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Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques DREES SÉRIE ÉTUDES DOCUMENT DE TRAVAIL Rapports professionnels et types de clientèles : médecins libéraux et salariés (médecine générale, gériatrie, urgence, gastro-entérologie, psychiatrie) Post-enquête « Conditions et organisation du travail dans les établissements de santé » VEGA Anne n° 51 – juin 2005 MINISTÈRE DE L’EMPLOI, DE LA COHÉSION SOCIALE ET DU LOGEMENT MINISTÈRE DE LA SANTÉ ET DES SOLIDARITÉS

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Direction de la recherche, des études,de l’évaluation et des statistiques

DREES

SÉRIEÉTUDES

DOCUMENTDE

TRAVAIL

Rapports professionnels et types de clientèles :médecins libéraux et salariés

(médecine générale, gériatrie, urgence, gastro-entérologie, psychiatrie)

Post-enquête « Conditions et organisation du travaildans les établissements de santé »

VEGA Anne

n° 51 – juin 2005

MINISTÈRE DE L’EMPLOI, DE LA COHÉSION SOCIALE ET DU LOGEMENTMINISTÈRE DE LA SANTÉ ET DES SOLIDARITÉS

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SommaireSynthèse du travail................................................................................................................................................ 5

Introduction générale ........................................................................................................................................... 9

Problématique .................................................................................................................................................... 9Sélection des enquêtés...................................................................................................................................... 10Grille d’entretien .............................................................................................................................................. 12Canevas des entretiens ..................................................................................................................................... 13Déroulement de l’enquête ................................................................................................................................ 14Présentation du travail ...................................................................................................................................... 15Note préliminaire.............................................................................................................................................. 16

1. La constance des identités médicales : spécialisations et hiérarchisations du travail ............................... 17

1.1 Atouts et problèmes rapportés aux différents modes d’exercice ................................................................ 21A. Établissements publcs/exercices privés................................................................................................. 21B. La médecine hospitalière (publique et privée)/ le cabinet ..................................................................... 29

1.2 Regards croisés des spécialistes : to cure ou to care................................................................................... 32A. Qu’est-ce qui amène les enquêtés à se spécialiser ? ............................................................................. 33B. Les urgences, des services où se concentrent et se démultiplient tous les paradoxes (révélateurs dedysfonctionnement du système de santé en général) ................................................................................. 37C. La gériatrie, une spécialité aux limites de la médecine hospitalière...................................................... 43D. Où sont désormais les limites des soins ? ............................................................................................. 45

1.3 La question complexe des collaborations professionnelles ........................................................................ 49

2. Conséquences et etiologies de la crise médicale : la fin d’une époque ........................................................ 63

2.1 Des constatations communes : l’augmentation des temps de travail.......................................................... 63A. Les pénuries médicales au centre de tous les discours.......................................................................... 64B. Des angoisses pour l’avenir .................................................................................................................. 66C. Les nouveaux risques de déconstruction des identités professionnelles : un travail administratifchronophage et des contrôles inadaptés voire suspicieux .......................................................................... 69

2.2 Les procès................................................................................................................................................... 73

3. Discours et pratiques paradoxales ................................................................................................................. 83

3.1 L’ambiguïté des surcharges de travail ........................................................................................................ 843.2 Les limites des critiques ............................................................................................................................. 903.3 Les paradoxes des politiques de santé ........................................................................................................ 95

Conclusion générale ............................................................................................................................................ 99

Bibliographie ..................................................................................................................................................... 105

Annexe 1............................................................................................................................................................. 109

Annexe 2............................................................................................................................................................. 112

Annexe 3............................................................................................................................................................. 116

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Synthèse des résultats de la post-enquête

Ce travail vise à approfondir la connaissance des grands axes de différenciations entremédecins, dans le but d’arbitrer sur le maintien ou l'exclusion à venir des médecins libérauxde l’enquête nationale de la Drees. Il est fondé sur l’analyse comparée d’entretiens semi-dirigés conduits auprès d’une quinzaine de post enquêtés.

Atouts et problèmes rapportés aux différents types d’exercices

Si l’hôpital public reste le berceau du Savoir (apprentissage continu entre experts dotés detechniques de pointes), les communications professionnelles seraient facilitées en dehors desCHU, et dans le privé (relations ouvertes directes, y compris avec les médecins de ville,recentrées sur les patients). Ces constats sont à l’origine de nombreux changementsd’exercices et/ou d’exercices simultanés1.

Cependant, travailler dans des établissements en général est synonyme :

- de prestige lié à l’exercice de la médecine – une médecine de spécialités d’organes(mais plus ou moins vitaux nobles et propres), et hiérarchisées aussi en fonction dumaniement de techniques curatives plus ou moins prestigieuses2 ;

- de pouvoir lié au fait de soigner théoriquement de « vrais » patients technicisés et/ouhospitalisés3, par opposition aux patients en « consultation externe », ayant despathologies moins graves (« fausse urgence », « médecine générale ») voire« fonctionnelles » rapportées à l’exercice en médecine de ville ;

- de garanties d’enrichissement de sa spécialisation par la confrontation auxconnaissances des autres spécialités, mais aussi de garanties de réassuranceprofessionnelle (rester performant, et surtout se partager des décisions et des risquesd’erreurs).

Degrés de pénibilités du travail

Dès lors, ce qui semble avant tout distinguer les médecins entre eux serait :

- Leurs capacités individuelles à établir des échanges privilégiés avec des médecinsspécialistes hospitaliers.

Ainsi, plus que le fait d’être ou non salarié et d’exercer dans tel ou tel type destructures (publiques ou privés), être ou ne pas être CHU, y avoir ou non des « amis »,« collaborateurs privilégiés », des « référents » ou des « alliés »4, être ou ne pas être

1 Le choix des types et des lieux d’exercice étant également fortement dépendant des types de contrat ou desdegrés d’investissements financiers, et des possibilités d’organisation du temps privé (en particulier pour lesjeunes générations et les femmes).2 La gériatrie étant alors une spécialité aux limites – voire aux marges de la médecine hospitalière, par oppositionà la triade cardiologie-pneumologie-gastro-entérologie.3 En pratique, car outre l’obligation aux urgences d’accepter « le tout venant », les enquêtés travaillant eninstitution ont tous des sous spécialisations à l’instar des médecins de ville.4 Ce qui évite aux praticiens de risquer de « perdre la face », de « déranger » ou d’être éconduits par leurs pairs.

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éloigné de grands centres hospitaliers (voire encore avoir ou non des gardes àrépétition5)… sont autant de facteurs favorisant ou limitant le stress au travail.

- Leurs capacités à filtrer, imposer les patients et à se reposer sur d’autresprofessionnels pour leurs accompagnements et celui de leurs proches (tris,décharges et/ou relégation de clients).

Autrement dit, au-delà des types d’exercice, bien vivre son travail, c’est non seulementpouvoir accéder à des conseils, des savoirs et/ou des relais techniques et pouvoir « secouvrir », mais aussi maîtriser l’afflux de clients afin 1. de limiter les risques d’erreursdiagnostics ; 2. d’approfondir une expertise reconnue et ainsi 3. de favoriser la captationde clientèle.

- Les ressentis des charges de travail étant in fine étroitement liés aux possibilités depouvoir refuser des patients éloignés de centres d’intérêts de chaque praticien et/ouleur faisant prendre trop de responsabilités.

D’où des pénibilités du travail jugées plus importantes chez l’ensemble des praticiens depremière (MG, urgences6) ou de dernière ligne (gériatries) – la médecine générale étantressentie comme l’exercice le plus périlleux. En effet, il démultiplie les risques de solitudeprofessionnelle, c’est-à-dire les risques de fautes professionnelles (hantise présente chez tousles médecins ou presque, et qui tendraient à augmenter avec l’arrivée de patients de plus enplus âgés dans les services) liés à une médecine non spécialisée et non hospitalière, synonymeen outre de sacrifice obligé à des clients-patients non triés (médecins prestataires deservices)7.

Constantes et paradoxes médicaux

- Les échanges interprofessionnels restent limités. En effet, outre des problèmesrécurrents de concurrence, de querelles individuelles (logiques de captation declientèle), et de conceptions des soins (césure entre la psychiatrie et la médecine), levéritable collaborateur tend à n’être envisagé qu’entre même niveau hiérarchique.De plus, il existe une relative méconnaissance des ressources extra-hospitalièreset/ou non médicales (ex. kinésithérapies). Enfin, le rapport toujours problématique àla mort reste source de nombreux stress médicaux, voire à l’origine de pratiques derelégations. Ainsi, les prises en charge complexes, particulièrement les fins de soinscuratifs, tendraient à se reporter in fine non seulement vers les libéraux, mais aussi

5 Comme aux Urgences ou dans certaines régions sous médicalisées (absence de médecins de ville), où seposerait douloureusement la multiplication des gardes et des laminations des temps de récupération.6 Saturation des services causée également par le détournement des urgences par les autres médecins : pourécourter les itinéraires de leurs clients, leur faire bénéficier de techniques performantes, pour ne pas prendre lerisque de passer à côté d’une vraie urgence, faute d’être parvenu à joindre d’autres médecins (indisponibles ouayant refusé de prendre leur patient dans les services).7 La médecine générale cumule l’ensemble des représentations négatives, ce qui limite sûrement les tentatives dere déploiement extra hospitaliers, et en particulier les volontés de faire des médecins généralistes des acteurs« pivots » (les hiérarchisations médicales les rendant en outre invisibles dans la chaîne des soins et descollaborateurs). Autrement dit, les médecins généralistes resteraient « les plus à plaindre », par opposition auxpraticiens exerçant dans des spécialités « qui rapportent ».

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vers les familles, – par ailleurs peu citées comme collaborateurs potentiels (commeles associations de patients), car toujours associées à des non-savoirs légitimes8.

- Le libre choix des lieux d’exercice, des types d’organisation du travail et despathologies semblent toujours primer (persistance d’une idéologie libérale), même sicela participe à l’amplification de déséquilibres régionaux. De plus, les enquêtéssemblent avoir non seulement des connaissances très partielles des réellesconditions de travail de leurs confrères (en dehors des réseaux amicaux-familiaux),mais peu de perceptions globales du système de santé. Ils tendraient à ne signalerses déficiences (voire à dénoncer des abus de confrères) que lorsqu’elles entraventdirectement leurs propres spécialisations (les enquêtés étant plus sensibles à ce quientrave leur développement local qu’aux problèmes de santé et de surcoûtsfinanciers).

Les doléances médicales : d’énormes besoins de réassurances

In fine, les nécessités de contrôles et de réductions budgétaires restent peu comprises(rejet traditionnel des contrôles du travail par des non-médecins et des procédures écriteséloignant les praticiens de leurs centres d’intérêts). Cependant, quelles que soient leursconditions de travail, les médecins rencontrés souffriraient surtout de sentiments d’abandon,c’est-à-dire d’un manque de communication avec les pouvoirs publics (politiques de santéparadoxales9, lenteur voire absence de réponses aux doléances, manque d’auto critique etd’explications des politiques, absence d’anticipation des besoins du 4ème âge). Les enquêtéssoulignent la méconnaissance des problèmes quotidiens des praticiens du terrain : lourdeurdes responsabilités diagnostiques, diversité des situations de travail, problèmes éthiques10.

8 Dans toutes les spécialités à l’exception de la psychiatrie, la gestion des familles est considérée comme la plusstressante car vécue comme une intrusion, particulièrement mal vécu en institution où les logiques de soinsmédicaux prévalent.9 Touchant des structures ou des services qui tendent justement à un moindre recours à l’hospitalisation etdrainent l’ensemble des problèmes de la société (psychiatrie, urgences).10 Ce qui participerait aussi à augmenter les effets de rumeurs (concernant les procès), d’anticipations (angoissessur crise médicale encore à venir) voire « les dérives d’une médecine défensive » (tendance observée aussi enlibéral) multipliant des investigations désagréables ou des interventions non dénuées de risques mais permettantau médecin de se rassurer (Froment, 2001).

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Introduction générale

Problématique

Par une approche comparative, inductive et compréhensive, ce travail vise à approfondir laconnaissance des perceptions du travail de médecins, en lien avec leurs types de clientèles etleurs types de relations professionnelles. En effet, si les perceptions sont liées aux contraintesréelles ou supposées des conditions et des organisations du travail, des enquêtes en scienceshumaines dévoilent également l’importance des aspects symboliques qui accompagnent letravail de soins (Goffman 1980, Jodelet 1989, Genest 1990, Godeau 1993, Pouchelle 1995,Fabre 1998, Le Grand Sébille 1999). Ces dimensions sont au fondement de hiérarchisationsdes pratiques11, de relégations entre professionnels de certaines tâches12 et de certains type declientèles13, plus ou moins bien acceptées. De plus, les professions soignantes sont desapprentissages denses et complexes de relation à l’Autre. Ils sont à l’origine de pratiques dedéfenses professionnelles (Vega 1995) contradictoires avec les idéaux initiaux, mais aussi desurinvestissements émotionnels (difficultés à poser des limites franches avec sa vie privée) etde pratiques d’individualisations du travail, « d’implication subjective dans l’activité »14. Déslors, les sentiments d’usure touchent les franges les moins valorisées des professionnels de lasanté (aidants15, paramédicaux, médecins généralistes16), exposés directement et/ou de façonrépétitive « au tout venant », à l’accompagnement de la mort et des souffrances depopulations de plus en plus âgées et/ou vulnérables (déjà difficilement assumés parl’ensemble de la société).

Autrement dit, dans ce secteur, les difficultés de collaboration17 et les sources de tensions –généralement reportées entre professionnels (Vega 2000) – sont nombreuses. D’autant quel’ensemble des professions de la santé est traversé par des crises de légitimités majeures(Aïach et Fassin 1994), à l’origine de nombreuses incompréhensions et de sentiments de neplus pouvoir maîtriser son travail. On peut citer pêle-mêle : l’apparition de nouveauxspécialistes, les nouveaux partages du pouvoir (augmentation des revendications despatients18, des contrôles du travail par les pouvoirs publics19) ; les logiques de fusions- 11 En milieu libéral comme dans les établissements de santé, le prestige des professionnels (para)médicaux estfonction du pouvoir de guérison et/ou de l’utilisation d’outils de travail « prestigieux », à l’origine de processusde différenciation entre sous-groupes (lieux et type d’exercice, spécialisations médicales, équipes, etc.) trèsprégnants dans les secteurs de la santé (Aïach et Fassin 1994, Vega 1997).12 Les soins de toilette par exemple (au centre des conflits et des négociations entre les professionnels au sein deséquipes paramédicales en institutions comme à domicile : Crochet 1992) soit « dégradantes » et/ou stigmatisées(Arborio 1995 et 2001), soit contagieuses (Vega 1999) soit encore simplement « banalisées » (Saillant 1993).13 Par exemple, l’exclusion des urgences et des personnes âgées, particulièrement dans les CHU notamment pourmaintenir des spécificités de pôle de recherche et d’enseignement (Froment, op.cit).14 Bouffartigue et Bouteiller, 2003 rapport intermédiaire post enquête Drees-Lest.15 Guberman N. et alii (1991), Lesemann F., Martin C. 1993.16 Jaisson 2002, Vega 2003-2004.17 À l’hôpital (Gonnet 1992) ou au sein d’équipes travaillant en réseau (D’Amour et alii 1999).18 Les clientèles sont plus informées (notamment par le canal de la presse ou d'Internet) et plus critiquesconcernant les traitements, la qualité et l’accessibilité des services. Outre le fait que les demandes en soins desanté soient en hausse, se développent des associations et droits des usagers, des groupes de défenses des droitsdes malades et de communautés spécifiques accroissant leur autonomie vis-à-vis du savoir biomédical et sescapacités « d'expertise ».19 Augmentant la gestion de tâches « bureaucratiques » traditionnellement considérées comme hors soins et« chronophages ».

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fermetures touchant désormais le monde de la santé comme le reste monde du travail20, ladésaffection des nouvelles générations (désirs de se consacrer davantage à des sphèrespersonnelles également non spécifiques aux professionnels de la santé).

En lien avec les professionnels de la santé déjà étudiés21, notre projet vise donc às’intéresser aux constantes (fondements identitaires) et aux variantes des constructionsidentitaires médicales (spécificités rapportées aux différentes modes d’exercices, axes dedifférenciations entre médecins) ; à partir de l’hypothèse suivante (posée après nos premiersentretiens) : la charge au travail ressentie par les médecins serait moins fonction des différentssecteurs d’activités (libéraux/salariés, établissements privé/public – voire privé lucratif/nonlucratif) – que de possibilités :

- de se construire des univers de sécurité collective (réseaux d’entre aide au travail,temps de « hors travail », etc.),

- intimement liés aux possibilités de partager et/ou de déléguer la prise en charge declientèles « hors des bonnes normes médicales et culturelles » (Vega 2001/4),

- donc également fonction des types de spécialité (officielle ou implicite) exercées.

En effet, aux regards de nos précédentes recherches, puis de l’exploitation du matérielrecueilli, nous avons été amenées à développer une approche critique et argumentée del’intérêt, mais aussi des limites d’une comparaison des conditions de travail entre médecinssalariés et libéraux22. C’est-à-dire de suggérer des ajustements, voire de nouveauxquestionnements dans la prochaine réédition de l’enquête, afin d’une meilleure adaptation auxprofils d’enquêtés médecins (et plus généralement soignants).

Sélection des enquêtés

Néanmoins, dans ce travail, il s’agissait d’abord d’aider à l’exploitation de l’enquêtegénérale de la Drees – l’analyse comparée des trajectoires et des lieux d’exercice d’unequinzaine de post enquêtés devant permettre d’arbitrer sur le maintien ou l'exclusion à venirdes médecins libéraux dans l’échantillon d’une future enquête. Nous avons donc travaillé àpartir d’un échantillon ciblé de médecins, en vue d’une analyse comparée entre 6 médecinslibéraux et 10 salariés (6 en établissements publics23/4 en établissements privés).

Plus précisément, nous avons choisi des praticiens non-chirurgiens (ayant peu été objetsd’études qualitatives récentes), ayant des statuts, des lieux d’exercices diversifiés, de tousâges et des deux sexes, mais ayant a priori une activité d’orientation dite généraliste24.

20 À ce sujet : Vega et Pouchelle (1999).21 L’étude la plus récente porte sur le travail quotidien de médecin libéraux en région PACA, à partir d’entretienset d’observations (ANAES-bourse privée post doctorale Fyssen, 2002-2003).22 Autrement dit, il s’est agit « de rendre compte de la conscience qu’a le groupe de son unité, et de restituer lafluidité de la réalité aux frontières arbitrairement rigides » (Cresswell, 1994 : 82).23 Dont un médecin du travail, dont nous savons par expérience qu’ils ont un regard « extérieur de l’intérieur »particulièrement intéressant au regard du thème de l’enquête.24 Hormis les n° 4915 et 3862.

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numpost Lieu d’exercice Type d’exercice principal age sexe Libellé strate Spécialités avérées25

1512 Île-de-France CHU 49 2 Salariée public Gériatrie4885 Picardie Polyclinique 48 1 Autres Gastro-entérologie4915 Rhône-Alpes Clinique 44 2 Autres Cardiologie3862 Pays de la Loire Hôpital général 37 1 Salarié public Pneumologie4184 Rhône-Alpes Centre hospitalier 37 1 Salarié pri nl Urgences1893 Auvergne Centre hospitalier 34 2 Salariée pri nl Gériatrie4964 Pays de la Loire Cabinet 52 1 Autres Gastro-entérologie4960 PACA Clinique et cabinet 44 1 Autres Gastro-entérologie2923 Midi-Pyrénées Centre hospitalier 42 2 Salariée privé MG, Urgences0007 Île-de-France Hôpital de jour 62 1 Salarié public Psychiatrie4775 PACA Centre hospitalier 48 1 Autres Urgences

4438 Picardie Centre hospitalier 35 1 Salarié public SAMU-SMUR4351 Alsace Centre Hospitalier 48 1 Salarié public Gastro-entérologie3047 Auvergne Hôpital 43 1 Salarié pri nl Psychiatrie4912 Rhône-Alpes Cabinet 50 1 Autres Psychiatrie4496 PACA Hôpitaux AP 1 Salarié public Méd du travail

En effet, suite à nos précédentes recherches, nous avons cherché à reconstruire « un groupetémoin »26 susceptible de révéler des paradoxes moins visibles dans d’autres spécialités27,c’est-à-dire de dévoiler des problématiques posées à l’ensemble du système de santé. Carcomprenant des médecins a priori :

- En position d’intermédiaires, de pivots (entre les services hospitaliers, les réseauxville/hôpital), donc témoins de dysfonctionnements du système de santé (contradictionsdes prises en charge et suivis de l’état de santé des patients) ;

- Au cœur des évolutions des rapports soignants-patients et proches, mais placés en basdes hiérarchies médicales de prestige (valorisation des activités techniques etscientifiques/activités de soins à dominante relationnelle type psychiatrie ou médecinegénérale) et/ou en lien avec des clientèles peu médicalisables, voire « hors normes »dites « difficiles »28 ;

- Autrement dit, les post-enquêtés étaient a priori au cœur de la question du lien socialdans nos sociétés (Gagnon et Saillant 2000, Sarradon 2002), mais aussi de ses limites(Peneff 2000, Vega 2002-2003), amenés quotidiennement à engager leursresponsabilités professionnelles sur des dimensions de la médecine presque toujoursmarginalisées dans leurs formations initiales (Good 1998, Blais 1996).

Ainsi avec l’augmentation de l’espérance de vie, les professionnels libéraux, comme ceuxtravaillant aux urgences et en gériatrie sont particulièrement confrontés à au moins deux

25 L’ensemble des données de la post-enquête, bien que corrigées et réactualisées demeurent incomplètes : non-dit des informateurs, choix de l’enquêteur de préserver leur anonymat, changements survenus depuis l’enquête.26 Ensemble social qui peut servir de bases de référence pour des recherches plus extensives. Le groupe témoinvarie selon les thèmes de l’enquête et relève d’échelles diverses, bien que toujours réduites (Olivier De Sardan1995, p.99) et ne visant pas à la constitution d’un échantillon représentatif.27 Ainsi, être soignant dans les services des urgences, comme dans les cabinets de médecine générale, impliqueparticulièrement des capacités de prise en charge rapide et appropriée de personnes dans des situations socialeset psychologiques très hétérogènes (« tout venant »), ce qui rend les hiérarchisations des soins plus évidentes.28 D’ou également notre choix de la gastro-entérologie, compte-tenu de l’importance des stigmatisations dessymptômes assimilés à l’alcoolisme chez la plupart des professionnels (Le Grand Sébille 1999), et desconfrontations à la fin de vie (Cattan 2004).

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générations (parents et enfants âgés) « vulnérables », souffrant des conséquences du grand âge(sans références d’aide familiale, ni repères culturels puisque le phénomène est inédit) :multiplication des handicaps (vue, locomotion), des maladies chroniques et concomitantes, etdes problèmes de santé mentale (dépression, épuisement, trouble de l’adaptation, relations decouples et filiales tendues). À ceci s’ajoute la prise en charge de certaines maladies (Sida,hépatite, toxicomanie), complexifiant les décisions médicales d’autant que certaines d’entre-elles sont « sociales » (concentrées dans des zones sub-urbaines notamment chez les groupesd’origine culturelle différenciée).

Grille d’entretien

Pour faciliter les échanges, nous avons utilisé une grille d’entretien déjà expérimentée lorsde nos recherches portant sur les professionnels libéraux, développant les questions del’enquête nationale jugées cruciales, car relatives à l’organisation et aux temps de travail,aux coopérations professionnelles et aux relations soignant/soignés (n° 24-25-26,28, 32, 39-40, 46, 53, 59, 68-69-70,75,85).

Cependant, afin de créer une situation d’écoute telle que l’informateur et le chercheurpuissent disposer d’une liberté de propos et ne soient pas en situation d’interrogatoire, lesentretiens ont cherché à se rapprocher le plus possible d’une conversation ouverte29.Autrement dit, le canevas d’entretien (voir ci-dessous) a été adapté à chacun des post-enquêtés, afin de découvrir également les centres d’intérêts, préoccupations, opinions,ressentis qui n’auraient pas été pris en compte dans le questionnaire initial.

De plus, notre grille d’entretien avait un préalable : recueillir des informations portant surles motivations et les trajectoires de chaque professionnel (voire sur l’histoire du lieud’exercice), afin d’appréhender l’ensemble des facteurs de construction des identitésprofessionnelles et in fine les atouts et difficultés rapportés au travail : avec les mêmesdiplômes, qu’est-ce qui conduit des médecins à exercer de préférence en milieu libéral, enmilieu institutionnel, et plutôt en public ou en privé (et dans tel ou tel établissement enparticulier) ?

Nos entretiens ont été ensuite construits à partir de trois axes thématiques, et de façonchronologique, afin d’alimenter les échanges :

1. La question des rythmes de travail permet d’aborder à la fois des problèmes quotidienstrès concrets et les multiples facettes des identités (activités plus ou moins prisées etlégitimes) : Quelles sont les principales difficultés d’organisation au quotidien ? Quelle estl’importance du travail administratif ? Comment s’organisent les pauses de travail et jours derepos ?30 Quels sont les ressentis concernant les nouvelles orientations des soins (PSI,« réseaux de soins », RTT) ?

2. Le type de relations nouées avec les autres professionnels. Comment les enquêtésparlent-ils de leurs collaborations professionnelles ? Sur quels types d’échanges sont-ellesfondées ? Qu’est-ce qui facilite ou entrave les relations ? 29 Olivier De Sardan, op.cit : 82. D’autant que certains moments « féconds » ne se recueillent que de façoninformelle (O. Schwartz, op.cit).30 Vega 2001/3.

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3. Les discours sur les clients. Quelles sont les types de clientèles et les pathologies les plusvalorisantes ? Quels sont les ressentis quant à l’évolution des attentes (supposées) despatients ? Dans quelle mesure retrouve-t-on les mêmes catégorisations chez les hospitaliers etles libéraux ? (ex : « bobologie », « psy », « cas sociaux », « grabataires », « fausse urgence »etc.)31.

Canevas des entretiens

Passé

Parcours professionnel : motivation de départ, formation initialeSouvenirs particuliers des études, des stages Choix de la spécialisationAdéquation formation/ type (s) d’exercice(s)Difficultés en débuts d’exerciceChoix du lieu et du (des) type(s) d’exercice(s)Atouts-difficultés rapportées aux lieux-types d’exercice

Présent

Types de clientèles (âge, pathologie, attentes)Spécificités dans les profils – lien avec le type-lieu d’exercice (ex : hôpital/cabinet,rural/urbain, etc.)Problèmes de prises en charges particuliers (ex : nouvelles attentes etc.)Organisation des journées de travail (ex. consultation/visites, travail administratif/soins,réunions, formations), des repos, pauses de travailPériodes de surcharge de travailTravail avec d’autres professionnels, types de relationsNotion du bon collaborateur

Avenir

Principales difficultés au quotidien, à venirAspect prioritaire à améliorer (dans le travail quotidien et/ou dans le système de santé)Principal changement (positif ou négatif) depuis le début d’exerciceDifférences dans le travail selon médecins (ex : générations, spécialisations, etc.)Questionnaire initial de la Drees (souvenirs, questions jugées importantes, gênes,améliorations, etc.).

31 De quelle façon dont les praticiens abordent, repèrent des différences, sont-elles ou non stigmatisées(Hoffmann 1974, Goffman 1975, Jeffery 1979, Clément 1999) ? Retrouve-t-on dans les discours des enquêtésdes perceptions insécurisantes de groupes dits « vulnérables » ou « dépendants » (pauvreté, handicap, genre, âge,maladie stigmatisante) ?

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Déroulement de l’enquête

Après des contacts téléphoniques répétés, et le refus de deux médecins gastro-entérologues(« surbookés», « indisponible » pour des études « redondantes »), les enquêtés ont étérencontrés sur leurs lieux de travail afin d’affiner le recueil de données (sauf un médecinurgentiste en raison de l’absence de local « calme ») d’1/2 heures à une journée32, entrejanvier et juillet 2004. Une minorité de médecins a été déconcertée par les premièresquestions de la post enquête concernant les parcours et motivations (questionspersonnalisées), voire par les liens avec l’enquête initiale : « ce qui m’intrigue c’est que lequestionnaire insistait plus sur l’intérêt et l’application de la RTT, et là j’ai l’impression quec’est plus un profil de carrière ». Nous avons retranscrit l’intégralité des entretiens, au termedesquels les enquêtés ont souvent demandé s’ils allaient également être conduits auprès deconfrères locaux (si certains nous ont poussés à le faire, la plupart semblaient soulagés par laré-assurance d’anonymat et l’absence de visées monographiques de la post-enquête).

Le questionnaire national a suscité toute une gamme de ressentis :

- « C’était court (positif), par téléphone, sinon je sais plus », « c’était par téléphone, çac’est bien passé, c’était à peu près les mêmes choses que vous ».

- « J’ai oublié le contenu, y’avait plein de questions, oui, y’en avait partout, je m’ensouviens plus (…). Ah bon, j’ai coché que je voulais être recontactée ? (…) J’ai essayéd’être assez honnête », « je me souviens plus du questionnaire, est-ce que j’ai répondupareil ? ».

De nombreux enquêtés ont demandé pourquoi ils avaient été sélectionnés, certains ontcritiqué la validité de l’échantillonnage de la post-enquête33, d’autres ont eu peur de donnerdes réponses différentes du questionnaire initial (ayant oublié leurs réponses malgré lesexplications de l’enquêteur), d’autres encore le critiquant ouvertement :

- « Le questionnaire était extrêmement superficiel et uniquement factuel, du type :combien de lits34, etc. (…). Et puis tout dépend du statisticien, il va sortir un certainnombre de présupposés, de causes qui ne sont pas forcément exactes, c’est souventabsurde ». « Je n’ai aucun souvenir du questionnaire et le temps qu’il dépouille encoretout ça, il sera trop tard, et puis je ne crois pas aux études », « je n’ai aucune attente,déjà le questionnaire était un non-sens »35.

Inversement, des enquêtés bien que n’ayant pas plus de souvenirs du questionnaire initialont demandé des retours (courrier ou face à face), et/ou ont exprimé un contentement :

32 Deux médecins n’avaient pas reçu les lettres du ministère, dont une urgentiste déjà particulièrement choquéesuite à la venue d’une équipe de journalistes ayant filmé sans demander d’autorisation (ni aux médecins ni auxpatients).33 Peu coutumiers des méthodes d’enquêtes qualitatives privilégiant un nombre d’enquêtés limité.34 Ce type de question n’était en fait pas posé.35 Pour information, ce médecin m’a dit en partant : « il ne faut ni faire ethnologue, ni médecin maisstatisticien ».

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- C’est bien d’aller voir directement les gens36, vous leur direz qu’ici… », « c’estintéressant comme enquête », « ça m’a fait plaisir de parler, ça fait avancer», « onavait bien discuté, vous en êtes où ? ».

Présentation du travail

La post-enquête ayant livré un matériel très abondant, nous présentons d’abord longuementles atouts et problèmes rapportés aux différents types d’exercice. Ils révèlent un continuum deperceptions dépassant les oppositions entre médecins salariés et libéraux (travaillant dans lesétablissements de santé), entre établissements publics et privés, et comprenant aussi l’exercicehors établissements. Ainsi, les catégories d’identifications médicales resteraient plutôtfondées sur des hiérarchisations de savoirs selon les spécialisations (officielles et implicites)de chaque praticien et rapportées aux types de clientèles soignées. Le collaborateur tendraitalors à n’être envisagé qu’entre même niveau hiérarchique, et départagerait les médecins quipeuvent rapidement obtenir l’avis de collègues spécialistes, refuser et imposer des patients –de l’ensemble des praticiens de première ou de dernière ligne qui sont non seulementconfrontés au « tout venant » et à la complexité des maux plus difficilement médicalisables,mais qui risquent de « perdre la face », de « déranger » ou d’être éconduits par leurs pairs.

Les contextes locaux (offre de soins, rural/urbain) étant un amplificateur de degrés decontraintes et d’autonomies au travail (ex : usure voire vécu négatif d’être obligé de prendretous les patients dans les régions sous médicalisées), les enjeux de conflits et d’alliances –entre individus, établissements, avec les médecins de ville, entre villes etc – pour le partagedes clients.

Cependant, des logiques libérales communes pousseraient l’ensemble des médecinsenquêtés à être reconnus comme expert (territoire délimité et exclusif, tri de clientèle) et àconsolider tout au long de leurs carrières des réseaux (formels ou non). Ces derniers assurentnon seulement les envois et retours des patients, mais des besoins de réassurancesprofessionnelles peu dévoilés aux néophytes (limites des savoirs, difficultés des décisionssolitaires, questionnements d’ordre éthique) et qui tendraient à augmenter avec l’arrivée depatients de plus en plus âgés dans les services.

Au travers de ressentis (et d’anticipations) d’une hausse généralisée de la charge de travailréamorçant l’angoisse de la faute professionnelle, apparaissent également des sentimentscommuns d’une perte de pouvoir, reliée à l’imposition de normes administratives,particulièrement décriée chez les médecins âgés, et/ou à l’irruption intempestive des affectsdes patients et des proches dans le travail quotidien (en dehors des médecins psychiatres).Autant de préoccupations partagées par des paramédicaux, présentées dans le second chapitre,évoquées spontanément par les enquêtés, et qui pourraient donc être développées dans leprochain questionnaire national.

Le troisième chapitre présente des paradoxes relevés dans les discours des enquêtés – enparticulier sur le temps de travail –, mais aussi les effets paradoxaux de certaines politiques desanté selon le point de vue des enquêtés et de deux autres anthropologues (annexes 1 et 2) :

36 Le fait de se déplacer étant souvent source d’étonnement (ex. « vous êtes bien courageuse à vous déplacercomme ça, il faut avoir la foi »).

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outre la confirmation des effets « pervers » de l’accréditation ou de logiques de fusionsd’établissements en particulier sur les personnels paramédicaux, il y a des besoins urgents depersonnels dans des structures pourtant plébiscitées par les usagers (urgences, centrepsychiatrique de proximité), ou attendues par l’ensemble du corps social (gériatrie, recoursextra hospitalier souffrant déjà d’invisibilité au sein des hôpitaux publics).

Enquêtés qui, pour conclure, seraient en attente d’une plus grande transparence sur lespolitiques en cours et à venir, et de nouvelles règles de conduite : jusqu’où et commentsoigner le 4ème âge ?

Note préliminaire

Il nous semble important de garder un large panel de médecins lors de la prochaine enquêtenationale (continuum des perceptions du travail, des ressentis de la « crise médicale »), dontla variété permet en outre de mieux cerner des éléments identitaires communs. Ainsi, suite àdes erreurs dans les libellés fournis, nous avons été amenés à rencontrer des médecinscardiologue et pneumologue, travaillant dans des spécialités « nanties » souvent opposées àl’exercice de la médecine générale, ce qui nous a permis de compléter nos hypothèses detravail (l’incidence majeure des types de patients traités dans les ressentis au travail).

Cependant la grande majorité des enquêtés ayant oublié le contenu du questionnaire initial,ils nous ont placé dans une position de journaliste-consultant en interface avec le ministère,afin de faire remonter des problèmes généraux (d’où l’importance des doléances37), et/oulocaux (espoirs de survie, d’amélioration ou de création de structures, besoins en terme demoyens et de personnel etc.). Ce qui explique également la part importante des témoignagesvalorisant ou dévalorisant de tel ou type de travail38, et notre utilisation du conditionnel à denombreuses reprises dans ce rapport final, – qui est en outre une phase ethnographique dutravail. Nous présentons donc une photographie de ressentis médicaux, une tentative dedéconstruction des identités médicales, que seul un travail comparatif avec les autres (post)enquêtes, et en faisant varier les méthodes (entretiens et observations) pourra valider39.

Enfin, suite à la polysémie des termes « hôpital », « libéral » dans les discours desenquêtés, nous avons apporté des précisions dans les discours, tout en utilisant lesabréviations MS : médecin spécialiste (hospitalier ou travaillant en cabinet), et MG : médecingénéraliste. Concernant ces derniers, dans un souci de clarté, nous avons mis en notes lesdiscours et pratiques communs avec notre travail pour l’ANAES-Fondation Fyssen,concernant aussi des paramédicaux libéraux (infirmières et kinésithérapeutes exerçant enrégion PACA). Des introductions et conclusions synthétiques, des passages écrits en gras ousoulignés permettent une lecture diagonale du document de travail.

37 Par exemple du type de ceux du Canard enchaîné (Les dossiers du Canard - Hôpital on est mal, 87, avril2003).38 Laissés dans ce rapport, parce qu’ils expriment des ressentis à prendre en considération, dévoilent lesidéologies, les opinions qui travaillent les professionnels (et qui peuvent en outre ainsi être réinterprétés par lelecteur).39 Nous n’avons pas encore exploité à cet égard les documents fournis par la Drees (Études et Résultats).

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1. La constance des identités médicales : spécialisations ethiérarchisations du travail

Les réponses aux deux premières questions principales (motivations et parcoursprofessionnels, atouts et problèmes rapportés aux différents modes d’exercice salarié/libéral)font apparaître des expériences et des perceptions communes, dépassant le libellé des stratesprofessionnelles.

En effet, la plupart des enquêtes soit envisagent ou ont déjà réalisé des changementsd’exercice (établissements privé/public), soit ont des exercices mixtes salariat/libéral (« on estcomplètement ou pas, plus ou moins hospitalier ou libéral (cabinet) »)40. Les frontières sontbrouillées par l’existence de clientèles privées dans les hôpitaux publics, mais aussi parl’existence de petites structures autonomes décentrées géographiquement des établissements(assimilés parfois à des exercices « extra hospitalier »), par des expériences de collaborationde salariés du public avec des praticiens exerçant en cliniques privées et/ou cabinets, et parcelles des nouvelles maisons médicales (reconstruction d’une organisation de typehospitalière).

La post enquête tend alors à démontrer les limites de la comparaison initialesalariés/libéraux hospitaliers. Comme en témoignent les fondements des parcours (ci-dessous) et les modalités des relations professionnelles (1.3), les médecins se différencieraient– et appréhenderaient leur travail respectif – selon des degrés :

- de maîtrise du Savoir médical (prestige du CHU>hôpital général) et de proximité desgrands centres hospitaliers (régions surmédicalisées>sous médicalisées) ;

- d’autonomies et de responsabilités (établissements privés>publics, cabinet>exercicehospitalier) ;

- de possibilités de tri des clientèles (médecine de spécialités elles-mêmeshiérarchisée>MG).

La présentation de trois catégories duelles d’identification et de différenciation –complexes car imbriquées et mouvantes –, est donc l’objet d’un important développement(1.1 et 1.2), dans l’objectif de cerner à la fois les césures des identités médicales et leursfondements communs (aspirations et hantises), pour une meilleure compréhension desdiscours sur « la crise » (chapitre 2) et leurs paradoxes (chapitre 3).

Qu’est-ce qui amène les médecins à exercer dans tels ou tels type d’établissements ?

Dans un premier temps, de multiples facteurs d’ordre personnels et professionnels ontamené les enquêtés à exercer assez indifféremment à l’hôpital public (nl), en clinique (et/ou àchoisir des exercices en cabinet). Les choix d’installation et/ ou de changements sont liés à :

40 Il serait alors peut-être intéressant dans une prochaine réédition du questionnaire d’interroger les médecins surleurs multiples expériences de travail, au moins lors des stages et remplacements (voir 1.2) – les exercices mixtesétant peu parlés par les salariés du public en raison des accusations d’utilisation de filières de recrutement « deprivés » dans des services.

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- des « obligations », ou des « facilités » familiales (en particulier chez les femmes :suivi de conjoints, poste(s) permettant de « s’occuper des enfants »). Les enquêtésayant alors recherché des horaires de travail « assez souples », une proximitégéographique travail/habitat. Les enquêtés appartenant aux nouvelles générationsaspirant plus globalement à une « qualité de vie », un « confort » (services)41, notionségalement reliées aux possibilités de ne pas cumuler les gardes, de travailler dans sarégion d’origine, dans son hôpital de formation initiale (ancrage, connaissance desautres médecins) ;

- des « nécessités », des « besoins » financiers induisant de nombreux changementset/ou d’attraits pour des exercices mixtes.

En effet, le choix du salariat permet de s’assurer de « revenus réguliers », mais lesmédecins exerçant en clinique valorisent le fait d’avoir des revenus donc des statutssupérieurs au public (« dans le privé (les cliniques), ça travaille autant mais pour plusd’argent. Donc il reste dans le privé des gens qui gagnent plus d’argent, mais qui ont encorepeut-être quand même une considération pour le métier »)42. Les installations « en ville »permettant également de « nourrir sa famille »43.

Mais tout dépend des spécialités, des lieux d’exercice et des étapes professionnelles : « endébut de carrière, une activité libérale, c’est intéressant avec un salaire modéré pour avoirune meilleure retraite » (salarié du public). Les retours de professionnels libéraux (cabinets)en fin de carrière en hôpital public étant motivés par le fait d’avoir une « garantie deretraite », « être couvert par la SÉCU »44, voire par le fait d’échapper à des entraves quiseraient plus prononcées dans le travail (« dans le privé, y’a plus de contrôles des tutelles »Salariée du public ayant un exercice ponctuel en établissement privé, « le privé avec en plusles charges à côté, c’est de la folie, c’est très peu lucratif, il faut vraiment aimer ça », « lescharges sociales, les impôts freinent le travail en association » (libéraux).

De plus, les grades des médecins entrent en jeu : « l’assistanat (hôpital public), c’étaitintéressant mais précaire, l’équivalent d’un CDD, alors je suis allée dans le privé (nl) ».

Le tout dépendant enfin de projections personnelles (« mon optique c’était : je reste 2 anscomme assistant dans un service pour mettre un peu d’argent de côté, – car à la base jevoulais rester quand même MG et heu continuer à prendre des gardes (relance). Parce qu’enSAMU-SMUR ça marche par gardes et je faisais beaucoup de sport : on avait 2-3-4-5 joursd’affilés, mais en contrepartie, on avait 2-3-4 jours de liberté que je passais à la mer(sourire) » (salarié du public), voire de représentations du travail. Ainsi, les choix des salariésdu public de ne pas exercer en cabinet sont moins un refus des contrôles et des « charges

41 Développée chapitre 3, 3.1.42 Il faut noter parmi les sentiments d’injustices exprimés, les salaires moindres des médecins travaillant dans desétablissements à but non lucratifs par rapport aux salariés publics.43 Discours présents aussi chez les infirmières libérales. À noter cependant des difficultés pour les femmes seulesd’exercice à mi-temps en cabinet « peu lucratif » (médecin hospitalier).44 Idem.

