Deuxième traité du grand seth

download Deuxième traité du grand seth

of 10

Transcript of Deuxième traité du grand seth

  • 8/8/2019 Deuxime trait du grand seth

    1/10

    ruditest un consortium interuniversitaire sans but lucratif compos de l'Universit de Montral, l'Universit Laval et l'Universit du Qubec

    Montral. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. ruditoffre des services d'dition numrique de documents

    scientifiques depuis 1998.

    Pour communiquer avec les responsables d'rudit : [email protected]

    Article

    Louis PainchaudLaval thologique et philosophique, vol. 36, n 3, 1980, p. 229-237.

    Pour citer la version numrique de cet article, utiliser l'adresse suivante :

    http://id.erudit.org/iderudit/705810ar

    Note : les rgles d'criture des rfrences bibliographiques peuvent varier selon les diffrents domaines du savoir.

    Ce document est protg par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'rudit (y compris la reproduction) est assujettie sa politique

    d'utilisation que vous pouvez consulter l'URI http://www.erudit.org/documentation/eruditPolitiqueUtilisation.pdf

    Document tlcharg le 23 November 2010 07:40

    Le Deuxime Trait du Grand Seth (NH VII, 2)

  • 8/8/2019 Deuxime trait du grand seth

    2/10

    LE DEUXIME TRAITDU GRAND SETH (NH VII, 2) 1

    Louis P AINCHAUDTE D e u x i m ~ Trait du Grand Seth (GrSeth) est le deuxime trait du codex VII de laL blblIOtheque copte de Nag Hammadl (p. 49,10-70,122)2. Ses vingt-deux pagescomptent en moyenne trente-cinq lignes chacune et sont en parfait tat de conservation J. On peut dater de l'an 345 environ l'criture du scribe 4 et la reliure du code 5.

    Il ne fait aueun doute aujourd'hui que le GrSeth et la Paraphrase de Sem(ParaSem) qui le prcde immdiatement constituent deux traits diffrents. Il n'enfut pas toujours ainsi. H.-Ch. Puech et, sa suite, J. Doresse, dans les descriptionsqu'ils donnrent du codex VII, ont considr les pages 1 70 comme un seul etmme trait. Pour eux, en effet, l'incipit La Paraphrase de Sem (p. l, 1) et lecolophon Le Deuxime Trait du Grand Seth (p. 70, 11-12) dsignaient un seul

    1. Cet article recueille l'essentiel d'une thse prsente l'cole des Gradus de l'Universit Laval pourl'obtention du grade de Ph.D. Cette thse dont le titre est: Le Deuxime Trait du Grand Seth.introduction. texte. traduction et commentaire a t complte d'index grec et copte et paratra dans laBibliothque Copte de Nag Hammadi.

    2. Le texte est accessible en dition photographique dans The Facsimile Edition of the NaK HammadiCodices: Codex VII, pubhshed under the auspices of the Department of Antiquities of the ArabRepublic of Egypt in conjunction with the UNESCO, Leiden, 1972. Une premire traductionallemande accompagne du texte copte a t donne par M. KRAUSE, Der Zweite LOKoS des GrossenSeth, dans Christentum am Roten Meer, II, d. F. Altheim, R. Stiehl, Neue Texte .. , Berlin, 1973,p. 106-151. Une seconde traduction allemande a t faite par H .G. BETHGL, Zweiter Logos des GrossenSeth, Die Zweite Schrift, aus Nag-Hammadi-Codex VII. Eingeleitet und ilbersetzt vom BerlinerArbeitskreis fa r Koptisch-gnostische Schriften, TLZ 100 (1975) 97-110. Une traduction anglaise deR.A. BlJLLARfJ, The Second Treatise of the Grelh Seth (VII ,2), introduced by J.A. Gibbons, translatedby R.A. Bullard, edited by F. Wisse, est parue dans The Nag Hammadi Library, cd. J.M. Robinson,San Francisco, 1977, p. 329-340 (abrg The Second). Une introduction et un commentaire encoreindits de la traduction de R.A. Bullard ont t faits par J.A. GIBBONS, A Commentaryon the Secondl.ogos of the GreaI Seth, Yale University, Ph.D. Dissertation, 1972.

