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LA BOÉTIE

DISCOURS DE LA SERVITUDE

VOLONTAIREIntroduction, notes et annexes

parSimone GOYARD-FABRE

Chronologie et bibliographiepar

Laurent GERBIER

GF Flammarion

240703VZZ_Servitude.book Page 5 Lundi, 20. juillet 2015 11:55 11

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Publié avec le concoursdu Centre national du livre

© Flammarion, Paris, 1983.Édition corrigée en 2015.ISBN: 978-2-0813-6667» 1

www.centrenationaldulivre.fr

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« Nous ne sommes pas nés seulement en possession denotre franchise, mais avec affectation de la défendre. »

La Boétie,Discours de la servitude volontaire

« La liberté est le sacré temporel des hommes. »

R. Polin,La Liberté de notre temps

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CHRONOLOGIE

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1530 : naissance à Sarlat d'Etienne de La Boétie, fils dePhilippe de Calvimont et d'Antoine de La Boétie, lieutenantdu sénéchal du Périgord.

1532 : Rabelais, Pantagruel.

1533 : Niccolo Gaddi, un Florentin proche des Médicis, estnommé évêque de Sarlat. Fondation du collège de Guyenneà Bordeaux.

1534 : Rabelais, Gargantua. Affaire des Placards (octobre),qui provoque le durcissement de la répression de la Réformeen France. Jean Calvin quitte la France.

1535 : naissance de Montaigne.

1536 : Calvin, Institutio religionis christianae. Mort d'Érasmeà Baie.

1540 : orphelin de père et de mère, La Boétie est élevé parson oncle Etienne.

1541 : entrée de l'évêque Niccolo Gaddi à Sarlat (décembre).

1545 : Rabelais, Le Tiers Livre.

1546 : Etienne Dolet est exécuté à Paris.

1547 : mort de François Ier (mars) ; Henri II lui succède. Sou-lèvement de la Guyenne, de la Saintonge et de l'Angoumoiscontre la gabelle.

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12 DE LA SERVITUDE VOLONTAIRE

1548 : le gouverneur de Bordeaux, Tristan de Moneins, estmassacré par la foule (août). À l'automne, répression dusoulèvement de la Guyenne par le connétable Anne deMontmorency, qui occupe Bordeaux. La ville perd son par-lement, qu'elle ne retrouvera qu'en 1551.

1548-1549 : La Boétie suit les cours de droit de l'universitéd'Orléans ; Anne du Bourg figure peut-être parmi sesmaîtres. Première rédaction possible du Discours de laservitude volontaire.

1550 : premiers troubles religieux en Guyenne.

1553 : La Boétie reçoit sa licence de droit de l'universitéd'Orléans.

1554 : Guillaume de Lur, seigneur de Longa, quitte le parle-ment de Bordeaux pour celui de Paris ; il cède sa charge àLa Boétie. Dernière date possible de rédaction du Discoursde la servitude volontaire. La Boétie épouse Marguerite deCarie. Pierre Eyquem, père de Montaigne, est élu maire deBordeaux.

1555 : épidémie de peste à Bordeaux.

1555-1557 : dates probables de la traduction par La Boétiede la Mesnagerie de Xénophon et des Règles de mariagede Plutarque.

1557 : Montaigne, qui était conseiller à la cour des Aidesà Périgueux, est reversé au parlement de Bordeauxlorsque la cour des Aides ferme. Rencontre entre Mon-taigne et La Boétie à Bordeaux.

1559 : mort du roi Henri II (juillet). François II lui succède.Apogée du pouvoir de la famille de Guise. Exécutiond'Anne du Bourg (décembre).

1560 : répression sanglante de la conjuration d'Amboise parle duc de Guise, qui devient lieutenant général du royaume

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CHRONOLOGIE 13

(mars). Mort de François II (décembre). Avènement deCharles IX. La Boétie, en mission auprès du conseil royalà Paris en décembre, rencontre Michel de L'Hospital,chancelier de France, qui défend une politique de conci-liation opposée à celle des Guise.

