Discrétion et non-retour

4
Discrétion et non-retour Author(s): Denise François Source: La Linguistique, Vol. 5, Fasc. 1 (1969), pp. 97-99 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: http://www.jstor.org/stable/30248824 . Accessed: 16/06/2014 00:44 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to La Linguistique. http://www.jstor.org This content downloaded from 185.44.78.156 on Mon, 16 Jun 2014 00:44:45 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Transcript of Discrétion et non-retour

Page 1: Discrétion et non-retour

Discrétion et non-retourAuthor(s): Denise FrançoisSource: La Linguistique, Vol. 5, Fasc. 1 (1969), pp. 97-99Published by: Presses Universitaires de FranceStable URL: http://www.jstor.org/stable/30248824 .

Accessed: 16/06/2014 00:44

Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at .http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp

.JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range ofcontent in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new formsof scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected].

.

Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to LaLinguistique.

http://www.jstor.org

This content downloaded from 185.44.78.156 on Mon, 16 Jun 2014 00:44:45 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 2: Discrétion et non-retour

NOTES ET DISCUSSIONS

Discretion et non-retour par DENISE FRANCOIS

Les unit6s linguistiques sont des unit6s discretes ou encore discontinues et le sont n6cessairement, en quoi elles different de la realite que nous

percevons. Encore que ce soit sous des modalit6s tras diff6rentes, cette

discretion caract6rise tant les unit6s significatives que les unites phoniques : dans une langue d6termin6e, /p/ et /b/, bleu et vert, par exemple, fonc- tionnent comme unit6s discretes, meme s'il arrive que le [b] soit d6vois6, meme si l'on peut dire bleu-vert. I1 y a longtemps qu'on a degag6 l'importance de ce caractere fondamental ainsi que son ftroite liaison avec d'autres caracteres linguistiques fondamentaux : on sait que l'arbitraire - solide- ment assur6 par la double articulation - et son correlat, la convention, conditionnent la discretion et que c'est celle-ci qui rend possibles les systemes d'oppositions - c'est-a-dire les possibilit6s de choix - sur lesquelles se fonde le m6canisme de la communication. Nous ne reviendrons pas sur ces points ni sur lescc qualit6s) d'un tel code', qui, comme la facult6 d'abstraction ou de mensonge, relevent de l'6cart meme entre le code et son objet, 6cart n6cessaire puisque lui seul permet que la realit6 ne soit pas codifi6e une fois pour toutes. Nous voudrions seulement nous arrfter sur certains cas dans lesquels le caractbre discret des unites significatives alt're sensiblement l'exp'rience communiqune.

User d'unit6s significatives discretes, c'est substituer du discontinu ' une realit6 plus ou moins amorphe, globale, inanalysee, 'a une realit6 qui, si le

langage n'existait pas, ne comprendrait ni les divisions, ni les regroupements qui nous sont socialement impos's. C'est en quoi le caractere discret des unit6s linguistiques rend compte ducc durcissement ) qu'apporte t l'exp6- rience le fait mgme de l'exprimer. Cela se manifeste aussi bien dans la perception du monde extbrieur que dans l'expression des conceptions et des sentiments humains car, dans un cas comme dans l'autre, l'exp6rience ne subsiste pas indiff6rente au-deli de l'expression qu'elle regoit. Lorsque Flaubert-Emma enonce que Charles Bovary cc faisait, en avalant sa soupe,

1. Cf., par exemple, BLOOMFIELD, Language, 2-4, ou l'auteur parle des qualitds de relay, d'abstraction et de thinking.

LA LINGUISTIQUE, I 7

This content downloaded from 185.44.78.156 on Mon, 16 Jun 2014 00:44:45 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 3: Discrétion et non-retour

98 DENISE FRANqOIS

un gloussement a chaque gorgee )) (Madame Bovary, fin de la premiere partie), des unites linguistiques bien distinctes (gloussement, gorgie) se substituent h un bruit plus ou moins nettement perqu et tranchent dans le v6cu car ce qui est dit est dit. En ce sens, il n'est pas 6tonnant de constater une nette conjonction, sur ce point, entre la conception biblique du Verbe et celle du Fatum (fari). Ce durcissement est particulibrement net dans les situations 6motives diffuses, que leur charge d'affectivite se restreigne a l'individu ou concerne un groupe.

