtre sacrifies aux troupes de Germanie qui soutenaient Vitellius, les lgions dgypte, de Jude et de Syrie confrrent lempire Vespasien (juillet 69), et celles des pays du Danube (Msie, Pannonie, Dalmatie) suivirent leur exemple. Le nouveau prince se rendit en gypte : il voulait vaincre par la famine Rome qui tirait de cette contre la plus grande partie de ses approvisionnements de bls ; il dsirait aussi ne pas compromettre sa rputation dans une guerre civile. Le gouverneur de Syrie, Mucien, qui avait dcid Vespasien accepter le pouvoir suprme, fut charg de conduire une arme en Italie par lAsie Mineure, la Thrace, lIllyrie. Mais les lgions danubiennes, sous la conduite dAntonius Primus, le devancrent. Victorieuses Crmone, elles se dirigrent vers Rome,

1 Nulle part on ne trouve le nom complet de Domitien. Cest par une conjecture probablement

inexacte, car elle est contraire lusage, que Franz a restitu dans une inscription grecque (C. I. G., n 5043) : [. . ]. Mais ceux qui, sous les trois empereurs flaviens, reurent la droit de cit par bienfait du prince sappelrent tous T. Flavius (voir en particulier Kaibel, Inscriptiones graecae Sicilias et Italiae, n 746 ; cf. Fridlander, Sittengeschichte Roms, II, 61 dit., p. 634), ce qui prouve que Domitien avait pour prnom Titus, comme son pre et son frre. 2 Sutone, Domitien, 1: Natus est IX kal. novemb. Cf. C. I. L., X, 444. Dion Cassius (LXVII, 18) dit que Domitien vcut quarante-quatre ans, dix mois, vingt-six jours. Or il mourut le 18 septembre 96 (Sutone, Domitien, 17). 3 Sutone, Domitien, 1. Martial, IX, 20. Voir chapitre IV. er 4 Sutone, loc. cit. Il fut consul du 1 novembre au 31 dcembre (Sutone, Vespasien, 4). 5 Elle mourut en tout cas avant 69 (Sutone, Vespasien, 3). 6 Sutone, Vespasien, 4. 7 Titus naquit le 30 dcembre 40 ou 41 (voir Philologischer Anzeiger, XVI, 1886, p. 552). 8 Sutone, Titus, 2 et 4. Tacite, Histoires, II, 77. 9 Vespasien se trouva dans de grands embarras pcuniaires aprs son proconsulat dAfrique (Sutone, Vespasien, 4. Tacite, Hist., III, 65). 10 Sutone, Domitien, 1 : Pubertatis ac primae adulescentiae tempus tanta inopia tantaque infamia gessisse fortur, ut nullum argenteum uas in usu haberet; satisque constat Clodium Pollionem praetorium virum... chirographum eius conseruasse et nonnumquam protulisse noctem sibi pollicentis; nec defuerunt qui affirmarent, corruptum Domitianum et a Nerua successore mox suo. (Il passa, dit-on, son enfance et sa premire jeunesse dans un tel tat dindigence et dopprobre quil ne possdait pas mme un vase dargent. On sait que Clodius Pollion, lancien prteur... avait conserv et montrait quelquefois un billet de Domitien qui lui promettait une nuit. Quelques personnes prtendent quil eut le mme commerce avec Nerva son successeur.) Il faut remarquer que Sutone est fort peu affirmatif : Fortur, satin constat, nec defuerunt qui affirmarent (dit-on, on sait que, quelques personnes prtendent). Voir encore Juvnal, Satires, IV, 105, et le scoliaste (dition Jahn-Bcheler).

passrent les Apennins et arrivrent Ocriculum (au sud de Narni), o elles attendirent Mucien. Pendant ces vnements, Domitien se trouvait Rome. Vitellius, pensant que le fils de son rival pourrait lui servir dotage, le fit garder. Il navait dailleurs form aucun mauvais projet contre lui, esprant par cette conduits modre sauver la vie des siens en cas de dfaite. Des envoys dAntonius Primus parvinrent pntrer, dit-on, jusqu Domitien, et lui indiqurent un lieu o il trouverait asile et protection. Le jeune homme et bien voulu se rfugier auprs des troupes flaviennes, qui avaient dj travers les Apennins, mais il nosa pas se fier ses gardiens, quoiquils lui eussent promis de laccompagner dans sa fuite1. Le 18 dcembre 69, Vitellius, qui avait appris les trahisons et les dfaites des siens sans rien faire pour les empcher, se drida abdiquer. Flavius Sabines, frre de Vespasien, et alors prfet de la ville, lui promit la vie sauve. Mais le peuple et les soldats de larme de Germanie qui se trouvaient encore Rome le forcrent garder le pouvoir imprial, et Sabinus, menac par eux, dut se retirer avec les cohortes urbaines et quelques snateurs et chevaliers sur le, Capitole, o il se fortifia. Il y fit venir de nuit ses fils et Domitien, croyant ainsi les mettre en lieu sr2. Mais le lendemain (19 dcembre), la colline sacre fut prise dassaut par les Vitelliens, le temple de Jupiter brill, Sabinus fait prisonnier, puis gorg. La plupart de ses compagnons prirent. Retir ds la premire attaque chez le gardien du temple, Domitien y passa la nuit. Le lendemain matin il se revtit dune tunique de lin, comme un prtre dIsis, et se joignant quelques serviteurs de cette desse, il descendit du Capitole sans tre reconnu : puis il alla se cacher prs du Vlabre chez Cornelius Primus, client de son pre3. Le 20 dcembre4, Antonius Primus, accouru en toute hte sur lavis de Sabinus, entra dans Rome, se rendit matre de la ville et Vitellius fut massacr. Le jour tant sur son dclin, et la peur ayant dispers les snateurs et les magistrats, dont les uns taient sortis de Rome, les autres cachs chez leurs clients, le Snat ne put tre convoqu. Domitien, ne voyant plus dennemi redouter, se rendit1 Tacite, Hist., III, 59. 2 Tacite, Hist., III, 69. Sutone, Domitien, 1. Dion Cassius, LXV, 17. Josphe, Guerre de Jude, IV,

II, 4. 3 Tacite, Hist., III, 74. Sutone, Domitien, 1. Les deux rcits diffrent un peu. Selon Sutone, Domitien se serait rfugi au del du Tibre, chez la mre dun de ses condisciples. Voir encore Dion Cassius, LXV, 17. Plus tard, les flatteurs de Domitien rappelrent frquemment cet pisode. Staco, Thbade, I, 21 : Defensa prius vix pubescontibus annis bella Jovis. Silves, 1, 1, 79 : Tu bella Jovis, tu practia Rheni... longo marte domas. Silius Italicus, Punica, III, 609 [Prophtie de Jupiter] : Nec te terruerini Tarpeil oulminis ignes sacrilogas inter flammas servabere terris. Martial, IX, 101, 13 : Adseruit possessa malla Palatin regnis prima suo gessit pro Jove balla puer. Pour Josphe (Guerre de Jude, IV, 11, 4), le salut de Domitien fut leffet dun miracle : Domitien lui-mme fit un pome sur la guerre du Capitole (voir plus loin), et tmoigna sa reconnaissance Jupiter Costes en lui levant, la place o tait auparavant le logement du gardien, une chapelle, puis un temple (voir chapitre IV). 4 Il faut observer pourtant que la chronologie de ces vnements nest pas connue dune manire certaine. Vitellius fut peut-tre tu le 23 dcembre. Voir Lenain de Tillemont, Histoire des Empereurs, I, p. 622.

auprs des chefs victorieux et fut salu du nom de Csar ; puis les soldats, toujours en armes, le conduisirent la maison de son pre1, quil quitta du reste bientt pour aller habiter sur le Palatin, dans la demeure impriale2. Le lendemain3 (21 dcembre), le Snat reconnut Vespasien comme empereur. Vespasien et Titus furent lus consuls pour 70 ; Domitien reut la prture avec limperium consulaire4. Peu de temps aprs5, Mucien entra dans Rome : il conduisit le prince au milieu des troupes et lui fit adresser une harangue aux soldats6. Domitien se prsenta aussi au peuple, devant lequel Mucien dclara que le fils de Vespasien gouvernerait jusqu larrive de son pre7. Le premier janvier 70, Julius Frontinus, prteur urbain, entra en charge, mais bientt il se retira et Domitien put prendre possession de la prture8. Il exera les droits que lui donnait limperium consulaire dautant plus librement que les deux consuls du premier nundinum de 70 furent Vespasien et Titus, absents de Rome, et que Petillius Cerialis, un des consuls du second nundinum, quitta probablement la ville avant dentrer en charge9. Le nom de Domitien figura en tte des lettres officielles et des dits10. Inconnu six mois auparavant, Domitien devint alors le personnage le plus en vue de Rome. Par suite de lloignement de son pre et de son frre et du meurtre de Sabinus, il y reprsentait seul la famille impriale11. Tandis que Vespasien et Titus, rests en Orient, avaient laiss les vnements suivre leur cours, il stait vu expos de graves dangers qui attiraient sur lui la sympathie. Des ides ambitieuses sveillrent dans lesprit de ce jeune homme de dix-huit ans, qui jusque-l avait vcu isol et pauvre, et navait jamais pris aucune part aux affaires publiques. Infatu de sa fortune subite, mal conseill12, il se mit en tte

proclamrent Vespasien empereur, au mois de juillet 69, reconnurent en mme temps ses deux fils comme Csars. Aussi trouve-t-on des monnaies de Vespasien, antrieures, semble-t-il, au 21 dcembre 69, qui portent au revers : Titus et Domitian(us) Caesares, prin(cipes) juven(tutis). Voir Eckhel, Doctrina numorum veterum, VI, p. 320 et 367. Cohen, Description des monnaies frappes sous lempire romain, I, 2e dit., Vespasien, n 542 ; cf. 52, 539-541, 545. 2 Tacite, Hist., IV, 2. 3 Il est fort vraisemblable, en effet, que, ds le lendemain de la mort de Vitellius, le Snat fut convoqu pour reconnatre Vespasien. 4 Tacite, Hist., IV, 3, Sutone, Domitien, 1. Dion Cassius, LXVI, 1. Voir Mommsen, Staatsrecht, II, 3e dit., p. 650. 5 Josphe (IV, 11, 4) dit que Mucien entra dans Rome ds le lendemain du jour o fut tu Vitellius ; mais cest peu vraisemblable. Voir la suite des vnements au dbut du livre IV des Histoires. 6 Dion Cassius, LXV, 22. 7 Josphe, IV, 11, 4. 8 Tacite, Hist., IV, 39. On a des monnaies de 70, sur lesquelles Domitien est qualifi de praetor. Voir Cohon, Vespasien, Titus et Domitien, t. I, p. 424, n 6 : imp(erator) Caesar Vespasianus Aug(ustus) tr(ibunicia) p(otestate). Caesar Aug(usit) j(ilius) co(n)s(ul), Caesar Aug(usti) f(ilius) pr(aetor). Cf. n 3 (avec la correction de Pick, Zeitschrift fr Numismatik, XIV, 1886, p. 363), 4, 5, 12, 14. 9 Josphe, VII, 4, 2, o il faut lire : . Mucien et Domitien avaient quitt Rome avant le 21 juin 70, et lon sait que le dpart de Cerialis eut lieu avant le leur (Tacite, Hist., IV, 68, 71, 85). Cerialis dut tre dsign consul pour le second nundinum de 70, du 1er mai au 31 aot (voir Asbach, Jahrbcher des Vereins von Alterthumsfreunden im Rheinlande, LXXIX, 1885, p. 129130). 10 Tacite, Hist., IV, 39. 11 Sabinus, frre de Vespasien, laissait, il est vrai, deux fils. T. Flavius Sabinus et T. Flavius Clemens ; mais ils taient, semble-t-il, en bas ge. Petillius Cerialis tait proche parent de lempereur, mais par alliance (Tacite, Hist., III, 59. Dion Cassius, LXIV, 18). 12 Tacite, Hist., IV, 39 ; IV, 68 : pravis impulsoribus.

