diderot droit naturel

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  • 296 DROIT NATUREL. respect. N'y a-t-il pas aujourd'hui, au milieu du xvme sikcle, Palis, beaucoup de courage et de mrite fouler aux pieds les extravagances du paganisme? C'tait sous Nron qu'il tait beau de mdire de Jupiter; et c'est ce que les premiers hros du christianisme ont os, et ce qu'ils n'eussent point fait s'ils avaient t du nombre de ces gnies troits et de ces mes pusillanimes qui tiennent la vrit captive lorsqu'il y a quelque danger l'annoncer.

    DRANSES, S. m. pl. (Gbogr. ancienne.), anciens peuples de Thrace. On dit qu'ils s'amigeaient sur la naissance des enfants, et qu'ils se rjouissaient de la mort des hommes : la naissance &ait, selon eux, le commencement de la misre, et la mort en tait la fin. Il tait bien dinicile que les Dranses, qui regar- daient la vie comme un mal, se crussent obligs de remercier les dieux de ce prsent. Quoi qu'il en soit, l'opinion gnrale d'un peuple sur le malheur de la vie est moins une injure faite 8 la Providence qu'un jugement trks-svkre de la manire dont ce peuple est gouvern. Ce n'est pas la nature, c'est la tyran- nie qui impose sur la tte des hommes un poids qui les fait gmir et dtester leur condition. S'il y avait sur la surface de la terre un lieu oh les hommes redoutassent le mariage, et o les hommes maris se refusassent cette impulsion si puissante et si douce qui nous convie 8 la propagation de l'espce et 8 la production de notre semblable, pour se porter des actions illicites et peu naturelles, de peur d'augmenter le nombre des malheureux; c'est l que le gouvernement serait aussi mauvais qu'il est possible qu'il le soit.

    DROIT NATUREL (Morale.). L'usage de ce mot est si familier qu'il n'y a presque personne qui ne soit convaincu au dedans de soi-meme que la chose lui est videmment connue. Ce sen- timent intrieur est commun au philosophe et 8 l'homme qui n'a point rflchi; avec cette seule diffrence qu' la question: qu'est-ce que le droit? celui-ci, manquant aussitt et de termes et d'ides, vous renvoie au tribunal de la conscience et reste muet; et que le premier n'est rduit au silence et B des rflexions plus profondes, qu'aprks avoir tourn dans un cercle vicieux qui le ramne au point mme d'oh il tait parti, ou le jette dans quelque autre question non moins difficile 8 rsoudre que celle dont il se croyait dbarrass par sa dfinition.

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    Le philosophe interrog dit : le droit est le fondement ou la raison premiire de la justice. Mais qu'est-ce que la justice? c'est l'obligation de rendre chacun ce qui lui clppartient. Mais qu'est-ce qui appartient l'un plutt qu'l'autre dans un tat de choses o tout serait tous, et o peut-tre l'ide dis- tincte d'obligation n'existerait pas encore? et que devrait aux autres celui qui leur permettrait tout, et ne leur demanderait rien? C'est ici que le philosophe commence sentir que de toutes les notions de la morale, celle du droit naturel est une des plus importantes et des plus difficiles dterminer. Aussi croirions-nous avoir fait beaucoup dans cet article, si nous rus- sissions A tablir clairement quelques principes l'aide des- quels on pt rsoudre les difficults les plus considerables qu'on a coutume de proposer contre la notion du droit naturel. Pour cet effet, il est ncessaire de reprendre les choses de haut, et de ne rien avancer qui ne soit vident, du moins de cette vi- dence dont les questions morales sont susceptibles, et qui satis- fait tout homme sens.

    1. 11 est vident que si I'homme n'est pas libre, ou que si ses dterminations instantanes, ou mme ses oscillations, naissant de quelque chose de matriel qui soit extrieur son me, son choix n'est point l'acte pur d'une substance incorpo- relle et d'une facult simple de cette substance; il n'y aura ni bont ni mchancet raisonnes, quoiqu'il puisse y avoir bont et mchancetk animales; il n'y aura ni bien ni mal moral, ni juste ni injuste, ni obligation ni droit. D'o l'on voit, pour le dire en passant, combien il importe d'tablir solidement la ra- lit, je ne dis pas du volontaire, mais cle la libertd, qu'on ne confond que trop ordinairement avec le voloninire.

    2. Nous existons d'une existence pauvre, contentieuse, inquikte. Nous avons des passions et des besoins. Nous voulons tre heureux; et tout moment l'homme injuste et passionn se sent port6 faire a autrui ce qu'il ne voudrait pas qu'on lui ft lui-mme. C'est un jugement qu'il prononce au fond de son me, et qu'il ne peut se drober. 11 voit sa mchancet, et il faut qu'il se l'avoue, ou qu'il accorde chacun la mme autorit qu'il s'arroge.

