Dictionnaire des idées

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Dictionnaire des idees - Encyclopaedia Universalis

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  • Ouvrage ralis par les services ditoriaux et techniques dEncyclopaedia Universalis

    ISBN : 978-2-85229-934-4

    Encyclopaedia Universalis France S.A., 2012

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  • Abstraction, arts

    Labstraction est un concept philosophique qui a connu un grand dveloppement dans la pense de laseconde moiti du XIXe sicle, travers diffrents domaines (pistmologie, psychologie, esthtique). Audbut du XXe sicle, il a t associ troitement aux changements radicaux qui se sont produits dans lesarts, et dans la peinture en particulier, et a fini par dsigner un art qui ne contient aucun rappel, aucunevocation de la ralit observe, que cette ralit soit ou ne soit pas le point de dpart de lartiste , ainsique la dfini Michel Seuphor, principal animateur de la revue Cercle et carr, en 1931, dans sonimportante histoire de lart abstrait (1949). ce titre, on emploie souvent les expressions art abstrait , abstraction , art non figuratif , art non objectif comme synonymes, bien que leurs acceptions nese recouvrent quen partie.

    Labstraction avant lavnement de lart abstrait

    Le concept dabstraction traverse presque toute lhistoire de la philosophie occidentale, dAristote(IVe sicle av. J.-C.) au Wiener Kreis (cercle form Vienne autour du physicien Moritz Schlick en1923), en passant par le Moyen ge (avec la querelle des universaux), et lpoque moderne (avec larflexion sur les ides gnrales). partir de la fin du XIXe sicle, lide dabstraction devient trsimportante pour rendre compte du fonctionnement de lesprit humain dans la pense scientifique et danslapproche psychologique de la pense en gnral. La fortune qua connue la notion dabstraction en art, partir du dbut du XXe sicle, est insparable de son essor dans les domaines qui viennent dtre voqus,mais elle est aussi due ses acceptions esthtiques et artistiques, acquises au XIXe sicle.

    En effet, comme notion esthtique, abstraction figure ds 1843 dans le premier volume duDictionnaire encyclopdique des beaux-arts (Conversationslexicon fr bildende Kunst, 1843-1857) delarchitecte et critique Johannes Andreas Romberg, pour dsigner lactivit mentale par laquelle on neretient dans la formation des uvres dart que ce qui correspond au but artistique dtermin, en laissantle reste hors de considration . Sur le plan artistique, le terme faisait partie vers 1880 du vocabulairetant des peintres que des historiens et des critiques dart, avec des acceptions varies. Depuis la fin duXVIIIe sicle, il tait en effet associ au beau idal, parfois en troite liaison (comme chez le peintreallemand Anton Raphael Mengs, 1728-1779) avec la formation des ides abstraites dans le langage.Aussi en est-il venu dsigner par analogie lidalisme en art : de mme que le concept abstrait faitlittralement abstraction des dtails et des accidents pour dsigner lide gnrale (le concept deblancheur et non des objets blancs), de mme, luvre dart devrait avoir pour but de slever au-dessusdes accidents de la nature, pour viser directement lessence. Cet idalisme constitue lune des sourcesde la conception essentialiste de lart abstrait que dvelopperont certains artistes au XXe sicle.Cependant, abstrait et abstraction taient galement des termes datelier utiliss par certainspeintres pour qualifier leur pratique ou les ides qui la sous-tendent. Ainsi, pour Gauguin par exemple,labstraction dsignait notamment une uvre faite de mmoire, et non plus devant le motif.

    Il apparat donc important de prendre en compte la protohistoire de labstraction en art, si lon veutcomprendre les enjeux de lart abstrait sans sen tenir lide suivant laquelle il aurait surgi dun seulcoup. cet gard, la fameuse anecdote raconte par Wassily Kandinsky le peintre aurait dcouvert que lobjet nuisait ses uvres en contemplant dans son atelier un tableau dune beaut indescriptible

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  • [...] dont le sujet tait incomprhensible , et qui savra tre une de ses propres toiles pose de ctcontre un mur , cette anecdote, donc, livre ds 1913 dans ses Regards sur le pass (trad. fran., 1974),a fait beaucoup de tort en laissant entendre que l origine de lart abstrait serait accidentelle.

    cette dcouverte due au hasard, on associe gnralement une autre source de lart abstrait dansles rflexions thoriques de lhistorien de lart allemand Wilhelm Worringer (1881-1965), qui voyaitdans labstraction une des deux principales tendances de lart, lautre tant lEinfhlung terme dont latraduction approximative est empathie (Abstraction et Einfhlung : contribution la psychologie dustyle, 1908, trad. fran., 1978). Or cet ouvrage, publi quelques annes avant que napparaissent lespremires toiles abstraites, na cependant eu quune influence trs limite, voire nulle, sur les pionniersde lart abstrait.

    Labstraction en art, une notion ambigu

    Ds le XIXe sicle, la notion dabstraction tait utilise en art avec des connotations parfois radicalementopposes, comme lorsque le terme servait simultanment qualifier, et pour le revendiquer, et pour lecritiquer, lidalisme en art. De plus, si en Allemagne la notion, dans ses diffrentes acceptions, avait uneconnotation favorable, en revanche, lacception pjorative finit par lemporter en France, au point quecertains critiques favorables lart moderne (comme Apollinaire) viteront de lutiliser. Lambigutsmantique du terme tient en partie au fait que, si abstraire signifie en ce sens retenir certains aspects (parexemple du motif) en faisant littralement abstraction du reste, cette opration dabstraction peut treconsidre comme positive ou ngative suivant le point de vue adopt.

    Une autre source dambigut est que, depuis toujours, abstrait a t oppos concret , ce qui adonn lieu de durables malentendus. Dans une Lettre un groupe de jeunes artistes de Paris , publiepar Le Courrier du dimanche le 25 dcembre 1861, Gustave Courbet vilipendait labstraction assimile lidalisme, et revendiquait pour la peinture une approche matrialiste du concret. En ce sens, ilanticipait largement sur les vifs dbats qui auront lieu dans les annes 1930 autour du terme abstrait ,avec la proposition corollaire de lui substituer lexpression art concret , comme le fit le peintre etthoricien de lart Theo Van Doesburg dans son manifeste de 1930, Base de la peinture concrte .

    Lanne suivante, dans les Cahiers dart, Jean Arp rcidivait, propos dart abstrait , en unedclaration devenue clbre : Lhomme appelle abstrait ce qui est concret. [...] Je comprends quonnomme abstrait un tableau cubiste, car des parties ont t soustraites lobjet qui a servi de modle cetableau. Mais je trouve quun tableau ou une sculpture qui nont pas eu dobjet pour modle sont toutaussi concrets et sensuels quune feuille ou une pierre. Largument, assez frappant, est en fait double.Dune part, il vise insister sur le caractre concret de lart dit abstrait , et ce juste titre. Car denombreux peintres reprochaient lart abstrait dtre dessch ou crbral, et de produire des formescoupes des sens et de lmotion. Parler plutt dart concret Kandinsky adoptera lui-mme un tempslexpression peinture concrte avait notamment pour avantage de contrecarrer lopinion souventngative attache lart abstrait, dont le terme tait en partie responsable.

    Dautre part, lambigut de la notion tient aussi la dfinition de labstraction suivant laquelle,comme le notait Arp dans le paragraphe cit, des parties ont t soustraites lobjet qui a servi demodle au tableau. En ce sens, toute uvre figurative constitue une abstraction, puisque lon abstraitlittralement des dtails de lobjet ou de la scne reprsente. Or si largument a t utilis frquemment

  • dans les nombreuses tentatives effectues pour donner lart abstrait ses lettres de noblesse, en annexantun vaste pan de lart universel, de la prhistoire aux arts primitifs, il a aussi t retourn contre lespartisans de lart abstrait. Car si, la limite, toute uvre dart est le rsultat dun processusdabstraction, lart abstrait perd alors toute spcificit. Comme le dclarait Matisse Andr Verdet en1952 : Il ny a pas un art abstrait. Tout art est abstrait en soi quand il est lexpression essentielledpouille de toute anecdote. Mais ne jouons pas sur les mots. Il est cependant difficile de se rendre cette injonction, tant la notion, en raison de ses nombreuses connotations, sy prte.

    Une dernire raison des multiples querelles terminologiques qui ont fait rage autour de lidedabstraction en art tient au fait quil sagit dun terme gnral, certes indispensable pour qualifierlensemble des tendances de lart abstrait, mais insuffisant pour la mme raison, la plupart des peintresconcerns ne pouvant y reconnatre la spcificit de leur pratique. De plus, ds que lart abstraitdeviendra une mode, les principaux pionniers et les artistes les plus novateurs auront cur de sendmarquer. Le fait explique ce qui, sinon, ne laisserait pas de surprendre : en effet, nombre de peintresont refus le label art abstrait pour en forger un autre, afin de rendre mieux compte de leuridiosyncrasie. Pour Kasimir Malvitch, ce sera suprmatisme (1916) ; pour Piet Mondrian, no-plasticisme (1921) ; et la fin des annes 1930, Robert Delaunay qualifiera son art d inobjectif ...

    Les principaux pionniers

    Llaboration de la notion dabstraction en art sest faite peu peu et a connu bien des pripties. Entmoigne le cas de Kandinsky, qui a rdig Du spirituel dans lart (1912, trad. fran., 1949) avant decommencer peindre des toiles non figuratives. Cest la raison pour laquelle art abstrait dsignedabord pour lui un art dans lequel dominent les lments plastiques, sans que la reprsentation de lobjetsoit pour autant limine comme dans La Musique (1909) de Matisse. Cela explique galementpourquoi, lorsquil voudra par la suite se rfrer lart non figuratif, Kandinsky parlera dart purementabstrait , afin de le distinguer de lacception qui vient dtre indique. Aprs lavnement de lart nonfiguratif, Kandinsky continuera de sen faire le porte-parole travers de nombreuses publications.

    La rflexion thorique de Mondrian a connu moins dhsitations, car il a commenc crire sur lart en1917, un moment o lart abstrait existait dj et o il commenait lui-mme en produire. Un desprincipaux apports de ses premiers textes a t doprer une distinction entre abstrait et abstraction , jusqualors souvent confondus. Abstraction , ses yeux, garde son vieux sens de cequi a t abstrait de la nature, laquelle il continue donc de renvoyer. Le terme dsigne aussi lespremiers efforts de Mondrian lui-mme pour atteindre lart abstrait, par schmatisation et gomtrisation.Mais une fois ce rsultat obtenu, les uvres suivantes ne renvoient plus la nature et deviennentautonomes. Do la ncessit dun autre terme pour les qualifier : ce sera abstrait , ladjectif ne faisantplus rfrence, contrairement au substantif, au fait davoir t tir de . Do galement sa conceptiondu no-plasticisme comme dun art purement abstrait, au sens o la Beaut purement abstraite [...] devrasexprimer exclusivement par des lignes, des plans, des volumes et des couleurs qui se manifesteront parleurs qualits intrinsques et non par leurs capacits dimitation reprsentative ( Art/Puret +Abstraction, dans Vouloir, no 19, mars 1926). Il est noter que Mondrian sopposera trs tt lide delart abstrait comme activit crbrale coupe de toute ralit : ses yeux, le no-plasticisme est abstrait-rel , au sens o il sagit datteindre lessence des choses et o la peinture abstraite constitueune nouvelle ralit, celle des rapports purs.