Certains aspects de ce qu'on appelle les crises de l'adolescence, par exemple, sont directement li6s a une r6bellion contre les cristallisations verbales comme celles qui peuvent s'op6rer autour d'unit6s comme cc un

rat6 ) ou (c aimer)), unit6s certes bien discretes par rapport a la complexit6 des relations qu'elles expriment. De telles rebellions - ou, pour le moins, reticences - se fondent finalement sur une impossibilit6 a saisir la r6alit6 ind6pendamment de son expression linguistique, sur une tendance a confondre r6f6rent et signifi6 qui est si fr6quente qu'on la considbre comme normale2. Qu'on songe aux vers de Psyche (III, 3) :

Et je dirais que je vous aime, Seigneur, Si je savais ce que c'est que d'aimer.

Ce probleme pourrait Stre abondamment illustr6 par l'examen du vocabulaire politique : 6tiqueter un comportement global d'un vocable comme c liberal)), c gauchiste ) ou cc revisionniste D ne va pas sans soulever quelques difficult6s libes, en derniere analyse, a la discretion des unit6s significatives. C'est qu'en effet ( chercher son mot ) en prenant conscience d'un paradigme - le paradigme lexical - qui, pour etre ouvert, n'est pas pour autant ind6fini, c'est prendre des risques et ces risques sont la source d'usages conflictuels du langage. Le langage n'est pas neutre, c'est-a-dire qu'il n'est pas pur reflet.

Les incidences de ces usages conflictuels peuvent etre soit nocives, soit

th6rapeutiques. Une bonne part de la demarche psychanalytique, certaines tentatives de psychologie de groupe pourraient tre caract6risees comme recherche deliber6e d'une discretionc dirige)). Dans son maniement courant, le langage est souvent utilise a des fins d'exorcisme, l'6nonciation visant a (c classer)) tel ou tel probleme. Dans la plupart des cas pourtant, la fixation en unites discrZtes aboutit, par le jeu des rep6titions qu'elle suscite, a une sorte de figement qui, loin de faciliter le cc depassement ), rend irreversible ce qui 6tait avant tout variable et fluctuant. Il y eut en mai-juin de ces formes verbales du ( non-retour ). D'autant que l'6criture - scripta manent - interfere souvent dans ce processus3.

Il est indispensable de souligner ici qu'il ne s'agit pas de voir en ce durcissement une fonction du langage, c'est-a-dire quelque chose pour quoi le langage serait fait. Ce durcissement n'est qu'une consequence des caracteres du langage - et notamment de son caractere discret - tels qu'ils sont determines par ses fonctions propres. Ce qui n'empeche nullement, bien

2. Cf. H. A. GLEASON, An Introduction to Descriptive Linguistics, I-I. 3. Voir, par exemple, le journal mural des ditions Tchou : Les murs ont la

parole, mai 68.

This content downloaded from 185.44.78.156 on Mon, 16 Jun 2014 00:44:45 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 4: Discrétion et non-retour

NOTES ET DISCUSSIONS 99

eir, qu'on exploite cette cons6quence; et qui l'exploite tend A lui conf6rer l'importance d'un principe moteur.

En litterature, deux directions pourraient etre d6gagees sur ce point : la litt6rature peut tre une recherche de la discretion (cf. supra 1'exemple de Flaubert); elle peut aussi tre une tentative pour transgresser la discre- tion (cf. supra l'exemple de Corneille). Il serait interessant de recenser les divers proc6d6s (syntaxiques comme les concessifs mgme si, bien que, encore que..., lexicaux comme les o nuanceurs ) quasi-, hypo- ou mini-) dont une

grande part est, au reste, codifibe dans les rh6toriques (la pret6rition, par exemple) grace auxquels on s'est efforc6 d'6chapper a la rigueur de la discr6tion. Mais on n'en sort pas ais6ment dans la mesure oil nuance, ni... ni, encore que ou sait-on jamais sont et demeurent, quoi qu'on fasse, des signes linguistiques discrets.

Sorbonne.

This content downloaded from 185.44.78.156 on Mon, 16 Jun 2014 00:44:45 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions