discussionIII sur PP

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ANNEXE III au Texte de synthèse Dan VAN RAEMDONCK (2010), document de travail de la Commission Orthographe du Conseil de la langue française et de la politique linguistique Note critique sur les propositions de M. Wilmet Règle générale Le PP est la forme adjectivale du verbe (c’est-à-dire c’est une forme verbale susceptible d’emplois adjectivaux). A ce titre, il s’accorde en genre et en nombre avec le mot auquel il se rapporte, comme un adjectif. Pour trouver le mot auquel se rapporte le PP, il suffit de poser la question « Qui/Qu’est-ce qui est… + PP ? 1 ». Beaucoup des exceptions de la grammaire traditionnelle ne sont en fait que des cas particuliers qui pourraient se résumer à la préoccupation de savoir si le support présumé est bien le support du PP (et non, par exemple, le déterminant 2 d’un infinitif qui suivrait). Hypothèse sur l’évolution de l’accord du PP Pour envisager une évolution possible de l’accord du PP employé avec l’auxiliaire avoir, il faut, d’une part, observer les usages oraux actuels, et, d’autre part, se référer à l’histoire de la langue. La tendance observée actuellement dans les productions orales indique que, dans certains contextes, de plus en plus de locuteurs n’accordent pas le PP employé avec avoir, alors que l’accord est prescrit, c’est-à-dire lorsque le mot auquel il se rapporte le précède. Ex : La bouteille que j’ai mis au frigo. Cette tendance au non-accord suppose que le locuteur considère moins le participe mis comme se rapportant au référent de que (la bouteille), que comme faisant partie intégrante de la forme verbale. L’évolution historique de la langue peut expliquer ce phénomène. Aux origines du français, on produisait des phrases du type J’ai une pomme mangée, de la même manière que l’on disait J’ai une pomme verte ou J’ai une pomme véreuse. Les deux morceaux de la forme qui deviendra notre ‘présent composé’ étaient indépendants : le verbe avoir était un verbe plein (= posséder), et le participe fonctionnait vraiment comme un adjectif, prédicat second du déterminant du Noyau du GDV (comme dans J’ai une pomme de mangée). Puis 1 Pour les participes des verbes en construction unipersonnelle, la question ne donnera pas la réponse requise, et donc ne convient pas : Il est tombé des hallebardes ; Qu’est-ce qui est tombé ? des hallebardes, qui ne peut servir de support au participe. 2 Nous appelons déterminants les compléments-apports de sens qui mettent en œuvre le mécanisme de la détermination. Nous parlons donc de déterminants du nom, du verbe, de l’adjectif…

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Beaucoup des exceptions de la grammaire traditionnelle ne sont en fait que des cas particuliers qui pourraient se résumer à la préoccupation de savoir si le support présumé est bien le support du PP (et non, par exemple, le déterminant 2 d’un infinitif qui suivrait). Pour envisager une évolution possible de l’accord du PP employé avec l’auxiliaire avoir, il faut, d’une part, observer les usages oraux actuels, et, d’autre part, se référer à l’histoire de la langue.

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ANNEXE III au Texte de synthèse Dan VAN RAEMDONCK (2010), document de travail de la Commission Orthographe du Conseil de la langue française et de la politique linguistique

Note critique sur les propositions de M. Wilmet

Règle générale Le PP est la forme adjectivale du verbe (c’est-à-dire c’est une forme verbale susceptible d’emplois adjectivaux). A ce titre, il s’accorde en genre et en nombre avec le mot auquel il se rapporte, comme un adjectif. Pour trouver le mot auquel se rapporte le PP, il suffit de poser la question « Qui/Qu’est-ce qui est… + PP ?1». Beaucoup des exceptions de la grammaire traditionnelle ne sont en fait que des cas particuliers qui pourraient se résumer à la préoccupation de savoir si le support présumé est bien le support du PP (et non, par exemple, le déterminant2 d’un infinitif qui suivrait).

