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Biennale Internationale de l’Éducation, de la formation et des pratiques professionnelles ÉDITION 2015 : « COOPÉRER » Du mardi 30 juin au 3 juillet 2015 au CNAM Paris Inspection individuelle des enseignants du premier degré et évaluation d’école par les Inspecteurs de l’Education Nationale : entre contrôle et évaluation, quelle place pour la coopération ? David MEGRET Doctorant, ICARE (La Réunion) Dirigé par Frédéric TUPIN Professeur des Universités Résumé Une première étude de Master questionnant l’activité des Conseillers Pédagogiques de Circonscription auprès des Professeurs des Ecoles Stagiaires à La Réunion nous a conduit à en relativiser la dimension évaluative et ce malgré la commande institutionnelle. Travaillant désormais le sillon de l’évaluation des professeurs des écoles par les Inspecteurs de l’Education Nationale dans le cadre d’une thèse, nous interrogeons le développement professionnel qui pourrait y être associé. La biennale 2015 du CNAM serait l’occasion d’exposer un travail exploratoire dressant un état des lieux des représentations des enseignants et des IEN quant à la place du contrôle, de l’évaluation et de la coopération dans l’activité d’inspection individuelle et d’évaluation collective encore appelée évaluation d’école. Mots clés : didactique professionnelle, évaluer, contrôler, coopérer, représentations. Summary A first Master’s study questioning the activity of Educational Advisors with School Teachers in Training in the Reunion Island has led us to relativize the evaluative dimension of their activity and this despite the institutional order. Now working the furrow of evaluation of schoolteachers by the Inspectors of Education as part of a thesis, we inquiry the professional development that could be associated. 2015 CNAM’s Biennial is an opportunity to present an exploratory work drawing up an inventory of representations of teachers and IE about the place of control, evaluation and cooperation in the activity of individual inspection and collective evaluation also called “school evaluation”. Keywords : professional didactics, assess, control, cooperate, representations.

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Biennale Internationale de l’Éducation, de la formation et des pratiques professionnelles ÉDITION 2015 : « COOPÉRER »

Du mardi 30 juin au 3 juillet 2015 au CNAM Paris

Inspection individuelle des enseignants du premier degré et évaluation d’école par les Inspecteurs de l’Education Nationale : entre contrôle et évaluation, quelle place pour la coopération ?

David MEGRET

Doctorant, ICARE (La Réunion) Dirigé par Frédéric TUPIN

Professeur des Universités

Résumé

Une première étude de Master questionnant l’activité des Conseillers Pédagogiques de Circonscription auprès des Professeurs des Ecoles Stagiaires à La Réunion nous a conduit à en relativiser la dimension évaluative et ce malgré la commande institutionnelle. Travaillant désormais le sillon de l’évaluation des professeurs des écoles par les Inspecteurs de l’Education Nationale dans le cadre d’une thèse, nous interrogeons le développement professionnel qui pourrait y être associé. La biennale 2015 du CNAM serait l’occasion d’exposer un travail exploratoire dressant un état des lieux des représentations des enseignants et des IEN quant à la place du contrôle, de l’évaluation et de la coopération dans l’activité d’inspection individuelle et d’évaluation collective encore appelée évaluation d’école. Mots clés : didactique professionnelle, évaluer, contrôler, coopérer, représentations.

Summary

A first Master’s study questioning the activity of Educational Advisors with School Teachers in Training in the Reunion Island has led us to relativize the evaluative dimension of their activity and this despite the institutional order. Now working the furrow of evaluation of schoolteachers by the Inspectors of Education as part of a thesis, we inquiry the professional development that could be associated. 2015 CNAM’s Biennial is an opportunity to present an exploratory work drawing up an inventory of representations of teachers and IE about the place of control, evaluation and cooperation in the activity of individual inspection and collective evaluation also called “school evaluation”.

Keywords : professional didactics, assess, control, cooperate, representations.

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Introduction

Une première étude conduite dans le cadre de l’obtention d’un Master de recherche en sciences de l’éducation nous a amené à éclairer l’activité évaluative de Conseillers Pédagogiques de Circonscription auprès de professeurs des écoles stagiaires à La Réunion. Lors de ce galop d’essai, tout maladroit et incomplet qu’il fut, est née l’idée de questionner l’intervention des Inspecteurs de l’Education Nationale auprès des professeurs des écoles. Ce projet trouve sa concrétisation dans le projet de rédaction d’une thèse de doctorat. Parce que peu étudiée à ce jour, nous souhaitons éclairer l’inspection des enseignants du premier degré par les IEN1 et ses effets sur les PE2. Nous désirons partager, à l’occasion de cette communication, un travail exploratoire conduit auprès d’inspecteurs et de professeurs des écoles de l’académie de La Réunion. Après une présentation de l’analyse du discours de ces acteurs sur l’inspection individuelle et l’évaluation d’école, nous mettrons en résonnance la place du contrôle, de l’évaluation et de la coopération dans les propos recueillis afin d’affiner les contours de l’objet de recherche que nous avons choisi.