1 Tacite, Hist., III, 86. Sutone, Domitien, 1. Il est probable que les lgions dOrient, quand elles

de diriger ltat1, ngligeant comme trop mesquins les devoirs que lui imposait sa charge de prteur2. Mais les circonstances taient trop graves pour que le gouvernement pt lui tre abandonn. A Rome, le Snat manifestait des volonts dindpendance ; les troupes vitelliennes devaient tre licencies ou cartes de lItalie ; les Flaviens voulaient tre rcompenss de leur victoire, et aprs leur entre dans Rome, ils staient montrs fort disposs pilier la ville ; une grande rvolte venait dclater sur le Rhin et menaait de se rpandre dans toute la Gaule ; on savait que lAfrique ntait pas favorable Vespasien et on disait mme quelle stait souleve. Dailleurs ni Mucien, ni Vespasien nauraient souffert que Domitien prit en main la direction de ltat. Mucien se vantait publiquement davoir dispos du pouvoir suprme au profit de Vespasien. Pendant labsence de celui-ci, il voulut tre empereur de fait, et Vespasien le lui permit, car il avait toute confiance en son habilet. Il lautorisa rendre des dcrets, sous la seule rserve quil mettrait en tte le nom de lempereur et lui envoya mme son anneau pour en marquer les dcisions quil publierait3. En un mot, lancien lgat de Syrie sembla pendant plusieurs mois un homme associ lempire, plutt que le ministre de lempereur4. Domitien dut agir sur ses avis et avec son concours5. Dailleurs Mucien, pour mnager sa vanit, eut la prudence de lui laisser en apparence une certaine initiative. Le jour o Domitien, devenu prteur, lit son entre au Snat, il y fut bien accueilli. Il dit sur labsence de son pre et de son frre et sur sa propre jeunesse quelques mots pleins de convenance que la grce de son maintien faisait valoir : on prit pour de la modestie la rougeur qui couvrait chaque instant son visage. Il demanda que la mmeire de Galba ft rhabilite. Mais il refusa de communiquer au Snat les registres du palais qui auraient fait connatre les dlateurs du rgne prcdent, et dclara que sur une telle affaire, il allait consulter lempereur6. A la sance suivante, il recommanda loubli des injures et des haines ; il allgua les ncessits des temps malheureux qui avaient prcd. Mucien soutint le mme avis, mais en des termes plus discrets encore7. Peu aprs, une loi prsente par Domitien aux comices rvoqua les consulats que Vitellius avait confrs8. Dans ces diffrentes circonstances, le fils de Vespasien, tout en condamnant les actes dOthon et de Vitellius, chercha empcher des reprsailles qui eussent dshonor le nouveau rgne. Daccord avec Mucien, Domitien seffora de rgler ltat de la garde prtorienne. Les soldats de ce corps, que Vitellius avait licencis, demandaient y reprendre

nam juris dictionem ad collegam proximum transtulit (Cr prteur de Rome avec la puissance consulaire, il n'en garda que le titre et laissa les fonctions son collgue). 3 Tacite, Hist., IV, 4 ; IV, 11. Dion Cassius, LXVI, 2. 4 Tacite, Hist., II, 83 ; cf. IV, 39. 5 Tacite, Agricola, 7 : Initia principatus ac statum urbis Mucianus regebat, juvene admodum Domitiano (Dans un premier temps, le pouvoir imprial tait exerc Rome par Mucien, qui avait en main la situation de la ville. Domitien, encore assez jeune...). 6 Tacite, Hist., IV, 40. 7 Tacite, Hist., IV, 44. e 8 Tacite, Hist., IV, 47. Cf. Mommsen, Staatsrecht, I, 3 dit., p. 630, n. 4 ; II, p. 930, n. 4 ; III, p. 346, n. 4. Vitellius avait fait dsigner les consuls pour dix annes (Sutone, Vitellius, II ; Tacite, Hist., III, 55).

1 Tacite, Hist., IV, 39. Dion Cassius, LXVI, 3 : x . 2 Sutone, Domitien, 1 : Honorem praeturae urbanae consulari potestate suscepit titulo tenus :

leur place ; les lgionnaires, auxquels on avait promis de les admettre dans la garde, voulaient quon leur tint parole ; enfin il semblait difficile de renvoyer les prtoriens de Vitellius, sans provoquer des dsordres sanglants. Pour se dbarrasser de ces derniers, Domitien vint au camp leur offrir des terres. Ils les refusrent et demandrent de continuer servir et recevoir la paye : ctaient des prires, mais des prires qui ne souffraient pas de contradiction. On leur laissa donc leur rang de prtoriens, et on ne les congdia ensuite que les uns aprs les autres, la plupart avec honneur1. Il fallait aussi que le gouvernement nouveau ft sr de la fidlit de ceux qui exeraient des fonctions publiques. En un seul jour, Mucien et Domitien distriburent plus de vingt emplois importants Rome et dans les provinces ; ce qui fit dire Vespasien quil stonnait que son fils ne lui envoyt pas aussi un successeur2. Du reste, Domitien fit preuve de quelques qualits. On neut, pendant que son pre fut absent, aucun reproche de cupidit ou de cruaut lui faire ; il montra, au contraire, une sensibilit entre et mme ridicule. Sutone prtend que stant souvenu de ce vers de Virgile : Impia quam cassis gens est epulata juvencis. il songea faire un dit pour dfendre quon immolt des bufs3. Mais, malgr les apparences, Domitien comprenait quil jouait nu rle subalterne, et son orgueil en tait bless. Il protesta par de brusques coups dautorit contre une situation quil regardait comme indigne de lui4. Il exera, dit Sutone (Domitien, 1), le pouvoir du manire si arbitraire que, ds lors, il montra ce quil devait tre plus tard. Il tmoigna une grande malveillance Mucien et devint lami de deux de ses adversaires politiques, Antonius Primus et Arrius Varus5. Ctait Antonius qui avait vaincu les Vitelliens ; cependant Mucien, malgr de flatteuses promesses, ne lui avait pas permis de prendre une part active au gouvernement6. Quant Varus, il occupait alors la fonction de prfet du prtoire7 ; compagnon darmes dAntonius pendant la guerre civile, dans laquelle il stait fort distingu, il tait, comme son ancien chef, suspect au tout-puissant ami de Vespasien8. Mucien lui retira son commandement, mais il ne voulut pas faire un affront trop sensible au fils de lempereur. Varus reut la prfecture de lannone, et son successeur fut un homme trs aim de Domitien, et qui tenait par alliance la famille impriale, M. Arrecinus Clemens9.

Tacite, Hist., IV, 46. Zonaras, XI, 17, p. 492-493 (dition Pinder). Dion Cassius, LXVI, 2. Sutone, Domitien, 1. Sutone, Domitien, 9. Sutone, Domitien, 12 : Ab juventa minime ciuilis animi, confidens etiam, et cum uerbis tum rebus immodicum (Domitien, ds sa jeunesse, se montra dur, prsomptueux, sans mesure ni dans ses discours ni dans sa conduite). Tacite, Hist., IV, 39 : Vis penes Mucianum erat, nisi quod pleraque Domitianus instigantibus amicis aut propria libidine audebat (Domitien prit possession de la prture ; son nom figurait la tte des lettres et des dits : le pouvoir tait aux mains de Mucien). Cf. Agricola, 7. 5 Tacite, Hist., IV, 68 ; IV. 80. 6 Tacite, Hist., IV, 11 ; IV, 39. 7 Tacite, Hist., IV, 2. 8 Tacite, Hist., IV, 39 ; IV, 68. 9 Tacite, Hist., IV, 68. Arrecinus Clemens tait frre de la premire femme de Titus, Arrecina Tertulla (Sutone, Titus, 4. Tacite, loc. cit.).1 2 3 4

Ce fut surtout loccasion des guerres qui se firent alors sur le Rhin que Domitien manifesta ses desseins ambitieux et quil eut subir de pnibles humiliations. Les Bataves, les Cannnfates, les Frisons staient rvolts sous la conduite de Civilis, et les peuples de la Germanie occidentale, dsireux de pilier le territoire romain, staient joints eux. Les Trvires et les Lingons, commands par Classicus, Julius Tutor et Julius Sabinus, avaient proclam lempire indpendant des Gaules, que reconnurent bientt les Vangions, les Triboques, les Caracates, les Ubiens, les Tongres. Les lgions des deux armes de Germanie avaient t massacres ou avaient jur fidlit cet empire gaulois. Au printemps de lanne 70, Petillius Cerialis, parent de lempereur, fut envoy en Germanie et charg de diriger la guerre contre les rebelles1. Mais le danger semblait si grand quil fut dcid que Mucien et Domitien se rendraient sur les bords du Rhin o des lgions furent appeles de Bretagne, dEspagne et dItalie2. Le prince dsirait vivement faire cette expdition. Imptueux desprance et de jeunesse, comme dit Tacite, il se promettait des succs militaires qui lui assureraient une renomme aussi grande que celle de Bon frre Titus, charg cette poque de terminer la guerre de Jude3. Quant Mucien, il aurait prfr rester Rome quil redoutait de laisser sans matre ; mais il craignait que Cerialis ne ft pas capable dtouffer la rvolte, et il voulait accompagner Domitien, dont lesprit aventureux lui inspirait des inquitudes4. Jaloux dexercer sur larme une autorit inconteste, il ne permit pas au jeune Csar demmener avec lui Antonius Primus, son rival5. Des nouvelles heureuses le rassurrent bientt et durent augmenter son dsir de ne pas sloigner de Rome : la dfaite des Lingons par les Squanes rests fidles ; le refus que les dputs des peuples de la Gaule, runis Reims, tirent de reconnatre lempire proclam par les rebelles ; la soumission des Triboques, des Vangions, des Caracates ; la dlivrance de deux lgions cantonnes Trves et contraintes de jurer fidlit lempire gaulois6. Il opposa donc limpatience du jeune Csar dlais sur dlais7, et lui fit donner par des amis de Vespasien le conseil de ne pas entreprendre cette expdition8. Cependant Mucien et Domitien se mirent enfin en marche9 et ils arrivrent au pied des Alpes. L, ils apprirent que Petillius Cerialis tait entr dans Trves aprs une grande victoire. Les Lingons et les Trvires avaient fait leur soumission ; lempire des Gaules nexistait plus. Il fallait encore vaincre sur le Rhin infrieur les Bataves de Civilis, les Germains, ses allis, et les rvolts gaulois qui staient rfugis auprs de lui. Cette guerre pouvait tre longue et difficile, mais Rome navait pas en craindre lissue. Alors Mucien exprima une ide quilTacite, Hist., IV, 68. Josphe, VII, 4, 2 (sur ce passage, voir Urlichs, De vita Agricolae, p. 19). Tacite, Hist., IV, 68 ; cf. Mommsen, Herms, XIX, 1884, p. 440, n. 1. Sutone, Domitien, 2. Tacite, loc. cit. Tacite, Hist., IV, 80. Tacite, Hist., IV, 67 et suiv. Tacite, Hist., IV, 68. Sutone, Domitien, 2 : [Domitianus] expoditionom in Galliam Germaniasque... dissuadontibus paternis amicis inchoavit ([Domitien] entreprit une expdition dans les Gaules et en Germanie... malgr les conseils des amis de son pre). 9 Mucien et Domitien ntaient plus Rome le 21 juin 70. Ce jour-l fut purifi lemplacement sur lequel devait slever le nouveau temple de Jupiter Capitolin. Or ni Mucien, alors consul, ni Domitien ne sont indiqus par Tacite (Hist., IV, 53) comme ayant pris part cette importante crmonie.1 2 3 4 5 6 7 8