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  • Malvitch, quant lui, est rest lcart de ces querelles terminologiques, pour des raisonslinguistiques. Sexprimant en russe, il a fait usage dun terme sans quivoque, bespredmetnyi, qui signifielittralement qui na pas dobjet et qualifie fort bien son fameux Carr noir (1915). La publication enallemand de son livre Die gegenstandlose Welt (Le Monde non objectif, 1927) a fait beaucoup pourrpandre dans le vocabulaire artistique ladjectif gegenstandlos, qui a la mme extension smantique queson quivalent russe. Dans les langues ne disposant pas dun suffixe privatif, ladjectif a t traduit par lenologisme non objectif . Malvitch a souvent dcrit le suprmatisme en rfrence la toileemblmatique de la rupture radicale quil a introduite : Le suprmatisme presse toute la peinture dansun carr noir sur une toile blanche (dans Les Ismes de lart, dit par E. Lissitzky et J. Arp, 1925).

    Dveloppements ultrieurs

    Aprs luvre thorique et pratique des pionniers, la notion dabstraction en art a connu de nombreuxdveloppements, surtout dans la priode 1945-1955, tant en Europe qu New York. De nombreux dbatsse focalisent autour de lopposition figuration/non-figuration. Ainsi saffrontent longtemps les partisansdune conception radicalement non objective de lart abstrait, et ceux qui, rejetant cette position jugedogmatique, rcusent lopposition entre figuration et non-figuration. Ces querelles, dans lesquelles ledbat sest souvent enlis, ne doivent pas nous faire perdre de vue limportance de lide dabstractionen art.

    Car si lart abstrait a perdu la lgitimation que lui donnaient lattrait du nouveau et lappartenance auxavant-gardes historiques, il nen a pas moins boulevers en profondeur et la peinture, et la thorie delart. La premire en introduisant cette rupture par laquelle il ne sagit plus dimiter le monde extrieur,mais dengendrer des rapports de lignes et de couleurs qui soient eux-mmes leur propre fin, etconstituent des signes part entire (ce qui implique aussi une dimension smantique). La seconde, car ila modifi de faon durable jusqu la faon de penser de ses adversaires, comme le notait avecpntration Meyer Schapiro ds 1937 dans La Nature de lart abstrait (trad. fran. dans LArtabstrait, 1996). Il nous a appris regarder autrement lart figuratif, comme constitu galement de ligneset de couleurs, et a libr ainsi lart tout entier, mettant en avant ses composantes plastiques, occultesjusqualors derrire la mise en avant de ses aspects iconiques. Do leffet libratoire pour les pratiquesvisant lexclusion de tout signifi extra-pictural , comme le note le peintre Albert Ayme dans lecatalogue de sa rtrospective lcole nationale suprieure des beaux-arts Paris, en 1992.

    De nos jours, si lart abstrait a perdu limportance quil a eue en tant quavant-garde historique, il nenest pas moins toujours vivant et lorsquil nest pas rduit une citation stylistique, il continue desenrichir de nouveaux apports. On a pu suggrer ce propos de parler plutt de post-abstraction (comme le fait Christine Buci-Glucksmann dans Rue Descartes, no 16, Pratiques abstraites, en 1997)pour qualifier les pratiques abstraites de la fin du XXe sicle. Cependant, bien que labstraction ait ttroitement associe au modernisme, elle ne sy rduit pas, de sorte que la notion dabstraction commeterme gnrique, et non pas valuatif garde toute sa pertinence pour qualifier des pratiques nonfiguratives ou non objectives.

    Georges ROQUE

    Bibliographie

  • W. KANDINSKY, Du spirituel dans lart et dans la peinture en particulier, d. tablie et prsente parP. Sers, trad. de lallemand par N. Debrand et du russe par B. du Crest, coll. Folio Essais, Gallimard,Paris, 1989 (d. or. 1912)S. LEMOINE & P. ROUSSEAU, Aux origines de labstraction, 1800-1914, catal. expos., Muse dOrsay-Runion des muses nationaux, Paris, 2003K. MALVITCH, crits, trad. du russe par A. Robel et prsents par A. Nakov, Ivra, Paris, 1996P. MONDRIAN, The New Art - The New Life : The Collected Writings of Piet Mondrian, textesrassembls et traduits du hollandais par H. Holtzmann et M.S. James, Da Capo Press, New York, 1993G. ROQUE, Quest-ce que lart abstrait ? Une histoire de labstraction en peinture (1860-1960) , coll.Folio Essais, Gallimard, 2003M. SEUPHOR & M. RAGON, LArt abstrait, 4 vol., A. Maeght, Paris, 1971-1974.

    Voir aussi Dmatrialisation de l'uvre d'art Manifeste, arts et littrature Modernit et modernisme, arts

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  • Acadmies

    Le terme acadmie vient du grec akadmia qui dsigne dabord le jardin dAkadmos, Athnes, danslequel Platon, au IVe sicle avant J.-C., dlivrait son enseignement, puis par extension lcole de Platonelle-mme. Lorsque lAcadmie franaise est cre en 1635, elle se place donc sous le patronagesymbolique des Anciens, et en hritire dune institution qui fait rfrence dans la culture europenne.Mais cest lItalie du XVe sicle qui lui fournit son modle principal. la suite de lAccademia platonicaforme autour de Marsile Ficin et Pic de la Mirandole en 1462 Florence, nombre de socits savantessy sont cres dans le but de rassembler et de diffuser les connaissances. Tandis que certaines ont unevise encyclopdique propre lhumanisme du temps, dautres sattachent un domaine prcis dusavoir : lAccademia della Crusca, fonde Florence en 1583 linitiative de Leonardo Salviati, seconsacre la promotion du toscan. Des dizaines dacadmies verront par la suite le jour en Italie.

    Une instance normative

    Cest dans le sillage de cette institution que se place lAcadmie franaise. lorigine de sa cration, ily a en effet le dsir, manifest par le cardinal de Richelieu, dunifier et de normaliser la langue et lalittrature nationales. ct des lieux mondains ou privs dlaboration de modles de communication etde savoir, que sont les salons et les cabinets, le ministre de Louis XIII veut mettre en place une instancepublique en charge de ce champ. Pour cela, il sappuie sur un groupe dhommes de lettres dj formdepuis 1629 linitiative de Valentin Conrart, qui deviendra le premier secrtaire perptuel delAcadmie franaise. Ce cabinet, auquel appartiennent Jean Chapelain et Guez de Balzac, est dot destatuts et officialis par lettres patentes du roi. Sa mission est de rdiger un dictionnaire, une grammaire,une potique et une rhtorique. Seul le dictionnaire verra le jour, mais tardivement, en 1694, alors quedautres ouvrages rpondant au mme besoin auront dj eu le temps de paratre. Cest davantage loccasion de querelles et de polmiques littraires que la nouvelle institution trouvera exercer sonautorit et ses comptences. Ainsi, la querelle du Cid de 1637 constitue le vritable acte de naissance delAcadmie franaise, qui est amene intervenir pour trancher le conflit qui oppose Corneille sesdtracteurs. Lauteur se rclame du succs public de son uvre pour rpondre aux attaques portant sur sanon-conformit aux rgles hrites des potiques antiques. Le jugement de lAcadmie fait rfrence enmettant en place une orthodoxie aristotlicienne et contribue, au mme titre que les salons ou la cour, fixer le canon de ce que les romantiques appelleront bien plus tard le classicisme .

    Ds sa premire intervention et conformment son hritage tymologique, linstitution joue un rle deconservation de la tradition. Cette valorisation de modles passs, qui ne stimule pas le renouvellementdes formes et des pratiques, provoque trs vite de vives ractions critiques, souvent satiriques : en 1650,Saint-vremond publie une Comdie des acadmistes ; en 1658, Furetire reprsente lAcadmie enville fortifie enfermant la Princesse Rhtorique protge par ses quarante barons. Mais le mouvementdofficialisation se dveloppe avec la cration de plusieurs autres acadmies : de peinture et de sculptureen 1648, des sciences en 1666, de musique en 1669, darchitecture en 1672. La France joue en outre lerle de modle pour dautres pays europens, qui se dotent leur tour dinstitutions vocation savante :lAngleterre fdre divers groupes en une Royal Society for the Advancement of the Sciences en 1662 ; laPrusse met en place lAcadmie de Berlin en 1700.

  • Naissance dune politique culturelle

    En crant une institution de juridiction en matire linguistique, Richelieu entend poursuivre leffortdunification du pays dj entam avec lordonnance de Villers-Cotterts qui, en 1539, remplaait le latinpar le franais dans les documents administratifs. La politique culturelle du cardinal ne peut donc trespare de sa politique intrieure. En unifiant et en contrlant la langue, il rend possible la constitutiondune identit nationale, quil peut tenter dorienter son gr. Les lettres patentes de 1635 affirmentdailleurs que la nouvelle institution a pour but de servir la gloire et lembellissement de la France .De fait, la mise en rseau dun ensemble dacadmies rgionales contribue largement diffuser lapratique dun franais commun. Mais ce processus dunification ne va pas sans la mise en formeprogressive dun mythe de la grandeur nationale, qui passe par la matrise dune langue strictementnorme, jouant comme instrument de lgitimation intellectuelle et sociale. La langue rglemente parlAcadmie franaise des premiers temps est celle de lhonnte homme, en lequel sallient finesse dugot, lgance du langage et modration des opinions. partir de l, linstitution a connu au cours de sonhistoire un recrutement socialement trs homogne. Cest pourquoi elle a souvent fonctionn comme agentde conservation non seulement littraire, mais aussi morale, politique, et sociale.

    Parce quelle est une instance publique de lgislation et de lgitimation en matire littraire,lAcadmie franaise a des consquences paradoxales pour l e s crivains. En leur offrant un statutofficiel, elle leur apporte une reconnaissance quils navaient pas et, en faisant office de mcne, ellerend possible pour eux une autonomie nouvelle. Non seulement ces hommes de lettres peuvent vivre deleur pratique littraire, mais ils sont aussi librs de la dpendance qui les liait au bon vouloir de leursprotecteurs. En contrepartie, linstitution assujettit la sphre littraire au pouvoir. La cration delAcadmie franaise constitue autant lacte de naissance dun champ littraire autonome que la mise enplace dune mainmise de ltat sur la littrature. Louis XIV devient dailleurs lui-mme protecteur delinstitution, quil installe au Louvre, en 1672. Les sances dintronisation sont rendues publiques etapparaissent comme de vritables crmonies de conscration dun auteur par le pouvoir. Or les choixnont pas toujours t conformes aux valeurs tablies par la critique littraire : mile Zola sy estprsent vingt-quatre fois sans succs. Le nombre des acadmiciens est fix quarante depuis 1639, etleur lection se fait par cooptation.