    3. La description papyrologique du Codex VII a t faite par M. KRAUSE et PAHOR L ~ B I B , Gnostische undhermetische Schriften aus Codex II und Codex VI (ADAIK, Koptische Reihe, 2), Glckstadt, 1971,p. 2-4 et 236.4. H.-Ch. PUECH, Les nouveaux crits gnostiques dcouverts en haute gypte .. , dans Coptic Studies inHonour of WE. CRUM, Byzantine Institute of America, Boston, 1950, p. 105.

    5. Cf. R. K . ~ s S F R , Fragments du livre biblique de la Gense cachs dans la reliure d'un codexgnostique .. , Muson 85 (1972), 76 et J.W.B. BARNS, Greek and Coptic Papyri from the covers of theNag Hammadi Codices .. , dans says on the Nag Hammadi Texls, cd. M. Krause (NHS, 6), Leiden,1975, p. 12.229

  • 8/8/2019 Deuxime trait du grand seth

    3/10

    LOUIS PAINCHAUD

    trait qu'ils identifiaient la Paraphrase de Seth dont fait mention Hippolyte danssa notice sur les sthiens (Ref, V, 19.23)6.De nombreuses difficults se prsentent qui veut faire une tude attentive du

    GrSeth. Parmi celles-ci, mentionnons une syntaxe droutante, souvent loigne dusahidique classique; un plan premire vue aberrant, sem de rptitions et decontradictions; une doctrine obscure o s'entremlent les allusions mythologiques etles emprunts no-testamentaires; enfin, une polmique dont l'objet n'apparat pasclairement la premire lecture.Dans la prsentation qui suit, o nous rsumons l'essentiel de notre introductionet de notre commentaire du GrSeth, nous exposons les solutions que nous avonsapportes aux problmes que posent la composition du trait, l'utilisation de lamythologie et du Nouveau Testament et, finalement, la polmique qu'il soulve.

    1. LA COMPOSITION DU TRAITLe genre littraire du GrSeth s'apparente au logos de rvlation en ce qu'iltransmet une connaissance qui vient d'en haut, qui est donne. Le trait n'emploiecependant pas les fictions propres ce genre littraire: extase, ascension cleste,vision ou audition, dcouverte d'un livre ou d'une stle, etc.? L'auteur du discoursest le Sauveur lui-mme qui affirme ds le prologue (49, 10-50, 1) son origine clesteet sa mission de Rvlateur de la Pense et de la Parole du Pre. Il est d'ailleurs luimme cette Pense et cette Parole (p. 49, 20-25). Dans l'pilogue (p. 69, 19-70, 10),l'auteur du discours se prsente nouveau comme le Sauveur et s'identifie clairement Jsus-Christ, le Fils de l'Homme (p. 69, 20). Le corps du trait (p. 50, 1-69, 19) estconstitu comme un long discours tantt narratif, tantt exhortatif, mais constamment marqu d'un souci polmique. Et c'est toujours le Rvlateur qui parle,tantt la premire personne du singulier, tantt la premire personne du pluriel.Dans ce dernier cas, il se confond avec les destinataires de sa rvlation, les lus.Ce discours de rvlation revt un cadre de composition premire vuedroutant. La plus visible difficult qu'il prsente est sans conteste la reprise quasitextuelle, la p. 54, 14, des premires lignes du prologue, reprise qui est suivie d'unrsum des pages prcdentes. Cette anomalie que le GrSeth partage d'ailleurs avec

    l'Authentikos Logos (AuthLog, p. 25,26-33) nous a fourni la clef de sa composition.Elle est caractristique, en effet, du cadre de composition des traits scolaires del'me commun L'AuthLog et au GrSeth 8 Cette reprise du dbut du trait dans le

    6. Cf. H.-Ch. PUECH, Les nouveaux crits gnostiques dcouverts en haute gypte ", dans Coptie Studiesin Honour ofWE. CRUM. Byzantine Institut e of America, Boston. 1950. p. 123 et J. DORESSE. Les livressecrets des gnostiques d'gypte, Paris, 1958, p. 170-178.7. Cf. au sujet de ce genre littraire. A.J. FESTliGIRE, La rvlation d'Herms Trismgiste J. L'ostrologieetles sciences occulles (EB). Paris. 1944. p. 308-354.8. Cf. L. PAINCHAUD. Le deuxime Trail du Grand Seth et le cadre scolaire des traits de l' me ". AcIs ofthe International Conference on Gnosticism. Yale, 28-31 mars 1978, ed. B. Lay ton. paratre. proposde cadre de composition de l'AuthLog. cf. G.W. MAcRAE, A Nag Hammadi Tractate on the Soul ...dans Ex Orbe Religionum 1 (Mlanges G. Widengren: Supplements ta Numen 21), d. J. Bergman,K. Drynjeff, H. Ringgren. Leiden. p. 471-479.