cachait depuis longtemps, mais quil feignit de concevoir tout coup. Il dclara que, puisque la faveur des dieux avait bris les forces des ennemis, il sirait peu Domitien daller, quand la guerre tait presque acheve, prendre sa part de la gloire dun autre ; si la stabilit de lempire et le salut des Gaules taient menacs, la place dun Csar serait sur les champs de bataille, mais il fallait laisser des chefs moins importants les Cannnfates et les Bataves. Il devait rester Lyon, do il montrerait de prs la force et la fortune du principat, sans se commettre dans de vulgaires dangers, et prt cependant pour de plus grandes occasions1. Domitien comprit cette ruse, mais les gards quil devait Mucien lui commandaient la dissimulation. On alla donc Lyon. Tacite dit, sans laffirmer cependant, que de ce lieu il envoya, en secret, des courriers Cerialis : il voulait savoir si ce gnral lui remettrait, en cas quil partit, lalme et le commandement. Cette demande, ajoute lhistorien, cachait-elle un projet de guerre contre son pre, ou cherchait-il sassurer contre son frre des ressources et des forces ? La chose resta incertaine. Il nest gure probable que Domitien ait eu la folle pense de renverser Vespasien, mais peut-tre prtendait-il, cette poque, partager le pou-voir imprial avec Titus2, aprs la mort de son pre qui avait dj soixante et un ans. Cerialis, tout en lui rpondant en des termes trs mesurs, luda sa demande comme le caprice dun enfant, et il ne resta plus Domitien qu retourner en Italie3. Son sjour Lyon contribua peut-tre hter la soumission des rebelles : Josphe le dit en termes emphatiques dans son Histoire de la guerre de Jude. Voici comment il raconte la campagne du jeune Csar4 : A la nouvelle de la rvolte, Domitien nhsita pas, malgr sa jeunesse, supporter le poids de cette grande guerre : il tenait de son pre lintrpidit, et il avait une exprience suprieure son ge. Il entreprit donc aussitt une expdition contre les Barbares. Ceux-ci, informs de son approche, eurent pour et se soumirent ; ils sestimrent heureux de reprendre leur ancien joug, sans recevoir de chtiment. Aprs avoir tout fait rentrer dans lordre en Gaule, de manire que de nouveaux troubles y fussent dsormais peu prs impossibles, Domitien retourna glorieusement Rome, ayant accompli des actions qui, par leur clat, dpassait son ge et taient dignes de son pre5. En ralit, cette expdition que le prince avait rve si clatante stait termine dune manire fort mesquine. Loin dacqurir une renomme militaire, il avait t jou par Mucien, peut-tre aussi par Cerialis. En mme temps, Domitien stait fait une fort mauvaise rputation par ses dbauches. Pendant labsence de son pre, il sduisit un grand nombre de femmes maries, entre autres Domitia, la fille de lillustre Corbulon, vainqueur

Tacite, Hist., IV, 85. Voir Sutone, Domitien, 2. Tacite, Hist., IV, 86. VII, 4, 2. On lit, dans le quatrime livre des Stratagmes (qui nest pas de Frontin, mais peuttre dun de ses contemporains ; voir Schanx, Philologus, XLVIII, 1889, p. 674 et suiv.), que la cit des Lingons, en apprenant lapproche de larme de Domitien, craignit dtre dvaste et fit sa soumission (IV, 3, 14). 5 Silius Italicus (Punica, III, 607) se contente de dire : At sic transcendes, Germanico, facta tuorum, jam puer auricomo praeformidate Batavo. Voir encore Martial, II, 2, 4, et VII, 7, 3.1 2 3 4

des Parthes. Quoiquelle ft dj marie L. lius Lamia Plautius lianus, il lpousa1. Vespasien, qui tait rest en gypte, fut inform de la conduite de son second fils : lambition dplace de Domitien, ses diffrends avec Mucien, ses dsordres lui dplurent fort2. Tacite prtend mme3 quil se montra si mcontent que Titus, au moment o il quitta lempereur pour aller achever la guerre juive, crut devoir intercder en faveur de son frre. Il supplia Vespasien de ne pas sirriter sur la foi de vagus accusations et de montrer envers son fils un esprit libre et indulgent. Ni lgions, ni flottes, disait-il, ne sont daussi formes soutiens du pouvoir suprme que le nombre des enfants... Le sang forme des liens indissolubles, surtout entre les princes : si dautres peuvent jouir de leur prosprit, cest leur famille qui ressent leurs disgrces. La concorde ne pourra durer entre les frres, si un pre nen donne lexemple. Lempereur moins adouci en faveur de Domitien que charm de laffection fraternelle de Titus, lui dit de se rassurer et dillustrer ltat par les armes ; que lui-mme soccuperait des soins de la paix et de sa propre maison. Lentretien dont parle Tacite ayant t secret, son rcit mrite videmment fort peu de confiance. Il a voulu mettre en opposition, comme il le fit probablement dans le reste de ses Histoires4, et comme le firent aussi Sutone et Dion Cassius, la gnrosit de Titus et la perversit de Domitien. Quoi quil en soit, Domitien savait si bien que son pre tait irrit contre lui, que, prvoyant le retour prochain de lempereur, il agit avec plus de prudence aprs son expdition des Gaules. Autant par blessure damour-propre que par crainte dune disgrce complte, il renona tout fait aux occupations du gouvernement5. Il se donna les apparences de la simplicit et de la modestie et affecta le got des lettres6. Quand Vespasien revint en Italie, au mois doctobre7, il mit peu dempressement se prsenter devant lui, craignant des reproches trop mrits. Mucien et dautres personnages importants allrent sa rencontre jusquau port de Brindes ; Domitien ne dpassa pas Bnvent8. Lempereur, rentr Rome, dirigea ds lors les affaires publiques. Il ne put ni ne voulut donner ses deux fils le mme rang dans ltat. Titus, n en 40 ou 41, tait un homme fait. Dou dune intelligence remarquable, dune mmeire extraordinaire, il avait reu dans sa jeunesse une ducation soigne. Il avait rendu et continuait rendre dimportants services son pre. Ctait par affection pour lui que Mucien stait dclar en faveur de Vespasien ; charg de diriger la guerre de Jude, il illustra le nouveau rgne et laffermit par la pris de Jrusalem, au mois de septembre 70. Ses dehors brillants, sa gloire militaire, des prophties connues de tous, lui donnaient un grand prestige aux yeux du peuple et des soldats. Ambitieux dailleurs, il aurait peut-tre enlev le pouvoir son

Sutone, Domitien, 1. Dion Cassius, LXVI, 3. Tacite, Hist., IV, 2. Tacite, Hist., IV, 51. Sutone, Domitien, 2. Tacite, Hist., IV, 52. Voir, par exemple, Hist., IV, 86. Tacite, Hist., IV, 86. Cf. Dion Cassius, LXVI, 3. Tacite, loc. cit. Titus apprit Bryte, peu aprs le 17 novembre 70 (Josphe, Guerre de Jude, VII, 3, 1 ; cf. Sutone, Vespasien, 2), larrive de son pre Rome (Josphe, VII, 4, 1). Or une nouvelle mettait un mois environ pour parvenir de Rome Bryte. Voir Chambalu, Philologus, XLV, 1885, p. 502 et suiv. M. Pick pense tort, selon nous, que le retour de Vespasien Rome eut lieu vers la fin du mois daot (Zeitschrift fr Numismatik, XIII, 1885, p. 378, n. 2). 8 Dion Cassius, LXVI, 9.1 2 3 4 5 6 7

pre, si celui-ci ne stait dcid le partager avec lui. Par reconnaissance et par intrt, Vespasien devait associer son fils an lempire. Titus reut la puissance tribunitienne, quil exera partir du 1er juillet 71, limperium proconsulaire, le droit de sattribuer les salutations impriales, il prit le nom dimperator. Il exera le consulat en mme temps que Vespasien depuis lanne 72 ; en 73-74, il fut censeur avec lui. Il participa non seulement aux honneurs suprmes, mais aussi au gouvernement de ltat, eut le commandement de la garde prtorienne, prsenta des propositions lgislatives au Snat, dicta des lettres officielles, rdigea des dits au nom de son pre. Il fut, dit Sutone (Titus, 6), lassoci, plus encore, le tuteur de lempire. Domitien, au contraire, navait pas encore vingt ans quand Vespasien revint en Italie. Depuis la mort de Vitellius, il stait signal surtout par son orgueil, son humeur brouillonne et ses vices. Les soldats le connaissaient seulement par son expdition manque de Gaule : il navait jamais paru sur un champ de bataille. Vespasien ne pouvait donc songer faire de lui lgal de Titus, qui, du reste, ne laurait probablement pas souffert. Il faut ajouter que la constitution impriale ne permettait pas au prince davoir plus dun associ dans lexercice de la puissance tribunitienne1. Il ne lui accorda aucun des titres qui indiquaient lassociation lempire. Comme il se dfiait de lui et voulait en lhumiliant le punir de sa conduite passe2, il ne lui permit pas de prendre une part active aux affaires publiques. De 70 79, Domitien nexera aucun commandement militaire, malgr son vif dsir de se montrer aux lgions ; Rome mme, il fut cart de toute fonction administrative : lempereur le chargea seulement quelquefois de porter au Snat ses messages3. Dordinaire il dut habiter avec son pre qui dsirait le surveiller de prs4. Mais, dun autre ct, Vespasien se proccupa toujours dassurer lempire sa famille. Sutone dit que, malgr de nombreuses conspirations diriges contre lui, il osa dclarer au Snat quil aurait pour successeurs ses fils ou personne5. Titus nayant pas denfant mle, ctait Domitien qui, dans sa pense, devait succder son fils an. Il voulut, en lui accordant des honneurs extraordinaires, faire de lui le troisime personnage de ltat, le placer au-dessus de tous les particuliers, et accoutumer les Romains le considrer comme leur futur matre. Domitien eut le titre de prince de la jeunesse6. Comme Titus, il fut de tous les grands collges religieux7. De mme que lui, il reut, en 72, le droit de faire frapper par le Snat des monnaies de bronze son effigie8, et en 74 celui de

Voir Mommsen, Staatsrecht, II, 3e dit., p. 1160. Sutone, Domitien, 2. Dion Cassius, LXVI, 10. Dion Cassius, LXVI, 10. Sutone, Domitien, 2. Cependant Domitien sjournait frquemment Albano (Dion Cassius, LXVI, 9 ; cf. LXVI, 3). 5 Sutone, Vespasien, 25. 6 Cohen, Domitien, 52 ; 374, etc. C. I. L., VI, 932. 7 C. I. L., IX, 4955 : Domitiano co(n)s(uli)..., sacerdoti [c]onlegiorum omniu[m, pr]incipi juventuti[s]. C. I. L., VIII, 10116 :... Domitian[o c]o(n)[s(uli)] IIII, pontifi(ici). Cohen, Domitien, 38, 336 : Domitianus Caesar, aug(ur). Actes des Arvales, C.I. L., VI, 2054, 2057 : Domitien est indiqu comme prsent des runions de la confrrie. 8 Domitien reut ce droit avant 73, car sur plusieurs de sas monnaies autonomes en bronze, il est indiqu comme co(n)s(ul) des(ignatus) II (Cohen, Domitien, 404, 476, 533, 616, 635, 636 ; il fut consul II partir du 1er janvier 73). Dautre part, il le reut aprs 71, car il ne put lobtenir avant Titus, dont les premires monnaies autonomes sont dates de 72 (Cohen, Titus, 6, 7, 77, etc.). Titus reut probablement le droit dont il sagit vers le commencement de lanne 72 : aprs lanne 71, on ne le voit plus reprsent sur les revers des monnaies de bronze de son pre. Il ne serait1 2 3 4