L’inspection : entre pilotage pédagogique et management

Les premières fondations de l’instruction obligatoire installées lors de la révolution, se manifeste la nécessité du contrôle des premiers enseignants. La Loi Guizot de 1835 marque le véritable essor de l’inspection. Celle-ci incline fermement l’inspection vers un contrôle de conformité, cette tendance restant de mise jusqu’à la fin du 20ème siècle. En 1983 le Ministre Savary instaure les modalités de l’inspection des personnels enseignants. La visite de l’inspecteur et l’entretien individuel sont annoncés comme indispensables à l'ouverture d’une relation professionnelle confiante centrée sur l’enseignant, ne négligeant pas le contrôle mais le renvoyant à l’arrière-plan (Ministère de l’éducation nationale, 1983). La codification des missions d'inspection et d'évaluation du 17 juin 2005 distingue clairement l’évaluation de l’inspection tout en les liant. Ce texte reconnait l’évaluation comme un acte important permettant « la prise en compte de la compétence et de l’engagement de l’enseignant aux différentes étapes de sa carrière » (Ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, 2005).

Le management fait son apparition dans la mission d’inspection et d’évaluation des enseignants quelques années plus tard. L’inspecteur est invité à « concevoir ses interventions auprès du personnel enseignant comme un acte de gestion de la ressource humaine et éducative de l’académie » (Ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, 2009). Le pilotage pédagogique constitue l’autre grande dimension de l’inspection. Comme depuis l’origine de la fonction, l’inspection individuelle permet de vérifier « le respect des programmes, l'application des réformes et [de] mesure[r] l'efficacité de l'enseignement dispensé en fonction des résultats et des acquis des élèves » (Ministère de l’éducation

1 IEN : Inspecteurs de l’Education Nationale

2 PE : Professeur des Ecoles

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nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, 2009). Les informations recueillies à cette occasion sont destinées d’une part à l’enseignant lui-même mais également à l’institution dans le but de piloter l’action éducative de l’académie. Contrôle et évaluation constituant deux dimensions importantes de l’acte d’inspection, un détour bibliographique permet d’éclairer ce que ces deux termes peuvent effectivement recouvrir.

Contrôle ou évaluation ?

Distinction du contrôle et de l’évaluation

Le contrôle et l’évaluation peuvent être conçus comme appartenant à des univers différents (Ardoino & Berger, 1986). Adopter ce point de vue nous conduit à mettre en relief les principaux éléments caractérisant ces deux concepts. Le contrôle, défini comme un dispositif, a pour vocation d’établir la conformité d’un phénomène à un modèle ou à une norme. Une procédure constituée d’une séquence ordonnée et destinée à mesurer des écarts, est étayée par des référentiels qui préexistent au contrôle et sont extérieurs à l’objet du contrôle (Université de Nantes & Université de Nancy 2, 2001). Ces procédures s’inscrivent dans une temporalité clairement bornée et ne peuvent être tributaires du contrôleur qui les mobilise. De ce point de vue, le contrôle revêt un caractère fortement impersonnel, homogène et monoréférentialisé. L’évaluation nettement différenciée d’une procédure ou d’un dispositif est quant à elle identifiée comme un processus inscrit dans le temps (Ardoino, 1992 ; De Ketele, 1993 ; Hadji, 1992). Cette temporalité longue, incertaine, voire indéfinie est nécessaire au déploiement d’un questionnement de la complexité de l’objet évalué. Les référentiels qui l’instrumentent sont multiples, pluriels, non réductibles les uns aux autres et amendés au cours de la démarche d’évaluation. L’évaluation ne se conçoit pas en terme d’homogénéité comme le contrôle mais bien en terme d’hétérogénéité, de complexité (Ardoino, 1992). Le regard posé sur l’objet évalué est étayé par de multiples interrogations. Le contrôle et l’évaluation apparaissent a priori comme deux façons distinctes de mobiliser la fonction critique (Ardoino, 2000). A la mise en place d’une procédure de contrôle visant l’établissement de la conformité d’un objet ou d’une action s’oppose le déploiement d’un processus s’attachant à questionner le sens de phénomènes dans leur complexité. Cette première distinction, interrogée après un examen plus précis du processus évaluatif permet toutefois d’envisager un rapprochement entre contrôle et évaluation.

