développement durable

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  Mars 1999 L ' E tat peut-il a voir un pr ojet  pour le t errit oi r e ?  DANIEL BEHAR PHILIPPE ESTEBE Le retour de l’État sur le territoire constitue un thème politique des plus récurr ents. L’effervesc ence r écente, dans le domaine l égislati f et glementai re, laisse penser que, cette fois « ça y est ». Tout converge en effet pour donner à voir une nouvelle architectur e de l ’aménagement du territoire en France, fermement campée sur des schémas nationaux de services publics, des  procédures contractuelles liant l ’État aux collectivit és territoriales et des dispositions légales visant à mieux organiser le gouvernement des agglomérations. L’État aurait donc, à nouveau, un projet pour le territoire. Mais de quelle nature, exactement, est ce projet ? A quelles échelles opère-t-il ? Et, au total, s’agit-il d’un projet pour le territoire ? Ne faut-il pas plutôt y voir la continuation du processus de fragmentati on de l ’action publique dont la décentralisation constitue une é tape plutôt qu’un point d’ arrêt ? En cherchant à répondre à ces questions, nous débouchons sur une interrogation plus large : qu’est-ce que l’aménagement du territoire ? S’agit-il d’une prérogative nationale, une obligation pesant sur les gouvernement s successifs consistant à énoncer une représentation du territoire national à toutes ses échelles de nature à orienter so n action et à donner du sens à l’activité des différents organes politiques et administratifs qui quadrillent le terrain ? Ou bien s’agit-il d’un exercice daté, clairement limité à une période de l’histoire  politique et a dministrative récente, dont l’actuel (et éternel) retour ne serait qu’une commémoration sans substance ? P o l i t i q u e s p u b l i q u e s e t t e r r i t o i r e s

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la politique de développement durable en France

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  • Mars 1999

    L' Etat peut-il avoir un projet pour le territoire ?

    DANIEL BEHAR PHILIPPE ESTEBE

    Le retour de ltat sur le territoire constitue un thme politique des plus rcurrents. Leffervescence rcente, dans le domaine l gislatif et rglementaire, laisse penser que, cette fois a y est . Tout converge en effet pour donner voir une nouvelle architecture de lamnagement du territoire en France, fermement campe sur des schmas nationaux de services publics, des proc dures contractuelles liant l tat aux collectivit s territoriales et des dispositions lgales visant mieux organiser le gouvernement des agglomrations. Ltat aurait donc, nouveau, un projet pour le territoire. Mais de quelle nature, exactement, est ce projet ? A quelles chelles opre-t-il ? Et, au total, sagit-il dun projet pour le territoire ? Ne faut-il pas plutt y voir la continuation du processus de fragmentation de laction publique dont la dcentralisation constitue une tape plutt quun point darrt ?

    En cherchant rpondre ces questions, nous dbouchons sur une interrogation plus large : quest-ce que lamnagement du territoire ? Sagit-il dune prrogative nationale, une obligation pesant sur les gouvernements successifs consistant noncer une reprsentation du territoire national toutes ses chelles de nature orienter son action et donner du sens lactivit des diffrents organes politiques et administratifs qui quadrillent le terrain ? Ou bien sagit-il dun exercice dat, clairement limit une p riode de lhistoire politique et administrative rcente, dont lactuel (et ternel) retour ne serait quune commmoration sans substance ?

    P o l i t i q u e s p u b l i q u e s

    e t t e r r i t o i r e s

  • Notre thse est que ltat ne peut pas avoir de projet pour le territoire, ds lors que le territoire national ne

  • constitue plus un espace pertinent de nature rendre compte des diffrents ph nomnes spatiaux (concentration et talement urbain, internationalisation de certaines fonctions des villes et des campagnes, ruptures internes entre zones favorises et zones dfavoris es). Priv de repr sentation, lespace national ne sert plus de rfrent un projet national damnagement du territoire. Ds lors, linflation procdurale et la dlgation du projet aux diffrents niveaux de collectivits territoriales composent la rponse pragmatique cette crise de la reprsentation . La question reste savoir si ce compromis territorial est le seul envisageable.

    LES MODERNES ONT CHANGE DE CAMP

    On peut douter quil existe un seul modle en mati re daction territoriale. Il faut plutt parler dune superposition problmatique de modles, lun hrit et l autre phmre, chacun ayant sa manire model les relations entre le centre et la priphrie .

    Le premier modle, le plus ancien, est celui que Pierre Grmion a qualifi de jacobinisme apprivois. Il est suffisamment connu pour quon ne sy attarde pas mais on se bornera en rappeler les principaux traits : - Le pouvoir local est, en France, rsiduel : il est situ dans une relation de dpendance et de subordination vis--vis du pouvoir central qui se rserve la matrise du champ politique au nom de lintrt gnral . - Le territoire est quadrill par les services extrieurs de l Etat (dsormais dconcentrs), sous lgide dun personnage -institution, le Prfet, dont on ne retrouve lquivalent que dans les pays qui ont subi la domination napol onienne (Espagne et Italie) et en Grce et en Turquie . - Ce systme est cependant apprivois par le principe de rgulation crois e qui entrane une complicit objective entre notables et reprsentants locaux du pouvoir central, les uns rsistant aux injonctions du centre, les autres plaidant la cause du local auprs de celui-ci. Ce modle classique entra ne paradoxalement une considrable prgnance du territoire et des questions locales dans la vie politique nationale. Rares en effet sont les pays comparables qui ont ralis une telle interpntration du local et du central, tant par le mode de recrutement des lites politiques, par le maillage du territoire par les services de ltat central que par la multiplicit des liens qui unissent bureaucrates et notables . On pourrait dire que le local (ou le territoire) occupe une place dautant plus centrale dans le systme politique rpublicain que cette place est tenue secrte, occulte parce que juridiquement rsiduelle . Au centre de ce systme rside le Prfet qui constitue une institution ambigu mais ncessaire car la double nature de celui-ci -reprsentant du pouvoir central et intercesseur des notables auprs de celui-ci constitue bien videmment un lment d terminant de rgulation. Ce modle historique, cependant, est bien plus un modle d quilibre et dassimilation politique quun modle daction publique. En effet, jusqu une date assez tardive , le territoire ne constitue pas, proprement parler un objet pour l action publique. Il sagit despaces locaux contrler, de circonscriptions lectorales conqu rir ou de terroirs intgrer au sein de la communaut nationale , mais son endroit, les agents de l tat ne sont pas porteurs de projet pour le ou les territoire(s). Lorsque Eugen Weber part la recherche des facteurs qui expliquent le changement des peasants into frenchmen, il cite, bien sr, le rseau routier (notamment secondaire) qui distingue encore la France de certains de ses voisins, mais la plupart des facteurs sont dordre national et immatriel : la politique, les migrations, le service militaire et lcole. La proccupation de l action publique pour le territoire merge dans lentre deux guerres, prend forme sous la IVe Rpublique et atteint son apoge durant les 10 premires annes de la Ve. Le territoire devient alors un objet pour ltat central.