battre monnaie en or et en argent1. Il put porter la couronne de laurier2. Sur les monuments publics son nom fut grav ct do ceux de Vespasien et de Titus3. Six fois, pendant le rgne de son pre, il devint consul4. Son premier consulat5 ne fut pas un consulat ordinaire. Le 1er janvier 71, Vespasien et M. Cocceius Nerva entrrent en charge6. Ce fut le 1er mars7 quepas impossible que le droit de monnayage en bronze et t accord plus tard Domitien qu lui. En effet, si aprs 71 Domitien napparat pas plus que Titus sur les monnaies de lempereur, frappes en bronze (Cohen, Vespasien, 537, est de 71 ; voir Pick, Zeitschrift fr Numismatik, XIV, 1886, p. 360), il est encore reprsent sur trois bronzes autonomes de Titus (Cohen, Titus, 27-29 ; il faut sans doute y joindre le n 26 : voir Pick, Zeitschrift fr Numismatik, XIII, 1885, p. 373), dont deux sont postrieurs au 1er juillet 72. Domitien out le droit de faire battre de la monnaie de bronze Antioche (Cohen, Domitien, 747, 748, 749. Pick, Z. F. N., XIV, 1886, p. 313, 346 et suiv.). Voir aussi des monnaies autonomes en bronze de Domitien Csar, portant les noms des proconsuls de Bithynie (Monnet, Description gnrale des monnaies, II, p. 409, n 3 ; Supplment, V, p. 2, nos 3 et 5). Par contre, Domitien neut pas, avant dtre empereur, le droit de monnayage Alexandrie (voir Pick, Z. F. N., XIV, p. 327-328). 1 Il ne put recevoir ce droit avant Titus. Or celui-ci ne lavait pas en 72 (voir : ) Catalogo del musse di Napoli, monete romane, p. 108, n 6227, et Pick, Zeitschrift fr Numismatik, XIV, 1886, p. 362 = Cohen, Vespasien et Titus, 3 [corrig] ; ) Catalogo, p. 108, n 6226, et Pick, loc. cit., p. 364, n 8 = Cohen, Vespasien, Titus et Domitien, 8 [corrig] ; ) ) ) Cohen, Vespasien et Titus, 1 [= Pick, p. 362], 4 et 5) ; ni probablement en 73 (voir Cohen, Vespasien, Titus et Domitien, 7, corrig par Pick, p. 363 [quoique la lecture de cette monnaie ne soit pas certaine]). On doit remarquer quil nexiste aucune monnaie de Titus en or et en argent marque du titre de co(n)s(ul) II, quil garda du 1er janvier 72 au 31 dcembre 73. Mais Titus avait certainement ce droit en 74 (Cohen, Titus, 21, 123, 159, 160, 161). Domitien lobtint sans doute aussi en 74. Plusieurs de ses monnaies autonomes en mtal prcieux portent le titre : co(n)s(ul) II (Cohen, Domitien, 614, 663, 664, 665), quil garda du 1er janvier 73 jusquau commencement de 75 (probablement jusquau 13 janvier ; voir plus loin). Outre ses monnaies autonomes dor et dargent avec exergue en latin, il faut citer des monnaies grecques de lle de Chypre, en argent : (neuvime anne du rgne de Vespasien). Voir Pick, loc. cit., p. 334. On lit sur des monnaies dargent de Csare, en Cappadoce (Mionnet, Description des monnaies, IV, p. 411, n. 25 et 26 ; supplment, VII, p. 663, n. 24. Pick, loc. cit., p. 350) : x() () (). () . Titus, non plus, ne fit pas frapper de monnaies autonomes Csare pendant le rgne de son pre : il figure, lui aussi, sur le revers dune monnaie de Vespasien, de la mme anne (Pick, loc. cit.). 2 Voir Eckhel, VI, p. 369 ; VIII, 361. Mommsen, Staatsrecht, II, p. 822, 1150. 3 C. I. L., II, 2477 ; VIII, 10116, 10119 ; III, 6993. Orelli, I, 2008. Archologisch-eptgraphische Mittheilungen aus Oesterreich, V, 1881, p. 209. Journal asiatique, srie VI, tome XIII, 1869, p. 96. Perrot, Exploration archologique de la Galatie, p. 209. Le Bas et Waddington, Voyage archologique en Grce et en Asie Mineure, III, 1225. Voir aussi C. I. L., VI, 932 (mais cest un monument priv). 4 Sutone, Domitien, 2. Sur les consulats de Domitien sous le rgne de son pre, voir Chambalu, De magistratibus Flaviorum, p. 10 et suiv. ; Chambalu, Philologus, XLIV, 1885, p. 106 et suiv. ; Asbach, Jahrbcher des Vereins von Alterthumsfreunden im Rheinlande, LXXIX, 1885, p. 110 et suiv., 131 et suiv. ; Pick, Zeitschrift fr Numismatik, XIII, 1885, p. 356 et suiv. 5 Nous ne savons pas quand il y fut dsign : peut-tre en mme temps que son pre. Voir Cohen, Vespasien, Titis et Domitien, 13, corrig par Pick, Z. F. N., XIV, p. 364 : Imp(erator) Caes(ar) Vespasian(us) Aug(ustus), p(ontifex) m(aximus), tr(ibunicia) p(otestate), p(ater) p(atriae), co(n)s(ul) II, d(esignatus) III. : Imp(erator) T(itus) Ves(pasianus) co(n)s(ul) design(atus)... ; D(omitianus) Caesar, Aug(usti) f(ilius), co(n)s(ul) design(atus). Mais la lecture nest pas certaine. Les comices dans lesquels Vespasien fut lu consul pour la troisime fois suivirent de peu son retour (octobre 70) : sur les monnaies de cet empereur reprsentant la Fortuna redux, sept portent co(n)s(ul) iter(um) ou II, une co(n)s(ul) II, des(ignatus) III (Cohen, Vespasien, 81, 85, 171, 185, 186). 6 C. I. L., VI, 1984. Ephemeris epigraphica, I, p. 161, n 177, etc. Voir Klein, Fasti consulares, p. 43. er 7 Vespasien et Nerva taient certainement en charge le 1 fvrier. Voir une tessre gladiatoriale cite par Pick, Z. F. N., XIII, p. 382, n. 1. Ils durent rester consuls jusqu la fin du premier nundinum, cest--dire jusquau 28 fvrier, et non jusquau 31 mars, car au premier sicle de

Domitien devint consul, dabord avec Cn. Pedius Cascus1, puis avec C. Calpetanus Rantius Quirinalis Valerius Festus2. Il sortit de charge le 30 juin3. Ds lanne 71, il apparat sur des monnaies comme dsign un deuxime consulat4 qui devait tre suffect, car avant le 5 avril de cette mme anne, Vespasien et Titus avaient t dsigns pour les deux consulats ordinaires de 725. Comme il et t irrgulier de confrer ds 71 un consulat pour 73, il est assez probable que Domitien devait entrer en charge on 72, soit dans le premier nundinum comme supplant dun consul ordinaire qui se serait retir avant le terme lgal de sa charge, soit dans un des nundina suivants. Il ne fut cependant consul pour la seconde fois que le 1er janvier 736. Sutone nous en donne la raison : Des six consulats quil reut du vivant de son pre, illempire, on ne connat aucun nundinum de trois mois. Voir Henzen, Ephemeris epigraphica, I, p. 199. 1 Le 5 avril, Domitien et Cascus taient consuls (C. I. L., III, p. 850. Ephemeris epigraphica, II, p. 458). Ils ltaient encore aprs le 14 avril et avant le 1er mai (C. I. L., III, p. 851). 2 Domitien et Festus taient consuls ensemble au mois de mai et le 25 juin (Kaibel, Inscriptions graecae Siciliae et Italiae, n 750. C. I. L., Vl, 2016). Linscription C. I. L., IV, 2555 : Vespasiano III et filio c(on)s(ulibus), et un passage de Pline lAncien (Hist. naturelle, II, 57) : Imparatoribus Vespasianis patre III, filio iterum consulibus sont fautifs et ne peuvent nous induire croire que Domitien fut, en 71, consul en mme temps que son pre. Dans linscription, il faut probablement corriger III en II et entendre par filio Titus (anne 79) ; dans Pline, il faut lire IIII au lieu de III, le mot filio y dsigne aussi Titus (anne 72). Voir ce sujet Pick, Zeitschrift fr Numismatik, XIII, p. 381. 3 Le 20 juillet, les deux consuls taient L. Flavius Fimbria et C. Attilius Barbarus (C. I. L., I, p. 200, n 773. Kaibel, loc. cit.). 4 Cohen, Vespasien, 536 [= Pick, Z. F. N., XIII, p. 219, n. 2]. Imp(erator) Caes(ar) Vespasianus Aug(ustus), p(ontifex) m(aximus), tr(ibunicia) p(otestate) p(ater) p(atriae), co(n)s(ul) III. T(itus) imp(erator) Caesar, co(n)-s(ul) des(ignatus) II, Caesar Domit(ianus), co(n)sul des(ignatus) II, s(enatus)c(onsulto). Cf. Cohen, Vespasien, 537 et 204, corrigs par Pick, Z. F. N., XIII, p. 229, n. 2 ; XIV, p. 357 et 360. Cohen, Vespasien, 46-51 : imp. Caes. Vespasien. Aug., p. m., tr. p., p. p., cos. III. : Caes. Aug. f. des. imp. Aug. f. cos. des. iter. Comment faut-il lire le revers de ces monnaies ? Pick lit (Z. F. N., XIII, p. 191 et suiv. ; XIV, p. 355) : Imp(erator), Aug(usti) f(ilius), co(n)s(ul) des(ignatus) iter(um) ; Caes(ar), Aug(usti) f(itius), des(ignatus). Par consquent, ces monnaies auraient t frappes aprs les premiers comices de 71, dans lesquels Titus attrait t dsign consul II, et avant le 1er mars 71, date de lentre en charge de Domitien. Mais cette explication semble inadmissible. A la vue des monnaies, elle ne viendrait la pense de personne (voir la reproduction de lune delles dans Cohen, I, p. 371), et tout le monde lirait la lgende des revers en commenant par le mot Caes. et non par le mot imp. De plus, lomission du mot cos. avant le second des(gnatur) serait trs irrgulire. Mommsen (Z. F. N., XIV, p. 31), lit : Caes(ares), Aug(usti) f(ilius), des(ignatus) imp(erator) ; Aug(usti) f(ilius), co(n)s(ul) des(ignatus) iter(um). Ces monnaies auraient t frappes aprs les premiers comices de 71, dans lesquels Domitien aurait t dsign pour un second consulat (par consquent aprs le 1er mars 71, car Domitien ne pouvait tre dsign en mme temps deux consulats), et avant le 1er juillet, date partir de laquelle Titus exera la puissance tribunitienne et fut, par consquent, associ officiellement lempire. Schiller (Bursians Jahresbericht, LII, 1887, p. 17), lit : Caes(ares), Aug(usti) f(ilius), des(ignatur) imp(erator) ; Aug(usti) f(ilius), co(n)s(ules) des(ignati) iter(um). La lgende serait bien embrouille : la date de ces monnaies serait, du reste, la mme. 5 Pour Vespasien cela est certain (C. I. L., III, p. 850 ; Ephemeris epigraphica, II, p. 458 : diplmes du 6 avril). Quant Titus, qui fut consul le 1er janvier 72, il est fort probable quil fut dsign en mme temps que lautre consul ordinaire de 72, Vespasien. Si on lit les monnaies de Vespasien (Cohen, nos 46-51), comme le propose Schiller, il est certain que Titus fut lu aux premiers comices de 71, avec son pre. Si lon adopte la lecture de Mommsen ou celle de Schiller, il faut en conclure que Domitien fut aussi dsign aux premiers comices (comme il le fut en 79, voir plus loin). 6 C. I. L., X, 5405 ; V, 7239. Annali dell Instituto, LXII, 1870, p. 173, n 3. Le chronographe de 354, les fastes connus sous le nom dIdace et la chronique pascale indiquent ce consulat. Prosper lindique aussi, mais une mauvaise place, comme le premier des consulats que Domitien gra tant empereur.