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administratives » (« finalement ça c’est partout », « maintenant que j’en suis à la gestion duservice, y’a peut-être moins de financier qu’en cabinet mais peut-être plus d’administratif,avec une kyrielle de réunions administratives45 », « en privé ils ont aussi des secrétariatstéléphoniques ou physiques, c’est pas un problème ») que par le refus ou l’impossibilitéd’assumer une gestion commerciale46, souvent stigmatisée.

« Bon c’est vrai qu’il a toutes les questions de comptabilité, de secrétariats, – mais commej’avais un enfant, je voulais absolument être salariée, avoir quelque chose de plus solidequoi. Et puis vraiment, j’ai jamais envisagé de m’installer en tant que MG car c’est très lourdla gestion d’un cabinet, je m’en sentais pas la capacité, des emprunts de folies et travailler20 ans pour les rembourser (…) je suis pas une grande gestionnaire », « j’aurai pas eubeaucoup de clients, j’aurai pas fait fortune, déjà je ne donnais pas d’antibiotiques pour lesrhumes viraux et les clients allaient chez le confrère ! (…). Moi le contact avec l’argent, enlibéral, il faut gagner sa vie, c’est comme ça – mais moi je préfère un salaire qui tombe à lafin de chaque mois ! – et puis comme externe, on n’est pas habitué, pas formé à : on faitpayer, faut qu’on rembourse l’emprunt de l’installation, chaque patient me remboursel’emprunt NON, je ne peux pas, c’est pas mon tempérament ! », « je ne voulais pas avoir àfaire de gestion financière, pécuniaire, – ça je pense que ça a été un élément important dansle choix : ne serait-ce que pas avoir d’emprunt sur un cabinet et puis d’avoir une obligationde rentabilité ».

À cet égard, les professionnels exerçant en clinique pâtiraient d’une image encore négativedans les hôpitaux publics (médecins désintéressés/ marchands au centre des discours de tousles enquêtés).

« Ici ça ressemble à un hôpital oui – en plus on essaye d’être dans la qualité – au niveau despersonnels infirmiers47, de l’accréditation. On a dit beaucoup de mal du privé mais je pensequ’il y a un souci de qualité, qui a vraiment augmenté – et qu’on sous estime à l’hôpitalpublic. Moi quand j’étais à l’hôpital on disait : « oui ils font de l’alimentaire » – voilà bon,c’est sûr qu’on va mieux gagner notre vie que dans le public, mais ça veut pas dire qu’on vaforcément ni travailler mal, ni faire forcément des examens – enfin après c’est affaire de

45 À noter d’ailleurs que se sont les (futurs) chefs de services, les Seniors qui ont le plus critiqué le temps passé àl’administration au dépend de la clinique (risque de devenir des cadres administratifs comme les cadresinfirmiers), et ce d’autant que ce temps était non rémunéré (hôpital général/CHU) : « C’est une charge de travailqui est assez lourde et qui est en plus absolument pas reconnue ! On n’a aucune compensation en terme detemps médical, et on n’a pas de compensations financières. C’est un travail qui se fait en plus du reste : parexemple, toutes les consultations que j’avais hier ont été annulées par une réunion et pis bin on les a casées oùon pouvait ailleurs, et comme le planning se fait à 3 mois – on met 3 mois à avoir une consultation- donc on lesa casés où l’on pouvait, dans les places d’urgences, à droite à gauche (…) La chefferie c’est un tas depaperasses qui déferlent tous les jours – pour les statistiques, des notes de services, des notes administratives,pour verser ça, pour gagner des si…La chefferie est la patate chaude des hôpitaux généraux – en CHU y’acertainement encore une place un peu valorisée parce que c’est attaché à un statut hospitalier peut-être plushonorifique – en hôpital général, c’est surtout attaché à une surcharge administrative : y’a pas beaucoupd’intérêt ni honorifique, ni financier, et y’a beaucoup d’inconvénients en terme de charge de travail, – qui se faitau dépend du malade, ou heu de mes week-ends » (salarié du public).46 Problème évoqué également par les médecins et les paramédicaux exerçant en cabinet (manque de formation àla gestion).47 À noter que parmi les médecins interviewés, les problèmes posés aux personnels paramédicaux n’ont pas étéévoqués spontanément (voir 1.3 et chapitre 3).

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responsabilités – à l’hôpital, vous voyez aussi des choses qui sont pas…chacun estresponsable » (clinique).

- Cependant, chez tous les enquêtés, les maîtres mots restent au départ« l’opportunité », « le hasard » de la connaissance d’un poste (via un ancien supérieurhiérarchique, un collègue de travail et/ou au gré de remplacements).

- Puis, en cours de carrière, les « intérêts » professionnels semblent primer (intérêtd’ordre personnel48, entretien d’une ancienne compétence, développement de saspécialité49, ou mieux création d’une nouvelle spécialisation, d’une nouvellestructure50).

Ainsi, si les enquêtés travaillant en clinique et/ou en cabinet expriment plus volontiers deslogiques de (sous) spécialisations (officielles et officieuses), ces dernières sont égalementprésentes et vantées à l’hôpital public, car il s’agit d’une des aspirations communes àl’ensemble de la profession médicale.

« Alors là, nous, on est en groupe, moi plus spécialement je fais des échographies et monautre associé clinicien – qui est comme moi au chevet des malades, il met des piles aussi,donc on a chacun un peu notre spécificité. Les autres sont plombiers heu…des dilatateurs »(clinique). « Finalement ici, c’est comme un hôpital : M. c’est la gériatrie, C. Les femmes, lagynécologie, et X. c’est les enfants, la pédiatrie, et aussi les psy cognés » (secrétaire decabinet de médecins généralistes51). « Le travail, ça dépend du médecin, de chaquebonhomme : moi par exemple, je fais pas de chimio – ça dépend aussi de la localisation, del’environnement médical – ça dépend de plein de facteurs » (médecin ayant un doubleexercice cabinet/clinique).

« Travailler en milieu hospitalier, ça me permet toujours de faire un peu de MG que j’aimetoujours, c’est vrai qu’il m’arrive aussi d’utiliser aussi un peu mes compétences de dermato,– des petits trucs quand les dermato sont un peu débordés ici, donc ça simplifie les choses –en cabinet je pense qu’on aurait moins le droit, ça n’irait pas parce que c’est un exerciceexclusif alors qu’en milieu hospitalier, on a une compétence un peu tout venant, de médecinepolyvalente, interne ou générale – on appelle ça comme on veut – (…) et puis alors, moi j’ai,je draine un peu les enfants pour des raisons un peu historiques, enfin c’est un peu unehabitude du service, locale, et accessoirement j’ai fait aussi un peu de pédiatrie (ton tout bas),j’ai fait une formation non validante (…). Et ici je fais aussi des vaccinations pour lestouristes, ça change un peu (salarié public).

De même, si l’ensemble des professionnels du secteur privé exprime plus volontiers lasatisfaction d’un travail libéré des contraintes hiérarchiques (« On n’est pas dépendant d’unpatron, d’une hiérarchie, on fait ce qu’on a envie, dans le cadre de notre spécialisation 48 Ex : « Je suis maintenant ici (en cabinet) car je trouvais que l’hôpital (public) se sclérosait un peu, et jem’intéressais à la psychanalyse ».49 Ex. « Disons que les lits, on les gagne au travail quoi : l’intérêt c’est d’avoir beaucoup de clients, si vous avezbeaucoup de clients, bin vous allez commencer avec tant de lits – si votre spécialité rapporte aussi,–- on vous endonnera plus facilement aussi, c’est clair. Heu et puis après il faut que vous poussiez des coudes les autresfinalement si vous voulez grandir vous…Mais ça c’est aussi dans le public » (clinique).50 Ex. « Ici les neurologues ont des lits bourgeonnant d’un service, ça va pour eux » (salarié du public), alliancesprivé/public (voir 1.3).51 Extrait de l’enquête ANAES-Fyssen.

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évidemment, on a donc une liberté d’actions que je recherchais » cabinet/clinique),l’autonomie dans le travail est également présente dans le public, en particulier suite àl’éloignement géographique de médecins avec leurs chefs de services et notamment en secteurpsychiatrique (organisation sectorisée). Les petites unités avec des lits d’hospitalisation étantalors assimilées sinon à un travail « extra hospitalier », au moins présentées par oppositionaux grandes structures (valorisation d’autonomisation des façons de travailler avec lespatients, de formations spécifiques des personnels).

***Ce chapitre tend alors à montrer combien les parcours médicaux semblent guidés par la

recherche non seulement d’une spécialisation mais d’une autonomisation de leur travail(logique de « libéralisme médical » plus ou moins réalisable partout, amenant les enquêtés àtrouver des bénéfices – expérimentés ou supposés – aux différents modes d’exercices). Cesdeux traits étant exprimés plus facilement par les libéraux (cliniques et cabinets), il noussemble alors d’autant moins pertinent de les écarter du questionnaire.

1.1 Atouts et problèmes rapportés aux différents modes d’exercice

Cette question de la post enquête fait apparaître un premier couple d’oppositionfondamentale (A) pour comprendre les ressentis des enquêtés : établissementspublics/exercices privés (clinique et cabinet).

A. Établissements publics / exercices privés

Avantages du secteur public/désavantages du secteur privé

1. Travailler avec le Savoir : « je ne sais pas si vous pouvez l’écrire, mais l’hôpital(public) c’est là que tout se passe » (médecin gérontologue, salariée du public,exercice principal en CHU).

L’hôpital désigne d’abord le CHU, et reste pour tous les enquêtés le berceau de laformation initiale52 et d’échanges professionnels prolongés par des possibilités de recherches« scientifiques », de formations continues et lors des « congrès internationaux » « aux côtésde grands professeurs ». Le CHU est alors l’assurance « de se former un petit peu sur le tasen permanence », « parce en plus il y a des choses qui changent – des traitements réputésefficaces et puis plus –, et c’est important cette formation permanente, ça fait sédiment àl’hôpital » (salariés du public).

2. Travailler avec des techniques de pointes, des plateaux techniques (type Scanner,IRM, matériel fibroscopique-endoscopique, nouvelles technologies numériques desradiologies etc.).

Ces deux atouts de prestige sont donc également cités parmi les motifs de choixd’installation, surtout dans les spécialités dites « techniques ».

52 Médecine « de cours » ou « scolaire » + stages d’internat dits « formation clinique » = « médecine classique »(base des apprentissages).

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« …Et en plus ici y’avait un plateau technique déjà très important, donc ça permettait defaire une médecine, la cardiologie similaire à celle de l’hôpital (public), donc sur le planprofessionnel c’était plus intéressant aussi » (cardiologue, clinique), « c’est mieux detravailler avec des équipes hospitalières (publiques), l’environnement, pour exercer danscette spécialité » (gastro-entérologue, salarié du public).

Et le principal motif pour maintenir sinon des doubles exercices, au moins un ancrage àl’hôpital chez les libéraux (selon l’idée répandue chez les hospitaliers que les meilleursd’entres eux continuent à se former à l’hôpital).

Par opposition, l’ensemble des professionnels du secteur privé exprime des difficultésau travail rapportées à la nécessité de s’investir financièrement, tout en étant limité dansles investissements en matériel.

« Les structures publiques peuvent se permettre d’acheter des techniques coûteuses, pasnous », « on est limité dans nos actions par l’aspect financier au sein de la clinique, qui faitqu’on ne peut pas faire n’importe quoi, qu’il y a des actes qu’on aimerait bien réaliser, on nepeut pas parce que tout simplement ça coûte trop cher. Autant le privé ne peut pas sepermettre de pertes sèches, autant le public se le permet, et ça c’est complètementdommageable pour tout le monde » (libéraux).

L’offre de soins locale étant alors toujours un paramètre important en terme de temps detravail : « c’est sûr que dans une grande ville le regroupement de plusieurs spécialistes (de laspécialité) va leur permettre d’investir dans du matériel performant à un coût moinsimportant, donc nous pour faire face à la difficulté, ça nous oblige à devoir travaillerbeaucoup, pour avoir la possibilité de le faire, mais c’est une vraie difficulté » (MS. cabinet).

3. Un travail de groupe : « de staffs obligés » entre MS de la même spécialité,« d’élaboration », « de projets » transcendant les spécialités, et « d’équipe »(pluridisciplinaires).

Finalement, l’atout de l’hôpital public serait de permettre de mettre en pratique unidéal de collaboration recherché par l’ensemble des enquêtés : les émulations« intellectuelles » déjà entre soi53.

« On choisit le traitement en collaboration avec ses collègues, c’est intéressant »,« l’avantage du service c’est qu’on est plusieurs dans la même spécialité, donc y’a unéchange entre personnes pratiquant la même spécialité, c’est intéressant, enrichissant »(salariés du public). « En fait, l’hôpital (public) y’a que ça qu’on connaît au départ, donc heuon n’a pas envie de s’en aller – parce qu’on est dans un système où y’a beaucoup de monde,de discussions avec des jeunes, même avec les plus âgés qui apportent leurs expériences,donc y’ a ce côté heu un petit peu universitaire de l’hôpital qui me semble intéressant »(clinique).

L’hôpital public permettant aussi d’enrichir son travail par la confrontation auxconnaissances des autres spécialités, atout rapporté cependant aux établissements en

53 Voir 1.3.

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général (publics et privés) ce qui fait apparaître une première limite au couple d’opposition :« le gros atout de l’hôpital, c’est d’avoir un plateau, un regroupement géographique avecplein de spécialistes différents, donc les avis des autres spécialités sont assez faciles à avoir,les échanges sont intéressants, enrichissants » (médecin travaillant principalement encabinet), « le fait d’être à l’hôpital (en général, par opposition aux exercices en cabinet), jepense qu’on a une plus grande facilité à apprendre des tas de choses en permanence quoi :quand on appelle ou qu’on voit un spécialiste sur un domaine, ils nous disent : ‘tiens tu voisle dernier protocole – oui tiens super, la prochaine fois je le saurai (…). La force desétablissements, c’est d’avoir beaucoup de spécialistes qu’on peut avoir tout de suite » (salariéprivé nl).

Désavantages du secteur public/avantages du secteur privé

1. La déshumanisation des relations professionnelles des grands centres hospitaliers (pasou peu de contacts directs)

Elle est comme toujours rapportée à la taille des structures (CHU/petits hôpitaux), etrenforcée par leurs implantations (opposition rural/urbain).

« Pour ce qui est des relations au travail, je pense que dans une petite structure (privée),enfin de taille moyenne à taille humaine, les relations sont plus faciles : on se connaît (…). Etdans une région comme ici, les liens entre médecins sont beaucoup plus forts, on se connaîtbeaucoup plus facilement que dans une structure urbaine, ils se connaissent quand mêmemais pas au point de partager au téléphone, (relance) – oui, les familles se connaissent, lesliens amicaux, tout ça, ça existe » (libéral travaillant en clinique54).

Avec à tous les niveaux, des difficultés à joindre le bon interlocuteur

Ainsi le problème de (sous) directions multiples et changeantes se poserait pourl’ensemble des hospitaliers du public type AP. « Il y a quand même un problème decommunication, je dirai plus de communication que de collaboration (…) déjà à l’intérieurde l’établissement : vous commencez à aborder un problème avec un directeur et puis il estmuté ailleurs, on redémarre à zéro – alors peut-être que dans les petites structures c’estdifférent » (salarié du public), salariés particulièrement fragilisés par des formes d’inertieinstitutionnelle des directions concernant les problèmes d’organisations du travail des salariés(médecine du travail55).

54 Même constat chez les (para)médicaux libéraux (ce qui tend aussi à complexifier les relationssoignant/soignés).55 Manque de réglementations et de logique à long terme (imposition, non écoute des acteurs du terrain),dénoncée en particulier par les médecins du travail qui souffrent, comme les médecins salariés non hospitaliers,d’une forme d’invisibilité de leur travail, tant de la part des directions (sentiment d’être « instrumentalisés »,d’être des « pions ») que des leurs confrères (implicitement, le vrai médecin reste aux côtés des patients).

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Côté médical, les communications seraient entravées par :

- Des acteurs pivots débordés et des modes de fonctionnements peu visibles56

« Il y une latence importante dans le public qui n’existe pas en clinique, c’est vrai, bon déjà,si c’est l’interne de cardio X, le gars il est tout seul, il a tous les services, il répond à son bipen permanence » (salariée du privé travaillant en public), « c’est moins les paperasseries quiposent problèmes que les téléphones : je pense que 1/3 de notre temps, on le passe autéléphone – déjà que ce n'est pas notre rôle : à cher- à appeler les spécialistes très souvent,qui peuvent être au bloc opératoire quand il s’agit d’un traumato ou, on ne sait pasprécisément qui on doit appeler, donc on tape un peu partout dans le service, surtout dans lepublic » (médecin salariée du privé, attachée à temps partiel dans le public).

Ce problème se pose particulièrement pour les nouveaux venus : « J’ai encore des soucispour savoir quel MS appeler pour avis et tout, connaître tous les rouages de l’établissement –je suis pas encore rôdée : est-ce qu’on doit demander un avis ? À quelle personne ledemander ? Comment faire pour le joindre ? Est-ce qu’on doit demander l’avis avant de fairel’examen ou après ? Quel examen demander, heu comment motiver l’examen (rires) (salariéedu public).

- Mais aussi par une organisation pyramidale du travail : l’obligation de passerpar la voie « normale » (« la hiérarchie »). Ce mode d’organisation du travailengendrant des conflits larvés entre chefferies, avec les directions et avecl’encadrement démultipliés dans les grands hôpitaux publics.

« La contrepartie des équipes, de tout ce monde, c’est les conflits… même avec lesdirections» (salarié du public). « La taille, il n’y a pas que ça : je crois que la mentalité n’estpas la même par rapport au privé (clinique), je sais pas comment l’expliquer : ici quand ondemande des avis, les gens les donnent, mais bon… c’est pas… (relance). Les spécialistes nesont pas toujours disponibles quoi – ça les intéresse pas ! » (médecin travaillant dans le privéet dans le public).

Il existe ainsi des hiérarchisations ville/hôpital, mais aussi entre spécialités médicales57

(doublant les hiérarchisations de grades) entravant également les communications externes.

« …Et depuis l’extérieur, il faut également être au courant des turn-over des internes et desconflits pouvoirs » (libéral). « Quand on adresse un patient à l’hôpital, on prend la peine detéléphoner en plus du courrier, mais en pratique quand on est de l’extérieur, il faut 3 heuresavant d’avoir la possibilité de joindre quelqu’un (médecin salariée faisant des remplacementsen MG). « Et il y a encore peu d’échanges avec la ville, ce sont les séquelles du mandarinat,de la grande époque où l’hôpital public les patrons, les assistants les internes étaient les seulsgens compétents, et relativement méprisants avec les gens de l’extérieur de l’hôpital…L’hôpital public se comporte un peu comme une forteresse, c’est un peu le problème dufonctionnariat (relance). Oui maintenant ils sont un peu obligés de sortir, avec les histoiresd’accréditations, les gens sont obligés maintenant de transmettre à nos correspondants unrésumé d’hospitalisation, enfin de donner des nouvelles des patients qu’ils nous ont confiés – 56 Internes mais aussi Séniors (voir aussi 1.3).57 Voir 1.2.

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je pense que ça va adoucir les mœurs… Et puis l’hôpital public est en train de découvrir qu’ildépend aussi de l’extérieur » (médecin libéral travaillant dans le public et le privé).

Ces problèmes expliquant l’importance des ancrages (réseaux d’interconnaissances), descollaborateurs « ponctuels » (travaillant avec l’interlocuteur recherché, facilitant le contact),voire des « alliés », en particulier pour les médecins extérieurs aux établissements.

Par opposition, les communications professionnelles seraient facilitées en dehors desCHU et dans le privé.

« Ici y’a une espèce de grande humanité, et puis un hôpital pas trop grand, à dimension unpeu humaine, c’est ce qui me plaisait – par rapport aux CHU : c’est vrai que c’est difficileparce qu’il y a les professeurs, les chefs de cliniques, enfin c’est très hiérarchisé et c’est unpeu lourd parfois. Tandis qu’ici, on a un contact direct avec des tas de spécialistes, les gensse tutoient vite, c’est un côté grande famille voilà, où on a rapidement accès aux confrèresspécialistes sans trop de difficultés, on peut s’appeler donc avoir des avis directement, çac’est important » (salarié privé nl). « Les atouts ici, il y en a : c’est une petite structure donctrès familiale, on a 75 lits (…) donc on parle beaucoup, on s’entraide beaucoup. On estmoins sectorisé qu’au CHU : on n’a pas d’un côté les médecins, d’un côté les infirmières :c’est-à-dire que nous, quand on fait la visite des patients, s’ils ont besoin d’un bassin et bienon va le faire (…) et une assez bonne communication entre la direction et les acteurs duterrain » (médecin salariée privé nl après exercice en CHU).

« Ici c’est comme à l’hôpital (public), la seule chose qui nous différencie, oui, c’est qu’il n’y apas de hiérarchies. En fait c’est la seule chose : y’ a pas de hiérarchies entre les médecins,même d’une spécialité à une autre – ce qui d’ailleurs amène des frictions hein, entrespécialités, qui sont dès fois assez directes, plus qu’à l’hôpital parce qu’elles sont peut-êtreplus… plus clairement définies quoi. Personne n’a le pouvoir vraiment, donc c’est desrapports de forces comme dans toute entreprise je pense – à l’hôpital, c’est à la fois plusdilué, caché presque, et heu plus affirmé : le pouvoir des grands patrons, c’est quelquechose » (clinique).

Le travail de coordination dans le privé étant finalement davantage valorisé avec lesautres MS et avec les médecins de ville, tous les acteurs dépendant de la clientèle.

« Dans une clinique, bon y’a que 4 ou 5 spécialistes installés, heu quand on parle du cardio,soit il est en consultation, soit il est au bloc, soit il voit un patient aux urgences, enfin tout lemonde sait, et on se sert les coudes » (médecin travaillant dans le public et le privé).

« Au niveau de la disponibilité, avec les spécialistes, on n’est pas trop embêté : ça c’est unavantage du privé (clinique) par rapport au public : on a quand même des gens trèsdisponibles – bon y’a pas que le fric – surtout que dans le système hospitalier c’estactuellement ce qui prime. Mais donc l’argent ça fait plus que motiver, on est dans une mêmelogique » (médecin travaillant dans le public et le privé).

« Par exemple (la différence c’est que) la proximité avec les MG est plus grande en cliniquequ’à l’hôpital, leur clientèle est alimentée par les MG – bon à l’hôpital aussi, mais c’est pasexactement pareil. Par exemple leur rapidité d’intervention aux urgences est plus grande –

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c’est quand même un peu la vitrine à l’interface des spécialistes et des généralistes. Je pensequ’ils se sentent plus immédiatement concernés. Indépendamment de la gravité hein : pourquelque chose que n’est pas gravissime, en public on tiendra plus compte de l’aspect urgenceque de l’aspect relationnel – je pense qu’on y fait plus attention en clinique » (salariée duprivé travaillant en public). « Les relations sont beaucoup plus confraternelles entre lessystèmes privés et la ville que entre l’hôpital et la ville. Tandis qu’en secteur privé, tout lemonde se sent un peu dans la même galère, et puis vous dépendez aussi des gens del’extérieur, donc vous gardez de bonnes relations confraternelles, ça s’est toujours fait dansle privé – un médecin libéral sait qu’il a besoin d’un bon réseau de relations pour ne pascouler, donc il a intérêt à être poli avec les confrères, et c’est pas plus compliqué que ça »(médecin libéral travaillant dans le public et le privé).

Au contraire du secteur privé, le travail en hôpital public est synonyme dedéresponsabilisation, voire d’anonymat.

« À l’hôpital (public), les gens sont mal payés et ça ne motive pas non plus pour répondre. Àl’hôpital, c’est des démotivés ou des saints, parce que c’est vrai qu’il faut être un saint àl’hôpital public » (médecin ayant exercé en établissement privé et public) … « L’inconvénientà l’hôpital c’est un petit peu la dissolution des responsabilités, – ça vient du fonctionnement :on peut ne pas s’impliquer, s’investir autant – ici vous n’avez pas le choix ! (…) Mais dans lepublic, y’a une espèce de – je crois que c’est assez confortable de se dire aussi : « bon bin, jepasserai », d’être un peu…comme ça : on donne un peu les décisions sans vraiments’impliquer. Les internes eux, le font, mais ils sont débordés ». « D’ailleurs, il faut déjà quechaque patient qui sorte de votre service connaisse votre nom parce que c’est déjà pas gagnéà l’hôpital (public) (rires), chaque fois que vous voyez des gens qui sortent d’un service, ils nesavent pas : ‘mais chez qui vous étiez ?’. Alors ils se rappèlent vaguement de l’étage, en gros.C’est un peu affligeant hein » (cliniques).

2. Comme par effets de miroir, l’absence des relations soignants/soignés (sentimentsd’anonymat souvent rapportés par les patients dans les grandes unités publiqueshospitalières), voire leurs violences58.

« Les relations avec les patients sont aussi souvent conflictuelles, les patients sont souventagressifs, ils n’ont pas choisi d’être là, ils n’ont pas les repères, contrairement aux contactsqu’on peut avoir en cabinet ou à domicile » (libéral travaillant en établissement public). « Àla clinique, ça n’a rien à voir, les gens viennent d’eux même, et encore plus en cabinet » (exsalarié du public exerçant en cabinet).

Ce dernier désavantage poussant les enquêtés à choisir d’emblée ou à envisager en coursde carrière des exercices en cabinet.

« Moi j’ai une petite activité libérale qui me prend 2 demi-journées, qui me permet aussi – y’ades gens qui ont des exigences en terme de personnalisation, qui pensent qu’ils seront mieuxque dans le public, avec le docteur Machin, ils seront peut-être mieux accueillis – je n’en saisrien, pas forcément (rires), je fais ça pour que les gens se sentent en confiance, ils sont plus 58 Ex. « La médecine hospitalière, souvent les patients disent que c’est l’usine quoi (ton bas) : y’a pas derelations très personnalisées » (salarié du public). La notion d’anonymat étant plus généralement utilisée par lesprovinciaux (patients et médecins) pour qualifier la capitale, modèle de la rupture des liens sociaux.

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sûrs que le docteur Machin les suivra, tandis qu’à l’hôpital ils peuvent tomber sur un médecinattaché qui fera bien son travail techniquement mais qui expliquera pas bien ou qui n’aurapas le temps, c’est plus anonyme quand même » (salarié du public).

« La seule chose qui me fruste ici, c’est de ne pas avoir de suivis comme j’avais quand jefaisais MG, ça me manque un peu, peut-être que j’y reviendrai un jour, c’est sûr que j’aimaisbien le côté médecin de famille (…). Dans quelques années, je garderai un temps partiel auxurgences pour prendre un temps partiel en cabinet ». « J’ai remarqué qu’en général, dès queça tourne bien le cabinet, et en vieillissant, – on ne peut plus travailler de nuit –, lesurgenstistes ont tendance à passer en libéral pur ». « C’est sûr que pour le moment lesremplacements en MG me conviennent, j’y prends du plaisir, ça me fait plaisir d’aller audomicile des gens, de voir un autre type de médecine, de circuler, un peu dans la campagne »(salariés du public et du privé nl).

À cet égard, la différence principale entre les deux groupes semble bien être lerapport au patient : l’exercice privé étant nécessairement recentré vers ce dernier.

- La dilution des hiérarchies, la proximité entre acteurs et les logiques de clientèlefacilitant finalement les relations directes avec les patients, sources d’apprentissages.

« En travaillant ici, la personne vient me voir en direct, son problème est résolu en20 minutes, y’a pas besoin de rester 8 jours le temps de voir un Senior (…). Parce qu’àl’hôpital (public) c’était un peu comme ça : si l’interne heu percutait pas exactement leproblème, ça pouvait attendre 3-4 jours qu’on fasse le diagnostic heu – bon ça fait partie dela formation de l’interne quoi – mais bon, c’est les patients qui en font les frais –, donc y’aquand même une certaine lenteur de l’hôpital. On n’a pas ça ici, donc c’est très intéressant :on voit les malades en première ligne, on décide heu : dans le privé, on fait plus contrat avecles patients – les gens s’en remettent à vous et ils pourront vous demander des comptes si çava pas aussi59. C’est très – c’est bien, c’est très direct, c’est pas dilué quoi ». «Ici donc nous,on est un peu des internes quelque part, vraiment en première ligne, enfin on fait tout quoi,y’a pas d’internes (relance), donc on est vraiment auprès de patients » (cliniques).

« Comme interne y’a toujours les petits problèmes de pratiques quotidiennes qui nousmanquent, mais ça, on l’apprend sur le tas, ça s’appelle l’expérience en solo, rien neremplace le fait de consulter » (cliniques).

- L’individualisation des relations soignant-soigné étant également rapportée au travaildes médecins de ville (des informateurs utilisant le terme de « cabinet libéral » pour

59 Suite à ce « contrat moral » exprimé aussi par les praticiens travaillant en cabinet, les médecins seraient apriori moins la « proie » de risques de procès (voir 2.3). Mais tout dépendrait des structures (ex. « Dans lamaison de retraite de luxe privée où je travaille, les gens attendent plus que dans le public puisque c’est cher, leservice doit être parfait, les procès tombent plus facilement, mais c’est extrêmement intéressant : la recherche dela perfection du service et de l’accueil » (médecin salariée du public). Et des enquêtés nuancent finalement cettedifférence (les risques procès étant davantage reliés aux types de spécialités). Ex. « Dans le privé, la pressionmédico-légale s’exerce uniquement sur le médecin, alors qu’en secteur public elle est dirigée contrel’établissement, ce qui fait une énorme différence quand même en fin de garde (…). Enfin quand mêmeactuellement les hôpitaux se déchargent de plus en plus sur les médecins » (libéral travaillant en établissementsprivé et public).

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désigner leurs consultations en cliniques), « la médecine libérale »60 étant plus encore« une médecine d’individus à individus », « une autre médecine », « une médecine deproximité », « davantage au service des clients61 ».

« C’est vrai que la formation (initiale) n’est pas adaptée à ce que les patients attendent enville. Car la médecine libérale c’est particulier, et on ne l’apprend ni à l’hôpital ni à la FAC.C’est au cours de remplacements, là on est là en Intérim et on se rend pas bien compte detous les tenants et les aboutissants d’une installation en ville (…). Et quand on s’installe, onfait des conneries avec les patients au niveau de leur prise en charge, dans les relations qu’ona avec les médecins traitants » (MS cabinet). « En ville, bon on doit faire une médecine deproximité quoi, on n’est pas CHU quoi, on n’est pas dans les hautes sphères intellectuelles,on a des réponses pratiques, on est au service des patients, à leur niveau quoi, c’est pour çaqu’être du pays c’est important62. On a une manière un peu différente d’aborder les patients :je me suis plus adapté ici où je suis né qu’en région parisienne où j’ai débuté – y’a aussi lefait qu’il y a des tas de gens que je connais » (médecin travaillant principalement en cabinet).

***

Les discours qui tendent à assimiler le privé tant à des exercices en établissementqu’en cabinet (par opposition aux hôpitaux publics) auraient d’autres limites. Il existe eneffet 2 autres couples d’oppositions (l’exercice en établissements/cabinets, la médecine despécialités/MG) peut-être plus fondamentales, car révélant d’autres fondements identitairescommuns : outre des aspirations à l’autonomie et à la spécialisation dans le travail, larecherche d’un partage des responsabilités, et celle d’un tri des patients. Elles expliquentpourquoi finalement les médecins travaillant en clinique se différencient autant, voireplus de la médecine de ville (et en particulier de la MG) que des hospitaliers du public.

Exercer en clinique, même « seul » revient en effet à travailler comme en hôpital public :en se partageant les prises de décisions.

« Particulièrement dans un service public, on doit former un petit peu les médecins qui sonten train de venir, enfin moi si y’a un souci, y’a toujours le praticien hospitalier, j’ai aussiquelqu’un au-dessus de moi hein, je suis censée n’être aussi un maillon de la chaîne, c’estpour ça que j’ai du demander l’autorisation ». « Si une personne vient pour une pneumologie,on va la mettre sous antibiotiques, alors après si elle s’aggrave, alors c’est un autreproblème. Souvent on dira : « non, c’est pas raisonnable ». Après le problème, c’est lapersonne de 75 ans, un peu fatiguée, heu : « jusqu’où on met la barre ? ». C’est souvent (lecas), on est pourvoyeurs de soins vers la réanimation, donc jusqu’où on a le droit des’acharner ? C’est souvent un problème, mais c’est au cas par cas, et la décision se prend àplusieurs : c’est une décision avec les autres médecins du service, avec les réanimateurs, et

60 Que la plupart des informateurs ont expérimenté au cours de remplacements (voir 1.2).61 Au point que les profils de clients dévoilent celle du médecin : « J’ai remarqué : un généraliste au bout d’uncertain temps, il a une clientèle qui lui ressemble, bin forcément ! par exemple, plus de problèmespsychologiques, plus de cela… » (salarié du public).62 Atout exprimé également par les infirmières libérales ou MG.

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pis voilà… C’est un avis auprès de la famille, auprès du patient si on sent qu’il peut le donner(sic)63… » (médecins exerçant en hôpital public).

« On travaille en collaboration étroite avec les différents praticiens de la clinique : quand ona un problème X ou Y qui sort un peu de notre spécialité, on va demander un avisimmédiatement, par conséquent on est tout de suite guidé dans ce qu’on veut faire. Donc onn’est pas tout seul, on a tous les examens complémentaires, tous les praticiens, tous leschirurgiens », « dès qu’il y a une décision à prendre, à ce moment-là, on peut avoir unediscussion collégiale, heu donc un peu comme à l’hôpital : avec la possibilité de ne pasprendre la décision tout seul, en se disant omnipotent heu, et avec les chirurgiens aussi, parcequ’on a des chirurgiens aussi cardiaque » (médecins exerçant en clinique).

« Travailler en institution, c’est un intérêt quand on aime le travail à plusieurs et vraiment unconfort dans le travail », « la responsabilité n’est pas directe, heu vous avez toujoursquelqu’un au-dessus qui est officiellement responsable » (médecins exerçant en hôpital privénl).

B. La médecine hospitalière (publique et privée)/ le cabinet

Cette opposition permet de mieux comprendre les hantises du groupe. Exercer en cabinet,c’est aimer « expliquer, répondre aux questions, aux angoisses fondées ou non, en ville, c’estun vrai boulot ! » (salarié exerçant ponctuellement en cabinet). Mais c’est aussi pouvoirprendre le risque de travailler seul, en en assumant toutes les conséquences.

1. La « solitude », les « lourdeurs », la « réflexion solitaire », particulièrement en MG

« Le fait d’être tout seul en médecine, si on n’a pas d’appuis derrière dans le diagnostic, dansle traitement, c’est pas un bon point pour les MG, alors eux ils sont bien embêtés », « encabinet, on est en permanence sur le feu : moi quand je rentre chez moi, même si ons’inquiète par rapport à un patient, on passe la main immédiatement, le lendemain on serenseigne, bon. C’est pas du tout pareil que quand on laisse un patient chez lui, qu’on n’a pashospitalisé et qu’on se demande ce qui se passe (…). Ah non, les gens installés seuls, qui nesavent pas par où prendre le patient, non merci ! Non c’est vrai, on est isolé, c’est vrai qu’onn’est pas formé à ça quand même, même si on est seul avec le malade et qu’on prend lesdécisions seul » (médecins exerçant en clinique).

Mais une fois de plus, les problèmes de l’isolement sont également des risqueséprouvés pour des salariés (même organisés en équipe), particulièrement dans certainesspécialités : « Si, il y a l’équipe c’est vrai, mais malheureusement, on a quand mêmel’impression d’être un peu seul, il faut quand même prendre la décision » (urgentiste). Etdans toutes les structures décentrées (géographiquement) des grands centres hospitaliers(moindres contacts professionnels, moindres formations possibles).

« Je fais tout pour ne pas être blasée dans 10 ans, mais c’est dur, honnêtement ici il fautvraiment se forcer parce qu’on est un peu isolé. Donc c’est vrai que ça fait pas longtemps que

63 Sur cette thématique, il n’a jamais ou presque été question des désirs des patients, objet de questions éthiquespour le médecin.

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je travaille ici, c’est vrai que j’ai encore cette force là, je vais à tous les congrès de la sociétéde G., mais est-ce que je tiendrai longtemps ? » (salariée privé nl).

- Ces difficultés rapportées au cabinet peuvent donc être atténuées par un exercice engroupe, même s’il est appréhendé plus comme une possibilité d’échanges en cas dedifficultés (« filets de sécurité », « co présence »)64.

Ce type d’organisations (idéal d’autonomie et de solidarité) pouvant alors fortement attirerdes médecins salariés.

« Oui finalement, il était question que je m’associe…En fait je remplace des médecins qui sesont mis en groupe, qui se sont installés avec des kiné, qui reproduisent un peu une structure,disons hospitalière, enfin je trouve qu’ils forment un petit groupe bien solidaire, tout lemonde se remplace et personne ne se tire dans les pattes. L’autonomie de ce groupe médical,ça m’a séduite, et ça m’a fait plaisir de voir comment ils sont bien installés en plus. Et ils fontdes plâtres et ils les défont, ils font les sutures, ils font tout ! Ils sont hyper autonomes,franchement je découvre d’autres possibilités de travail qui sont beaucoup plus alléchantesque celles que j’ai connues jusqu’à présent ! Reste la difficulté de s’engager dans un emploidu temps lourd et une gestion lourde » (urgentiste, salariée du privé).

- Par des formations continues particulièrement et toujours très « réconfortantes »65 etnécessaires (« Déjà pour nous les formations, c’est payant…Mais bon si on veut resterperformant et rendre service à ses patients, c’est du travail…ça fait partie du travail »MS cabinet), voire par un investissement associatif, ou mieux en réseau formalisé desoins, qui tendent également à revenir au modèle du CHU de partage de connaissanceset des responsabilités entre des praticiens, par des échanges organisés (staff, décisionpluridisciplinaire, dossiers malades)66.

« On est parti d’un réseau cancérologie de la région, et maintenant les décisions ne sont plusprises de façons individuelles, elles sont obligatoirement prises de façon collégiale ; ça c’estpour ma spécialité, mais il y a aussi un réseau périnatalité » (libéral travaillant en cabinet,clinique et hôpital public).

Les possibilités de formations auraient cependant des limites (« Même quand ils font desformations continues – mes amis qui sont là-dedans, déjà ils sont crevés, ils n’ont pas un piedà l’hôpital, alors même si on leur propose des week-ends de séminaires, c’est pas toujoursévident » (urgentiste, salarié privé nl), entravées par un autre risque professionnel rapporté àl’exercice en cabinet.

64 Observés en cabinets de groupe de MG. De plus, nous avons trouvé parmi les post enquêtés des casd’associations en cabinet recherchant à recréer des apprentissages de type hospitalier, en particulier dans desspécialités « techniques ». Ex : choisir de travailler par exemple « avec un collègue plus jeune » pour acquérir« des connaissances plus récentes » en contre partie de l’échange d’une « ancienne expérience » (d’où aussi desaides et/ou des parrainages des nouveaux venus en milieu libéral). Ex : choisir de s’associer avec un médecinDrass (école de santé de Rennes) « pour développer des préventions en matière de santé publique » etc.65 Même discours chez les paramédicaux libéraux.66 Quand ils ne redeviennent pas des supports pour développer son propre réseau de clientèle : pour « tirer lacouverture à soi », « un moyen d’ascension en vue de postes (hospitaliers) »/pairs hospitaliers). Travers qui tendà être dénoncé également à propos de l’accréditation utilisée pour obtenir des moyens supplémentaires ensuite« détournés », ou réamorçant les enjeux de pouvoir entre médecins et/ou directions dans les établissements.

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2. Le sacrifice aux patients, ou les risques de don de sa personne (traitparticulièrement en MG).

- Des horaires de travail plus fluctuants, des frontières vie privée/professionnelles moinsmarquées

« En cabinet, il faut en principe assurer tous les jours, trouver quelqu’un pour se faireremplacer pendant les vacances », « c’est un vrai sacerdoce, rien à voir avec le métier quej’exerce moi, c’est une autre dimension – en privé, c’est pas la même fiche de paye à la sortie,mais c’est terrible, il faut être disponible » (salariés du public). « Ils bossent comme des fous,au point de vue de la disponibilité aussi…C’est être accaparé tout le temps par les patients, etils ont toute cette paperasserie aussi » (salariée du privé), « en libéral, on gagne plus mais çadéfile toute la journée, c’est une horreur, ils sont débordés toute la journée, je les trouve pasépanouis » (salariée après 3 semaines de remplacements en MG), « j’ai fait pas mal deremplacement aussi en MG, j’avais adoré ça, des remplacements en Saône et Loire en milieurural – parce qu’à l’époque on faisait plein de choses (avant l’arrivée des spécialistes) : onavait un appareil de radio, on faisait les sutures, des grossesses qu’on ferait plusmaintenant : on faisait des saignées ! Mais par contre, le médecin que j’ai remplacé était deservice 24 h sur 24, donc on pouvait être appelé à 3 heures du matin pour une petite vieilledame qui voulait mettre le feu à sa maison, après on avait quelqu’un à 6h du matin qui peutplus avaler, qui a 40 de fièvre, qui a un abcès à la gorge etc67. La même nuit quoi, et donc çam’a vacciné contre la médecine générale libérale en milieu rural, enfin c’était déchirant.Donc la MG ça m’a beaucoup plu mais je m’imaginais pas faire vivre de cette façon-làpendant 20 ans » (salarié après 15 jours de remplacement en MG).

- Cependant, les ressentis en terme d’organisation du temps de travail del’ensemble des informateurs sont fortement liés aux possibilités d’organisation degardes (offre de soins locale), aux types de contrats et aux spécialités exercées.