    LE PROJET TERRITORIAL GAULLIEN

    On peut en partie expliquer ce changement de statut du territoire dans le rfrentiel daction publique par la fusion, si caractristique des dbuts de la Ve Rpublique, entre la haute administration et le personnel politique. Tout se passe comme si on assistait la revanche historique de l administration, comptente et moderniste, sur un personnel politique traditionnellement considr comme provincial et client liste, revanche que ni la troisime R publique finissante et technocratique, ni le rgime de Vichy pour cause de discr dit trop rapide navaient pu apporter mais que le Gaullisme dsormais offrait voire lgitimait. Avec le Gnral De Gaulle, les jeunes cyclistes se trouvent enfin aux commandes . Ce nouveau modle daction publique territoriale repose sur trois pieds : - Un enjeu de modernisation du territoire, dont les cls sont dtenues par le centre, selon un vritable projet territorial qui trouve des traductions financires, administratives et l gislatives toutes les chelles. - Une volont de relgation des lus et des notables traditionnels, au profit des forces vives -parmi lesquelles les professions non salaries (agricoles, librales, indpendantes) jouent un rle important voire dcisif . - Une relative mfiance par rapport au quadrillage classique du territoire et, en particulier, vis--vis de linstitution prfectorale, considre comme peu fiable car trop proche des notables. Cette mfiance peut stendre dailleurs aux administrations centrales traditionnelles : les technocrates (et le Gnral ?) tiennent dans une mme suspicion notables territoriaux et appareil dtat . Sans refaire des analyses qui ont dj t conduites, il faut ici souligner la cohrence profonde du modle