nen exera quun ordinaire, parce que Titus lui cda la place et demanda pour lui cet honneur1. Vespasien attachait une grande importance au consulat, sans doute cause de lponymie2 ; pendant son rgne, il exera tous les ans cette magistrature, sauf quand des circonstances particulires len empchrent3. Dautre part, Titus, associ lempire en 71, gra ds lors le consulat en mme temps que son pre4. En vertu de ces principes, Vespasien et son fils an devaient tre consuls le fer janvier 73, et comme cette poque les lections aux consulats ordinaires se faisaient vers le dbut de lanne prcdente (avant le 5 avril en 71), ils devaient tre dsigns au commencement de 72. Ce fut aux comices qui eurent lieu cette poque que Titus dut faire abandon de son droit en faveur de son frre, qui fut dsign par le Snat comme consul ordinaire pour 73. La renonciation de Titus entrana celle de Vespasien5 et Catullus Messalinus fut lu comme collgue du second fils de lempereur. Quand les comices furent tenus, Domitien ntait pas encore entr en charge6, et une fois lu pour 73, il renona prendre les faisceaux en 72, parce quil ne pouvait tre en mme temps dsign deux consulats, et que le consulat ordinaire quon lui cdait tait beaucoup plus estim quun consulat suffect : en outre Titus ne voulait peut-tre pas voir son frre cadet compter autant de consulats que lui. Ainsi Domitien resta consul designatus II pendant une partie de 71 et pendant toute lanne 727, dabord comme suffect pour 72, puis comme ordinaire pour 73. Domitien ne fut pas consul en 74, probablement aussi pour ne pas atteindre le chiffre des consulats de Titus. Son troisime consulat se place en 758 et son

et suiv.) conteste lexactitude de ce texte. e dit., p. 1097. Herzog, Geschichte und System der rmischen Staatsverfassung, II, p. 288. 3 Il fut consul en 70, 71, 72, 74, 75, 76, 77, 79 : quand il mourut, il tait dsign pour 80. 4 Un associ lEmpire ne pouvait grer que des consulats ordinaires : voir Mommsen, Staatsrechf, II, p. 1166. 5 Il ny a aucune raison dadmettre que ce fut Vespasien qui fit abandon de son droit en faveur de Domitien (comme le prtendent Hoffmann, Quomodo, quando Titus imperator factus sit, p. 46, et Asbacd, Jahrb. des Vereins, LXXIX, 1885, p. 131). Vespasien renona au consulat par suite de la renonciation de Titus, non pour laisser la place son second fils. er 6 Soit quil ft dsign pour le second nundinum qui, cette anne-l, commena le 1 mai (voir Klein, Fasti consulares, p. 44) ; soit quil ft dsign pour le premier comme supplant dun des deux consuls ordinaires, et que par suite de la promesse faite par Titus avant les comices de renoncer en faveur de Domitien au consulat ordinaire pour 73, le consul ordinaire de 72 qui devait tre suppl par Domitien ne se soit pas dsist pour lui faire place, le 13 janvier (ctait en effet ce jour-l, qu lpoque flavienne, le consul ordinaire qui ne remplissait pas tout le temps de sa charge avait coutume de se retirer : voir Sutone, Domitien, 13 ; Klein, Fastes de 74 et de 92 ; cf. Fastes de 86 et de 87). 7 Cohen, Domitien, 404, 476. 533, 616, 635, 636 ; Titus, 27, 28, 29. C. I. L., VI, 932 (inscription de la seconde moiti de 72). er 8 Aprs le 1 juillet de lanne 75, Domitien est indiqu comme consul III (Journal asiatique, srie VI, tome XIII, 1869, p. 96) : [] (la restitution est certaine, puisquon lit ensuite : ). Il put ltre en 74 ou 75. Mais 74 doit tre cart. En effet, Domitien ne fut pas cette anne-l consul dans le premier nundinum ; le supplant de Vespasien nous est connu ; ce fut T. Plautius Silvanus Aelianus, qui devint ainsi collgue de Titus, rest en charge (voir Klein, Fasti consulares, p. 44). On ne peut pas non plus placer Domitien dans la second ou le troisime nundinum, car les consuls au mois de mai furent Petillius Cerialis et Eprius Marcellus, et ils auront pour successeurs (le 1er juillet ou le 1er septembre ? on ne saurait le dire) un personnage dont le nom nest plus reprsent que par les lettres ...ON... dans linscription C. I. L., VI, 2016, et un autre qui ny est plus indiqu que par deux jambages peine distincts ...II... Ce nest certainement pas Domitien qui naurait pas t relgu au troisime nundinum aprs avoir t consul ordinaire. Dautre part, sur trente-deux espces de monnaies qui nous restent, Domitien est qualifi co(n)s(ul) II, sur douze seulement co(n)s(ul) III. On peut en conclure quil garda deux2 Mommsen, Staatsrecht, II, 3

1 Sutone, Domitien, 2. Cest sans raison plausible que Chambalu (Philologus, XLIV, 1885, p. 106

quatrime en 761. En 77, il fut consul pour la cinquime fois2 : le 1er janvier, Vespasien et Titus entrrent en charge3 ; quelque temps aprs, peut-tre aux ides du mme mois, Titus se retira pour laisser la place son frre qui devint ainsi collgue de lempereur pendant le premier nundinum4. Domitien ne fut point consul en 78 ; Vespasien et Titus renoncrent aussi aux faisceaux cette anne-l5, pour des raisons que nous ne connaissons pas. Enans (73 et 74) le titre de co(n)s(ul) II, un seul (75), celui de co(n)s(ul) III (voir Chambalu, De magistratibus Flaviorum, p. 11). 1 Dans linscription grecque de 75, cite note prcdente, Domitien est indiqu comme dsign un quatrime consulat, quil gra, par consquent, en 76. Sur une inscription de la premire moiti de lanne 76, il est qualifi de co(n)s(ul) IIII (C. I. L., VIII, 10116 ; cf. 10119, qui est de la mme anne). 2 Annali dell Instituto, XLII, 1870, p. 181, w 153 et suiv. (inscriptions graves sur quatre blocs de marbre) : Imp(eratore) Vesp(asiano) Caes(are) Aug(usto) VIII, Domit(iano) Caes(are) V co(n)s(ulibus). Chronographe de 354 : Vespasiano VIII et Domitiano V. Cf. Fastes connus sous le nom dIdace et Fastes de la Chronique pascale. On ne peut citer ce sujet la monnaie Cohen, I, p. 425, Vespasien et Domitien, I, car elle est certainement hybride ; voir Pick, Z. F. N., XIII, p. 369. 3 C. I. L., X, 8067, 3 (sur une balance) : Imp(eratore) Vesp(asiano) Aug(usto) IIX, T(ito) imp(eratore), Aug(usti) f(ilio), VI co(n)s(ulibus). Sur ces sortes dobjets, on ne marquait que les consulats ordinaires. Actes des Arvales au 3 janvier (fragment trs mutil, il est vrai). C. I. L., VI, 2055 : [T(iti) Caesaris, Aug(usti) f(ili), Vespas]iani, co(n)s(ulis) VI. Prosper dAquitaine : Vespasiano VII (chiffre inexact) et Tito VI. Nous avons dj fait remarquer que Titus, associ lempire, ne pouvait tre que consul ordinaire. Une inscription de Sleucie du Calycadnos pourrait faire croire que Titus ne fut pas consul ordinaire en 77 ( x x x , Smyrne, 1875, p. 100, w 101 ; cf. Chambalu, Philologus, XLIV, 1885, page 113) : x , x , . Il rsulterait de cette inscription quen 77 Vespasien aurait t pendant un certain temps consul VIII, tandis que Titus aurait t seulement consul V Titus ne serait donc pas entr en charge le 1er janvier comme son pre. Mais il faut probablement lire : , etc., (consul VI), en corrigeant en . Voir Pick, Z. F. N., XIV, p. 370. Vespasien tait rgulirement dsign ds les premiers comices de 76 (C. I. L., X, 1629). Il dut en dire de mme pour Titus. 4 Domitien fut suffect en 77 ; Sutone dit, en effet, quil nexera quun seul consulat ordinaire (celui de 73) pendant le rgne de son pre. Mais il flet cette anne-l consul en mme temps que son pre (voir la note 95). Il faut donc en conclure que Titus lui cda la place, sans doute le 13 janvier (voir n. 92), tandis que Vespasien resta en charge pendant tout le premier nundinum de lanne. Cependant plusieurs autres textes pourraient faire croire que Domitien fut, en 77, consul ordinaire : a) Les inscriptions graves sur les blocs de marbre indiquent presque toujours les consulats ordinaires (voir Annali dell Instituto, XLII. 1870, p. 172 et suiv.) ; b) sur la liste du chronographe de 354, on lit lanne 77 : Vespasiano VIII, Domitiano V ; cf. Catalogue librien, dition Duchesne, Liber pontificales, p. 2 ; c) les Fastes connus sous le nom dIdace, qui nindiquent que les consuls ordinaires, donnent comme consuls pour cette anne : Vespasiano VIII et Domitiano III (III, parce quon a copi une liste nindiquant que les consuls ordinaires et sur laquelle, par consquent, on a lu en 73 : Domitiano II et Messalino, tandis quon ny a trouv aucune mention des consulats suffects grs par Domitien en 75 et 76) ; d) Dans la Chronique pascale (I, p. 465, dit. Dindorf), Titus et Domitien sont indiqus comme consuls ordinaires : x (, parce que cest le deuxime consulat de Domitien que mentionne la Chronique. Mais il est possible dexpliquer ou de corriger ces textes sans rejeter le tmoignage formel de Sutone. En effet, les blocs de marbre indiquent quelquefois les consulats suffects (voir Ephemeris epigraphica, V, n 1378). Or, en 77, on avait des raisons particulires pour graver sur ces blocs le nom du fils de lempereur, Domitien, qui fut cette anne-l en charge avec Vespasien et dut rester consul beaucoup plus longtemps que Titus. Quant aux erreurs quon constate dans les fastes manuscrits, elles ont peut-tre pour cause la disposition des consulats ordinaires et suffects dans loriginal : le nom de Domitien, supplant de Titus et collgue de Vespasien, tait indiqu probablement ct de celui de son frre et de son pre, mais il ne devait pas tre marqu de la mime manire que les annes prcdentes et suivantes, o Domitien fut, autant quil semble, supplant de Vespasien et collgue de Titus. Voir, ce sujet, Pick, Z. F. N., XIII, p. 372, qui rfute avec raison les hypothses de Chambalu, Philologus, XLIV, p. 109 et suiv. 5 Voir Klein, Fasti consulares, p. 45.