« C’est un peu moins difficile d’être spécialiste que généraliste au niveau de l’organisationdes conditions de travail (relance). Bin je pense à la disponibilité tout ça – mais enfin encardiologie, c’est pas la bonne spécialité pour ça non plus. Je pense qu’en MG si on estassocié tout ça, c’est pareil – on peut avoir un mode de vie correct » (clinique).

« Les MG ici ont réussi à s’organiser du point de vue des gardes, à se libérer de cettecontrainte, contrairement à nous, eux ne sont de garde qu’un jour par trimestre ! Donc çadevient très confortable pour eux, et puis les gens vont plus à l’hôpital, voire aux Urgences.En plus, ils font plus venir les gens dans leurs cabinets. Nous notre mode d’exercice n’a paschangé…Comme on n’est que deux dans la ville, on est obligé d’être présents. Mais je penseque mes amis généralistes ont une meilleure qualité de vie que moi, plus de confort, c’estparadoxal, mais c’est comme ça. ». (MS cabinet). « On voulait instaurer une permanence dessoins, mais les MG ont continué à fronder parce qu’ils n’étaient pas suffisamment nombreux,ils ont énormément de travail, la Picardie est déjà une région déjà sous médicalisée, et qu’undes soucis de l’Oise est d’être coincé entre la Picardie et ses betteraves et la régionparisienne et ses exigences… » (salarié du public).

67 Leitmotiv des MG, se différenciant des anciennes générations ayant sacrifié leur vie à leurs patients.

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« Là (avec ce contrat) non seulement y’avait encore des heures de transports mais je me suisfait avoir, c’était un établissement semi privé semi public en banlieue parisienne : ontravaillait tous les jours y compris le samedi, je sais même pas si on était payé le samedi, eton était obligé de faire des gardes jusqu’à 10 heures le soir en alternance, et j’étais payé8 500 par mois ! Y’a quand même des limites » (salariée du privé).

Resterait alors quels que soient les lieux d’exercice, le problème d’affronter certainsclients et plus généralement d’avoir des patients non filtrés (« le tout venant »), quidictent leurs conduites aux médecins, simple prestataire de service (synonymes de risquesidentitaires majeurs présents dans l’ensemble du groupe).

« Et puis il y a le manque de respect, les Manouches m’appelaient 3 fois dans la nuit et tout letemps ça défilait et ils disaient qu’ils me payeraient plus tard !…Je me serai fait bouffer (…).Et puis signer des renouvellements d’ordonnances, des listes de médicaments déjà préparéesà l’avance, ils viennent avec la liste et le chèque ! Je peux pas, je leur disais : non faut vousdéshabiller – non ils devaient aller au marché ! » (salariée ayant exercé en cabinet MG).

« Bon en établissement les relations avec les patients sont présentes mais, alors que quand onest cabinet, même en exercice de groupe, on est quand même seul à se confronter avec lepatient, c’est pas pareil que d’être à l’hôpital en général (…). Oui, y’a le flux en continu,mais c’est ce colloque singulier qui fait que c’est pas toujours évident » (privé nl).

« Le problème aux urgences, c’est de se colleter en permanence les familles, les patients, labobologie » (salarié du public).

1.2 Regards croisés des spécialistes : to cure ou to care

Les réponses à la question choix de la spécialisation fait apparaître un dernier coupled’oppositions liées au type de spécialités exercées. Ces dernières semblent approfondir deshiérarchisations internes du travail, dépassant encore une fois le libellé des stratesprofessionnelles68.

Autrement dit, entre les oppositions CHU/MG – symbolisant l’absence de savoirs et detechniques (spécialisés) – il existe encore toute une échelle de perception du travail, desdegrés de confort et de sécurité au quotidien, susceptibles d’être également au fondement deréponses diverses aux questions de l’enquête de la Drees. Les spécialités sont plus ou moinsplus ou moins valorisantes, c’est-à-dire vitales et hospitalières (degré de tri des patients,exposant plus ou moins les praticiens à des difficultés de prises en charge et à des erreurs dediagnostic).

Il s’agira alors de présenter les caractéristiques des spécialités de gastro-entérologie,urgences, et gériatrie – les problèmes touchant ces deux dernières spécialités affinant encorece que sont les hantises de la profession en général : la prise de responsabilité (à la basepratique de relégation de patients à tous les niveaux), mais aussi les limites de soins à venirauprès des personnes âgées en constante augmentation. À défaut d’augmenter les lits qui leur

68 Ce qui nous amènera à ne plus toujours différencier (ou seulement) les médecins à partir des libellés de leursstrates professionnels.

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sont consacrés et de pouvoir régler les problèmes de représentations négatives qui leur sontattachées dans l’ensemble de la société, on retrouverait partout (dans les services hospitaliers,en maison de retraite, en médecine libérale) une augmentation des pressions exercées sur lesprofessionnels non médicaux salariés (cadres, infirmières, assistantes sociales, secrétaires…)susceptibles d’activer les sorties de ces patients, « vider les lits », « accélérer les choses pourfaire placer des gens âgés » (logiques particulièrement visibles aux urgences via le « triage »de l’accueil infirmier).

A. Qu’est-ce qui amène les enquêtés à se spécialiser ?

- Des vécus de stages positifs auprès de patrons responsabilisant (« compagnonnage »« passage de relais »)

« J’avais un patron formidable (rires), « j’ai pas eu de soucis, ni de problèmes d’autonomie,donc dans ces conditions, c’était l’idéal quoi » (par opposition à des situations d’« abandon »,« je n’avais aucune responsabilité, les transmissions de savoirs étaient très très limitées »).

- Des périodes d’apprentissage professionnels et d’expérimentations individuelles lors deremplacements

« J’ai fait 6 mois d’interne au SAMU, y’avaient de bonnes poussées d’adrénaline, ça m’abien plu, m’enfin je préférais quand même un poste fixe heu hospitalier, heu c’est-à-dire quej’avais un peu mal au cœur en ambulance, et en hélicoptère, et c’est toujours tout beau : onarrive, on fait des gestes mais après le suivi des patients, on l’a pas » (salarié privé nl), « çam’amusait le libéral, mais je me voyais pas pendant 30 ans soigner des petits boutons que dèsfois je voyais même pas, de deviner comme ça donc la dermato de ville m’a un peu refroidiparce que c’était pas très palpable, donc je suis revenu à la gastro », « j’ai trouvé l’exercicede la MG un peu répétitif et franchement ça m’emballait pas des masses… par comparaisonavec ma maman qui était MG, qui était au fourneau tous les jours quoi, qui se battait avec lespatients pour ne pas les recevoir le week-end, ça a été vite vu » (salariés public).

Inversement, outre les revendications d’un idéal relationnel, d’une « médecine globale »,les motivations qui poussent des médecins vers des cursus de médecine générale sont liées aufait « avoir des activités plus variées qu’en CHU », les spécialités pointues hospitalières étantalors également synonymes de « routine », proches des exercices en cabinet (« en cardiologieon risque de ronronner », « un cardiologue en institution c’est vrai que c’est un peu la mêmechose que d’être dans un cabinet : à tenir les mêmes discours entre quatre murs, avec lamême pathologie, le manque de variété, de sorties, j’aurai pas pu »). Les spécialistes eux-mêmes admettant les possibles conséquence de « l’absence de vue globale » qui leur estparfois reproché par les MG, gériatres, urgentistes (vantant alors l’intérêt de soigner despatients « qui viennent de partout », « de CHU, du privé, d’eux-mêmes ») : « C’est-à-direqu’on a beaucoup tendance à – quand on est spécialiste – à voir le problème immédiat, alorsqu’en fait la personne doit être vraiment vue dans son ensemble » (cardiologue).

- Reste que la spécialisation officielle est présentée finalement « paradoxalement »comme la voie la plus facile : l’assurance de maîtriser des savoirs en acquérant desconnaissances délimitées toujours par opposition à MG, belle et bien associée à un

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type d’exercice cumulant tous les désavantages/CHU (sacrifice au patient et risquesd’erreurs professionnelles).

« C’était très difficile et très peu gratifiant, j’ai trouvé que c’était trop dur comme métier : jene voulais pas me retrouver en MG avec un déficit de connaissances faramineuses, on esttoujours en train de courir après, on n’a jamais la sérénité d’avoir des connaissancessuffisantes, alors y’a toujours la crainte de passer à côté de quelque chose de grave, il fautsavoir à quel moment il faut adresser au spécialiste ou pas – donc soit on gère des petitessituations du style des rhumes et on fait des ordonnances toutes les mêmes dans la journée,soit on passe son temps à avoir peur de passer à côté du diagnostic69 – moi je trouvesincèrement que c’est une pratique professionnelle très difficile, et c’est vrai que je me suispas senti faire ça toute ma vie. Alors la seule manière de sortir de cette situation, c’était defaire une spécialité parce qu’on arrive à connaître le domaine, puis au contraire à l’hôpitalon participe à la recherche…J’admire les généralistes, à mon avis, c’est un travailparticulièrement ingrat (…). J’avais un maître de stage, mais j’ai expérimenté la solitude,c’est terrifiant. Et je pense que pour les généralistes, ça doit être très dur à supporter » (MSlibéral après un stage de 6 mois en médecine générale).

« Au départ je voulais pas spécialement faire de spécialité et finalement je regrette pas, etaussi avec l’augmentation des connaissances médicales, c’est plus difficile d’être généraliste,on a moins de mérites je pense d’être spécialiste, et puis même dans les spécialités, on atendance à se spécialiser, alors du coup, on a des décisions multiplurisdisciplairaires, et çafait que c’est plus simple » (cardiologue exerçant en clinique).

« J’ai fait pas mal de remplacement en MG, c’est quelque chose qui m’intéressait, c’est à direque le contact avec les familles est disons plus convivial que dans le secteur hospitalier, on amoins de pressions. Mais ce qui me gênait, c’est le fait d’exercer en permanence dans uncabinet, sans contact d’équipe, toute une vie entre quatre murs, je pense que j’aurai déprimé(…). Bon j’ai eu l’occasion d’exercer en MG mais en demi-campagne, et en pleine ville, etc’est là qu’on se rend compte des difficultés du pauvre médecin en Auvergne ou dans laCreuse : lui il faut bien qu’il fasse avec ses dix doigts, il n’a pas de plateau technique sous lamain, parfois il peut se tromper même sur des trucs qui paraissent grossiers – mais c’estfacile aussi quand on a pas un plateau technique derrière…Bin on fait des bêtises. Donc c’estfacile d’être méprisant pour le type qui est dans la steppe » (urgentiste établissement privé etpublic).

Selon les mêmes logiques, les ressentis des médecins spécialistes sont intimement liés aufait d’avoir des relations plus ou moins privilégiées avec la médecine hospitalière, synonymeà elle seule de la médecine : une médecine de spécialités d’organes hiérarchisée aussi enfonction du maniement de techniques plus ou moins prestigieuses.

« En terme d’intérêt scientifique ou d’intérêt de métier, je pense que se spécialiser c’estintéressant parce que ça permet d’approfondir, d’avoir accès aux techniques d’investigation,y’a tout un versant technique qui est intéressant (…). Nous on est proche, ça tourne autour 69 Craintes observées en MG : « on a tout le temps peur de passer à côté de quelque chose de grave », « c’estvrai qu’au début on a tellement peur qu’on voudrait amener les patients chez soi ! (rires) ». La difficulté étantégalement de parvenir à poser des diagnostics : « la plupart du temps, on ne peut pas utiliser ce qu’on a appris àla fac, c’est toujours plus compliqué, mélangé ».

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d’un triangle gastrologie, cardiologie et pneumologie : cœur poumons appareil digestif, c’estça les spécialités qui sont proches. Une fois que vous avez fait ces trois spécialités, c’est pfff !90 % de la médecine hein…Après y’a la neurologie, y’a des choses : ORL, stomato, maisc’est plus marginal quoi » (gastro-entérologue cabinet/clinique).

Autrement dit, un dernier détour par les spécialités révèle l’importance des hiérarchisationsmédicales : selon les degrés de savoirs, mais aussi selon le fait de travailler sur des organesplus ou moins vitaux (« services aigus » dits aussi spécialités d’urgences), plus ou moinsnobles et propres, dans des spécialités plus ou moins puissantes et nanties70.

Quelles sont donc les caractéristiques attachées à chaque spécialité (organisation etcondition de travail), et que nous apprennent-elles des identités médicales ?

Cardiologie, pneumologie, gastrologie : un même combat pour l’excellence (technique etcurative)

- Le choix de spécialités nobles et fructueuses

« La cardiologie est une grosse spécialité, – régulièrement on dépasse sur les lits urgencesqui sont prévus, alors ils nous donnent plus de lits. Mais comme il y a le principe des vasescommuniquants, ça fait des frictions bien sûr – on est pas trop aimé la cardiologie, parcequ’on est considéré comme une spécialité heu nantie quoi71 (relance sur la chirurgie) – puisalors les chirurgiens cardiaques, ils ont heu une réputation de de caractériels, hyperpuissants aussi (…). Bon y’a un peu cette image du chirurgien cardiaque et de la cardiologieheu, les autres considèrent qu’on – enfin les chirurgiens du ventre par exemple, ils ont descomplexes par rapport à leur spécialité – l’organe noble, pro- enfin la chirurgie propre, lamicrochirurgie, la technicité. Y’a tout quoi, d’ailleurs c’est pour ça que ça m’a plu : vouspouvez faire tout ce que vous voulez, y’a tous types de traitements, que ça soit lesmédicaments, les techniques heu l’imagerie. C’est une spécialité qui a fait un bond quoi.Donc c’est drôlement intéressant, si je compare par exemple avec la neurologie heu – lesparents pauvres des spécialités : la rhumatologie heu où il faut continuer à prendre des anti-inflammatoires quand vous avez mal quelque part, et puis c’est tout…Je veux dire c’est vraique c’est une spécialité qui a, même sur le plan des médicaments hein, enfin tout. C’est parcequ’elle rapporte (ton haut), c’est pour ça hein…y’a de la recherche parce que ça rapporte –les hypertendus, ça rapporte alors les laboratoires ils cherchent heu…ils cherchent pour cettespécialité-là – mais c’est vrai qu’elle est nantie (bis), ça c’est vraiment c’est sûr. Lescardiologues avec les laboratoires, ils pourraient être dehors tous les soirs…(rires). Onpourrait se faire entretenir quasiment ! J’exagère hein, mais c’est pas faux quand même »(ton redevenu plus grave, relance). La gastrologie ? C’est une belle spécialité aussi hein – icidans la clinique, c’est les deux spécialités phares : cardio et gastro-entérologie, que ça soitmédical ou chirurgical. C’est pareil, ils ont tout ce qu’il leur faut : la technique, lesmédicaments, la chirurgie qu’ils savent bien faire – la célioscopie s’est développée – doncc’est vrai que ce sont des spécialités qui se sont beaucoup développées aussi – (par rapport à)la dermatologie, la gériatrie, c’est des spécialités qui rapportent parce qu’il y a des examensgastroscopies, des machins, ça rapporte » (cardiologue).

70 Vega, 1999 et 2000.71 Encore une fois que ce soit en clinique, en hôpital public ou privé nl.

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« Il faut dire que notre spécialité de gastro-entérologie est aussi une spécialité qui fait encoregagner de l’argent », « c’est vrai que dans l’observatoire de la santé, les maladies digestivessont la première cause d’hospitalisation ». « C’est une spécialité variée qui touche àbeaucoup d’organes et qui a en plus un intérêt technique », « on a des actes techniques enconstant progrès » (gastro-entérologues).

- La contrepartie du succès : la gestion des urgences… plus ou moins urgentes

L’obligation de prendre des urgences, et en particulier des appels qui se révèlent nonréellement urgents, est présentée comme une entrave au travail (parcellisation du travail,voire perte de temps).

- La gastro-entérologie : une spécialité en lien direct avec des pôles de haute technicitése prêtant aux échanges privés/public

Elle est en effet dotée de « filières » professionnelles clairement établies(chirurgie/urgences/réanimation/radiologie) pour les « circuits » (de malades).

« Nous en tant que gastro, on dépend des radiologues – et des chirurgiens essentiellementpour les circuits de nos patients : nous on fait les diagnostics et eux ils opèrent nos malades,heu les anesthésistes aussi pour faire les examens quand même» (clinique).

Caractérisée par des alliances entre médecine de ville et hospitalière, des doubles exercicescabinet/institutions publique ou privée (et en conséquence des organisations complexes desjournées et semaines de travail72) pour des motifs financiers.

« Souvent on collabore avec eux parce qu’on a des appareillages qui sont un peu lourds àgérer au niveau économique » (salarié public), « on partage notre activité entre le cabinet etla clinique, du fait des contraintes techniques, d’anesthésie en particulier… peut-être qu’ondéplacera notre cabinet pour avoir des facilités matérielles d’être sur place, près des servicesde l’hôpital et de la clinique » (cabinet).

- La gastro-entérologie serait alors révélatrice de hiérarchisations des pathologies,de délégations de patients fondées sur des typologies présentent dans l’ensembledu groupe médical (degrés de prestiges liés aux filtrages des patients).

« Il y a vraiment deux types d’exercice en parallèle : y’a les gens hospitalisés, 50 % de vraiesgastro-entérologies classiques (…) – et puis 50 % de médecine générale – c’est de lacancérologie mais pas directement liée à la spécialité (…). Le deuxième volet, ce sont lespatients externes, les consultations – en gros c’est soit par le tube digestif, soit par les âges dela vie (rire), ils aboutissent chez moi. Donc soit on fait des diagnostics comme ça, sans fairegrand chose – sans faire d’examens complémentaires – soit on hospitalise les gens (…). Lesemmerdeurs en tant qu’hospitalier, c’est vrai qu’ils ont déjà été un peu filtrés, le MG a déjàfait ce qu’il a pu : il a déjà envoyé à un confrère de ville souvent, parce que nous, c’est vraiqu’on est un peu en 2ème ; 3ème ligne. Le MG c’est vrai qu’il m’envoie entre guillemet ses cas

72 Ex. 35h en trois jours.

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intéressants. Par contre il m’enverra pas le psychiatrique ou le patient qui pense qu’il estmalade, l’emmerdeur quoi » (salarié public ayant une petite activité en cabinet).

« Les personnes âgées sont très demandeurs de prévention, du cancer du colon, d’un confortdigestif – y’a quand même une demande même en milieu rural de soins qui ne sont pas duconfort, mais du bien-être en général (relance). Alors y’a beaucoup de malades dans notrespécialité qui ont des troubles fonctionnels qui sont un peu liés au stress, à l’anxiété quiconsultent quand même pour avoir un avis, être rassurés avoir des médicamentssymptomatiques sans qu’ils aient une maladie grave… ils sont plutôt retraités ». « De toutefaçon, beaucoup de gens ne vont pas bien sur le plan psychologique, et en fait le tube digestif,l’appareil digestif, c’est vraiment le truc où les gens peuvent somatiser énormément, donc ona les pathologies fonctionnelles, donc c’est des gens qui ont mal au ventre mais qui n’ontrien, qui souffrent d’autre chose, donc qui demandent beaucoup d’écoute (…). En médecinede ville y’a surtout de la proctologie : tout ce qui est hémorroïdes, en ville c’est la base heu(sourire puis rire très fort) – ça fait sourire mais bon on soulage beaucoup beaucoup depatients hein. Donc ça c’est pas une consultation difficile parce que ça va assez vite – on ensoigne quand même pas mal et notre boulot de soigner quand même les gens aussi (ton bas)(…) avec tous les progrès de l’endoscopie, il n’y aura plus de cancers du colon, mais y’auratoujours les gens qui ont mal au ventre (rires), on a encore quelques beaux jours devantnous ! » (libéral cabinet/clinique).

B. Les urgences, des services où se concentrent et se démultiplient tous les paradoxes(révélateurs de dysfonctionnement du système de santé en général)

Les enquêtés tendent d’abord tous à nuancer les différences ayant existé entre les exercicespublic/privé.

« Non, les profils des patients sont assez similaires maintenant, les conditions de travailaussi » (médecin libéral travaillant dans le public), « à l’époque, il y avait très peu destructures privées qui accueillaient les urgentistes, voire aucune dans le Nord, enfin une maisqui avait un statut semi-public semi-privé. On a commencé à voir des annonces, mais quandon se penchait sur les contrats c’était des supers médecins basés aux urgences, des cliniqueschirurgicales, ce qui permettaient au chirurgien de continuer à exercer son activité de blocopératoire entre autre, ou de consultation, sans être embêté par heu les urgences tout venant.Ça revenait à être un super interne, donc ça m’a totalement freiné dans mon installation… çacommence à être nettement mieux, à A. J’ai une collègue totalement satisfaite : partout en10 ans de temps, ça a complètement changé, explosé » (salarié du public).

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La spécialité étant caractérisée par :

- des parcours professionnels complexes : temps partiels, cumuls d’emplois et exercicesmixtes...typiques d’une spécialisation en phase de reconnaissance73.

« Je suis coordinateur du département, pour tenir au courant les différents médecins desurgences sur tout ce qui se passe sur les lits d’hôpital, parce que finalement aux urgences, onn’a pas beaucoup de médecins à temps plein, on a beaucoup de temps partiels – qui ont soitdes cabinets, soit une autre heu…activité ailleurs », « c’est partout : on a presque tous undouble emploi, en cabinets surtout, au moins des cumuls de salaires », « on ne peut pas vivreque des urgences », « enfin, moi je pourrai pas faire plus de gardes alors – le plus dur c’estl’articulation de mes différents postes ».

- Une médecine salvatrice, fondée sur des apprentissages de terrain nécessitant uneendurance professionnelle

« Je me suis retrouvé totalement impuissant face à un patient qui a failli mourir devant mesyeux, j’ai eu le déclic », « en fait, j’ai eu un mort, j’ai décidé de mieux me former », « je mesentais encore un peu faible, je me suis retrouvé 2 fois devant des menaces d’accouchement,alors j’ai fait encore 6 mois en maternité, et il y avait quelque chose qui me faisait quandmême extrêmement peur, et qui représentait 30 % de notre activité SMUR, c’était lesurgences cardiaques, du coup j’ai fait 6 mois aux soins intensifs à L. ».

« L’urgence, c’est quand même un métier de terrain : on sort vite des livres pour apprendre leconcret sur place, donc c’est sympa. Il faut bien 1 ou 2 ans d’assistant temps plein dans lesservices des urgences pour commencer à appréhender la médecine d’urgence ».

« On est tous les jours en rupture, en charge, mais ça fait partie du stress dont on al’habitude, c’est aussi je crois lié à une certaine psychologie derrière, une certaine psychopathologie (rires) : y’a peut être aussi une certaine médecine de cow-boys, il faut pas dire çamais on aime bien quand ça bouge, – bon y’a des moments où c’est un peu trop quand même– mais la charge de travail ne nous fait pas peur. Je crois qu’il y a des spécialités,l’anesthésie, la réa, la chirurgie, la chirurgie d’urgence, ce sont des tendances sous-jacentes,c’est que les gens qui sont là-dedans sont probablement un peu particuliers, heu ils n’aimentpas les complications, il faut que ça aille vite. Si on est pas comme ça, on lâche, on craquevite : y’a une sélection qui se fait ».

- Une médecine d’équipe, de réseau « de prise de décisions d’un commun accord »,« s’il y a bien une chose qui marche en médecine d’urgence, c’est bien les réseaux »

73 « À l’époque de toute façon, pour la médecine d’urgence y’avait pas de formation spécifique, alors j’ai fait dela MG en parallèle », « à l’époque, ces services n’intéressaient pas grand monde – y’avait pas de postesd’assistants : pas de carrières possibles – jusqu’à leur explosion », « ils se sont rendus compte que les urgencesétaient le principal fournisseur des hôpitaux et il y a eu la montée de la pression procédurière : la création depostes fixes car les patients ne voyaient jamais aucun médecin diplômé : avant les assistants des autres servicesne se déplaçaient que pour « les gros coups » car ils étaient engagés dans les recherches, les thèses : lepersonnel des urgences était en constant renouvellement et sans expériences ». « C’est à force de persévérancequ’on s’est fait reconnaître », « aux urgences, on leur fait miroiter des postes de praticiens, alors ils sont bardésde diplôme, et bientôt plus que les patrons et toujours attachés, vacataires…Y’a de belles inventions pour avoirdu personnel hein ».

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« c’est important pour un urgentiste, qui a quand même un grand panel depathologies, d’être appuyé par des spécialistes ».

Pourtant, l’exercice semble aussi cumuler toutes les difficultés, se rapprochantfinalement des exercices en MG :

- Le flux du travail (absence de coupure, disponibilité permanente)

« Travailler la nuit », « ne pas avoir forcément de récupération, travailler avec des rythmesdécalés », « vraiment les urgences, c’est du temps dense hein, on n’a pas vraiment le temps des’arrêter, c’est continu : entre les dossiers, y’a un flux continu, on en a plein les pattes lesoir ».

- La gestion problématique de patients non triés

« …Non, c’est passionnant, y’a pas que le côté agressif avec les patients, on peut avoir destrucs très variés, plein de panels de la société, je veux dire c’est amusant, on voit aussi laFrance d’en haut, la France d’en bas, du milieu, comme dire ? On a une clientèle, un paneltrès large (…) mais le problème…Nous aux urgences, par la force des choses y’a tout quinous tombe dessus ! » (silence). « Le problème, c’est qu’on a 30 % de pathologies médicales :des maladies qui pourraient très bien être traitées en cabinet, notre spécialité les urgencesvitales c’est 5 % », « on n’a que 10 % qui nécessitent vraiment un gros plateau technique ! ».« Voilà, alors on espère que les maisons médicales ça va désengorger aussi les consultationsde MG, parce que c’est vrai que le temps que je passe à voir une angine, bin c’est 1/4 d’heurede moins pour un autre patient quoi, on traite plus les soins d’urgences »74.

- Des décisions constantes, difficiles à soutenir, en solitaire

« On n’est pas forcément toujours assez forts pour supporter certains types de situations : lamort sur le terrain, la mort aux urgences, la souffrance – bon on en discute un peu entre nousmais…Et puis on est obligé de gérer heu beaucoup de situations en même temps – mais çaavec l’âge la maturité on y arrive mieux. Non, on a du mal un peu à quitter sa blouse quandon sort d’ici parce qu’on repense à ce qu’on a fait : « alors est-ce que j’ai bien fait ? ». Bonon peut reparler entre nous des dossiers, on ne peut pas parler de tous les dossiers – et puis àun moment donné il faut quand même les signer, laisser repartir les gens, et ça c’est pastoujours facile. Mais c’est vrai que les urgences c’est une prise de décision rapide efficace,on n’a pas vraiment le droit à l’erreur puisque, bon c’est vrai : on gère quand même desvies ». « Le problème, c’est surtout les patients renvoyés à domicile : c’est bien au sein desservices des urgences qu’il faut prendre ce type de décision et que parfois cette décision estprise, avec des responsabilités énormes, avec tout ce que ça peut impliquer derrière », « leproblème c’est les gens qui veulent repartir ». « Les urgences c’est assez fatigant : c’estbeaucoup de responsabilités, on est en première ligne pour les procès ».

Plus précisément, les urgences sont au cœur de deux problèmes médicauxfondamentaux : les intérêts antagonistes des spécialités à dominante médecine générale

74 Même discours chez les MG, objet d’un encadré à la fin du chapitre (voir aussi annexe 2).

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avec les spécialistes hospitaliers (et plus généralement entre la médecine libérale (cabinet) etla médecine hospitalière).

- Les urgenstistes sont en effet déjà confrontés quotidiennement aux logiques despécialisation des autres médecins hospitaliers qui refusent de prendre des patientsfaute de places, mais aussi lorsqu’ils n’entrent pas dans leurs champs d’intérêts et/oud’activités spécifiques.

« Déjà on est un petit établissement, donc on manque de lits d’avals comme beaucoup deservices : l’hôpital ne peut pas tout absorber car il doit aussi vivre des lits programmés, c’estdifficile de trouver un équilibre entre les entrées dans les urgences et les entréesprogrammées » (urgentiste, public).

« On est déjà très sous dimensionné par rapport aux besoins de santé d’ici – comme c’est unerégion touristique, il y a des pics l’été et l’hiver aussi, avec tous les problèmes d’infections –c’est plus des gens locaux. Donc on a une sur-occupation de l’hôpital, les patients demédecine vont en chirurgie, les patients sont refusés heu. Et maintenant l’intersaisons’amenuise d’année en année – par exemple on va déjà avoir les vacanciers de Pâques. Alorsça donne que les urgences n’arrivent jamais à nous caser des patients parce que nousn’avons plus de places, heu les médecins de ville n’arrivent pas à nous faire d’entréesdirectes, donc passent par les urgences, les pneumologues de ville pareil, donc tout ça, çaembouteille le système (pneumologue, public). « Si on a une place directement dans le service– si on peut éviter de le faire passer par les urgences, on le prend directement, si ça relève denotre spécialité »75 (gastro-entérologue, public). « Donc pour mes collègues des urgences, est-ce que c’est un manque de collaborateurs spécialistes ou plutôt un manque de disponibilitédes spécialistes qui sont présents ? Je sais que quand je travaillais dans les services desurgences, mon souci c’était d’avoir un collaborateur chirurgien, qui était certes de garde,mais qui était toute la matinée au bloc par exemple… » (salarié du public, SAMU).

- Ces logiques entraînant en conséquence des difficultés de placement de patients,gérées le plus souvent par des paramédicaux

« C’est tout le système qui est en adéquation, le problème c’est qu’aux urgences on est censén’être jamais plein : on rajoute, on rajoute : parfois y’a des brancards alignés dans tout cecouloir ! On n’a pas de limites, et le problème à l’autre bout, c’est d’accepter le patient, alorson essaye de trouver une spécialité voisine, – et y’a des refus. Le plus dur c’est d’accepterl’incompréhension des autres médecins » (cadre infirmier urgences publiques).

Notons que faute de règles obligeant à prendre « les reliquats » des urgences, desréquisitions de lits par les administrateurs au coup par coup semblent récurrentes.

- Ces problèmes se posent en particulier avec les personnes âgées de plus en plusnombreuses et « incasables », révélant les limites des prises en chargehospitalières (structures et logiques de soins toujours inadaptées).

75 Posant aussi des problèmes de régulation des médecins SMUR-SAMU avec les médecins hospitaliers. Cesmédecins étant confrontés aussi au problème d’un découpage administratif, et non en terme de proximité etd’offre de soins.

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Contrairement aux urgences vitales (« où il y a des circuits spécifiques », « la chirurgieou un trauma crânien chez un sujet jeune ça pose pas de problème », « les urgences vitalessont réglées par le SAMU, c’est eux qui règlent tout : trouver une place dans le serviced’arrivée, etc. D’ailleurs le médecin c’est pas son rôle de passer 3 heures au téléphone, enfinil en est dégagé… »), il n’existe pas de filières claires pour les personnes âgées carsouffrant de poly-pathologies.

Tous les enquêtés témoignant alors « de patients qui se retrouvent dans une impasse »,« baladés » (et alors éloignés de leurs proches), « dans le mauvais service », faute de litshospitaliers (en nombre et/ou disponibles), puis entre structures de soins de court ou moyenséjours. Mais aussi à cause de logiques d’hyper spécialisations médicales, encore centrées surla prise en charge de patients curatifs et technicisés.

« Les lits de médecine, de chirurgie, je pense pas qu’il en manque, après c’est une histoired’utilisation, enfin heu parfois certains spécialistes ne veulent pas tellement se mouiller parceque surtout les polypathologies c’est des gens qui vont rester longtemps dans les litsd’hospitalisation : ils bloquent les lits longtemps par rapport aux activités programmées ».

« …Donc là oui, il faut trouver des places, placer ces patients, c’est pas toujours facile :aujourd’hui il n’y a que 2 places paraît-il sur la structure (publique) », « tous les grosservices des centres villes sur la France sont encombrés de gens âgés qu’on a du mal à placerquoi ». « Avant la canicule, en décembre – enfin pendant toutes les vacances, nous on saitdéjà qu’on va avoir de gros soucis parce que beaucoup de personnes âgées se retrouventorientées vers l’hôpital, qu’elles ont des pathologies intriquées, alors on les met en attente ».« Et les familles je les comprends aussi, elles ne comprennent pas pourquoi on peut pas avoird’hospitalisation rapide, ils sont relativement outrés : quand on voit effectivement des gensâgés qui restent 48 heures sur un brancard – c’est des lits brancard mais dans les couloirs –pour nous c’est déjà pas facile à vivre, alors bon pour les gens, pour la famille c’estintolérable quoi. Ils ne comprennent pas pourquoi dans un grand pays comme la France onlaisse des gens dans les couloirs, comme dans les pires moments des hôpitaux d’avant, alorsqu’il y a quand même des lits disponibles ».

- Autre conséquence, la transformation « des services portes », lits « de post urgences »ou unités de courte hospitalisation de plus en plus débordés : « ça devient presque uncourt séjour, voire même un séjour gériatrique » (alourdissant encore en particulier letravail des professionnels non médicaux).

Les soins se reportant finalement en bout de chaîne vers les personnels desl’Hospitalisation à domicile (HAD)76, les paramédicaux libéraux77 et les professionnelsdes maisons de retraite « qui tiennent,…jusqu’à finir par renvoyer les gens aux urgences »(urgentiste), et finalement vers les familles. 76 « On a du mal pour les HAD les trucs comme ça, parce qu’il faut trouver des gens compétents, assezdisponibles et puis parfois c’est tellement lourd comme soins qu’ils ont du mal à assurer - parce que maintenantc’est au-delà des personnes qui ont besoin de toilettes, de portages, c’est soit des personnes technicisées, et heusoit qui sont déjà limites dépendantes » (urgentiste).77 Reconduisant les problèmes de prises en charge vers les (para)médicaux libéraux (suite à des hospitalisationsplus courtes), témoignant de difficultés de prises en charge techniques, mais aussi de passages hospitaliersrépétitifs extrêmement déstabilisateurs pour les patients (constat également fait par des hospitaliers de la postenquête).

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« On voit bien que les familles essayent de les tenir jusqu’au bout, ici c’est classique : ellesfont le maximum et puis un jour elles craquent, parce qu’elles ont du travail, leurs enfants etpuis elles peuvent plus s’en occuper quoi, ou alors elles tombent malades. Je crois qu’on vaavoir ce problème de plus en plus dans les 10 ans qui viennent » (urgentiste). « Les famillesassument puis c’est trop, ça donne des passages de force aux urgences, dans les maisons deretraite, enfin y’a aussi – faute aussi trouver des personnes pour faire les toilettes à domicile,de lits en maison de retraite » (psychiatre). « C’est lié au manque de lits en gériatrie, c’estpartout je crois », « les filières gériatriques ne sont pas encore bien mises en place »(urgentistes). « On a des patients de plus en plus nombreux et en plus en plus lourds…pleinde patients qui restent plus longtemps que prévu parce qu’ils n’ont pas de place » (gériatre).

Familles néanmoins souvent stigmatisées quand elles se déchargent de leurs patientsauprès de professionnels déjà « surbookés » (« elles se débarrassent comme ça », « les gensn’assument plus rien, ils ont peur de tout » etc.78).

Mais les témoignages des enquêtés révèlent aussi des systèmes de relégations depatients par les libéraux (détournement de filières traditionnelles de régulation par lesmédecins eux-même).

Les médecins urgentistes sont également confrontés à l’arrivée directe de patients adresséspar des hospitaliers mais surtout par des médecins libéraux :

- afin de faire bénéficier du plateau technique des urgences (« d’un minimum debilans, de prise en charge par une équipe médicale ») pour écourter les itinérairesde leurs clients.

Notons que cette recherche de rapidité et d’assurance dans les soins est beaucoup pluscritiquée et/ou moins bien acceptée et comprise quand elle est décidée par les patients eux-même.

- À cela s’ajoutent des personnes « qui n’entrent pas par les services habituels, qui vontconsulter directement aux urgences, – qui ne passent pas par le 15, – qui sontadressés par leur médecin, dont des personnes porteuses de grosses pathologies typeinfarctus. Et c’est l’urgentiste des urgences qui se retrouve avec ce type de patientsqu’il devra prendre en charge, mais pour lequel il va falloir trouver un lit d’aval ».*

Ces phénomènes expliquent pourquoi des médecins exerçant en établissement dans desspécialités vitales expriment aussi des envies de travailler en cabinet, alors synonyme demoindres responsabilités (possibilités de décharge vers l’hôpital, et surtout dans lesurgences) : « J’y ai déjà pensé (à un exercice en cabinet)…je pense que ça serait beaucoupplus simple. Parce que vous gérez votre cabinet point. Quand il y a un problème, vous faiteshospitaliser et puis voilà quoi » (cardiologue exerçant en clinique).

Il s’agit la plupart du temps de patients de médecins généralistes confrontés à desrisques vitaux a priori, décidant de placer leurs patients aux urgences, tant pour serassurer (ne pas prendre le risque de passer à côté d’une vraie urgence) que faute d’être

78 Discours présents en médecine libérale (cabinet).

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parvenu à joindre des MS hospitaliers (indisponibles ou ayant refusé de prendre leurpatient dans les services), et faute d’avoir pu placer leurs patients chez d’autres confrèreslibéraux (« Faute de place aussi en ville, j’envoie des patients aux urgences, même si c’estpas une solution » (psychiatre libéral).

« Je sais bien, je l’ai fait de l’autre côté : déjà ils n’arrivent pas toujours à joindre l’hôpital etpuis si ça s’aggrave… » (urgentiste ayant pratiqué la MG).

Mais il faut noter que l’on retrouve en fait à tous les niveaux ces logiques de déchargeet/ou non prise de risques, même chez les médecins des SMUR.

« Pour abonder dans le sens de nos collègues libéraux, il y a une dérive qui fait qu’on appellede plus en plus le médecin pour un oui ou pour un non, et dans certains endroits en fait, onappelle le médecin comme on commande une pizza, – sauf que les médecins libéraux ontrépondu en fermant leurs cabinets et en disant faites le 15. Et avant vous aviez des numérosde téléphones de MG, de médecins libéraux dans les journaux, dans...Tandis que nous, on nepeut pas fermer le centre 15, donc on a tout ce report d’activité qui vient chez nous…Maisquand vous avez un appel à 21 heures pour un gamin qui a de la fièvre, qui a 40, c’est quandmême difficile de dire : bin écoutez Madame, en attendant faites ça, ça, et attendez que lemédecin soit là demain – alors on a tendance à renvoyer ses patients si y’a pas de MGdisponibles, à les envoyer aux Urgences, parce qu’on ne peut pas prendre de risques ».

Les médecins urgentistes ayant eux aussi tendance à des relégations vers les MG :« on les rassure et on leur dit d’aller voir leur médecin traitant » (sans toujours vérifier si lespatients en ont un, et/ou quels que soient les délais d’attente des autres offres de soins…).

C. La gériatrie, une spécialité aux limites de la médecine hospitalière

Les gériatres hospitaliers sont peu cités tant par les MG que par les MS, bien qu’ils« vident » des lits « bloqués » par des personnes-âgées (« en fait, on est en milieu de chaîne,on sert un peu à décharger le CHU et les cliniques privées de courts séjours, c’est pastoujours facile à gérer ») –, voire peu visibles au sein des structures79. Ils sont en effet avanttout assimilés à l’exercice d’une « médecine polyvalente », en partie en charge des fameusespoly-pathologies difficiles à soigner, et à ce titre « à part » (« les personnes âgées c’est duverre, c’est compliqué, le sommeil surtout, les douleurs, c’est pire que les femmes enceintes !(rires) (gastro-entérologue), « la gériatrie, c’est pas technique, et quand vous avez vraimentque des personnes âgées, vous hésitez un peu plus à – vous êtes plus prudent dans vosinvestigations » (cardiologue), – voire « proche de la médecine générale ». « Paradoxalementdans les services de gériatrie, c’est finalement ce qui ressemble le plus à la MG : on a un peutout ce qui vient, – alors pour certains, ça peut tourner au mouroir mais pas forcément –, etdonc ils s’occupent vraiment de la pathologie de toutes ces personnes âgées, ils s’approchentplus de la MG : ils ont des cardiaques, des pulmonaires, des digestifs, un peut toutes lespathologies » (urgentiste).

Le paradoxe étant plutôt que les gériatres interviewés (mais tout comme les urgentistes) nedésirent jamais s’identifier avec les médecins généralistes (malgré le fait que tous les enquêtés 79 Peu indiquées dans les listing fourni à l’entrée des hôpitaux et/ou par les signalétiques dans les espaceshospitaliers, voire peu connues des personnels des standards téléphoniques.

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ont fait ou ont eu le désir de faire de la MG). Ils seraient en effet dans des positions fragilesd’intermédiaires dans les échelles de prestige.

- « Les personnes âgées, on ne peut pas les laisser à l’hôpital, parce que ce sont despatients qui n’ont pas besoin de bénéficier de plateaux techniques » (gériatre, CHU).

Quelles que soient les spécialités, l’exercice hospitalier resterait en effet symboliquementle lieu d’un travail au sein d’équipes de professionnels autour de soins curatifs technicisés etmoins un travail d’accompagnement (to care). Représentations expliquant des relégations desgériatres eux-mêmes vers les MG, des structures moyens ou de longs séjours, encore moinsattractives (soins non curatifs, non techniques et gestion de la mort).

- Ils assimilent leur travail à « une médecine globale » comme les MG (« je voulais pasavoir une spécialité d’organes et je voulais pas dévier de la prise en charge globaledu patient »). Insistant par exemple sur le fait que les proches du patient deviennentincontournables : « en gériatrie vous pouvez absolument pas en pas tenir compte del’entourage, en gériatrie, c’est colossal, surtout les conjoints » (médecin gériatre)80.

Mais au quotidien, c’est justement la gestion des familles qui s’avère être également laplus stressante (comme dans les autres spécialités) 81.

« Ce qu’il y a de plus dur en gériatrie, c’est peut-être d’avoir à traiter les familles et lesparents âgés… Je crois qu’il y a aussi, et parce qu’on y passe beaucoup de temps, c’est larelation avec les familles, parce que l’encadrement (lapsus), l’accompagnement des familles,enfin on leur donne une vue prospective des choses : enfin on leur explique qui peuvent pass’améliorer, elles peuvent se stabiliser, elles peuvent se, on peut apprendre à les, à les gérer,mais l’un dans l’autre ça va pas mieux, on n’a pas encore trouvé le processus qui fasserégresser les dégénérescences – (ton bas) ». « Y’a un énorme problème autour de la mort, lesgens ne l’acceptent pas…C’est pas forcément ceux qu’on aura vus les plus souvent auprès dupatient entre parenthèses82 ».