1561 : La Boétie accompagne Charles de Coucy, lieutenantgénéral de Guyenne, en mission de pacification dans l'Age-nais (septembre à décembre).

1562 : édit de Saint-Germain-en-Laye (janvier). Massacre deVassy (mars). Rédaction probable du Mémoire sur ledit dejanvier 1562. La Boétie fait partie du guet mis en place pourprotéger Bordeaux contre les troubles (décembre).

1563 : nouvelle mission de La Boétie avec Charles de Coucydans l'Agenais (été). Mort de La Boétie à Germignan (août).

1571 : Montaigne édite les œuvres de La Boétie à Paris,chez Frédéric Morel ; elles ne comprennent pas le Dis-cours, que Montaigne envisage de placer au centre dupremier livre de ses Essais.

1574 : un fragment tronqué du Discours est publié, en latin(dans une traduction peut-être due à François Hotman) puisen français, dans les Dialogues d'Eusèbe Philadelphe, Cos-mopolite, un recueil de pamphlets protestants.

1577 : le Discours, cette fois complet, est imprimé dans letroisième volume d'un autre recueil protestant dû à SimonGoulart, les Mémoires de l'État de France sous CharlesNeuvième.

1579 : Montaigne obtient le privilège pour la première éditiondes Essais (mai). Deux jours plus tard, les Mémoires del'État de France, qui comprennent le Discours, sont brûlésen place publique à Bordeaux.

1580 : parution du premier volume des Essais de Montaigne,qui ne comprend pas le Discours. Il est remplacé par

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14 DE LA SERVITUDE VOLONTAIRE

vingt-neuf sonnets français de La Boétie dont Montaignen'avait pas de copie au moment d'éditer les œuvres.

1588 : deuxième édition des Essais, qui comportent toujoursles vingt-neuf sonnets. Mais sur son exemplaire, dit « exem-plaire de Bordeaux », Montaigne biffe les sonnets.

1592 : mort de Montaigne.

1595 : troisième édition des Essais. Nulle pièce de La Boétien'y figure plus.

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INTRODUCTION

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I

LA VIE D'ETIENNE DE LA BOÉTIE

1530-1563

Le nom de La Boétie est souvent lié à celui de Montai-gne. Les deux hommes, en effet, furent unis de cette amitiécélèbre que l'auteur des Essais explique le plus simple-ment du monde : « parce que c'était lui, parce que c'étaitmoi ».

1. De vingt-sept mois plus âgé que Montaigne, Etiennede La Boétie est né le mardi 1er novembre 1530, à Sarlat,petite ville située sur la Cuze, non loin de Périgueux. Lesbelles maisons du XVIe siècle que l'on peut, aujourd'huiencore, admirer au long des rues pittoresques de la vieilleville, disent assez que ce bourg périgourdin, évêché etbailliage, connut, au temps de la Renaissance, le calme etla prospérité.

La Boétie appartenait à un milieu aisé et cultivé. Sonpère était lieutenant particulier du Sénéchal de Périgord ; ilmourut prématurément. Un de ses oncles, qui était aussison parrain — le sieur de Bouilhonas — se chargea de sonéducation. C'était un ecclésiastique féru de droit, de lettresclassiques et de théologie. Dès l'âge de dix ans, le jeuneEtienne, dont l'intelligence s'éveillait de façon exception-nelle, fut élevé dans le culte de l'Antiquité grecque etromaine. Cette première formation, déjà, l'emporta dansle vaste mouvement de la Renaissance, particulièrementchaleureux à Sarlat, sous l'impulsion du cardinal Nicolo