    230

  • 8/8/2019 Deuxime trait du grand seth

    4/10

    LE DEUXIME TRAIT DU GRAND SETH (NH VII, 2)

    corps du texte, de mme que la rptition des thmes de l'introduction la toute finde l'pilogue, sont les indices formels les plus vidents de l'utilisation de ce cadrede composition. Toutefois, la similitude ne s'arrte pas l et l'ensemble du contenu dutrait est organis selon les quatre grandes divisions des traits hellnistiques del'me qui portent successivement sur la nature et l'origine de l'me, l'origine, letemps et le mode de son incarnation, le sort de \' me incarne et l'eschatologie 9,

    ces quatre parties correspondent dans le GrSeth quatre divisions qui portent la fois sur le Sauveur et les sauvs, donnant par l un relief particulier l'ide chreaux gnostiques de l'identit du Sauveur et des sauvs 10, Le trait expose en effet l'intrieur de chacune de ses quatre parties, en des termes trs voisins, le sort dessauvs et celui du Sauveur, tablissant entre eux un parallle tantt explicite, tanttimplicite, mais constant.Voici donc le plan du GrSeth:Prologue (p. 49, 10-50, 1)1 ORIGINE PLRMATIQUE DU SAUVEUR ET DES SAUVS (p. 50,1-24)II ORIGINE ET MODE DE L'INCARNATION DU SAUVEUR ET DESSAUVS (p. 50, 25-54, 14)

    1. Origine et mode de /'incarnation des sauvs (p, 50, 25-51, 20)2. Origine et mode de l'incarnation du Sauveur (p. 51,20-54,14)Rsum (p. 54, 14-55, 8)III SORT DU SAUVEUR ET DES MES INCARNS1. Le Sauveur (p, 55, 9-59, 9)2. Les sauvs (p. 59, 9-65, 33)IV ESCHATOLOGIE (p. 65, 33-69, 19)pilogue (p. 69, 19-70, 10)Colophon (p. 70, 10-12)

    La mise jour de ce cadre de composition permet de rsoudre la plupart desdifficults poses par le GrSeth au plan formel. Les ruptures syntaxiques et desrptitions qu'on y a notes correspondent aux grandes divisions du trait; il en estainsi des passages du singulier au pluriel ou de la narra tion l'exhortation. De plus,la cohrence formelle du trait se trouve ainsi tablie et nous pouvons affirmer aveccertitude qu'il s'agit l de tout autre chose que d'une malhabile compilation. Ildevient ds lors plus ais d'envisager les problmes poss par la doctrine du trait.Enfin, le choix de ce cadre de composition, l'habilet avec laquelle il est utilis,trahissent l'influence d'un milieu scolaire hellnistique sur l'auteur du trait ou, tout le moins, sur son milieu d'origine.

    9. Cf. A.J. FESTUGIRE, La rvlation d'Herms Trismgiste, III, Les doctrines de l'me (ER), Paris, 1953,p. 1-26.10. Comme nous le verrons plus loin propos de la doctrine, cette ide est fondamentale pour lacomprhension du GrSeth. Elle explique la fois la faon dont chacune des divisions du trait estcompose, le passage de la premire personne du singulier la premire personne du pluriel dansl'nonciation, et le parallle qui est fait entre la christologie et l'ecclsiologie dans le trait.