  • daction publique territorial labor au cours des 10 premires annes de la Ve Rpublique. Il est d abord adoss un projet pour le territoire dont la coh rence, pour apparatre a posteriori, nen est pas moins forte. Ce projet tient du taylorisme et du fordisme puisque, aussi bien, il ne sagit rien moins que dlaborer une division spatiale du travail lchelle du territoire national, en instituant un systme hirarchique de sp cialisations et de complmentarit s, calqu sur la taille des unit s urbaines. Lobjectif, toujours affich, de contrebalancer linfluence de Paris sur le territoire, nest en somme que la figure de proue dun ensemble bien plus complexe, une vritable pyramide urbaine dont chaque degr doit produire un effet dentra nement sur le degr infrieur, lui-mme jouant un rle de rquilibrage. Ainsi, au centre, demeure Paris et la rgion parisienne organise, avec les villes nouvelles, dans une perspective multipolaire . Le schma directeur de la rgion parisienne labor sous lautorit de Paul Delouvrier affiche son ambition de faire de Paris une ville internationale et un centre financier dampleur mondiale. La d centralisation des activits industrielles appara t plus comme un dgraissage de la rgion parisienne que comme la volont den diminuer le rayonnement. Le rang immdiatement infrieur se matrialise par la cration des OREAM (organisme rgional dtudes des aires mtropolitaines) dont lobjet est de faire apparatre des ensembles urbains de taille europenne en prenant appui sur des villes parfois concurrentes (Lyon-Saint tienne-Grenoble ou Metz-Nancy). Les plus grandes agglomrations sont censes se grouper en communaut s urbaines. Enfin, la politique dite des mtropoles dquilibre doit crer un ensemble de villes de taille rgionale, censes entra ner lensemble de leur territoire . Ce projet de division spatiale du travail saccompagne d un projet politique territorial, lui aussi plutt cohrent, puisquil vise diffuser largement la notion d administration de mission et de d velopper ladministration consultative en diminuant la fois le pouvoir des notables et celui des administrations classiques. Sagissant du pouvoir des notables, les injonctions au regroupement communal -lexemple le plus abouti est celui des communauts urbaines (1967) - visent la fois enjoindre des regroupements de faon que lautorit locale se trouve lchelle des problmes urbains (mais aussi de lenjeu que le schma national assigne lunit urbaine concern e), tout en affaiblissant le rle des reprsentants lus, par un habile retournement de la formule classique de l lection au second degr. Sagissant de ladministration classique, la cration des Prfets de rgion, assists dune mission rgionale, prsidant la confrence administrative rgionale et flanqu s dun comit de dveloppement conomique rgional (1964) introduit un chelon supplmentaire, bien moins lis aux notables traditionnels que celui des Prfets de dpartement. Les missions prolifrent : DATAR, bien sr, mais aussi le district de Paris (cohabitation qui ne va pas sans quelques grincements de dents entre les deux grands commis Paul Delouvrier et Olivier Guichard), les missions rgionales, les missions pour lamnagement du Languedoc-Roussillon ou de l Aquitaine, etc. Enfin, les techniques dadministration consultative se diffusent partir de lexemple des commissions du Plan, dans les CODER notamment o lon espre voir les notables traditionnels perdre de linfluence dans le dialogue avec ladministration au profit des forces vives . Ce projet conomique, territorial, politique et administratif se trouve en outre dot dinstruments juridiques, eux aussi organiss en pyramide, qui encadrent les techniques durbanismes encore en vigueur. La loi dorientation foncire de 1967 organise une hirarchie de documents et de procdures de planification : urbanisme planificateur (schma directeurs dam nagement et durbanisme) lchelle des agglom rations, tudis par une commission locale, soumis la dlibration des conseils municipaux et arrt par le Prfet ; urbanisme rglementaire (plans doccupation des sols) qui, pour chaque commune, rgle de manire contraignante l usage des sols ; urbanisme oprationnel enfin (les zones d amnagement concert se substituent aux ZUP). Le projet territorial gaullien se dcline toutes les chelles et sur tous les modes de laction publique. Il soppose au modle classique, bureaucratico-notabiliaire, de ladministration territoriale : le territoire devient un objet de laction publique et celle-ci se dploie de faon bien plus centralise que nagure, la fois par le jeu des organismes de mission, par la marginalisation des notables traditionnels et, pour partie, de ladministration territoriale classique. La Cinquime Rpublique qui a repris et men leur terme les traditions centralisatrices franaises , alors que la Troisime fonctionnait plutt selon un principe dquilibre et dinterdpendance entre le local et le central . Du point de vue de l action publique, la centralisation est donc une donne rcente dans ladministration franaise -ce qui nest pas le cas de la centralisation politique, bien plus ancienne videmment. Cette centralisation -entendue donc ici comme lobjectivation du territoire par le pouvoir central -dure, qui plus est, trs peu de temps. Tous les analystes de la p riode gaullienne soulignent quel point celle-ci fut productive en mme temps que fragile et phmre. Pierre Gr mion a notamment montr combien ces desseins damnagement et dadministration du territoire se sont heurts la rsistance de la France des notables mais aussi celle de ladministration des profondeurs. La rforme rgionale, notamment, choue assez systmatiquement dans les dpartements qui nont pas, leur tte, un Prfet de rgion. Elle provoque surtout une leve de bouclier des notables et des lus que rallie aussi bien la gauche que la droite (y compris les gaullistes parachuts). Pour les notables de la Haute-Garonne, pour ne citer qu un exemple, la rgion concrtise un travail drosion, deffilochage pratiqu par le gouvernement lgard des assembles dpartementales. La cration des circonscriptions daction rgionale est une de ces manifestations de la volont du pouvoir de diminuer nos prrogatives. Le gouvernement prfre travailler avec des gens quil a nomms plutt quavec des gens qui tiennent leur mandat du suffrage universel. . La victoire du non au rfrendum de 1969 sanctionne cet exercice qui montre la fois les forces et la trs grande faiblesse territoriale de ladministration moderniste.

  • LA DECENTRALISATION ET LA FIN DU PROJET TERRITORIAL DE L'ETAT

    Il nentre pas dans le propos de cet article de retracer le fil des vnements qui conduit, dans les annes 1970 et 1980, une double invalidation : celle du modle classique dune administration territoriale politique et celle du modle moderne dune action publique territoriale. Il suffit de signaler, au passage, que la dcentralisation, dans cette perspective, ne constitue pas une rvolution mais bien plutt la sanction d un processus de longue dure, qui plonge ses racines dans lorganisation traditionnelle des pouvoirs et qui sest trouve revivifi e, la fois par l chec du projet gaullien et la transformation des lites locales avec lapparition du personnage perturbateur du mod le classique. Le dput-maire de grande ville na plus besoin du Prfet -mme sil a toujours besoin des services de ltat. La politisation du pouvoir local -ou plutt sa nationalisation sajoute enfin lentre, partir du d but des annes soixante -dix, des interventions territoriales de l tat central dans une phase de rendements dcroissants -en particulier, le rtrcissement progressif du projet territorial de ltat aux territoires en crise et aux quartiers en difficult . Les annes 1980 voient donc se constituer un nouveau mod le daction publique territoriale qui tend constituer un lieu commun des politiques publiques. Celui-ci referme la parenthse gaullienne sans entraner, pour autant, de retour lancienne formule du jacobinisme apprivois, mme si, selon la formule de Patrice Duran et Jean-Claude Thoenig, le cercle des notables sest largi . Par rapport au jacobinisme apprivois, ce nouveau mod le apporte une volution consid rable, dans la mesure o il repose dsormais sur ceci que les pouvoirs locaux sont investis (et ont acquis) une capacit autonome d laboration et de mise en uvre de politiques publiques. Bien que la loi de d centralisation ait prvu des transferts de blocs de comptences prcis chaque niveau de collectivit territoriale, celles-ci ont impos une pratique inspire du principe de comptence territoriale gnrale : quelle que soit sa comptence rglementaire, une collectivit territoriale se saisira dun problme partir du moment o il merge sur (son) agenda politique Par rapport au sch ma gaullien, lactuel modle opre une inversion sur deux points essentiels. Le premier concerne le statut du territoire : il ne sagit plus de le faire accder la modernit par le haut, par linsertion dans un schma national d amnagement du territoire organisant la division spatiale du travail ; il devient au contraire loprateur de la modernisation : la territorialisation devient le mot cl des politiques publiques , le remde aux principaux maux qui accablent ladministration -sectorisation, absence de prise sur le rel, inefficacit. Le deuxime point concerne le statut des administrations territoriales : les annes 1980 consacrent la fin des modernes, avec lassoupissement des missions rgionales (SGAR) dont les fonctions de n gociation des contrats de Plan et de distribution des crdits europens ne parviennent pas en faire autre chose que des botes aux lettres et consacrent une relative requalification des administrations d partementales dtat. Mais celles-ci sont, de plus en plus en plus, en position de prestataires de services face aux collectivits territoriales qui apparaissent comme les vritables coordonnatrices des politiques publiques, bien plus que le Prfet et ceci, malgr les injonctions centrales rptes . Les projets de modernisation de l administration territoriale de l tat se rduisent de plus en plus des refontes dorganigrammes au motif de la recherche dune plus grande proximit lusager et dune meilleure efficacit directe des prestations.

