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qy;9 DEUX QUATRAINS EN PATOIS DE LA HAUTE MARCHE IMPRIM?!S A PARIS EN 1586. Mon confrère et ami, M. Émue Picot m'a causé autant de surprise que de joie en me signalant, au mois de décembre dernier, l'existence de vers en patois de la Haute Marche dans une plaquette imprimée à Paris cri 186. Le meilleur moyen de le remercier de sa gracieuse attention, c'est assurément de porter à la connaissance du public compétent les circonstances de cette trouvaille inattendue et de commenter, pour les mettre en pleine valeur, les deux textes qu'elle vient d'arracher à un long oubli. Voici, fidèlement copié sur l'exemplaire de la Bibliothèque Nationale (Inv. Réserve, Ye 1930), le titre de l'opuscule en question LES LARMES, REGRETS ET DEPLO- RATIONS SVR LA MORT DE IRAN EDOVART DV MONIN excellent poète Grec, Latin & François. Compofé par Français Granchier, Marchais, fan nepuen & efcolier. (Marque du libraire) A PARIS, Chez Pierre Ramier, rue faina Jean de Latran, à l'enCeigne du Serpent. '86. Document ii ii iii 1111 ;ii ll liii LII I 0000005780327 --

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DEUX QUATRAINS

EN PATOIS DE LA HAUTE MARCHE

IMPRIM?!S A PARIS EN 1586.

Mon confrère et ami, M. Émue Picot m'a causé autant desurprise que de joie en me signalant, au mois de décembredernier, l'existence de vers en patois de la Haute Marche dansune plaquette imprimée à Paris cri 186. Le meilleur moyen dele remercier de sa gracieuse attention, c'est assurément de porterà la connaissance du public compétent les circonstances de cettetrouvaille inattendue et de commenter, pour les mettre en pleinevaleur, les deux textes qu'elle vient d'arracher à un long oubli.

Voici, fidèlement copié sur l'exemplaire de la BibliothèqueNationale (Inv. Réserve, Ye 1930), le titre de l'opuscule enquestion

LES LARMES,REGRETS ET DEPLO-

RATIONS SVR LA MORT DE

IRAN EDOVART DV MONIN

excellent poète Grec, Latin& François.

Compofé par Français Granchier, Marchais,

fan nepuen & efcolier.

(Marque du libraire)A PARIS,

Chez Pierre Ramier, rue faina Jean de Latran,à l'enCeigne du Serpent.

'86.

Document

ii ii iii 1111 ;ii ll liii LIII0000005780327--

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A. THOMAS [o]

La plaquette de François Granchier forme un in-octavo depetite dimension (o " 16, x o n roj) ; elle compte 24 pages,dont les trois dernières sont en blanc. Après le titre vient unecourte préface paginée 3-4 et intitulée : Av LEcTEVIt SALUT. Lespages -8 sont occupées par des pièces de vers adressées à l'an-leur: p. 5, vers latins signés L. Mabeyrat '. M. (2 distiques);vers grecs signés : ri. l3aaç ?qÂ. (r distique) ; vers latinssignés : S. ]3riŒe. M. (2 distiques); p. 6, vers latins signés:lord. Guibeletus (4 distiques); vers français signés : Ch. Varin.V. C. 0. alexandrins); P . 7, vers fiançais signés : C. GoyAnu. (4 alexandrins) ; vers français signés : 1. De Latrene.Gascon (4 décasyllabes); p. S, les deux quatralps en patois quevoici, et dont je reproduis avec une exactitude minutieuse nonseulement le texte, niais la disposition matérielle

A PItANcEy GRANCHIEIC

MON tES!.

Granchièr mon bon couniat per niaféne deuée

N'y tourmenta, n'y mai, nous erraigha bupeau,

M'a hê vous amoina ça ma)' ne nen poudèeJefu Lou' nuée fouu ucar que fou dou couine

nleau.L. Nahevrat Marchois.

Ex DAQYOV MEIME AVTHOVR.

Ana libré ana naja peau de deguPa oeil chamij farra parla gana courrèe

Brama que d'ou Mounv i fa vide reduNou non ne bey va gro ca dou Mouny tu fêe.

S. Briffe Marchois.

Les pages 9-18 contiennent quatre pièces distinctes de FrançoisGranchier, toutes en vers français : J" Colloque ftinebre surle trespas de Monsieur du Monin excellent po&e ou est intro-

i. Sic, pour Nob',-aI; voir plus loiu,p. 407.

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[405] DEUX QUATRAINS EN PATOIS DE LA HAUTE MARCHE3duit l'autheur et le messager parlans. » Le colloque a 152 versà rimes plates ; il débute ainsi

MESSAGER.

• mer, ô ciel, ô tèrre, ô parque insatiable,• mort par trop cruelle en effcct admirable

2° « llegie sur le mesme subiet. n 48 vers ; débutHoste de ce tombeau, que cent mille lauriersOnt entouré le chef, qui des hommes plus fiersAhaissois le caquet, cachetant leur parolePar ton docte sçavoir...;

u Odelette funebre. n n vers ; débutPlorez muses, plorez, et vous nymphes Naiades,

Le chantre Gyanin;« Quatrain. n 4 vers

Helas le n'ay confort,le n'ay plus dallegresse,Car mon Menin est mort,Le pourtraict de sagesse.