    231

  • 8/8/2019 Deuxime trait du grand seth

    5/10

    LOUIS PAINCHAUD

    II. LES SOURCES DU TRAITLe GrSeth est un trait gnostique chrtien. Comme nous l'avons vu, il identifie leSauveur-rvlateur Jsus-Christ, le Fils de l'Homme. De plus, il fait de frquentesallusions au Nouveau Testament, particulirement l'vangile de Jean. Par ailleurs, ilfait appel de nombreux motifs mythologiques dont il se sert pour interprter soit lesvnements dont le NT fait le rcit, soit la situation historique dont le trait est lereflet. En fait, au plan des sources d'inspiration, le trait s'labore sur la base d'undouble corpus qui en constitue les fondements. Ce corpus est compos d'une part d'unNT correspondant grosso modo au NT canonique et, d'autre part, d'un complexemythologique dont nous esquisserons brivement les contours.Les sections du trait qui exposent le mode de l'incarnation du Sauveur (p. 51,

    20-54, 14) et son sort terrestre (p. 55, 9-59, 9) se prtent part iculirement bien l'illustration de cette double inspiration du GrSeth. Elles prsentent en effet uneinterprtation allgorique des vnements de la vie de Jsus tels qu'ils apparaissentdans le NT la lumire de ce complexe mythologique.

    La plupart des allusions no-testamentaires contenues dans le trait sontd'ailleurs condenses dans ces pages. Comme il ne s'agit jamais de citations textuellesmais plutt d'allusions parfois explicites, souvent implicites, il n'est pas toujourspossible de dterminer avec toute la prcision souhaite quel passage no-testamentaireest en cause. plus forte raison cette prcision devient-elle absolument impossiblequand ce ne sont pas des passages, mais des thmes, tel celui de la division des Juifschez Jean, qui sont en cause. Plusieurs des rapprochements que nous suggrons, s'ilstaient considrs isolment, pourraient donner lieu un dbat sans fin. Toutefois,quand on envisage l'ensemble de ces cas, la situation devient plus claire.

    Dans les deux sections du trait que nous considrons ici, les emprunts faits auNT ne sont pas constitus de citations isoles. C'est au contraire la squence desvnements entourant la vie publique, la passion et la crucifixion de Jsus qui tisse latrame mme de l'expos. Voici donc cette squence:p. 52, 1-29p. 52, 30-36p. 53, 12-54, 14p. 56, 4-13p. 58, 13-59,9

    Vie publique de Jsus et division des Juifs son sujet (ln, 1,19-11,44) ;Complot et faux tmoignages contre Jsus (ln, 11,45-54; Mt.,26, 59-61);Prsentation de Jsus aux Juifs (ln, 19, 1-16);Le prtoire et la monte au calvaire (Mc, 15, 16-23);La crucifixion (Mt., 27, 45-54).

    Il ne nous est pas possible ici de qualifier ces rapprochements de faon prcise.On pourrait parler, selon les cas, de rfrences textuelles interprtes, d'allusionsthmatiques, de rminiscences ou d'chos, d'exgse allgorique. Quoi qu'il en soit,cette squence illustre bien, pour une partie du texte, l'importance des rfrences notestamentaires. Celles-ci n'interviennent pas seulement de faon ponctuelle; elles neconstituent pas seulement un mince vernis; mais elles fournissent le matriau mmede cette section du trait. Les allusions au NT ne sont pas aussi importantes dans le

    232

  • 8/8/2019 Deuxime trait du grand seth

    6/10

    LE DEUXIME TRAIT DU GRAND SETH (N H VII, 2)

    reste du trait, Elles y sont cependant nombreuses et, en dehors d'chos johanniques 1J,on y trouve plusieurs allusions saint Paul.

    Si les vnements de la vie de Jsus rapports par les vangiles fournissent lematriau avec lequel est btie cette section du trait, ils y sont cependant juxtaposs des motifs mythologiques destins en clairer la signification. Ceux-ci relvent del'anthropogonie ou de la thogonie. On y retrouve, dans l'ordre: l'apparition de1'1 mage de l'Homme et le trou hIe des archontes (p. 51,24-52. 1 : 52. 10-14). le conseildes archontes (p. 52, 13-14), la division entre Adonaios et laldabaoth (p. 52,20-24),la cration de l'homme charnel (p. 53, 5-12) et la rbellion des anges (p. 53,12-54, 14). Ces motifs, comme sa vision globale du monde cleste et du mondeinfrieur. rapprochent manifestement le GrSeth des crits mythologiques dits" sthiens du codex II.