    Ce mod le contemporain se trouve videmment renforc par les progrs de lintgration europenne qui joue la carte du d veloppement territorial et promeut la logique de subsidiarit. Il semble de plus intgr par les lites politiques et administratives. La DATAR devient le thurifraire des initiatives et des projets territoriaux. Le local sidentifie progressivement au projet d amnagement du territoire.

    LA CRISE DES ECHELLES

    Depuis le milieu des annes 1990, cependant , un certain renouveau de l exercice d amnagement du territoire est perceptible, au moins dans les propos publics et dans les publications savantes, plus ou moins orchestres par la Dlgation lamnagement du territoire. De la loi Pasqua la loi Voynet, les gouvernements successifs affichent la volont de construire un projet national pour les territoires. La fin des annes 1990 semble constituer une manire daboutissement de ce processus de reconstruction du territoire comme objet de laction publique nationale, puisque, dans un certain dsordre, des orientations et des dispositifs paraissent dessiner une architecture nouvelle qui tout en empruntant aux techniques gaulliennes semble prendre acte de la nouvelle donne territoriale. Lexercice dam nagement du territoire tourne dsormais autour de deux questions principales : celle de la comptitivit et celle de la solidarit. Divers travaux tendent dmontrer la faiblesse de larmature urbaine franaise au regard des densits de la dorsale europenne . Les formes doccupation du territoire en France conduisent ce paradoxe dun talement urbain continu , saccompagnant dun rtrcissement de l espace habit . La France utilise mal sa principale richesse -son espace : en une centaine dannes, les zones d habitat se sont rduites et regroup es le long des axes de communication, des fleuves, des ctes et des frontires. Le thme de l engorgement urbain parall le la dsertification de lespace rural non inclus dans lorbite des villes, devient r current dans les crits des

  • amnageurs. Pour autant, cet engorgement urbain est lui-mme, semble -t-il, vicieux puisqu il ne permet pas lmergence dune armature urbaine franaise comparable celle qui structure l Europe de Londres Milan.

    UN TERRITOIRE FRAGMENTE

    Ainsi, par rapport lopposition classique de Paris au dsert franais, la thmatique de lamnagement du territoire sest enrichie dans les annes 1990 dune multiplicit de fractures. lopposition Paris-province, toujours vivace, se superpose le clivage villes-campagne, ractiv par le double mouvement dtalement urbain et de d sertification rurale. Le propos des am nageurs atteint au paradoxe puisque, tout en dnonant la faiblesse de l armature urbaine franaise -hors Paris -, ceux-ci dplorent en mme temps son cannibalisme et ses consquences nfastes -comme celles qui entranent lapparition de poches de pauvret ou de quartiers sensibles dans les villes. Au-del de ce clivage central , la repr sentation du territoire national se structure dsormais selon un schma de fractures embotes, opposant dabord la France lEurope par les densits et la force du maillage urbain ; Paris la France ensuite, celle-ci dominant encore celle -l du haut de sa stature internationale ; les villes aux campagnes, ces dernires ne constituant plus que le rservoir foncier pour des urbains qui sont de moins en moins citadins ; les villes qui gagnent aux villes qui perdent les premires trouvent des crneaux dactivit les situant dans la comptition internationale tandis que les derni res nen finissent pas de solder les comptes dun pass industriel d funt ; les centres anciens la p riphrie des villes, lexpansion de celle-ci rduisant ceux-l une fonction musale ou daccueil des tudiants ; les quartiers riches aux quartiers pauvres enfin, entre lesquels divers travaux montrent laccroissement de lcart relatif . Tout se passe comme si, lantique fracture Paris -province stait substitue une fragmentation gnralis e du territoire dont les diverses parties se dsolidariseraient progressivement, selon une logique de scession . Si lon en croit cet ensemble de reprsentations, le territoire ne fait plus socit .

    Cette gographie de la fragmentation, nationale pour lessentiel, ne correspond pas celle du dveloppement qui, elle, est europenne voire mondiale : lchelle europenne, la France participe de plusieurs grandes rgions physiques, conomiques et culturelles : bassin rhnan, Europe du nord-ouest, bassin mditerranen, rgion alpine, fa ade atlantique Notre politique damnagement du territoire doit sappuyer sur cette diversit et en faire un atout majeur pour assurer un dveloppement quilibr . Dans la doctrine territoriale contemporaine, la comptition est europenne, la fragmentation est nationale ; le dveloppement se situe lchelle transnationale ; la solidarit est intra -nationale. Lopposition des chelles et des champs dactivit que lon avait d j repre sagissant des villes elles-mmes gagne dsormais l exercice d am nagement du territoire dans son ensemble. Le territoire national reste pertinent pour rparer les multiples fractures ; il ne lest plus ds lors quil sagit de situer les espaces franais et, notamment les villes, dans la comptition internationale.

    Lamnagement du territoire fait donc face un ensemble dapories. Dans le registre de la solidarit, lamnagement du territoire ne peut pas tirer toutes les consquences des multiples fractures quil constate sans compromettre les avantages comptitifs des territoires qui gagnent ; dans celui du dveloppement, lespace national est lui aussi soumis un systme de fragmentation, du fait de cohrences conomiques et culturelles qui oprent lchelle europ enne. Lhexagone nest plus quune abstraction politique arbitraire. Tout se passe comme si les diverses interdpendances entre la solidarit et le d veloppement devenaient dsormais impensables. Ou, plutt, que l chelle nationale ne permettait pas doprer une synth se entre ces deux enjeux, comme si elle ntait plus pertinente pour faire le lien entre le local et le global.

    NAVIGATION A VUE ENTRE DEVELOPPEMENT ET SOLIDARITE

    Faute dune conception de larticulation des chelles, ltat amnageur est donc conduit mettre en uvre des politiques ambivalentes, navigant lestime dans le jeu de contradiction entre dveloppement et solidarit. Peut-on mieux rpartir les activit s et les hommes pour quilibrer le territoire ? lvidence, non, car -outre que ltat na plus les moyens dinterventions lourdes et gnrales -toute r partition, dans un jeu somme nulle, visant la solidarit risque de compromettre des positions internationales dj fragiles -celle de Paris ou celle de Lyon par exemple. Peut-on conduire une politique de discrimination positive en faveur des zones rurales ou des quartiers en difficult ? Jusqu un certain point seulement car une politique de ce type sera ncessairement ambitieuse et ncessairement dcevante , pour les raisons mmes qui ont conduit sa mise en uvre. Peut-on limiter la course la productivit agricole de faon favoriser le dveloppement dexploitations taille humaine, respectueuses du paysage tout en freinant la dsertification rurale ? Peut-tre, condition de ne pas grever la comp titivit franaise en ce domaine, farouchement dfendue par la profession. Peut-on procder une rpartition quitable des services publics ? Difficilement et en fonction du degr dexposition de ces services la concurrence internationale et leurs impratifs internes de rentabilit ; dautant que cette rpartition quitable est toujours lie des enjeux symboliques plus qu la qualit du service proprement dit Peut-on matriser l talement urbain ? Sans doute, condition de remettre en cause des

  • politiques publiques aussi structurantes que laccession la propri t -destine favoriser la construction neuve - et la ralisation dinfrastructures routires -appui n cessaire au maintien de lindustrie automobile. Etc. Le schma de la fragmentation conduit ainsi un conflit permanent entre politiques inductives et politiques compensatoires, entre dveloppement et solidarit et entra ne un rtrcissement du projet territorial de ltat une dfense infinie, sur des lignes toujours plus fragiles, des pr caires quilibres qui subsistent encore malgr les fractures. Lamnagement du territoire devient comme une figure projete de lensemble des blocages ou des contradictions qui constituent autant dlments structurants d une socit contemporaine.

    LA PROCEDURE COMME PROJET

    Malgr ces reprsentations contradictoires, la fin des annes 1990, une nouvelle architecture de l action publique se constitue qui, linstar du modernisme gaullien, repose sur trois pieds : des schmas nationaux de services publics, un ensemble de dispositions contractuelles que ltat propose aux villes, une nouvelle organisation institutionnelle de ladministration territoriale. Peut-on pour autant parler d am nagement du territoire ?

    Pour quune telle expression puisse avoir cours, il faudrait que lensemble de lensemble de ldifice repose sur une reprsentation et un projet lchelle de lensemble du territoire. Or, rien de tel. Les gouvernants et les lgislateurs de la fin des annes 1990 ne sont pas en peine de reprsentation, ils font plutt face un trop-plein. Le schma classique de l armature urbaine, projection spatiale de la division du travail sest considrablement compliqu et obscurci. Il nest plus possible, dsormais, dassigner sa place un territoire en fonction du nombre dhabitants et de la nature de ses fonctions productives. Lespace franais ne fonctionne plus comme une gigantesque usine fordiste o chacun sa place contribuerait la grande uvre nationale (voire europenne) dont seul l tat par sa hauteur de vue serait en mesure de tracer la cohrence et de donner le sens. Ce schma de cohrence nationale nest plus opratoire. La nature centralise ou dcentralis e de lexercice nentre gure en ligne de compte : les collectivit s territoriales ont, leur chelle, le mme problme de cohrence qui renvoie, en derni re analyse, la substance de laction publique.

    Lamnagement du territoire n est plus un exercice de projection hormis le cas, trs particulier et de plus en plus rare, des grands chantiers dont on voit bien combien, mme lchelle europ enne, ils peinent se concrtiser. Lamnagement du territoire ne constitue donc pas une prrogative gouvernementale ternelle, dont la l gitimit serait tablie une fois pour toutes. Il faut le considrer comme un exercice historiquement dat, correspondant une conjoncture conomique et politique prcise, dans laquelle un espace lgitime et un espace pertinent .ont concid la faveur dun dosage exceptionnel de circonstances et de volont.

    Le projet territorial devient ds lors le mot -cl des politiques nationales dam nagement. Ce qui, au dbut des annes 1980, tait revendiqu comme une raction contre le gigantisme et laveuglement de ltat central devient dsormais le credo de celui -ci : Je prconise ainsi que soit engage sur l'ensemble du pays (mtropole et outremer ) la mise en oeuvre de " territoires de projets " dont le primtre et le contenu seront d finis par les partenaires eux-mmes, avant d'tre cofinancs par l'Etat, les Rgions et les int resss eux-mmes. () En proposant de mettre en uvre la formule : "un territoire, un projet, un contrat", qui permettrait chacun d' tre "acteur sur son territoire vcu " ( ) j'ai le sentiment que nous pourrions susciter le dynamisme et cette confiance dont les Franais manquent encore trop souvent parce qu'ils estiment n'tre pas assez couts . J'ajoute que les jeunes pourraient y trouver matire expression de leurs talents et de leur nergie.

    La multiplication des procdures contractuelles apparat donc comme une rponse rationnelle limpossibilit dam nager le territoire. Celles-ci prsentent en effet de nombreux avantages. Elles fournissent aux gouvernements le moyen de se dcharger de lobligation dnonciation : la dcision peut se rsoudre dans la production dune bote outils diversifis, destins aux collectivits locales, dsormais productrices de politiques publiques. Les proc dures contractuelles oprent par contournement des grands appareils de ltat qui interviennent de faon aveugle sur le territoire : elles vitent de poser la question de leur efficacit en ne parlant que de leur localisation tout en en confiant, de fait, la responsabilit aux collectivits territoriales . Un troisime avantage rside dans la demande permanente des lus : ceux-ci, tout en dplorant les charges transfres par ltat, sont demandeurs dune dlgation de responsabilits toujours plus tendue, selon un principe de division des tches o ltat assure une rpartition quitable des moyens (fiscaux, financiers et humains) en laissant aux collectivits locales le soin de lnonciation politique . Un quatrime avantage rside dans la question dmocratique : celle-ci apparat, tord ou raison, mieux inform e lorsqu elle est situe lchelon local.

    En bref, la solution contractuelle constitue une rponse pragmatique deux questions qui prises ensemble paraissent insolubles : la comptitivit des territoires et la solidarit. La procdure devient le projet et, ce faisant, op re un contournement systmatique des difficults que fait na tre une reprsentation par trop holiste du rapport entre politique et territoire. territoire fragment, action publique fragmente.

  • Le message port par ltat au sein de ces procdures contractuelles est par ailleurs extrmement gnral : il consiste essentiellement dans la rptition dune srie de mytrhes mobilisateurs dont la valeur performative reste trs douteuse. Les textes rcents fourmillent en effet de rfrences au dveloppement durable , la solidarit , la mixit urbaine ou la matrise de ltalement urbain . Ces thmes pourraient cependant constituer des bases de ngociation, pour llaboration de projets contractuels, entre les services de ltat et ceux des collectivit s territoriales. Dans les faits, leur oprationnalit semble faible, dautant quils exigent des services d concentrs de l tat un exercice doublement impossible : concurrencer les collectivits locales sur le terrain de l nonciation politique dune part, critiquer lapplication aveugle des politiques nationales sectorielles dautre part. Lnonciation, par les services dconcentrs de ltat, dun projet territorial apparat toujours plus hypothtique, dans la mesure o ceux-ci se trouvent pris entre les deux feux du local et du national. Les mythes mobilisateurs ne peuvent pas tenir lieu de projet, peine constituent-ils un horizon dont la prsence peut servir rassurer les agents de ltat quant leur lgitimit .

    LA DIFFICULTE POUR L'ETAT DE DEVENIR ANIMATEUR

    Le dbut des annes 1990 avait pu laisser para tre la figure d un tat animateur . Cette conception, fonde sur la politique de la ville, semblait pouvoir stendre lensemble de laction publique : l tat -entendu ici au sens de gouvernement et dappareil administratif territorial- devenait le mobilisateur des nergies de toutes sortes -dont celle des collectivits locales au nom de la solidarit . La mobilisation autour de la solidarit devait se jouer toutes les chelles, en cascade ou en abme : au plan national, laction de l tat parvenait oprer une synth se entre ladministration consultative et ladministration de mission ; lchelle des agglomrations, la relation contractuelle entre ltat et les collectivits locales constituait le pivot autour duquel devait se greffer le tissu local dacteurs concerns par la question de la solidarit ; dans les quartiers, laction collective devenait la rgle, autour de la figure du chef de projet. Cette conception avait le dfaut de faire abstraction de toute condition territoriale pour laborer un modle g nral. Elle a but sur le volontarisme des administrations dEtat qui lont interprt dans un sens durkheimien. Ltat, dans leur esprit, devait continuer dtre linstance donatrice de sens , inlassable interpellatrice des acteurs locaux au nom de la solidarit . Or cette conception de l tat animateur sest en quelque sorte effondre sur elle-mme, par incapacit politique de la puissance publique de se mettre hauteur des exigences dune telle posture. On la vu propos de la politique de la ville o les services locaux de ltat se sont trouvs face une double impossibilit. Limpossibilit de lnonciation politique au sein dune agglomration donne, comme si le monopole sur ce champ appartenait dsormais clairement aux lus locaux ; limpossibilit de coordonner et de faire converger les diffrentes politiques sectorielles au service dun mme projet. Les diverses tentatives dans ces deux directions ont abouti, en gnral, rtablir le statut quo ante, laissant aux lus le soin de la conduite politique des oprations et aux diff rents services de ltat leur autonomie de ngociation sectorielle avec les collectivits territoriales.

    Lempilement des procdures (contrat de ville , contrats dagglomration et autres contrats de pays), lie lincapacit politique de ltat dans la gestion publique territoriale, conduit donc une d lgation toujours plus grande des responsabilits dam nagement du territoire aux collectivits locales. Il n y a donc plus de projet que local, port par une commune, une agglomration, un pays ou une rgion. Dans le mme temps, cependant, lorganisation politique et administrative du territoire franais se trouve sans cesse dsigne du doigt comme archa que, injuste, la fois productrice dingalits et de gaspillages tout en tant incapable de faire franchir aux villes notamment le seuil de la taille europ enne . Ce local salvateur est toujours considr comme le royaume du morcellement institutionnel, de lgo sme notabiliaire et de linjustice fiscale . Il convient donc de le mettre hauteur des ralits conomiques et sociales, de mettre le droit en accord avec le fait, ceci afin, non seulement, de rendre les grandes villes gouvernables mais surtout den faire les actrices prsentables dune politique damnagement du territoire qui na plus que le local et la procdure comme projet. Diverses propositions se sont succdes pour amliorer la dcentralisation et en simplifier les dtours . La dernire en date, propose par le Ministre de lIntrieur vise crer une nouvelle formule, celle des communauts dagglomrations, dotes de comptences largies par rapport aux dispositions antrieures et imposant dans son p rimtre une taxe professionnelle unique lensemble des communes membres. Le gouvernement propose des carottes financires substantielles afin dinciter les communes adhrer cette formule qui concerne les agglomrations de plus de 50 000 habitants. Sans porter un jugement pr matur sur la viabilit et la pertinence dune telle formule, il faut souligner combien celle-ci se situe dans la logique de contournement qui sous-tend lensemble du dispositif national d amnagement du territoire : l absence de reprsentation et l incapacit dans laquelle se trouve lappareil administratif dagir sur lui-mme conduit ncessairement la d volution au local de la responsabilit politique du projet territorial ; mais ce local doit tre la hauteur des enjeux contemporains si lon veut que la politique contractuelle ait un minimum de consistance ; il faut donc amener les collectivits locales se regrouper afin dobtenir des interlocuteurs dignes de la confiance qui leur est accorde. Le territoire l gitime doit recouvrir le territoire pertinent.

  • L'INTERCESSION TERRITORIALE

    Lquilibre qui sinstalle la fin des annes 1990 para t satisfaisant de tous points de vue. Pour les pouvoirs publics nationaux, il permet dafficher une ambition et un projet qui le situe hauteur des meilleurs moments de la V Rpublique ; pour les collectivits locales (et, notamment, les grandes villes), il constitue le blanc-seing par lequel elle peuvent exercer leurs prrogatives, leur capacit politique et leur dynamisme en toute liberte. Cet quilibre a le mrite de ne pas attaquer de front les diffrentes politiques sectorielles nationales ; il laisse labri les grands appareils administratifs et corporatistes h rits de l tat providence. On peut le considrer comme un gigantesque arrangement qui permet, notamment, de gagner du temps pour permettre la lente mutation de l appareil dtat, hors des feux de lactualit. Le compromis territorial qui confie au local le soin de lnonciation des projets est donc dune grande utilit.

    Il laisse cependant de ct certaines questions qui risquent tt ou tard de refaire surface. La premi re est celle des liens entre les diffrents ph nomnes spatiaux. Est-on certain que la rflexion sur les consquences sociales et spatiales du d veloppement conomique est alle jusqu son terme ? Peut -on se contenter dun constat de disjonction aussi bien des phnomnes que des chelles auxquelles ils se produisent ? Peut-on se contenter de juxtaposer des politiques publiques destines stimuler les meilleurs et des oprations vocation compensatoires pour les territoires qui nont pas la chance de participer du dveloppement conomique ? Les travaux dvaluation de la politique de la ville conduits en le-de-France montrent que lapparition des quartiers de la g ographie prioritaire n est pas le fruit du hasard mais relve de mcanismes rgionaux de structuration de lespace. Cette valuation souligne combien les politiques de compensation, dconnectes de lanalyse des interd pendances entre le dveloppement de la rgion et la mise lcart de certains de ses territoires, naboutissent qu la consolidation de statuts dexception durables dont rien ne dit quils ne sont pas pire que la situation antrieure . Cette lecture des interdpendances entre d veloppement et solidarit pourrait se faire lchelle rgionale, pour autant que les services de ltat sen donnent les moyens.

    La deuxime question ouverte est celle des mythes mobilisateurs : le dveloppement durable, la mise en uvre de la solidarit territoriale ou encore la matrise de ltalement urbain constituent des entres pertinentes pour autant que lon sen serve comme outil danalyse des dynamiques territoriales plutt que comme autant de justifications, accusatoires qui plus est lendroit des collectivits territoriales. Cela suppose, comme le suggrait un responsable municipal en Seine-Saint Denis, que les services de ltat donnent sens ces mythes en acqurant une intelligence territoriale de nature ouvrir un dialogue avec les autorits locales. La lecture dynamique des interdpendances selon cette grille -qui, pour tre fonde sur des mythes, nen a pas moins sa lgitimit- peut contribuer redonner du sens lintervention de ltat, pour autant quil sche faire voluer ses politiques sectorielles.

    Dautant que -troisime interrogation- chacun sent bien combien il peut tre illusoire de faire reposer lensemble de ldifice sur une rforme de la carte communale et de ladministration territoriale. Lexemple francilien montre, ici encore, combien, la dconnection entre lespace lgitime et lespace pertinent ne saurait tre comble par une extension de lintercommunalit, fut-elle moderne et solidaire. . Il ne parat pas possible, ni mme souhaitable, de redessiner la carte administrative jusqu ce quelle englobe de faon cohrente la totalit des ph nomnes spatiaux. Larbitraire politique doit tre assum sous peine de dispara tre dans des entit s gargantuesques , parfaitement technocratiques. Lorganisation territoriale britannique, dont on vante souvent la simplicit et la rationalit, ne semble avoir vit ni les ghettos, ni les secteurs prot gs habits par les classes dominantes ; il nest pas certain par ailleurs quelle soit plus favorable la d mocratie locale que le systme franais . Le systme de coopration intercommunale volontaire, souvent d nonc comme un ensemble de niches notables, ne parat pas avoir dmrit dans sa capacit conduire des actions de dveloppement et damnagement du territoire, si on le compare aux pays voisins .. Il nest dailleurs pas aussi fiscalement injuste quon le dit, car en France comme dans tous les pays dvelopps, la notion de fiscalit locale na pas grande signification, tant elle est incluse dans un r seau complexe de transferts nationaux .Il nest mme pas certain que la plupart des maires des grandes villes souhaite ltablissement d autorits dagglomration lues au suffrage universel. Des agglomrations comme Toulouse ou Nantes ne disposent pas dintercommunalits fortes la premire est divise en diff rents blocs intercommunaux, la seconde dispose seulement dun district rcent ; elles parviennent nammoins fonctionner de manire bien plus satisfaisante que certaines agglomrations dot es de communauts urbaines . La plupart des responsables politiques locaux sont bien plus demandeurs dorientations pr cises manant de ltat que de rforme institutionnelles.