Hypothèse sur l’évolution de l’accord du PP Pour envisager une évolution possible de l’accord du PP employé avec l’auxiliaire avoir, il faut, d’une part, observer les usages oraux actuels, et, d’autre part, se référer à l’histoire de la langue. La tendance observée actuellement dans les productions orales indique que, dans certains contextes, de plus en plus de locuteurs n’accordent pas le PP employé avec avoir, alors que l’accord est prescrit, c’est-à-dire lorsque le mot auquel il se rapporte le précède. Ex : La bouteille que j’ai mis au frigo. Cette tendance au non-accord suppose que le locuteur considère moins le participe mis comme se rapportant au référent de que (la bouteille), que comme faisant partie intégrante de la forme verbale. L’évolution historique de la langue peut expliquer ce phénomène. Aux origines du français, on produisait des phrases du type J’ai une pomme mangée, de la même manière que l’on disait J’ai une pomme verte ou J’ai une pomme véreuse. Les deux morceaux de la forme qui deviendra notre ‘présent composé’ étaient indépendants : le verbe avoir était un verbe plein (= posséder), et le participe fonctionnait vraiment comme un adjectif, prédicat second du déterminant du Noyau du GDV (comme dans J’ai une pomme de mangée). Puis 1 Pour les participes des verbes en construction unipersonnelle, la question ne donnera pas la réponse requise, et donc ne convient pas : Il est tombé des hallebardes ; Qu’est-ce qui est tombé ? des hallebardes, qui ne peut servir de support au participe. 2 Nous appelons déterminants les compléments-apports de sens qui mettent en œuvre le mécanisme de la détermination. Nous parlons donc de déterminants du nom, du verbe, de l’adjectif…

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progressivement la forme s’est soudée, et le participe s’est rattaché au verbe et non plus au déterminant du Noyau du SV. Ce faisant, il a fait du verbe un auxiliaire, un verbe support désémantisé.3 Par ailleurs, cette hypothèse de soudure de la forme verbale (auxiliaire avoir + PP) se comprend dans le cadre de l’évolution du système temporel du français. En effet, on observe aujourd’hui une utilisation massive du présent composé en lieu et place du passé 1 (« passé simple »), ce qui suppose que le présent composé devient dans ce cas une forme verbale bien grammaticalisée, fonctionnant comme un bloc synthétique. Le lien auxiliaire / auxilié se resserre au point de ne plus accepter entre les deux éléments que la deuxième partie de la négation (Je n’ai pas/rien/plus mangé), le pronom tout (J’ai tout mangé) et des adverbes (J’ai souvent/à peine/un peu/déjà/pourtant/évidemment/… mangé).

Ainsi, si l’évolution linguistique continue dans ce sens, il est probable que la forme verbale composée de l’auxiliaire avoir et du PP se comporte définitivement comme une forme verbale synthétique. Ceci aurait pour conséquence que, dans ce cas de figure, le participe ne s’accorderait plus, puisque, faisant partie intégrante de la forme verbale, il ne retiendrait que ses caractéristiques proprement verbales, dont ne font pas partie le genre et le nombre (caractéristiques plutôt adjectivales) tels qu’ils apparaissent dans l’accord du PP.

Cette hypothèse ne concernerait cependant que le PP employé avec l’auxiliaire avoir. En effet, pour le PP en caractérisation nominale ou le PP employé avec l’auxiliaire être, le lien qui les unit à leur support est beaucoup plus fort (cf. renvoi à la copule être + adjectif attribut/déterminant du verbe copule), et le non-accord serait contre-intuitif. Ainsi, les emplois les plus proches de ceux de l’adjectif continueraient à s’accorder. Ex : ?? La femme que je suis devenu ; ?? Je suis une femme pressé

La femme que je suis devenue ; Je suis une femme pressée

On semble dès lors à l’avenir s’acheminer pratiquement vers deux règles : • accord pour le PP - employé seul - employé avec l’auxiliaire être • invariabilité pour le PP - employé avec l’auxiliaire avoir - des binômes (excepté…, dont le fonctionnement est souvent rapproché de celui des prépositions)

Le cas des verbes pronominaux semble intermédiaire, et dès lors peut être traité de différentes manières :

3 En réalité, il apparaît qu’avoir s’est d’abord désémantisé par grammaticalisation et qu’ensuite, les éléments intercalés à l’origine ont été rejetés à l’extérieur du couple auxiliaire-auxilié ainsi formé.