    En fait, la charpente de cette section du trait est constitue de la conjonction ducadre chronologique des vnements de la vie de Jsus et du schma anthropogoniquecommun ce groupe d'crits 12. Dans l'HypArch, par exemple, le rcit de la crationde l'homme charnel apparat comme un mythe de salut. L'me est d'abord soustraite ]'Archonte pour tre insuff1e dans l'homme charnel, aprs quoi un Sauveur lui estenvoy qui, en se dpouil lant de l'enveloppe charnelle qu'il avait revtue, indique quele salut passe par le rejet de la chair faonne par les archontes. Et ceux-ci,finalement, dtruisent cette chair qui n'est que leur propre crature (HypArch p. 87,12-89,31).

    Dans ce rcit, nous pouvons dgager le schma suivant:situation originelle1. existence d'une entit cleste dans le monde;prparation du salut2. manifestation d'un modle cleste;3. contrefaon de ce modle par les archontes;4. entre de l'entit cleste dans la contrefaon;ralisation du salut5. descente d'une seconde entit cleste;6. rejet de la contrefaon;7. destruction de la contrefaon.C'est ce modle qui organise tout le discours christo ogique du trait et

    particulirement la section que nous envisageons ici. L'incarnation du Sauveur y esten effet prsente comme l'entre de l'entit cleste dans la contrefaon (p, 51,20-24),entre qui suscite ractions et perscutions de la part des Juifs qui tiennent dansl'histoire de Jsus la place qu'occupent les archontes dans l'anthropogonie (p, 51,24-56, 13). Puis le Sauveur cleste descend victorieusement travers les sphres desarchontes pour ravir dans la hauteur son double qui s'tait incarn (p. 56, 14-57,27);puis la dpouille charnelle de celui-ci est leve sur la croix comme signe la fois de la

    Il. L'expression est employe par J.A. GrBBONS, A Commentary on the c"J'econd TreatiJe o{lhe Greai Seth,Ph.D. Dissertation, Yale, 1972, p. 42.12. Cf. B. BARC, CHl'postase des Archollles (BCNH. 5), Qubec, 1980. p. 5s.

    233

  • 8/8/2019 Deuxime trait du grand seth

    7/10

    LOUIS PAINCHAUD

    remonte du Sauveur et de la ruine de la domination des archontes sur le monde(p. 51l, 13-59, 9).

    Ainsi, c'est le schma mythologique emprunt l'anthropogonie qui fournit autrait le cadre de son expos christologique. Les contacts entre le GrSeth et ce corpusmythologique que nous dsignons comme sthien ne peuvent donc tre considrscomme de simples emprunts de surface des motifs allgemeingnostisch . Et cetteparent entre le GrSeth et la tradition anthropogonique dite sthienne est d'autantplus troite que c'est ce mme schma mythologique qui sous-tend et qui organise sondiscours ecclsiologique et son discours sur le salut de l'me individuel. C'estd'ailleurs la permanence de ce modle dans le GrSeth qui donne au trait sacohrence doctrinale.

    De tout ceci, nous ne pouvons que conclure, et en cela nous nous opposons Schenke qui nie la possibilit d'une telle rencontre 1\ que le GrSeth illustre merveillela conjonction du courant mythologique dit sthien et d'un gnosticisme chrtien.III. LA POLMIQUE ANTI-ECCLSIALE

    Un des traits dominants du GrSeth est sans conteste son caractre fortementpolmique. La violence du ton exclut l'artifice littraire et il faut y voir la trace d'unconflit rel. L'origine nettement chrtienne du trait, de mme que l'identification desadversaires qu'il entend combattre comme des chrtiens (p. 59, 24-26), permetd'affirmer que le dbat en question mettait aux prises deux tendances chrtiennesrevendiquant chacune pour elle-mme la pleine et exclusive intelligence de larvlation. Dans le GrSeth comme, semble-t-il, dans l'Apocalypse de Pierre, les deuxprincipaux points en litige sont la doctrine de l'incarnation et la discipline ecclsiale.