Enfin viennent des o Sonnets et epitaphes faicts par les am Ide l'autheur sur la mort de Jean Edouart du Monin n. Il yeffectivement deux sonnets signés: CH. Varin V. C. O. (p. r8-20), puis un o Epitaphium Monini o, sous forme dialoguée,signé: S. Brifse. M., soit six distiques (p. 20-2 r).

Il n'y a pas lieu de s'étendre ici sur la personnalité de JeanÉdouard du Monin, né à Gy eu Franche-Comté (auj. ch.-l. decanton de l'arr. de Gray, dép. de la Haute-Saône) en 1559,assassiné à Paris le 5 novembre r j 86 : on trouvera sur ce sin-gulier polygraphe dans les Français italianisants ait XVP sidelede M. Emile Picot, t. Il, p. 229-240, une notice d'ensemble pluscomplète que toutes celles qui ont paru antérieurement. Il suffitde rappeler que la mort tragique de Du Monin donna lieu àune série de publicatiors analogues à celle qui nous intéresse.

En revanche, nous sommes tenu de chercher à satisfaire lacuriosité du lecteur en ce qui concerne François Granchier, àqui nous devons indirectement les deux quatrains patois quifont de ses Larmes un monument précieux pour la dialectologiefrançaise. La qualification de o Marchois o est par elle-même

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Â. THÔMAS [406)

assez vague: la Marche s'étendait, en effet, sur environ 16 kilo-mètres en longitude, de Charrons (Vienne) à Saint-Merd-l-Breuille (Creuse), c'est-à-dire de l'ouest à l'est, et sur ioo kilo-mètres en latitude, d'Aigurande (Indre) à Eygurande (Corrèze),du nord au sud. Mais le nom de famille « Granchier n est unindice presque infaillible d'origine ; il me persuade que l'auteurdes Larmes a dû naitre dans la petite ville de Felletin, auj. cil' ' -1.de canton de l'arr. d'Aubusson (Creuse). Ce nom de famileprovient vraisemblablement du village dit aujourd'hui Graideher(jadis Granchier, Grantchier ou Grandchier) et situé dans lacommune de Saint-Georges-Nigreinont, canton de Crocq i. Leplus ancien personnage de Felletin qui soit connu pour l'avoirporté est appelé Mathieu de Grandciiier z, dans le Terrier descharités de Fellelin publié naguère par M. Autorde '; il étaitmort avant le 25 mars 1 4 8 4 , date où son Cils Jehan intervientdans un accensenient . Par la suite, on trouve dans les actesdont le texte a été conservé, ou dont la substance est connue, desJean, des Claude, des René et des François Granchier ; maisparmi eux il n'en est aucun qui puisse être mis en rapport assuréavec l'auteur des Larmes. On peut seulement conjecturer que cedernier était fils de Jean Granchier, lequel fut e garde des seaulxau pais et seneschaussee de la Marche)) pendant au moins qua-rante-deux ans, de i 56o à 1602 4 . Est-ce à Poitiers, où Du Moninse réfugia pendant la peste de r8o, est-ce à Paris,où Du Moninétait venu dès l'âge de dix-huit ans et d'où la peste ne l'exilapas pendant longtemps, que le Marchois et le Bourguignon

Gyanin n se rencontrèrent, et comment le premier devint-ilnon seulement l'écolier, mais le neveu du second ? On l'ignore.

i. il y o trois autres villages de ce nom dans la Creuse, communes deGuéret, de Bonnat, de Crozant.-

2. Mém. de la Soc, des Sc. na?. cf arch. de la Creuse, t. X (1895-96), P . 340,342, 388. - Les représentants actuels de la famille écrivent leur non'

Grancher3. Terrier, reÇ. cité, p. 388.4. BibI. Nat., franç. 26835, dossier Billa,, abbé A. Ramade, Recherches sur

la paroisse de Gioux (Paris, 1866), p. 99 voir surtout les notes manuscrites<l'Auguste Bosvieux sur les chanceliers de la Marche (Archives dép. de laHaute-Vienne).

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[407] DEUX QUATRAINS EN PATOIS DE LA HAUTE MARCHE

Tout ce qu'on sait de plus sur François Granchier, c'est qu'en.1588 il publia un second poème français de son crû, intituléProsopopee de la Paix, lequel n'est pas moins rare que les Lai mes,mais n'intéresse pas la dialectologie: il suffit donc de le men-tionner