    La logique qui prside la cration de lAcadmie franaise est dabord celle de la mise en placedune norme qui rende possible la vie en commun. Mais son fonctionnement et son dveloppement ontsouvent orient ses jugements vers la sacralisation dun modle unique, qui aboutit lexclusion de touteautre forme de pratique. Ceux qui nont pas adhr ce modle ont donc souvent vu dans linstitution unlieu par nature antithtique de la littrature, entendue dans son sens romantique de pratiquervolutionnaire, fonde sur une mise en uvre de la transgression, ou de lcart. notre poque, lespolmiques souleves en France par les rformes de lorthographe sont le signe des enjeux la foispolitiques et identitaires qui sont encore inscrits dans la langue et sa pratique. LAcadmie franaise resteainsi au cur de conflits pisodiques, qui font apparatre une scission idologique entre desconservateurs et des novateurs, ranimant rgulirement lancienne querelle des Anciens et des Modernes.

    Tiphaine KARSENTI

    Bibliographie

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  • M. FUMAROLI, Trois Institutions littraires [1986], Gallimard, Paris, 1994H. MERLIN-KAJMAN, LExcentricit acadmique, Les Belles Lettres, Paris, 2001A. VIALA, Naissance de lcrivain, Minuit, Paris, 1985F. YATES, Les Acadmies en France au XVIe sicle [1947], P.U.F., Paris, 1996.

    Voir aussi Art potique, littrature Salons littraires, littrature

  • Acadmisme, arts

    Le terme acadmisme nest apparu en France que dans le dernier quart du XIXe sicle (en 1876, selon ledictionnaire), pour dsigner une observation troite des traditions acadmiques , un classicismetroit . Il vient ainsi rejoindre ladjectif acadmique , entendu en un sens tardif, pjoratif et non plussimplement descriptif, comme il ltait lorigine, lorsquil marquait la relation une acadmie. Apparuen 1839, ce sens renvoie ce qui suit troitement les rgles conventionnelles, avec froideur ouprtention synonyme en cela de compass , conventionnel .

    Cette approche smantique permet de constater, dune part, que le terme possde demble uneconnotation nettement ngative ; dautre part, quil est largement postrieur la cration des acadmies ds le XVIe sicle en Italie, et dans le courant du XVIIe en France (1635 pour lAcadmie franaise, 1661pour lAcadmie royale de peinture et de sculpture, 1666 pour lAcadmie des sciences). Cest dire quilsignale plutt le dclin du systme acadmique, ou du moins le moment o son crdit, au mieux, serelativise, au pire, seffondre.

    De lacadmie...

    Le mouvement acadmique, si puissant la Renaissance et lge classique, ne laissait nullementprsager une si funeste inflexion. Cres lorigine sur le modle de lakademia de Platon, lesacadmies permirent des lettrs, des savants et des artistes de mettre en commun leursconnaissances et de donner un minimum dinstitutionnalisation leurs activits, sans tre soumis auxcontraintes de luniversit ni la superficialit des salons mondains. Elles aidrent galement des artsconsidrs traditionnellement comme mcaniques , donc infrieurs, revendiquer un niveau libral , digne de lattention des meilleurs esprits. Certaines dentre elles purent mme se mnager unsoutien du pouvoir politique, auquel elles confraient en retour un supplment de prestige et rendaient,accessoirement, quelques services.

    Cette acadmisation des activits intellectuelles et artistiques saccompagna dun doublemouvement de professionnalisation. Pour les sciences et les lettres, traditionnellement librales , ellemarqua une sortie de lamateurisme, vers un mode dactivit plus spcialis et rmunr. Pour lapeinture, la sculpture, larchitecture, rputes mcaniques , elle permit le basculement du rgimeartisanal celui du mtier au rgime professionnel celui des professions librales. Dsormais, lesarts du dessin sexercrent, dans le cadre acadmique, sur le modle de la mdecine ou du droit, en tantque comptences intellectuelles (et non plus manuelles), rmunres comme des services (et non pluscomme des biens), faisant lobjet dun enseignement collectif et thorique (plutt que dun apprentissagede personne personne) sanctionn par un diplme dtat (et non plus par la production dun chef-duvre ), dans le cadre dassociations spcifiques dotes de rgles dontologiques (et non plus decorporations) et selon une inversion des rapports de pouvoir permettant au praticien davoir autorit surson client.

    Or en France, lapoge de ce systme alla de pair avec sa perte. Supprimes aprs la Rvolution entant que vestiges de lAncien Rgime, les acadmies furent trs vite reconstitues, au tout dbut duXIXe sicle, sous la forme de lInstitut, divis en plusieurs classes dactivits. Mais le numerus clausus

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  • impos pour maintenir son prestige, corrl llvation de lge dentre de ses membres, contribua accentuer les tendances de toute institution la rigidification des codes, lorthodoxie doctrinale, latransmission des traditions hrites du pass plutt qu linnovation. Et paradoxalement, cest le prestigede linstitution qui, peu peu, causa son dclin. En matire littraire, lAcadmie franaise fut de plus enplus convoite, et rejointe par des personnalits nayant quun lointain rapport avec lactivit dcrivain,mais quattiraient ce statut devenu honorifique. En matire artistique, le souci dobserver la hirarchietraditionnelle des genres, et les codes picturaux associs au grand genre de la peinture dhistoire,firent driver la production institutionnelle vers les grandes machines (ce quon appellera plus tard lapeinture pompier ), tandis que se dveloppaient la marge les nouveaux courants de la modernit.

    ... lacadmisme

    Ce que lon nomme alors, pjorativement, acadmisme , consiste donc la fois en un genre et en unecertaine conception de lart. Le genre, cest la peinture d histoire , cest--dire toute reprsentationdun rcit historique au sens propre, ou encore mythologique, biblique, romanesque , inscrivant lesimages dans un cadre fortement imprgn de littrature et, plus gnralement, de discours, comme entmoignent les titres rallonge et les gloses accompagnant invitablement les notices dans les livrets desSalons. La conception est celle qui privilgie la fois la reproduction des canons ou la traditioncollective, plutt que linvention individuelle, lidalisation des formes plutt que le rendu du rel, ainsique le dessin et la composition plutt que la couleur. En ce sens, la peinture acadmique celle quetaxeront d acadmisme tous ceux qui ne se reconnatront plus dans ce paradigme classique est toutsauf un respect mimtique de la nature. Cest, au contraire, le mpris de l effet de rel propre auxgenres mineurs portrait, paysage et, surtout, scne de genre et nature morte , au profit de lexaltationdes grands sentiments, des nobles attitudes, des draps lantique et des dcors thtraliss.

    Limpressionnisme balaiera cette conception en mme temps quil abandonnera dfinitivement lapeinture dhistoire et ce nest pas un hasard si lapparition du dprciatif acadmisme estexactement contemporaine de lapparition de ce mouvement. Dsormais, se verront privilgis les sujetsles plus propices la recherche dun effet de rel plutt que dune restitution des codes reprsentatifs, linvention de nouvelles formes de figuration plutt que dune transmission de la tradition, lexplorationdes possibilits plastiques plutt qu la mise en forme de scnes idales, lexpression de la visionintrieure de lartiste plutt qu son habilet se couler dans les canons. Loriginalit deviendra un atoutet non plus une dviance, la singularit sera dsormais synonyme de qualit suprme et non plus debizarrerie inqualifiable. Ce sera, en un mot, le triomphe du rgime de singularit , qui gouverne encoreaujourdhui notre apprciation de lart, primant dfinitivement le rgime de communaut dontrelevait la tradition acadmique.

    Un acadmisme sans acadmie ?

    La notion dacadmisme renvoie donc moins des proprits objectives puisque les mmescaractristiques peuvent tre perues, selon les cas, comme une qualit ou comme un dfaut quauregard port sur les uvres. Cependant ce regard na rien de subjectif, dindividuel. Il est fonction deltat dune culture collective, dun horizon dattente, du paradigme artistique propre lpoque o seforme le jugement et non pas lpoque de la cration. Est-ce dire quil peut y avoir acadmisme endehors du systme acadmique ?

  • La question se dcline de deux faons : avant et aprs les acadmies. Avant la Renaissance, lorsquelart sexerait en corporations (ou, exceptionnellement, en vertu de privilges de cour), il existait bienen effet des conventions transmises de gnration en gnration, une suprmatie de la peinture religieuse,une tendance lidalisation des formes et des sujets, ainsi quun privilge accord la culturecommune, tant iconographique que plastique. En tmoigne, par exemple, la multiplication des Vierges lenfant ou des Annonciations, obissant un programme prcis. Toutefois, le nombre et la varit descommanditaires ou des acqureurs, ainsi que la dispersion gographique des artistes, autorisaientprobablement de larges variations, des innovations personnelles ce qui ne sera plus le cas auXIXe sicle, lorsque les chances de reconnaissance officielle (et notamment laccs aux Salons de peintureparisiens) dpendront dun tout petit nombre de pairs, contrlant troitement la conformit desproductions la norme acadmique.

    Quen est-il enfin aujourdhui, o lInstitut nexerce plus aucun magistre, et o mme la vnrableAcadmie de France Rome, fonde en 1666, sest convertie lart contemporain ? Les dtracteurs de cedernier laccusent parfois de ntre insulte suprme quun acadmisme , un nouvel avatar de lart officiel ayant fait autrefois de Grme ou Bouguereau les grands artistes de leur temps, alors quilsincarnent aujourdhui lart pompier . Cest l un paradoxe, car rien nest bien sr plus oppos laconvention acadmique que la singularit triomphante, linvention constante de nouvelles formesdexpression, la subversion des codes, lexploration des expriences subjectives propres au monde delart contemporain. Toutefois, pour peu que lon se place non plus lintrieur mais lextrieur de cemonde, alors le nouveau peut apparatre comme relevant dune tradition du nouveau , selonlexpression du critique amricain Harold Rosenberg, et limpratif de transgression comme une forme deconvention, taye par une intense production discursive et largement soutenue par les institutions dtat exactement comme ltait la peinture dhistoire du temps des Salons. L encore, cest affaire de pointde vue, cest--dire de contexte de perception et dnonciation.

    Mais lon nest dj plus l dans le domaine de lanalyse historique. Sil sagit de demeurer sur le plande la connaissance, il faut alors abandonner la dnomination d acadmisme , pour la rserver auxdbats dopinion.

    Nathalie HEINICH

    BibliographieN. HEINICH, Llite artiste. Excellence et singularit en rgime dmocratique, coll. Bibliothque dessciences humaines, Gallimard, Paris, 2005E. PANOFSKY, Idea : contribution lhistoire du concept de lancienne thorie de lart, trad. delallemand par H. Joly, Prface de J. Molino, coll. Tel, ibid., 1989 (d. or. 1924)H. ROSENBERG, La Tradition du nouveau, trad. de lamricain par A. Marchand, coll. Arguments, Minuit,1962 (d. or. 1959).