    Ces deux aspects du conflit peuvent paratre dnus de liens pour qui lesconsidre de l'extrieur. En ralit, ils sont intimement lis. Pour la tendance quis'exprime dans le GrSeth, la commune origine plromatique du Sauveur et des sauvs(p. 50, 1-24) fonde leur communaut de destin dans le monde (p. 50,24-65,33). Etainsi, mutatis mutandis, le sjour des gnostiques dans l'glise correspond celui duSauveur sur terre, l'un et l'autre trouvant dans l'habitation passagre de l'me dansun corps leur ultime modle. C'est encore cette mme origine cleste qui met leSauveur hors d'atteinte de la mort et qui permet aux lus d'chapper la dominationdes archontes.Comme nous l'avons vu, c'est un schma anthropogonique comparable celuide l'HypArch qui fournit au GrSeth le modle et le cadre de son expos christologique 14. Le Sauveur, issu du Plrme, vient habiter pour un temps dans une

    13. Cf. H.M. SCHENKE, "The Phenomenon and Significance of Gnostic Sethianism .. , Acts of theInternational Conference on Gnosticism, Yale, 28-31 mars 1978, ed. B. Lay ton, paratre.14. C'est d'ailleurs la lumire de cette parent seulement que l'on peut mesurer le sens exact dudoctisme du GrSeth, car il est du mme type que celui que l'on rencontre dans l'HypArch. Cf. cepropos U. BIANCHI, "Docetism a secular Theory about the Ambivalence of the Presence of theDivine ", dans Myths and Symbols. Studies in Honour ofMireea L/ADE, Chicago, 1969, p. 265s.

    234

  • 8/8/2019 Deuxime trait du grand seth

    8/10

    LE DEUXIME TRAIT DU GRAND SETH (NH VII, 2)

    demeure corporelle (p, 51, 20-54, 14), Il Yest soumis aux mauvais traitements que luiinfligent les cratures des archontes (p. 55, 9-56, 13). Puis, au moment de lacrucifixion, le double cleste du Sauveur descend victorieusement travers lessphres archontiques et ramne ce dernier dans la hauteur (p. 56, 14-57,27). Celui quiest crucifi n'est plus que l'enveloppe charnelle que le Sauveur avait emprunte pourse manifester, une crature des archontes (p. 58, 13-30) ou, si l'on veut, le premiern de la maison des dmons (ApocPi p. 82, 22-23). Son lvation sur lacroix (p. 58, 13-(7) est la fois le signe de la remonte du Sauveur dans la hauteur etde la ruine de la domination des archontes sur le monde.

    Ainsi interprt, le passage du Sauveur sur terre a surtout une valeur exemplaire.Bien sr, il prpare l'eschatologie en provoquant la sparation des races (p, 52,14-29); mais son efficacit rside principalement dans le fait qu'elle rvle au parfaitle chemin qu'il doit suivre pour a c c ~ d e r au salut: se runir son double cleste etdpouiller le vieil homme. Et, notons-le, J'incarnation du Sauveur est ncessaire l'accomplissement de sa mission, tout comme l'entre de l'enti t cleste dans un corpsest ncessaire la ralisation du salut dans le schma anthropogonique du codex II.

    On le voit bien, la thse de la mort relle du Sauveur sur la croix taitabsolument incompatible avec une telle doctrine. Dans l'esprit du trait, elle nepouvait tre qu'une ruse destine maintenir les chrtiens sous l'emprise del'Archonte. Et cette vue se trouvait encore confirme par le fait que ceux quiprchaient ce Sauveur vritablement mort sur la croix le faisaient fils du dieu del'Ancien Testament dont il serait venu accomplir les promesses.

    La logique qui amne le GrSeth rejeter la doctrine christo ogique orthodoxefonde galement son refus de l'interprtation paulinienne du baptme associant lefidle la mort du Christ (p. 49,25-28), Au contraire, le baptme consacre l'unit dubaptis avec le Pre et le Fils (p. 49, 28-50, 1); il runit totalement sa volont laPense du Pre (p. 61, 33-62, 1).

    Cette union interne du fidle avec le Pre et le Fils est inaugure par le baptme;mais c'est dans l'origine plrmatique commune du Sauveur et des sauvs qu'elletrouve son fondement (cf. supra). Elle reoit sa plus complte expression dans cetteformule mise dans la bouche du Sauveur: J'accomplis toute chose en celui qui estbon (p, 62, 10-11). Une telle comprhension de l'unit, voire de l'identification duSauveur et des fidles ne pouvait mener qu' un modle ecclsiologique o la libertprimait sur la loi (p. 61,28-62, 1), l'galit sur la hirarchie et les distinctions de statutou de rle dans la communaut (p. 62, 1-27).