79, il le fut pour la sixime fois1. Pour 80, il fut probablement dsign comme suffect avant la mort de son pre, survenue le 23 juin 792. En rsum, Domitien fut six fois consul sous Vespasien. II le fut ds que son ge le lui permit, en 71. Sous la dynastie julioclaudienne, les jeunes gens auxquels les empereurs destinaient leur succession ne reurent pas le consulat avant lAga de vingt ans ; les autres membres de la famille impriale, lorsquils avaient atteint cet fige, ne pouvaient pas obtenir une charge suprieure la questure3. Domitien fut donc trait cet gard, non comme un simple prince du sang, mais comme un vritable hritier de lempire. En 73, par une faveur spciale, il exera le consulat ds le premier janvier. A partir de 75, il reut chaque anne les faisceaux, sauf en 78 ; mais comme Vespasien et Titus devaient tre tous les ans consuls ordinaires, ainsi que nous lavons vu plus haut, il ne resta pour Domitien que des consulats suffects. Cependant, pour attnuer cette dchance invitable, lempereur dcida, semble-t-il, que son second fils serait suffect, non pas dans le second ou le troisime nundinum, mais dans le premier, ce qui tait plus honorable4. En 75 et dans les annes suivantes, un des deux consuls ordinaires, soit Vespasien, soit Titus, parait stre retir avant le terme lgal de sa

1 C. I. L., III, 6993 : Imp(erator) Caesar Vespasianus Aug(ustus), pontif(ex) max(imus), trib(unicia) pot(estate) VIIII, imp(erator) XIIX, p(ater) p(atriae), co(n)s(ul) IIX, desig(natus) VIIII ; Imp(erator) T(itus) Caesar, Aug(usti) f(ilius), co(n)s(ul) VI, desig(natus) V[II] ; Domitianus Caesar, Aug(usti) f(ilius), co(n)s(ul) V, desig(natus) VI, etc. Cette inscription est de la premire moiti de 78, non de la seconde moiti de 77 [dans laquelle la titulature de Vespasien fut dj co(n)s(ul) VIII, tr(ibunicia) pot(estate) IX, imp(erator) XVIII] ; car en 77 lempereur et Titus nauraient pas t dj dsigns un consulat quils nexercrent quen 79. Ce sixime consulat. Domitien ne lexera pas en 78, mais en 79. En effet, sur cinq varits de monnaie, il est qualifi de Consul IV, titre quil ne porta quun an (76) ; tandis que vingt espces indiquent son cinquime consulat : on peut en conclure que ces vingt espces doivent se rpartir sur les deux annes 77 et 78 (Chambalu, De magistratibus Flaviorum, p. 12). Dailleurs, il est invraisemblable que Domitien ait t suffect en 78, anne dans laquelle deux particuliers furent consuls ordinaires. Une inscription de Galatie, qui mentionne Domitien, date de lanne 79 : Vespasien y est qualifi de [] , [ x] ; Titus de [ , ] [] ; Domitien est indiqu comme ... . Faut-il complter, comme le fait M. Perret (Exploration archologique de la Galatie, p. 209) : [, x] ? La conclusion serait que lorsque cette inscription fut grave, une poque postrieure aux premiers comices de lanne 79, Domitien ntait pas encore entr en charge, et que, dans ces comices, Domitien ne fut pas dsign au septime consulat quil exera lanne suivante. Mais on ne sexpliquerait pas pourquoi ce prince qui, partir de 75, fut toujours consul dans les mmes annes que Vespasien et Titus, et probablement dsign en mme temps queux (cela est certain pour 78 [voir C. I. L., III. 6993, cit plus haut] et trs probable pour 75 [voir les observations de Chambalu, Philologus, XLVII, 1888, p. 766, sur linscription du Journal asiatique]), naurait pas t lu pour 80 avec son pre et son frre dans les premiers comices de 79. De plus, en 79, Domitien dut tre comme il le fut certainement en 77 et trs probablement en 76 (voir n. 104), supplant dun des consuls du premier nundinum, sans doute partir du 13 janvier. Son sixime consulat tait donc dj commenc quand ces comices furent tenus vers le mois de mars : ctait la date des premiers comices de lanne sous Claude et Nron (voir Mommsen, Staatsrecht, I, p. 588589), et nous avons vu que le 5 avril 71 Vespasien tait dj dsign pour lanne suivante. Pour ces raisons, on doit supposer, soit que lindication de linscription est fausse, soit quau lieu dun T il y a le dernier jambage dune M, et il faut lire : [x, ]. Voir, ce sujet, Pick, Zeitschrift fr Numismatik, XIII, p. 365, n. 4. 2 Voir note prcdente. On ne peut sappuyer sur une monnaie de Titus (Cohen, Titus, 26), pour soutenir quavant la mort de son pre, Domitien fut dsign un consulat ordinaire pour 80. Cette monnaie date probablement de lanne 72. e 3 Mommsen, Staatsrecht, I, 3 dit., p. 576. 4 Le consulat suffect de cette catgorie tait accord de hauts personnages : par exemple, en 74, T. Plautius Silvanus Aelianus, dj consul une fois, dcor des ornements triomphaux et alors prfet de la ville (C. I. L., XIV, 3608). Voir Pick, Z. F. N., XIII, p. 365.

magistrature pour faire place Domitien1. Lhistoire des six premiers consulats de ce prince prouve donc que son pre voulut lui donner un rang exceptionnel dans ltat, immdiatement au-dessous de lui-mme et de Titus, Malgr tous ces honneurs, Domitien considrait la conduite de lempereur envers lui comme injuste. Dans son orgueil, il tait bless dtre linfrieur de son frre, dautant plus que cette infriorit clatait aux yeux de tous. Au triomphe juif, auquel Titus par vanit donna une magnificence inoue, Vespasien et Titus savanaient sur deux chars ; Domitien, alors consul, les suivait cheval2. Quand lempereur et ses fils se montraient au peuple, Vespasien et Titus taient ports sur un sige ; Domitien venait derrire eux en litire3. Dans les voeux publics, son nom ntait pas prononc en mme temps que ceux de son pre et de son frre4. Sur les monuments, Titus pouvait se qualifier : Imperator Titus Caesar Vespasianus, Augusti filius, imperator n, pontifex, tribunicia potestate n, consul n ; tandis que Domitien tait appel seulement : Caesar, Augusti ftlius, Domitianus consul n, pontifex ou princeps juventutis5. Dun esprit actif, turbulent mme, il tait condamn loisivet. Il voulut plusieurs fois sy soustraire. Vologse, roi des Parthes, avait pri Vespasien de lui envoyer, pour le soutenir contre les Alains, une arme commande par un de ses fils6. Domitien fit tout ce quil put pour tre charg de cette expdition, mais lempereur repoussa la demande de Vologse. Le jeune Csar voulut alors par des dons et des promesses dcider les autres rois de lOrient adresser la mme prire Vespasien, mais ses intrigues restrent sans succs7. A sennuyait fort et cherchait de bizarres distractions ; ce fut alors quil prit lhabitude, mentionne par plusieurs auteurs, de passer de longues heures percer des mouches avec un poinon8 : je donne ici cette anecdote pour ce quelle vaut. Son caractre saigrit. Nosant tmoigner son humeur Vespasien lui-mme ou Titus, il se vengea sur Caenis, la matresse de lempereur, qui la traitait presque comme une femme lgitime9. Un jour, Caenis retournant de voyage vint Domitien pour lembrasser : il se recula et lui offrit la main10. Cependant il comprit bien quil ne pourrait rien contre son pre et son frre, et quil serait au contraire trs facile Vespasien, prvenu contre lui, de le traiterer 1 En 76, Domitien fut certainement consul avant le 1 juillet, comme lindique linscription C. I. L., VIII, 10116, qui est en tout cas antrieure au 1er juillet (cf. C. I. L., VIII, 10119, qui est antrieure au n 10116, car Titus y est qualifi dimperator X, tandis que sur le n 10116 il est imperator XI). En 78, et sans doute aussi en 79, il fut dsign consul aux mmes comices que son pre et son frre, ce qui parat indiquer quil exera en 79 et quil devait exercer, en 80, le consulat dans le mme nundinum queux. 2 Sutone, Domitien, 2. Zonaras, XI, 17, p. 494. Josphe, Guerre de Jude, VII, 5, 5. 3 Sutone, ibid. Cf. Mommsen, Staatsrecht, I, p. 396-397. 4 C. I. L., VI, 2054, 2055, 2056. 5 C. I. L., VIII, 10116 ; VI, 932 et sur les monnaies : voir Chambalu, Philologus, XLV, 1886, p. 130. 6 Sutone, Domitien, 2. Cf. Dion Cassius, LXVI, 15. 7 Sutone, ibid. 8 Dion Cassius, LXVI, 9. Il aurait conserv cette habitude aprs son avnement lempire (Sutone, Domitien, 3). 9 Sutone, Vespasien, 3. Cf. Dion Cassius, LXVI, 14. 10 Sutone, Domitien, 12. Cf. Pline le Jeune, Pang., 24 [ Trajan] : Non tu civium amplexus ad pedes tuos deprimis, nec osculum manu reddis (On ne vous voit pas renvoyer vos pieds les embrassements du citoyen humili, ni prsenter sa bouche une main superbe).

avec plus de rigueur. Aussi feignit-il la soumission1. Dans la retraite, il complta son instruction nglige jusque-l2. Quoiquil net aucun got pour la posie, il composa des vers3, dont Quintilien fit, plus tard, un loge ridiculement exagr : Je nai nomm, dit-il dans son Institution oratoire4, tous ces crivains (les potes piques les plus illustres de la Grce et de Rome) que parce que le gouvernement de lunivers a dtourn Auguste le Germanique de ses tudes, et parce que les dieux ont jug que ctait trop peu pour lui dtre le plus grand des potes. Et pourtant quoi de plus sublime, de plus docte, de plus harmonieusement beau que les posies faites dans la retraite o il sest confin dans sa jeunesse aprs avoir fait don de lempire ? et qui pourrait mieux chanter la guerre que celui qui la fait si glorieusement ? qui se montreraient plus propices les divinits qui prsident aux tudes ? Les sicles futurs le diront mieux que moi ; maintenant sa gloire potique est clipse par lclat de ses autres talents. Domitien semble avoir crit alors un pome sur le combat du Capitole5 ; il entreprit mme peut-tre une pope sur la prise de Jrusalem6, pour quon ne laccust pas denvier son frre. Il lut ses uvres en public7. Quand Vespasien mourut, le 23 juin 79, Titus lui succda : son pre, en lassociant lempire, lavait dsign aux suffrages du Snat. Jusqualors, les rapports entre les deux frres avaient t bons, en apparence du moins. Domitien avait eu la prudence de cacher ses sentiments de jalousie lgard de son alli, et Titus stait montr, semble-t-il, bienveillant pour lui8. Il nen fut plus de mme aprs la mort de Vespasien. La situation politique de Domitien ne changea pas, il est vrai. Il conserva ses titres, ses honneurs, continua battre monnaie9 ; il fut consul pour la septime

1 Sutone, Domitien, 2. Dion Cassius (LXVI, 9) dit mme, avec exagration sans doute, que 2 Ses citations montrent quil connaissait bien Homre et Virgile : Sutone, Domitien, 9, 12, 18. 3 Sutone, Domitien, 2. Martial, VIII, 82, 6 :

Domitien simulait parfois la folie, pour ne pas veiller les dfiances de son pre.

Nos [les potes] tua cura prior, deliciaeque sumus. Silius Italicus, Punica, III, 618 : Quin et Romuleos suporabit voce nepotes quis orit aloquio partum decus : huic sua Musse sacra ferent ; meliorque lyra, cui subetitit Hebrus et venit Rhedope, Phaebo miranda loquetur. Pline lAncien, Hist. Nat., praefatio, 5. Stace, Achillide, I, 15. 4 X, 1, 91 et 92. 5 Martial, V, 5. 7 : Capitolini caelestia carmina belli. 6 Valerius Flaccus, Argonautiques, I, 12 [ Vespasien] : ...... versam proles tua pandit Idumen, namque potest, Solymo nigrantem pulvere fratrem spargentemque faces et in omni turre furentem. De vos fils, l'un redira, car il le peut, l'Idume vaincue ; il redira son frre, noirci d'une noble poussire, et qui va semant la ruine et l'incendie dans les remparts de Solyme. 7 Sutone, Domitien, 2. Quintilien vante son loquence (Inst. Orat., IV, promium, 3) : Principem ut in omnibus, ita in eloquentia quoque eminentissimum. Cf. Silius Italicus, loc. cit. Cependant, plus tard, il sa faisait faire ses lettres, ses propositions au Snat et ses dits (Sutone, Domitien, 20). 8 Aux faits indiqus plus haut, il faut ajouter les jeux brillants donne par Titus en Jude, loccasion de lanniversaire de Domitien, le 24 octobre 70 (Josphe, Guerre de Jude, VII, 3, 1). Voir encore Pline lAncien, Histoire naturelle, praefatio, 5. 9 En plus grande quantit que sous Vespasien. Voir le catalogue de Chambalu, Philologus, XLV, 1886, p. 131. Cependant, quand Titus devint empereur, Domitien semble avoir perdu le droit de battre monnaie Antioche : voir Pick, Z. F. N., XIV, p. 347.