- La gériatrie serait alors au cœur de l’un des principaux non-dit du travailmédical : le rapport toujours problématique à la mort et en particulier à la findes soins curatifs.

« La gériatrie a quand même une connotation sociale, c’est 50/50 médecine, 50/50 du socialdonc on n’a pas forcément les mêmes avis entre confrères – la médecine est la même, mais ilfaut avoir un petit bagage derrière soit plus en matière philosophique parce qu’ on soigne desgens en fin de vie (…). Ce qui est dur aussi, c’est d’être un peu sur le qui vive pour savoir cequi est vraiment curable ou pas curable : par exemple quand vous avez quelqu’un de trèsconfus : est-ce que c’est un Alzeimer qui commence ?Est-ce qu’il est temporairementdésorienté ? Qu’est-ce que ça va entraîner pour lui ? (…). C’est pas de la cardio hein, c’estde la médecine très très générale ». « Y’a pas un jour où on se dit pas : « pourquoi je laisse

80 « C’est un cercle : vous savez, il y a des couples qui s’étayent, alors dès qu’il y en a un qui se casse le col, quia un problème de santé, bin c’est pas un, c’est les deux qu’il faut hospitaliser – parce qu’ils n’y arrivent plus,y’en avait un qui faisait les courses tout ça (rires) (pneumologue, public).81 Thématique générale traitée en 2.3.82 Leitmotiv des jugements négatifs des proches des patients identiques en libéral.

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pas tomber ? Est-ce que je soigne ou je soigne pas ? Est-ce que je traite ou pas ? Forcémentce sont des gens qui ont entre 90 et 100 ans ». « C’est dur, ça décape un peu – cette grandedépendance, ce grand sentiment d’inutilité (…). Mais ça c’est le propre de la gériatrie : faut-il laisser quelqu’un chez lui qui ne sait plus ce qu’il fait ? ».

Derrière cette problématique du retour des patients à domicile présente parmi tous lespraticiens de première et de dernière ligne, ce serait encore la responsabilité médicale quiserait en jeu. Mais les gériatres, au même titre que les médecins concernés plus régulièrementà la finitude exprimeraient aussi 1. de nouvelles incertitudes identitaires : « jusqu’oùsoigner ? Mais dans quelle condition on maintient les gens heu – si c’est pour…Franchement, j’ai peur qu’on ait pris un peu de retard à ce niveau-là » (psychiatre) 2. desdifficultés récurrentes à parler et à partager la mort avec des non professionnels (« C’est unepersonne qui nous a échappé comme je dis parfois » (psychiatre).

D. Où sont désormais les limites des soins ?

Les enquêtés ont souligné des carences :

- Le manque de recommandations concernant des choix difficiles

« On travaille tous pareil, enfin avec les recommandations ANAES, il y a une standardisationdes pratiques : tout est dit ce, qu’on doit faire, pas faire, c’est bien d’ailleurs, mais…Parexemple, est-ce qu’il faut opérer un patient de 90 ans qui a un cancer du colon ? C’est trèscompliqué ça, donc ça c’est encore une prise en charge individuelle, heu la prise en chargedes personnes âgées ça va être très très compliqué » (gastro-entérologue libéral).

- Le manque d’accompagnement des professionnels et de structures adaptées

« On est confronté à ce problème en cas de détresses respiratoires ventilatoires : « est-cequ’il faut intuber pas intuber ?, la réa est-ce que t’as des lits, t’as pas de lits ? ». C’est vraique bon on arrive à résoudre quand même le problème en équipe en disant : « bin j’ai puqu’un lit, ouais, ça m’embête tu vois cette personne, bon c’est pas évident ». Mais on a depuisquelques temps, alors que je le voyais pas avant – là encore ce week-end –, des décès auxurgences. Alors qu’avant on arrivait quand même à trouver un lit, enfin en HAD, à effectuerun transfert – moi j’ai trouvé ça très difficile, les équipes aussi hein : que quelqu’un décèdeaux urgences – on avait mis la famille du patient dans un box, vraiment pas très agréable.Bon on perd un peu d’humanité là, c’est un peu difficile hein » (urgentiste).

- Le manque de formations

Mais il semble que ces nouveaux besoins soient aussi entravés par des logiquesd’autonomie, d’endurcissement et des devoirs acquises durant les formations initiales.

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Des difficultés à aborder et à parler la mort

- Qui semblent s’atténuer chez les nouvelles générations

« C’est vrai qu’on ne nous apprend pas à la Fac, – pas du tout – à mettre les mots derrière,ou les mots à ne pas mettre d’ailleurs (…). On sort très jeune et en plus on est éduqué plus àl’inverse, c’est notre échec à nous – la mort hein, pour un médecin – c’est pour ça que jepense qu’on a aussi une espèce de complexe qui est difficile à gérer et qui fait qu’il y a unconflit, entre les familles et les médecins (rires). Or, si on veut apporter un peu de sérénitéaux familles, il faut assumer, faire face…heu quelque part le patient ne nous appartient pas,donc on n’a pas le droit de leur voler heu en faisant croire qu’on vit la même chose. Je croisqu’il faut pas leur mentir, mais par contre on peut avoir une espèce de dignité en face d’euxpour les aider à, du moins à parler et à évacuer (…). Mais je pense que ça change un peuhonnêtement, enfin moi j’ai moins de problèmes avec mes confrères jeunes médecins, parrapport aux médecins plus âgés. Bon c’est vrai que mon stage en service de soins palliatifs83

m’a beaucoup apporté, mais je trouve que maintenant les médecins sont moins corporatistes.Je veux dire qu’avant, c’était la sacro-sainte profession, il fallait pas toucher, il fallait passuggérer quoi que ce soit, c’est pas possible : on savait tout. Maintenant y’a des ouverturesvers les sciences humaines, des spécialistes de la mort » (gériatre, 34 ans).

« Moi je fais partie d’une génération qui trouvait déjà ça un peu exagéré avant – enfin que lepatient était à l’hôpital vraiment un numéro – j’ai vu des consultations de cancérologied’ORL avec heu 50 personnes autour, le gars qui ouvre la bouche heu dit : « c’est uncancer » devant tout le monde, enfin… des trucs innommables. Donc ça a un petit peu changéquand même (ton qui m’interroge aussi – relance). – Oh oui, d’ailleurs les gens ils le disent,les personnes âgées en particulier, ils y sont très sensibles – ouais je pense que ça a changé,je sais pas vous avez dû voir d’autres personnes (je suis obligée de dire oui) – c’est plus dudirect – et puis on a peut-être moins peur – enfin – je crois qu’on a eu une période où lesmédecins se croyaient – enfin il y a eu une période où les médecins étaient impuissants, ilsparlaient toujours de la mort, ça faisait partie du truc, au début de siècle – et après, je pensequ’on a dû passer une période où la médecine était super puissante, je sais pas dans lesannées 70 – où ils ont commencé à faire des trucs extraordinaires mais à devenir quandmême super puissants : par exemple, il fallait plus perdre de malades heu plus rien.Maintenant on est un peu revenu de tout ça quoi, on n’hésite pas à parler de la mort avec lesmalades et tout ça quoi, c’est bien, non ? » (cardiologue, 44 ans).

- Reste que la mort serait encore sinon vécue comme un échec par des médecinssalvateurs, au moins peu parlée spontanément (comme dans l’ensemble de la société).

Pourtant nos entretiens regorgent de confidences de souvenirs traumatiques plus ou moins« digérés » de morts pendant leurs stages.

« On a tous nos premiers morts comme interne, voire…un médecin a toujours un cadavredans le placard, moi j’ai mis 6 mois à m’en remettre » (MG exerçant en dispensaire84). « Le 83 « Ce qui nous manque c’est de travailler davantage avec les services de soins palliatifs, ils sont pas asseznombreux encore – pour se partager mieux les fin de vies, les malades lourds, car avec les infirmières, lesauxiliaires de vie, on s’épuise vite » (médecin généraliste, 37 ans).84 Informateur ne faisant pas partie des post-enquêtés.

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plus dur, c’est en début de formation, les échecs qu’on essuie, et quand je repense à cela,maintenant après 15 ans d’exercice, je me dis qu’ils sont dus à un certain degréd’incompétences. Alors ça a les conséquences que ça a, donc on se sent quand mêmeresponsable de…du décès, de la complication, de la…, c’est pas faux on est en partieresponsable. Si on arrive pas à intuber un malade parce c’est vrai, on y arrive pas et on estseul – alors qu’un Senior qui en aurait fait 500 aurait réussi –…donc ça c’est, ça reste là(geste vers la gorge). Y’a quand même de l’accompagnement mais y’a quand même unmoment donné où on est tout seul – je crois que ça, c’est c’est – y’a pas de solutions, je croispas qu’il y ait vraiment de solutions – enfin juste peut-être, y’a certains apprentissages qu’onpourrait : par exemple au lieu de nous propulser en réanimation, on pourrait avoir unesemaine de – mais en fait c’est à chaque – c’est à soi normalement de prendre sur soi, de sedire : « faut que je me forme à ci, à ça » – enfin y’a beaucoup d’autonomie…C’est à la foisbien quelque part, et à la fois heu – bon dès fois peut-être ça pourrait être un peu plusaccompagné – pas forcément encadré au moment de la prise en charge mais avoir – mais jecrois que ça ça c’est amélioré hein, enfin moi déjà – y’avait déjà des formations auxUrgences qu’on faisait pas, quand moi j’étais interne – donc ça c’est s’est certainementamélioré. Mais de toute façon heu l’expérience que vous avez, c’est comme dans tous lesmétiers hein- vous pouvez pas, ça s’invente pas, et même si y’a quelqu’un sur place ças’invente pas…(relance sur le fait que cela fait partie de l’identité professionnelle soignante) –je pense oui (bis). Mais bon si vous dites ça aux personnes, c’est un petit peu difficile àentendre non ? Je veux dire pour les populations d’entendre ça : que finalement il y a uneespèce d’apprentissage heu obligatoire heu » (cardiologue).

- Ainsi, le passage en réanimation est encore jugé « le plus dur », « la claque », mais aussi« le plus formateur », « le plus fort en raisonnement médical ». Car les apprentissages sur letas « avec de la casse » sont toujours perçus comme des rites de passage pour acquérirdes formes de distanciation émotive (d’où les minorations partout des besoins ou peud’utilisation des aides et soutiens d’ordre psychologiques, malgré les discours). « …Heu si,après on le ramène à la maison quand même parce que c’est pas facile à s’en départir(bredouille), le cancer du poumon atteint des gens de plus en plus jeunes, et de plus en plusdes femmes, donc ça donne une charge psychologique et une charge émotionnelle dans leservice, heu sur tous les soignants : l’infirmière, l’aide soignante, le médecin l’interne, heu lepsychologue, la secrétaire – c’est des choses pesantes de prendre en charge des patientsjeunes en soins palliatifs, heu mais c’est pas pour ça qu’on les refuse hein, c’est pas un refusde les faire, c’est qu’on sait que c’est pesant, point. Là aussi l’intérêt c’est d’avoir une équipeun peu bien structurée, à peu près bien soudée, qui se parle et qui peut essayer d’évacuer cegenre de choses ».

Le passage en réanimation étant aussi le plus rassurant pour les futurs libéraux, amenésplus que d’autres médecins à faire face seuls à l’urgence (au moins dans un premier temps).

« Après on est tranquille, il peut vous arriver quoi que ce soit avec un patient : le malade faitun arrêt cardiaque, bon. On arrive à réagir sereinement, sans se stresser ». « Quand on veutfaire MG, on a intérêt à ne pas rester en CHU, mais dans un hôpital de ville moyenne, enpassant par tous les services » (MS cabinet).

À ces logiques d’initiation, d’endurance, s’ajouteraient des logiques théoriques et morales.

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Les constantes des raisonnements médicaux : to cure>to care

- Les toujours possibles soins curatifs

« Si on raisonne en terme de soins sur une personne, une infection de pneumonie reste unepneumonie chez n’importe qui, c’est pas parce que la personne est démente, ou dans unfauteuil qu’il ne faut plus la soigner, ou à 90 ans soigner une pneumonie c’est licite. Chez lespatients âgés, je ne le vois pas comme une difficulté, non : y’a des gens de 90 ans, qui sont entrès bon état général, qui ont un accident X, une pathologie X et on la soigne en tant que telle,si c’est réversible, c’est réversible aussi à 90 ans. Alors après, on n’a pas la démarche de sedire : ‘est-ce qu’il faut faire tel soin parce que la personne est très âgée, parce que ce n’estpas un investissement en terme d’espérance de vie’, c’est pas une question qu’on va se poserquand on est près du patient, – peut-être le soir au coin du feu, mais c’est pas une questionpesante. Si on lui dépiste une pathologie incurable, on va se diriger assez naturellement versdes soins limités, plus limités que sur une personne de 40 ans » (pneumologue).

« Enfin on a beaucoup de personnes âgées quand même – et maintenant on les soigne commeles autres hein, de plus en plus. On opère des gens de 90 ans, du cœur (d’un ton qui ne dit pasce qu’elle en pense, elle rit – je lui demande) heu oui – enfin les gens qu’on a fait opérerc’était raisonnable – enfin les personnes étaient d’accord heu c’était des gens qui étaient enbonne heu, qui avaient bien leur tête heu…C’est un risque qui n’est pas négligeable mais, –non les 2-3 personnes qu’on a fait opérer âgées ça c’est plutôt pas mal passé…heu (relancesur la nouveauté du vieillissement). Le problème c’est après quoi, le problème c’estfinalement pas la chirurgie cardiaque, c’est après quoi. Si 5 ans après vous revoyez les gensavec une démence parce qu’ils ont 95 ans, vous vous dites : ‘j’aurai mieux fait de pas le faireopérer’ (ton bas et de suite presque en criant) – pas à cause du problème cardiaque quoi ! »(cardiologue).

- Renforçant des difficultés à annoncer des maladies incurables ou de mortsoudaine (absence de diagnostic) particulièrement dans les services d’urgences85

Même si partout (y compris en MG), l’écoute et l’accompagnement des patients(lourds émotionnellement et chronophages) restent palliées par des relais traditionnelsnon médicaux.

« On a des rapports un peu difficiles avec les cas dramatiques, la personne qui arrive qui vapas mal, et tout d’un coup on la retrouve morte à 40 ans. Quand on voit la famille, alorsqu’on ne sait pas de quoi la personne est morte, et qu’on ne sait pas quoi dire : on est un peudésarmé quoi. Parce que c’est insoluble quoi, humainement la femme qui laisse 2 gamins, ety’a finalement pas de réponse, malgré l’autopsie. Enfin entre les personnes qui servent lesrepas, les infirmières qui travaillent de jour et la nuit, – enfin on a une équipe – on a unpsychologue, on fait un peu de soins palliatifs. Je vous en ai pas parlé, enfin tout ça c’estponctuel –. Mais je dirais, même dans les mauvais cas en cancérologie, on a des familles pastrop mécontentes quoi, on a la chance d’avoir une équipe infirmière qui est relativementattentive et souple, enfin, il y a une écoute quoi – des effectifs en nombre suffisants » (gastro-entérologue). « La pneumologie comme la neurologie est touchée par le même phénomène devieillissement (…). Les soins palliatifs c’est important quand même, parce qu’on a des fins de 85 Constance des souvenirs de traumatismes d’accident mortels d’enfants à annoncer aux familles présenteégalement dans l’enquête de l’ANAES.

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vies à gérer. Donc là c’est une grosse charge dans la lourdeur du service, heu lourdeurtechnique et psychologique, lourdeur de temps : de présence auprès des familles, auprès despatients, enfin tout ça c’est beaucoup de travail, de présence – et c’est multidisciplinaire :c’est pas que médical hein, c’est aide-soignant infirmier, kiné, psychologue (…). Le soinpalliatif aussi c’est pas facile, c’est beaucoup d’investissement émotionnel…»(pneumologue).

Autrement dit, les prises en charge de la mort pourraient être sinon sources denombreux stress médicaux, au moins de tensions reportées sur les autresprofessionnels, et donc seraient peut-être à réinsérer dans le questionnaire national –tant elle pose des problèmes de prise en charge à l’ensemble du corps social.

« Mais c’est vrai que pfff ! Alors je comprends bien les familles ou parfois dans les maisonsde retraite, ils sont inquiets, la personne ne va pas bien – bon parce qu’il va mourir maisfinalement on accepte plus bien la mort à l’hôpi (lapsus) – enfin en dehors de l’hôpital quoi.On a l’impression que dans les maisons de retraite, ou dans les familles même, si l’annoncede la mort est prévue et bin les gens au dernier moment ils craquent en disant : oh non on lesamène vite à l’hôpital, si y’a encore quelque chose à faire, un espoir. Ils arrivent ici auxurgences, on va relire le dossier, on voit bien qu’il n’y a plus d’espoirs – et puis la personneau bout de 3 heures va mourir quoi : là aussi y’a un problème de société par rapport àl’explication de la mort, chez le sujet âgé ou chez le sujet malheureusement moins âgé maisqui est en cancer phase terminale – et…y’a un problème un peu de rejet de société face à lamort, j’ai l’impression (urgentiste, salarié privé nl).

1.3 La question complexe des collaborations professionnelles

« Collaborateur qu’est-ce que ça veut dire ? », « je connais pas, c’est encore un truc duministère ? ». « Est-ce que c’est les gens avec qui on travaille, ou les médecins de notrespécialité ? », « dans la même discipline ou dans tout le système hospitalier ? », « auniveau de la disponibilité ? ».

Les problèmes de compréhension de cette question (« qui sont vos collaborateurs ? ») ontrévélé surtout des difficultés à parler de l’ensemble des logiques médicales sous-tendant lesrelations professionnelles, et transcendant tous les types d’exercices et spécialités : le besoinde compenser des non-savoir, la nécessité de se couvrir (la question de la responsabilité étantaussi le fil conducteur des collaborations), la nécessité et l’intérêt de se décharger de certainspatients et des émotions qu’ils suscitent.

Cependant, si l’on observe des différences selon les générations, les possibilités deréassurance sont intimement liées aux positionnements réels ou symboliques de chaquepraticien dans les échelles de prestige déjà présentées. Autrement dit, la question decollaboration nous permet 1. de donner des pistes quant aux possibles incompréhensions quece type de questions peut susciter dans le questionnaire de la Drees. 2. de synthétiser desmodes et surtout des logiques de travail communs (logiques de spécialisation en vue decaptation et de partage des clientèles) 3. de faire une ultime mise au point des spécificitéscomposant les identités médicales, afin de mieux comprendre les chapitres suivants(également plus courts).

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Pourquoi ne parle t-on pas spontanément et précisément des professionnels avec quion travaille ?

Des logiques de captation et de partage de clientèle

Il existe déjà des « collaborateurs obligés » : des obligations de travailler avecd’autres médecins suite à une offre de soins limitée localement, et surtout avec des« spécialités vitales ». Ex : Pour les MG, les avis des MS (et si possible d’hospitaliersperçus comme les meilleurs garants du Savoir), les liens entre gastro-entérologues/chirurgiens et/ou anesthésistes. Il s’agit là de coopérations s’imposant defait, évidentes pour les praticiens car sous-tendues par une complémentarité pour la suitedes soins de leurs patients. Le modèle le plus évident de « coopération » restanttechnique : « on collabore aussi avec les radiologues parce qu’on fait des leséchographies avec eux, chez eux » (le collaborateur désigne alors les autres « confrères »MS), les « collaborations » entre clinique/hôpital public étant également liées àl’obligation de se partager des charges financières de techniques de pointe coûteuses.

La collaboration médicale permet en effet partout de pouvoir répondre aux besoins despatients, à capter (partage des moyens financiers, de clientèle), même si cette logique paraîtplus évidente en libéral : les associations y sont motivées d’abord « par l’excès de travail »,c’est-à-dire par le fait de « ne plus arriver à satisfaire aux besoins de santé », au point que lesruptures d’association dans les cabinets de MG interviennent lorsque les médecins attirent lesmêmes profils de clientèle (concurrence)86.

« Ça fonctionne » : les enquêtés ne voient pas non plus la nécessité de préciser avecqui ils travaillent et ne travaillent pas.

En effet, tous les médecins sont amenés par connaissances et/ou tâtonnements à seconstruire des réseaux (« les relations professionnelles, on les noue au fur et à mesure desannées », « à force, on finit par tous se connaître »). C’est-à-dire par à ne plus adresservers des services et/ou joindre les médecins peu engageants87. L’idéal recherché étant aucontraire de travailler avec ceux avec qui ils partagent « la même vision des choses ». Car bientravailler, c’est pouvoir avoir « des discussions rapides » « pour ne pas perdre de temps »dans ses propres soins (les proximités géographiques entre services étant alors également trèsappréciées et la notion de « disponibilité » au centre de tous les discours).

- La rapidité des échanges serait d’abord liée à la possibilité de partages de savoirs,facilitée entre médecins de la même spécialité.

Car symboliquement, le véritable collaborateur est le même : confronté au même type demalades, mais aussi celui à qui on peut échanger en connaissance de cause, et qui apprend enretour, sur le modèle-type interne/chef de service88.

86 Les associations permettant secondairement d’aménager son temps de travail (congés) et « la possibilité detravailler en équipe ».87 Comme lors de l’enquête ANAES, il faut noter à ce sujet l’importance du retour des patients permettant auxmédecins d’ajuster aussi leurs réseaux, et imposant aussi des nouveaux collaborateurs.88 Tandem reproduit donc aussi parfois dans les associations en cabinet de ville.

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- Secondairement, les collaborateurs désignent les autres médecins avec lesquels sontpassés des contrats tacites : accepter de donner son temps – toujours précieux – (leplus souvent au téléphone) contre services : échanges d’avis, d’examens, de malades.

« Les collaborateurs avec qui on travaille tout le temps, dont on a besoin et sur lesquels oncompte, sont disponibles vis-à-vis de nous parce qu’il y a une sorte de service rendu mutuel ».« Par exemple nous pour désengorger, pouvoir faire basculer les malades qui encombrent- eteux c’est intéressant d’avoir un urgenstiste parce que quand ils ont des patients un peu endifficulté, ils peuvent rapidement nous les faire passer dans le service, donc y’a une espèced’équilibre qui se crée donc c’est bon », « si je suis demandé pour les avis, c’est que jedemande beaucoup aussi » (MS hospitaliers).

- Enfin, la notion de services peut être minimale (donc également oubliée), etrelativement bien vécue dès lors qu’elle n’entraîne aucune compétition (territoires etresponsabilité des soins de suite délimités89).

« Les patients sont le plus souvent envoyés par d’autres cardiologues, donc là c’est asseztechnique, le cardiologue envoie son patient pour un examen, là on n’a pas à s’investir dansla relation » (cardiologue hospitalier). « Le reste ? Cancérologie, ça marche bien, rien àdire » (gastro-entérologue clinique). « Ah oui, mais ici on a aussi de la médecine interne toutça. Donc c’est pareil on peut éventuellement demander l’avis de médecins internistes qui fontbeaucoup de gériatrie aussi bien-sûr » (cardiologue clinique).

De la même façon, les libéraux tendent à minimiser leurs collaborations avec les MS déslors qu’il ne s’agit que d’un « simple passage technique » (type examen complémentaire,« contrôle de routine »). Le MS étant alors peu ou prou considéré comme un consultant, unprestataire de services.

Il n’en reste pas moins que les MG ou autres libéraux de ville ne sont alors que de simples« adressants », « correspondants » pour les hospitaliers. « Des personnes à qui on rendservice et qui nous rendent service », « tant qu’ils nous envoient des patients, c’est que çafonctionne bien ».

Le besoin de contacts, de connaissances est alors également réduit90 : « y’en a qu’onconnaît bien, parce qu’on a l’occasion de se rencontrer sur des congrès, ou qu’on connaissaitde la fac – et puis y’en a d’autres qu’on découvre, mais régulièrement avec mescorrespondants, on essaye de se voir quand même pour heu heu discuter et effectivementmieux se connaître, mais c’est pas souvent hein, on n’a pas le temps…(relance). Avec lescorrespondants c’est pas très important, je veux dire que dans la mesure ou sur le planprofessionnel ça…ça roule, c’est-à-dire qu’ils sont contents de nos services, c’est tout ce quicompte quoi. C’est pas utile de heu développer, après on tombe un peu dans le clientélisme sivous vous voulez. Et établir des relations amicales avec tous les médecins de L. c’est paspossible hein! (rires et relance sur les MG qu’elle a oubliée de citer comme la plupart de sesconfrères hospitaliers) – oui oui ça existe, mais par exemple avec les gens avec qui ontravaille régulièrement, on essaye quand même de manger avec eux au moins une fois par an– ça parce que c’est important quand même de pouvoir savoir avec qui on travaille – et je 89 Les associés (clinique et cabinet) n’étant alors pas toujours considérés comme « collaborateur proche ».90 Mêmes constats entre paramédicaux libéraux, et vis-à-vis des médecins libéraux.

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crois que c’est – oui mais ça a peu besoin d’être plus que ça quoi » (médecin travaillant enclinique).

En matière de collaboration, les atouts des hospitaliers (privé ou public) sont alorsencore évidents : « la force des établissements, c’est d’avoir beaucoup de spécialistes qu’onpeut avoir tout de suite, ce qui nous permet de pouvoir travailler rapidement et d’éviter deperdre du temps à nous même et au patient. Donc effectivement ça change tout de pouvoirtravailler effectivement comme ça, en réseaux en fait » (salarié du privé nl).

Il est difficile d’avouer pour les enquêtés de ne pas avoir de collaborateurs91 (le bonmédecin a des réseaux pour ses patients « pour vérifier si on se trompe pas », « poursolutionner des cas complexes »), mais aussi difficile de répondre précisément à laquestion des collaborations qui permet aussi à chaque médecin de « se décharger », de« s’appuyer », de « se couvrir ». Autrement dit d’avouer des besoins de réassurancepalliant finalement les limites du savoir médical (principal non-dit vis-à-vis despatients mais également entre médecins).

D’où l’importance de médecins « confidents », voire l’idéal d’une recherche de solutionsur Internet, garantissant l’anonymat : « ça serait bien d’avoir des sites quand on rencontreune difficulté sur un patient d’avoir la réponse pratiquement en instantané…ni vu ni connu ».Et la perpétuation des soirées formations, congrès dans la construction des réseaux,« plus l’occasion de se retrouver, de discuter d’un patient, de manger ensemble », « en plus,on est tranquille aussi, c’est pas des confrères qu’on connaît », « on peut pas trop partagerlocalement, heu y’a vite des effets de rumeurs, surtout dans les petites villes comme ici ».

Les limites de la collaboration : « Il faut que chacun trouve sa place ! Et que çatourne ».

Dire de façon détaillée avec qui on (ne) travaille (pas) et pourquoi, c’est égalementprendre le risque de dévoiler 1. la reproduction de hiérarchisations de statuts entremédecins (partages des bons et des mauvais malades) 2. la constance de relations deconcurrences (limites des réseaux) 3. L’importance des relations interpersonnelles dansle travail

Ainsi, les entretiens révèlent finalement des difficultés habituelles de disponibilités, c’est-à-dire aussi les logiques d’intérêts professionnels entravant les collaborations et fonctions dupouvoir de chaque acteur (/spécialité et /grade) :

- Entre MS et « grands patrons hospitaliers »

« Parce que des fois on a un cas, alors qu’est-ce qu’on fait ? On téléphone à nos patrons à M.et je lui dis : ’qu’est-ce que tu en penses ?’ Mais heu des fois ils ne sont pas disponibles »(libéral), « à l’hôpital on peut discuter avec les patrons, encore que, y’a encore quand même

91 À noter que répondre à cette question est également apparue dangereux lorsqu’elle émane du ministère (ex.peur que la réponse soit utilisée pour argumenter la démédicalisation de certains actes par des professionnelsmoins diplômés, faisant fonction, CDD, autres avatars de l’échec de l’idée « simpliste » visant à diminuer lenombre de médecins pour diminuer les coûts de la santé.

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une tradition de, c’est un peu difficile de remettre en cause son patron quand même »(clinique).

- Entre MS

« Je vois certains de mes confrères, en cabinet, ils ont quand même l’impression de végéterun peu sur le plan intellectuel, c’est sûr qu’ils me demandent des avis sur des trucs qui meparaissent moi évidents » (urgentiste, salarié privé nl), « on est parfois confronté à appeler lesspécialistes, heu tous ne nous consacrent pas leur temps » (gériatre, salarié privé nl), c’est-à-dire à la récurrence de logiques de relégations : patients imposés aux spécialités « en bout dechaîne » (au sein d’hôpital et en dehors).

Ex. En gériatrie des relégations de patients parkinsoniens par les neurologues : « c’est vraique quand il y a des gériatres, ils nous lâchent un peu ce qui les intéressent pas forcémenthein…92 ».

Notons que l’on retrouve ses désirs de tris à tous les niveaux, c’est-à-dire des logiques derelégation des problèmes sociaux (tendances à peu parler spontanément des problèmesd’alcoolisme même chez les gastro-entérologues et médecins des urgences minorant ououbliant de parler des Tentatives de suicide (TS)93, envois des patients ayant des problèmessociaux vers les structures non hospitalières même chez les psychiatres), et des difficultés à separtager l’accompagnement de patients atteints de pathologies incurables.

« Les cancérologues ne sont jamais disponibles quand on arrive à des stades terminaux,même pour passer un coup de fil au patient à domicile » (MG94), « …il y a des problèmes derelais pour les cancers, qui sont pas diagnostiqués à temps par les MG : ils n’ont pas envie dedésaper les gens, de faire les gestes (anus), bon c’est facile pour moi parce que je suis après »(gastro-entérologue, salarié hôpital public).

- « Traditionnellement, entre MG et MS, on a des relations compliquées »

a) Les demandes d’avis, délégations et relégations de patients sont moins faciles pour les MG,bien qu’ils aient des savoirs spécialisés limités.

La « collaboration » (ou la notion de collaborateur) n’est jamais envisagée par les MShospitaliers (toutes spécialités confondues, mais particulièrement des institutions publiques)avec les médecins généralistes de ville (pas ou peu cités d’emblée dans les entretiens), car lespartages de savoirs restreints (spécialisation mais aussi hiérarchisation des savoirs), donc lesintérêts professionnels aussi – et ce d’autant si la prise en charge du patient revient finalementau médecin adressant. D’ailleurs, les MS tendraient à classer aussi dans la catégorie « travail

92 D’autant plus acceptées que les médecins ont le sentiment d’appartenir à des segments de sous médecine (ex :« j’ai fini comme gériatre »).93 Ex. (relance sur autres patients) « …Non le problème c’est que le suicide, y’a des gens qui sont pas encoreendormis ou alcoolisés, ils veulent repartir donc, c’est dans ces cas là qu’on est obligé d’avoir une contention,soit physique, soit éventuellement chimique – voilà mais ça fait partie du travail des urgences, on est quandmême habitués à ça, un peu les ivresses aussi, ce sont des choses qui sont le pain quotidien (rires) ».94 Informateur de l’enquête ANAES-Fyssen.

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administratif » des avis et réponses aux courriers95 demandés par les médecins de ville(limites du rôle de simple consultant).

Cette perception est particulièrement prononcée chez les médecins hospitaliers (privé etpublic) qui se révèlent être les véritables pivots du système de soins : « on est à la croisée deschemins, le pivot médical dans les services : le Senior, enfin le praticien hospitalier oul’assistant du service, il est appelé par les internes, les infirmières par les secrétaires, par lesautres services – et donc on a des avis à donner en même temps, à plein de choses, et en plusdu travail normal : le plus gênant c’est le téléphone qui sonne en permanence avec pleind’intervenant différents (relance). Oui avec la médecine de ville en plus – C’est à dire qu’iln’y a pas une journée type durant laquelle heu, c’est pas une journée de consultations biencadrée où on est maître de son temps parce que ça a été planifié (…). Donc il n’y a pas dejournée type y’a beaucoup d’aléas dans l’organisation, l’organisation est impossible, on estun peu dans l’immédiat, oui, dans l’instant (relance). C’est lié à la place, le médecin à tempsplein qui fait tourner le service, c’est lié aussi à la spécialité…mais en cardio ça doit êtrepareil, heu » (pneumologue, hôpital public).

b) De plus, les MG sont les plus exposés aux critiques habituelles des MS. Ils ne donnent pas« les bonnes indications », « n’adressent pas au bon moment », et surtout « essayent detout gérer eux même », « gardent trop longtemps le patient » (captation de clientèle)96. Etils sont souvent jugés sur leurs méconnaissances…

D’où l’extrême nécessité pour les MG de se faire des interlocuteurs « alliés » : « moi entrenous, j’ai un truc : j’ai un pote, un copain d’internat à qui je téléphone quand j’ai un doute :est-ce qu’il faut hospitaliser ou pas ? Souvent il me dit : ‘c’est hyper compliqué de le savoir’,donc il me juge pas, ça me permet de pas trop angoisser. Et même maintenant, je ne suis plusforcément ce qu’il me dit, je le prends pour un simple avis, je commence à avoir plusconfiance en moi » (MG97).

Les problèmes des MS étant plutôt de décoder les demandes de MG : « c’est aussi difficileà décrypter entre ce que dit le MG – ce qu’il attend de nous, ce que dit le patient etl’entourage ». « On se demande parfois ce qu’ils veulent les MG, le plus difficile c’est decollecter quand même des informations pour la suite : on interroge les patients, on lit lescourriers, on appelle au téléphone », « le plus dur c’est de faire la part entre ce que le MG adit, ce qu’il veut, et ce que dit le patient »98.

Reste que les discours des MG révèlent ce qui sous tend les limites des collaborationsmédicales en général : collaborer c’est aussi risquer est de perdre la face /à ses pairs desgrands CHU : « on peut adresser aux urgences mais pas trop, sinon on passe pour unrigolo » (MG99), « il y a des limites, on peut pas trop déranger les grandes spécialités, les

95 Également selon une logique générale considérant comme non légitime toutes les tâches écrites, avec desrelégations vers les secrétaires (arrêt maladie, curatelle d’invalidité, cure…) = pas du vrai travail et un travailchronophage, sans intérêt.96 Même constat parmi les MS enquêtés par notre équipe.97 Informateur ne faisant pas parti de la post-enquête, travaillant en dispensaire.98 Idem.99 Informateur de l’enquête ANAES-Fyssen.

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CHU, heu demander certaines choses directement, on en parle déjà entre nous » (médecinCH).

- Plus fondamentalement peut-être, les limites des relations des médecins (du public enparticulier) semblent importantes avec la médecine de ville (et par extension avec lesprofessionnels de ville non médicaux).

Elle reste peu (re)connue, car considérée comme une autre médecine, voire comme unenon-médecine : outre l’invisibilité des soins de suite, les méconnaissances et les oublissemblent liées également à une forme de désintérêt pour le travail en amont de l’hôpital,auprès de malades peu médicalisables (territoires étrangers, éloignés de la médecinehospitalière) réalisés de plus par des professionnels moins diplômés (MG, paramédicaux,assistants sociaux, etc.).

Et cela même dans des spécialités a priori en interface, chez des médecins habitués autravail au sein d’équipes relativement peu hiérarchisées.

Ex. En psychiatrie, aux urgences (« on a vraiment un travail d’équipe, on est une équipesoignante, donc l’infirmière est aussi importante que l’AS qui nous donne des renseignementsintéressants sur les patients, arrive à avoir un meilleur contact parce qu’elle a plus detemps ») ou en gériatrie où les médecins vantent leur travail au sein d’équipes comprenant desparamédicaux, aides-soignantes et assistantes sociales, voire des animatrices, et ont aussi desnotions de « collaborateur extérieur » (« société civile » : commune, mairie, associationd’aide à domicile, commissariat, médecins de ville toujours cités en derniers).

Cette invisibilité est renforcée surtout s’il existe des relais assumés par d’autresintervenants (appréhendés comme « hors circuit »).

« Et on soigne de plus en plus de cas d’agressions, la société devient violente alors on envoit beaucoup – mais c’est vrai que ça vient aussi de notre spécificité en centre ville, prochedes gares. C’est vrai que de la violence urbaine y’en a toujours eu mais plus à la sortie deboite, le vendredi et le samedi, le dimanche soir, alors que maintenant c’est dans la journée.Bon ça débouche pas sur des hospitalisations, c’est des petits coups et des plaies enfin pas degravité importante, des plaies à l’arme blanche c’est même rare – c’est plutôt coups etblessures ou traumatisme psychologiques – donc c’est réglé par la police…et quand mêmesur L. on a des centres d’accueils psychiatriques bien spécialisés (relance), c’est vrai que lepremier groupe là où y’a le maximum d’hospitalisation c’est les TS mais maintenant avec lesmédicaments y’a pas trop de risques sur la santé, et puis c’est assez standardisé puisque nousfinalement, quand ils arrivent les TS, la plupart du temps ils sont tellement endormis que c’estplus un problème, c’est après, le suivi psychiatrique – bon heureusement, on a deuxpsychiatres qui peuvent être là la semaine, bon le week-end on est plus embêté pour avoir unavis éventuellement, surtout qu’il y a malheureusement une porte de psychiatrie qui s’estfermée sur L. ». « Ah oui c’est vrai que nous on est proche d’un centre d’accueil SDF, on ensoigne quelque uns, on a un réseau social rue-hôpital » (urgences).

- Selon les mêmes logiques, les paramédicaux et autres intervenants à domicile ne sontpas non plus considérés comme des collaborateurs, même par les MG (qui les considèrentau mieux comme des auxiliaires médicaux).

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On observe plutôt à tous les niveaux une méconnaissance (du travail) des intervenants nonmédicaux (les hospitaliers ne citant à la demande de l’enquêteur que les « HAD » – mais enréduisant leurs compétences au lit toilette pansements) –, eux même relativement autonomespar rapport aux médecins100 et donc finalement peu demandeurs de plus de collaborations(non-filière car compétences nettement séparées, sans enjeux d’intérêts). De plus, on observedes suspicions quant à la qualité de leur travail (impossible à contrôler101), parce que peurémunéré, en particulier celui des associations de soins à domicile (« il faut des instances desurveillance, parce que c’est des créneaux financiers »).

Les oublis touchent en particulier des kinésithérapeutes (même chez les médecinstravaillant a priori à leurs côtés par exemple dans des structures pour personnes âgées). Leskinésithérapeutes ne sont reconnus que lorsqu’ils s’insèrent clairement dans des filières desoins de suite avec retour des patients au médecin et à partir de pathologies clairementdéfinies par ce dernier (« heu, et puis accessoirement, pour les post hospitalisés, on dépend derééducation de kiné et de rhumatologues, ce sont des spécialités complémentaires » gastro-entérologue, clinique). Inversement, dans toutes les autres situations, ils ne sont pasconsidérés ni comme collaborateurs ni comme auxiliaires médicaux (un dernier recours quandil n’y a plus de solutions médicales, une proposition de confort pour le patient…). Ils sont deplus eux aussi objet de suspicion d’intérêts financiers, et cela d’autant qu’ils affichent desdésirs d’autonomies vis-à-vis des médecins (recours directs des patients, collaboration avecles chirurgiens…).

La concurrence : un pour tous, tous contre tous

Plus globalement, les liens sont conflictuels entre médecins (entre libéraux, médecinede ville et hospitalière) quand les territoires, les compétences et surtout les prétentionssont communs : tout l’enjeu est alors le retour patient, c’est-à-dire qui prend en chargela suite des soins.

Les compétitions sont alors particulièrement visibles :

- dans les spécialités de médecine générale ayant des patients aux profils diversifiés etqui peuvent recourir d’eux même directement plutôt vers tel ou tel médecin (MS/MG)(absence d’identification par des techniques spécifiques).

Ex. Les problèmes de compétition entre les MG et les pédiatres, gynécologues,neurologues, psychiatres : « l’information, l’avis n’est pas trop transférable hein, il y a desproblèmes de concurrences », ou l’utilisation par les libéraux de recours hospitaliers pouravoir la garantie du retour de leur patient (autre détournement des urgences par les médecinseux-même).

À cet égard, les oublis à tous les niveaux de mentionner les psychiatres (tout en leurreléguant des problèmes avec des patients « psy »102), révèlent les limites des collaborations :

100 Bien que souffrant du manque de reconnaissance des médecins, en libéral aussi.101 D’ou les mêmes suspicions chez des MG à propos du travail d’infirmières libérales (faire les toilettes tropvite, faire des toilettes inutiles chez les MG), et de ces dernières à l’encontre d’auxiliaires de vie, voire d’aides-soignantes.102 Même catégorie extrêmement large que chez les infirmières.

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« avec les psy on n’a jamais de retours papiers et en plus ils ne sont pas disponibles, enconsultation avec leurs patients, on ne peut pas les déranger », « en plus on n’est pasd’accord sur le fond, sur les soins » (logiques de soins contradictoires).

- Dans les spécialités en voie de reconnaissanceAinsi, si les MG ou les gériatres tendent à ne pas apparaître dans les discours des autres

médecins, ils sont potentiellement eux-aussi de futurs concurrents : les MG oublient d’enparler, alors que certains gériatres (en particuliers les plus excentrés des CHU) aspirent à des« partenariats » « parce que nous on peut mieux s’occuper des PA que les MG », « pour avoiraccès aux domiciles des patients…C’est un domaine qui leur appartient, mais c’est importantqu’il y ait un lien entre nous qui avons le temps de préparer les choses et eux qui feront lasuite… »

Derrière la désectorisation demandée se profile alors de nouveau le désir de suivre lespatients pour développer une expertise hospitalière, toujours mieux reconnue.

Cependant, et pour conclure, la question de la collaboration dévoilerait surtoutl’importance première des relations interpersonnelles103.

« Les choses qui fonctionnent le mieux, ce sont les liens interpersonnels ».

Les parcours professionnels dévoilent des préférences à travailler avec des médecinsconnus puis l’entretien de relations d’affinités et de sociabilités, garants d’une meilleurequalité du travail.