Complémentarité du contrôle et de l’évaluation

L’évaluation peut être envisagée comme en sorte en « une lecture de la réalité » (Hadji, 1997, p. 41). Comme tout lecteur, l’évaluateur doit se lancer dans le prélèvement d’indices. Il mobilise à cette fin ses connaissances et s’appuie sur des objectifs définis. La métaphore mobilisée par Hadji fait écho à la définition proposée par De Ketele sur laquelle nous nous appuyons pour déplier le processus évaluatif.

« Evaluer consiste à recueillir un ensemble d’informations reconnues suffisamment pertinentes, valides et fiables, et à examiner le degré d’adéquation de cet ensemble

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de critères jugés suffisamment adéquats aux objectifs fixés au départ ou ajustés en cours de route, en vue de fonder une prise de décision. » (De Ketele, 1993, p. 68)

La construction du référent, première des quatre étapes du processus évaluatif (Figure 1, p. 3), est intimement liée à la définition du pour quoi de l’évaluation. Ce « modèle « idéal » articulant les intentions jugées les plus significatives par référence au projet » (Hadji, 1989, p. 51) guidera le regard de l’évaluateur et fondera son jugement. La prise d’informations ne peut être la première étape du processus. L’observation instrumentée du « réel/le concret » (Hadji, 1989, p. 51) permet l’élaboration d’un « « modèle réduit » de l’objet évalué » (Hadji, 1997, p. 43), le référé. L’analyse de cet ensemble d’informations définira critères et indicateurs de l’évaluation.

FIGURE 1 : LA DOUBLE ARTICULATION DANS L'OPERATION D'EVALUATION (HADJI, 1989, P. 51)

Le processus peut bifurquer ensuite vers une procédure de vérification en référence à un modèle normatif, un contrôle, ou vers un jugement d’évaluation. Ce dernier mobilise un effort d’interprétation de la réalité, d’attribution de sens à cette réalité dans l’intention d’émettre un jugement. De la « double articulation » entre « réalité de l’action [et] réalité du projet » (Hadji, 1989, p. 51) émergera l’élaboration du jugement évaluatif. Cette vision éloigne les préceptes cartésiens que sont la causalité et le réductionnisme au profit de la finalité et de la globalité (Monteil, 1985) et contribue à définir l’évaluation comme une activité hautement délicate. En effet, comprendre le plus objectivement possible, avec justesse, une situation existante par référence à une situation désirée s’avère être une entreprise risquée.

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Enfin l’évaluation, en particulier dans le monde de l’éducation et de formation, est explicitement ou implicitement, mobilisée pour réguler (Allal, Cardinet, & Perrenoud, 1979). La régulation, intégrée au processus évaluatif en constitue l’aval naturel. Contrôle et évaluation n’apparaissent plus totalement comme appartenant à des univers que tout oppose, leur complémentarité variant selon les approches, les lieux et les moments, les visées. L’évaluation, dans son acceptation la plus large, comme processus visant à reconnaître les différentes facettes d’un objet, à y attribuer un sens pour en juger la valeur « contient le contrôle comme l’un des moyens qu’elle se donne » (Ardoino, 2000, p. 95). La réciproque n’est pour autant pas vérifiée, le contrôle ne mobilisant pas le questionnement sur le sens.

Le monde de l’éducation en réaction face à l’évaluation

Jorro et Paquay (2007 ; 2005) décrivent les réactions défensives du monde de l’éducation et de la formation à l’égard de l’évaluation. A l’origine de ce rejet, les deux auteurs pointent deux confusions récurrentes au sujet de l’évaluation auxquelles nous pourrions être attentifs lors de notre étude.

La première confusion résistante semble d’abord liée à une représentation négative de la fonction critique en jeu dans les processus d’évaluation. Or la capacité à évaluer ne peut être disjointe d’un développement de la fonction critique. Cette question, liée à celle du rapport à un système d’exigence, est un pivot de la réflexion sur l’évaluation. Une autre confusion réside dans la distinction entre analyse des pratiques et évaluation. Cette dernière a tendance à être considérée comme exclue du champ de la réflexivité or l’analyse comme moyen de décomposer l’action en vue d’en discerner les paramètres et d’en comprendre le cœur ne s’oppose en rien à l’évaluation et peut même être envisagée comme un élément constitutif du processus évaluatif (Jorro, 2007).

Au delà du contrôle et de l’évaluation qui l’orientent potentiellement, l’inspection est également une situation singulière au cours de laquelle se rencontrent deux acteurs. Cet instant institutionnellement encadré laisse-t-il une place à une forme de coopération entre ces acteurs ?