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Soit on distingue les participes 2 des verbes à « se » caduc de ceux des verbes à « se » persistant, soit on traite l’ensemble des participes 2 des verbes pronominaux de la même manière. Dans le premier cas, on pourrait distinguer un accord du PP des verbes à « se » caduc : en fait, rejoignant l’accord du PP employé avec avoir, le participe pourrait rester invariable, pour les mêmes raisons. Par contre, l’accord du PP des verbes avec « se » persistant continuerait à se faire avec le sujet, dans la mesure où l’on se rapprocherait de l’emploi adjectival, surtout pour les PP des verbes pronominaux à sens passif. La difficulté qui semble difficile à contourner est celle de la démarcation entre « se » caduc et « se » persistant. La frontière ne semble pas très facile à tracer pour les usagers. On pourrait dès lors se tourner vers la seconde piste d’une non-discrimination des verbes pronominaux quelle que soit la persistance/caducité de leur pronom. Dans ce second cas, on pourrait imaginer deux options : soit un accord généralisé avec le sujet, soit une invariabilité généralisée. Pour ce qui est de l’accord généralisé avec le sujet, nous renvoyons à la note de Marc Wilmet. Nous y voyons deux objections. La première est de méthode. Marc Wilmet justifie cet accord par le biais d’un changement de question. Pour trouver le support du PP, il pose laquestion « Qu’/Qui est-ce qui est + PP », qui est la question traditionnelle posée pour trouver le support d’un apport dans le cadre d’un mécanisme d’accord. Cependant, lorsqu’il s’agit de trouver le support du PP des verbes pronominaux à « se » persistant, il change la question en « Qu’/Qui est-ce qui s’est + PP». Outre que reste pendante la question difficile de la distinction des deux « se » pour l’usager, il me semble que ce faisant, Marc Wilmet change la nature de la question : de la recherche du support sémantique, avec la question sans « se », il passe à la question que l’on pose pour trouver le sujet du verbe. Les réponses à ces deux questions ne se trouvent pas au même niveau4. La question avec « se » risque dès lors d’apparaître comme ad hoc. Par ailleurs, seconde objection, l’accord généralisé avec le sujet coupe de la logique générale de l’accord qui veut qu’un apport s’accorde avec son support. En effet, dans le cas des verbes pronominaux à « se » caduc, il peut y avoir un conflit entre le sujet qui deviendrait la base de l’accord et le réel support sémantique du PP : Les mains qu’ils se sont lavés ; les insultes qu’ils se sont dits. Nous ne méconnaissons pas qu’il aurait été agréable de pouvoir harmoniser l’accord avec le sujet de tous les PP employés avec être, mais, en raison de la logique qui préside en général à l’accord, nous ne pouvons nous résoudre à cette option. Dès lors nous opterions plus volontiers pour une harmonisation dans le sens de l’invariabilité de tous les PP de verbes pronominaux. Pour les PP des pronominaux à « se » caduc, cela les rapprocherait de l’accord avec avoir auquel ont les a toujours adossés. Evidemment, on perdrait également le lien avec leur support 4 Dans le cas de Elles se sont arrogé des droits, le se est persistant (le verbe n’existe pas à la forme non pronominale) ; la question de Marc Wilmet dévoilera le sujet Elles, alors que le support sémantique est des droits, qui sont arrogés. Accorder avec le sujet contreviendrait dès lors à la logique de l’accord avec le support sémantique.

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sémantique, mais au moins on ne les affublerait pas d’un vrai/faux support sujet. La raison invoquée pour l’invariabilité du PP avec avoir (le figement d’une forme verbale où la variation en genre n’aurait plus que faire) pourrait tout autant valoir ici. Après tout, les verbes pronominaux se sont à ce point lexicalisés (ou lexicalisé) qu’ils en apparaissent figés, autour d’un auxiliaire être obligatoire (qui se muerait en avoir si l’on changeait la personne du pronom « objet »). Le figement vaudrait dès lors également, sinon plus, pour expliquer l’invariabilité des PP des pronominaux à « se » persistant. Même si dans ce cas, on a le sentiment de pouvoir parfois tisser un lien avec le sujet. Deux objections se présentent : le PP des verbes pronominaux à sens passif, pour lesquels le rapport au sujet est sensible. Ainsi que les formes féminines, taxées parfois d’hypercorrectisme, de Je me suis permise, elle s’est faite couper les cheveux… Les accords de ces derniers cas contreviennent non seulement à la règle antérieure, mais surtout à la logique d’un accord avec le support sémantique. Notre option est de veiller autant que faire se peut à conserver intacte cette logique à l’œuvre dans tout accord, afin de retirer tout caractère exceptionnel à la question de l’accord du PP. L’invariabilité fondée sur le figement du pronominal nous permet d’éviter un faux accord. Par ailleurs, cette forme d’accord du factitif se rencontre également à la forme non pronominale dans Cette voiture, je l’ai faite réparer, cas (avec avoir) pour lequel la Commission recommande l’invariabilité du PP, comme c’est d’ailleurs la règle depuis des décennies, dans le cas du PP de faire suivi d’un infinitif. Pour les pronominaux à sens passif, qui peuvent faire penser à une structure attributive, nous ne pouvons que concéder qu’il y a perte de la relation au support. Cependant cette perte est compensée par l’économie engendrée par la généralisation de l’invariabilité des PP des verbes pronominaux, toujours en raison du figement de la structure pronominale. De toute manière, contrairement à ce qui se passe dans la tournure passive non pronominale, le PP n’est pas pronominalisable, et donc pas aussi autonome (il fait donc vraiment partie de la forme verbale, contrairement au PP de la voix passive, qui est en fait déterminant du verbe) : Le lapin a été abattu par le chasseur ; il l’a été par le chasseur vs Les médicaments se sont vendus cher ; *ils se le sont cher). Enfin, une différence de taille que semble ignorer l’uniformisation de l’accord du PP des verbes pronominaux avec le sujet, sur le modèle du PP employé avec être, c’est que lorsque l’on emploie des verbes pronominaux, on construit une phrase à la voix moyenne et plus à la voix active ni passive. Dès lors , les rapports entre sujet, COD (déterminant du verbe) et verbe à l’intérieur de la phrase ne sont plus les mêmes, ce que traduit le figement de la forme verbale (avec un être contraint) et ne dénaturerait pas une invariabilité d’un PP. Il ne peut être question de faire croire que le choix d’une voix moyenne revient au même que le choix d’une voix active ou passive. Bien sûr, il s’agit là d’un raisonnement de grammairien. Et en tant que grammairien, notre conviction personnelle est que nous ne pouvons en admettre d’autre. Cependant, il semble que les usagers n’ont pas toujours choisi le camp de la grammaire, ou, plutôt, que, devant s’en sortir dans un maquis de règles compliquées et absconses, ils ont cru pouvoir dénicher un support là où il ne se trouvait en fait pas : les usagers accordent dès lors, parfois même à l’encontre de la règle actuelle, qui exige dans certains cas l’invariabilité, le PP des verbes pronominaux avec ce qui pourrait sembler être le sujet. D’autres grammairiens que des membres de notre commission ont également, pour d’autres raisons et par d’autres