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Gaddi, évêque de la petite ville. Cousin des Médicis, cethomme hors du commun possédait une vaste érudition,tout empreinte de l'humanisme italien. Il rêvait de faire deson diocèse une « Athènes périgourdine », où domineraientl'art et la philosophie. Dans ce milieu privilégié où Pavaitintroduit son oncle, le jeune La Boétie ne cachait pas sajoie à l'étude. On ignore si le Collège de Guyenne lecompta parmi ses élèves, et même s'il poursuivit ses étu-des à Bordeaux ou à Bourges. Ce qui, en revanche, est sûr,c'est que les premiers maîtres de La Boétie, conscients despromesses qu'il portait en lui, l'orientèrent de bonne heurevers l'Université... Les registres de l'Université d'Orléansrévèlent en effet qu'Etienne de La Boétie vint y prendre sesgrades de droit afin de se préparer, quel que fût son amourdes belles lettres, à la magistrature.

A cette époque, le droit connaît en France un dévelop-pement brillant. Il existe alors une pléiade de jurisconsul-tes qui, nourris de littérature ancienne, s'attachent àl'étude de la jurisprudence romaine dont on s'accordegénéralement à penser qu'elle peut servir aux jeunesÉtats ! pour parfaire leur législation. L'Universitéd'Orléans est non seulement la seconde Université deFrance, après Paris, mais elle est l'une des plus célèbresécoles de droit du temps. Elle est plus brillante que cellesde Bourges et de Poitiers et sa réputation dépasse large-ment celles de Tours et d'Angers2. Sa notoriété la place

1 . Le début du xvie siècle est en effet l'époque où éclate, en Europe,ce que Ton a pu appeler « la nébuleuse chrétienne » . Au rêve médiéval dela Respublica christiana succède la naissance de l'État moderne quiincarne le pouvoir souverain et se définit comme siège de l'autoritépolitique. C'est ce que Machiavel a admirablement compris.

2. Machiavel, dans un Rapport sur les choses de la France, qui datede 1510, écrit : « Les premières Universités sont quatre : Paris, Orléans,Bourges et Poitiers; ensuite viennent Tours et Angers, mais elles valentpeu » , in Machiavel, Œuvres complètes, Bibliothèque de la Pléiade, éd.1952, p. 145.

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INTRODUCTION 19

sans doute après celle de Bologne, où, depuis Irnérius3,les « maîtres es arts » cultivaient à la fois le droit romain etla philosophie — et même après celle, plus récente, dePadoue, où les glossateurs savaient allier le souci pratiqueà la science théorique. Néanmoins, l'Université d'Orléanss'illustre, dès la fin du XVe siècle, par des maîtres brillantsqui, mettant à profit les méthodes de travail de LaurentValla4, d'Ange Politien5 ou d'Alciat6, appliquent la phi-lologie et la connaissance de l'Antiquité à l'étude de lajurisprudence. Ils savent également l'importance du droitdans la société civile. Grâce à eux, l'Université d'Orléansest l'un des lieux où souffle un esprit nouveau. En suivantles modèles latins, elle réagit vivement contre les routineset les dogmes de la scolastique qui, par l'oubli des sources,avaient arraché la jurisprudence à ses voies naturelles. Lesprofesseurs Anne du Bourg7 et Charles Dumoulin 8 font

3. Irnérius, jurisconsulte italien ( 1050-1130) avait fondé à Bologne,vers 1084, une École de droit dite Y École des glossateurs qui est demeu-rée célèbre par ses travaux de haute érudition et s'est attachée à larénovation du droit romain.

4. Lorenzo Valla (1407-1457) est surtout connu par sa critiqued'Aristote et par un naturalisme dans lequel le fait est érigé en norme.L'important est, pour lui, de s'attacher à « ce qui est », non à « ce qui doitêtre ».

5. Ange Politien (1454-1494) est un érudit soucieux de droit public.6. André Alciat ( 1492-1550) fut professeur de droit romain à Avignon

et à Bourges avant de dispenser son enseignement dans les Universitésitaliennes de Pavie, Bologne et Ferrare. Ses célèbres Paradoxes, publiésen 1518, ont beaucoup fait pour le renouveau des études de droit à laRenaissance.