Coopérer Si l’utilisation du terme coopération est repéré dès le 15ème siècle, son usage et l’enrichissement de ses acceptations se sont développés lors de la révolution industrielle. Les économistes comme les sociologues se saisissant de ce concept en ont d’abord mis en lumière la dimension « hautement sociale » (Akoun & Ansart, 1999, p. 116). La coopération apparaît alors comme l’effort coordonné de différents acteurs cherchant à atteindre un objectif productif, plus ou moins complexe et partagé, comme l’élaboration d’un produit ou d’un service (Akoun & Ansart, 1999 ; Alpe, Beitone, & Dollo, 2007 ; Johnson, 2000). Aujourd’hui cet objet de travail interroge « la problématique de l’efficience du travail collectif » (Akoun & Ansart, Ibid.). Ainsi défini, le concept de coopération s’oppose au concept de compétition qui apparaît quant à lui comme « une lutte entre acteurs pour tenter de maximiser les avantages de chacun » [Notre traduction] (Johnson, 2000, p. 55).

L’engagement imposé (Akoun & Ansart, 1999) ou volontaire (Alpe et al., 2007) dans un mouvement de coordination d’actions individuelles implique concomitamment la communication entre les acteurs et la définition du sens de la situation de production par ces

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mêmes acteurs. Les interactions s’actualisant ainsi engendrent une coordination multiforme, spontanée ou organisée, formelle ou informelle.

L’objectif visé par le partage de ces activités humaines est d’atteindre un objectif plus ambitieux que celui qu’il serait permis d’envisager par l’accomplissement d’actions isolées. En ce sens, le concept de coopération fait écho à la complexité de la cognition et de l’action humaine (Le Moigne & Morin, 1999 ; Morin, 1990). Le souci de « coordination, [de] cohérence, [d’]efficacité, [de] rentabilité des activités concrètes » (Akoun & Ansart, 1999, p. 116) est partagé par divers acteurs dont le comportement n’apparaît a priori pas naturellement conciliable. Le processus massif de division du travail enclenché au 19ème siècle peut alors être envisagé comme l’origine de ce mouvement qui entraîne également la qualification collective des acteurs (Parsons, 1956). Considérer cette dynamique coopérative incite l’observateur à ne pas ignorer la notion d’apprentissage qui en est au cœur. En effet la réciprocité des rapports entre les acteurs est intimement liée aux savoirs mutuels que ces derniers sont amenés à construire par leur action conjointe (Hatchuel, 1996). L’acteur, en coopérant, s’appuie sur le développement des compétences de l'autre pour atteindre ses propres objectifs. S’engager dans cette direction nécessite la mise en lumière de conditions particulièrement déterminantes dans l’optimisation d’une démarche coopérative entre acteurs : l’émergence de préoccupations communes, la mise en lumière d’objectifs partagés, un engagement plutôt basé sur le volontariat, une entente sur l’acteur qui prendra le rôle de coordonnateur et la constitution de règles communes garantissant un équilibre dans la participation de chacun et par conséquent un sentiment de confiance entre les acteurs. La coopération n’en demeure pas moins une activité sociale subtile sous l’influence de la complexité de l’activité de production en question, de la taille du collectif engagé, des caractéristiques de la division du travail concerné et des distinctions individuelles, sociales comme culturelles existant au sein de ce collectif. Un système social hiérarchisé rend la coopération d’autant plus délicate que la fonction d’encadrement, n’est guère un objet de négociation, et ne fait rarement l’unanimité. La confiance mise à mal par l’excès ou l’absence d’autorité comme par la faiblesse de toute instance de régulation, des réactions de défense entre acteurs risquent d’émerger. La remise en cause de l’organisation autoritaire et centralisée des unités de production s’appuyant sur la coopération constitue un objet d’étude tout à fait contemporain. Ces dernières décennies, dans le mouvement de hausse du niveau de qualification professionnelle, de reconnaissance d’une certaine autonomie et de responsabilisation du travailleur, l’importance de la coopération dans l’efficience du travail collectif a pu être révélée.

La remise en cause du découpage entre les différents types de fonctions et l’association plus étroite des exécutants à la recherche de solutions aux problèmes rencontrés ont constitué les principales pistes de développement de cette participation. Le statut de collaborateur qualifié dont le rôle est déterminant dans la réussite de l’entreprise réattribué au travailleur par la coopération repose sur la reconnaissance de la richesse de son expérience et l’utilité des informations qu’il détient.