Le premier des deux quatrains patois est signé: L. Nabe.yrat

Marchais. Il n'est pas douteux que l'auteur soit le même quecelui des deux distiques latins qui se lisent en tête des piècesliminaires et qui sont signés : L. Mabeyrat. M. L'auteur étantinconnu par ailleurs, on se demande si son vrai nom estMabeyrat ou Nabeyral. Je n'hésite pas à choisir cette dernièreForme. A vrai dire, je n'ai trouvé ni Nabeyra.t ni Mabeyra.t dans]'onomastique de Felletin et je ne connais aucun nom de lieuhomonyme dans la région. Mais il est bien établi qu'un certaino Simon Nabeirat, procureur de Maignat », résidait en 1567dans le village de Méouze, com. de Saint-Oradoux-de-Chirouze,canton de La Courtine. Le o Maignat » en cause est sûrementMagnat-l'Étrange, ch.-l. de coin, du canton de La Courtine,à 17 kilomètres environ de Felletin, jadis centre d'une inipor-tante seigneurie . A la même famille, vraisemblablement,H

t. Je dois aussi A M. Émile Picot la connaissance de cette oeuvre deGranchier. Tin exemplaire n figuré en 1887 à la vente Bosvieux et appartientaujourd'hui à mon ami M. Albert Mazet ; la Bibliothèque Nationale enpossède deux autres, cotés I,iv. Ye 23489 (en mauvais état) et f' ,v. Rés. fl4092. Voici le titre tout au long s Prosopopee de la Paix par François

Granchier, , Marthois. A Monseigneur de Die, baron de la Roche, chevalier del'ordre de Saint-Jean de Jerusaler, commandeur de Chancres, Sainte-Anneet du Nabeiron. Paris, \Tarengles, 188. » Charriires est auj. dans la coin. de

Saint - Moreil, cant. de Royère ; Sainte-Aune, dans le catit. d'Evmoutiers

(Haute-Vienne) le Nabéron dans lacons. de Crocq (Creuse); cf. A. Vayssière,

L'Ordre de Saint-Jean de Jérusalem en Limousin (Tulle et Limoges, 1884),

p. 49, 51 et 94.2. mv. 50mw. desareb. dip. de la Cre.use(Faris, i88),liasse E 711 (page 141),

Mon ami Ni. Autorde, archiviste de la Creuse, m'informe que la date exactedu document où Simon Nabeirat intervient comme acquéreur d'immeubles

est le 16 août 1567. Le surnom « étrange » de Magnat lui vient de la familles de Lestrange » qui en a possédé la seigneurie depuis 15 16 jusqu'à 1789;

voir A. 'lardieu, Grand Die?. de la Houle-Marche, col. 133, art. MAGNA'!'.

Au dernier moment, j'apprends de mon ami M. Germouty, inspecteur pri-maire à Gannat, qu'il existe encore au village de Méouz.e une famille Nal'eyrat.

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A. THOMAS 14081appartenait n Guillaume Nabeirat a, notaire de la cour de Mont-ferrand qui, le 3 septembre 1517, passa le contrat de mariagede noble Jacques Sarrazin et de demoiselle Antoinette de Mal-leret: la mère de la mariée était Antoinette de Magnat'. M. ÉmilePicot me signale aussi l'existence de différents personnages dela fin du xvr et du commencement du xvir siècle qui s'ap-pellent n Naberat n ou n de Naberat u : il me suffira de lesindiquer en Pote, leur origine n'étant pas nettement établie etleur parenté avec l'auteur de notre quatrain restant très pro-blématique'.

Le second quatrain patois est signé : S. Brisse Marchois. Dumême auteur sont deux pièces latines que j'ai indiquées ci-dessus dans la description de la plaquette et qui sont signéesen abrégé : S. Brisse. M. Cet écrivain est aussi inconnu queL. Nabeyrat, mais l'existence d'une famille bourgeoise du nomde «.l3risse » à Felletin est bien établie-: Jehan Brisse est, pro-duit comjne témoin dans une enquête en septembre 1462 3;

Janie et Barthelemi Brisse, frères, « bourgoi§ marchans de

i. Bibi. Nat. franç. 30634, foi. 299, dossier Molleret des Carrés ded'F-Iozier. II n'y a qu'une analyse moderne du contrat, où le nom de la mèreest écrit bizarrement Maiguehac. La famille noble de Magnai (ou de Magnac,forme primitive) est bien connue; elle tire son nom de Magnat-l'Étrange.

2. Laurent de Naberat, Et cum ma[cula] in medio frontis u, s'inscrità l'université de Padoue comme juriste, le aô nov. 1595, nation de-Provênce(Arcb. de l'univ. de Padoue, reg. XXX, fol. 65 vD). - Pierre Naberat, greffierde la cour des Monnaies, mort le 4 juin 1603, fut enterré à Saint-Germain-l'Auxerrois (Leheuf, Risi. de in ville et du dite. de Paris, éd. Cocheris, I, p. 153).- Frère Aime de Naherat, de l'ordre de Saint.Jean de Jérusalem, a publiéplusieurs ouvrages d'histoire et de morale entre 16io et 1630 : en 161161il était chargé de visiter les maisons de l'Ordre en Limousin et ses procès-verbaux ont été publiés ou analysés par A. \ayssiére dans son livre intitulé:L'ordre de Saint-Jeu, de Jérusalem eu Limousin (Tulle et Limoges, 1884). -Dans la série des Pièces originales de l'ancien Cabinet des Titres de la Biblio-thèque Nationale, le dossier Naberai (Franç. 28571. n a 47510) renferme7 quittances de « maistre Laureos de Naberat,,, qualifié d'abord « secretairede la chambre du roy, demeurant dans l'hostel de Fiesque, rue d'Orleans,paroisse Saint-Eustache n, à Paris, puis Et conseiller et secretaire ordinaire dela royne n, qui s'échelonnent de 1609 à 1624.