fois en 801, et ce fut un consulat ordinaire : il remplaa tout naturellement Vespasien dont il tait le supplant dsign. Son nom fut dsormais prononc dans les vux publics2. Mais Titus ne lui laissa prendre aucune part aux affaires de ltat. Il ne lui fit confrer ni limperium proconsulaire, ni la puissance tribunitienne ; il ne lui permit pas de porter le nom dImperator3. En agissant ainsi, il ne se conforma probable-ment pas aux desseins de son pre. Vespasien avait voulu que Domitien succdt son frre an : dans cette pense, il lavait lev au-dessus de tous les particuliers. Il ne put lui accorder les titres qui, en fait, quivalaient presque une dsignation au pou-voir suprme ; mais il esprait sans doute que quand Titus serait empereur son tour, Domitien les recevrait. Celui-ci neut peut-tre pas tort do dire que son pre lavait dsign comme associ au pouvoir imprial, mais quon avait falsifi le testament4. Il ne semble pas cependant que Titus ait song carter Domitien de lempire. Ds le premier jour de son rgne, il le dclara son associ et son successeur, et il maintint cette dclaration, malgr lattitude hostile de Domitien5. Il lui proposa mme dpouser sa fille unique Julie6. Mais, jaloux de son autorit et inquiet de lambition impatiente de son frre, il ne voulut pas lui donner dans ltat un rang trop rapproch du sien. On peut observer aussi7 que Titus se montra trs soucieux pendant son rgne de ne pas porter atteinte aux prrogatives du Snat. Or, en sassociant Domitien, il aurait sembl vouloir limiter par avance, du moins en fait, le droit qui appartenait au Snat de choisir librement son successeur aprs sa mort. Domitien fut fort irrit de la conduite de Titus son gard, et il manifesta son mcontentement avec beaucoup moins de rserve que sous son pre. Une vive discorde clata entre lempereur et lui. Sachant que Titus son avnement tait impopulaire, il aurait song offrir aux soldats, aprs la mort de Vespasien, un donativum double de celui que leur donna son frre an, afin quils le proclamassent8. A plusieurs reprises, il fut ml des intrigues et des conspirations ; il chercha presque ouvertement soulever les armes et

1 C. I. L., II, 4803. C. I. G.. 3173 A. Annali dell Instituto, XLII, p. 182, n 157 (au n 158, il faut

corriger VI en VII). Fastes manuscrits.

2 Actes des Arvales : C. I. L., VI. 2059. 3 Les inscriptions le prouvent. C. I. L., III, 318 : Domitien y est qualifi seulement de Caes(ar), 4 Sutone, Domitien, 2 : Patre defuncto, ...... numquam iactare dubitauit relictum se participem

Divi f(ilius), Domitianus, co(n)s(ul) VII, [p]rinc(eps) juventutis. Cf. C. I. L., II, 4803 ; VI, 2059.

imperii, sed fraudem testamento adhibitam (Aprs la mort de son pre, ...... il osa publier qu'il tait institu cohritier de l'empire, mais que le testament avait t falsifi). Dans son testament, Vespasien ne pouvait, en ralit, pas plus dsigner un associ lEmpire que son propre successeur. Ce double droit appartenait au Snat. Mais il pouvait recommander Domitien au Snat, qui confrait les titres constituant le pouvoir imprial secondaire, et au futur prince, sur la proposition duquel ces titres taient confrs. Cest peu probable que Vespasien ait laiss Domitien par son testament une partie des biens quil possdait personnellement, mais dont un empereur seul pouvait hriter. Vespasien, nous lavons dit, ne voulait pas que Domitien fut empereur aprs lui avec Titus ; il dsirait seulement que son second fils fut particeps imperii, associ lempire sous le rgne de son fils an. 5 Sutone, Titus, 9 : A primo imperii die, consorte successoremque testari perseveravit (Il continua, comme ds le premier jour, le proclamer son collgue et son successeur l'empire). Cf. Aurelius Victor, pitom, 10, qui, au lieu de consore, dit particeps potestatis. On a vu plus haut, quon ralit, Domitien ne fut pas associ lEmpire. 6 Sutone, Domitien, 22. re 7 Herzog, Geschichte und System der rmischen Staatsvertvallung, II, 1 partie, p. 299. 8 Sutone, Domitien, 2.

senfuir de Rome1. Ne voulant pas se sparer de Domitia, fille de Corbulon, il refusa dpouser Julie, et aprs que cette princesse se fut marie T. Flavius Sabinus, fils du frre de Vespasien2, il en fit sa matresse du vivant mme de Titus3. De son ct, Titus frappa de disgrce les amis de Domitien4. Il donna en 80 le consulat L. Aelius Lamia Plautius Aelianus5 : ctait en quelque sorte une rparation de loutrage fait ce personnage par Domitien, qui lui avait jadis pris sa femme6. T. Flavius Sabinus, cousin et gendre de lempereur7, fut dsign consul pour lanne 828. Peut-tre Titus traita-t-il Sabinus avec une considration toute particulire. Il est peu probable cependant quil lui ait destin sa succession ; mais il dsirait sans doute inspirer cette crainte Domitien, esprant ainsi le rendre plus soumis. Domitien, nous le savons par Sutone, se montra fort jaloux de Sabinus. Indign de voir que le gendre de lempereur eut des serviteurs habills de blanc (ctait la livre impriale)9, il scria un jour, en citant Hombre : Le gouvernement de plusieurs chefs nest pas bon10. Mais, dit Sutone (Titus, 9), Titus ne put se rsoudre ni mettre mort son frre, ni lcarter de lui, ni mme le traiter avec moins de considration quauparavant. Quelquefois mme, il le prenait en particulier et le suppliait en pleurant de consentir enfin payer son affection de retour. Selon Dion Cassius (LXVI, 26), citant quelques auteurs dont il partage lavis, il se serait repenti de cette indulgence au moment dexpirer. La faute mystrieuse quil se reprocha alors aurait t sa condescendance pour Domitien quil laissait matre de lempire romain, tandis quil aurait d le faire prir. Il faut dailleurs se mfier de ce que Dion Cassius et mme Sutone, auteurs extrmement favorables Titus, nous disent au sujet des relations des deux frres : ils ne rapportent que des faits dun caractre fort intime sur lesquels la vrit tait difficile savoir. Cependant leur dsaccord tait connu de tout le monde : aussi prtendit-on, aprs la mort de Titus, que son frre lavait empoisonn11. Ctait une calomnie :

Sutone, Titus, 9 ; Domitien, 2. Dion Cassius, LXVI, 26. Philostrate, Vie dApollonius de Tyane, VII. 7, dition Westermann. Sutone, Domitien, 22. Pline le Jeune dit de Julius Bassus (Lettres, IV, 9, 2) : Titum timuit ut Domitiani amicus (Il craignit Titus, titre d'ami de Domitien). 5 Klein, Fasti consulares, p. 46. 6 Peut-tre mme Titus offensa-t-il bien plus gravement son frre en sduisant Domitia. Au moment dexpirer, il dit quil navait commis quune seule faute. Quelques-uns crurent que ctait une allusion des rapports intimes avec Domitia (Sutone, Titus, 10 ; Dion Cassius, LXVI, 26). Sutone ne le pense pas : il ajoute que Domitia jura plus tard solennellement quelle navait jamais t la matresse de Titus, elle qui, loin de nier ces relations si elles eussent t relles, sen serait mme vante, comme elle sempressait de le faire pour toutes ses hontes. 7 Il tait fils de T. Flavius Sabinus, frre de Vespasien : Dion Cassius, LXV, 17 ; Sutone, Domitien, 10 ; cf. Philostrate, Vie dApolionius, VII, 7. Il ne faut pas le confondre avec un autre T. Flavius Sabinus qui fut consul en 69, et consul pour la seconde fois en 72 (Klein, Fasti consulares, p. 42 et p. 44), et qui ne parat pas avoir t parent des Flaviens. er 8 Le 1 janvier 82, Sabinus entra en charge (Klein, loc. cit., p. 41). Il dut tre dsign aux premiers comices de lanne prcdente, comme ltaient les consuls ordinaires lpoque flavienne. e 9 Mommsen, Staatsrecht, II, 3 dit., p. 805, n. 2. 10 Sutone, Domitien, 12. 11 Dion Cassius, LXVI, 26. Philostrate, Apollonius, VI, 32. Hrodien, IV, 5, 6. Aurelius Victor, De Caesaribus, 10 et 11. Evagre dEpiphanie, Histoire ecclsiastique, III, 41. IV Ezras, II, 35 ; 12, 28 (dition Hilgenfeld, Messias Judaeorum, p. 249, 253). Peut-tre aussi Chants sibyllins, XII, v. 121 et suiv. Georges le Syncelle, p. 648, dit. G. Dindorf (cf. Suidas, sub verbe ). Les1 2 3 4

lempereur mourut de la fivre1 et du mauvais rgime quil suivait2 ; mais la conduite que Domitien tint alors contribua rpandre des bruits fcheux pour sa rputation. Titus tait encore en vie, lorsque Domitien qui se trouvait auprs de lui Cutilies, non loin de Rate, en Sabine, partit pour Rome cheval. Il se rendit au camp des prtoriens et se fit saluer empereur par les soldats auxquels il distribua une somme gale celle quils avaient reue de Titus aprs la mort de Vespasien (13 septembre 81)3. Le lendemain4, les snateurs, sans mme avoir t convoqus, coururent la curie et confrrent Domitien le titre dAuguste, limperium, la puissance tribunitienne5. Seize jours aprs, le 30 septembre, eurent lieu les comices dans lesquels la puissance tribunicienne du nouvel empereur fut proclame devant le peuple6. Domitien fut dsign consul pour le huitime fois7 : il semble avoir pris la place dun personnage dsign ds le commencement de lanne et dont le nom est inconnu8. Il reut ensuite le grand pontificat9. Le Snat lui dcerna aussi le titre de pre de la patrie1.

rcits de Dion et de Philostrate sont absurdes. Les lgendes les plus ridicules coururent au sujet de la mort de Titus (voir Gratz, Geschichte der Iuden, IV, 2e dit., p. 118. 1 Sutone (Titus, 10), le dit formellement. Cf. Sutone, Domitien, 2 et Eusbe, Chronologie, anne 2096, p. 158-159 (dit. Schne). 2 Plutarque (De sanitinis praecepta, 3) dit que Titus mourut de labus des bains, comme laffirment ses mdecins . 3 Dion Cassius, LXVI, 26. Cf. Sutone, Domitien, 2. Pour la date, Sutone, Titus, 11. 4 Dion Cassius, LXVII, 18, dit que Domitien rgna quinze ans et 5 jours. Or il mourut le 18 septembre 96 (Sutone, Domitien, 17). Du 14 septembre 81 au 18 septembre 96, Il y a lintervalle indiqu par Dion si lon compte la date initiale et la date finale. Ce que Sutone dit de la sance tenue par le snat (Titus, 11 ; cf. Chambalu, De magisiratibus Flaviorum, p. 10) prouve que Domitien ne fut pas reconnu empereur un jour de dies legitimus, comme ltaient les ides de septembre (le 13). Ce fut le 14 septembre au plus tt que les frres Arvales clbrrent un sacrifice ob imperium Domitiani (C. I. L., VI, 2060) : XV [... k(alendas) octobr(es)]. En suivant les indications de Dion, on doit restituer XV [III] = 14 septembre, comme la fait Herzen, Acta fratrum Arvalium, p. 64. 5 Pour limperium et le titre dAuguste, voir les Actes des Arvales, C. I. L., VI, 2060. Domitien fit dater ses puissances tribuniciennes du 13 ou du 14 septembre et non du 30 : sur un monument du 20 septembre 82 (Ephemeris epigraphica, IV, p. 496), on lit : tribunic(ia) potestat(e) II. 6 Actes des Arvales (C. I. L., VI, 2080), au 30 septembre : indication dun sacrifice clbr au Capitole : [ob co]mitia tribunicia Caesaris, Divi f(ili), Dom[itia]ni Aug(usti). Le lendemain (1er octobre), les Arvales se runirent encore au Capitole pour sacrifier votorum [co]mmendandorum causa pro salute et incolumitate Caesaris, Divi f(ili), Domitian(i) Aug(usti). 7 Sur trois monnaies de 81, o Domitien est indiqu comme empereur, on lit seulement co(n)s(ul) VII (Cohen, Domitien, 33, 172, 344) ; sur les autres, co(n)s(ul) VII, des(ignatus) VIII. Mais il faut observer que les monnaies 33 et 344 portent le titre de p(ontifex) m(aximus) et sont, par consquent, postrieures la dsignation de Domitien un huitime consulat. 8 Cest probablement Domitien que Pline le Jeune (Pangyrique, 57) fait allusion par ces mots : consulatum recusasti : quem novi imperatores destinatum aliis, in se transferebant (Vous arriviez peine au rang suprme, et, comme si la mesure de vos honneurs tait comble, et que vous eussiez dj un motif d'excuse, vous refusez une dignit que de nouveaux empereurs enlevaient des consuls dsigns). Si Titus avait t dsign au dbut de lanne 81 pour un neuvime consulat, Domitien naurait eu qu prendre la place laisse vide par la mort de son frre. Mais, malgr le tmoignage dune inscription (Bulletin de correspondance hellnique, III, 1879, p. 171 ; C. I. L., III, 6732), il est trs douteux que Titus ait t dsign ce neuvime consulat : les monnaies nen font aucune mention (voir Chambalu, Philologus, XLVII, 1888, p. 766-768). 9 Sur les monnaies de 81, o Domitien est indiqu comme empereur, on lit tantt pont(ifex), tantt pont(ifex) max(imus) ; voir Chambalu, De magistratibus Flaviorum, p. 21, n. 1 et 2. Ce fut aprs avoir t dsign un huitime consulat quil reut le grand pontificat ; voir Cohen, Domitien, 5659 ; 370-372, o Domitien est indiqu comme pont(ifex) et co(n)s(ul) VII, des(ignatus) VIII.