    Ces trois lignes d interrogations -la mise en lumire des interdpendances entre territoires et phnomnes, lusage des mythes mobilisateurs comme grille de lecture des phnomnes spatiaux et la reconnaissance dun degr darbitraire ncessaire pour que la dmocratie et la politique locales puissent fonctionner- dessinent les contours dune posture territoriale possible pour l tat. Cette posture nest pas vraiment celle de l tat animateur, en ceci quil ne revient pas la puissance publique dapporter systmatiquement le sens cach ni mme d tre lorigine de toutes les mobilisations locales mais elle ne consiste pas non plus dans une dlgation systmatique des prrogatives politiques aux autorits locales. Llaboration danalyses territoriales

  • mettant en lumi re les liens entre dveloppement et solidarit dune part, entre les diffrentes chelles dinterprtation dautre part constitue lvidence un crnau qui reste occuper.

    CONSTITUER UNE NOUVELLE REPRESENTATION DU TERRITOIRE NATIONAL

    Ces quelques rflexions sur la relation entre chelles et projets dans le champ de lam nagement du territoire permettent dclairer nous lesprons, du moins la notion dtat creux. Un tat svide non pas simplement cause des concurrences quil subit, par le haut (LEurope) et par le bas (les collectivit s locales) mais parce quil n est plus soutenu par une idologie qui en justifie lexistence et parce que ladhsion cette idologie sest puise. La construction dune reprsentation du territoire national participe de cet difice idologique. Le d ficit de reprsentation du territoire nest quun des aspect de lpuisement de lidologie tatique nationale. En ce sens, la crise de laction publique est bien une crise de la reprsentation, non pas dans lacception classique de la thorie des rgimes reprsentatifs, mais dans celle de la construction collective dun systme de justification dun rfrentiel, diraient Jobert et Muller. La reprsentation territoriale des ann es 1960 avait une triple fonction : elle fondait la justification du pouvoir central, elle donnait un sens laction publique, elle situait l individu et son environnement immdiat dans le monde. LEurope des nations constituait lhorizon accept dune expansion cohrente et intgratrice. Nous sommes dsormais au pied du mur : lEurope est construite ( peu de choses prs) et la belle totalit gaullienne sest perdue. Nous flottons au-dessus des ruines de la modernit dans un scaphandre idologique confectionn lpoque giscardienne qui correspond, peu de choses prs, la priode de formation des lites actuelles. Cet appareillage mle le volontarisme dmocratique dun Proudhon (liberts locales, identits territoriales, participation, coute, projet, initiatives, etc.) au cynisme dun Guizot (l encouragement lenrichissement compens par des oprations de bienfaisance), tout en pratiquant volontiersnotamment au sein de ladministration centrale de ltat la nostalgie de la belle poque du Gnral o gouverner avait un sens. On voit combien, dans ce contexte, les appels au sursaut rpublicain, au nom de la Nation et en celui de lintgrit de son territoire, au-del de leur caractre rgressif, participent de cet quipement de plonge. Ils perptuent le simulacre dune dcision publique rduite aux acquts et limite aux fronti res mais demeurent incapables de produire lintercession entre le local et le global qui permettrait aux citoyens de se situer .

    Or, si lon veut traiter le dilemme actuel entre solidarit et dveloppement, la production de compromis entre ces deux registres de laction publique devient ncessaire. Certes, l tat lui seul nest plus en mesure dindiquer le contenu positif des compromis, comme lpoque o le gouvernement entendait transformer le territoire en une vaste manufacture. Il est en revanche la seule instance susceptible dinviter les diffrents acteurs oprer, leur chelle, des compromis de ce type. D o ceci quune nouvelle posture dun tat qui ne serait plus amnageur pourrait reposer sur trois piliers interdpendants : l nonciation de mythes mobilisateurs qui fonctionnent comme autant de questions adresss aux oprateurs territoriaux (la mixit, ltalement urbain, la solidarit , etc) ; lintercession territoriale qui met en perspective les chelles les unes par rapport aux autres et qui tente de tenir la continuit entre dveloppement et solidarit ; linvitation permanente des oprateurs territoriaux, aux diffrentes chelles, formuler les compromis raisonnables entre ces deux enjeux. Pris isolment, ces trois piliers ne sont gure solides. Ensemble, ils peuvent caractriser le r le dun tat contemporain, en situation de codfinir lintrt gnral comme un construit collectif. Ceci permettrait peut-tre de sortir par le haut de loscillation entre la nostalgie de la modernit et l abandon post-moderne la fragmentation des chelles et des projets.

    Publications rcentes : Des petites villes en Ile-de-France, de la cit quilibre la ville clate in May, N., Landrieu, J., Spector, Th. (ds.), La ville clate, ditions de lAube, 1998. Les dtours de lgalit. Remarques sur la territorialisation des politiques sociales Revue franaise des affaires sociales, 4, 1998.