    Voir aussi Arts libraux / Arts mcaniques Fins de l'art Genres, arts Salon et muse

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  • Actualisme / Catastrophisme, sciences de la Terre

    La gologie est une science qui a pour objet ltude de la Terre et de son histoire. La reconstitution dupass de notre globe ncessite, partir de ltude de traces anciennes, llaboration dhypothses quisont notamment fondes sur le principe des causes actuelles. Ce principe postule que les processusgologiques passs sont identiques ceux que lon observe actuellement (rosion, sdimentation,mtamorphisme, volcanisme, sisme, orogense...). La doctrine qui dcoule de ce principe sappellelactualisme.

    Cette thorie, trs en vogue au XIXe sicle, a eu des partisans qui ont pouss lide lextrme cestluniformitarisme : les causes anciennes sont non seulement identiques aux causes actuelles, mais ellessont galement lentes, continues et de mme intensit quaujourdhui. De plus, cette thse partait duprincipe que dautres facteurs navaient pas pu exister dans le pass.

    La doctrine que lon confronte habituellement luniformitarisme est le catastrophisme. Selon elle,lhistoire de la Terre est faite de priodes calmes interrompues par des cataclysmes qui ont faonn notreglobe. Il est noter dailleurs que, ds les dbuts de lhumanit, les catastrophes ont contribu, traversnombre de rcits mythiques (le Dluge, lAtlantide...), la tentative dexpliquer le monde.

    Une opposition trs ancienne

    Les visions opposes de lactualisme et du catastrophisme ont de tout temps plus ou moins coexist. Et,tout au long de lhistoire des sciences de la Terre, on pourrait trouver chez les auteurs une inclinationplus ou moins affirme pour lune ou lautre doctrine, avec parfois un amalgame des deux.

    Ds lAntiquit, les ides des aristotliciens se confrontent celles des stociens. Les premiers pensentque les agents quotidiens, par leur action lente et continue, peuvent entraner des changements dans laposition des terres, des mers, des plaines et des montagnes. Ces changements lents et cycliques secompensent dune rgion lautre et la Terre est globalement dans un tat dquilibre. Les seconds, enrevanche, sont persuads que le monde est fait dune succession de priodes de destruction et derenouvellement. Dans les deux cas, la Terre est ternelle.

    la Renaissance, cette vision dun temps infini est abandonne au profit des ides judo-chrtiennes :la Terre a un dbut (la Cration), une histoire (dont le Dluge) et une fin (lApocalypse). Cest dans cecontexte que se dveloppent les thses diluvianistes de la fin du XVIIe sicle, notamment celles de ThomasBurnet (1635-1715), John Woodward (1665-1728) et William Whiston (1667-1752). Comme RenDescartes la fait un peu plus tt dans ses Principia philosophiae (1644), ces savants anglais proposentdes thories de la formation de la Terre. la diffrence du modle cartsien, elles suivent littralementles textes bibliques et accordent une importance majeure au Dluge, cataclysme responsable lui seul delaspect actuel de notre globe. Paralllement, quelques naturalistes sattachent dcrire la nature (ce quiest lun des fondements de lactualisme) : Robert Hooke (1635-1703) envisage notamment que lesfossiles pourraient permettre de dater les terrains anciens ; Nicolas Stnon (1638-1686) introduit le termede strate et pose les fondements de la stratigraphie et de la tectonique ; Henri Gautier (1660-1737)dveloppe ses ides sur le cycle rosion-sdimentation-orogense ; etc.

  • A u XVIIIe sicle, les successeurs des diluvianistes sont Nicolas Antoine Boulanger (1722-1759),Barthlmy Faujas de Saint-Fond (1741-1819), Horace Bndict de Saussure (1740-1799), Dodat deGratet de Dolomieu (1750-1801) ou Jean-Andr Deluc (1727-1817) ; ils sont partisans dune explicationdu monde fonde sur des bouleversements brutaux. Ainsi, pour Deluc, les causes gologiques actuellesnagissent que depuis quelques milliers dannes, soit fort peu de temps. loppos, un certain nombrede leurs contemporains, comme Nicolas Desmarest (1725-1815), sont plutt enclins admettreluniformit des processus. Les prdcesseurs des catastrophistes ont toutefois permis de grandesavances en gologie, mme si lon peut aujourdhui remettre en cause leurs interprtationscataclysmiques. Ainsi, Boulanger peut tre considr comme le prcurseur de la gomorphologie ;Saussure a dmontr que la formation des montagnes ncessite des mouvements verticaux et horizontaux,etc.

    Le catastrophisme du XIX sicle

    Au XIXe sicle, des volutions majeures se produisent dans les sciences de la Terre : la longue dure destemps gologiques est tablie et la stratigraphie palontologique se dveloppe ; cette dernire permet desdatations relatives des couches et lidentification de la succession dvnements.

    Linterprtation de ces archives de la nature comme on les nomme cette poque se rvlecependant fondamentalement diffrente selon les uns et les autres, notamment en raison da priorientirement opposs sur lhistoire de notre globe ; ainsi lune des divergences majeures concerne lacontinuit (ou non) et la cyclicit (ou non) des phnomnes gologiques. Les catastrophistes penchentpour le discontinu et lvolutif alors que les uniformitariens sont plutt partisans dune vision continue etcyclique. Pour les premiers, la Terre a un dbut, elle volue et son aspect pass, diffrent de celuidaujourdhui, peut studier par les traces quil a laisses. Pour les seconds, la Terre subit deschangements continus qui se compensent dun endroit lautre : le globe est dans un tat dquilibrepermanent.

    Les catastrophistes sont principalement Georges Cuvier (1769-1832), Alcide dOrbigny (1802-1857),Lonce lie de Beaumont (1798-1874), Louis Agassiz (1807-1873), William Buckland (1784-1856) etAdam Sedgwick (1785-1873). Ils sont persuads que la Terre a t faonne par un plus ou moins grandnombre dvnements violents, de rvolutions ce terme est notamment employ par Cuvier en 1812ds la premire version du Discours sur les rvolutions de la surface du globe.

    Cuvier est le catastrophiste qui a eu la porte la plus large. Il nest certes pas le premier tenterune explication de lhistoire de la Terre fonde sur une srie de cataclysmes naturels ; nombre de sesides sont empruntes Deluc, comme celle sur les temps anciens gouverns par des processusgologiques diffrents de ceux des temps actuels. Pour Cuvier, le monde actuel est stable et sa conceptionest acheve. Mais il ne doit pas pour autant tre considr comme un savant rtrograde : il envisage descatastrophes ayant ravag des parties entires du globe pour expliquer des coupures quil observe dans lacontinuit des faunes et des flores fossiles. Il positionne ainsi lune de ces coupures entre lpoquedomine par les reptiles et celle qui voit lessor des mammifres ; cette limite est reconnue prsent,avec nuances, comme celle qui spare le Crtac du Tertiaire (il y a 65 millions dannes) et elle est, eneffet, une priode dextinctions massives despces (dont les dinosaures qui en sont devenus pour legrand public des emblmes). Deux des hypothses les plus srieuses retenues aujourdhui pour rendre

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  • compte de ces extinctions sont dailleurs des catastrophes, celle de la collision dune mtorite avec laTerre et celle de gigantesques ruptions volcaniques sur le plateau du Deccan en Inde.

    Lapparition de luniformitarisme

    Entre 1830 et 1833, le gologue cossais Charles Lyell (1797-1875) publie son ouvrage en trois volumesPrinciples of geology quil rvisera et augmentera toute sa vie jusqu la dernire dition, lanne de samort, en 1875. Cette uvre, qui est un rquisitoire contre la pense catastrophiste dominante et unesynthse des connaissances gologiques de lpoque, aura un succs mondial, ce qui explique sans douteque lon voit souvent Lyell comme le fondateur de luniformitarisme. Elle inspirera notamment CharlesDarwin (1809-1882) pour laborer sa thorie de lvolution des espces.

    Lyell est trs tt persuad que ses observations sur le terrain ne peuvent pas tre expliques par lesthories catastrophistes. Pour lui, les processus gologiques en action sont rests inchangs : la Terre eststable mme si elle subit des changements, ces derniers sont lents, constants, cumuls et ils secompensent. Les ides de Lyell sont dj prsentes dans les uvres System of the Earth (1785) etTheory of the Earth (1795) de son compatriote James Hutton (1726-1797). Ce dernier, qui est considrcomme le pre de la gologie moderne, conclut des phnomnes permanents et de mme intensit ainsiqu la ncessit dtudier la nature actuelle pour comprendre le pass. Selon lui, la Terre, au cours de satrs longue histoire, est soumise des cycles lents : rosion des continents, sdimentation au fond desmers, induration voire fusion de ces sdiments sous laction de la chaleur, injection de ces produits enfusion dans les couches, remonte et formation de nouvelles montagnes.

    Lyell nest donc pas le premier uniformitarien. En revanche, il est lun des seuls pousser la doctrine lextrme. Un certain nombre de ses contemporains actualistes, opposs comme lui-mme aux thses deCuvier, ne sont pas aussi catgoriques. Ainsi en est-il de Constant Prvost (1787-1856) et de toute unecole franaise ; cette dernire est persuade de lintrt dtudier les processus gologiques actuels etprfre viter dinvoquer des phnomnes imaginaires pour interprter ses observations, mais elle necroit pas que seules des causes lentes puissent rendre compte de ltat de la nature et elle ne refuse pasabsolument de faire appel des pisodes violents si elle le juge ncessaire. Nous sommes donc loin desvues uniformitariennes de Lyell et, paradoxalement, plus proches des ides de certains catastrophistes delpoque, comme lie de Beaumont, qui ne rejettent pas en bloc les concepts actualistes. Ils nenvisagentun cataclysme que lorsque les facteurs actuels ne sont pas satisfaisants leurs yeux pour expliquer unvnement pass. Cest le cas de la disparition et du renouvellement des faunes et des flores fossilescomme de la formation des montagnes.

    volution des penses uniformitariennes et catastrophistes

    la suite de Lyell, les thses uniformitariennes ou actualistes en gologie et les thses volutionnistes enpalontologie vont dominer ; les montagnes dsormais slvent et srodent, les transgressions et lesrgressions des mers modifient lemplacement des terres, les continents drivent...

    La pense catastrophiste est dnigre. Les grandes phases dextinction font lobjet dune attentionmoindre, mme si leur ralit ne fait plus gure de doute. Lintrt se porte davantage vers le concept decontinuit volutive. Les crises responsables de modifications majeures dans les faunes et flores fossiles

  • ne reviennent sur le devant de la scne quen 1980, lorsque est mise lhypothse, par des chercheursamricains, de la collision dune mtorite avec la Terre. Les vnements imprvisibles et violents, surla base de plusieurs observations convergentes, sont de nouveau envisags dans certains cas commeexplications plausibles.