CHAPITRE II. CARACTRE DU GOUVERNEMENT DE DOMITIEN Dans le rgime politique inaugur par Auguste et complt par Tibre, le Snat tait le reprsentant de la souverainet du peuple. Il lisait les magistrats, il exerait le pouvoir lgislatif ; il pouvait statuer sur nimporte quel procs criminel ; tribunal suprieur dappel au civil, il dlguait cette comptence aux consuls. Il tait en droit le conseil du prince. Il avait des attributions administratives : il disposait dun trsor ; lItalie et une partie des provinces dpendaient de lui. Grce leur noblesse, leur fortune, aux magistratures qui leur taient rserves, aux patronages quils exeraient Rome, dans lItalie et dans les provinces, les snateurs jouissaient dun trs grand prestige. Le Snat lui-mme, considr comme corps politique, tait respect dans tout lempire : Juvnal lappelle le Snat sacr ( III, 29), Stace dit de la curie lauguste demeure et le sanctuaire du Snat latin2. Lempereur tait un magistrat extraordinaire, sans collgue ni limitation de temps. Par lexercice de ses droits, il pouvait restreindre ou mme annuler laction politique, judiciaire et administrative du Snat : droit de recommander dans les lections des candidats que le Snat ne pouvait se dispenser dlire3, droit dintercession tribunitienne sappliquant tous les dcrets du Snat et toutes les dcisions des magistrats, droit dattirer lui les protes criminels soumis la juridiction du Snat ; droit dannuler et de rformer les dcrets des magistrats dans les causes civiles juges Rome, en Italie et dans les provinces snatoriales ; nomination (depuis Nron) des prfets du trsor de Saturne, qui dpendait du Snat ; haute surveillance sur les proconsuls en vertu de son imperium suprieur. Au contraire, dans la part du gouvernement, de la justice et de ladministration que lempereur stait rserve, le Snat, en tant quassemble, navait aucun moyen de limiter son action. Lempereur, ayant en sa main toutes les forces militaires du monde romain, pouvait imposer ses volonts. En fait, il tait le matre. Cependant il ne choisissait pas son gr tous ses auxiliaires dans ladministration et dans larme. Auguste avait rorganis lordre questre, noblesse reposant sur la concession du prince et ne formant pas comme le Snat une corporation ; il avait confi aux chevaliers la plupart des emplois dofficiers et des fonctions financires ; mais pour le gouvernement du plus grand nombre des provinces impriales, pour le commandement des lgions, pour une partie de ladministration de la ville de Rome, il tait de rgle que le prince prt ses auxiliaires parmi les snateurs de rang prtorien ou consulaire ; ctait aussi parmi les snateurs quil choisissait la plupart doses conseillers privs. Or la composition du Snat ne dpendait de lui quo dans une mesure trs limite. On appartenait par droit de naissance lordre snatorial dont il fallait faire partie

370-372). Peut-tre fut-il surnomm pater patriae le jour mme de sa proclamation lempire : nomen illud, dit Pline le Jeune, quod alii primo statim principatus die, ut Imperatoris et Caesaris, receperunt (Ce nom, que d'autres ont reu le jour mme de leur avnement avec ceux d'empereur et de Csar) (Pangyrique, 21). Il tait cependant dusage que ce titre ne ft dcern que quelque temps aprs lavnement et mme que les empereurs le refusassent la premire fois quon le leur offrait (voir Mommsen, Staatsrecht, II, 3e dit., p. 779). 2 Silves, V, 2, 19. 3 Droit qui appartint lempereur depuis Vespasien au plus tard ! voir Herzog, Geschichte und system der rmiechen Staatsverfassung, II, p. 700.

1 Domitien reut ce titre avant que le Snat lui confrt le grand pontificat (voir Cohen, 57-59 ;

pour briguer les magistratures. Ces magistratures, ctait le Snat qui les confrait, et comme lentre au Snat tait attache lexercice de la questure, comme les snateurs taient diviss en classes daprs les magistratures quils avaient gres, ctait en droit le Snat qui se recrutait lui-mme et qui dcidait de lavancement de ses membres. Il est vrai quen fait le nombre de ceux qui remplissaient les conditions dligibilit tait peine suprieur au nombre des charges confrer, mais par cela mme le droit de recommandation du prince se trouvait limit. Ceux qui taient entrs dans la carrire des honneurs taient peu prs assurs de la suivre rgulirement1. Lordre des magistratures, les intervalles de temps entre ces magistratures, les conditions dge pour les briguer taient rigoureusement fixes. Lempereur pouvait confrer le laticlave qui ouvrait lordre snatorial des jeunes gens, mais ctait le Snat qui confrait le vigintivirat, plac lentre de la carrire des honneurs, et lempereur ny recommandait pas de candidats. Lempereur donnait le tribunat militaire dont lexercice aprs le vigintivirat tait une condition dligibilit la questure2, mais comme les questeurs taient gaux en nombre aux vigintiviri, le refus du tribunat militaire des vigintiviri aurait ou pour rsultat de rendre le nombre des jeunes gens ligibles la questure infrieur celui des places de questeurs confrer. Lempereur rvisait tous les ans la liste des snateurs, mais ctait seulement pour rayer les noms des morts et de ceux qui avaient cess de remplir les conditions de capacit exiges pour faire partie de lassemble. Lempereur tait proclam par le peuple, reprsent dordinaire dans cet acte par le Snat. Ctait le Snat qui lui confrait ses pouvoirs, en prparant une loi soumise ensuite pour la forme au peuple ; ctait lappui du Snat qui lgitimait lautorit du prince en cas de rvolte. Comme dpositaire de la souverainet nationale, il avait le droit de le destituer ; il le jugeait quand il tait sorti de charge. Si dordinaire il ne pouvait pas faire un libre usage de ces droits, il ne les en possdait pas moins. Comme la dfini M. Mommsen3, le rgime imprial tait un compromis entre le gouvernement dun seul et le gouvernement de laristocratie. Le Snat, reprsentant le peuple souverain et presque indpendant du prince dans sa composition, prenait part aux affaires publiques sous la surveillance du prince ; le prince, magistrat qui tenait ses pouvoirs du Snat, gouvernait avec Lassistance des snateurs. Ce rgime avait de graves dfauts. Les snateurs taient pour la plupart incapables de sacquitter des devoirs publics qui leur incombaient. Fort riches dordinaire, ils devaient consacrer une partie de leur temps ladministration de leur fortune ; leur rang dans la socit leur imposait en outre de nombreuses occupations mondaines4. Les enfants de laristocratie recevaient une ducation qui les prparait mal la vie publique5. Les parents ngligeaient dlever eux-

1 Pour le consulat seul, le nombre des personnages ligibles tait sensiblement suprieur celui

des places remplir ; lpoque flavienne, il ny avait, en rgle, que six ou sept consuls par an, nombre encore restreint par les itrations (voir Mommsen-Morel, tude sur Pline le Jeune, p. 58). 2 Dans les premiers temps de lEmpire, on pouvait, avant dtre questeur, recevoir dabord le tribunat militaire, puis exercer une des charges du vigintivirat ; mais partir de lpoque devienne, le tribunat suivit le vigintivirat. 3 Staatsrecht, III, p. 1252. 4 Voir Pline le Jeune, Lettres, I, 9. 5 Voir Tacite, Dialogue des Orateurs, ch. XXVIII et suiv.

mmes leurs fils et remettaient ce soin des affranchis ; les tudes se faisaient trop rapidement ; les rhteurs habituaient leurs lves parler sur tout sujet, mais ils ne leur apprenaient gure rflchir ; les philosophes leur donnaient des conseils plus srieux, mais ils cherchaient les dtourner des affaires. Les hommes qui suivaient la carrire snatoriale devaient exercer successivement des charges, des fonctions dune courte dure, fort diffrentes les unes des autres, exigeant des connaissances juridiques, militaires, administratives, que dordinaire ils navaient ni le loisir, ni la volont dacqurir. Comme nous lavons dit, les conditions dligibilit aux magistratures taient telles quils taient peu prs certains, une fois entrs dans la carrire, de parvenir aux plus hautes dignits : nayant pas de rivaux craindre, ils navaient nul intrt se donner de la peine. Malgr les efforts des princes pour empcher de tels abus, nombreux taient les gouverneurs de provinces qui profitaient sans scrupule de leur autorit pour senrichir aux dpens de leurs administrs1. Comme dans toute corporation ferme, lesprit de coterie rgnait au Snat. Ainsi, dans lexercice. de la juridiction criminelle, les snateurs faisaient preuve dune grande partialit, disposs lindulgence pour ceux de leurs col-lgues quon poursuivait devant eux, du moins quand leur propre intrt ou la volont de lempereur ne leur dictait pas une conduite diffrente, par contre assez malveillants pour les autres accuss2. Le grand nombre des membres de lassemble supprimait les responsabilits. U tait de lintrt gnral et aussi de lintrt du prince, mal second par les snateurs quil employait, de porter remde cette situation. Mais, pour modifier le rgime politique cr par Auguste, une trs grande prudence tait ncessaire. II tait impossible de supprimer le Snat, et mme dcarter compltement ses membres des emplois qui dpendaient de lempereur. Laristocratie, dont lautorit morale tait grande et qui ne voulait pas savouer son incapacit, sen serait venge soit par des complots, soit par des rvoltes ouvertes, en entranant derrire elle les soldats habitus tre commands par des snateurs. Mais lempereur pouvait essayer de diminuer peu peu les attributions administratives du Snat. Dj Auguste et Tibre avaient plac sous leur dpendance presque toute ladministration de la ville de Rome ; depuis Nron, le trsor du peuple, relevant en droit du Snat, fut gr par des prfets nomms par le prince. Ladministration impriale, destine saccrotre ainsi aux dpens du Snat, devait tre organise dune manire rgulire. Dans la constitution dAuguste, lempereur navait dauxiliaires que pour certains dpartements, et il devait les surveiller lui-mme, nayant pas