    Ds lors, l'imposition d'une hirarchie (le GrSeth parle d ' a u t o r i t , E ~ o v a i t t , et deloi, VOIIO, p. 61, 11-(4) ne pouvait apparatre que comme une tentative de maintenirou de ramener les mes libres sous le joug du dieu du monde 15.

    15, Cf. E,H, PAGELS, The Demiurge an d his Archons' - A Gnostic View of the Bishop andPrcsbyters' HTR (1976), 301-324,235

  • 8/8/2019 Deuxime trait du grand seth

    9/10

    LOUIS P A l ~ C H A l : D

    Cette union intime des sauvs avec le Sauveur fournit donc la base doctrinale surlaquelle on pouvait fonder un refus de la hirarchie. Les liens qui runissent lesaspects christologique et ecclsiologique de la polmique ne s'arrtent toutefois pasl. De nombreux indices que nous ne pouvons dtailler dans le cadre de cet articlepermettent de croire que c'est le mme schma anthropogonique qui sert d'armatureau discours christologique du trait et sa vision de l'glise. Ce schma tantconstitu d'une squence d'vnements situs dans la protogonie, la vision de l'glisequ'il inspirera sera donc aussi, il faut le noter, une vision inscrite dans une histoiredont nous pouvons dj esquisser les grands traits.

    l'origine, des ennoias sortent du Plrme, l'glise cleste, pour descendre dansle monde infrieur (p. 50, 5-7, 13-15). Puis, Sophia vient prparer le salut en leurfaisant construire par les archontes des demeures corporelles" (p. 50, 24-51, 20).Cette prparation est cependant suivie d'une ruine" (p. 51, 9-10) qu'un passage del'Apocryphon de Jean du codex II nous permet d'identifier au dluge (ApocrJn II,p. 25, 2-16) 16 .Aprs cette ruine" toutefois, ceux qui sont dans le monde habitent dsormaisdans les corps et, ainsi prpars, ils sont prts recevoir la rvlation. Tout sembledonc indiquer que l'habitation dans les corps", emprunte au langage anthropologique, fait ici rfrence la priode historique de la prparation et de l'attente dusalut, c'est--dire la priode historique de la religion juive et du christianismeprimitif. Puis, des ons-sauveurs issus du plrme viennent habiter auprs de chacune

    de ces ennoias (p. 59, 9-19). Et le trait se situe l'heure du choix, de l'atpt

  • 8/8/2019 Deuxime trait du grand seth

    10/10

    LE DEUXIME TRAIT DU GRAND SETH (NH VII, 2)

    quelque peu en question le dtachement du temps qui est cens caractriser la pensegnostique 1R.Enfin, en guise de conclusion, le GrSeth est un trait gnostique chrtien

    d'inspiration sthienne . Il se prsente, un peu comme le Poimandrs. comme undiscours de rvlation qui emprunte son cadre de composition aux traits hellnistiques de l'me. Il s'agit d'un crit de circonstance d'une grande cohrence formelleet doctrinale dont le principal objectif est de lutter contre une tenda nce chrtienneproche de ce qui deviendra l'orthodoxie. Les principaux points en litige sont ladoctrine de l'incarnation et la discipline ecclsiale et, dans les deux cas, c'estl'assujettissement au monde matriel (ou aux archontes) qui est rejet. Pour leGrSeth, l'origine cleste du Sauveur le place au-dessus de la mort et de la dominationdes archontes. De mme, les vrais chrtiens, cause de leur origine cleste ct de leurcommunion avec le Sauveur, sont libres et gaux. Pour reprendre des expressionsconsacres souvent associes la nbuleuse" sthienne, c'est parce qu'ils sont des!pWE/. ( } " w ~ ~ H ' O ~ qu'ils ne sauraient admettre parmi eux ni distinction, ni loi, niautorit; c'est parce qu'ils sont trangers au monde, comme le Sauveur lui-mme(p. 52, 8-10) dont ils sont les compagnons de race (p. 63, 9) et les frres (p. 70. 9).qu'ils sont sauvs par nature ".

    18. D'aprs H.-Ch. Puech, la conception gnostique du salut serait absolument trangre touteperspective cosmologique ou historique (