3. Plumitif d'audience de la sénéchaussée de la Marche en 1462, fragmentpublié par moi dans Mcm. soc. Creuse, VII, P. 243.

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[409] DEUX QUATRAINS EN PATOIS DE LA HAUTE MARCHE7Pheletin » font hommage à Aime de France, comtesse de laMarche, pour différents cens et rentes, le 30 juillet 1506, àGuéret' ; Antoine Brisse (1581), Jehan I3risse (1598) et Silvainl3risse (1580-1603) figurent parmi les prêtres commu nalistes dela paroisse du Moutier 2. Pierre ]3risse (t666) et Léonard prisse(1693) sont des bourgeois en vue qui arrivent au consulat 3,

etc. Il serait téméraire d'identifier notre poète avec le prêtrecommunaliste de' t $o-i 603; mais il est probable que l'initiale Sdésigne le nom de baptême « Silvain », assez fréquent àFelletin.

Il est grand temps d'arriver à l'appréciation et à l'étude phi-lologique de nos deux quatrains patois. L'idée de faire interve-nir le patois, au même titre que le grec, le latin et le français,dans une sorte de concours poétique destiné à célébrer lesmérites d'un auteur qui n'a écrit qu'en vers français est une idéequi peut assurément passer pour originale. On peut s'étonnerde la voir mise en pratique en 1586 par deux obscurs rimeursde la Marche; niais il faut peut-être S'étonner davantage de ceque le fait ne s'est pas plus souvent reproduit au xvr siècle.Loin d'être en contradiction avec l'humanisme qui enthousiasme'tous les intellectuels de l'époque, cette idée apparaît comme unede ses conséquences. Sillustrer en produisant au jour quelquechose de rare, illustrer en même temps le coin de terre où l'on avu le jour et l'idiome qu'on a bégayé tout enfant en le haussantau niveau littéraire du français, du latin et du grec, c'est l'idéed'où est né le félibrige au xtxe siècle, mais c'est aussi celle qui ainspiré Pey de Garros, l'ami des deux Scaligers, dont les Psaumesde David virni en rhyrme gascon, parurent en 1565, et Saluste duBartas, dont l'églogue trilingue où la Nymphe latine, la Nymphefrançaise et la Nymphe gasconne célèbrent à l'envi ]'entrée deHenri de Navarre et de Marguerite de Valois àNérac, est de1579. Bien que Du Bartas ait écrit tut compliment (cri vers fran-çais, d'ailleurs) à l'adresse de Jean Édouard du Monin, il est peu

i. Lettres patentes d'Anne de Rance, eu original, Arcli. Nat., I' 452cote 235.

2. Voir Fellelin, X VIle et X Ville siècles, par l'abbé L. Pataux (Limoges,

1880), I'!'. 155 et 241.

3. Abbé Pataux, O. e., p . 76, 215 et 225.

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ô A. THOMAS kr0]probable que nos deux quatrains en patois de la Marche doiventleur naissance à une imitation voulue de la Gascogne ilstémoignent d'un état d'esprit analogue, voilà tout.

Cet état d'esprit devait être, en 186, chose assez nouvelledans la Marche, et à Felletin en particulier ce serait s'abuserétrangement que de voir dans la mise au jour de nos quatrainspatois le dernier fruit d'une cul,ture traditionnelle de l'idiomelocal ils marquent un point de départ (encore qu'il n'y ait eulà qu'un faux départ) et non un point d'arrivée. De toutes lespetites villes de la Haute Marche ', Felletin est la seule dontles documents échappés à la destruction permettent de connaîtrela vie municipale et ecclésiastique au xv' siècle à côté duTerrier des charités, publié par M. Autorde 2 se place le Terrierdu prieuré de Sainte- Valerie, encore inédit 3, et ces deux recueilsne comprennent que des actes en latin ou en français. L'usagede l'idiome indigène est banni des actes publics où il ne trahitson existence souterraine que par la colorhtion qu'il donne deloin en loin à la phonétique ou au lexique. A-t-il été employédans les livres domestiques des bourgeois de la ville ou deshobereaux de la région voisine? C'est possible; mais aucun deces livres n'a été signalé jusqu'ici à Felletin pour le xv', niMême pour le xvr siècle.

La graphie de nos quatrains n'accuse en général aucune préoc-cupation traditionnelle, et l'on peut dire que c'est le phonétismequi en fait la base, à condition de ne pas attribuer à ce mot larigueur scientifique qu'il comporte dans l'usage moderne. Ilest facile, en somme, de dégager notre texte patois des fautesimputables soit à l'imprimeur, soit aux auteurs eux-mêmes.Voici la leçon critique que je propose d'adopter, et la traductionlittéralè qui s'en dégage

:. Ces villes sont, outre Felletin ,: Aubusson, Guéret, Ahun, Chénérailleset Jarnages. Li Basse Marche, séparée de la 'Haute par des bandes de terri-toires poitevins et limousins, peut être laissée de côté, non seulement parceque sa constitution linguistique est différente, mais parce que les liens féodauxet administratifs qui la rattachaient à la Haute Marche n'ont jamais réussi âla faire participer \ la même vie sociale. Ses centres urbains-étaient: Charroux,Le Dorat, Bellac et Magnac-Laval.