    Aujourdhui, un certain consensus sest install, ce qui a permis aux deux approches de trouver leurplace. La Terre nest pas en quilibre permanent ; elle volue, que ce soit notamment du point de vue deson refroidissement et de sa convection. Cette volution est trs lente et met toujours en jeu les mmescycles de processus : ruptures de continents et ouvertures docans, cration de crote ocanique puisdestruction, collisions continentales lorigine de certaines chanes de montagne, monte de panachesmantelliques... Ces phnomnes gologiques sont donc tout la fois cycliques et en constante volution.Ils sont galement uniformitariens car ils sont lents et continus ; mais dautres sont catastrophistes car ilssont violents et cataclysmiques comme lhypothse de trs fortes ruptions volcaniques dans le Deccan oucelle de la collision dune mtorite pour expliquer les extinctions massives de la limite Crtac-Tertiaire.

    Par ailleurs, on naffirme plus de nos jours que les processus passs et actuels ont t identiques entous points. Ainsi, en est-il lorsquon postule que la vie serait apparue sur Terre il y a environ troismilliards dannes dans une atmosphre rductrice (pauvre en oxygne), bien diffrente de celledaujourdhui. De mme, on accepte lide que certains phnomnes nexistent que temporairement surdes priodes dfinies. Certains de ces processus rares, comme les glaciations et les inversions du champmagntique terrestre, ont t identifis mais dautres se sont peut-tre drobs notre sagacit parmanque de traces ou par dfaut dinterprtation.

    Le principe des causes actuelles a t une tape fondamentale dans lhistoire de la gologie car ilsappuie sur lobservation de la nature. Il a permis lmergence dune science rationnelle par oppositionaux cosmogonies fondes sur lingrence divine ou limagination. Une de ses applications, parmi denombreuses autres, permet de reconstituer des niveaux anciens de mers ou des climats anciens partir decoraux ou de flores fossiles. Mais le principe des causes actuelles ne doit rester quune des multiplesvoies lors de la formulation dune hypothse scientifique, car privilgier une seule approche peut servler restrictif et simplificateur.

    Florence DANIEL

    BibliographieC. BABIN, LHistoire de la Terre explique par le catastrophisme. Du diagnostic au pronostic engologie, coll. Inflexions, Vuibert-Adapt, Paris, 2005V. DEPARIS & H. LEGROS, Voyage lintrieur de la Terre. De la gographie physique la gophysiqueactuelle. Une histoire des ides, C.N.R.S., Paris, 2000G. GOHAU, Une histoire de la Gologie, coll. Points Sciences, Seuil, Paris, 1990.

    Voir aussi Dluge (Mythe du)

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  • Alchimie

    Il ny eut pas de pense alchimique unique et identifiable comme telle, mais de nombreuses alchimies, endes lieux (Chine, Inde, Grce, gypte ancienne...) et priodes (Antiquit, priode hellnistique, XIIe siclechrtien, Renaissance...) divers. Les unes et les autres ont pour origine des techniques de contrefaon parle traitement de surfaces ( teinture ) pour en modifier laspect : transformer un mtal vil en mtal noble,changer un minral banal en une pierre prcieuse...

    De multiples difficults, dues entre autres ces diverses provenances, sopposent la formulationprcise dune doctrine de lalchimie. Lalchimie arabe, entre les VIIe et XIe sicles, fut indubitablementlapoge de cet ensemble de pratiques, la fois rflexion naturaliste sur les choses et techniques deperfectionnement spirituel. Les alchimies du monde chrtien furent des savoirs occultes, proches tantt detechniques artisanales comme la teinture, la cramique ou la mtallurgie, tantt du mysticisme dun MatreEckart, par exemple. Une telle alchimie spirituelle tient les oprations de luvre comme autantdillustrations des tapes franchir par lme de ladepte, en qute de rgnration. Un autre obstacle estla transmission par voie orale, du matre vers lapprenti, de tout un fonds qui nous chappe prsent :formules magiques ; tours de main ; interprtations donner aux recettes, aux indications de dure ; naturede la mditation.

    Les textes alchimiques, manuscrits comme imprims, ne brillent pas par la clart. Y abondent lescontradictions logiques, les paradoxes provocants, la coexistence de nombreux sens, et labsence decorrespondance univoque entre signifiants et signifis. Manifestement, ils furent encods ; mais les clsde dcodage manquent. Lalchimie fut, on naurait garde de loublier, une science occulte, rserve derares initis. Les vrais philosophes spagyristes, comme ils se nommaient, navaient que mpris pour lesnon-initis, leurs imitateurs quils dsignaient du terme pjoratif de souffleurs .

    Lalchimie a en commun avec les religions du Livre sa rvrence envers des textes sacrs sonsyncrtisme mettant sur le mme pied, par exemple, la Bible et la mythologie grecque tels que ceux ducorpus hermtique, ainsi nomm en raison de leur attribution un mythique Herms Trismgiste.

    Ces textes doivent tre dcrypts par ladepte, ce travail dinterprtation faisant partie du Granduvre vou lobtention de la Pierre, et de limmortalit quelle garantit. Ainsi, lalchimie fut unegnose, laquelle on sinitiait sous la conduite dun matre, rel ou imaginaire, par la patiente tude detextes tranges, par des manipulations sur la matire suivant des protocoles ordonns, accompagnesdune ascse spirituelle.

    Qute dune harmonie perdue

    Comme dautres savoirs occultes (astrologie), lalchimie est qute dune harmonie perdue entre lhommeet le cosmos. Elle porte la nostalgie dun ge dor, dans lequel lhumain se trouvait de plain-pied avec lanature, jouissait de ses richesses, ntait pas afflig par la vieillesse ou la maladie.

    Lalchimie se proccupe, par consquent, de rtablir le point dquilibre entre les quatre lmentsprimordiaux de la philosophie grecque, terre, air, eau et feu. Pour ce faire, elle poursuit un cinquimelment, lui aussi mentionn par Aristote, et donc nomm quintessence . Cette dernire, lessence la

  • plus subtile et la plus pure, est comme la clef de vote de ldifice, venant tenir la balance gale entre lesquatre lments, condition sine qua non au retour du bon quilibre des choses et du monde.

    Participe de cette harmonie, qui fut aussi un principe gnral dorganisation du monde physique etmoral, une thorie des correspondances. Les astres de la vote cleste affectent les phnomnesobservables sur notre plante. Des manations de ces astres, leurs rayonnements, induisent comme unegermination souterraine, engendrant les gisements des minraux dans le sol, des mtaux en particulier. Dela sorte, le Soleil est le progniteur de lor, la Lune celui de largent, Mercure celui du mtal du mmenom, Vnus est la mre du cuivre, Mars engendre le fer, Jupiter ltain et Saturne le plomb. La maturationde la matire dans le sol est un processus lent. Un exemple, apparent celui des mtaux, est celui ducristal de roche. La pense alchimique le conoit comme rsultant de la transformation de la glaceemprisonne dans les anfractuosits des roches. Lun des objectifs des oprations alchimiques estdacclrer de telles mtamorphoses, au moyen des diverses oprations de lart.

    Transformation de la matire

    Ces oprations seffectuent dans divers rcipients gnralement en verre, tels que luf philosophal,censs reprsenter un modle rduit du cosmos. Mais, en cela reprsentatif de la polysmie de toutvocable de la doctrine alchimique, cet uf philosophal dsigne tantt le contenant, tantt le contenu,lme ou lesprit de la Pierre.

    Ce microcosme est un reflet du macrocosme. On reconnat l une ide, familire aux thologiensmdivaux, pour lesquels lhomme, que fit Dieu, concentrait en lui lessentiel de la cration. Adam, lemicrocosme, tait le reflet du vaste macrocosme. Ce faisant, les alchimistes, conduisant des oprationsmatrielles dans un ballon de verre, o divers phnomnes naturels, tels que le cycle de leau ou laputrfaction, taient rsums, inventrent le laboratoire, des sicles avant Galile. La cornue est unrcipient en verre, coud, dont le nom fait allusion la forme. Cest le rceptacle pour certaines destransformations que lalchimiste fait subir la matire, son laboratoire. La cucurbite est un autrercipient, souvent en verre, renfermant la matire uvre. Ce mot dsigna ensuite la partie de lalambico lon place la matire distiller.

    Mais revenons la terminologie des quatre lments. Leau est le terme dsignant tout liquide. Ledragon dsigne le feu, qui dvore toute corruption. Une forme de feu lent, servant au chauffage doux de lamatire, est le Feu de cendres, celui sur lequel luf philosophal est pos. Le bain-marie en est unevariante. Marie la Juive est une figure mythique invoque par des manuscrits de lalchimie alexandrine.Le chauffage se fait dans un athanor, fourneau des alchimistes en arabe, le four se dit al-tannur. Lespritest un terme gnrique pour dsigner les gaz (les airs) exhals par la matire divers stades de luvre.Le mot gaz du lexique moderne fut introduit au XVIIe sicle par lalchimiste flamand Jan Baptist vanHelmont (1577-1644). Il drive de chaos . La terre est le nom gnrique de minraux, souventpulvrulents.

    Lalchimiste travaille une matire premire, indispensable luvre. Elle subit des transformationssuccessives aboutissant, en principe, la Pierre philosophale. Sa nature exacte tait un savoir occulte. Illui fait subir des changements dtats, qui le fascinent. La matire est pour lalchimiste lobjet dunemditation, tant structurale que philosophique.

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  • La cristallisation est une trs efficace purification ; lensemencement dune mixture, gnralementliquide, amorce la formation dun solide pur. La distillation spare les constituants dun mlange liquide,que le chauffage vapore des tempratures distinctes. Ensuite, il ny a plus qu les condenser aurefroidissement, pour les recueillir sous forme de liquide pur. Les alchimistes y recouraient frquemment.Lalambic est un instrument de laboratoire, fait de mtal et/ou de verre et permettant deffectuer unedistillation. La sublimation consiste en un chauffage dont le rsultat est de faire monter une matirevolatile en haut de lalambic ; faire dune terre une matire subtile et lgre, un esprit.

    La fixation est passage dun fluide ltat solidifi. Ladage tait : fixer le volatil . La volatilisationdnotait le passage dun solide ltat de gaz, ou esprit. Ladage tait : volatiliser le fixe . Ladigestion consistait laisser tremper un corps dans un dissolvant appropri. La dissolution, pratiquesous laction dun liquide ou eau, mue un solide en un liquide. Une fontaine qualifie un phnomnedexsudation, lorsque des gouttelettes dun liquide suintent dun solide.

    uvre alchimique

    Luvre alchimique procde suivant deux parcours exclusifs lun de lautre. Dans la voie humide, lesoprations matrielles seffectuent sur une solution, cest--dire sur un mlange liquide. Dans la voiesche, les oprations matrielles se font en labsence de tout solvant, dans un creuset ou dans un four.

    Luvre au noir est le premier stade de luvre, o il sagit la fois de donner la matire un aspectnoir et, sous laspect spirituel, de tuer le vieil homme. Elle seffectue sous le rgime de la Mlancolie,une humeur noire au signe de Saturne : notre moderne dpression. Elle correspond au stade initial deluvre, lorsque la matire est dsigne par sa noirceur, cause par le chauffage suivant la voie humide.Le noir de la matire est dnomm aussi Tte de Corbeau, lorsque le Soleil et la Lune subissent uneclipse. On parle aussi de Putrfaction, mortification des deux corps, du fixe et du volatil. Ilseffectue plus tard une mutation, vers le blanc : une fume blanche signale lunion du fixe et du volatil,du mle et de la femelle.