Ex. « J’avais le choix entre une chefferie de service à développer à V. ou de venir ici. J’aibeaucoup hésité (rires), bon j’ai choisi ici par ce que sur le plan familial c’était un peu plussimple – bien que V. c’était pas très loin, et puis je connaissais bien le docteur B. alors queles médecins avec qui j’allais travailler à V. me paraissaient moins, moins évidents,clairement. L’environnement professionnel, on en parle tout le temps, mais je pense que c’esttrès important… ». « Y’a des médecins avec qui ont va s’entendre et d’autres pas, c’estvariable hein, ça dépend beaucoup des individus », « en fait on travaille surtout avec ceuxd’A. avec qui on a noué des relations très profondes, ça se passe bien, lui il sait qui je suis,moi je sais qui il est, c’est vrai que ça facilite énormément les choses ».

Et inversement, « les individus font et défont les relations professionnelles ».

Autrement dit, répondre à la question des collaborations c’est finalement faire étatde compétitions, de situations de concurrences entre villes, régions, villes et surtoutd’individus (préférences/rejet).

- Il existe ainsi des pratiques d’exclusivités (ex tel gastro-entérologue/clinique locale,tel MG/foyer ou telle maison de retraite ou tel hôpital local) induisant aussi denombreux conflits (« chasse gardée », « il tire en fait la couverture à lui », « c’estune accréditation de façade », « le directeur préférait faire travailler un libéral plutôtqu’un salarié » …).

103 Même conclusion à notre enquête sur les réseaux de soins en MG.

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- Si des mésententes cordiales sont évoquées dans tous les parcours des enquêtés, lesconflits personnels peuvent parfois être extrêmement violents à tous les niveaux,quand ils entravent le développement du travail d’un des acteurs (non-réseau, non-collaboration).

Il existe ainsi des situations de collaboration bloquées, particulièrement entreprivé/public, dans des spécialités dites techniques (chirurgie, gastro-entérologie). « Maisaussi dans la plupart des spécialités, et ça entraîne au niveau national des dépenses de santéinutiles, des achats en doublon. Mais c’est sûr que par rapport aux autres régions, ce quifrappe ici, c’est le manque de collaboration privé/public, c’est lié à des phénomènespurement locaux, aux hommes qui sont ici, les collaborations localement sontimpossibles » (gastro-entérologue libéral), « y’a des médecins du public qu’on arrive pas àjoindre en gardes, parce que vis-à-vis des centres proches heu y’a un peu de concurrence, ilssouhaiteraient avoir la totalité des activités » (libéral cabinet/clinique). « Pareil pour lesessais de régulation libérale au sein des centres 15 : en fait le but inavoué des MG était defaire une régulation mais afin d’éviter le maximum de sorties, de visites par leurs confrèresgénéralistes de garde » (captation de clientèle à soi) (salarié du public).

Et ces querelles de territoires sont également très présentes en intra public (entrechefferies, au gré des directions) :

« Depuis l’arrivée du nouveau directeur, impossible de faire entendre quoi que ce soit, c’estfichu pour eux, il a décidé qu’ils devaient disparaître, c’est un conflit avec le chef d’ici »,« on a un souci avec les enfants, à cause d’une organisation un peu rigide, le chef de servicene veut pas déléguer un des pédiatres, alors qu’ils sont en nombre. Et les médecins ne veulentpas se déplacer, enfin monter (problème souvent de partage entre ancien/nouvel hôpital) ».

Finalement elles aboutissent à des contournements des circuits officiels (utilisation deréseaux de collaborateurs préférentiels informels > rationalisation des coûts etitinéraires des patients).

« L’exercice de groupe en libéral, je sais pas si ça peut arranger les choses : ça c’est trèsmédical, les histoires de regroupements ça a toujours existé à l’intérieur de l’hôpital. Je croissurtout que toute la profession fonctionne par cooptation plutôt104. – C’est d’ailleurs là-dessusqu’ils se sont heurtés à ça quand ils ont fait de grosses unités hospitalières. L’intérêt initialc’était de pouvoir disposer de tout, plateau technique avec toutes les spécialités au mêmeendroit – et on s’est aperçu que ça foirait complètement : parce que vous aviez le patron decardiologie qui pouvait pas supporter le type de la radio vasculaire et qui donc faisaitappeler le SAMU ou machin pour la radio vasculaire dans d’autres trucs – qui dépendent del’AP mais…c’est vraiment par groupes de copains…On n’a jamais réussi non plus à faire sedéplacer un médecin au lit du malade hein, c’est toujours le malade qui est au chevet dumédecin. En fait, les réseaux se forment par facultés – avec des facultés plus ou moins cotées,mais travailler avec un ancien collègue interne c’est toujours une garantie. – Et donc aprèsc’est pas facile de changer de région. Pourquoi ? Parce que tu connais telle équipe et pastelle autre (relance). Oui c’est très compliqué, je viens juste de m’installer (poste urgences 104 Terme utilisé par d’autres enquêtés (« donc moi je suis rentrée par mon collègue – on est coopté par nospairs »). Il est alors difficile d’en savoir plus sur ces réseaux souterrains à construire, à capitaliser dés laformation initiale, ou déjà acquis par lignées familiales.

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publiques), c’est pas très simple, je m’en rendais plus compte parce que justement à M. jeconnaissais tout le monde, 20 ans dans le même secteur – mais c’est vraiment dur de seréimplanter, on est un peu paumé, c’est quelque chose à revivre, probablement que ça rajouteau stress…Les histoires d’équipe en général c’est très compliqué avec ceux qui s’aiment, quine s’aiment pas, – ceci dit les réseaux de copinage je ne suis pas sûr que ça soit spécifique auréseau médical hein, y’a des réseaux de fac, de recherche ».

Les alliances clinique/hôpital public… des associations privé/publique avant tout pour survivreQuelles sont les conditions des alliances ?

1. Ententes entre hommes « partageant la même vision »105 (regroupement en vue de « maintenir l’outil de travail »).2. Accord sur la complémentarité public/privé, mais surtout sur des besoins mutuels de partages clairs d’activités (« on nepeut pas tout faire, si on fait tout en concurrence, aucun des deux établissements n’arrivera à faire de proposition correcte.Donc on se partage l’activité en restant sur les créneaux qu’on sait faire ») et des intérêts communs à survivre : (« pour lesregroupements cliniques privées et hôpital, pour cette association, on met à plat tout le fonctionnement de l’hôpital. Bon onest dans un département où il y a déjà un CHU, donc qui a un effet aspiratif des moyens médicaux à notre détriment, ce quifait qu’il faut qu’on fasse attention de ne pas perdre notre statut de pôle référent de santé public, enfin si on veut pasdisparaître, il faut associer nos moyens » ).3. Aide de l’Agence régionale (« groupement de coopération sanitaire ») pour débloquer de moyens (« y’a eu des praticiensembauchés, donc le regroupement des 2 structures ça va probablement optimiser la prise en charge »).

Le partage serait surtout une affaire d’hommes, mais aussi de plus en plus degénérations106 (plus grande habitude au partage, en particulier à dire qu’on ne sait pas)plus que de type d’exercices :

« En tant qu’MG, j’avais choisi quand même délibérément l’hospitalier : c’était pour ne pastravailler seule dans mon coin. Donc dans le premier hôpital (public) j’ai été déçue, et puismaintenant ici je suis complètement rassurée quoi. Y’a toujours des choses à s’expliquer lesuns les autres – mais quand la conversation est ouverte et quand on ne met pas de fierté malplacée, je pense qu’il y a plein de choses qui peuvent passer » (gériatre, 34 ans, Auvergne,salariée privé nl).

« Moi je ne voulais pas travailler seule, donc ça a été le clash avec le premier groupe demédecins, au point où je m’étais dit : ’ il vaut mieux encore travailler seule’, et là finalementj’ai retrouvé un vrai partage, enfin on peut se permettre de dire qu’on ne sait pas, ons’échange les patients sans problème » (médecin généraliste, 37 ans, PACA libérale).

Des besoins de réassurance donc de spécialisation (résumé)

Finalement, ce chapitre met en évidence les limites de la première catégorie decomparaison (salariés/libéraux hospitaliers). Une analyse transversale des entretiens fait plutôtréapparaître des données structurelles concernant les études déjà menées sur les médecins.

Ce qui ferait la différence dans les ressentis positifs ou négatifs au travail serait :

- les capacités de nouer des liens avec les spécialistes hospitaliers (on se définit d’abordpar rapport à ses pairs des CHU),

105 En fait, ce terme semble inclure de nécessaires ententes interpersonnelles.106 Comme nous l’avions déjà constaté concernant les relations avec les patients en fin de vie.

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- le type de pathologies soignées (on se différencie ensuite à partir des catégories« vrais » et « faux » malades, source de valorisation/dévalorisation du travail entremédecins),

- les capacités à filtrer les patients et à se reposer sur d’autres professionnels pour leursaccompagnements et celui de leurs proches (on recherche une délimitation de sonsavoir l’approfondissement de spécialisation).

Si l’apprentissage continu et entre soi reste un idéal rapporté à l’exercice salarié public(partage de savoirs cumulatifs partagés entre experts), ce sont toutes les formesd’échanges avec les médecins spécialistes hospitaliers qui sont prisées commegaranties de réassurance professionnelle : non seulement pour rester performant,mais aussi pour se partager des décisions et des risques.

Autrement dit, plus que le fait d’être ou non salarié et d’exercer dans tel ou tel type destructure (publiques ou privés), être ou ne pas être CHU, y avoir ou non des « amis »,« collaborateurs privilégiés », des « référents » ou des « alliés », être ou ne pas être éloignéde grands centres hospitaliers, avoir des gardes à répétition ou non…sont autant de facteursfavorisant ou limitant le stress au travail. L’exercice libéral en cabinet, et en particulier lamédecine générale étant ressentie comme l’exercice le plus périlleux, car démultipliant lesrisques de solitude professionnelle, c’est-à-dire les risques de fautes professionnelles, hantiseprésente chez tous les médecins ou presque.

Ce chapitre tend également à confirmer l’importance première des hiérarchisations dutravail entre médecins : implicitement, travailler en établissement (publics ou privés) c’estsoigner avec d’autres experts spécialistes de « vrais » patients technicisés et/ou hospitalisés,par opposition aux patients en « consultation externe », ayant des pathologies plus ou moinsgraves (« fausse urgence » « médecine générale ») et réelles (« fonctionnelles ») rapportées àl’exercice en médecine de ville.

Le type de relations nouées avec les représentants du savoir (CHU, spécialités« vitales », « nobles », etc.), mais aussi le type de patients soignés (venant ou non de leurplein gré, triés ou non) et les risques encourus pour ce faire, resteraient la pierreangulaire des identités médicales, délimitant de façon très restreinte les collaborationsau travail.

- Outre les problèmes récurrents de concurrence (logique de captation de clientèle) et dequerelles individuelles, on constate une relative méconnaissance des ressources extrahospitalières.

- Les hiérarchisations médicales rendant en particulier invisibles les MG, censés êtrepourtant des acteurs pivots (mais cumulant en fait l’ensemble des représentationsnégatives en médecine : exercice à risque d’une médecine non spécialisée et nonhospitalière, disponibilité voire sacrifice obligé à des clients-patients non triés).

- Les prises en charge complexes, aux limites de la médecine hospitalière,particulièrement les fins de soins curatifs, tendraient alors à se reporter in fine nonseulement vers les libéraux (médecins et non-médecins), mais aussi les familles, par

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ailleurs peu citées comme collaborateurs potentiels (comme les associations depatients), car toujours associées à des non savoir légitimes107.

En effet, en terme de qualité de travail, tous les médecins interviewés aspirent à n’avoirque des patients (des pathologies) triés. Au-delà des types d’exercice, bien vivre sontravail, c’est non seulement pouvoir accéder à des savoirs et/ou des relais techniques,mais aussi maîtriser l’afflux de clients afin de limiter les risques d’erreurs diagnosticset de favoriser la captation de clientèle (approfondissement d’une expertisereconnue).

Autrement dit, les ressentis des charges de travail seraient étroitement liés aux possibilitésde pouvoir placer des patients éloignés de centres d’intérêts du praticien et/ou lui faisantprendre trop de responsabilités, en dépit du manque de places dans les services et/ou de refusde MS.

Dès lors, exercer dans des domaines médicaux ou dans des régions où il n’y a pas ou peude possibles filtrages des malades, revient à entraver des possibles spécialisations. Lesmédecins étant alors davantage confrontés directement aux maux de patient plus ou moinsmédicalisables, en particulier « à des personnes de plus en plus âgées » souffrants depolypathologies et nécessitant des prises en charges encore peu enseignées dans les cursus deformations initiales (to care). D’ou les difficultés communes exprimées par des praticiens « enpremière ligne », en amont des soins (MG, urgences) en position de « débroussailleurs » du« tout venant », ou en bout de chaîne (gériatrie, court et moyens séjours), travaillant à la foisdans des spécialités les moins valorisées, et où les professionnels (paramédicaux compris)éprouveraient le plus de difficultés à (re) placer des patients dans les services hospitaliers,mais aussi à trouver des structures de soins de suite.

***La hantise des hospitaliers serait finalement d’être obligé de prendre la responsabilité de

soins complexes et longs de patients de médecine générale, d’ou des habitudes traditionnellesà tous les niveaux de délégations/relégations de « mauvais malades » (problèmes sociaux, finsde vie vers d’autres professionnels moins diplômés). Reste que plus conjoncturellement, lesdifficultés à assumer des prises de décisions graves seraient encore amplifiées par l’arrivéemassive de personnes-âgées dans tous les services : comment les soigner, et jusqu’ou ?

De tout ce premier long développement, il n’y aurait alors peut-être que ces seulstémoignages à retenir :

« Je ne sais pas si vous pouvez le dire, mais il faut savoir qu’on ne sait pas en fait, – même lesautres spécialistes sur plein de questions. Faire semblant de savoir et prendre en solitaire ladécision finale, sur les personnes âgées notamment, ça c’est l’angoisse permanente »(libéral). « Nous les médecins, ne l’oubliez jamais, où qu’on travaille, on est seul, seul àprendre la décision, et si s’il y a un problème on est responsable »108, « et plus on devientSenior, et plus on nous demande cette potentialité : les internes nous demandent de conclure, 107 Objet d’un développement en 2.3.108 D’où également des conflits récurrents avec des directions, des paramédicaux, pharmaciens dés lors que cesderniers prennent la prérogative d’interférer dans les soins prescrits (thématique sur laquelle nous concluonsen 3.2).

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mais c’est vrai que nous après, on n’a plus personne pour discuter derrière » (salariés dupublic).

Comprendre ces soubassements identitaires, c’est comprendre les discours du malheur quivont suivre : en effet, outre les questions posées par l’allongement de la vie, les besoins deréassurance professionnelle seraient actuellement laminés par des risques de dégradation desconditions et des organisations du travail (qui une dernière fois, sont perçues commetranscendant les lieux et type d’exercices).

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2. Conséquences et étiologies de la crise médicale : la fin d’uneépoque

La « crise » médicale est au centre des discours des enquêtés. Elle tendrait à amplifier dessentiments d’uniformisation du travail médical. Ainsi, les atouts des établissements publicssont fortement nuancés suite aux restrictions budgétaires (ex. fragilisation des statuts,amoindrissement des possibilités de formations, etc.), mais aussi ceux du privé (ex.consultations « de plus en plus rapides »). De même, suite à la raréfaction des étudiants enmédecine, internes, attachés « qui aidaient au travail », les différences public/privés’atténueraient voire s’annuleraient : « ils ont les même problématiques de pénuries, lesmêmes problèmes de conditions de travail ». « De : ‘il faut faire mieux avec moins’, on en està : « on fait moins et plus mal ». Les enquêtés tendant également à minorer les différencesselon les spécialités109, ce qui semble à l’analyse loin d’être le cas.

Il existe également des explications et des conséquences globales de cette crise, tant vécuequ’anticipée, amplifiant les angoisses de la faute professionnelle. Mais les discours spontanéstémoignent plus profondément de ressentis communs d’une perte d’aura médicale(symbolisée par l’intrusion de médecins étrangers), suite à une double pression – des pouvoirspublics et des patients – contribuant à la fragilisation des identités professionnelles. Enparticulier dans les anciennes générations, les problèmes des pénuries médicales, mais aussiles nouvelles règles, contrôles du travail sont vécus comme autant de nouvelles contraintesimposées par des gestionnaires, entravant non seulement l’autonomie du travail, la qualité dessoins mais stigmatisant de façon injustifiée une profession déjà ébranlée par (la crainte des)les risques de procès.

Quels que soient leurs types d’exercice, les médecins psychiatres (et/ou psychanalystes)apparaissent à la fois les plus virulents à critiquer les effets au quotidien des logiquesbureaucratiques, et les plus compréhensifs face aux nouvelles aspirations et/ou hantises despatients, jugées déplacées, voire intolérables par les autres enquêtés car non comprises.

Reste que la plupart des enquêtés se sont positionnés comme des victimes boucsémissaires – soit d’erreurs politiques, soit d’abus des usagers –, c’est pourquoi il nous sembleimportant 1. de consacrer un chapitre à l’analyse même partielle des tenants et aboutissants decette crise jugée profonde (qualifiée « de marasme », « cataclysme général », « pessimismeambiant » « dépression »), dont les constats pourraient peut-être être des thématiques àdévelopper dans le questionnaire de la Drees. 2. D’analyser également les paradoxes de cesdiscours (chapitre 3).

2.1 Des constatations communes : l’augmentation des temps de travail

À la question portant sur l’existence de périodes de surcharge de travail, les enquêtés ontété unanimes quels que soient les lieux d’exercices : le temps de travail serait désormais

109 Ex. (Relance) « Mais ça n’a pas de sens de faire de différence, on est tous touché (relance) Bon, lapsychiatrie est coûteuse et on soigne des gens qui ne sont pas absolument pas productifs et efficaces – Credo dela société – on fait du palliatif enfin, on a des résultats quand même, de ce côté là, c’est évident, on est touchébien entendu ».

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« continu », à l’image des « anciennes générations qui ne faisaient que travailler. Mais aumoins, ils avaient la reconnaissance, l’aura ».

Cette augmentation amplifierait les risques de fautes professionnels. Cependant, lesphénomènes d’usure, voire les risques de burn-out au travail semblent toucher enparticulier des spécialités relationnelles, déjà placées en bas des hiérarchies médicales, etles médecins travaillant déjà dans des régions sous médicalisées.

A. Les pénuries médicales au centre de tous les discours

La crise médicale est d’abord vécue ou rapportée à l’inadéquation entre « le temps demédecins » ou « le temps médical » et hausse du nombre des patients, elle-même rapportée àune « explosion de l’offre des soins ». La médicalisation acquise des populations seraitaccentuée par les campagnes des pouvoirs publics (« partout on dit aux gens : ‘faut vous fairesoigner, faites le nécessaire’ »).

Les « pénuries médicales » étant quant à elles plus précisément causées par la diminutiondu nombre de médecins formés (du « numerus clausus », « tarissement des internes » ), et parle départ de médecins à la retraite ou leur vieillissement.

Conséquences de la pénurie

- L’usure des praticiens en poste « Avec le manque d’effectifs, la diminution dunombre de collaborateurs, c’est vrai qu’on se demande comment on va faire (ton bas),si ce n’est risquer notre vie professionnelle et celle des autres » (salarié du public),liée à des nécessités de travailler plus exprimées surtout en libéral (« je ne sais pascomment on va faire avec la montée des consultations pour les personnes âgées et labaisse des effectifs, on pourra pas assurer, ou alors finir à minuit ! » Clinique), « jevais peut-être être obligé de travailler un jour de plus par exemple, du fait de cettepression des patients, ça m’arrive déjà de travailler le samedi matin par exemple »(cabinet).

- Particulièrement aux urgences (« on est constamment débordé, c’estmalheureusement classique maintenant »), où se poserait plus douloureusement lamultiplication des gardes et des laminations des temps de récupération.

« On manque de médecins, bon là par exemple on a un temps plein en moins (relance) Binc’est lié à la pénibilité du temps de nuit, parce c’est impossible, c’est trop fatigant, – moi j’aiconnu les problèmes des nuits pendant mon assistanat : on arrivait à dormir 2 heures, enfin àse reposer, à s’allonger sur un brancard, on pouvait récupérer. Là on fait des gardes lasemaine, qui commencent à 19 heures et se terminent à 8 heures du matin : on se couche pas,on y arrive pas – ça veut dire que le lendemain vous êtes épuisé, obligé de dormir, vouspouvez rien faire quoi ». « On se retrouve en sous effectifs médicaux, obligés de prendre desgardes en plus, ça devient difficile. Alors qu’avant, on avait une organisation, on arrivaitquasiment à appliquer – pas les 35 heures hein (rires) –, on était à peu près à 46 heures parsemaine, avec des récupérations de temps en temps ». « Privé public, les services sontsurchargés un peu partout, donc on travaille sous pression continue, c’est à un point où je nesais même pas si je pourrai prendre des vacances cet été, ça pourra durer un ou deux ans pasplus cette histoire (…). On n’a peu de possibilité de remplacements, donc des difficultés à

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prendre des congés à se reposer», « ce qui commence vraiment à m’user, c’est quand mêmela charge de travail, le stress commence à devenir insupportable, et en plus le fait de n’avoirplus de remplaçant quoi…C’est souvent des journées de 26 heures quand on ne tourne plusqu’à 2, et pour combien de repos, on sait pas. Ça fait peur, peur de ne pas pouvoir assurer lacharge de travail un jour. Ça ça peut-être très très limitant, du genre :’ je me tire, ça peut-être, ça peut devenir’»110.

- Les phénomènes de pénurie médicale-usure au travail touchant en fait toutes lesspécialités à orientation médecine générale (où la relation soignant-soigné et/ou letravail d’équipe sont essentielles).

En MG : « Moi je me plains, mais le problème des collègues généralistes, ils sont dansdes situations de gardes permanentes, et même à la limite, y’a des coins où il n’y a plus demédecins, c’est très difficile de se faire remplacer pendant les congés – et c’est pas qu’icihein» (psychiatres, salarié du public et libéral). « Les généralistes, ça va devenir 3 fois piremaintenant, parce qu’ils n’arrivent pas à trouver d’associés» (gastro-entérologue libéral).

En psychiatrie : « Déjà il y a eu le problème de la fin de l’internat en psychiatrie et desinfirmières psy : on a moins de vocation111 et de personnes qui s’orientent en psy », « leproblème des pénuries est aussi peut-être encore plus qu’ailleurs, car le facteur humain estplus important : quand il y a moins d’effectifs, les conditions de travail deviennent difficiles,car il faut passer du temps à discuter avec les malades ». « En hôpital, y’a déjà la violence etencore plus avec une diminution de moyens, moi j’ai vécu en 10 ans une situationdramatique. Au début, quand j’ai commencé dans le service, y’avait 4 médecins, quand je suisparti plus que 2. Pareil pour les psychologues, les infirmières, on a vu petit à petit les moyensse réduire. Et je pense que le travail public n’a de sens que si on est suffisamment nombreux(…). C’est plus difficile de gérer l’hôpital, la psychose, on a quand même une telleimpuissance, et… c’est très lourd. C’est épuisant, c’est pour ça que c’est important qu’il y aitbeaucoup de gens, parce que je crois qu’on a besoin de s’étayer (…). Donc les services où ilne reste que quelques médecins c’est invivable ». « Et les problèmes de pénurie, pour mescollègues en pédopsychiatrie c’est encore pire » (psychiatres).

À noter les problèmes qui se posent aussi dans les spécialités plus techniques dépendantesd’autres acteurs (médecins spécialistes en conflits potentiels dès qu’il a des pénuries).

Ex. « On a moins de créneaux possibles avec les anesthésistes, chirurgiens, radiologues »(gastro-entérologie), réamorçant aussi des sentiments d’injustice entre praticiens descliniques/hôpitaux publics.

- Plus secondairement112 (le plus souvent suite à des relances de l’enquêteur) lesmédecins évoquent les effets néfastes des diminutions des pauses et réunions detravail.

110 Même discours chez les libéraux (cabinet).111 À ne pas sous estimer : la vocation ou le volontariat (ex. investissement de personnel dans les services àl’époque Sida, choix du travail de nuit ou de spécialités comme la gériatrie) entraînant moins de plaintes autravail (au moins du côté infirmier).112 Peut-être suite à des habitudes d’endurances, mais aussi aux limitations de la notion de collaboration.

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« Déjà qu’on est un peu seul aux urgences, et comme on manque un peu d’effectifs, on a pastoujours le temps de parler de tous les dossiers chauds, c’est un peu le souci », « ce qui eststressant, c’est qu’on n’a plus de temps pour se réunir et parler de choses difficiles, le tempsde réunion a fondu (…). Et les gens n’ont plus le temps de se rencontrer : les infirmières, (ilparaît que) le projet, c’est que ça diminue à 1/4 d’heure 20 minutes (relance : lestransmissions ?). Oui. Donc y’a pas de secret, on a beau avoir, que se développent destechniques de codification, de transmissions bien ciblées pour que tous les problèmes soientpointés le plus vite possible, y’a des choses, de l’impondérable, en soins palliatifs desdiscussions de personne à personne pour réfléchir un peu à ce que tout le monde en pense.On n’a plus le temps de se réunir entre médecins non plus, et les médecins avec lesinfirmières – c’est un temps collectif, donc un temps irremplaçable – rien ne remplace uneréunion de groupe –. Alors ça altère beaucoup la qualité des soins ça, c’est embêtant, çaaltère notre charge émo, émo, affective sur ces soins là (bredouille). Puisqu’on a le vécu quipourrait-être optimisé de façon meilleure » (salariés du public).

Chez une partie des informateurs, les conséquences de l’augmentation des temps detravail sont également des difficultés accrues à préserver « un équilibre personnel »notamment pour bien soigner, et le plus souvent en multipliant « les activités à côté »113 (lamoindre disponibilité des médecins à leur famille n’ayant pas ou très peu été évoquée).

B. Des angoisses pour l’avenir

Les démotivations au travail semblent également approfondies par des phénomènesd’anticipation.

- L’aggravation des problèmes des gardes

« Les gardes, toujours les gardes, y’a toutes ces contraintes là et qui sont inquiétantes pourl’avenir faute de relèves – à la limite inquiétantes pour poursuivre l’activité – parce que jevois pas comment on va résoudre cette difficulté…On est très soucieux pour les mois à venir,on subit une baisse constante des effectifs, y’a plus d’internes, ça posera déjà des problèmesen mai, on fait de plus en plus leur boulot…» (salarié privée en contrat aux urgencespubliques). L’aggravation des problèmes de gardes étant globalement perçue par lesgénérations intermédiaires comme facteur de désaffection médicale à venir.

« Bon moi j’ai 45 ans (rires), j’ai encore 15 ans à tirer peut-être, mais mon associé, commentil va faire ? », « quel jeune va dire : ‘bin moi je vais sacrifier ma vie à faire des gardes tout letemps, et non, j’ai envie de faire autre chose’ ». « Le malheureux qui choisit une spécialitéchirurgicale maintenant, il a à peu près la chance d’être de garde à peu près tous les jours,pendant 6 ans de formation ! Donc bin voilà, les gens choisissent une autre spécialité ». « Lesjeunes pour qu’ils choisissent d’avoir plus de contraintes de gardes, il faut vraiment qu’ilssoient passionnés par la médecine, autrement ils resteront dans une ville où ils seront plusnombreux : moins souvent de gardes, voire pas de gardes du tout – parce qu’il y a le CHUqui lui a une garde ».

113 Idem MG.

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- Des stress causés par des craintes de fautes professionnelles

« Pour le moment on fait pas trop de bêtises, on s’en sort, mais il faudra revenir me voir avecla prochaine canicule, on travaillera avec un effectif encore plus réduit …Déjà ici ils (lesreponsables administratifs) voulaient fermer, c’est là qu’on verra de nouveau la fragilité dusystème ». « Le manque de lits, donc tout ça pour le coup ça crée un stress important enterme de, d’agitation névrotique pendant la journée, de stress de voir des soins qui sont demauvaise qualité puisqu’ils sont fait rapidement dans des lieux qui ne sont pas adaptés – Heuprendre en charge un insuffisant respiratoire en chirurgie, c’est heu, c’est risqué hein. Bon an’a pas encore de pépins mais on en aura un jour. Le stress de tout le monde ici, c’est devenuinfernal » (salarié du public).

- Et par l’absence de perspectives d’avenir

« Et les gens demandent des personnes pour les consultations, avec la démographie médicalequi a baissé, je ne sais pas ce qui va se passer » (libéral), « et ils trouvent personne, puisquepersonne n’est disponible, qu’est-ce qu’on va faire ? » (salarié privé nl).

« On va être à la fois grignoté par les budgets de la santé qui vont s’effriter, et puis par deseffectifs médicaux qui vont aussi diminuer, s’émousser aussi, donc dans les deux cas heu, y’apeu de chances de salut, d’aides, enfin très très peu de chances d’augmenter nos effectifsdonc de diminuer notre charge de travail. Elle va augmenter, augmenter – notre charge detravail actuelle, ce n’est rien par rapport à ce qu’elle sera bientôt…Et on va vieillir, on vavieillir (ton bas) et puis on va travailler très tard (…). C’est au-delà de toutes les spécialitéset pratiques je pense114. De tous les côtés de toute façon, on voit pas bien comment ça vas’arranger : la charge de travail va augmenter, mais l’exigence de soins des populations vaaugmenter aussi, donc c’est un paradoxe : on aura moins de moyens et plus de demande, onva créer un stress au travail qui va être difficile à gérer je pense » (salarié du public).

« Au niveau du département, moi je constate une diminution de l’offre de services (urgences)au niveau de la médicalisation primaire, je pense que les autorités s’en sont rendus comptepuisque l’évolution c’est de dire : ‘plutôt que des médecins sur des interventions à domicile,on devrait mieux y mettre des paramédicaux’. Moi je crois que c’est parce que de toute façonon va dans le mur, et qu’il n’y a pas d’autres solutions, c’est juste une façon de présenter leschoses après » (privé/public).

Reste qu’il existerait également des contextes locaux amplificateurs à la pénurie(report du travail MG-MS dans les régions déjà sous médicalisées, augmentation dunombre de patients à soigner suite à la fermeture/fusion de structures de proximité).

Pour les médecins exerçant dans les régions où les charges de travail sont déjà plusimportantes (ex. pas ou peu de médecins libéraux) le problème serait de ne plus pouvoirbénéficier de tris, de possibilités de décharges et/ou de relégation des clients (risque dedevenir « des premières lignes »).

114 Mots à mots des discours entendus chez les MG.

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- Les problèmes d’entropie des régions sous médicalisées

« Ici, déjà il y a très peu de propositions de soins, une carence, on n’a ni les avantages deParis, ni ceux du bord de mer (rires jaunes) donc au niveau de notre recrutement, on a tout,c’est tout, tout le monde : les personnes en difficulté d’adaptation, des perturbateurs de toutgenre, des vraies pathologies mentales je dirai (…). C’est une charge de travail énorme, doncen raison du nombre : il y a très peu de médecins privés psychiatres (…). Du fait qu’on a pasd’autres intervenants dans le privé, il y a un surcroît de travail dont personne ne tient compte,ni les directions, ni la région. Pour avoir travaillé à S. je sais que dans le public il y avait despathologies plus lourdes, mais la plupart des patients allaient ensuite consulter dans le privé(…). Et voilà, on a tendance à se défiler sur la psychiatrie, la médecine générale de tous lesproblèmes (médecin psychiatre, Auvergne, salarié privé non lucratif).

« Moi je suis seul dans ma spécialité, la pénurie de MG se reporte sur les spécialistes – moi jecommence à voir des malades ne pouvant pas voir directement leur MG qui vont appelerdirectement le médecin spécialiste, les malades viennent directement – ça devient un peucomme en ville, alors que ça n’existait pas. Ils nous disent : ‘les MG sont débordés, ils onttrop de travail, je veux un avis de spécialiste’ –. Donc on va avoir encore des maladessupplémentaires, on va avoir trop de travail, on va vivre ça au moins pendant 10 ans, du faitde la lenteur à former les professionnels » (médecin gastro-entérologue, libéral, Pays deLoire).

« Dans notre service, y’a des postes qui existent, mais qui ne sont pas pourvus. Les médecinsde ville, c’est pareil – on les a rencontrés il y a quelques mois, lors d’une réunion avec leConseil de l’Ordre. Comme ils sont peu nombreux, ils ont une clientèle phénoménale et ils endemandent pas plus. Par exemple, y’a un médecin qui est malheureusement décédé, qui étaitinstallé en centre ville et qui avait une énorme clientèle, et aucun médecin ne l’a remplacé.Donc cette énorme clientèle est allée se répartir sur les autres médecins qui étaient déjà entreguillemet surbookés » (médecin SAMU, Picardie, salarié du public).

- Les logiques de fusion touchant particulièrement les petites structures de proximité

« Nous sommes la petite structure de proximité, on dépend – enfin on est associé avecl’hôpital de M. qui est censée pouvoir tout recevoir, en sachant qu’actuellement un autreétablissement ferme cette activité, enfin se reconverti (centre de convalescence). Et c’estremplacé par rien… Donc on subit tous des fermetures d’établissements par-ci par-là, desfermetures de lits, les structures sont de plus en plus concentrées, donc l’activité augmentepar manque de lits, et par la pression de la population démographique locale aussi »(urgentiste, PACA). « On est une petite structure de quartier, et avec le projet de fusion, onva être obligé de soigner 3 fois plus de patients, c’est impossible. Déjà qu’on avait déjàfusionné, à croire qu’ils veulent qu’on ferme définitivement » (psychiatre, Île-de-France).

Les conséquences des pénuries médicales sur les patients sont peu évoquées par lesenquêtés, sauf par les psychiatres qui ont souligné :

- Des risques sociaux majeurs à ne plus pouvoir écouter certains patients (ex. passage à l’actede certains patients psychiatriques, demandes auprès des sectes, soins parallèles, « gourous »faute de trouver des réponses officielles adaptées).

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- Des délais d’attentes et d’hospitalisation qui s’allongent partout .

« En pédopsychiatrie, ce se sont des délais de 3-4 moins pour une prise en charge », « lespatients me rapportent de plus en plus souvent des problèmes d’attentes dans les sallesd’attentes (en MG), de temps à leur consacrer à domicile,…aussi parce qu’ils sont garés endouble file ».

Notons que d’autres effets tout aussi graves ont été évoqués indirectement par les autresenquêtés :

- Ne plus répondre systématiquement aux appels du centre15 (« mise en attente »,« appels reportés »).

- Des sorties anticipées de patients hospitalisés (passées sous silence par les hospitalierssauf pour pointer les retours vers les services des urgences).

À noter enfin un effet inverse des pénuries médicales, paradoxal : de meilleurs passagesde relais (de force) entre concurrents :

« Là je suis obligé maintenant de donner aux patients l’adresse de confrères » (psychiatrecabinet), « on a fait le choix, on n’a pas le temps, pas la possibilité de gérer les consultationsdirectes : c’est-à-dire que malheureusement les patients de ville ne peuvent pas téléphonerdans le service et demander un rendez-vous avec nous : on a fermé cette porte, ce qui est toutà fait anormal pour un service public : on peut pas accueillir les gens comme ils le voudraient– bon on leur donne les numéros des cabinets de collègues de ville, comme on s’entend bienavec eux, y’a pas de heu, et comme on travaille de façon relativement identique –. Mais doncla personne qui n’a jamais été vue dans le service, on lui dira soit de passer par son médecintraitant, soit par le pneumo de ville…(pneumologue salarié du public).

Reste que ces vécus de situations de « fil tendu » au travail rendent intolérables deuxautres formes de contraintes dans le travail, également au cœurs de tous les discours.

C. Les nouveaux risques de déconstruction des identités professionnelles : un travailadministratif chronophage et des contrôles inadaptés voire suspicieux

Les contrôles en médecine sont peu appréciés, surtout s’ils sont le fait de « la médecine decontrôle, des médecins mais ça n’a rien à voir avec la médecine hein115 – Ils nous expliquentque vous avez trop d’assiettes, trois portes…Enfin c’est pour la sécurité mais ils sont assezpeu enclins à aider et à faire que ça marche ! 116» (salariée du public, coordinatrice enstructure privée lucrative), et particulièrement critiqués :

- Par les médecins libéraux (« ça c’est vraiment terrible : cette nouvelle réglementationpar soucis de sécurité, qui est vraiment poussée à l’extrême : tout le protocole, tout ce

115 Même discours chez les MG : encore une fois, le seul légitime à contrôler est celui qui reste aux côtés despatients, d’où l’invisibilité aussi des médecins salariés de travail, mais aussi de tous les salariés travaillant endehors des structures de soins.116 Nous revenons en conclusion et en annexe 3 sur cette constante : l’inadéquation des communications émanantdu ministère et les problèmes d’organisation et de conditions de travail ressentis sur le terrain.

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qu’il faut remplir, y’a je sais pas combien de fiches de traçabilité, de précautions – oui çaça devient de plus en plus pénible »).- Dans les spécialités basées sur la relation117.- Parmi les anciennes générations (changements des organisations du travail).

Cependant, l’ensemble des enquêtés a été particulièrement prolixe à souligner en cœur cequi se révèle être aussi une lamination de leur pouvoir de décision (suite à la question portantsur les causes de surcharges de travail, ou spontanément).

Des logiques bureaucratiques déstructurant le travail

La parole est aux enquêtés

Outre la « multiplication des directions » (médecin du travail, public), « on assiste à lamontée en puissance des consignes, de protocoles en tout genre, de l’administration, c’estdramatique ; c’est là qu’on a beaucoup plus de difficultés maintenant : il faut faire les chosesde telle façon pour remplacer nos pratiques expérimentées par des pratiques censées êtreplus efficaces, plus élaborées…Qui ne le sont pas la plupart du temps, car définies par desgens qui ne pratiquent pas. Et qui vont faire que peu à peu les praticiens dépensent plusd’énergies à obéir aux protocoles qu’à pratiquer correctement. C’est devenu un passageobligatoire qui a détruit toute la relation…On pense que les gens vont mieux faire parcequ’on leur donne un outil qui a été défini comme plus performant, c’est partout, chez lesmédecins, en dehors des médecins – c’est un vécu collectif – mais c’est une réalité, chez lesinfirmières aussi. Parce que finalement tout le monde aime bien pratiquer correctement sonmétier – et c’est une souffrance qui n’est pas que dans le monde soignant parce qu’à monavis, vous allez à l’Éducation nationale vous trouvez la même chose, ou les facteurs : leproblème c’est plus de faire son métier correctement mais de suivre ce qu’on vous dit defaire…C’est un mouvement global : on voit des gens – je m’excuse de parler comme ça, maison voit des gens détruits – des infirmières qui étaient fières de leur travail, ce qu’ellesfaisaient, qui ont même prolongé leur travail et qui disent ensuite : ‘bin finalement, je suisbien contente de laisser ma place’. C’est extrêmement inquiétant, d’autant que ça touche desjeunes médecins, – je ne sais pas ce qu’on va faire avec les jeunes médecins, en plus dudrame de manques de médecins – même chez les universitaires chercheurs parisiens – : onpourra peut-être les plier à une certaine réalité protocolaire au début de carrière, mais c’estpas comme ça qu’on maintient en vie quoi (…). Le cynisme, c’est de penser que dans nosmétiers de soignants, la charge peut-être multipliée à l’infini, que les personnes sontextensibles à l’infini. Non, on vit une déstructuration de notre travail, les consultations àdonner plus rapidement, enfin on va remplacer le travail de fond par l’urgence, incessante, àrépétition. Mais on est dans une sacro-sainte logique qui est celle du coût…Il faudrait formerdes médecins, mais il paraît que le l’université coûte cher, la Sécurité sociale aussi » (ton decolère, médecin psychiatre, salarié du public).

Des injonctions de comptables contradictoires avec la « vocation » dumédecin (soigner au mieux le patient)

117 En MG également.

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« La montée d’exigence, moi je la sens du côté des pouvoirs publics…, pas du côté despatients. J’ai l’impression d’une immixtion, d’une intrusion des pouvoirs publics : ils sont là,au milieu. – Et ça, je l’ai vu en quelques années, c’est hallucinant, on a vraiment l’impressionque le colloque singulier est de plus en plus perverti par toutes les exigences administrativeset financières : alors ils nous imposent : ‘c’est tant la consultation’ – alors du coup, nous onest obligé à des pratiques, donc on réduit le temps de la consultation (…). Et en 20 minutes,on ne fait pas grand chose. On dévalorise l’écoute, alors que ce que demandent les gens, c’estde l’attention et du temps – (…) ça a pris un tel poids au quotidien : les gens viennent pourdes choses essentielles, et nous on est pris dans des trucs comme ça ! (…). À l’hôpital, oui jele vis d’une manière plus douloureuse, parce qu’on perd beaucoup plus de temps enconneries (rires) en choses annexes pour respecter la réglementation, on perd un temps fou –c’est démultiplié partout, c’est du temps en moins auprès des patients » (médecin psychiatre,50 ans, libéral cabinet et clinique privée, fin d’exercice en hôpital public).

Ces ressentis conduisant des enquêtés « à fronder », « même si c’est mal vu » pour serecentrer sur des logiques soignantes (« pratiques à l’ancienne », « prendre soins desgens ») ; par exemple à négliger les dossiers, les écrits, les réunions : « c’est un choix malfoutu mais tant pis ! Il y a quelques années je l’aurais payé cher, mais maintenant je suis tropavancé dans la carrière » (médecin psychiatre, salarié public).

- Mais derrière de nombreux discours, s’exprimerait aussi sinon des sentimentsd’une perte de pouvoir des individus118, au moins la peur d’un avenir incertain, où lemédecin se verrait imposer dans quel sens iront les soins par des non-médecins(ex. « traitements les moins chers » imposés par la Sécurité sociale, les pharmacienshospitaliers), et finalement remplacer par des professionnels sous-diplômés.

« Nécessairement du côté comptable, on est du côté de la restriction des médecins, de ladéqualification : après y’a plus d’ophtalmo, plus de gynéco, y’a plus de pédiatres et y’aquasiment plus de psychiatres. Donc, il ne restera que des généralistes et des gens sous-qualifiés qui sont moins payés, qui coûtent moins chers ». « Bon encore ici, le directeur estmédecin, alors que quand les cliniques sont reprises par des groupes de santé, c’est plus quel’argent qui prime : par exemple, si on juge que l’ORL ne rapporte plus assez d’argent, il n’yaura plus d’opération des amygdales. On n’a pas été habitué à ça, bon peut-être il faut s’yhabituer, mais c’est vraiment dramatique » (gastro-entérologue, clinique).

« À chaque fois qu’on entend dire qu’il va y avoir une réforme de la Sécu, y’ pas mal d’espoiret puis c’est terrifiant (rires) le manque d’imagination dont tout le monde fait preuve. Mais jecrois que la santé ne peut pas se dégager de son coût. Mais alors comment gérercela ? Écouter quelqu’un pendant 45 minutes, ça a un coût, s’il y a 15-18 ans de formation.Alors c’est vrai qu’on peut former des gens pendant 2 ou 3 ans à l’écoute, mais ça, c’est unchoix politique. Ou alors la santé réservée aux riches…Et c’est pas en persécutant lesmédecins, en mettant des, des lois style dossier médical, qu’ils vont permettre de régler cesproblèmes qui sont les problèmes fondamentaux de la santé » (psychiatre, cabinet).

118 « Il y a cette espèce de surveillances sanitaire et sociale qui vient de nulle part en fait, c’est une espèce desystème dans l’ensemble de la société – c’est très dans l’air du temps ce contrôle d’une instance supérieure –,comme si l’individu n’était plus en lui-même porteur d’éthique, ça c’est très grave, parce qu’on voit bien aprèsqui va dire ce qu’il faut faire : les politiques ? – mais quand on voit ce qu’ils font aussi –, les juges ?»(psychiatre, cabinet).

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- À noter d’ailleurs, le nombre important d’enquêtés (âges, types et lieux d’exerciceet spécialités confondus) qui ont évoqué spontanément le recrutement de médecinsétrangers, ressentis également comme un nivellement vers le bas de la qualité dessoins, symbole de déqualification, de perte de statut, de dévalorisation de laprofession.

« Faire venir des médecins étrangers, ça c’est des trucs que je comprends pas : pourquoi onn’en forme pas en France ? Il paraît qu’un médecin étranger coûte moins cher, mais bon, –non mais c’est hallucinant qu’ils fassent venir des médecins étrangers qui sont généralementmoins bien formés que nous (ton bas) ».« On est devant un afflux de médecins étrangers qui fait que de plus en plus d’infirmières sontremplacées par des médecins étrangers, ce qui est à mon avis très néfaste parce que c’est pasle même métier. Ce qui est quand même source de complications, c’est que vous avez dans lemême service des médecins étrangers qui travaillent comme médecins, des médecinsétrangers qui travaillent comme aide-soignants – d’emblée les filles sont aides-soignantesparce que les hommes ne veulent pas – et donc des médecins étrangers qui travaillent commeinfirmiers, – y’en a un certain nombre, je sais pas comment ils font, c’est ceux qui acceptentd’être moins payés que les infirmiers, qui acceptent de travailler sous l’autorité de quelqu’un– tout ça c’est aberrant ».

« En hyper sélectionnant les étudiants (infirmiers aussi) y’a toute une génération qu’on asacrifiée – et tous ces étudiants qu’on a éliminés, qui voient passer devant eux ces médecinsétrangers ! Quel sens pour eux, cette génération ? C’est un véritable gâchis dont on n’entendpas parler ; tous mes collègues pensent comme moi. Et ça a aboutit à une situation de pénurietelle qu’on compense par l’Europe actuellement – ce qui ne correspond pas à une situationnormale…C’est ça qu’il faut changer : ouvrir les portes. Parce que l’alternative qu’on atrouvée n’est pas une bonne réponse à mon avis – c’est une situation d’urgence, bon, maisquelle est leur motivation, quelle finalité il y a derrière ? Souvent on voit des gens qui quittentleurs pays en mettant en avant uniquement une réussite financière (…). Nous on a 6 médecinsbelges à la clinique, ça n’a pas de sens, à la limite un médecin étranger sera peut-être plusutile dans son pays. Donc ça, ça été une erreur, il faudrait le reconnaître et surtout enchanger, mais il faudra des années pour réparer tout ça ».

« On s’aperçoit qu’actuellement, dans les promotions médicales et que ce soit justementanesthésie, réanimation ou chirurgie, et maintenant dans la médecine d’urgence, y’abeaucoup de population française, mais d’origine maghrébine. C’est-à-dire qu’on al’impression que ce sont des fils d’immigrés qui arrivent justement à gravir des échelons. Lamédecine est une porte ouverte, mais c’est pas : ils se précipitent. C’est qu’eux acceptent defaire le sale boulot – ça fait un peu penser à la réputation des Maghrébins qui sont dans larue avec le marteau piqueur ou derrière, les éboueurs…Maintenant on les voit arriver enmédecine !! Ce qui n’enlève rien à la qualité, mais je pense que ça traduit la désaffection desclasses aisées pour ça. Alors, dans la région parisienne c’est encore mieux : même la2ème génération ne suffit pas : on prend carrément des étrangers (…), sous certainesconditions je crois : il faut qu’ils soient attachés à un hôpital public, à ci ou à ça, au servicede machin : c’est un peu du servage du Moyen-âge (relance) – je parle même pas de salaires,hein ».

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Plus grave peut-être, tous ces changements semblent avant tout ressentis comme leseffets d’une stigmatisation injustifiée : les médecins étant désignés commeresponsables de problèmes budgétaires, « alors qu’il n’y a pas de solutions miracles »(à la médicalisation acquise et pensée comme exponentielle de la société), voireappréhendés comme malhonnêtes.

« Donc on passe un temps fou en exigences administratives pour le ministère, la Sécuritésociale, pour justifier les actions, parce qu’ils ont toujours l’impression que les médecinsc’est des escrocs…Donc il faut les contrôler, les surveiller, faut justifier – c’est pour répondreà une suspicion a priori des pouvoirs publics (…). C’est pas normal d’être traité comme ça »(psychiatre, cabinet)119. « Le regard porté sur les médecins, par les médias, par les pouvoirspublics, c’est un peu difficile à comprendre, et ça persiste malgré les changements degouvernements…et les médecins qui sont à l’Assemblée nationale. On en est maintenant à décoter les actes : on fera plus, en étant moins payé. Alors est-ce que c’est parce que nosrevenus sont liés à l’État120 ? (…) On a un revenu à peu prés égal à celui d’un directeurd’entreprise, alors est-ce maintenant le médecin ne doit pas dépasser un certain seuil ?…Lesanciens médecins devaient au contraire être riches, par exemple : changer de voituresrégulièrement. Non, l’idée maintenant c’est : ‘il faut faire pauvre’. Alors est-ce que c’est liéau fait que nous fonctionnons avec nos patients avec le principe de la confiance ? Mais y’apas tant d’abus que ça hein ? (ton de doute)…et pourquoi ne voir en nous que des gensintéressés par l’argent ? Ici nous avons la charge de 3 secrétaires, on fait des courriersgratuits, sans parler des consultations par téléphone qui prennent environ ½ heures par jour.Bon, on va pas comptabiliser tout ça, mais il faudrait avoir une vision plus large – Et encorecomme spécialiste, on n’est pas trop malheureux, mais si on continue comme ça, y’a en quivont craquer (bis et comme un avertissement) (cardiologue, clinique).

À noter cependant que les discours critiques des enquêtés à l’égard des pouvoirs publicsatteignent leurs limites quand il est question de ces autres médecins jouant des rôles politiquesmajeurs, ayant un pouvoir de décision important (co-gestionnaire auprès des directions,médecins du Conseil de l’Ordre, médecins-maires, députés, ministres etc.). Des enquêtésayant dénoncés alors « des collaborations » (au sens négatif des termes), voire le fait qu’enmatière de pénurie, la profession elle-même a participé à des erreurs de pronostics : « Aucours de mes études – donc en 88, ils nous avaient dit qu’il y aurait 25 % de chômeurs et desRMI ! Or, si on veut bosser, y’a du boulot partout ».

2.2 Les procès

Les réponses à la question concernant les éventuels changement des relations avec lespatients ont suscité aussi de nombreux discours, tant ils réamorcent des angoisses identitairesliées à l’erreur professionnelle et à la perte de pouvoir médical.

« Quand on n’a pas les moyens de travailler correctement, comment voulez-vous ne pas faired’erreurs ! », « y’a peu de spécialités qui puissent être protégées des procès, – ceci dit, lesspécialités où on exige des décisions rapides, qui peuvent évidemment prêter parfois àl’erreur – y’a pas de secret – sont évidemment plus exposés : la médecine d’urgence, les 119 Reproduction de discours entendus en MG, les plus souvent suite à des chocs liés aux courriers parfois trèslapidaire des administrations.120 Notons que c’est la seule informatrice ayant abordé d’elle-même cette épineuse question (voir chapitre 3).

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anesthésistes réanimateurs, les chirurgiens, les obstétriciens – eux je pense qu’ils sont autop ».

Les risques de procès étant une ultime cause de désaffection médicale à venir :

« Je crois qu’on a d’abord pas formé suffisamment de médecins, ça c’est une chose. Et puissecondairement, on en arrive à la désaffection : à une époque, les médecins étaient desnotables, ils acceptaient, ils sacrifiaient beaucoup leurs temps, mais ils avaient une certaineaura. Maintenant le métier est devenu un peu comme les autres, c’est un métier quand mêmeplus (moins) attractif, qui fait peur en plus avec toujours cette menace sur le dos ».

Un nouveau phénomène très mal ressenti par presque la totalité de nos informateurs(à l’exception des psychiatres)…

« On voit de plus en plus de revendications et de menaces », « les gens n’hésitent plus à vousrappeler, et s’il y a le moindre problème, ils n’hésiteront pas à porter plainte ! », « c’est vraique les critiques ça nous déstabilise beaucoup, parce qu’on a la peur au ventre – lesmédecins, les infirmières, tout le monde –, parce qu’on va leur reprocher quelque chose,parce qu’on essaye de faire notre métier le mieux possible avec conscience », « quand onreçoit le truc de l’huissier à son cabinet, je peux vous dire que pendant deux ou trois nuits, ondort pas, mon associé il a craqué pour ça ».

Car les origines des procès restent mal comprises (en dehors des psychiatres).

« Non, mais tout porte à critique quoi, c’est parce qu’on leur a dit qu’ils avaient desdroits ! ». « Les gens je crois, dès qu’ils se rendent à l’hôpital, ils voient plus (davantage) çacomme un dû ». « Y’a une défiance qui s’est instituée, autour des maladies nosocomiales ».

- Outre le fait que les enquêtés utilisent des catégories extrêmement globalisantes (« lesgens »), les débordements sont reliés le plus souvent…aux médias121, jugés nonseulement responsables de la divulgation de traitements « miraculeux », mais aussi dudéveloppement d’une suspicion à l’égard des médecins.

« Ils ont créé une méfiance : ‘est-ce que ce médecin n’est pas un marron ?’ Il existe deserreurs médicales, mais il y a une généralisation du soupçon, donc à la moindre présomption,le risque du procès ». « Et je crois que si cherche la cause, elle est dans les médias et lespolitiques, depuis cette histoire de sang contaminé, ils ont tout fait pour que le principe deprécaution s’applique aussi en médecine, et je suis sûr que ça été un argument qui fait qu’ona perdu notre aura ».

Les procès étant perçus comme des facteurs explicatifs majeurs de la désaffectionmédicale en particulier dans « les spécialités à risque ».

« Il y a moins de médecins français à cause des histoires d’assurance et tout ça », « il y a plusde candidats pour la chirurgie, alors que c’était intéressant, ça rapportait bien, – c’étaitl’idéal », « il faut vraiment être très solide, dans les spécialités où y’a des risques, il n’y aura

121 Même discours en MG.

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plus de d’anesthésistes et de chirurgiens…Ou alors il faudra que la société prenne conscienceque le risque zéro n’existe pas ».

En effet, et même si tous les médecins admettent qu’il s’agit là de comportementsminoritaires – et émanant plutôt des proches du patient (et apparemment plutôt citadins) –, laperspective de pouvoir être mis en procès reste un choc (tant il s’avère encore impensableque le patient à qui l’on fait du bien puisse se retourner contre son bienfaiteur), puis sontreliés à une dégradation continue des relations soignants/soignés, avant tout vécuecomme la fin de la déférence traditionnelle aux médecins : « y’a le ton quoi, ils ont uncomportement désobligeant », « ils n’ont plus le respect du médecin qui existait il y a unevingtaine d’années, les procès sont de plus en plus monnaie courante ».

À y regarder de plus près, les situations de tensions avec les patients seraient liées àd’autres incompréhensions récurrentes :

- Des besoins des patients et de leurs proches de sens à donner à leurs maux, surtout enfin de vie

« Bin un patient de 99 ans qui part sans souffrir dans son sommeil, c’est un résultatsatisfaisant pourtant ! Je comprends pas les réactions des gens…».

Ainsi, la plupart des critiques, colères, voire attaques de patients et de proches recenséspour cette enquête sont liés d’abord à l’absence d’explications médicales concernant 1. lacause du décès de parents (même âgés) décédés, en particulier lorsqu’ils ont été laissés seulsdans un service 2. les soins de suite à venir (surtout s’il s’agit de soins palliatifs)122. Outrel’argument toujours utilisé de ne pas parler au risque « d’angoisser le patient », il y a peut-être surtout des difficultés à sortir de logiques purement médicales (ex. « souvent on ne saitpas, tout simplement – on peut pas dire pourquoi la personne est morte : on n’a pas lediagnostic, – bon on peut dire, mais approximativement »), à assumer la fin des traitementscuratifs (idéologie salvatrice, sentiment d’inutilité voire d’échec123) et/ou l’utilisation detraitements ayant des logiques expérimentales.

- Des multiples identités des patients, tournés aussi vers des demandes d’écoute

Particulièrement en institutions, les logiques de soins médicaux prévalent. Certainsinformateurs ont alors exprimé leur étonnement face à des demandes d’écoute non médicale(et cela même dans les spécialités dites globales et chez les jeunes médecins).

« C’est incroyable, en consultation, les gens sont très très, ils n’hésitent pas à vous parler deleur vie, tout ça, après c’est des gens dont on est très proche, vraiment très proche »(cardiologue), « je suis toujours étonnée quand les patients me disent : ‘bon arrêtez de parlerde ça’ – mais je suis le médecin – ‘bon alors c’est fait…Si on parlait d’autres choses’ »(gériatre).

122 Il s’agit là de constantes, particulièrement visibles en consultation et visites de MG et en cas de cancers enstade terminaux.123 Voir chapitre précédent.

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- Des phénomènes d’autonomisation de certains patients et de leurs proches (« de plus enplus demandeurs » = « de plus en plus exigeants », « en matière de tout, de qualité de soins detout » 124).

Ainsi, secondairement les critiques, colères, voire attaques de patients et de prochesrecensés sont en fait liés à « des problèmes relationnels avant tout », mais qui restent peucompris.

« Ce sont des gens qui estiment avoir été mal soignés, mal traités, bof », « les tensions quisont générées par les problèmes de places, je pense que les familles et les patients lesperçoivent avant nous, on n’a pas trop à se justifier, on n’est pas reconnu commeresponsables, ils se rendent compte que c’est pas normal, mais pas forcément de notre faute –c’est autre chose ».

Les jugements se focalisent alors surtout sur des constats récurrents :

Des patients moins patients (demandes de rendez-vous rapides, « mauvaises tolérance àl’attente », « en plus, ils veulent avoir des résultats très vite pour revoir leur médecin »),utilisant (eux aussi) les filières de soins les plus rapides.

« Quand j’étais à Marseille, bon c’est l’hôpital de proximité en plein dans la cité, donc tout lemonde y va parce que c’est plus simple, – bien moi il m’est arrivé d’être appelé à 5 heures dumatin pour quelqu’un qui a une angine, et il vous le dit hein : ‘j’ai une angine, je viens vousvoir parce que d’abord je paye pas, et à 5 heures du matin parce que je suis sûr de ne pasattendre ! », « nous sommes devenus des services pour personnes pressées ! Ils medisent : ‘j’ai pas vu mon MG, mais de toute façon il m’aurait renvoyé au cabinet deradiologie et je serai revenu le revoir, donc je vais gagner du temps’ (relance). Bon c’est vraiqu’ils n’ont pas forcément d’argent aussi, y’a les deux, - y’a quand même un problème social,mais finalement, je sais pas si c’est tant que ça, on n’a pas les statistiques (…). C’est plus unesolution de facilité » (urgentistes).

Mais ce qui est jugé intolérable, « irrespectueux » c’est qu’ils le fassent savoir, enévoquant leurs vies sociales (irruption dans les soins du temps du patient, traditionnellementeffacé à l’hôpital), surtout aux urgences.

« Y’a l’impatience du début : ‘occupez-vous de notre malade’, et l’impatience de la fin, parcequ’une fois que la famille est rassurée sur la non gravité de l’état du patient, c’est : ‘quandest-ce que je vais rentrer chez moi ? Quand allez vous libérer le malade ?’ (rires) – voilà‘parce que nous on doit rentrer chez nous, parce qu’on a des gamins’ », « moi j’en vois quiviennent après leurs courses ! Heu après leur travail, enfin voilà, en disant : ‘moi je suispressée, il faut que je récupère mon petit à la nourrice, enfin bon c’est un peu supermarchédès fois »125). Les patients reléguant alors les médecins dans un simple rôle de prestataires deservices, tout en dévoilant parfois les hiérarchisations médicales (MG/MS, urgences).

124 À noter le rôle grandissant des patients : déjà pourvoyeurs des retours (ils amorcent, voire imposent desmédecins à leur médecin) et aussi souvent centralisateur de leurs dossiers de soins (à défaut de coordinationsentre médecins), voire plus : « ils exigent, enfin sont demandeurs de rentrer dans des réseaux de soins ».125 Discours quasiment identiques chez les MG (les fameuses courses avant ou après), égalementparticulièrement mal vécues.

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« Dans les urgences, ils n’acceptent plus d’attendre, alors qu’ils acceptent d’attendre deuxheures chez eux que le médecin vienne et puis ils vont le recevoir en lui proposant un café »,« ils me font venir (à domicile) alors je sais qu’ils se déplacent chez le spécialiste, les MGsont devenus des larbins126 », « soit disant qu’ils ne peuvent pas se déplacer et je les vois faireleurs courses ! ».

« Les abus » des patients et de leurs proches seraient particulièrement présents auxurgences, et d’autant mal vécus qu’ils tendent à faire des hospitaliers de simples MG.

« Ce qui nous met en rogne, c’est des gens qui appellent parce qu’ils n’arrivent pas à dormir,pour un renouvellement d’ordonnance, ou parce qu’ils cherchent un médecin pour avoir uncertificat médical127 sportif juste avant de faire leur foot ! », « on a des plus en plusd’encombrement avec pas mal de sujets qui viennent pour des pathologies qui relèvent plusde la médecine générale, parce que il y a peut-être probablement un problème d’offre desoins de la MG dans les grandes villes. Donc on a des pathologies courantes, angines, deschoses comme ça qui ne devraient pas avoir besoin d’un plateau technique comme un servicedes urgences. Enfin les personnes elles ne trouvent peut-être pas de médecins, ou elles n’ontpas envie d’aller voir ailleurs (…). La consultation de médecine générale, maintenant c’estpermanent quoi, parce que les cabinets étaient plus ouverts, alors que maintenant c’est en filcontinu, des gens qui viennent pour des douleurs chroniques, des maux de tête ou de des malau ventre qu’ils traînent depuis des jours, alors qu’avant on avait des pics le week-end et lanuit ».

Mais d’une part ces problèmes ne sont alors presque jamais directement rapportés auxsurcharges de travail liées aux pénuries de professionnels et d’offres de soins128 (pourtantparticulièrement exprimés et cause de « détérioration de la qualité travail »). Les problèmessoignants/soignés seraient alors également liés à des résistances médicales (ne pas accepter deprendre le temps de communiquer avec de nouveaux collaborateurs). Et d’autre part, lesservices des urgences seraient les révélateurs d’un autre problème de fond, généralement peucompris par les enquêtés : suite à la médicalisation de la société, toute une partie de lapopulation aurait au contraire totalement remis sa santé aux mains de la médecine, voiredésappris à se prendre en charge de façon autonome.

« Autant avant on ouvrait sa pharmacie, on prenait la peine de faire un peu attention avantd’appeler le médecin, autant là dès que ça va pas, il faut être requinqué de suite, il faut que lemédecin vienne de suite (...). Est-ce qu’il y a pas aussi un problème d’isolement social ? ».« Le système de la CMU est en train de déraper complètement : les gens viennent consulter

126 Même discours en MG/MS, avec souvent des remises des pratiques de SOS médecins.127 La constante augmentation des obligations de certificats (activités sportives, permis de conduire…) n’est pastoujours bien vécue par les MG non plus, puisqu’elle fait une fois de plus des praticiens de simples prestatairesde services (surtout quand des patients non connus ne se laissent pas capter pour autre chose).128 Hormis les médecins psychiatres : « Si ça continue à diminuer et les consultations augmentent, effectivementles gens on voit comment ils sont insatisfaits : une consultation chez un généraliste qui dure moins de10 minutes, c’est honteux, et je ne sais pas dans quel état il peut être le soir, c’est infernal, il n’a pas le tempsd’expliquer les choses, et enfin les gens on le voit, ont ce sentiment là d’avoir été maltraités, évidemment : doncpuisqu’il ne m’a pas gardé suffisamment, puisqu’il est passé à côté, je lui fais un procès ». « Y’a de moins enmoins de moyens, donc y’a plus de situations de violences, de contraintes, d’internements. C’est dur de gérer laviolence à l’hôpital. Là où on en parle beaucoup c’est aussi dans les services des urgences, parce que tout ceque la société ne veut pas bascule dans les services d’urgences médicaux. Mais la santé elle n’a pas les moyensde réguler correctement tout ça ».

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mais pour n’importe quoi, les gens n’ont même plus la notion du coût engendré ou den’importe quoi, y’a une perte de responsabilité (relance). Bin encore ce matin, j’en ai encorevu un, pour une plaie de 8 mn sur le pouce, un truc sur un enfant…pour mettre un tricostérilesur le doigt ! Maintenant on en est là…Dans les services d’urgences, on n’a plus le temps des’occuper de ça, pour justement remettre les gens à leur place, enfin c’est-à-dire pour leurexpliquer un peu les notions d’hygiène banales, que de se faire un pansement tout seul ça netuera jamais personne, un peu à l’Africaine quoi – on a l’impression qu’il faudrait refaire descours d’hygiène basiques. Parce qu’en plus ils râlent, donc on fait : paf paf – on leur dit :‘vous savez, c’était pas la peine de venir’ – ‘oh mais (je viens) par précaution’. Ah ça lafameuse mesure de précaution, du moment où ça coûte rien !! C’est vrai que c’est dansl’ensemble de la société qu’on accepte plus le moindre risque infinitésimal, c’est même pasune question de risque, c’est la peur (relance). Oui, c’est vrai qu’au début c’était la pédiatrie,pour les petits enfants, les nourrissons, alors bon les mamans étaient inquiètes, – ça c’était audébut, avant la CMU. – Puis on a eu les enfants un peu plus grands, puis les parents, puis lespépés, les mémés. Maintenant on a tout, c’est bon !! Alors donc, y’a un effet perversinimaginable, je sais pas si d’autres médecins vous ont parlé comme ça, mais je vous garantisque moi avec tous mes collègues, les infirmières, les ci les ça, tout le monde commence àavoir la rage à cause de ça (…). Bon, on en fait passer beaucoup en actes gratuits pour destrucs comme ça, parce que je veux dire – il faut pas abuser, mais je vous dis, c’est infernalparce que ça nous prend un temps fou pour rien. Et ça participe aussi un peu à l’énervementdu personnel je pense…Mais on achète la paix sociale avec ça hein – ça va bien au-delà, onva dire des miséreux ».

Les colères des médecins sont rapportées aussi à « l’absence de hiérarchisation dans lesdemandes », à des « demandes disproportionnées »

Il s’agit en particulier de toutes les demandes relatives « à la qualité des soins » jugéesencore secondaires (« ils veulent un service presque parfait quoi », « c’est juste pour leurpetit confort » (et même si ces demandes ont en fait des conséquences thérapeutiques ex. enconvalescence disposer d’une chambre seule car des voisins ronflent), selon l’idée que lespatients se doivent d’être à la disposition des logiques et des priorités médicales(hiérarchisation des besoins selon la gravité des pathologies).

À cet égard, les besoins d’informations, d’explications et de discussions sur les soinssont mal vécues, mais aussi parce que finalement également particulièrement« chronophages » – alors que la disponibilité des professionnels à l’hôpital est déjà rare (outournée vers les professionnels).

« Même en milieu rural, ils sont bien informés ! », « ça veut dire que les patients vontbeaucoup plus discuter sur les décisions qu’on va prendre, mais de manière agressive », « lagénération au-dessus de moi a peut-être du mal à s’adapter à ça – heu ils trouvent lespatients et les familles extrêmement exigeants voir agressifs : très demandeurs enexplications, c’est lourd en temps, c’est lourd à digérer en terme de temps (relance) – ça doitdépendre de la façon dont on les prend aussi, heu, par contre c’est vrai qu’il y a une petitefrange comme ça, heu qui peuvent être extrêmement agressifs ou extrêmement demandeurs,y’en a pas beaucoup mais ça pourrit la journée, ça pourrit la semaine quand il y en a – il enfaut très très très peu pour que ça devienne très très pénible (relance) – une fois de temps entemps, en fait y’en a peu, mais quand y’en a c’est vraiment difficile » (salarié du public).

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Les demandes des patients remettraient en cause les savoirs médicaux, placeraientles MS hospitaliers dans la position redoutée des MG (« il faudrait être toujours làdisponible »), mais surtout seraient perçus avant tout comme un risque de procès (cerclevicieux de l’anticipation de ce qui fait peur).

« Parce que c’est très lourd en temps, c’est lourd en stress parce que derrière, il faut pas se lecacher, on est soumis au risque d’une mise en cause du médico-légal. C’est une donnée qu’ilest indispensable maintenant d’avoir toujours en tête. Heu c’est un stress permanent de sedire non seulement : est-ce que je soigne bien – ça c’est quelque chose que mes prédécesseursavaient déjà – mais est-ce que je fais passer au patient et à sa famille que je soigne bien ?(sic). Puis encore heu : est-ce que je soigne en fonction des règles de bonnes pratiquesédictées par les sociétés savantes et le ministère ?» (salarié du public).

Autrement dit, et pour finir, ce type de ressentis seraient également liés à certainstypes de positionnement médical

« Le dialogue avec les familles et le patient a progressé, ils sont plus instruits qu’avant, il amoins de déférence artificielle au médecin, et il peut y avoir plus de dialogues beaucoup plusproductifs » (médecin libéral).

« Non, après tout, ce qui est procès, on arrivera à s’en sortir : parce que celui qui fait uneerreur, il fait une erreur aussi hein, il faut que les gens prennent leurs responsabilités aussiquoi » (médecin libéral en cours de procès), « les procès, ce sont des gardes fous, enfin peut-être le seul avantage de la judiciarisation, c’est que les collègues quels que soient leursstatuts – interne, vieux chef de service ou praticien standard – ne peuvent plus se permettrede faire n’importe quoi. Donc ces dérives qui ont existé, qui m’ont un peu agacé à l’époque,ce sont des choses qui ne devraient plus exister, pour peu que les gens aient la tête sur lesépaules » (salarié du public).

Les médecins travaillant dans le secteur privé (clinique et/ou cabinet), les psychiatres(notions de « contrat moral » entre le patient et le médecin, de « confiance réciproque »encore peu développé chez les hospitaliers qui n’ont pas d’exercice libéral), mais aussi lesnouvelles générations tendent alors à s’accorder sur la nécessité de davantage parler etpartager tant avec les patients qu’avec leurs proches, pour désamorcer les risques deconflits et de procès…

« Les procès, on ne peut pas les éviter quoi qu’il arrive, de toute façon : s’il doit y avoir unprocès parce qu’il y a un truc qui a mal tourné – s’il doit se faire il se fera quoi…Mais parcontre, je pense qu’on doit éviter des procès certainement à bien expliquer les choses avant –et c’est fait dans un souci aussi d’un contrat avec la personne qui soit de meilleure qualité –de meilleur esprit » (salarié du public, 37 ans). « Les familles, c’est une pression pour tous lessoignants maintenant, c’est une nouvelle pression qui n’existait peut-être pas avant – avanty’avait un non dit par rapport aux diagnostics, le domaine médical était fermé – et ça c’est unexcès qu’il faut absolument combattre parce que le fait de parler de la maladie à la famille,au patient ça résout plein de problèmes. Bon c’est un besoin humain d’avoir le nom demaladies, même si ça change pas grand chose (du point de vue du médecin). Par exemplepour une démence de type Alzeimer, parce que le peu de traitements qu’on a c’est pas d’une

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efficacité redoutable, et on peut pas faire le diagnostic de certitude (…). Mais heu, c’est unerevendication quand même qu’ils ont » (salariée du public, 35 ans).

… à condition de parler « d’emblée des limites de la médecine », « d’amorcer desrencontres avec les familles », « de s’expliquer, d’expliquer ce qui va se passer, écouter »(psychiatres).

« Ils sont souvent surpris d’avoir une écoute en fin de vie, ils vont pouvoir vider leurs sacs, etc’est ce qui désamorce tout quoi » » (salariée du public nl, 34 ans), « on a de très bons retoursde familles étonnées qu’on soit là, rien que pour eux, et ça déculpabilise les infirmières quin’ont pas le temps de les écouter » (médiatrice, 29 ans, service des urgences publiques).

Les explications auraient cependant des limites, en particulier dans les servicesd’urgences :

« C’est vrai que quand on leur propose d’aller plutôt à la maison médicale pour ne pasattendre 4 heures, alors certains acceptent. Mais d’autres pas : ‘non je suis là, je veux êtrevu’. – On a l’impression qu’il y a un défaut de compréhension au départ de ce qu’on peut leurproposer, – que dans la population, y comprennent pas trop comment fonctionnent lesurgences et à quoi ça sert : y’a sûrement un défaut d’information grand public : c’est réservéaux urgences graves quand même ».

À cet égard, les problèmes d’utilisation des maisons médicales résumeraient parfaitementdes logiques de soins à mieux prendre en compte (annexe 2).

Les effets des rumeurs et de la médicalisation

Les médecins psychiatres, voire les médecins les plus âgés, soulignent d’autres fondementsaux procès :

- « L’effet rumeur » qui aggrave les ressentis médicaux

« Les procès je crois que c’est une évolution de la société globalement, bon on se plainttoujours en médecine parce qu’on a l’impression que la pression est sur nous, mais il faut passe leurrer, les maires aussi sont poursuivis : actuellement, la société s’oriente vers larecherche d’un coupable ou d’un dédommagement. Oui, c’est vraiment un changement qui adû démarrer heu y’a 7-8 ans, et qui s’accélère depuis 1 ou 2 ans (constante des discours). Eten plus, dans beaucoup de congrès actuellement la question de la protection – comment s’yprendre pour ne pas être attaqué – ça fait partie de presque chaque intervention ! On en estbientôt à plus parler de comment se protéger que de comment soigner les gens ! ».

- Les limites de la médecine, ou le retournement contre les médecins d’une idéologiesalvatrice et omnipotente

« J’ai l’impression que les gens ont du mal à comprendre que la médecine n’est pas unescience exacte, et que c’est fait par des médecins qui sont des gens tout à fait faillibles »(urgentiste). « Pour tous les médecins à risque, c’est terrible ça (les procès). Et puis on netolère pas qu’il y ait un risque quelconque car la Science nous fait croire qu’on va redevenir

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comme avant, c’est pour ça qu’il y a des procès ! Les gens qui seront pas réparés commeavant nieront l’événement, la maladie » (psychiatre).

« Mais c’est les patients qu’il faut éduquer aussi (rires), les gens qu’il faut éduquer : ilsveulent pas mourir quoi, les médecins ne peuvent rien faire contre ça…y’a un problème avecça. Mais je pense que c’est dans la petite enfance ou je sais pas, y’a un problème. Y’a despersonnes âgées qui vous demande si elles vont s’en sortir…ça veut rien dire. Je comprendspas quand on me pose cette question – enfin je comprends pas, je comprends très bien mais –dire que voulez pas mourir c’est une chose mais dire, savoir – je sais pas comment expliquer,vous avez des gens qui refusent complètement le concept même…ça c’est…je sais pas de quoiça vient, vous devez mieux le savoir que moi (est-ce que c’est pas quelque chose qui baigne lasociété aussi ?) – oui ça baigne la société, ça s’aggrave aussi peut-être ça. C’est-à-dire, onentend : y’a tant de monde qui meurt tous les jours à la radio, mais soi-même ça peut pasarriver quoi…y’a quelque chose de de un peu surprenant quoi. Et les médecins ils ont marchélà-dedans, à fond – ça leur a donné un pouvoir inouï, mais heu maintenant ça se retourne,quoi ça va pas, ça peut pas aller (…). Oui, le médecin devrait le faire aussi hein (s’éduquer)– oui, peut-être encore plus eux parce que – je veux dire, souvent enfin les médecins ilsacceptent moins le (bredouille) – quand on fait médecin on lutte aussi contre ça enfin – je saispas, il doit y avoir des phénomènes de compensation. C’est vrai que qu’on un petit côtécomme ça – quand vous avez des médecins malades hein c’est dramatique, ils sont plusanxieux que…la normale quoi – c’est pas une critique, c’est comme ça, moi je suis pareille (jelui parle du cas des infirmières) – oui, c’est-à-dire soit on aggra – enfin soit on minimise, soiton s’inquiète – y’a pas de – y’a aucun juste milieu, je pense qu’on a pas la bonne réactionpour soi-même, c’est clair…(silence) (cardiologue).

- Une idéologie de la réparation renforcée par des discours des pouvoirs publics ?

« Ils ne comprennent pas l’échec, mais il faut leur expliquer, à cause du mouvement, dudiscours ambiant qui veut qu’il n’y ait plus de problèmes de maladies du tout – plus demalades dans les hôpitaux et plus de morts : tout doit être propre. Non, les exigences soitdisant, c’est lié à une évolution générale : on a utilisé la notion de client comme dans unsupermarché, mais est-ce la faute du client ou du directeur de supermarché ? Je ne sais pas,là aussi, c’est peut-être un peu plus compliqué ». « On gomme tous les écarts, c’est normalqu’ils se plaignent, qu’ils ne tolèrent plus les écarts et s’en prennent aux gens qui peuvent soidisant faire plier la réalité – on a des solutions à tout : y’a de plus en plus de problèmes dechômage, de sans abris, les malades à réinsérer…On subit beaucoup ça : y’a une solutionpour tout, c’est le discours ambiant – bin nous on ne sait pas, c’est pas possible, mais ce sontdes paradoxes, une ambiguïté qui est levée par la discussion avec les personnes…pour queles gens fassent le deuil, sinon c’est la folie » (psychiatres).

Les limites de la redistribution des pouvoirs (résumé)

Finalement, tous les informateurs reconnaissent le bien fondé d’avoir mis fin au pouvoir« outrancier » « excessif » « des mandarins »129.

129 Comme en MG, les enquêtés ont été nombreux à parler finalement des abus dont ils furent victimes commeinternes (non-partage du savoir, mais aussi erreurs médicales, machisme).

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« La hiérarchie permettait à l’époque à des chefs de services de faire n’importe quoi », « lespatrons faisaient vraiment leurs soupes avec les hospitalisations, maintenant c’est plusscientifique quand même, – mais il y a eu vraiment un moment où ils ont eu tout pouvoir quoi,une grève ça les concernait pas, c’était purement administratif, enfin y’avait jamais deremises en question…ça a commencé avec nous, les premières grèves d’internes en 1983, ilsétaient sur la tête ». « Un patron de médecine c’est vraiment à part, ça a un pouvoir : y’a pasbeaucoup de gens qui ont autant de pouvoir parce qu’ils ont un service, – bien qu’ils nepayent pas leurs infirmières et quiconque – ils ont un pouvoir absolu sans avoir aucuninconvénients heu…Enfin maintenant, ça commence avec les problèmes des économiesbudgétaires ».

Néanmoins, la transition entre cette époque de toute puissante et l’époque actuelle,sous tendue par des économies budgétaires, est très mal vécue. En effet, elle ébranlerait :

- non seulement des habitudes d’autonomie du travail médical centré sur les soins(réelle usure des anciennes générations confrontées plus douloureusement àl’augmentation des normes administratives),

- mais des traditions plus que centenaires de collaboration exclusivement médicale(difficultés des salariés du public à entendre les voix de patients et de proches, ayantaccès aux informations médicales via la presse et Internet130),

- voire laminerait des projections d’élévation sociales toujours importantes dans lesmotivations professionnelles,

- aux dires des informateurs, on assisterait à une lamination trop brutale dupouvoir médical.

« Les mandarins faisaient des choses aberrantes ou destinées simplement à leur narcissismeplutôt qu’à l’intérêt général des patients en particuliers (…). Autant ce pouvoir était certeshorrible, autant le pouvoir actuel de l’administration est tout aussi désagréable, voire plus :sans aucun objectif médical…Ce qui n’était pas le cas des pires des mandarins malgré tout »(psychiatre). Dans un contexte d’incertitudes professionnelles et d’augmentation des chargesde travail, ces changements imposés dans le travail ne sont ni admis, ni compris.

Même constat à propos des patients : « bon énormément énormément de choses ontchangé : je dirais que les patients sont de plus en plus conscients de leurs droits – ce qui estune bonne chose, par contre ils oublient un peu leurs devoirs ». Comme les infirmièreshospitalières, les praticiens subiraient malgré eux des changements dans leurs relations avecles patients et leurs proches, particulièrement mal vécus chez les médecins qui ne parviennentdéjà plus à gérer leur temps de travail et à maîtriser l’afflux de patients (risques d’unglissement vers la médecine générale). Les difficultés à envisager et à comprendre l’originedes demandes et/ou des besoins des patients – par ailleurs très divers – se muant alors enjugements négatifs chez les professionnels n’ayant pas une culture du « contrat ».

Dans ces conditions, les risques même encore minimes de procès ou de remplacements pardes professionnels moins rémunérés focalisent toutes leurs peurs et sentiments d’injustices,chez des praticiens se positionnant souvent uniquement comme des victimes d’un système desanté et/ou de mouvements sociétaux devenus aberrants. 130 L’autonomie des patients étant sur le terrain loin d’être évidente, même si leurs itinéraires thérapeutiqueséchappent en grande partie à chaque médecin.

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« On est soumis à un double message contradictoire : faire des économies de santé, et enmême temps ne pas sacrifier la santé des gens…C’est notre image qui est en jeu, hein, c’estnous qui sommes responsables. Derrière il y a la notion d’erreurs médicales démultipliées, lapression des politiques et du monde judiciaire (…). C’est vrai que les procès sont en nombrefaibles mais ça fait très peur, enfin même si c’est des rumeurs vraies ou pas, ça fait peur ».

Les ressentis de pertes de pouvoir risqueraient alors d’amplifier des phénomènes récurrents(centres d’intérêt tourné sur soi, développés chapitre 3.). Hormis les psychiatres, les enquêtéstendent à oublier de parler d’une crise qui touche également des patients. Et ils nous ont parlédavantage de la violence visible perçue dans les relations soignants/soignés (ex. agressions)que de violences plus souterraines, qui sont aussi à la base de comportements de soignés(isolement social, pertes des savoirs relatifs aux soins, violence conjugale, incestes131). Outreles carences des formations initiales, se joueraient des décalages sociaux dont les informateurssemblent avoir encore peu conscience, – tout comme ils ne semblent pas avoir conscience deleur statut encore relativement privilégié (ne serait-ce que par rapport aux paramédicaux), saufexception132.

Suite à leurs études – souvent critiquées pour leurs longueurs, et/ou faible rémunérations –,une partie des enquêtés serait alors peut-être également dans des logiques de rattrapagesocial ; d’où l’importance des niveaux de salaires et/ou des notions de qualité de vie,contreparties – voire dû de la société – à leurs jeunes années de sacrifices.

3. Discours et pratiques paradoxales

Au détour d’une phrase, en informel, les enquêtés dévoilent souvent malgré eux deslogiques communes au travail, en décalage avec des discours tenus précédemment, et centréessur le développement individuel d’activités spécialisées et/ou de chefferies, à la sourced’opinions très diverses concernant par exemple les effets des 35 heures.

L’analyse des discours des enquêtés confirme ainsi de la persistance d’une idéologielibérale (choix des lieux d’exercice, des types d’organisation du travail et des pathologies),approfondie par l’absence de perceptions globales du système de santé.

Le choix du lieu d’habitation reste essentiel, même s’il participe à l’amplification dedéséquilibres régionaux. De même, la délimitation de son activité par rapport à ses confrèreslocaux et en fonction de ses centres d’intérêts serait centrale. Elle placerait parfois en secondplan les besoins de santé et nécessités de réduction des coûts de la santé. Mais surtout, lesenquêtés tendent à ne signaler des déficiences du système de santé, voire des abus deconfrères que lorsqu’ils entravent leurs propres spécialisations. Et plus généralement, lesressentis des problèmes au travail seraient fonctions des intérêts de développement dechacun. Enfin, au-delà du devoir de soigner au mieux et de rassurer les patients (engendrantdes coûts à court terme mais pas forcément à long terme), des logiques profanesparticiperaient tant à des surcharges de travail qu’à des surcoûts médicaux (captation declientèle, angoisses personnelles133). 131 Comme en MG.132 Médecin d’origine modeste, ayant un conjoint infirmier, appartenant à la jeune génération.133 Logiques également étudiées chez les MG, où elles apparaissent plus clairement encore (limitation du savoir,dépendance financière à la clientèle locale).

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Il semble alors important de regarder de plus près les discours contradictoires sur le tempsde travail et sur les patients, instruments des spécialisations, mais aussi révélateurs deparadoxes confirmant les hypothèses des chapitres 1 et 2. Paradoxe des paradoxes de cettepost-enquête : hormis quelques exceptions majeures (urgences, psychiatrie), quand nousavons demandé des précisions sur chaque situation locale en terme de pénuries de moyens, demédecins et/ou de personnel, les enquêtés ont nuancé fortement leurs propres difficultés.« C’est pas un problème majeur », « avoir un autre poste, si l’activité augmente, je seraicontent, c’est tout », « ici, ça va, on est pas mal loti », « moi personnellement, je suis assezprivilégiée, tant à l’hôpital (public) qu’en maison de retraite (privée) », « non, c’est - au pointde vue relation humaine ça se passe bien – c’est la taille de l’établissement qui fait que tout lemonde est sur les dents quand ça déborde, et ça déborde souvent ».