2. Voir ci-dessus, P. 406, 0. 2. - -

. Bibi. Nat., Nouv. Acq. franç. tO3 (copie du xv t e s.).

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[4 ii] DEUX QUATRAINS EN PATOIS DE LA HAUTE MARCHE

A Francey Granchier, mon vesi.Granchiêr, mon bon confiaI, per ma fê; ne devéeNy tourmnta n)' mai vous erraigha bu peau,Ma hé vous anloina, en may ne nef poudée.Jesu! vou' avée seau vear, que son dou comme menu.

L. Nabeyrat.

« A François Granchier, mon voisin. Granchier, mon bon beau-frère, parma foi, vous ne devez ni vous tourmenter ni vous arracher les cheveux, maisvous calmer, car vous m'en pouvez mais. Jésus! vous avez ses vers, qui sontdoux comme miel.a

End aquou nieime authour.Ana, libré, ana; n'aia pouu de deguPa louu chamij farra, par la gana courréeBrama que don Morny a sa vide redu,

10.- Nou, nou, ne iey va gro, ca dou Morny tu séc.S. Brisse.

« A ce même auteur. Allez, petit livre, niiez n'ayez peur de personne.Par les chemins ferrés (les grandes routes), par les sentiers fangeux, courezcrier que Du Monin a rendu sa vie (son âme). - Non, non, n'y va pas, car tues [toi-même] Du Monin. n -

REMARQUES GRAMMATICALES

Le trait phonétique le plus frappant de nos textes est la dis-parition à peu près complète des consonnes finales.

Les anciens infinitifs en -ar se terminent en -a : antoina 4,branea 9, erraigha 3, tourmenta 3 ; le substantif paor devient poun.Dans un cas comme dans l'autre, la graphie des quatrains corres-pond bien à la prononciation actuelle. Authour 6 accuse soncaractère de mot savant par le maintien de Fr finale : il enest de même encore aujourd'hui. La conjonction car se réduità ca 4, 10. La préposition per flotte entre per 2, par et pu Smême flottement dans le patois actuel.

Le t des participes passés disparaît dansfm-ra 8 et dans i'edit 9son maintien dans le substantif participial couniat est un des rarescas d'orthographe traditionnelle qu'offre notre texte. Il n'est pasmieux conservé dans les diminutifs en -et où il représente cepen-dant un t double primitif: librd 7.

L's finale n'est maintenue que dans le pronom vous suivi d'unmot commençant par une voyelle : votes erraigha 3, vous amoina

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10 A. THOMAS [412]

4 . Même dans ce cas spécial, flous trouvons voit' avée pour vousavde 5 la mesure du vers impose le maintien de cette formequi aujourd'hui n'est usuelle que dans le patois du sud-ouestde la Creuse c'est un trait commun à ce patois et à celui de laHaute- Vienne, tandis que dans la région dePelletin l's est ton-jours conservée avec le son sonore dans les liaisons-'. Exemplesdela chute de l's finale: ait 7, ana 7, avée 5, c1janiii s, tonnée 8,elevde 2, don 5, farra 8, Francey I, gava 8, la 8, Zou. 3, loua 8,ma 4, peau 3, poitdde 4, Sée 50, vear 5. Je iie cite pas mai, may4, 5, parce que l'ancien provençal connaît déjà mai à côté demais. - Dans le patois actuel l's, disparue depuis longtemps entant que consonne, a.laissé un témoignage de son existence, àsavoir l'allongement compensatif de la voyelle qui la précéd2itimmédiatement, allongement qui va dans certains cas jusqu'àla diphtongaison. Notre texte ne laisse pas deviner cet allonge-ment pour la voyelle t : il écrit uniformément mafd 2 et via bd,quoique ,iia ait un n bref dans le premier cas (aujourd'hui IIIdfe) et un t. long dans le second (aujourd'hui nu? ht). Pour lavo yelle ou, il est hésitant : l'ancien pluriel sos est écrit soun 5.,et l'ancien pluriel los est écrit de même loua 8; niais on trouvedon 5 pour dos (primitivement dol), bien que la prononciationactuelle soit don (au singulier comme au pluriel), et Zou pour lepluriel los dans ion peau 3 les cheveux o. La question estd'ailleurs obscurcie par le fait que -ou est aussi employé pourreprésenter la diphtongue (aquou 6 et doit, 9, io) et que cettediphtongue est notée concurremment par -oint dans le substan-tif ponu 6. Pour le son i, on remarquera c/.'aniij 8, où -iféquivaut à -ii, en opposition avec vesi i et Mouny 9, tO : il estévident que déjà en 1586 011 avait comme aujourd'hui un i brelau singulier et un i long au pluriel. La notation de la désinencedes deuxièmes personnes du pluriel du présent de l'indicatif oude l'impératif dans les verbes qui n'appartiennent pas à la pre-mière . conjugaison est ia rtictiliêrement intéressante ; elle estuniformément -de : avèc 5, devée 2, tonnée .8, poudée . 11 fautjoindre à ces deuxièmes personnes du pluriel la deuxième per-

1. Voir mou Rapport sur une mission, philologique dans le département de laCreuse publié dans les Arch..des missions scientif. et 1111fr,, 3° série, t. s (f879),p. 438: « S en liaison. n