    Luvre au rouge est le versant positif de luvre, aboutissant la formation de la Pierre. En cas desuccs, condition ncessaire mais non suffisante, la matire travaille passe au rouge. Le paon, loiseaude Junon arbore de multiples couleurs, celles qui se succdent laube ou crpuscule, celles aussi quisont observables au cours de luvre. Dans les images illustrant les textes alchimiques, une chelle huit degrs symbolisait les huit subdivisions de luvre qui comporte sept stades successifs.

    Puisque lalchimie vise un retour lharmonie, elle a comme objectif majeur la conjonction : cetteunion des contraires est une opration, matrielle, de combinaison entre deux composs chimiques,perus comme complmentaires. Au registre symbolique, cest une rotisation de la matire, vuesymboliquement comme nuptialit (Noces du Roi et de la Reine). linstar de lunion dAdam et ve,les conjonctions sont assistes par un ferment, compar parfois au Christ. La Pierre (ou Pierrephilosophale) est rpute transformer, par simple contact, les mtaux vils en mtaux nobles, or et argent.Car ladepte se fixe la transmutation comme autre objectif. Des minerais de plomb dtiennent parfois unpeu dargent. De mme, des minerais dargent reclent parfois un peu dor. Do, peut-tre, lide de latransmutation.

    La gurison des maladies, la prolongation de lexistence taient au nombre des vises de lalchimie.

  • Cest ainsi quen Chine ancienne les patients ingraient de lor sous forme de suspension de particules( or potable ). Lide tait de sincorporer, de la sorte, linaltrabilit et la perfection du prcieuxmtal. Une part des oprations alchimiques vise ainsi prparer une panace, remde universel contreles maladies et gage de vie ternelle. Surtout partir du XVIIe sicle, des protochimistes visent lagurison des maladies par lingestion de divers produits chimiques. Ces iatrochimistes furent les anctresde nos pharmacologues.

    Longtemps lalchimie est reste dualiste : la matire tait conue comme issue des quatre lmentsdAristote (eau, terre, air et feu) et comme rsultant de la lutte ou de laccord des deux principescomplmentaires, le Soufre et le Mercure. Soufre ? Ce Soufre des philosophes est conu comme un corpsfixe animant les mtaux au sein de la mine, et responsable de leur transformation graduelle. Mercure ? Cemtal fascine : surnomm vif argent , cest un liquide la temprature ambiante. Il semble dissoudredautres mtaux, en se les amalgamant. Certains de ses composs, oxydes ou sulfures, ont de brillantescouleurs. Il joua un rle central dans lalchimie, tant matriellement que symboliquement.

    Paracelse (1493-1541), qui nous sommes redevables de la mdecine psychosomatique et dun dbutde chimiothrapie, introduisit le Sel comme troisime principe alchimique. Mais quel sel ? Tout commele Soufre et le Mercure, il ne sagit pas du vulgaire sel, mais du Sel des philosophes. Le sel marin attiralattention des alchimistes par sa fusion temprature trs leve, combine sa dissolution extrmementfacile dans leau. Ils le reconnurent aussi comme prototype de toute une famille de composs, produitscomme lui par lunion dun principe mle et dun principe femelle. Luvre alchimique consistant, dunepart fixer le volatil, dautre part volatiliser le fixe, Paracelse dfinit le sel de mer comme un mlangedes qualits de lhumide et du sec, du fixe et du volatil. Lhumide serait le principe Mercure, le sec seraitllment terre, et la combinaison dun peu de Mercure et de davantage de Soufre permettrait dedissoudre ce dernier, avant dengager le produit dans un nouveau mlange, avec la terre cette fois.

    Dans la mouvance de Paracelse, on se figurait lantimoine comme un mlange de mercure, de soufre etde sel. Il tait lun des ingrdients pour prparer la Pierre.

    Le legs de lalchimie est vaste et divers. Il inclut, outre une protochimie (prparations comme celle delacide chlorhydrique, esprit de sel, partir du sel marin), toute une technologie (coupellation desmtaux, distillation, sublimation...), une pharmacope des simples, appliquant des extraits alcooliques deplantes au traitement de diverses maladies, voire, avec Paracelse, les tout dbuts dune mdecinepsychosomatique.

    Chimie et psychanalyse sont aujourdhui les deux rejetons, bien vivants et prospres, issus des deuxbranches de lalchimie, matrielle et spirituelle. La physique quantique est sans doute le meilleurquivalent actuel de la prtention alchimique dire la vrit du monde physique, envisag comme un Toutharmonieux.

    Pierre LASZLO

    BibliographieE. CANSELIET, LAlchimie explique sur ses textes classiques, Pauvert, Paris, 1980FULCANELLI, Les Demeures philosophales, 1930 ; 3e d., 2 vol., Pauvert, 1996

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  • S. HUTIN, LAlchimie, coll. Que sais-je ? , 10e d., P.U.F., Paris, 1999P. LASZLO, Quest-ce que lalchimie ?, Hachette, Paris, 1996P. RIVIRE, LAlchimie : science et mystique, De Vecchi, Paris, 2001.

    Voir aussi lments (Thorie des), chimie

  • Alatoire (Musique)

    On range sous la dnomination de musique alatoire les pratiques compositionnelles qui rejettenttotalement ou ponctuellement la fixit. Cette musique fonde sur le hasard et lindtermination est ne aucours des annes 1950, en raction au srialisme intgral. La part dindtermination et de hasard estdsormais accepte, annulant les oppositions binaires classiques et offrant la possibilit de dpasser lapense hglienne : le continu ne soppose plus au discontinu, lordre au dsordre, le hasard au contrle.Toute ide de relation hirarchise dans le temps et dans lespace est abandonne.

    Luvre ouverte

    L e concept duvre ouverte est spcifique aux compositeurs europens, qui sont inspirs par desrecherches essentiellement littraires (alors que les compositeurs amricains sont surtout influencs pardes recherches picturales). Des crivains comme Stphane Mallarm ou James Joyce ont en effettotalement repens la notion de forme en ne concevant plus luvre dans un droulement linaire, avec undpart et une arrive fixs pour toujours. Le Livre de Mallarm qui na ni commencement ni finobligs et dont les pages peuvent tre lues dans nimporte quel ordre exera ainsi une influence trsforte sur Pierre Boulez, qui tenta den donner lquivalent musical dans sa Troisime Sonate pour piano(1957).

    Le contrle de tous les paramtres de la partition avait fini par priver linterprte de toute libert. Poursortir de ce carcan, des compositeurs comme Boulez, Luciano Berio ou Karlheinz Stockhausen ontpropos de laisser lapprciation de linterprte le choix du parcours de luvre, qui va reposer surdes lments permutables.

    Luvre ouverte dsigne donc une uvre mobile, cest--dire lintrieur de laquelle plusieurstrajectoires sont possibles. Dans ce type de pice, la structure nest pas fixe une fois pour toutes maischange chaque excution en fonction de linterprte, car cest lui qui donne luvre une forme parmiles multiples possibilits que la combinatoire rend possibles. La partition constitue un vritableprogramme daction : cest une uvre faire et cela suppose un nouvel tat desprit car luvre ouverteentrane une nouvelle rpartition des pouvoirs entre le compositeur et linterprte, dont le rle se trouverevaloris.

    Stockhausen, qui cherchait dpasser les principes stables de la tradition occidentale, exprimentadans son Klavierstck XI (1957) la notion de processus ouvert gnrateur de luvre : le compositeurpropose un ensemble de dix-neuf squences indpendantes de contenu dtermin pour ce qui est de lahauteur et du rythme, organiser dans un ordre arbitrairement choisi par linterprte. Les indications detempo, de dynamique et de mode de jeu notes la fin de chaque squence sappliquent la suivantemais, lorsque linterprte tombe pour la troisime fois sur la mme squence, luvre est acheve. Leparcours et la dure globales sont indtermins et donc alatoires.

    Le hasard chez John Cage

    Lalatoire est au centre de la musique de John Cage. Le compositeur avait dj expriment le hasarddes sonorits avec son piano prpar (Concerto pour piano prpar et orchestre de chambre , 1951) en

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  • insrant des corps trangers (gommes, crous, vis, clous, papier...) lintrieur des cordes du piano afinden modifier la hauteur et le timbre.

    Mais il y a prolifration chez Cage des techniques de hasard. Pour lui, librer la musique consistait la faire sortir de la forme fixe et, surtout, accepter le son comme un organisme autonome, le laisser sedployer en dehors de toute considration logique ou esthtique car les sons prexistent dans la nature etle rle du compositeur est prcisment de les librer.

    Lalatoire se situe autant au niveau de lacte compositionnel que dans limmense libert laisse linterprtation. Le Concerto pour piano et orchestre (1958) na ainsi pas de dure dfinie : le chefdcide lui-mme du temps de lexcution, il a la possibilit dacclrer, de ralentir ou de suspendre letemps avec des gestes ; en face des musiciens qui sont en position dattente, le chef donne des signes ; cesmusiciens adoptent des positions dattente en fonction de ces signes. Dans cette pice le chef dcrit descercles avec ses bras ; il dcide par exemple de dcrire un quart de cercle en quinze secondes,fournissant ainsi des points de repre, mais il peut galement choisir de ralentir ou dacclrer sonmouvement, ce qui perturbe le temps des vnements choisis par les musiciens. Ceux-ci ont des choix effectuer lintrieur mme de leur partition. Lindtermination ou lalatoire de ce concerto qui secompose de quatre-vingt-deux parties dinstrumentistes et dont chaque partie comprend seize pages etchaque page huit portes rside dans le fait que chacun des musiciens dcide de jouer tel nombre depages ou de portes de sa partie. Le compositeur ou le chef ninterviendront pas sur ce choix. Il en rsulteune partition diffrente chaque excution du concerto, mme si cette partition ne sera jamais fixe sur dupapier.

    En dtruisant la conception traditionnelle de la dure, cette introduction du hasard rendait inutile ce quiconstituait larte centrale dune pice, cest--dire sa structure. Ainsi, le procd de composition, quitait jusqualors llaboration dune structure impliquant un dbut et une fin, un tempo et donc une dure,devenait superflu. Disparat alors le rle de contrle du phnomne sonore. Dsormais, la musique ne vitque dans linstant o lexcutant actualise les sons.

    Lalatoire organis chez Iannis Xenakis

    Lalatoire tient une place singulire dans luvre de Xenakis. Ce compositeur-mathmaticien sait que,loin de relever du hasard, les phnomnes naturels comme la pluie, la grle, la neige, les nuages, le vent,les bruits et mouvements de foules sont en fait rgis par la loi des grands nombres. Au dbut des annes1950, le but de Xenakis est de reconstituer dans la musique quil compose ces vnements naturels.Considrant les sons comme statiquement indpendants les uns des autres, hant par les tats massiquesde la matire et ses transformations graduelles, il invente des combinaisons auxquelles il applique lanotion de densit et cherche contrler nimporte quelle distribution sonore (Metastasis, 1955 ;Pithoprakta, 1957). Il trouve dans le calcul des probabilits un outil conceptuel qui lui permetdorganiser lalatoire sur le plan sonore. Mais cet alatoire mathmatique est parfaitement contrl,contrairement celui de Cage. Cest cette formalisation gnrale, applicable tous les paramtres du sonet qui sappuie sur la loi des grands nombres, que Xenakis appelle musique stochastique (du grecstochos, but ). Mais cet alatoire se situe toujours au niveau de la composition, jamais au niveau delinterprtation ; et, dans tous les cas, le compositeur aboutit une partition fixe extrmement prcise.