7. Anne du Bourg, professeur à l'Université d'Orléans et conseiller auParlement de Paris, était protestant. En présence du roi Henri II, il osablâmer les persécutions contre les huguenots. Il fut pendu et brûlé en1559. Son influence sur La Boétie fut certainement très grande ; il est fortprobable que le Discours de la servitude volontaire porte la marque decertaines de ses idées.

8. Charles Dumoulin ( 1500-1566) est celui d'entre les jurisconsultesde cette époque qui a préparé l'unification du droit avec le plus de force.

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20 DE LA SERVITUDE VOLONTAIRE

autorité en pratiquant déjà, dans la voie ouverte par Fran-çois Connan9 et Grégoire de Toulouse 10, l'exégèse juri-dique par laquelle ils commentent les divers titres du Codeet desPandectes n. Malgré quelques rivalités, ils partici-pent au renouveau juridique qui conduira un jurisconsultecomme Cujas12 à composer des traités synthétiques dedroit dont, un peu plus tard, Jean Bodin portera la méthodeà sa perfection I3.

La Boétie qui, à Orléans, eut pour condisciples F. Hot-man, H. Doneau, F. Pithou, fut l'un des plus brillantsétudiants. Sa connaissance des lettres latines, et, en parti-culier, de Cicéron, faisait merveille. Aussi obtint-il, le23 septembre 1553, le grade de licencié. A cette date, il adéjà écrit le Discours de la Servitude volontaire — ce quiprouve d'ailleurs que ses études juridiques n'occupaientpas toute son activité intellectuelle; la philosophie, l'his-toire, la philologie, la poésie... faisaient partie, tout autantque le droit, de ces humanités qui l'attiraient avec tant deforce. Quoi qu'il en soit, le roi Henri II lui accorda, avantl'âge légal — qui était alors de vingt-cinq ans — les lettres

9. François Connan, mort en 1551, a écrit des Commentaires de droitcivil qui firent autorité.

10. Grégoire de Toulouse, mort en 1597, manifesta un esprit desynthèse remarquable dans son Syntagma juris.

1 1 . La méthode exégétique mise en œuvre ne se borne pas à traiter dedifférents points de doctrine et d'érudition. L'interprétation grammati-cale des locutions juridiques, l'analyse sémantique des mots, l'explica-tion des difficultés archéologiques sont autant de procédés utilisés dansles commentaires. La réflexion philosophique, l'examen critique destextes et des idées, la recherche du fondement des lois, la confiance dansle raisonnement sont activement mis en œuvre pour la plus grande joieintellectuelle des étudiants et de leurs maîtres.

12. Le grand mérite du jurisconsulte Jacques Cujas ( 1522-1590) sera,à l'époque de La Boétie, de restituer au droit romain le sens qu'i lpossédait dans la société même où il s'était formé. Cette conjonction dudroit et de l'histoire est une idée qui sera chère à La Boétie.

13. Il faut surtout se reporter ici à la Juris universi Distributio qui futpubliée deux ans après Les Six Livres de la République. Toutefois, dès1576, donc l'année même de la parution de La République, le plan de la

Juris universi Distributio était établi et imprimé.

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INTRODUCTION 21

patentes qui, en date du 13 octobre 1553, l'autorisaient àacheter la charge de Conseiller14 laissée vacante parGuillaume de Lur au Parlement de Bordeaux. Comme LaBoétie était le neveu du Président de Calvimont et que, parson mariage tout récent, il se trouvait allié au PrésidentPierre de Carie, son entrée dans le monde parlementaire futaisée. Le 17 mai 1554, il fut donc admis, avec dispense etaprès examen, à prendre ses fonctions. Il prêta sermentdevant toutes les chambres assemblées. C'est à la Cour deBordeaux qu'il se liera d'une amitié célèbre avec Michelde Montaigne l5 qui devint, lui aussi, conseiller à la Couren 1557 16. Cette amitié, que seule explique, confie Mon-taigne l 7 ,1 ' « âme très belle » qui se cachait sous des traitsdépourvus de séduction, fut extraordinaire.