Les témoignages confirment alors également l’importance des phénomènes de rumeurs etd’anticipation entre médecins (manque à venir de futurs médecins, risques de procès).

« Bin chez nous c’est pas le cas, on n’a pas de pénurie tout ça, mais à l’hôpital ça doitl’être, vu ce qu’on entend…ou dans certains cabinets maintenant », « on dit qu’il y a moinsde médecins – vous pouvez pas trouver pour vous faire remplacer en ville maintenant, ni pourvous associer –. Encore en ville ça va, beaucoup de gens veulent rester en ville, mais si vousvoulez vous associer à la campagne, c’est mission impossible il paraît ».

3.1 L’ambiguïté des surcharges de travail

La pénurie ou la désaffection médicale ?

La question relative au devenir des jeunes générations fait ainsi entrevoir d’autresexplications à « la crise médicale ».

Autre temps, autres intérêts ?

Le corps médical est traversé par des changements qui touchent l’ensemble desprofessions.

« Les vieux médecins que j’ai connus, ils ont beaucoup travaillé, c’était toute leur vie quoi, etmaintenant ça a changé. Les nouvelles générations ? – ma fille est en médecine –,probablement, comme tout le monde dans la société, elle voudrait une bonne qualité de vie :travailler peu, pas gagner forcément d’argent car maintenant en médecine on gagne pastellement d’argent –, et je crois qu’ils vont privilégier la qualité de vie ». « C’est étonnant :les jeunes générations de médecins – on en parle souvent avec les jeunes qui viennent ici –ont fait le choix d’une qualité de vie, et ne mettent pas en priorité l’intérêt du travail. Letravail n’est qu’un élément de réussite. Alors que pour nous – peut-être qu’on a eu tord aussi– le travail était prioritaire. Alors là, on est pris en ciseau ». « Comment nous on tient ?L’impression de servir encore à quelque chose, c’est ce qu’ont plus justement les jeunes quiarrivent, hein ». « J’ai quand même peur qu’on se désintéresse des patients, si on se détachetrop de ses patients, ça n’ira pas non plus, quoi. Donc il faut qu’il y ait quand même un peud’affectif, pas que ça devienne purement un boulot, on n’est pas des machines quoi. C’est vraiqu’il y a un certain glissement. Les anciennes générations se sont peut-être trop sacrifiées,maintenant on risque de basculer complètement de l’autre côté ». « Mais le pire c’est qu’ils

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puissent accepter sans broncher la moindre qualité des soins qu’ils peuvent donner auxpatients… Alors il ne faut plus faire ce métier ! ».

« On est résigné sur la qualité d’exercice dans les années à venir – il y a les effectifsmédicaux qui vont chuter, et on se dit que même s’il y a une volonté miraculeuse de nousouvrir des postes, de toute façon ils pourront pas être pourvus alors heu c’est assezdésespérant ».

La question des postes non pourvus : les constantes des choix d’installations

En effet, les choix d’installation toujours au mieux resteraient finalement peucritiqués (logique de liberté), même s’il participe à l’amplification des déséquilibresrégionaux, et donc à créer des surcharges de travail pour ceux qui restent. « Comme y’aplus de médecins, ceux qui restent sont confrontés à des choix ! Donc, a priori, ils vont éviterles choses les plus difficiles, c’est normal non ? ». Seuls deux médecins ayant abordé leslimites de ces logiques :

« C’est vrai que le poste n’est pas pourvu, personne ne veut venir, ils ont leurs maisons àParis, ils ne veulent pas de logements de fonction ». « C’est sûr qu’il faudrait répartir mieuxles médecins, enfin c’est un peu difficile, c’est un cadre quand même assez libéral en France,donc les médecins s’installent forcément dans les villes et pas dans les milieux qui sont moinshospitaliers » (dans les 2 sens du terme). « Il faudrait les obliger, comme les pharmaciens,pour fixer des médecins là où il en manque. Je sais qu’aucun ministre ne prendra, mais on yarrivera quand même (rires) ».

Car toutes générations confondues, le choix d’installation resterait lié à larecherche :

- De régions « attractives » en vue de spécialisation (logique au fondement del’identité médicale).

« Ici on a un atout sur l’hôpital : on est une région attractive, c’est-à-dire qu’on n’est pas untrès grand hôpital – ce qui est plutôt embêtant, moins attractif qu’un CHU. Par contre, c’estune région de bord de mer qui est très agréable, avec un hôpital qui est quand même bienéquipé relativement…donc on n’a pas beaucoup de postes manquants ».

- De possibilité d’activités mixtes, de salaires attractifs

« Il y a aussi les types de contrats qui rentrent en ligne de compte : ici, on a des horairesgâchettes, c’est-à-dire dire qu’on change nos horaires d’une semaine à l’autre, alors qu’avecun temps partiel, théoriquement on peut aller compléter notre travail ailleurs » (salariée dupublic nl). « C’est pareil : y’a de moins en moins d’anesthésistes parce qu’ils travaillentbeaucoup et ils ne gagnent pas assez – s'ils gagnaient beaucoup bin y’en aurait plus»(libéral). « C’est vrai qu’un autre médecin à temps plein va partir aussi pour un autre posteplus intéressant, au SAMU, parce qu’il sera mieux payé quoi : 1 000 francs de plus par moispour à peu près le même temps de travail. Donc y’a pas photo, pour un jeune assistant quidébute, c’est plus attractif quoi. En fait, c’est lié au statut du public parce qu’ils ontrevalorisé les gardes, mais ici ça peut pas s’appliquer. Alors on est en train de réfléchir avec

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la direction parce que ça va poser un problème quoi : le public a essayé d’attirer lesmédecins comme ça, donc du coup y’a du retard pour les systèmes un peu privés ». « Oui, ona un problème de fuite de médecins en plus, du fait de notre convention : on ne peut pasappliquer les revalorisations salariales qui ont été données au public » (médecins privé nl).« Bon là on manque cruellement de rhumato, on en avait deux bons – et y’en a un qui estparti à Montpellier, et l’autre à Toulon – c’est plus attractif » (salarié du public).

- D’un habitat de proximité avec des services hospitaliers (si possible CHU) reliés àla possibilité d’avoir peu de gardes. Ces dernières étant finalement bel et bien desclés générales aux conflits hôpital/ville, MS et MG de ville : se déranger la nuit ou pasétant aussi un témoin de l’autonomie et donc du pouvoir de chaque médecin/autres.

« Il faut dire que c’est tous les métiers de gardes qui sont désaffectés : l’obstétrique, lachirurgie, les urgentistes – c’est surtout ça le problème ». « En plus la profession s’estféminisée, donc les femmes veulent plus (davantage) de temps partiels, elles ont des enfants às’occuper, elles veulent quand même un métier un peu plus reposant », « le problème desgardes 24h/24, ça bloque au niveau des enfants ».

- Mais surtout d’une qualité de vie, liée aux services urbains

« Ce qui rebute un peu aussi c’est d’habiter à la campagne, alors qu’il y a plein de médecinsqui habitent en ville, ils n’ont pas du tout envie de s’enterrer ici », « les jeunes médecins neveulent pas s’installer en zone rurale, les épouses et conjoints : c’est une génération qui esturbaine, qui a toujours vécu en ville, qui ne peut pas concevoir sa vie sans ce qu’offre la ville,donc là on est confronté à une grave crise, c’est certain ». « Est-ce que vous voudriez exercerlà y’a plus d’épiceries, plus de bureau de poste ? – rien à voir avec ce que vivait le médecinde campagne des années 20, ils n’étaient pas des nomades du désert, ils faisaient partie d’unesociété qui n’existe plus »…

Dans ces conditions, les obligations d’installations semblent limitées par des choix de vietouchant également d’autres professions, et renvoyant aux problèmes des politiquesd’aménagement du territoire.

L’augmentation de la charge de travail ou le fait « de se charger soi même en termed’emploi du temps » ?

Les surcroîts de travail ne seraient pas tous imposés. Ainsi, si les enquêtés ont exprimédes souffrances à refuser des patients (devoir de soins, éthique), il existe également d’autreslogiques de réponses « coûte que coûte » à la demande de soins : développementcommercial, mais aussi incapacités à dire non, à lever le pied, peurs de perdre des clientsau bénéfice de concurrents et développement de spécialisations.

Ces logiques sont surtout exprimées en cabinet

« J’ai explosé la clientèle de mon prédécesseur, alors on a été est obligé de s’associer, ce quipermet quand même d’aménager le temps de travail et de laisser des créneaux de libre. Enfinmoi, j’ai voulu cette organisation du travail parce qu’en temps que pratique libérale, plus ontravaille plus on gagne de l’argent, – enfin on devrait parce qu’avec les cotisations

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sociales ». « On s’arrange pour les congés, on préfère ne pas fermer le cabinet, finalementpartir jamais en même temps, – mais pas (durant) une période trop longue hein. Parce quec’est plus chargé pour celui qui reste, et pour mon associé là par exemple, on a déjà rajoutédes rendez-vous quand même, on est obligé d’intercaler (gastro-entérologues). « Moi jetrouve que c’est effrayant le nombre d’heures que je travaille, c’est pas normal. Et je me faisviolence pour réduire134 (rires). – C’est vrai hein, si je veux avoir du temps pour moi, pour mafamille. Je bloque – ça veut dire qu’il a plein de gens qui vont me téléphoner, et donc demainil va y avoir un report, c’est pas normal ça » (psychiatre).

Mais on observe aussi des surplus de travail en institution, liés à une valorisation dutravail, c’est-à-dire à des habitudes de dépassement de la fatigue et d’hyper activitéacquises comme internes (« c’était valorisant d’être toujours sur le pont », « onaccumulait les heures parce qu’on a une telle soif de connaissances ») et/ou à desdifficultés à arrêter un travail finalement source de fortes compensationsidentitaires (se sentir utile, voire indispensable135).

« Sinon par rapport au métier, le principal problème, c’est celui des horaires quoi : vouspouvez jamais – c’est assez difficile d’être sûr que vous allez sortir de bonne heure. – Bon sivous avez vraiment un rendez, vous pouvez l’organiser, bon, on n’est pas tout seul, donc ondit : ‘à 5 heures, je pars quoi qu’il arrive’. Mais ça peut arriver que vous partiez à 5 heuresdans une situation épouvantable – heu vous laissez en plan quelque chose que vous allezlaisser à quelqu’un d’autre – enfin des choses qu’on fait pas. Donc à 8h30 vous êtes toujourslà quoi… Bin y’a du travail quoi – Enfin y’a pas mal de travail, et le jour où vous voulezpartir à 7 heures, c’est ce jour-là que vous avez un appel pour une entrée, et comme vousn’avez pas d’interne et tout ça, c’est vous qui avez eu l’appel, bin vous restez quoi… ladisponibilité, ça peut peser un peu quoi, ça c’est inhérent au travail quoi (…). Et puis aprèson a l’habitude – enfin on a l’habitude !…On peut pas faire autrement de toute façon. Lesgénéralistes ça doit être pire – c’est-à-dire qu’après, vous êtes un peu comme un drogué de –un peu un drogué du travail – Alors les hommes, ils s’engouffrent plus facilement là-dedansque les femmes…Mais moi, j’ai remarqué une chose, dès fois quand on finit très tard, çam’arrive avec un collègue – on s’est dépêché jusqu’à 8h30, et puis quand on voit (on se dit) :‘pis de toute façon, c’est cuit’ ! Alors là, on commence à être relax ! Et heu, à la limite on varentrer à 10 heures, on en n’a plus rien à faire quoi. C’est une espèce de : après on est dansle truc quoi…dans l’excitation du truc heu ». « La médecine partout, ça devient une drogue,on n’arrive plus à s’arrêter, on revient plus vite de congés, c’est comme ça, tous les bonsmédecins vous le diront ».

Le développement de sous spécialisations étant aussi des charges supplémentaires detravail non imposées

« Moi j’ai une particularité, c’est qu’en consultation je fais de l’allergologie, qui n’est pasvéritablement vraiment quelque chose de très hospitalier, – l’allergologie se traite surtout enconsultations de ville –, mais traditionnellement les pneumologues sont souvent allergologuesparce qu’il y a beaucoup de pathologies croisées type asthme (relance sur l’absence d’autresmédecins dans cette spécialisation ?). Heu, non c’est pas ça, le fait que je sois le seulallergologue hospitalier ça me permet aussi, (bredouille) au terme du service de santé 134 Leitmotiv des autres libéraux rencontrés, en particulier les MG et les kinésithérapeutes.135 Idem en MG.

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publique (de son hôpital), c’est important – parce qu’autrement les gens vont sur N. ou A., –parce que notre service référent c’est A., donc c’est un peu loin tout de même. Et puis, doncy’a plein de choses qu’on peut pas réaliser en ville – Bon y’a d’autres pneumo-allergologuessur S. (ville où le médecin exerce) – mais y’a besoin d’environnement d’hospitaliers avec uneréanimation (…). Alors c’est pas du tout la majorité de mon activité, c’est peut-être unesurcharge de travail puisque je suis le seul à la faire, donc forcément ça vient vers moi – maisje l’ai voulu, enfin choisi » (salarié du public).

La charge de travail que chaque médecin s’imposerait étant finalement fonction desvaleurs professionnelles propres à chaque médecin et un choix de vie.

« Ce qu’il faut bien comprendre, c’est qu’il y a ceux qui se sentent mal quand on opère pas,qui veulent continuer à travailler pour se former encore et qui ont un devoir par rapport àl’activité du service. Après, ceux qui viennent sans s’investir dans la vie du service avec l’idéede travailler le moins possible et de gagner le plus possible…et un entre deux : on n’est pascorvéable à merci, mais qui ne sont pas focalisés sur une logique de loisirs ».

D’où des réactions très différentes aux 35 heures, et des organisations très diversesdes jours de consultations, repos, évoluant au fil de la carrière de chaque médecin.

« Je pourrai travailler plus, mais c’est un choix de vie, c’est une histoire personnelle, monpère est mort à 53 ans donc il avait bossé toute sa vie et il s’était pas occupé de nous 136», « jeme suis bloqué le jeudi, pour pouvoir lire, me cultiver, appeler des amis » (libéraux).

« Mon collègue qui était chirurgien parti en préretraite, on avait quand même des journéesextrêmement longues, et lui il était adorable : c’est-à-dire que si on l’appelait à 8 heures dusoir, même s’il n’était pas de service, il travaillait, il rentrait chez lui à minuit, il était mi-mort – Mais heu donc, il n’avait pas pris assez de vacances, il le regrettait – donc il est parti,c’est étrange quand même, c’est assez peu courant, enfin, on en parlait justement (…). Lamédecine me plaît toujours, pour l’instant…pour l’instant ça m’occupe bien, bien, enfinbeaucoup, enfin ça me prend beaucoup du temps…ça fait partie des questions que je mepose : l’avenir, la quantité d’heures, de semaines par an que je consacre à ce métier – enfintoutes les questions du temps, du temps qu’il reste à vivre (rire nerveux) – de gestion du tempslibre, voilà » (médecin salarié public)137.

« En vieillissant, je trouve qu’on supporte moins la surcharge de travail, vraiment – moi jetravaillais beaucoup plus avant, j’étais moins bien organisée, ça c’est sûr – on s’organise demieux en mieux –, mais je travaillais plus – Enfin plus longtemps, pas forcément mieux parcontre hein – Peut-être qu’on était mal organisé (relance sur les heures). Bin ça m’arrivait aumois de juillet de partir à 10h30 du soir hein – ça m’arrive plus ça – je suis mieux organisée,je sais pas – la façon dont on travaille a dû changer heu – c’est étonnant…Je pourrais plussupporter (relance/temps libre) – Oui le risque c’est de s’épuiser soi-même – Par exemple, sije vois qu’il y a des choses qui se rajoutent, maintenant ça me – j’ai l’impression d’êtreépuisée quoi, ça me – je veux dire…10 h ! – Et puis ça arrive hein, qu’on soit encore là à 9h- 136 Regret des enquêtés masculins en particulier, comme en MG : d’avoir tant travaillé, surtout dans laperspective de devoir encore tant travailler (sacrifice sans bénéfice).137 Témoignages identiques chez d’autres hospitaliers soignants (infirmières, aides-soignantes, agents) en fin decarrière.

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9h30, c’est fatiguant ça quand même. C’est-à-dire que vous n’avez plus de vie à vousaprès… » (clinique).

Les 35 heures, amplifiant des disparités (selon les spécialités et public/privé), maisentravant aussi les désirs de spécialisation

Outre des sentiments d’injustice liés à l’impossibilité de solder des jours de RTT dans lesservices manquant déjà de personnels, « c’est quand même paradoxal, dans unecivilisation où l’on parle de diminuer le temps de travail, les médecins l’augmentent ».

Le fait de ne pas pouvoir appliquer les 35 heures aux urgences par exemple est alorsconsidéré comme l’une des causes majeures de la démotivation médicale, voire de ladésaffection médicale.

« Le coup des 35 heures, c’est terrible, parce qu’y compris les gens en formationactuellement dans les hôpitaux – puisque c’est là qu’on passe tous – c’est terrible parcequ’ils voient du personnel qui tourne à 35 heures, alors que les médecins tournent à 70 voir à80 heures, et n’arrivent pas à prendre leurs RTT et leurs machins…Donc les jeunes, ils fontvite la part des bons et de mauvais côtés hein (…). Finalement, ils travaillent 10 fois plus quele reste du personnel, pour avoir une paie du double, et surtout beaucoup de risques. 18 000balles par mois, et si en plus ils risquent d’aller en prison, à quoi bon ? » (urgences, libéraltravaillant dans le privé et le public).

Et inversement :

« La réforme des 35 heures a fait couler beaucoup d’encre, mais au niveau des médecinshospitaliers, ça s’est traduit par des disponibilités supplémentaires en terme de jours decongés : on est passé d’un petit déficit, parce que ça manquait vraiment les jours devacances, à heu – enfin y’aurait eu 10 jours ça aurait raisonnable quoi, heu 20 jours c’estpresque trop mais il faut pas le dire –, c’est très très positif, c’est à la limite un argumentpour rester médecin hospitalier : le fait d’avoir un peu plus de disponibilités pour seressourcer, prendre l’air, pour rester vigilant, compétent » (gastro-entérologie, salarié dupublic).

Et inversement, les 35 heures se feraient au dépend de la « qualité du travail »

« Les effectifs ont fondu à la fois pour des problèmes budgétaires et des problèmes de tempsde récupération de temps de travail (…), ça agite beaucoup les hôpitaux, mais les vacances,les congés, les RTT, les congés de formation, bin tout cela mis bout à bout ça fait que grossomodo, on est rarement 3 mais 2 dans le service, ce qui devient un peu difficile, ce qui fait quenos RTT on les prend pas – enfin, depuis 2 ans que c’est mis en place, on est à peu près à50 % de pris. Et moi, je pense que ça a diminué notre qualité de vie au travail : on est un peumoins présent sur place, et que c’est plus intense (relance). Je pense que c’est positif pour nosfamilles, mais négatif pour les soignants et les patients : quand je reviens, bin je fais unepartie du travail de la personne qui me remplace… ».

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Et elles seraient plus particulièrement une entrave aux logiques de développement dechefferies et de spécialisations (obligation de déléguer son pouvoir et sesresponsabilités).

« À deux, il est souvent difficile de créer une nouvelle activité, et comme on est en surchauffedéjà sur l’activité actuelle, avec des difficultés de planning, – là on est un peu dans l’urgencetout le temps, alors qu’on aurait la volonté d’en faire plus, parce qu’on voit bien qu’on faitpas bien un certain nombre de choses ». « Nous on a un manque chronique de médecins etc’est quelque chose qui a été amplifié par les RTT – et encore ici à B. les repos de sécurité, ilsnous forcent à l’appliquer, donc on l’applique, mais ailleurs c’est pas le cas – mais on asupprimé une équipe. Bon, nous, vu notre volume d’activité, on pense qu’un seul médecinc’est dangereux, c’est pas possible ou alors au prix d’une prise de risque considérable. Àsavoir que tout ne pourra pas être régulé hein, certains appels vont heu être mis en attentedélibérément, mais tout ne pourra pas être décroché puisque ça n’arrête pas (…) les RTT, lesrepos de sécurité, c’est bien pour le praticien sauf que ça complique un peu la vie auquotidien d’un service : à savoir que certaines décisions, comme le praticien ne vient pas toutle temps, ne sont pas suivies et appliquées. C’est un bien en terme de loisir, je suppose que àla base c’était ça, – probablement un bien en terme de sécurité pour le patient, parce quetravailler au lendemain d’une garde de nuit c’était peut-être pas toujours l’idéal – heu doncpar contre, en terme de vie de service, de suivi d’un service, c’est pas génial, ça restreint, heu– en sachant que c’est peut-être parce qu’on est en manque de médecins que c’est pas génial »(médecin en devenir de promotion).

De même, les 35 heures sont critiquées lorsqu’elles obligent par exemple à remplacer soncollègue en repos dans un autre lieu que celui de son travail de base, c’est-à-dire à sedécentrer de ce que l’on considère comme sa vraie place (ses centres d’intérêtsprofessionnels).

3.2 Les limites des critiques

Priorité donnée au développement d’intérêts professionnels individuels

« Autant je suis stressé par les problèmes d’organisation du travail parce que je ne fais pasce que je veux, autant ça (les problèmes de fin de vie), ça fait partie du travail ».

Les médecins auraient donc des logiques de travail visant finalement à développer leurspropres activités, et à faire reconnaître une expertise, une spécialisation. D’où des discours apriori paradoxaux (qui reflètent ce qui est fondamental dans les ressentis au travail : les tâchesimposées/les tâches choisies), des regrets de ne pas davantage travailler chez des enquêtés quise disent pourtant « surbookés » et/ou des activités vantées dans les discours et en faitdélaissées (car prenant trop de temps par rapport aux propres centres d’intérêts du praticien).

Ainsi les mêmes enquêtés ayant regretté les manques de moyens pour développer enparticulier des soins en matière de prévention (ex. intérêts pour les enfants des entretiens decouples avant les divorces, des consultations préventives aux chutes ou aux problèmes de vue

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des personnes âgées pour éviter des hospitalisations à répétitions, des approches globales138

etc.), délaissent en fait ces activités « chronophages », les décentrant de leurs centresd’intérêts139.

Selon les mêmes logiques, les enquêtés ne signalent le manque de collaborateurs (ex.anesthésistes), mais aussi d’auxiliaires (infirmières, secrétaires) que quand ils sontdirectement touchés dans leur propre activité : fermeture de services, suppression de postesadministratifs140, inquiétudes face aux difficultés de recrutements infirmiers et aides-soignants141.

Ils tendent aussi à critiquer les politiques des pouvoirs publics lorsqu’elles empêchentlocalement leurs propres développements :

Ex. « Ici, les gens disent : ‘c’est pas cher chez vous, vous êtes moins bon, il faut réformer cesystème absurde’ ». « La CMU, ça a été quand même une bonne chose : y’a des patients quichangent de médecins qui sont en secteur II : ‘ il est trop cher, je peux pas’, donc moi je n’aipas de problèmes et mes patients qui ne sont pas à la Sécurité sociale non plus. Bon là enl’occurrence le système est bien fait » (libéraux travaillant en cabinet secteur 1).

Ou le développement de (sous) spécialisations (officielles ou officieuses)

Ex. « Par exemple ? Le sevrage en tabacologie, très à la mode, heu projet priorité desanté publique : on a reçu des tonnes de documents, avec une pression médiatique et unepression médicale ministérielle très forte. Mais aucun moyens pour le faire : ici on a des gensqui se sont formés, l’hôpital est d’accord pour le mettre sur ses projets prioritaires, enfin dele faire rentrer dans le projet d’établissement – Donc un engagement fort, et en fait y’a aucuncrédit, pour l’instant tout a été gelé ! En plus, ça aurait été un plus pour nous avec notreimage santé publique (…). Bon tout n’est pas négatif, par exemple pour la prise en chargedes cancers » (salarié du public).

« Les patients qui arrivent ici, qui tombent tout le temps et qui voient mal – qui ont unemauvaise vue parce qu’elle a baissé suite à leur hospitalisation ou à une anesthésie –, on peutpas faire venir un ophtalmo car on a une impossibilité financière à faire venir des libéraux.Donc, il faut attendre la sortie en lien avec le médecin traitant – et même ça, c’est pas évidentde trouver des rendez-vous, ça prend du temps) – Alors que dès fois c’est en rapport avec lapathologie qui les a amenés…Bon c’est les malades des médecins traitants, mais, nous ici ona plus le temps, on peut mieux faire les choses…En plus nous, on a aussi une impossibilitéfinancière à payer certains traitements (à cause du prix de journée très bas et parce qu’onn’a pas d’enveloppe particulière globale, alors qu’on le demande depuis longtemps), et onpeut pas faire venir certains patients à cause du coût de médicaments, comme les dialysés.Donc c’est aberrant, on refuse des gens, et on règle les urgences, le vital » (nl). 138 Ex. « C’est mieux de tout faire pour le patient – si on fait pas tout, si vous faites pas vous-même votreélectrocardiogramme – bon dans le service, c’est pas nous qui les faisons car ça serait une perte de temps,mais ».139 Même logique en MG (ex. prévention alimentaire/obésité, techniques douces).140 Ex. « La clinique est en difficulté financière, donc il faut qu’on se débrouille : soit on embauche donc onaugmente nos frais, soit on tape nos comptes rendus donc ça augmente notre travail ».141 Deux enquêtées travaillant en privé à but lucratif et non lucratif ont signalé de nouvelles « exigences » deparamédicaux qui ont le choix et « marchandent ».

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Ces logiques sont à la source de critiques entre médecins (désirs de tri de sa clientèle etdéveloppement de ses compétences)

Brisant le fameux esprit de corps médical, les critiques entre médecins resurgissent quandles partages de l’activité se font au dépend du développement de leur propre expertise. D’oùdes accusations de médecins urgentistes/maisons médicales et/ou libéraux142, mais aussi detous les médecins entre eux, voire la résurgence de représentations négatives public/privéquand ils tendent à faire des hospitaliers des médecins de première ligne : « nous on est SAU,donc on doit soigner tous les gens, donc toutes les pathologies et y’a pas de sélections quoi :c’est pas comme dans une clinique privée qui peut se permettre de sélectionner en disant :‘non, nous on traite que d’une pathologie, nous on accepte tout (…) » (salarié privé nl). « Moiqui aie parfois des malades non chirurgicaux, que j’aimerai bien hospitaliser, je ne peux pasles mettre à l’hôpital parce qu’on arrive pas à s’entendre, parce qu’il y a cette concurrence.Donc tant qu’elle existera, la liaison qu’on fera entre le public et le privé sera purementponctuelle et dépendra de critères très locaux – tant que ces phénomènes locaux existeront,on aura beau dire qu’il faut une coopération, rien ne sera jamais résolu » (clinique).

Les critiques des abus de confrères étant alors un révélateur d’intérêtsprofessionnels individuels qui sembleraient primer sur les autres logiques (économies desanté, besoins des patients).

Ex. « Les chimio, ça coûte la peau des fesses, pour faire gagner 1 ou 2 mois aux patients. Onferait mieux de mettre cet argent-là dans la prévention, que dans le traitement de casdépassés, parce qu’on fait des chimio de plus en plus lourdes. Bon c’est vrai qu’il y a desrésultats, c’est vrai qu’il y a des patients qui répondent, c’est vrai qu’on fait gagner un peu detemps de survie, mais à quel prix. À quel prix financier et puis ça a des côtés très agressifs143

pour les patients aussi (ton bas) et les conjoints ! ». Mais ce témoignage est celui d’unmédecin libéral avouant tout aussi bien faire « des examens complémentaires inutiles » à lafois « pour rassurer les patients…ça fait partie du traitement » (logique thérapeutique) maisaussi pour se couvrir en cas de pépin, tout en cherchant à augmenter le nombre de sesendoscopies (sans alors se demander fondamentalement si elles sont utiles, efficaces etcoûteuses).

« La semaine dernière encore on n’a pas pu admettre dans la clinique une personne qui avaitune hémorragie digestive parce qu’il n’y avait pas assez de places, parce qu’il avait unservice qui était fermé – parce que sur un plan purement économique, y’avait pas assezd’argent pour payer une infirmière. Donc la pression économique, c’est quand même trèsembêtant : donc on a envoyé le patient à l’hôpital, – mais bon heu, il sera moins bien soignécertainement que je si l’avais pris en charge » (clinique).

« Ici les anesthésistes, ponctuellement on a la qualité : ils se décarcassent, enfin ils font lemaximum pour endormir, ils jouent le jeu, ils laissent faire une infirmière anesthésiste quandça se passe bien : ils font le mieux possible pour que ça marche » (répondre à nos besoins)(salarié du public). « Nos anesthésistes ils gagnent pas assez, donc ils essayent de nous limiternos créneaux d’anesthésies, donc là y’a un conflit » (clinique). 142 Les MG étant toujours les plus critiqués (ex. MG qui adressent trop aux urgences, ne veulent pas faire degardes, plus de domiciles et sont peu investis dans le centre 15).143 Constat également d’infirmières libérales.

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Ultime conséquence, des directions qui doivent « composer » avec les aspirations dechaque médecin. Ainsi, les changements de direction hospitalière suscitent toujours l’espoirde développer au sein des établissements sa propre spécialisation (avec des enjeux parfoisconsidérables de captation de clientèle), et font donc ressurgir des conflits entre médecins(« les grandes manœuvres pour tirer la couverture à soi »). Le « bien des patients » ou autresarguments « rationnels » (santé publique, économie, prévention…) ne sont alors que desarguments pour le développement de telle ou telle activité. Et les conflits avec les directionsdémultipliés lorsque ces dernières ne s’inscrivent pas dans les logiques de spécialisationsouhaitées, et/ou prennent des initiatives dans les soins (ex. obligation d’ouvrir des litsd’urgences, hospitalisation de patient le week-end dans les hôpitaux locaux ou les maisons deretraites, limitation des visites « abusives » en foyer logement).

La participation des médecins aux surcoûts médicaux ?

Les enquêtés sembleraient plus sensibles à ce qui entrave leur développement local, leurspécialisation qu’aux problèmes de santé et de surcoûts financiers. Mais dans quelle mesure,dès lors, ne seraient-ils pas créateurs de besoins ? Et la crise n’ouvre t-elle pas la porte à tousles abus ? (logiques de rattrapage économique, violences sur patients etc.).

« Bon moi je suis solide, je peux affronter les gens. Mais les chirurgiens ils ont des difficultéséconomiques aussi, donc heu…Dès fois leurs indications sont pas si justifiées que je levoudrais, enfin. Donc y’a aussi des conflits avec les chirurgiens, donc voilà, le milieu de lasanté…c’est comme ça » (libéral). « C’est que…c’est pas que dans les hôpitauxpsychiatriques, nous on a des pratiques de sédation de patients faute de personnel(masculin) » (salariée public nl).

Des médecins non responsables

Si quelques enquêtés ont spontanément réfléchi sur les causes et les conséquences d’unemédicalisation acquise de la société (« c’est passé dans les habitudes d’aller voir un psy »,« est-ce que c’est pas un peu de notre faute aussi, parce qu’à force de dire : ‘faites le 15’, bindu coup c’est rentré dans les mœurs ? », « je ne sais pas comment on pourrait réguler le fluxdes patients, l’offre (de soins) est trop pléthorique, et de coup, les gens encombrent »), aucunenquêté ne reconnaît la part de responsabilité médicale à l’explosion des coûts de lasanté (bien qu’ils pointent de nombreux abus de confrères, voire la persistance d’abusde pouvoir de certains patrons).

En effet, outre la sincérité de leurs engagements auprès des patients, il semblerait que144 :

- Le développement de (sous) spécialisations et ses conséquences (luttes et alliancesmédicales) sont perçues comme logiques, normales dans une carrière médicale(développement d’intérêts professionnels particuliers).

- Les traitements n’étant alors jamais envisagés comme des surcoûts au contraire(« rassurer c’est à long terme faire des économies de santé »), mais comme desnécessités voire des obligations morales pour le patient, (et/ou pour se rassurer fautede savoirs).

144 Il ne s’agit ici que de pistes de travail.

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- Les sentiments de crise actuelle renforceraient encore ces fondements : désirs derattrapage social légitime, et en prévoyance d’un avenir incertain (multiplicationd’actes déjà amorcée par les pressions jurico-légales).

L’obligation de rendre service ou d’influencer les patients ?

Des patients à qui il serait toujours facile de rendre service, et de proposer dessolutions de facilités…devenant alors exigeants.

« Les médecins traitants rendent service aux gens pour des dépistages par exemple, c’est lamode cette année à cause d’une campagne de dépistage du cancer du colon, donc on a descoloscopies chez nous, des gens qui vont très bien, qui n’ont aucun symptôme, aucun truc(rires) (salarié du public). « Vous avez des patients qui reviennent tous les 6 mois (parexemple pour les suites d’infarctus) –. Globalement, on pourrait les voir qu’1 fois par an –sur le plan de la santé publique, je pense pas que ça changerait beaucoup les choses, saufs’ils ont un problème hein, mais quelqu’un qui va bien –. Mais y’a pas mal de gens quiveulent pas quoi, qui veulent venir tous les 6 mois. Alors que bon, on ne peut pas tout détecternon plus à une consultation, donc c’est pas non plus heu –. C’est vraiment la volonté, lanécessité d’être rassurés (clinique privée).

« Dans certains lieux d’exercice, on facilite un peu le heu l’activité médicale en proposantdes examens sous anesthésie parce que le gens le font volontiers – donc nous on en pâtitparce qu’après les gens ont des exigences heu suite à des bouches à oreilles » (salarié dupublic).

Une surmédicalisation médicamenteuse généralisée ?

« On a de plus en plus de problèmes de gestion des retours plus tôt d’hôpitaux, les patientsreviennent souvent fusillés ». « Avec les personnes âgées, il faut être très prudent dans lesmédicaments, faut pas se jeter sur tout et n’importe quoi, parce qu’il y a des effetsindésirables très rapides, et qu’on arrive à des catastrophes (ton bas) – on a des patients icien moyen séjour, ils arrivent (de l’hôpital public ou de cliniques), ils sont quasiment dans lecoma, pour des doses qui sont quasiment des doses de cheval pour eux – qui seraient à peuprès des doses correctes pour des patients adultes non âgés ». « Aux urgences, en MG on voittellement de patients avec des listes de médicaments…On ne sait plus par quel bout lesprendre…On se rend compte qu’on peut aider autrement, et pour le plus grand bien dumalade ! ». « À l’hôpital on et obligé de faire place nette, les MG prescrivent tropd’antidépresseurs, et des trucs qui ne servent à rien », « il y a une surmédicalisation desfemmes, – en particulier, on le voit bien en cabinet spécialisé (de psychiatres) »…

Répondre à ces 2 dernières questions reste difficile, car il existe des limites à ce qui peutêtre raisonnablement confié à l’enquêteur de passage, surtout quand il est non-médecin etadressé par un Ministère. De plus, la déontologie professionnelle qui vise à ne jamais attaquerles abus de confrères devant les patients, est aussi une règle pour se couvrir en cas deproblème. Les abus de confrères – le plus souvent découverts lors de remplacements ou au grédes retours de courriers et des patients – ne sont donc pas davantage parlés (bien qu’encoreune fois, tous praticiens admettent que les pratiques médicales bonnes ou mauvaises peuventinfluencer les demandes clients).

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Les limites de cette enquête sont également liées à l’absence de suivi du travail desenquêtés. Mais en nous basant sur nos enquêtes précédentes, il existerait exceptionnellementdes abus financiers conscients. Par contre, « des mauvaises pratiques » seraient le fait de laplupart des médecins, car les conséquences de concessions entre des logiques identitairescomplexes : peurs individuelles (du procès, de tel type de patient ou de pathologies) ou aucontraire investissements affectifs auprès de certains groupes de clientèle, habitudes deprescriptions liées à des collaborateurs privilégiés (médecins mais aussi visiteurs médicaux), àdes formations initiales etc.

Autre impasse : si des enquêtés tendent alors plutôt à se retourner vers les « lobbyspharmaceutiques » omniprésents (dont certains sont suspectés « de tronquer les résultatsd’études », de « pousser à une surmédicalisation»), les laboratoires jouent un rôle crucial enmatière de formations continues…berceau des réassurances professionnelles et desconstructions des collaborations.

Les relations avec les intermédiaires commerciaux sont alors certes parfois tendues car ilsmettent en évidence ce qui sous tend aussi le travail médical : « il faut que les cabinetstournent aussi, qu’on attire les clients, qu’on aille dans le sens du poil, enfin », « ceux quisont toujours de mauvais poils, c’est vite vu : le nombre de lits ». Mais leur présence estfinalement souvent acceptée, voire légitimée : « les labo de communication, enfin, ils font leurboulot et c’est cohérent…de faire de l’argent », « je vais pas ne pas recevoir le pauvre typequi va se retrouver au chômage, il n’y est pour rien lui »…« On n’y peut rien, c’est difficilede résister aux bons restaurants hein, on nous bichonne145, et ça marche hein : je me rappellede leurs noms sur 20 médicaments ». Encore une fois, l’absence de formations à la critique del’information, et l’absence de connaissances claires de médicaments toujours plus nombreuxsur le marché (en particulier en MG) restent une clé de dépendance médicale à deslaboratoires pharmaceutiques, plus ou moins privés à but lucratif146.

3.3 Les paradoxes des politiques de santé

Les réactions à la post enquête témoignent également d’incohérences de politiques desanté, aggravant les hiérarchisations de prestige traditionnelles en médecine :

Des budgets toujours inadéquatement répartis entre les spécialités

- « Ils ne veulent pas payer plus de temps de médecins, alors que les urgences sontincontournables, je sais pas moi : les services des urgences c’est obligé que ça existe,et les conditions de travail seront d’autant plus difficiles qu’il n’y a pas de budgetdonc pas assez de médecins !! Pfff ! », « ils laissent pourrir la situation des gardes,des salaires alors que nous on est la garantie de la paix sociale » (urgences).

- Des sonnettes d’alarmes sont également tirées par les psychiatres.

145 Il faudrait sûrement parler de véritables collaborations avec les laboratoires pharmaceutiques, espaces tempsnon seulement de réassurance professionnelle, mais aussi de revalorisation de l’image médicale, particulièrementdans le contexte actuel d’un fort ressenti d’une lamination injustifiée de leur statut social.146 La multiplication d’enquêtes à leurs sujets serait importante, au même titre que des enquêtes sur les itinérairesdes patients (acteurs clés passés généralement sous silence ou uniquement stigmatisés).

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Leurs « collègues libéraux » des centres médicaux psychologiques et dispensaires sont« de plus en plus débordés et travaillant avec des moins en moins de moyens ». Il manquedes structures adaptées aux besoins de soutiens psychologiques/psychiatriques desadolescents (« ça c’est un problème qu’il n’y ai pas plus de lieux de prévention pour lesenfants - y compris les ado c’est dramatique, parce que sinon ils ne viennent pas en cabinet -encore moins à l’hôpital »147).

Des politiques qui touchent de plein fouet des pôles de prévention

Tous les enquêtés pointent des contradictions entre des discours voulant diminuer lesrecours hospitaliers (type CHU, urgences), les coûts de la santé (prévention en amont, ausortir de l’hôpital, accompagnement des patients à domicile) et la fermeture de lits, de« petites structures de quartier humaines » et « d’hôpitaux de proximité », alternatives àl’hôpital (surtout en psychiatrie où l’hôpital agit en repoussoir pour les patients148).

Ex. « Mais en fait, c’est tout le versant prévention qui est nié : réadapter à l’effort, éduquerles asthmatiques – l’hôpital a accepté de financer des formations et y’a un réseaudépartemental, et puis après rideau, les robinets se ferment : ‘on fait plus’ ! – Alors qu’onsait qu’après les gens viendront moins aux urgences, consulteront moins, qu’ils coûterontmoins cher…Y’a des effets d’annonces, mais en pratique il n’y a rien ! ».

Et n’ont pas toujours pas pris la mesure des besoins de prises en charge des personnesâgées

- Tous les enquêtés soulignent les contradictions entre le fait d’avoir à soigner despopulations de plus en vieillissantes et les compressions du budget de la santé

« Il y a énormément de personnes âgées partout – les gens, ils ont envie d’un soin qui soitcorrect, c’est bien leurs droits – y’a pas, on peut on pourra pas assurer là – ou alors il faudrafinir à minuit ou ? Les généralistes pires que nous – ça au ministère il va falloir qu’il yréfléchisse hein…parce que c’est–. On nous dit par exemple, les dépenses de santé et tout ça,elles augmentent – mais là, ce qu’il faut réaliser c’est que c’est le nombre de personnes âgéesqu’il y a !! Par exemple en cardiologie, vous n’avez pas une personne âgée qui n’aient pas unpetit problème cardiaque – pas forcément grave : un peu des palpitations, un peu ci un peu ça– et ça va forcément – bin les généralistes ils gèrent un peu mais – avoir un avis spécialiséune fois tout les 5 ans, c’est quand même pas un drame, même à 80 ans !! Bin je vois pascomment on pourra absorber ça, y’aura des consultations – enfin ça va coûter de l’argent !Forcément quoi. Ou alors il faut définir qu’à partir d’un certain âge on soigne plus ! ».

- Les médecins en gériatrie et urgences constatent en particulier l’augmentation dunombre de patients de plus en plus âgés, fragilisés voire handicapés par despassages répétitifs à l’hôpital dans des structures de soins inadaptées, faute d’avoirété suffisamment aidés à préparer un réaménagement de leur vie à domicile (ex :acceptation des aides, réadaptation alimentaire etc.).

147 Comme pour les personnes ayant de très faibles revenus, la structure idéale reste les petites unités deproximité : soins gratuits sans avance de paiement, cadre ouvert sans prise de rendez-vous.148 Même constat en MG où il reste un lieu de répulsion.