  • Au dbut des annes 1960, lutilisation de lordinateur apportera celui-ci un gain de temps prcieuxet lui permettra de crer une forme de composition qui nest pas un objet en soi mais un concept, cest--dire que chaque uvre contient lensemble des uvres possibles.

    Juliette GARRIGUES

    BibliographieP. BOULEZ, Relevs dapprenti, Seuil, Paris, 1966D. CHARLES, LInterprte et le hasard , in Musique en jeu, no 3, pp. 45-51, 1971I. STOANOWA, La Troisime Sonate de Boulez et le projet mallarmen du Livre , in Musique en jeu,no 16, pp. 9-28, 1974.

    Voir aussi Concrte (Musique) Dodcaphonisme, musique

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  • Alinisme

    Apparu en 1833, le terme alinisme, driv dalination, a surtout t utilis par la suite pour dsignerrtrospectivement la nouvelle spcialit mdicale qui sest dveloppe au XIXe sicle par lapplication ltude et au traitement de la folie des mthodes de la mdecine moderne ne de la philosophie desLumires.

    De la manie lalination mentale

    Au dbut du XIXe sicle, plusieurs auteurs europens ont publi dans leurs pays respectifs, sous desrgimes politiques trs diffrents, des ouvrages posant la question de savoir quel devrait tre dsormaisle traitement mdical de la folie : en Toscane, Vincenzo Chiarugi (1759-1820), en Savoie, Joseph Daquin(1732-1815), en France, Philippe Pinel (1745-1826) et, en Angleterre, Samuel Tuke (1784-1857). Pinel,mdecin de lhospice de Bictre pendant la Convention, a propos dans son Trait mdico-philosophique sur lalination mentale ou la manie de lan IX (1800) de substituer la notion de manie , qui gardait encore le sens antique de folie considre comme une perte totale de la raison,celle dalination mentale, dfinie comme une contradiction interne entre les fonctions de lentendementet les fonctions affectives, mais respectant au moins partiellement la raison du sujet ainsi devenu tranger , alin lui-mme. Le mdecin peut, en sappuyant sur la partie non aline de la raison,pratiquer un traitement moral, par opposition au traitement physique, de lalination.

    Les causes dterminantes de lalination mentale sont en effet, pour Pinel et pour les alinistes qui lesuivent, des causes morales, les passions de lme, les causes physiques ntant quadjuvantes. Ilconvient donc tout dabord de renoncer aux moyens physiques brutaux (coups, chanes, immersionbrutale, saigne...), jusque-l utiliss dans le traitement de la folie, pour tablir avec lalin une relation la fois de confiance et dautorit. Cela tait impossible raliser dans ce lieu denfermement et non desoins qutait la fin du XVIIIe sicle lhpital gnral, et ne pourra se faire que dans de nouvellesinstitutions o les alins ne seront plus mlangs avec dautres malades, dlinquants ou criminels.Lexprience de Pinel pour traiter selon ces nouveaux principes les alins de La Salptrire le conduisit distinguer quatre espces dalination : la manie, ce terme perdant le sens gnral de folie pour enprendre un plus restreint ; la mlancolie ; lidiotisme, tat pour lequel Pinel admet lexistence de causesphysiques expliquant ainsi lchec du traitement moral entrepris par Jean Itard (1774-1838) du fameuxenfant sauvage, Victor de lAveyron ; la dmence.

    Si Johann Christian Heinroth (1773-1843) propose ds 1814 de nommer psychiatrie, littralement mdecine de lme , cette nouvelle spcialit mdicale, ce terme sera long remplacer en franaiscelui dalinisme, pourtant postrieur.

    En France : la loi du 30 juin 1838 crant les asiles dalins

    Les ides politiques de Jean tienne Dominique Esquirol (1772-1840), monarchiste, catholique et franc-maon, firent de lui le principal inspirateur de la loi vote sous la monarchie de Juillet le 30 juin 1838,crant dans chaque dpartement un asile dalins. La loi fixait les rgles juridiques de linternementdans ces tablissements en tentant de concilier la dfense de la socit et des familles et les droits des

  • citoyens, mme alins. Les opposants cette loi taient moins les dfenseurs des liberts individuellesque ceux qui slevaient contre le cot de construction et de fonctionnement de ces tablissements lacharge des dpartements, notamment pour les alins indigents. Des vellits de rforme de la loi de1838 sous la IIIe Rpublique naboutirent qu remplacer la dnomination asile dalins par celledhpital psychiatrique et ce ne fut quen 1990 que la loi fut rforme, la question de la prise en chargefinancire du traitement des malades mentaux ayant t en partie rsolue par linstauration sous laIVe Rpublique de lassurance-maladie obligatoire. Sous le second Empire, le plan dinspirationhaussmannienne, prvu pour le dpartement de la Seine, avec un asile central, Sainte-Anne, Paris et desasiles en priphrie, ne fut quen partie ralis. Lasile dont les alinistes avaient rv de fairelinstrument du traitement moral des alins sera en quelque sorte victime de son succs, du fait delaugmentation constante, tout au long du second Empire, des sujets interns pour dautres raisons,notamment sociales, que lalination.

    Les alinistes devaient faire reconnatre par la socit leur comptence particulire dans lart difficilede reconnatre les tats dalination relevant dun internement. Ils devaient le faire aussi auprs desautorits judiciaires dans le domaine de la mdecine lgale avec lapprciation, conformment auxarticles du Code civil de 1804 et du Code pnal de 1810, de lventuelle existence dun tat dalinationlors dactes de la vie civile, de dlits, surtout ceux de nature sexuelle, ou de crimes de sang (Esquirolavait cru rsoudre lpineuse discussion sur les alins criminels, en introduisant la notion de monomaniehomicide). En 1843 sont cres, pour dbattre de ces questions, les Annales mdico-psychologiques,puis en 1852, aprs la rvolution de 1848 laquelle participrent nombre dalinistes, la Socitmdico-psychologique (toujours actives). La facult de mdecine ne voyait pas dun bon il lapparitionde cette nouvelle spcialit qui mettait en cause lunit de la mdecine, et la chaire dite de clinique desmaladies mentales et de lencphale ne fut cre Sainte-Anne quen 1875, marquant ainsi lapoge etla fin de lalinisme.

    De lalination aux maladies mentales

    Des maladies autres que les tats dalination, ou bien dues des causes physiques ont t entre-tempsdcrites. Dj en 1822, Antoine Laurent Bayle (1799-1858) avait montr lexistence, chez les sujetsmorts dans un tat de dmence avec paralysie gnrale, dune atteinte crbro-mninge dont la naturesyphilitique sera tablie vers 1879. la fin du XIXe sicle, la majorit des malades interns dans lesasiles ou les maisons de sant prives le sont pour paralysie gnrale , le dlire mgalomaniaque queprovoque la syphilis crbrale suscitant limage du fou-qui-se-prend-pour-Napolon commearchtype de lalination.

    Lorsque Jean-Pierre Falret (1794-1870) publie le recueil de ses travaux en 1864, il lintitule Desmaladies mentales car ils ne traitent plus de la seule alination, mais dun ensemble plus tendu demaladies. Ainsi, la clinique des troubles mentaux lis ce quon nomme en 1882 alcoolisme estmaintenant bien connue. Un rle de plus en plus important est attribu lhrdit familiale dans lagense des maladies mentales avec la formulation de thories sur la dgnrescence de lespcehumaine. mile Zola (1840-1902) a, dans Les Rougon-Macquart, trac l histoire naturelle et socialedune famille sous le second Empire o sassocient alcoolisme et dgnrescence.

    Dautre part, la description des principales maladies neurologiques par Jean-Martin Charcot (1825-

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  • 1893), partir de 1860, avait ouvert la psychiatrie le champ des nvroses, notamment lhystrie, lagrande nvrose, et la nvrose dangoisse qui appellent dautres mthodes thrapeutiques (hypnose,psychothrapie, puis psychanalyse) que le traitement moral.

    La sortie de lhpital psychiatrique

    Si, ds 1900, le Congrs international de psychiatrie prconise le traitement des malades mentaux endehors de lasile, ce nest quen 1921 quest ouvert Paris un premier service libre lhpital Henri-Rousselle. Paradoxalement, un des promoteurs de cette dsalination , douard Toulouse (1865-1947), partageait avec dautres mdecins de lentre-deux-guerres des convictions eugniques sur lancessit de protger la race du danger dune prolifration des alins, sans que fort heureusementaucune mesure en ce sens ne soit prise en France.

    Aprs la Seconde Guerre mondiale, la suite de lextermination planifie des malades mentaux danslAllemagne nazie ou leur mort par inanition dans les hpitaux psychiatriques des pays occups, samorceen France un mouvement dsaliniste qui prcde lantipsychiatrie anglaise de la fin des annes 1960.Il aboutit, ds mars 1960, la politique dite de secteur, confiant une quipe mdicopsycho-socialeunique les soins aussi bien extra quintra-hospitaliers de la population adulte vivant dans un secteur go-dmographique de 60 000 habitants, une quipe de psychiatrie infanto-juvnile prenant en charge lesmalades mineurs.

    Jean GARRAB

    BibliographieM. GAUCHET & G. SWAIN, La Pratique de lesprit humain et la rvolution dmocratique, Gallimard,Paris, 1980J. GOLDSTEIN, Consoler et classifier. Lessor de la psychiatrie franaise, Institut Synthelabo, Le Plessis-Robinson, 1997P. P INEL, Trait mdico-philosophique sur lalination mentale, 2e d. 1809 ; red. prsente parJ. Garrab et D. Weiner, Seuil, Paris, 2005G. SWAIN, Le Sujet de la folie. Naissance de la psychiatrie, Privat, Toulouse, 1977.

    Voir aussi Antipsychiatrie

  • Alltagsgeschichte, histoire

    Histoire par en bas , histoire vue de lintrieur , lAlltagsgeschichte, ne en Allemagne, pose avanttout un problme de traduction. Histoire du quotidien est source de malentendus, et histoire duvcu conviendrait sans doute mieux pour ce qui se veut dabord une anthropologie historique. Le soucitait au dpart de rorienter le projecteur vers les perdants de lhistoire : vers les domestiques pourexpliquer la socit bourgeoise, ou vers les prisonniers pour expliquer la guerre en somme, crire unehistoire dcentre . La perspective sest ensuite largie, mesure que les Alltagshistoriker tentrentde systmatiser la notion de quotidien . Aujourdhui, lAlltagsgeschichte est devenue, en Allemagne,lun des centres de gravit de la science historique, surtout pour les priodes moderne et contemporaine,et dveloppe ses mthodes, ses institutions et ses revues propres.