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[413] DEUX QUATRAINS EN PATOIS DE LA HAUTE MARCHE11

sonne du singulier du présent (le l'indicatif du verbe substantif:tu sèe to. Dans mon Rapport sur une ntissiov philologique dans ledépartement de la Creuse 1, l 'ai constaté que toutes ces désinencessont aujourd'hui prononcées uniformément -ié dans la régionlinguistique â laquelle appartient Felletin. Le premier élémentde cette diphtongue, que j'ai noté par i, est très voisin de l'efermé et pourrait aussi bien se noter par le signe ê ; le secondest incontestablement un e ouvert. La notation -ée est doncfaite pour surprendre et l'on serait porté, à première vue, à enintervertir les éléments et à voir dans -èe une faute d'impressionpour -et. Mais il faut remarquer que la notation è n'indique pas,dans nos quatrains, un e ouvert, puisqu'elle est employée dansdes cas où l'ancienne langue avait un e fermé, aujourd'huiassourdi en e féminin : f4 2, bé 4, libré 7 .11 semble donc que dansla diphtongue finale .4e, l'accent grave indique simplement quele premier e était plus fortement accentué que le second : latransformation d'une diphtongue ascendante en diphtonguedescendante est un fait trop fréquent dans l'évolution des parlersromans ! pour que l'on hésite à en voir un exemple dans le casqui nous occupe.

En dehors du fait général que je viens de signaler, il sutd'indiquer quelques faits particuliers. -Voyelles : l'a atone estconservé comme l'a tonique, sauf dans gro tu, qui est le lat.gra nu ni passage à o de l'a provençal devènu « estreit n Sousl'influence d'une nasale finale est un fait relativement ancien surlequel il n'y a pas lieu d'insister), dans potin 8, anciennementpaor, et dans couine 5 et vide 9 : dans ces deux derniers mots Fefinal est certainement dû à l'imitation inconsciente de la graphiefrançaise . L'e ouvert accentué se renforce d'un a épenthétiquedans vear et dans meau 5 ; méihe renforcement dans peau 3,bien que la diphtongue primitive de ce mot ait dû avoir un efermé (plu < lat. pi lu m) s. 11e atone se change en a devantune r par 8, farra 8. - Diphtongues : ai atone, conservé danserraigha 3, est affaibli en oi dans amoina 4 ; on peut considéreraussi comme atone l'adverbe ley ro, qui correspond à la forme

Are?,, des missions scienhif. et titi., 3" série, t. 5, p. 440.On prononce aujourd'hui counM, vidi ou viii.Voir 'non rapport, toc. cil., P . 445 : « Voyelles épenthétiques.

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12 A. THOMAS [414]médiévale lq ; il est possible que l'affaiblissement en -oi- (et nonen -ci-) dans a;noinia soit dû à l'influence labialisante de l'utprécédente. On a on pour en en position atone : aquon 6,doit, 9, tO.

Consonnes. - La chute de i'u latine dite « caduque n a lieudans vesi i, bd 4, degu. 7, chamij 8, non 10, gro 10; niais l' y semaintient s'il y a liaison syntactique avec un mot suivant : 1H01t

vesi ï, mon bon couina! 2 : c'est l'image fidèle de l'état actuel. Aremarquer que le nom propre Moiti;: a été artificiellementramené à la phonétique ambiante et transformé en Mounyd'après l'analogie de vesi = voisin : c'est une assimilation quiatteste chez l'auteur du second quatrain un sentiment instinctiftrès délicat des conditions phonétiques de son patois.

La vocalisation en j de Vs de mesure (primitivement ;neesnle),devenu meuve 6, est un fait normal. - La notation par gh duson j (prononcé dj) est conforme à un usage qui apparait aucommencement du xiv° siècle dans une région comprenant leVelay et l'Auvergne et à laquelle se rattache la partie orientalede la Haute Marche '. J'ai signalé cet usage, il y..a quelquevingt-huit ans, dans les Strophes au Saint Esprit, et dansles Statuts d'une confrérie du Saint Esprit de Saint-Julien-de-Coppel (Roinania, VIII, 213), où on lit par exemple: aleoghanient(str. XXXVIII, 227), auglia (star. , 3), mangha (star., 47), digha.(sut., 152), mangharant (stat., 6o), etc. Je l'ai aussi relevé dansles comptes de Saint-Flour, où l'on trouve des formes commeheiugha, ho/gha, chavaighar, etc. '. Pour le Velay , je citerai lagraphie Vilalongha. en 1322, nom d'un hameau dit aujourd'huiViilelonge, coni. des Vastres (con de Fay-le-Froid, arr. du Puy 3),le subj. prés. agha C habeat, qui revient à presque toutes leslignes d'un document en langue vulgaire rédigé en 1499 àChantoin, coin. de Bains, c- a de Solignac-sur-Loire, arr. du Puy,

i. Cet usage se trouve sporadiquement dans d'autres régions de la langued'oc eest ainsi que dans la chatte n° 38 du Recueil de textes de l'aoc. dial.gascon de M. Luchaire, on lit : agbe et açha < hi bi n t, judglx''nent < j u di-canientum, linhaelgbc < * linia t icu ju ;oaridctetghe < rnaritaticininienghar <C nanducare, parcidgbe < paraticuni, /reidghe <:pedaticuni,

2. M, RoudCI, Ritçistivs consulaires de Saint-Flanc, préf. philol. , p. iv.. A. Chassaing; Cv-tu!, des Hospitaliers dit Velay, p. 13 t.