Le discours des inspecteurs et des professeurs des écoles sur le métier d’IEN

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L’entretien comme outil d’exploration Nous avons pris le parti d’aller à la rencontre d’IEN et de PE de l’académie de La Réunion. Nous pensons que l’entretien permet à l’interviewer d’aller à la recherche des questions que se pose l’interviewé. Ces questions constituent un matériau précieux dont le processus même de construction est susceptible de faire émerger des théories nouvelles. Deux dimensions centrales caractérisent ainsi l’entretien : l’importance de l’interaction et sa portée heuristique. L’entretien s’inscrit dans la tradition de la sociologie compréhensive de Weber pour qui l’activité peut être définie comme un comportement qu’il est possible de comprendre par le sens que les acteurs lui donnent. Planifiée en guise de complément de la phase exploratoire de notre étude (Blanchet & Gotman, 2007), l’écoute de cinq Inspecteurs de l’Education Nationale et quatre enseignants aux profils contrastés s’exprimant sur le métier d’IEN et plus précisément sur l’inspection, fut orientée par une triple intention :

− essayer de détecter, dans le discours des deux catégories de personnel la place attribuée au contrôle, à l’évaluation et à la coopération dans l’action des IEN auprès des PE ;

− tenter d’appréhender un éventuel malaise face à l’évaluation ou une confusion quant à la nature et aux finalités de l’évaluation ;

− s’efforcer de percevoir si les IEN et les enseignants établissent spontanément des liens entre acte d’inspection et développement professionnel.

Le traitement des discours recueillis

La Classification Hiérarchique Descendante (CHD) opérée grâce au logiciel IRAMuTeQ3 repose sur l’analyse de la cooccurrence d’éléments des discours révélant l’organisation en classes de ces discours. L’étude du dendrogramme issu de ce traitement nécessite de s’intéresser à ce qui distingue les classes. Pour ce faire, nous nous sommes appuyé sur les mots qui les caractérisent, sur leur utilisation dans le contexte du discours (grâce à l’outil « concordancier » du logiciel IRAMuTeQ) et sur la force des liens entre mots et classes. Cette démarche trouve son issue dans l’attribution d’un nom à chacun des classes. L’intention de rendre la masse du discours recueillie plus intelligible nous a conduit en dernier lieu à rapprocher certaines classes qualitativement proches.

Le discours des IEN sur leur métier

La Classification Hiérarchique Descendante (CHD) des transcriptions des propos des IEN sur leur métier révèle quatre classes (Figure 2, p. 7) :

− La classe 1 : IEN, un métier à l’exercice sous influence de la trajectoire professionnelle des acteurs. Le métier d’IEN, bien qu’encadré par des textes réglementaires, connaît une certaine variabilité notamment sous l’influence des

3 IRAMuTeQ : Interface de R pour les Analyses Multidimensionnelles de Textes et de Questionnaires

permettant, grâce aux traitements statistiques et aux différents outils qu’il propose de donner à voir des

représentations du discours à analyser.

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trajectoires professionnelles des personnels et s’exerce en relation avec le directeur d’école.

− La classe 2 : inspecter, observer une classe et s’entretenir avec un enseignant. Inspecter consiste à observer une classe fonctionner puis à s’entretenir avec l’enseignant concerné dans un temps contraint qui permet cependant une variabilité de la durée de ces moments.

− La classe 3-4 : au delà du contrôle, entre inspection individuelle et évaluation d’école, comment créer un espace de dialogue commun ? De l’inspection individuelle, dont la phase de contrôle est évoquée de manière contrastée, à l’évaluation d’école, les modalités et l’efficacité des rencontres des enseignants par les IEN sont questionnées. L’espace de dialogue qu’elles nécessitent est source de préoccupation et d’interrogation pour les IEN.

− La classe 5 : inspecter, établir un rapport professionnel nécessaire à l’amélioration des gestes professionnels enseignants L’inspection s’appuie sur la construction d’un rapport singulier et délicat entre professionnels. L’’analyse des gestes professionnels de l’enseignant qui y est réalisée est un levier d’amélioration de ces gestes.

FIGURE 2 : DENDROGRAMME EN QUATRE CLASSES DU DISCOURS DES IEN SUR LEUR METIER

Le discours de professeurs des écoles sur le métier des IEN

Le dendrogramme issu du traitement du discours des IEN sur leur métier est organisé en quatre classes (Figure 3, p. 8) :

− La classe 5-1 : l’évaluation d’école questionne le fonctionnement du collectif et sert d’organisateur de la formation au sein de la circonscription. L’évaluation d’école envisagée comme un ensemble d’inspections individuelles partagé collectivement et questionnant le fonctionnement de ce collectif est un outil mobilisé par l’IEN pour mettre en place de la formation à l’échelle de la classe comme à celle de la circonscription.