2. Le Parlement de Guyenne, que l'on appelait com-munément le Parlement de Bordeaux l8 bien que sa juri-diction s'étendît de Bayonne à Limoges, était, dans laFrance d'alors, le quatrième par ordre d'ancienneté, aprèsceux de Paris, Rouen et Toulouse; il avait été fondé en1462 par le roi Louis XI, précédant de peu celui du Dau-

14. François Ier. toujours à court d'argent dans son royaume, avaitétabli la vénalité des charges en matière de judicature.

15. Rappelons que Montaigne, né en 1533 — donc un peu plus jeuneque La Boétie — vivra jusqu'en 1593.

16. Montaigne demeura conseiller à la Cour jusqu'en 1570; aprèsquoi, il se retira sur la terre de Guyenne où il était né.

17. Cf. Les Essais, Livre III, chap. xii.18. Ce Parlement, après une rivalité assez tapageuse avec la Cour des

Aides de Périgueux, dut sa préséance d'abord à Pierre Eyquem deMontaigne, élu maire de Bordeaux en 1554, qui défendit toujours lesprérogatives de sa ville; puis, à la suite des protestations répétées desPrésidents de Bordeaux et de Montpellier, à l'arrêt de mai 1557 quisupprimait la Cour de Périgueux. Michel de Montaigne qui, lors del'élection de son père à la mairie de Bordeaux, lui avait succédé dans sacharge de conseiller à la Cour des Aides de Périgueux, fut en 1557,transféré au Parlement de Bordeaux avec les autres magistrats périgour-dins.

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phiné 19. Il était composé de plusieurs Chambres — En-quêtes, Requêtes, Grand Chambre, Tournelle —et, outreses Présidents à mortier20, comptait plusieurs dizaines deConseillers21. Tous les ordres y avaient accès. Institutionvénérable, il avait charge, en vertu d'une délégation dusouverain, de dispenser la justice royale, au criminel et aucivil, d'enregistrer les ordonnances du roi, de faire régnerl'ordre dans la province. Son office principal était desiéger comme Cour de justice souveraine, fonction parti-culièrement complexe à Bordeaux où la juridiction enappelait non seulement au droit français et au droit romain,mais aussi aux systèmes coutumiers du sud de la France.Le rôle de conseiller, quoique délicat et parfois fortcompliqué, n'y était pas de premier ordre et cela expliqueque, jusqu'en 1560, La Boétie, si brillant qu'il se montrât,n'ait point rempli de mission éclatante. Pour lui commepour Montaigne, on ne sait pas quels cas d'espèces il eut àrésoudre, peut-être parce que, volontairement, il tenait àne pas partager la superbe de nombre de ses collègues.

Cependant, au XVIe siècle, les Parlements commen-çaient à s'arroger un rôle politique assez spectaculaire pourque Machiavel y soit sensible. D'ores et déjà, ils se vou-laient, comme le dira plus tard Montesquieu, dépositairesdes lois fondamentales du royaume et gardiens des lois22.Ainsi le Parlement de Bordeaux fut entraîné, comme mal-gré lui, au fil des drames religieux qui secouaient le Midiaquitain où la Réforme s'étendait rapidement, à adopterune attitude en laquelle se confondaient le loyalisme mo-narchique et l'orthodoxie catholique. Ainsi, après avoircondamné à mort un prédicateur réformé, Bernard deBorda, et envoyé au bûcher deux jeunes hommes accusés

19. Cf. A. Communay, Le Parle ment de Bordeaux, Bordeaux, 1886.20. Montesquieu, par héritage de son oncle paternel, sera l'un d'eux

en 1716.21. A la veille de la Révolution, le Parlement de Bordeaux comptait

quatre-vingt-onze conseillers.22. L'Esprit de lois, Livre V, chap. x.