    3. Nais quels reproches pourrons-nous faire l'homme tourment par des passions si violentes, que la vie m6me lui

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    devient un poids onreux s'il ne les satisfait, et qui, pour acqurir le droit de dispoaer de l'existence des autres, leur abandonne la sienne? Que lui rpondrons-nous, s'il dit intrpi- clement : Je sens que je porte l'pouvante et le trouble au milieu de l'espce humaine; mais il faut ou que je sois malheu- reux, ou que je fasse le malheur des autres; et personne ne m'est plus cher que je me le suis B moi-mme. Qu'on ne me reproche point cette abominable prdilection; elle n'est pas libre. C'est la voix de la nature qui ne s'explique jamais plus fortement en moi que quand elle me parle en ma faveur. Mais n'estrce que dans mon cur qu'elle se fait entendre avec la mme violence! O hommes! c'est & VOUS que j'en appelle : Quel est celui d'entre vous qui, sur le point de mourir, ne rach- terait pas sa vie aux dpens de la plus grande partie du genre humain, s'il tait sr de l'impunit et du secret? Mais, conti- nuera-t-il, je suis quitable et sincre. Si mon bonheur demande que je me dfasse de toutes les existences qui me seront impor- tunes, il faut aussi qu'un individu, quel qu'il soit, puisse se dfaire de la mienne s'il en est importun. La raison le veut, et j'y souscris. Je ne suis pas assez injuste pour exiger d'un autre un sacrifice que je ne veux point lui faire. 1)

    4. J'aperqois d'abord une chose qui me semble avoue par le bon et par le mchant, c'est qu'il faut raisonner en tout, parce que l'homme n'est pas seulement un animal, mais un animal qui raisonne ; qu'il y a par consquent dans la question dont il s'agit des moyens de dcouvrir la vrit; que celui qui refuse de la chercher renonce la qualit d'homme, et doit tre trait par le reste de son espce comme une bte farouche; et que la vrit une fois dcouverte, quiconque refuse de s'y con- former est insens ou mchant d'une mchancet morale.

    5. Que rpondrons-nous donc & notre raisonneur violent, avant que de l'touffer? Que tout son discours se rduit savoir s'il acquiert un droit sur l'existence des autres en leur aban- donnant la sienne; car il ne veut pas seulement tre heureux, il veut encore tre quitable, et par son quit carter loin de lui l'pithte de mchant; sans quoi il faudrait l'Stouffer sans lui rpondre. Nous lui ferons donc remarquer que quand bien mme ce qu'il abandonne lui appartiendrait si parfaitement qu'il en pt disposer Lt son gr, et que la condition qu'il pro-

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    pose aux autres leur serait encore avantageuse, il n'a aucune autorit lgitime pour la leur faire accepter; que celui qui dit : je veux vivre, a autant de raison que celui qui dit : j e veuz mourir; que celui-ci n'a qu'une vie, et qu'en l'abandonnant il se rend matre d'une infinit de vies; que son change serait peine quitable, quand il n'y aurait que lui et un autre mchant sur toute la surface de la terre; qu'il est absurde de faire vou- loir d'autres ce qu'on veut, qu'il est incertain que le pril. qu'il fait courir son semblable soit gal celui auquel il veut bien s'exposer; que ce qu'il permet au hasard peut n'tre pas d'un prix proportionne ce qu'il me force de hasarder; que la question du droit naturel est beaucoup plus complique qu'elle ne lui parat; qu'il se constitue juge et partie, et que son tri- bunal pourrait bien n'avoir pas la comptence dans cette affaire.

    6. Mais si nous tons l'individu le droit de decider de la nature du juste et de l'injuste, o porterons-nous cette grande question? O? Devant le genre humain; c'est lui seul qu'il appartient de la dcider, parce que le bien de tous est la seule passion qu'il ait. Les volonts particulires sont suspectes; elles peuvent tre bonnes ou mchantes, mais la volont gnrale est toujours bonne; elle n'a jamais tromp, elle ne trompera jamais. Si les animaux etaient d'un ordre peu prs gal au ntre, s'il y avait des moyens srs de communication entre eux et nous; s'ils pouvaient nous transmettre videmment leurs sen- timents et leurs penses, et connatre les ntres avec la mme vidence; en un mot, s'ils pouvaient voter dans une assemblee gnrale, il faudrait les y appeler ; et la cause du droit naturel ne se plaiderait plus par devant l'humanit, mais par devant l'animalit. Mais les animaux sont spares de nous par des bar- rires invariables et ternelles; et il s'agit ici d'un ordre de connaissances et d'ides particulires A l'espce humaine, qui manent de sa dignitlet qui la constituent.

    7. C'est la volont gnrale que l'individu doit s'adresser pour savoir jusqu'ob il doit tre homme, citoyen, sujet, pkre, enfant, et quand il lui convient de vivre ou de mourir. C'est elle fixer les limites de tous les devoirs. Vous avez le droit naturel le plus sacr a tout ce qui ne vous est point contest par l'espce entire. C'est elle qui vous clairera sur la nature

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    de vos penses et de vos dsirs. Tout ce que vous concevrez, tout ce que vous mditerez sera bon, grand, lev, sublime, s'il est de l'intrbt gnral et commun. Il n'y a de qualit essen- tielle votre espce que celle que vous exigez dans tous vos semblables pour votre bonheur et pour le leur. C'est cette con- formit de vous A eux tous et d'eux tous A vous qui vous mar- quera quand vous sortirez de votre espce, et quand vous y resterez. Ne la perdez donc jamais de vue, sans quoi vous ver- rez les notions de la bont, de la justice, de l'humanit, de la vertu, chanceler dans votre entendement. Dites-vous souvent : Je suis homme, et je n'ai d'autres droits naturels vritablement inalinables que ceux de l'humanit.

    8. Xais, direz-vous, o est le dpbt de cette volont gn- rale ; o pourrai-je la consulter?. . . Dans les principes du droit crit de toutes les nations polices; dans les actions sociales des peuples sauvages et barbares; dans les conventions tacites des ennemis du genre humain entre-eux, et mme dans l'indi- gnation et le ressentiment, ces deux passions que la nature stmible avoir places jusque dans les animaux pour suppler au dfaut des lois sociales et de la vengeance publique.

    9. Si vous mditez donc attentivement tout ce qui prcde, vous resterez convaincu ; 10 que l'homme qui n'coute que sa volont particulire est l'ennemi du genre humain; 2" que la volont gnrale est dans chaque individu un acte pur de l'entendement qui raisonne dans le silence des passions sur ce que l'homme peut exiger de son semblable, et sur ce que son semblable est en droit d'exiger de lui; 3 O que cette considra- tion de la volont gnrale de l'espce et du dsir commun est la rgle de la conduite relative d'un particulier un par- ticulier dans la mme socit, d'un particulier envers la socit dont il est membre, et de la socit dont il est membre envers les autres socits; bo que la soumission la volont gnrale est le lien de toutes les socits; sans en excepter celles qui sont formes par le crime. Hlas! la vertu est si belle, que les voleurs en respectent l'image dans le fond mme de leurs cavernes ! 5 O que les lois doivent tre faites pour tous et non pour un; autrement cet tre solitaire ressemblerait au raison- neur violent que nous avons toui dans le paragraphe 5; 6 O que, puisque des deux volonts, l'une gnrale et l'autre

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    particulire, la volont gnrale n'erre jamais, il n'est pas di%- cile de voir & laquelle il faudrait, pour le bonheur du genre humain, que la puissance lgislative appartnt, et quelle vn- ration l'on doit aux mortels augustes dont la volont particu- lire runit et l'autorit et l'infaillibilit de la volont gnrale; 70 que quand on supposerait la notion des espces dans un flux perptuel, la nature du droit naturel ne changerait pas, puis- qu'elle serait toujours relative & la volont gnrale et au dsir commun de I'espce entire; 8" que l'quit est la justice comme la cause est son effet, ou que la justice ne peut tre autre chose que l'quit dclare; 90 enfin, que toutes ces con- squences sont videntes pour celui qui raisonne, et que celui qui ne veut pas raisonner, renonant la qualit d'homme, doit tre trait comme un tre dnatur.

    DRUSES, S. m. pl. (Hist. el Gtog. mod.), peuples de la Palestine. Ils habitent les environs du mont Liban. Ils se disent chrtiens; mais tout leur christianisme consiste & parler avec respect de Jsus et de Marie. Ils ne sont point circoncis. Ils trouvent le vin bon et ils en boivent. Lorsque leurs filies leur plaisent, ils les pousent sans scrupule. Ce qu'il y a de singulier, c'est qu'on les croit Franais d'origine, et qu'on assure qu'ils ont eu des princes de la maison de Maan en Lorraine. On fait l-dessus une histoire qui n'est pas tout fait sans vraisemblance. Si les pkres n'ont aucune rpu- gnance It coucher avec leurs filles, on pense bien que les frres ne sont pas plus difficiles sur le compte de leurs surs. Ils n'aimaient pas le jene. La prire leur paraEt superflue. Ils n'attachent aucun mrite au plerinage de la Mecque. Du reste, ils demeurent dans des cavernes; ils sont trs-occups, et con- squemment assez honntes gens. Ils vont arms du sabre et du mousquet dont ils ne sont pas maladroits. Ils sont un peu jaloux de leurs femmes, qui seules savent lire et crire parmi eux. Les hommes se croient destins par leur force, leur cou- rage, leur intelligence, b quelque chose de plus utile et de plus relev que de tracer des caractres sur du papier; et ils ne conoivent pas comment celui qui est capable de porter une arme peut s'amuser tourner les feuillets d'un livre. Ils font commerce de soie, de vin, de bl et de salptre. Ils ont eu des dmls avec le Turc qui les gouverne par des mirs qu'il fait

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