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Classe&1&:&21,1%&IEN,& un& mé=er& à& l’exercice& sous& influence& de& la& trajectoire&professionnelle&des&acteurs&

Classe&2&:&20,6&%&Inspecter,& observer& une& classe& et& s’entretenir& avec& un&enseignant&&&

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− La classe 3 : l’inspection, un discours de validation ou de mise en défaut parfois hors contexte déterminant une note. Le discours qui constitue le cœur de l’inspection, parfois perçu comme hors contexte, valide la pratique de l’enseignant ou la met en défaut. En tout état de cause, ce qui se dit lors d’une inspection ne semble déboucher que sur l’attribution d’une note à forte dimension administrative.

− La classe 2-4 : dépasser l’asymétrie de la relation inspecteur-inspecter au profit d’une relation orientée vers la réussite des élèves. La situation d’inspection est caractérisée par la forte asymétrie de la relation à l’inspecteur. Les enseignants expriment le souhait d’une inspection s’appuyant d’avantage sur la critique de leur pratique et orientée vers la réussite des élèves.

− La classe 6 : l’inspection génératrice de conseils restreints suite à l’observation d’une séance isolée. Le conseil est présenté par les enseignant comme un moment fort de l’inspection mais il porte sur l’observation d’une séance parfois maladroitement conduite et stressante qui questionne trop peu la pratique plus large de l’enseignant.

FIGURE 3 : DENDROGRAMME EN QUATRE CLASSES DU DISCOURS DES ENSEIGNANTS SUR LE METIER

D’IEN

Quels enseignements tirer de cette première approche du terrain ?

Deux visions partiellement partagées de l’inspection et de l’évaluation d’école

Les représentants des deux corps interrogés identifient l’inspection comme une situation composée de deux moments distincts : une observation de l’enseignant œuvrant dans sa classe par l’inspecteur suivie d’un entretien. Mais inspecteurs comme inspectés révèlent dans le même temps la variabilité de cette situation. Pour les IEN par exemple, l’entretien peut durer de « vingt minutes » à « une heure et demi ». Au de là de cette question organisationnelle, l’attitude de l’inspecteur à l’égard de l’enseignant semble ne pas échapper à cette assertion. Les rencontres d’« inspecteurs efficaces et sobres et [d’] inspecteurs qui ont un peu une

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attitude de dictateur » sont relativement équilibrées d’après les professeurs des écoles sollicités. Les IEN avancent une explication de cette variabilité, déclarant que les caractéristiques de l’inspection peuvent être significativement « redéfinies par la trajectoire professionnelle des personnes » qui l’exercent.

L’observation de la classe par l’inspecteur est décrite par ces derniers comme « un moment important pour voir comment les élèves se comportent ». Un IEN affirme questionner les élèves parce qu’il « aime bien avoir [leur] vision ». A cette idée d’une observation précise du réel s’oppose celle des enseignants déclarant être amenés à conduire une « séance » « stressante » s’actualisant en une pratique « maladroite ». Au delà du scénario et de la couleur de l’inspection, les dimensions de cette activité ne semblent pas partagées par les IEN et les professeurs des écoles. Tous les IEN, débutent la présentation de l’inspection en évoquant le contrôle de la pratique enseignante qui leur incombe. Quatre d’entre eux affirment que ce contrôle ne pose pas vraiment de problème, quand le cinquième avance la nécessité de se méfier de « l’illusion de contrôler » évoquant le fait qu’au final « on ne contrôle [parfois] pas grand chose » lors d’une inspection. Le discours des enseignants ne révèle pas cette dimension de l’inspection. Pour ces derniers, l’IEN évoque parfois leurs essais de pratique pour en « pointer les lacunes » ou les « valider ». Pour autant « il y a très peu de suite » seule est mentionnée l’attribution d’une « note [pour] l’avancement administratif ».

L’un des IEN présente l’inspection comme un processus teinté d’« une part de contractualisation » où se crée « un rapport de professionnel à professionnel ». La difficulté à cette occasion de créer et de maintenir un « échange toujours singulier » est également évoquée par plusieurs inspecteurs. Cette préoccupation fait écho aux impressions que laisse l’inspection chez certains enseignants. « L’entretien individuel avec l’inspecteur qui est [leur] supérieur hiérarchique » leur donne parfois « l’impression d’être comme des enfants ». Une autre partie du discours révèle encore « l’impression qu’il y a une méconnaissance du terrain » de la part du corps d’inspection, comme par opposition à l’enseignant qui lui aurait cette connaissance. Ces propos semblent mettre en lumière une relation entre enseignant et inspecteur caractérisée par une forte asymétrie.

L’analyse du discours des IEN révèle l’invitation adressée aux enseignants lors de la phase d’entretien à prendre une place d’« acteur de [sa] professionnalisation » en prenant part à une « analyse partagée [et] objectivée [de ses] gestes professionnels » en vue de les améliorer. Mais nous n’avons pas trouvé d’écho à cette affirmation dans le discours des enseignants. Certains relatent au contraire des conseils portant sur « la pratique en général » ou encore des « commentaires […] très succincts » sur leur pratique et appellent de leurs vœux une « critique, qui va dans le bon sens », pour « aller plus loin » dans le sens du « service des élèves » grâce au don de « pistes de réflexion ».

L’évaluation d’école, une mise en œuvre flottante L’analyse du discours des IEN sur leur métier nous oriente vers une possible tension entre l’inspection définie comme un « regard professionnel [porté] sur un fonctionnement » au sein d’une classe et l’analyse de l’organisation collective à l’échelle de l’école. L’évaluation d’école semble « répond[re] aux besoins de l’école » et sa forme se rapproche de celle de « l’audit » pour certains inspecteurs. D’autres décrivent une pratique « intermédiaire », entre inspection individuelle et évaluation d’école, nommée « inspection d’école ». Cette dernière

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permettrait d’« améliorer le fonctionnement [de l’école] sur la base de rapports individuels » partagés par l’équipe pédagogique. Cette pratique s’intéressant au collectif de l’école apparaît comme « un état des lieux […] des projets qui [y] sont menés » destiné à « voir comment fonctionne l’école », « en contexte ».

Les enseignants mettent en avant l’« évaluation d’école » comme un moyen de « faire le lien avec des formations », et l’opposent ainsi à l’inspection. Le « travail dans la classe » n’est plus examiné pour lui seul mais en « lien avec le travail de l’école ». Les enseignants semblent affirmer que l’IEN, qui doit « piloter une circonscription, organiser la partie pédagogique de la formation des enseignants » et concourir à « améliorer les résultats des élèves », crée à l’occasion de l’évaluation d’école, du lien entre « le travail dans l’école » et le travail à l’échelle de « la circonscription ».

Contrôle et évaluation, des confusions possibles ?

Le l’analyse supra révèle que le contrôle et l’évaluation sont évoqués par les IEN. Mais ces éléments de discours interpellent. Les allusions au contrôle oscillent entre évidence et vigilance. L’usage distinct de ces deux termes est net, mais que signifient-ils précisément pour les inspecteurs. Sont-ils nettement disjoints, comme appartenant à des univers différents (Ardoino & Berger, 1986) ou envisagés comme deux issues possibles d’un processus d’évaluation au sens large (Hadji, 1989) ? Pour leur part les professeurs des écoles ne mentionnent pas le contrôle, parlant uniquement d’inspection et d’évaluation. Peut-on en déduire qu’ils ne sont pas informés des deux dimensions de cette situation à laquelle ils sont soumis régulièrement au cours de leur carrière ? Peut-on encore comprendre que leur expérience de l’inspection ne leur permet pas d’identifier ni de distinguer ces deux dimensions ? Peut-on encore envisager que cet usage fait écho aux confusions qui ont cours dans le monde de l’éducation et de la formation (Jorro, 2007 ; Paquay, 2005) ?

Inspecteurs et enseignants évoquent l’observation de la pratique de classe comme un moment important de l’inspection bien qu’ils soient en désaccord sur ce qui est réellement observé. Nous n’avons pas trouvé dans les discours analysés d’indices relatifs à la constructions ou à l’utilisation de référents, pas plus que de références à l’articulation entre observation et analyse de la pratique des enseignants. Nous n’avons à ce stade aucune information sur l’actualisation de l’acte d’inspection en situation permettant de confirmer qu’il s’agit bien d’un processus évaluatif. La formulation de conseils, la mise en place de formations et l’attribution d’une note à caractère administratif ont été présentées comme les principales issues du processus évaluatif par les inspecteurs et les enseignants. L’articulation entre ses réponses tout comme leur nature plus précise nous échappe encore. De même que la réponse à la commande institutionnelle de transmission d’informations destinées au pilotage pédagogique à l’échelle académique. Eclairer la prise de décision et la régulation liées à l’inspection contribuerait s’intéresser à un caractère saillant de l’évaluation dans le monde de l’éducation et de la formation (Allal et al., 1979).

L’évaluation d’école, une démarche coopérative ?

Les caractéristiques de l’inspection individuelle révélées à ce stade nous incitent à nous intéresser préférentiellement au discours des interviewés sur l’évaluation d’école.

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Les éléments de définition retenus précédemment évoquent un engagement imposé ou volontaire des acteurs coopérant. Au delà de l’obligation réglementaire (Ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, 2009) et de la nécessité déontologique de réguler l’action de tout fonctionnaire (Taillefait, 2010), nous n’avons mis en lumière aucun élément témoignant de l’engagement volontaire de l’une ou l’autre des deux parties dans une évaluation d’école.