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et la graphie darnaghe < ' dam tic u m dans le même docu-mentQuant à la Haute Marche orientale, le Terrier des chai -liésde Felletin nous fournit quelques exemples limités aux nomspropres, soit de lieux, soit de personnes: le hameau de la coin.de Saint-Marc-à-Frongier appelé actuellement Montra jas y estécrit Alonirighas 2; dans le nom de personne « Jehan de Lagha s,il Faut sûrement reconnaître le nom de hameau très fréquentL'Age 3, et dans'« Pauly de Dighon s probablement celui de laville de Dijon 4; le nom de famille Barjon, conservé de nosjours, s'y présente sous les formes Barjon, Bargon et Barghon 5,etc. On notera que la graphie gis, devant a et o, a laissé destraces dans la toponymie officielle de la Haute-Loire et du Puy-de-Dôme : mais comme on n'a plus compris la valeur de Fisassociée au g avec le même rôle qu'après le e pour rendrele son sonore gis correspondant au son sourd eh, on a renforcégis d'un e surérogatoire. C'est ainsi qu'on écrit : Bongiscai,Mareugiseol, Vergiscas, Vernezsgheoi (Puy-de-Dôme) et Vergoi4rheon(Haute-Loire).

GLOSSAIRE ET INDEX RÉCAPITULATIF

t. A, prép., I: à. — Auj. â.2- A, y pers. sing. i. prés. du verbe « avoir s, empi. comme auxi-

liaire, 90.Au. â (cf. «la et avèe.ArA, 2c pers. pi. subj. prés. du verbe « avoir s , 7 . — Auj. Oyci inf. âvi et

y? (Cf- a 2 et avéc). -AM0INA, y . trans. pronornin., se calmer, se résigner. Mot disparu.

A,uoina correspond à l'apc. franç. casaisaie,-, d'un type latin * ados ansi o-n are. On n'a pas encore signalé en auc. prov. le verbe *eJ uiujs,,ar , niaisRaynouard enregistre le subst. vnvisnern,en « accueil, bonne réception » 6 , quireprésente * rn an sio na ni e ii t u ni. Le patois de Vintelles (Puy-de-Dôme)

1. Ouvr 7 cité, P. 231.2. Mén,. de la Soc. ciel Sc. de la Creuse, X, 338.;. [hifi., X, 325.4 . D'id., X, 390.. Ibid., X, 389; cf. le Plumitif cité ci-dessus, Méat., VII, 244.

6. Lex. roui., IV, io, col. t;

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-s

14 A. THOMAS [ç6]

couna?t mwina cc apprivoiser, adoucir », forme où M. Dauzat voit une aphé-rèse pour amwina, qu'il rapproche fort justement de l'anc. franç. aniaisuierpeut-être représente-t-il simplement l'anc. prov. ',naisuor, d'où maisua,nen.En tout cas, il est probable que le prov. mod. an,aim,, ameina, inaina, meina,inePte, que Mistral tire du subst. ainum « aimant n, a la même étymologie quenotre amoina. Le mot provençal a fait fortune comme terme de marinelitai. a,uluainare, l'esp. amainar, le port. ameynar et le franç. amener (lesvoiles) sont des emprunts au provençal. Les futurs dictionnaires françaisdevront, semble-t-il, distinguer soigneusement deux mots amener jo amener< *m inar e; 2' amener, emprunt et adaptation du prov. amaina< admansionare.

ANA, 2- P. pi. impér. du verbe « aller s, 7 allez. - Auj. réduit habituelle-mentmi.

AQoon, adj. déni. masc. sing., 6 ce. - Auj. réduit habituellement ù L'on(ou diphtongue).

Aunuooa, S. m. sing., 6 auteur. - Auj. ou/our (ou diphtongue dans lapremière syllabe).

AVÈR, 2e p. pi. md. prés. du verbe « avoir s, 5. - Auj. âvM, âyi ou lé(cf. ep 2 CI (lic).

BÈ, adv. employé pour renforcer n'a, 4 : bien, - Auj. b; en lutte avec laforme franç. bien, laquelle s'emploie dans des cas sémantiques distincts.

BON, adj. masc. sing., 2 bon. - Ani. bon,, et bon, selon l'initiale dumot suivant.

BRAMA, v:intr. â l'inf., 9 proprement s bramer n, employé ausens fig. de« crier, proclamer s. - Auj. brô,nd, au sens propre.

CA, conj. 4, 10 car. - Ani. car, peut-être sous l'influence du françaisle mot est d'ailleurs peu usité.

CHAMIJ, S. m. pl., 8 : chemins. - Auj.rhanci (au plur.), cixîmi (au sing.)avec eh fortement articulé ((ré).

COPJME, conj., 5 : comme. - 32e final est dft â itinfi. du français ; auj.régulièrement koomd.-

COUNIAT, S. M. sing., z : beau-frère. - Auj, disparu : c'est l'anc. prov.cognai < co gnatu m, que les patois plus méridionaux ont conservé.