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cheminements, proposé un accord généralisé des PP de verbes pronominaux avec le sujet, comme c’est le cas pour tous les autres PP employés avec être (notamment Gruaz 2012). Devant cet état de fait, il apparaît difficile de ne pas tenir compte des usages, fréquents, fussent-ils ‘fautifs’. On ne gouverne en effet pas la langue contre l’usage. Cela étant, il ne nous semble pas certain que les usagers accordent réellement le PP des verbes pronominaux avec le sujet. Si l’on prend le cas du PP des pronominaux réciproques (Ils se sont battus), il apparaît bizarre de penser que le support serait identifié dans le sujet et non le pronom objet : on a bien affaire à une partie du sujet qui en bat une autre partie en position objet. Le raisonnement semble valoir également, nous semble-t-il, pour les cas d’hypercorrectisme (Elle s’est permise de…). Par ailleurs, envisager le pronom se comme support permettrait d’éviter d’avoir recours à la notion de sujet et au système fonctionnel ; de ne pas devoir changer la question du support de manière ad hoc (on dira seulement que les usagers identifient — parfois à raison, parfois à tort — le pronom se comme le support du PP) ; de traiter différemment quand même, tout en tenant compte de ses spécificités, le PP d’un verbe à la voix moyenne (pronominale) et le PP employé avec être, en voix active ou passive. Dès lors, soucieux 1°) de ne pas déroger au principe général de l’accord avec le support (et sans changer de question pour trouver ce dernier), qui transcende toute la grammaire d’accord, et 2°) de ne pas réintroduire d’éléments du système fonctionnel (le sujet) ; considérant que, eu égard à la complication des règles actuelles, qui ont eu pour effet de formater un usage dans certains cas en dehors de la logique générale de l’accord, les usagers identifient, parfois à raison, mais parfois à tort également, le pronom se comme étant le support du PP, nous recommandons d’accorder le PP des verbes pronominaux avec son « support », le pronom se (ou ses variantes des autres personnes). Pour autant, dans la mesure où la grammaire d’accord y trouve également son compte logique, l’invariabilité devrait également être admise. Pour conclure provisoirement… En conséquence, notre proposition de rationalisation d’accord du PP se résumerait comme suit : Le PP varierait et s’accorderait donc avec son support lorsqu’il est plus autonome, ou dans un emploi adjectival (sans auxiliaire ou avec l’auxiliaire être). En revanche, il resterait invariable lorsque, perdant son autonomie dans une forme plus figée, il se fond dans une forme verbale qui se « synthétise » (PP avec avoir), ou lorsqu’il se retrouve dans un emploi adverbial ou prépositionnel. Pour le PP des verbes pronominaux, l’accord se ferait avec le pronom se, identifié comme support, mais l’invariabilité serait également admise.

Dan Van Raemdonck