    Lanthropologie historique contre lhistoire sociale

    Des historiens comme Richard van Dlmen, Hans Medick, Alf Ldtke ou Dorothee Wierling ont fait,depuis les annes 1970, le pari de fonder une anthropologie historique. Celle-ci sloigne nanmoins dustructuralisme en laissant leur place la subjectivit des acteurs et leur exprience personnelle. Ce quiexplique la prfrence pour les tudes qualitatives portant sur une localit, un quartier, voire quelquesfamilles, par laquelle lAlltagsgeschichte se rapproche de l a microstoria pratique en Italie parGiovanni Levi et Carlo Ginzburg. Elle cherche cerner au plus prs les conditions de vie matrielles etpsychologiques des acteurs quelle tudie, en accordant toute leur importance aux dtails apparemmentles plus insignifiants, reprenant ainsi lide de thick description chre lanthropologue amricainClifford Geertz. limage de leurs collgues italiens, les Alltagshistoriker veulent redonner leur placeau particulier, lirrductible, ainsi qu la rflexivit des acteurs, en raction au quantitativisme de la macro-histoire sociale .

    Dans le contexte allemand des annes 1970, de telles prmisses ntaient pas exemptes dimplicationsuniversitaires, voire politiques. En France, la micro-histoire a eu tendance se dvelopper dans leprolongement de lhistoire sociale ; en Allemagne, en revanche, cette volution sest faite sous le signe duconflit. LAlltagsgeschichte prend en effet le contre-pied de la Sozialgeschichte et des historiens delcole de Bielefeld. Ces derniers, la suite de Hans-Ulrich Wehler et Jrgen Kocka, ont entrepris detransformer lhistoire en science sociale et semparent dentits macro-historiques telles que lesemploys ou la bourgeoisie cultive, voire la socit allemande dans son ensemble, afin dcrire unehistoire des structures sociales, laide notamment des concepts sociologiques de Max Weber. Ltudede lAlltag, en raction, privilgie le regard par en bas , et se focalise sur la sphre prive, leshabitudes de vie, lexprience intime, plutt que sur lespace public et lappartenance un corps socialdtermin. Les pratiques dinteraction entre les acteurs sont privilgies au dtriment des dterminations structurelles qui psent sur eux. En retour, Wehler et Kocka reprochent aux tenants delAlltag de placer la subjectivit au cur de lanalyse historique. Le conflit a culmin au congrs deshistoriens de 1984 (H. U. Wehler, Neoromantik und Pseudorealismus in der neuenAlltagsgeschichte , in Preuen ist wieder chic....Politik und Polemik, 1983). Les travaux de DorotheeWierling sur les bonnes tout faire dans les annes 1900 suffisent illustrer le foss qui spare lhistoire sociale et l histoire du vcu : lenjeu est de saisir les domestiques dans leurindividualit, et de retrouver quels taient rellement les horizons de leur existence et leur faon de sy

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  • confronter, au lieu de les utiliser simplement comme tmoins extrieurs de la socit bourgeoise dalors(D. Wierling, Mdchen fr Alles. Arbeitsalltag und Lebensgeschichte stdtischer Dienstmdchen umdie Jahrhundertwende, 1987).

    Ce regard est celui qui tait port depuis longtemps par des pans entiers dautres disciplines, telles quelethnologie ou lanthropologie, en tant que sciences de la culture. Hans Medick a ainsi adopt ladmarche de lethnologue pour tudier sur la longue dure la ville tisserande de Laichingen en Souabe permettant de mettre au banc dessai le modle de la proto-industrialisation et de faire dun cas demicro-histoire une leon dhistoire gnrale (H. Medick, Weben und berleben in Laichingen, 1650-1900. Lokalgeschichte als Allgemeine Geschichte, 1996). Lobjectif, terme, est de reconstituer une culture , au sens ethnologique dun ensemble de pratiques, insparables de la signification qui leur estprte par les acteurs. Les rituels, les symboles, les discours permettent daccder au vcu et auxmotivations des acteurs, ainsi qu limage quils se faisaient deux-mmes.

    Une histoire de lintrieur : nouvelles mthodes et nouveaux objets

    Ce nouveau regard implique un renouvellement mthodologique considrable dans lutilisation desmatriaux. Le cur de cette nouvelle perspective est la dimension routinire, rptitive, de lexistencehumaine, et larchive reine de lAlltagsgeschichte est l go-document , la trace de lexprienceindividuelle : journal intime, correspondance, cartes postales... mais aussi interviews ralises aprscoup par lhistorien auprs des survivants. Le document crit est, dune manire gnrale, souponndtre insincre, car fond sur la narration, sur la reconstruction rationnelle ; on lui prfre donc, sipossible, le document oral, ou encore les objets de la vie quotidienne, censs reflter plus immdiatementlunivers imaginaire et sensoriel des acteurs. Lhabitat, les ustensiles du quotidien, les albums de photossont utiliss comme des tmoignages privilgis.

    LAlltagsgeschichte a explor en priorit trois champs de recherche. Au premier chef, elle tudie lesparamtres de la vie humaine que lon avait auparavant tendance, en Allemagne, considrer comme a-historiques : la sexualit, la naissance, la maladie, lamour, la mort. Elle soccupe paralllement desressources dveloppes par les hommes dans leur quotidien : lhabillement, lhabitat, la nourriture, letravail. Enfin, elle se penche sur les comportements de survie et dadaptation dans les situationsexceptionnelles guerre, crise, captivit. Il ne faudrait cependant pas croire quelle na trait quauxconditions matrielles : lAlltagsgeschichte est aussi une Erfahrungsgeschichte, une histoire delexprience individuelle et de la perception quont les acteurs de leur propre vcu. En runissantlensemble de ces conditions biologiques, matrielles et psychologiques, lhistorien tente de reconstituerle Lebenswelt, l univers de vie des protagonistes.

    Cette faon de procder a notamment permis de renouveler lapproche du national-socialisme. Dans unpremier temps, les Alltagshistoriker ont pu montrer que la sphre de la vie quotidienne a servi de refugeaux Allemands anonymes : la vie a suivi son cours dans chaque village dAllemagne o lon a continu natre, aimer et mourir, indpendamment des vicissitudes politiques. Cette approche leur a valu lereproche de dpolitiser la priode la plus tragique de lhistoire allemande, voire de la trivialiser .Depuis la fin des annes 1980, des historiens comme Alf Ldtke ont rintroduit le politique dans ltudedu vcu quotidien. Ce dernier sest vivement intress la question de ladhsion de la classe ouvrireau national-socialisme, ou du moins de sa passivit, afin dexpliquer comment le nazisme a fini par

  • fabriquer un consensus et une adaptation ses normes des questions proches de celles abordes par IanKershaw dans LOpinion allemande sous le nazisme (1995). La rintroduction du politique danslAlltagsgeschichte met davantage laccent, la suite de Michel Foucault, sur les relations de pouvoirentre les individus que sur les institutions. Au reste, le renouvellement des objets de lAlltagsgeschichtene se limite pas lhistoire allemande, puisque cette histoire dcentre se saisit dsormais de sujetsextra-occidentaux dans le dessein de rompre avec lethnocentrisme europen et de souvrir aux autresaires culturelles. Alf Ldtke dirige dsormais plusieurs travaux sur lExtrme-Orient, sous des anglesaussi divers que celui de la colonisation, de lirruption des pratiques culturelles occidentales ou desmassacres de la Seconde Guerre mondiale.

    Une histoire au quotidien : une mthode tourne vers la socit

    Au-del de ses principes de mthode, lAlltagsgeschichte a aussi fond une nouvelle pratique du mtierdhistorien. Tenue lcart de lUniversit, elle a redonn ses lettres de noblesse aux historiensamateurs . Les ateliers dhistoire se sont multiplis en Allemagne, o se retrouvent des chercheurs,des enseignants, mais galement de simples citoyens dsireux de mener un travail historique. Renouvelantla formule des socits savantes dantan, ces groupes amateurs renversent les habitudes de laprofession : loin dveiller le soupon de partialit, la proximit de lhistorien avec son objet devient iciune force. La rgle y est : creuse l o tu es ! , et travailler sur sa propre ville, sur sa propreprofession, voire sur sa propre famille, devient un gage de succs. Le dsir de reconstitution du vcuimprgne par ailleurs de plus en plus les muses locaux, avec de belles russites comme le Museum frAlltagsgeschichte de Brhl, prs de Cologne.

    Paralllement sa diffusion dans la socit, lAlltagsgeschichte a consolid ses positions dans lacorporation des historiens. LInstitut Max-Planck dhistoire de Gttingen en est lpicentre, grce laprsence en son sein de Hans Medick et Alf Ldtke. Lactivit de ces derniers se prolonge, depuis 1999,au centre danthropologie historique de luniversit dErfurt. La diffusion des travaux en cours ainsi queles bilans priodiques sur les avances de l histoire du quotidien sont assurs par la revueHistorische Anthropologie, dont le comit scientifique tmoigne du rayonnement international : CarloGinzburg et Giovanni Levi pour lItalie, David Sabean et Natalie Zemon Davis pour les tats-Unis,Jacques Revel pour la France. Tous ces correspondants trangers recourent eux aussi au jeudchelles (Revel) entre petite et grande histoire. Ces changes tmoignent du rle central delAlltagsgeschichte, aux cts de ses cousines la microstoria italienne, lanthropologie historiquefranaise et les subaltern studies indiennes, dans la naissance dune science historique du vcuhumain .

    Nicolas LE MOIGNE

    BibliographieA. LDTKE dir., Histoire du quotidien, Maison des Sciences de lHomme, Paris, 1994 (1re d. enallemand, 1989)W. SCHULZE dir., Sozialgeschichte, Alltagsgeschichte, Mikro-Historie : Eine Diskussion, Vandenhoeck& Ruprecht, Gttingen, 1994R. VAN DLMEN, Kultur und Alltag in der Frhen Neuzeit, 4 vol., Beck, Munich, 1990-1994 ;

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  • Historische Anthropologie : Entwicklung, Probleme, Aufgaben, Bhlau, Cologne, 2000.

    Voir aussi Anthropologie historique Histoire du temps prsent Microstoria, histoire Social History Subaltern Studies, histoire

  • Altermondialisme

    Comme pour tout mouvement social, la dnomination du mouvement altermondialiste est lenjeu, enson sein et lextrieur, de luttes symboliques ayant pour objet le sens lui donner. Elle fait parconsquent lobjet de discussions et de variations dun pays et dun groupe un autre, mais aussi dans letemps pourtant court de son histoire.

    la date fondatrice du sommet de lO.M.C. Seattle en dcembre 1999 et de la protestation que celui-ci vit merger, lexpression mobilisation contre la mondialisation nolibrale avec ses quelquesdclinaisons nationales ( mobilisation antimondialisation en France ou no-global en Italie, parexemple) est la plus usite : il semble clair que les quelq