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INTRODUCTION 23

d'hérésie, Jean de Caze et Arnaud Monnier, il en vint, en1559, à vouer aux flammes un marchand de Bordeauxsoupçonné d'avoir été l'instigateur de la mutilation desstatues de la Vierge et de Jésus; en 1560, appliquant unÉdit royal qui interdisait aux huguenots de former desrassemblements, il exerça une répression féroce, sousprétexte de faire régner l'ordre.

Dans ce climat où les méthodes de persécution exaspé-raient les passions, La Boétie, en décembre 1560, se vitcharger d'une mission délicate auprès du roi et de sonConseil23. Il s'agissait officiellement de résoudre la ques-tion des émoluments des magistrats bordelais qui s'étaientfaits beaucoup d'ennemis parmi les autorités municipales.Mais il semble bien que, sous ce prétexte, se soit caché unproblème politique dans lequel la question religieuse, quidevenait de jour en jour plus brûlante, ait tenu une placenon négligeable24. En effet, le jeune Charles IX était unenfant de dix ans et la reine mère, Catherine de Médicis,qui avait la passion du pouvoir, s'était emparée de larégence en écartant de la succession au trône le premierprince du sang, Antoine de Bourbon. Cette Italienne, queBrantôme présente comme extrêmement superstitieuse ettoujours prête à consulter le célèbre astrologue Côme Rug-gieri, n'avait pas de convictions religieuses. Comme elleredoutait, chez les catholiques aussi bien que chez lesprotestants, les débordements et les violences des passionsreligieuses, elle inclina vers une politique d'apaisement enlaquelle elle écoutait volontiers les leçons de tolérance etde bienveillance du chancelier Michel de L'Hospital à qui,précisément, La Boétie rendit visite lors de sa mission à

23. A cette date, Charles IX, le second fils d'Henri II — celui-ci avaitété tué en juillet 1559, lors d'un tournoi au mariage de sa fille avecPhilippe II d'Espagne, veuf de Marie Tudor — vient juste d'accéder autrône après la mort de son frère aîné, François II, emporté en quinze jourspar une brusque maladie.

24. Anne du Bourg avait été condamné au bûcher en 1559 ; la conjura-tion d'Amboise, en mars 1560, avait donné lieu à un affreux massacre.

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TABLE

Chronologie 9

Introduction 15

/. La vie d'Etienne de la Boétie 17

//. L'œuvre de La Boétie 29A. Une œuvre diversifiée 30

1. La Boétie humaniste renaissant : traduc-tions et poésies

2. Le Discours de la servitude volontaireB. Problèmes de datation 36

1. La date de composition du Discours estincertaine

2. Quand le Discours devient le Contr'Un3. Les rééditions du Discours sont un destin

C. L'insertion du Discours dans le contexte del'époque 59

1. Un branle-bas de combat2. La Boétie et la rhétorique classique3. La Boétie et son temps : les événements

et les doctrines

///. L'analyse du Discours : de la lettre à l'esprit 77A. Des peuples en l'état de servitude 78

1. Une théorie de la nature humaine

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220 DE LA SERVITUDE VOLONTAIRE

2. Des causes de la servitude3. Les effets de la servitude

B. Le souffle de la liberté 991. Fax et lex2. L'intuition contractualiste3. Raison et liberté

a. Une éthique politiqueb. Le droit politique

ConclusionL'originalité de « l'humanisme » de La Boétie 117

Bibliographie 123

DISCOURS DE LA SERVITUDE VOLONTAIRE

Appendice 173Texte du Discours paru dans Le Réveille-Matindes Français et de leurs voisins, 1574 175

Article de A. Prévost-Paradol consacré au Dis-cours paru dans le Journal des Débats, 1859.... 187

Articles Tyran, Tyrannicide, Tyrannie du che-valier de Jaucourt pour Y Encyclopédie 207