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« Ils sont retombés, ils sont seuls, ils sont mal nourris, et c’est pas le passage d’une infirmièrequi va y changer quelque chose ». Et en effet, même si les libéraux tendent à reproduire audomicile des patients l’organisation du système hospitalier (supports écrits, plusieurs passagesdans la journée de professionnels) », les liens ville/hôpital et les logiques hospitalières ne sonttoujours pas adaptées aux nouveaux besoins de santé.

- Tous les enquêtés soulignant finalement un manque « de diversification desstructures d’accueil » : accueils et hôpitaux de jour (en particulier le manque de litsde moyen séjour pourtant maillon préventif des retours à l’hôpital), mais aussistructures de suite palliatives à l’hospitalisation prolongée et adaptée aux besoinsde chaque personne : maisons de retraites, aides à domicile, soins palliatifs endehors des CHU (y compris en milieu libéral).

Le 4ème âge, seul véritable enjeu à venir

À la question finale des améliorations urgentes à faire remonter au ministère, tous lesenquêtés ou presque ont (re)parlé de ce qui reste toujours seul véritable problème de fond àvenir (au-delà des identités et de la crise médicales).

Témoignages

« Le grand problème du 21ème siècle, ce sont les personnes effectivement, et on voit pas unseul système pour soutenir l’ensemble de cet effort…Plusieurs canicules et ça éliminera leproblème » (humour médical).

« C’est sûr que les gens consultent trop, mais surtout le problème, c’est celui duvieillissement de la population – alors on en parle pas trop parce que ce sont des électeurspotentiels, mais la vraie question, c’est : ‘est-ce qu’on aura les moyens de prendre en chargedes malades de plus en plus vieux, avec de nombreuses pathologies, de plus en plus deproblèmes liés à l’âge ?’. C’est le problème de fond, l’enjeu fondamental comme praticien debase : nous, on est limite en bout de chaîne, bon, les plus de 80 ans, on les soigne maisjusqu’à quand ? C’est un énorme problème économique qu’on doit dire, à relayer en haut –parce que même s’il y a des personnes qui en ont l’intuition, nous on est seul…on doit lefaire savoir (…). Cette population âgée est très demandeuse de soins, alors après il fautsavoir si on peut payer ces soins ou pas – ça c’est un autre débat quand même : il faut savoirsi la société peut payer des soins à tout le monde, y’a peut-être des règles à établir. Mais lemessage à faire remonter : c’est qu’il faut avoir des praticiens pour faire des soins – et s’il ya eu une erreur grossière à retenir sur la génération, c’est celle là, avec la montée despersonnes âgées ».

« Je crois que la France est vieillissante, que ça fait des années qu’on le sait, et qu’on n’arien anticipé. Bon, la canicule nous a montré un peu, a déclenché quelques – mais bon, c’estau quotidien et on vivait ça depuis quelques temps, on voyait bien que ça allait au-delà dessurcharges l’été. Ce problème-là on l’avait déjà en permanence : on a en permanence desgens âgés, on sait pas où les mettre…En fait, c’est tout le système qu’il faudrait changer !Donc ce n’est pas simple hein. Puis y’a après l’hôpital, c’est difficile de trouver une placeen maison de retraite, et je parle pas des problèmes pécuniaires…à part le public y’a plusrien, et je sais pas si c’est si attractif que ça pour les médecins, les gériatries ».

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« Après on peut bien tenir tous les discours, aller serrer les mains des personnes âgées, heu,leur dire qu’elles seront mieux chauffées l’hiver et mieux réfrigérées l’été prochain, c’est pasça le but, – je crois que le sort qu’on fait aux personnes âgées en France actuellement c’estune honte (bis), c’est un problème global – le fait que les personnes âgées se retrouvent dansles maisons de retraite (bredouille inaudible), mais c’est cette folie, hein, cette hypocrisie –que ça soit impossible de laisser mourir quelqu’un à son domicile, hein, c’est quelque chosequ’on admet pas – Mais heu, le sort qu’on fait aux personnes âgées actuellement c’estdramatique, mais c’est vrai qu’une fois de plus y’a la carence, cette dégradation : le fait quela médecine quelque part, – enfin je sais pas s’il faut dire –, plutôt l’hygiène fait qu’onaugmente la vie humaine mais en quantité, pas en qualité – une vie décente. Si on veutavoir les moyens d’une société qui se respecte, c’est pas – moi je vois ça tous les joursquand il s’agit de laisser partir quelqu’un en maison de retraite, les difficultés financièresou les possibilités de les garder à domicile, les difficultés financières – le coût du matériel,c’est pas rien de s’occuper que quelqu’un d’handicapé – je veux paraphraser personne maisavec un peu de (? inaudible) mais plutôt que de dépenser de l’argent à des conneries (memontre l’ordinateur) y’a des systèmes qui existent aujourd’hui (matériel palliatif auxhandicaps) – c’est pas mis en place. Les maisons de retraite, y’a des carences en personnelénorme – on en a suffisamment parlé – énormes ». (Suite informelle). Occasion de dire quecontrairement à Paris, il n’y a pas eu beaucoup de décès suite à la canicule dans sa région, liésselon lui à « l’absence de techniques ou autres », « ça a préservé nos vieux ». Il y a encore« dans le coin » des lieux qui posent un « autre regard » que celui des protocoles ou desgrandes institutions : « un regard à l’ancienne, qui prend soin aussi ».

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Conclusion générale

« Les médecins sont dépressifs », « le plus grave c’est le dépit ambiant »

Une analyse comparative des entretiens sur les conditions et organisation du travail(parcours, temps de travail et collaborations professionnelles) laisse penser que les réponses àl’enquête de la Drees ont été fonction des spécialités officielles ou officieuses des médecins etde leurs situations locales particulières. L’offre de soins permettant ou non un développementde centres d’intérêts et d’entre aide au travail (et/ou une réduction du nombre de gardes).Reste que pour tous les enquêtés, « soigner au mieux » c’est aussi acquérir des droitslégitimes compensant des apprentissages longs et/ou peu payés, puis le sacrifice de leurstemps voire de leur personne aux patients. Il s’agit de pouvoir :

- capter, maîtriser et sélectionner des flux de clients et des collaborateurs en vue de sefaire reconnaître localement comme expert (maîtrise de savoirs délimités),

- et donc aussi choisir son lieu d’exercice : régions, établissements et/ou spécialisations« attractives ».

Ces logiques sont d’autant plus visibles actuellement que le groupe a le sentiment de vivreune situation de perte de pouvoir majeure. Les nécessités de contrôles et de réductionsbudgétaires étant peu comprises (rejet traditionnel des contrôles du travail par des non-médecins et des procédures écrites administratives éloignant les praticiens des soins), surtoutlorsqu’elles touchent des structures ou des services qui tendent justement à un moindrerecours à l’hospitalisation et drainent l’ensemble des problèmes de la société (psychiatrie,urgences).

Au terme de cette post-enquête, au moins deux points cruciaux apparaissent :

Suite à une augmentation des rythmes de travail et des charges de travail exprimée parl’ensemble des enquêtés, on ne pourrait qu’assister à un report des tensions sur les personnelsnon médicaux149, chargés traditionnellement de canaliser les demandes des patients et lesplannings, de gérer les écrits (secrétaires, infirmières), et de replacer les personnes âgées« incasables » (infirmières, assistantes sociales). Ces personnels étant aussi des aide-mémoireet des médiatrices des émotions médicales contenues pendant les soins150.

En effet, et au-delà des effets réels ou supposés de la crise actuelle151, ce qui gênerait leplus l’ensemble des enquêtés ce sont les perspectives :

- de devoir encore beaucoup (trop) travailler (particulièrement pour les médecins enmilieu ou fin de carrière) ;

- d’être tenus responsables de situations de fin de vie problématiques (contradictoiresavec des idéologies salvatrices qui tendraient à s’émousser chez les jeunes

149 Sans oublier les tensions engendrées aussi par les politiques (annexe 3).150 Enquête ANAES portant également sur les relations entre MG et personnels d’institutions (hôpital local, CH,maison de retraite).151 Les notions de surcharge de travail étant ambivalentes selon qu’il s’agisse de tâches imposées/que l’ons’impose en fait soi-même.

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générations) auprès de patients de plus en plus âgés (difficiles à soigner, à placer),d’où de nombreuses demandes d’aides pour re-délimiter les soins ;

- de devoir collaborer avec de nouveaux partenaires : les patients et les proches,réclamant parfois soit une totale prise en charge de leur santé au quotidien, soit desrelations et des informations, habituellement jugées secondaires ou reléguées à desnon médicaux en milieu hospitalier public.

Les incompréhensions des demandes des patients sont plus marquées aux urgences (où lesmédecins sont de plus confrontés au détournement par des médecins de leurs services, doncpersuadés de ne plus soigner les bons malades) ou en gériatrie hospitalière. Les médecinstravaillant exclusivement en milieu hospitalier public s’opposant alors aux médecins dusecteur privé (clinique et/ou cabinet) davantage habitués à écouter « la voix » des patients, etplus encore à l’ensemble des psychiatres (compétence d’écoute et de compréhension aufondement du travail).

Les salariés du public non-psychiatres nous ont semblé dépassés par les conséquences dela médicalisation de la société – que les médecins ont également contribué à développer –faute d’avoir eu le temps de penser qu’elle renforcerait le niveau de revendications de patientset de leurs proches, qu’elle contribuerait à augmenter et l’âge et les désirs de survie,nécessitant des changements de positionnement et de pratiques médicales au quotidien. Resteque faute de moyens, en particulier dans les spécialités déjà traditionnellement peu attractives(psychiatrie, urgences, gériatrie), ce sont l’ensemble des médecins qui tendent à se positionnercomme des victimes, bouc émissaires.

À ce sujet, nous voudrions souligner l’importance des phénomènes d’anticipation desaugmentations des charges de travail à venir, qui sont vécues mais aussi rapportées ouprojetées, au point que la disparition de certaines spécialités est déjà parlée au présent (ni aufutur ni au conditionnel).

Les effets rumeurs et les angoisses seraient amplifiées par des connaissances très partielles(en dehors des réseaux amicaux-familiaux) des réelles conditions de travail de confrères, et enparticulier du travail non hospitalier ; de l’organisation des soins et du système de soins global(pas ou peu de discours spontanés sur les libéraux, associations de patients, autresprofessionnels ressources)152. Mais surtout, quelles que soient leurs conditions de travail, lesmédecins rencontrés souffrent de sentiments d’abandon, c’est-à-dire d’un manque decommunication avec les pouvoirs publics (politiques de santé paradoxales, lenteur voireabsence de réponses, d’auto-critique et d’explications des politiques153) lesquelsméconnaissent également les problèmes quotidiens des praticiens du terrain et participentaussi à augmenter rumeurs et angoisses.

En particulier, du point de vue des enquêtés, les politiques (salariales ou autres) nesemblent pas tenir compte de la lourdeur de leurs responsabilités diagnostiques et/ou de ladiversité des situations de travail (particulièrement exprimés par des médecins âgésdéstabilisés par des changements imposés du travail et/ou travaillant dans les régions et

152 Limitant sûrement les tentatives de re-déploiement extra hospitaliers, en particulier les volontés de faire desMG des acteurs pivots.153 Voir annexe 3.

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spécialités déjà sinistrées). Tous les informateurs témoignant en outre du fait que les MG sonttoujours « les plus à plaindre », par opposition aux spécialités « qui rapportent »154.

Autrement dit, au-delà des anticipations, des différences selon spécialités et des lieuxd’exercices, les besoins d’aide155 et de réassurance professionnelle ne seraient pas à minorer :

- Il existe des sentiments de ne plus pouvoir faire face à la demande, faute de tempsmédicaux et de structures adaptées (cette post-enquête révélant une fois de plus deslacunes importantes du système de santé en matière de prise en charge de personnesâgées notamment).

- En plus des incertitudes liées à l’allongement de la vie, les souffrances les plusgrandes semblent finalement liées au fait de pas savoir : d’avoir peu ou pasd’explications d’ordre pratique quant à la façon d’appliquer des directivesministérielles, de n’avoir aucune piste tangible quant aux politiques à venir.

L’impossibilité de se projeter dans l’avenir expliquant alors non seulement la force deseffets de rumeurs, mais aussi de colères quand les seules informations reçues tendentuniquement à contrôler, voire à remettre en cause des expériences acquises au terme de longsparcours initiatiques.

« Non mais comment soigner de façon efficiente le double de patients ? Personne ne répond !Personne ne se demande : ‘comment on va faire ?’». « On est soumis au regard inquisiteurparfois des patients et de leurs familles, et ceci dit à la limite je le comprends, mais y’a lesexigences des tutelles, – enfin ministérielles – qui sont dès fois un peu plus mystérieuses,souvent c’est des exigences parapluies, c’est : ‘on l’a dit, débrouillez-vous pour l’appliquer,vous l’avez pas fait, tant pis pour vous’ – Seulement,… comment l’appliquer sur le planpratique, ça c’est dit par personne ! Enfin les circulaires ministérielles pleuvent, mais lesmoyens de les appliquer sont inexistants ».

Les besoins de réassurance identitaire passeraient également par des revalorisationssalariales, tant le maintien de l’image sociale et/ou d’un niveau de vie semble prépondérantdans ce groupe. Au risque de renforcement des logiques de hiérarchisation médicales, et devoir se développer des logiques de surmédicalisation, liées tant aux craintes réelles de risquesde procès qu’à des logiques de rattrapages (double, triple exercices, multiplication de soins« inutiles »…).

Réédition de l’enquête générale

Au terme de ce travail, il ne nous semble pas opportun d’exclure les médecinslibéraux dans la prochaine réédition de l’enquête. Outre le fait qu’ils expriment plusouvertement des logiques au travail présentes chez tous les médecins156 :

154 Autrement dit, les politiques tendraient plutôt à approfondir des hiérarchisations du travail médical,amplifiant les sentiments de « gagnants » et de « perdants » entre sous-groupes professionnels (médecinegénérale, gériatrie et psychiatrie demeurant les parents pauvres).155 Les deux médecins les plus réticents ayant finalement demandé des aides extérieures pour débloquer desimpasses relationnelles (collaboration public/privé), et/ou pour réajuster des situations salariales injustes. Ilfaudrait consacrer une étude approfondie à ce problème constant de l’hétérogénéité des salaires qui a traversécette post-enquête (médecins détachés du public travaillant en hôpital privé nl, privés non lucratif/public,CHU/autres type d’hôpitaux, au sein des centres 15 et des maisons médicales etc.).

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- ils travaillent souvent en milieu institutionnel sur lequel ils sont susceptibles de poserregard un peu décentré, voire critique (donc intéressant pour le thème de l’enquête),

- en médecine, voire chez l’ensemble des professionnels de la santé, le clivagelibéral/salarié n’est pas le seul pertinent dans les ressentis au travail.

- il existe un continuum de perceptions dépassant les catégories administratives (etcomprenant aussi l’exercice hors établissements)157.

Les catégories de distinctions entre médecins étant plutôt fondées sur :

1. Des hiérarchisations de savoirs (valorisation de maîtrise de connaissances délimitées,de spécialités techniques et curatives) variables selon les spécialisations, et rapportéesaux types de clientèles soignées (plus ou moins triées et médicalisables).

2. Des oppositions entre les médecins qui peuvent rapidement obtenir l’avis de collèguesspécialistes, refuser et imposer des patients /tous les autres.

D’où l’intérêt de garder également un large panel de praticiens de toutes les spécialités, ycompris les moins « nanties » (urgences, gériatrie, psychiatrie, médecine générale).

3. Des degrés d’autonomisation au travail et de responsabilités plus ou moins recherchéset assumés, fonction des aspirations, des trajectoires des centres d’intérêts de chaque médecin(d’ou l’intérêt de post enquêtes qualitatives portant sur des trajectoires individuelles).

Modifications-ajustements à apporter

Il nous semble opportun d’ajouter des questions relatives aux aspirations et hantisesspécifiques aux professionnels de la santé. En particulier, les incidences des problèmes :

- De prises en charge de populations plus âgées et de la mort à l’origine d’usures et dechocs divers (relégations, questionnements éthiques, difficultés médicales à aborder etparler de la fin de vie), amplifiés par les carences en structures de suite adaptées auxpatients âgés (difficultés à replacer les patients souffrant de polypathologies à l’originede tensions reportées sur les paramédicaux-secrétaires voire sur les aidants) ;

- De gestion des familles et d’appréhension des phénomènes d’autonomisation decertains patients, car sources de nombreuses incompréhensions et donc de stress autravail, et qui tendrait à démultiplier les peurs :

- de fautes professionnelles et de procès (renvoyant plus globalement à la question dupartage des responsabilités et des prises de décisions solitaires), mais appronfondiespar des ressentis d’une augmentation globale des charges de travail.

Sur ce dernier point, il conviendrai également de s’intéresser :

156 Aspirations à l’autonomie et à l’approfondissement de sous spécialisations (officielles et implicites) en vued’expertises, critiques du système de santé fonction des intérêts de chaque praticien (c’est-à-dire de besoins de sedélimiter des territoire et de trier la clientèle), intérêts à consolider tout au long de leurs carrières des réseaux(relais, décharge) etc.157 Et sur ce point, il conviendrait de ne pas sous estimer l’importance des différents types d’exercicesexpérimentés successivement et/ou simultanément par les médecins. Mais également de rester prudent quant auxréponses données (possibles non dit).

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- aux difficultés d’organisation des gardes (pour les médecins), à leurs liens avec descontextes locaux d’exercice et d’offres de soins (ex. régions sous-médicalisées, absence deprofessionnels de ville, éloignements des grands centres hospitaliers, conflits entreétablissements publics et privés etc.)158 ;- aux incidences de logiques bureaucratiques-gestionnaires, d’autant que la perceptionnégative de cette charge de travail supplémentaire transcende également les lieux, typed’exercices médicaux et paramédicaux) ;- aux carences des communications avec les pouvoirs publics (avec peut-être aussi desquestions portant sur les besoins d’informations-échanges via les réseaux, Internet…).

158 Secondairement, il serait peut-être également important d’introduire des questions relatives aux types decontrats et aux types de formations (degrés de satisfaction).

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Anne Vega, 13 août 2004 (compléments apportés en octobre)

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Annexe 1

Les maux des uns, l’accueil des autres… Synthèse du DEA d’Anthropologiemédicale. K. Blandin (juin 2003, Laboratoire d’écologie humaine etd’anthropologie, Aix, dir O. Sturzenegger-Benoît)

Ce travail est un aboutissement d’une pratique en psychiatrie, dont un stage de pharmacie àl’hôpital de la Pitié Salpêtrière, Paris XIII, puis un terrain d’anthropologie au centre d’accueilet de crise de la rue de la Roquette, Paris XI, consistant en une observation participante, avantle second échec de sa fermeture, en partie dû à la forte mobilisation du personnel soignant etsans précédent, des patients.

Karine BLANDIN y a étudié « un mode de soin en psychiatrie en rupture avec la traditionasilaire », caractérisé non seulement par « l’accessibilité » et « l’autonomie d’organisation »(propres aux objectifs de politique psychiatrique de secteur et aux petites structures dequartier éloignées géographiquement de leurs rattachements hiérarchiques), mais aussi parl’adaptation de l’institution à l’aide recherchée par les patients (« milieu ouvert »,« négociation permanente entre les acteurs »), et sans hiérarchie entre les personnels « afinqu’elle ne soit pas reproduite avec les patients » (médecin)119. Son analyse, fondée sur uneapproche anthropologique de la psychiatrie120, a porté sur les soignants (entretiens), mais s’estcentrée surtout sur le vécu de la maladie psychiatrique à travers l’histoire des patients et duvécu de celle-ci au centre d’accueil.

L’auteur montre alors combien ce lieu – qualifié de « village » par les patients, bien quel’hospitalisation et plus encore les consultations de passage y soient courtes – participeactivement à la déstigmatisation que requiert encore la psychiatrie aujourd’hui. Reprenant lesanalyses de Stanislas TOMKIEVIC, Louis LE GUILLANT et Lucien BONNAFÉ notamment,elle rappelle comment, et comme par opposition, la perversion des autres espaces de soin,plus institutionnalisés n’est pas une volonté première de l’institution. Elle serait, tout commela violence en est le symptôme, une conséquence de l’absence de projet (éducatif), concret etconstructif121. En effet, les institutions pour personnes handicapées souffrant de troublespsychiques, révèlent une certaine anomie, une disparition des valeurs communes à la société,que le politique et la politique n’ont su produire et/ou reproduire. Il s’agirait alors d’ytravailler – en collaboration avec des patients, leur entourage, l’équipe de soin et pluslargement la société – à l’élaboration d’un projet de vie, pour qu’un temps d’aide ne soit pasun moment de transition vers une chronicisation mais bien une étape, un accompagnementvers l’épanouissement de la personne, la facilitation de ses relations et une réassurance de lapopulation générale, dans le sens d’une plus grande acceptation en son sein.

119 L’un des trois médecins également interviewé au cours de la post enquête.120 Ce qui a trait en Occident à la maladie mentale, tant dans sa représentation, sa prise en charge et sontraitement, que la condition sociale qui lui est assignée.121 Très présent au CAC, à la fois dans la volonté de ne jamais laisser le personnel gérer seul les conflits avec lespatients, et de redonner à ces derniers le pouvoir : « ils choisissent de venir puis d’adhérer au traitement et deparler de ce qu’ils ressentent », « et ils savent qu’il n’y aura ni contention ni enfermement ». Se pose néanmoinsla question de ce qui fait acte de contenant, question à laquelle les acteurs répondent notamment par : la parole,le dialogue et la confiance. La violence étant aussi absente suite à une différence majeure : « les patients saventpourquoi ils sont là ».

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Or, en dépit du discours des politiques (passage à un pouvoir démocratique en matière desanté mentale qui tend à redonner à chaque acteur la place légitime qu’il doit occuper dans lesystème décisionnel) leur mise en pratique reste problématique – tant dans le temps que dansla conception pragmatique de tels dispositifs – l’embûche majeure étant souvent celle del’économie, peu prête à s’engager dans de telles réformes. S’il existe déjà actuellement de ceslieux intermédiaires de la psychiatrie, inscrits dans la proximité, dans la communauté (par leuraccessibilité et leur mise à disposition souple pour la population), de telles structuresrequièrent beaucoup de personnels parce qu’elles touchent un public très large dans unedémarche curative et aussi préventive. Et l’État ne semble pas toujours prêt à financer à longterme ce genre de structures pourtant ici défendues par les usagers eux-mêmes, lesquels onttrouvé malgré leur « handicap mental » des ressources pour témoigner à visage découvert deleur nécessité, témoignage rendu à travers un mouvement de défense alors très rapidementconstitué en association.

L’auteur conclut alors en ces termes : « les patients de la psychiatrie peuvent aussi semobiliser, s’organiser, se structurer et se positionner, pour se dire, pour affirmer ets’affirmer », et cela en utilisant les moyens actuels de l’information, la presse et l’Internetnotamment, jusqu’à rencontrer et décider favorablement le Ministre de la Santé, MonsieurPhilippe Douste-Blazy. Elle y voit une opposition entre « un débat public, citoyen, informatifet un débat institutionnel, décisionnel qui ne se soucierait que peu de ceux qui sont lesprincipaux concernés par une décision administrative de fermeture » ; les acteurs de ce débatpublic sont les premiers concernés, les patients et le personnel soignant créant aujourd’huiune nouvelle image de la psychiatrie qui n’est plus fuie mais défendue.

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Annexe 2

Présentation du projet de recherche - « L'usager : entre urgence ressentie etoffre de soins : analyse des logiques profanes et d’un nouveau recoursthérapeutique »

M. Faure, anthropologue, Laboratoire d’écologie humaine et d’anthropologie, Aix (appel d'offres2004 de l'ANAES non retenu)

Problématique

Une partie des demandes de prise en charge en urgence est considérée comme un« mésusage » de l’organisation du système des soins par des professionnels de la santé. Lesmédecins libéraux et hospitaliers en particulier se plaignent de l'attitude de patients quiprennent l'initiative de devenir les principaux acteurs décisionnaires dans leur recherched'aide, utilisant les offres de soins selon leurs propres logiques.

Outre l‘augmentation du nombre de passages aux urgences159, des études160 ont montré queparmi eux, tous ne relevaient pas de l'urgence « réelle », c'est-à-dire celle qui aggrave lepronostic vital ou fonctionnel (entre 14 et 30 % des cas enregistrés en urgence relèvent de lamédecine généraliste). De plus, les trois-quarts des usagers se présentant aux urgencesviennent directement, sans avoir consulté de médecin préalablement, et 19 % seulement desusagers sont hospitalisés suite à leur venue. De même, les appels au standard des SAMU161 onttriplé en 10 ans. Pour plus de 30 % des appels au Centre 15, la réponse apportée consiste enune information et/ou un conseil médical. Et seulement 4 000 000 sur les 11 000 000 d’appelscorrespondent à des demandes d'urgence « réelle », les autres étant liés à la forte progressiondurant les années 90 du nombre de personnes en situation de précarité, et à la difficulté dejoindre un médecin généraliste libéral le soir ou le week-end.

Pourquoi les usagers sont-ils « autant » consommateurs dans l’urgence du système desoin ? Quelles sont les motivations des populations qui consultent dans l’urgence ? Une étudeimportante162, menée en secteur hospitalier, a en partie donnée des réponses : l'accident (59 %)et la douleur (43 %) sont les motifs de venue les plus souvent cités. Mais cette étude ne décritpas les processus complexes qui conduisent les usagers à consulter en urgence. Et qu’en est-ildes conceptions médicales ou savantes de l'urgence réelle de médecins libéraux ethospitaliers ? Une étude qualitative, d’orientation anthropologique163, permettrait également

159 Circulaire 195/DHOS/01/2003 du 16 avril 2003 relative à la prise en charge des urgences.160 Carrasco V., Baubeau D. « Les usagers des urgences : Premiers résultats d'une enquête nationale », Études etrésultats, Drees, n° 212, janvier 2003. Et Lang T., Davido A., Diakité B., et al., "Non-urgent care in hospitalmedical emergency department in France : how much and which heath need does it reflect?", J.EpidemiolCommunity heath, 1996, 50 : 546-562.161 Drees, « Les passages aux Urgences de 1990 à 1998 : une demande de soins non programmés », Études etrésultats, n° 72, juillet 2000.162 Carrasco V., Baubeau D. op.cit.163 Qui s’attache à comprendre les motivations et les attentes des usagers, ainsi que leur représentation de lamaladie, de la santé et du système de soins.

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de mieux définir les critères de ce qui est considéré comme une demande « non fondée »164, devérifier l'homogénéité ou non de ces conceptions (et in fine de comprendre l'adéquation oul'inadéquation entre l'urgence ressentie de l'usager et l'urgence réelle des professionnels de lasanté).

Hypothèses, objectifs précis visés

L’augmentation des recours en urgence pourrait traduire de nouveaux comportements desusagers, qui recherchent un service et la sécurité de consultations non programmées pour dessoins qu’ils jugent urgents. De plus, ce qui est communément appelé le « consumérismemédical » serait devenu un mode de prévention pour l'usager, influencé par la médicalisationde notre société. L'objectif principal de cette recherche est alors d’identifier les logiques quisous-tendent les demandes de soins en urgence (à quel besoin correspond cette appétence dela population à s’emparer des lieux de soins pour y faire traiter ce qui, dans l’échellemédicale, relève de la « routine » ?), et en particulier les raisons du choix des usagers entre leservice des urgences hospitalier et le service de garde (appelé permanence des soins) de lamédecine de ville.

Comment les usagers appréhendent-ils les nouvelles maisons médicales de garde (unecentaine en France dont la moitié sont fonctionnelles et l'autre moitié sont en projet) ? Lesrecours sont-ils véritablement une pratique de l’urgence ou bien simplement une conduitemédicale comme une autre ? Quelle place cette institution médicale naissante dans le systèmede soins français peut-elle alors prendre ?

Ainsi par exemple, selon les post-enquêtés, le développement des maisons médicalessemble entravé par des logiques encore à étudier :

- des attirances (tant côté patients que médecins) pour des examens rapides auxurgences (groupés et avec une assurance de diagnostic),

« Si y’a besoin d’un bilan immédiat, en particulier radiographique, les gens vont directementchez nous pour ça, ils savent que si il faut une radio, il faut qu’ils aillent dans le servicepuisqu’on a quand même une radio – vous allez pas aller passer une radio dans le service desurgences ou à proximité, puis revenir voir le médecin – qui bon, qui n’aura pas forcément lesmoyens de…nécessaires. Donc c’est plus compliqué que d’aller directement et faire tout aumême endroit. Donc la maison médicale, c’est de la consultation quoi, le temps où lesmédecins généralistes libéraux ont fermé leurs cabinets, bon ça soulage énormément les MG,et ça décharge quand même les urgences – moi ce que j’ai vu ce week-end c’est énormémentde gamins : rhino, fièvres etc. – ça libère, parce qu’ici quand même on a pas mal de gens quirentrent à leurs domiciles quand même (…). Les gens graves n’attendent pas quand mêmedans la salle s’attente (rires). Aujourd’hui y’a pas trop de monde, mais il se peut que l’attentesoit longue : l’attente, c’est d’être reçu par un médecin, l’attente d’avoir des examens,d’avoir une infirmière disponible pour être prélevé, attendre le résultat du prélèvement, c’estheu d’attendre que quelqu’un prenne la décision au vu de l’ensemble des résultats (rires),

164 GIGLIO-JACQUEMOT A., « Qu'est-ce qu'une urgence ? Quelques réflexions sur les définitionsbiomédicales de l´urgence médicale », Des îles créoles aux sociétés plurielles. Mélanges offerts à Jean Benoist,J. Barnabé, JL. Bonniol, R. Confiant, G. L'Etang (dir.), Petit-Bourg, Ibis Rouge Editions, 2000, pp. 575-586.

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c’est pfff, ou attendre éventuellement que la personne référente qui lui donnera la conduite àtenir veille bien venir, enfin bon…parfois ça peut prendre des heures et des heures ».

- le manque de moyens techniques pour prendre de « vraies » urgences,- les limites des investissements médicaux (multiplication des gardes, disparités de

salaires privé/public).

« C’est censé décharger les urgences, mais je ne vois pas comment sans subventionsextérieures ça peut fonctionner : s’ils veulent assurer tout, y compris la traumatologie, il fautun plateau technique extrêmement coûteux, donc il faut qu’ils soient en lien permanent avecles services hospitaliers. Ensuite, au bout d’un certain temps, ceux qui sont là ne veulent plusassurer les soins de garde », « ça va foirer parce que les libéraux gagnent plus, même aucentre 15, ça crée des tensions, en plus ils ont du mal avec certaines urgences »165

(urgentistes).

Les missions premières des MMG « sont d'assurer la continuité des soins et de structurerles conditions de garde des médecins de ville. Elles conjuguent prises de garde, travail enéquipes, diminution du sentiment d'insécurité pour les médecins, diminution des délaisd'attente et efficacité pour les patients. Cependant, si elles partagent une appellationcommune, leur fonctionnement et leur organisation diffèrent »166. A quoi cela est-il lié ? Y a-t-il des enjeux locaux (concurrence et partage de clientèle) avec les hospitaliers, et enparticulier avec les urgentistes ?

Le bilan de la Maison Médicale de Garde du Gapençais (ouverte depuis deux ans et demielle est considérée comme une réalisation pilote sur un plan national) tendrait en tout cas àmontrer du côté des clients que son usage est assez similaire à celui des cabinets de ville.Ainsi, l’activité diurne y est nettement plus importante que l’activité nocturne. Tous les joursde la semaine présentent une activité conséquente, y compris pendant les « heuresd’ouverture » des cabinets médicaux libéraux. Il est à noter que la répartition de la clientèle dela MMGG sur les jours ouvrables est également identique à celle de la clientèle des cabinetsmédicaux libéraux. L’activité la plus importante se situe les lundi, puis les mardi et lesvendredi alors que l’activité la moins importante concerne les mercredi et jeudi167. Lapopulation de patients qui consulte à la MMGG est plus jeune que celle d’un généraliste encabinet...

165 Voir annexe 1.166 Gentile S., Devictor B., Amadeï E., Bouvenot J., Durand A.-C., Sambuc R., Quid des Maisons Médicales deGarde en France ?, Laboratoire de santé publique, Équipe EA 3279, Faculté de médecine, Marseille, 2003, p.3.167 CNAMTS, Les principales caractéristiques de l’activité libérale des médecins généralistes, Informationpresse du 7 juin 2001.

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Annexe 3

Le besoin d’une véritable communication avec les pouvoirs publics

L’amélioration des communications avec les médecins « de base » est peut-être laprincipale doléance de cette post enquête.

Au-delà de logiques de carrière, voire de confort au travail, l’enquête a permis auxenquêtés exprimer des angoisses, mais aussi des colères et des désespoirs à l’égard desdécisionnaires ministériels. Leurs lenteurs de réactions (« l’absence d’anticipation », puis des« incapacités à la critique »), et leur méconnaissance des problèmes de terrain (vision« simplificatrice », « standardisée » du travail) est critiquée, comme les modalités de mise enplace de certaines réformes.

Ex. « Y’a l’aspect médico-administratif judiciaire et tout ça, c’est pas si mal que ça soit unvieux, enfin un Senior qui le fasse, enfin moi ça me dérange pas, je fais ça assez vite. Y’aaussi la saisie de l’activité qui s’appelle PMSI – ça se fait assez vite, et puis apparemment latarification de l’activité sera basée là-dessus donc c’est important, on le fait sans aucunproblème. Par contre le cauchemar, c’est le codage des actes, c’est très compliqué, tropprécis, enfin moi j’ai rien compris même avec le bouquin et une formation de 2 petitesjournées. J’ai codé 1/10 de ce qu’il fallait, pareil pour les autres : y’avait un cardiologue àcôté de moi, plus jeune et qui est tout sauf bête, mon collègue cancérologue, y’a unnéphrologue qui a réussi – je me demande s’il n’était pas parisien en plus, mais lesnéphrologues ont plus de temps parce qu’ils n’y a pas d’actes techniques, il a toute sajournée pour travailler intellectuellement – heu donc c’est un travail difficile à faire, ça veutdire que ça marchera pas, c’est infaisable et plus y’a toujours pas de logiciels sur le marché -donc le projet a été repoussé. J’espère qu’avec les changements de ministres le projet seraabandonné parce que c’est ubuesque, parce que j’en ai eu des angoisses hein ! (…) jecomprends pas à quoi ça sert, je perds pied : c’est pas mal que l’hôpital soit rémunéré enfonction de l’activité, mais les codages je pourrai presque leur donner des noms d’oiseaux,comme toujours c’est moins l’idée de départ que la façon de mettre en place, ça a été unecatastrophe la façon dont ça a été présenté, et la personne qui a inventé ce système, vraimentzéro là-haut » (médecin gastro-entérologue, salarié public, Alsace, 48 ans).

Mais ce sont surtout les déficits d’attentions et d’explications qui sont jugés les plusproblématiques. Ex : « On a déposé un dossier pour avoir une couverture héliportée qui n’apas pu être honorée, alors que notre département avait des besoins avoués, ça c’est net, c’estincompréhensible - y’avait pas d’explications, rien » (médecin du SAMU-SMUR, Picardie,35 ans, salarié du public).

L’absence d’une véritable communication toucherait finalement surtout lesparamédicaux, voire remettrait en cause l’utilité des politiques en cours (logiques deréduction budgétaires, d’accréditation, PMSI etc.).

« Ici tout est basé sur la qualité des contacts humains, des relations professionnelles :l’écoute sans hiérarchies pesantes, – sur les relations tournées vers les malades qui setraduisent comme un calque des premières –, mais les gestionnaires ne comprennent pas ça.(…). En haut, ils rigolent en pensant qu’ici on ne fait qu’écouter les malades…C’est comme

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pour les conflits mal réglés à l’hôpital, si au lieu de dire : ‘on va fermer’, – hein c’est la façond’aborder les choses – si on discutait, enfin on exposait les données, le pourquoi de la façonla plus transparente, et bien les gens peuvent comprendre, même s’ils savent qu’ils vontsouffrir un peu…Plutôt que de faire ça dans le secret, la violence…Ici ça a été d’une violenceinouïe (l’annonce de la fermeture) par rapport à des équipes hyper motivées168. Alors qu’onest le service de l’hôpital qui a la file active suivie la plus importante… des retours positifs demalades, mais rien n’y fait ! (médecin psychiatre, salarié du public, Île-de-France, 62 ans).

« Et puis le danger, c’est surtout : l’infirmière à l’accueil, c’est un sacré boulot parce qu’elledoit gérer en disant, en mettant les gens en attente par rapport aux autres, et elle peut setromper parfois, c’est une grosse responsabilité : faire passer des gens qui n’ont rien à fairechez nous, passer à côté d’une vraie urgence, c’est déjà difficile, alors quand la pressionn’arrête pas d’augmenter…Mais personne en haut ne semble s’en préoccuper » (médecinurgentiste, Rhône Alpes, 37 ans privé nl).

La balle serait dans le camp des pouvoirs publics, au risque de démotiver lessoignants réellement soignants (les plus présents aux côtés des malades).

« L’accréditation qui est sponsorisée par l’État, c’est un grand chantier national, et pour unétablissement comme le nôtre, c’est aussi un grand chantier parce que ça bouleverse plein dechoses, et ça demande un investissement de tout le monde – je dirai l’avantage, c’est de nousfaire réfléchir sur nos pratiques, et sur les pratiques de nos collègues, c’est-à-dire qu’on serend plus compte du métier de l’infirmière, du médecin, de l’agent de convivialité, on est pluscloisonné, à se dire : ‘on est les plus malheureux’, on voit plus les complémentarités. Parcontre, là où c’est très déstabilisant, c’est qu’on travaille en permanence sur la qualité dessoins dans la théorie, donc on fait plein de protocoles, de procédures. Mais le problème, c’estqu’on n’a pas toujours les moyens de les mettre en place. Et les équipes, ce qui remonte, c’estune espèce de désespoir par rapport à avant ! Il nous manque du personnel, il nous manquedu personnel, donc à mon avis, ça a un côté pervers. C’est pas facile de faire patienter leséquipes parce qu’elles s’investissent beaucoup mentalement et du coup, quand elles voientqu’il y a rien qui suit – pas rien parce qu’il y a quand même des choses (…). Mais à chaquefois, on a à remplir un contrat d’objectif et de moyens et sur le personnel, on n’a pas deréponse, c’est demandé depuis des années quoi ! Pff ! On n’a pas eu d’augmentation debudget depuis des années et des années, alors que l’intérêt ça a été prouvé. M’enfin bon onest pas les seuls sûrement hein, je sais que c’est la crise mais…Y’a des projets, enfin c’est deschoses qui se disent : enfin ils veulent regrouper les CHU, mettre même les convalescents !Alors que dès qu’ils arrivent ici, ils se sentent plus à l’hôpital, c’est déjà un bon point – c’estcomme l’alimentation, on n’a pas réussi à faire comprendre que les bons petits plats c’étaitthérapeutique chez des personnes âgées qui ont été fatiguées, agressés par une infection, uneopération, il faut aussi leur réapprendre à manger pour la suite. Mais bon voilà ! Avec lesnormes, on y perd à chaque fois en qualité des soins et y’a pas de discussions possibles, toutest homogénéisé quels que soient les besoins des patients (…). Je sais que c’est difficile, maisil faut pas épuiser les gens parce que moi je sens que ça peut arriver hein, en particulier chezles infirmières et heu les aides-soignantes. Oui, s’il y a quelque chose à faire remonter c’estpar exemple la retraite à 55 ans pour les aides-soignantes : la pénibilité est là : de portertoute sa vie des patients, soutenir, laver…forcément on a plein d’arrêt maladies. Pareil, les

168 Même constats lors de la fermeture partielle de l’hôpital Broussais.

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congés maternité et tout ça – c’est peut-être parce que je suis enceinte mais pourquoi les aidesoignantes ont les même congés que moi. Le risque pour le bébé est 10 fois plus importantque pour moi. C’est pas normal. Tant qu’on arrivera pas à dépasser ça en France : àregarder en face quels sont les travaux les plus pénibles, on arrivera à rien » (médecingériatre, salariée privé non lucratif, Auvergne, 34 ans).

« Ce qui change le plus ce sont les exigences des familles et des patients pour lesquels on abesoin de temps pour régler les questions, donc je crois qu’il ne faut pas comptabiliser letemps des soignants purement par rapport à un acte technique. Déjà avec le PMSI le fait dela coter, c’est pas coté ! Donc ils sont demandeurs c’est très bien, ils nous tirent vers le haut,mais bon il faut pas laisser les acteurs sans récompense (c’est humain, déjà que lesprofessions soignantes n’attirent plus autant qu’avant, c’est pas aussi lucratif, y’a plus cetteaura) – parce que voilà, ils vont baisser les bras, déjà on commence à ressentir une baisse.Y’a ça qui est un peu dangereux en ce moment : je crois qu’il a des bonnes volontés, y’avraiment des gens super quoi partout, et surtout ceux qui y sont sont vraiment motivés et jecrois qu’il ne faut pas les perdre, parce que c’est une sacrée richesse – à trop tirer sur laficelle, il faudrait au moins nous tenir au courant des projets, de ce qui se prépare, decomment ils pensent améliorer les choses »(psychiatre ).

Autres pistes indiquées par les enquêtés pour sortir de la crise

De nouvelles campagnes d’informations sur l’utilisation des services des urgences (« fairede l’information grand public voire faire payer la consultation si elle est injustifiée »)169.

Des formations plus poussées sur les médicaments170, des stages obligés en soins palliatifsou des tutorats « pour discuter des choses difficiles » dès les formations initiales.

Des formations des directions préparant d’emblée à des collaborations privé/public.

Des directeurs, des enquêteurs du ministère et des médecins conseils venant suivre autravail les soignants pour dialoguer avec les médecins.

Des formations des médecins aux contraintes budgétaires.

De nouveaux choix politiques : Stopper les dépenses considérables en termed’informatisation, Internet au profit de reconsolidation de la médecine de proximité (depremière ligne et de dernière ligne, en particulier pour les personnes âgées) et dudéveloppement de matériel d’aides aux handicapés, transports en communs etc.

169 Dont nous percevons les limites (voir annexe 1).170 Voire en matière de gestion des peurs médicales (annonce de décès, prise de responsabilité, risques réels deprocès etc.).