Les interviewés n’ont pas évoqué de réflexion commune ni de démarche coordonnée d’actions visant à mettre en place une évaluation d’école. Le questionnement des modalités de mise en œuvre d’une évaluation collective par les IEN ou encore leurs préoccupations liée à la gestion de l’atmosphère de l’entretien avec les enseignants ne semblent pas rencontrer la vision assez uniforme qu’ont ces derniers du déroulement de l’évaluation d’école. Nous n’avons pas trouvé lors de notre analyse d’éléments témoignant en faveur de la recherche d’une entente à propos de l’acteur qui prendra le rôle de coordonnateur lors du processus évaluatif. L’initiative paraît majoritairement attribuée aux inspecteurs qui par exemple « proposent » aux enseignants une contractualisation à l’occasion de l’évaluation. La question de la constitution de règles partagées n’est par ailleurs pas évoquée tout comme celle de la remise en cause du découpage entre les fonctions des acteurs en présence. Le caractère asymétrique de la situation d’inspection mis explicitement en lumière dans le discours des enseignants et par inférence dans celui des IEN semble constituer un frein certain à ces interactions. Au delà de l’absence d’évocation d’une réflexion commune, des préoccupations et des objectifs convergents semblent toutefois émerger. Le questionnement du fonctionnement collectif semble au cœur des préoccupations des inspecteurs comme des inspectés. L’engagement des inspecteurs dans un processus évaluatif producteur de formations adaptées aux besoins des enseignants de l’école évaluée est confirmé par les enseignants. Il ne semble pas déraisonnable d’imaginer que ces formations pourraient nourrir la qualification collective des acteurs même si nous ne pouvons l’affirmer à ce stade.

Les objectifs de ce processus évaluatif n’apparaissent pas explicitement et littéralement partagés par les acteurs interrogés. Mais l’amélioration des gestes professionnels des enseignants évoquée par les IEN et celle des résultats des élèves appelée par les enseignants mériteraient d’être questionnées plus précisément pour en examiner la confluence et éclairer d’éventuels liens avec une autre dimension importante de la coopération, l’association des enseignants à la recherche de solutions aux problèmes rencontrés par l’Ecole.

Poursuite du processus de problématisation Les expériences singulières de l’inspection et de l’évaluation d’école recueillies à l’occasion de cette phase exploratoire nous ont aidé à révéler un peu plus précisément les contours de ce qui constitue notre objet d’étude.

L’asymétrie de la situation réunissant inspecteur et inspecté, l’absence d’évocation des modalités d’engagement dans l’évaluation d’école ou d’une réflexion commune sur ce processus, plaident peu en la faveur d’une vision coopérative des relations professionnelles qui se nouent entre inspecteur-inspecté. Cependant les zones d’ombre dans le discours des interviewés, pouvant être attribuées au caractère exploratoire des entretiens, demeurent nombreuses. Dès lors il pourrait être envisagé de les éclairer en ne perdant pas de vue certains

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aspects permettant peut-être d’avancer que les IEN et les enseignants coopèrent dans une certaine mesure. Parmi ces éléments figurent la dimension collective de l’évaluation d’école, l’éventuel partage d’objectifs, la formation et l’association des enseignants à la recherche de réponses aux questions qu’ils se posent et qui interpellent le monde de l’éducation.

La tension entre les textes institutionnels encadrant l’inspection (Ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, 2009) et le discours des interviewés mise en lumière pose elle aussi de nombreuses questions. Comment le contrôle et l’évaluation, évoqués par les inspecteurs et non par les enseignants s’actualisent lors de l’inspection ? Dans quelle mesure le parcours personnel de l’inspecteur agit-il comme facteur de cette variabilité ? La mise en place de formations et l’attribution d’une note à caractère administratif constituent-t-elles les seules issues du processus évaluatif ? Comment le pilotage pédagogique voulu par l’institution est-il lié à l’inspection ? La place relative du contrôle et de l’évaluation contribue-t-elle à la variabilité de l’activité d’inspection ? Quelles valeurs personnelles et quelles motivations individuelles tendent à singulariser cette activité (Clauzard, 2008) ? Enfin l’impact réel de l’inspection sur le développement professionnel des enseignants est-il en accord avec les attentes institutionnelles à l’égard de l’inspection ? Cette première approche d’acteurs de terrain concernés par l’objet que nous souhaitons étudier nourrit notre réflexion. Les nombreuses questions que nous nous posons ouvrent autant de pistes d’exploration conceptuelles et méthodologiques. Cette phase exploratoire contribue à préciser notre intention d’adopter une posture d’analyste du travail étayée du paradigme de la didactique professionnelle présenté notamment par Pastré (2011) et Rogalski (2004) pour comprendre comment les IEN inspectent.

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