COURRÉE, 2e P. pi. impér, du verbe s courir n. - Auj. canné; A l'inf.conrei.

Da, prép., 7: de.DEGU, pron. indéf. m. sing., 7 : personne. - Alti. du.DETtE, 2e P. p!. md. près. du verbe « devoir s, 2. - Ani. dcvi?; à l'iut.

devei.

i. Phone.!. bis!, du patois de Vin?11e5 (Bibi, de la Fac, des lellres de Paris, IV),pp. 90 et 154.

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[417] DEUX QUATRAINS EN PATOIS DE LA HAUTE MARCHE 15

r. Don (ou diphtongue), art. ni . sing. combiné avec la prép. de devantconsonne, 9, 10 du. - Auj. dom (ou diphtongue).

2. Don, adj. ni . pI.,doux. - Auj. don (ou long au sing. et au pi.).END, prép. 6 à. - Ani. inusité; cf. l'art. ENTA du Prou. Suppi. Wœrlerb.

de M. Levy et les art. END, ENDE, EN et ENTE de Mistral.ERRAIGUA, y . traits., 3 arracher. Remplacé auj. par eirâ réa, probable-

ment sous l'influence du français. M. Levy a montré que l'unique exemplede tpçjaic,r donné par Raynouard n'avait pas de réalité et il n'en a pas,trouvé d'autre pour le remplacer ; mais il n'y a pas à douter de l'existencede ex r id i car e> esra;jar en ancien limousin.

FARRA, part. passé m. pi., S: ferrés (empierrés). - Auj. fârâ ou fdrd.FÉ, s. f. sing., 2 foi. - Auj.fe.GARA, S. f. pl., 8. - J'ai traduit ce mot par u sentiers fangeux ii ; cela

demande une explication. Dans le patois actuel de Feiletin et des environs, 1esubst. gdin (pI, gond) désigne tin petit ruisseau, niais il s'applique particuliè-rement â l'intersection d'un petit ruisseau et d'un chemin rural, point où leruisseau s'élargit et diminue de profondeur pour former un passage guéableL'association de gond â chamzj farra recommande la traduction que j'ai crudevoir adopier d'ailleurs le mot gdne est usité en Berry avec un sens ana-

r. Mon ami, M. Gerniouty, inspecteur primaire à Gannat, originaire comme

moi de Saint-Yrieix-la .Montagne, et dont les souvenirs sont plus frais que lesmiens, m'écrit que le subst. fém. gdnâ représente avant tout à ses yeux u unertlare d'eau claire formée par l'épanouissement d'ut, ruisseau. Un ruisseau acreusé une excavation assez large, mais peu profonde : voilà une gdne. Unjour d'orage, le ruisseau déborde et forme des mares aux endroits creux duvoisinage ces mares sont des geines u. Sous les formes La Gdne, Les Gomes, LaGduille ou Les Gdnel(es notre mot revient 18 fois dans la toponymie de laCreuse comme nom de hameau. Le ruisseau qui passe au pied de Bourgan&ifet qui se jette dans le Taurion s'appelle la Gdne Molle. Guéret possédait -unfaubourg dit de la Gdne (écrit Gasne. M. le Dr Villard commente ainsi cettedésignation u Gasue est un mot patois sous ce noni on désigne l'élargisse-ment d'un ri isseanau niveau d'un chemin, élargissement qui permet â l'eaude s'étendre en largeur, d'en diminuer la profondeur et de le rendre ainsiguéable a (Un chef-lieu de province au XVIJIe s., Gu&et, capitale de la Haute-Marche, 2 partie, fasc., p. io6). Cf. Béronie, Dit?, du patois du Bas-Limousin, art. GAN0 : « Nous appelons ainsi les petits ruisseaux qu'on trouvedans les campagnes mais ce nom se donne plus particulièrement aux amasd'eau que forme un ruisseau au cours duquel on a opposé quelque obstacle, oA remarquer l'opposition entre cc ruisseau» et u gasne a dans un acte de 1502dû terrier d'Èvaux, où on lit': u ruisseau qui vient de la gasne de L'Aighe. "

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A. TI-IOMAS 4181logue: le comte Jaubert le définit par « mare d'eau bourbeuse, mauvaischemin n. -

CR0, s. In. employé adverbialement pour renforcer la négation, 'o grain.- Cet emploi de g-vo, très fréquent en Limousin, est rare dans ha Creuse,sauf dans les communes limitrophes de la Corrèze. L'ancien français etl'ancien provençal ne paaissent pas le connaitre Le plus ancien exemple qu'encite Raynouard (et Godefroy d'après lui) vient des Vigiles de Charles VII,poème de Martial d'Auvergne, fol. 23b, éd. 1493:

D'Angloys ne leur trainNe me challoit grain.

Ne serait-ce pas un limousinisme sous la plume du bon Martial ? Comme jel'ai fait voir récemment, le père du poète était originaire de Limoges

JEsu, 5. —Nom du fils de Dieu employé exclamativement pour inviter àla résignation cf. l'emploi actuel de mon Dieu en français.

A, art. dùf. f. pl ., 8 : les. - Auj. là, ld- ou Id-t, selon l'initiale du motsuivant.

LEV, adv., an y. - Correspond à I'anc. prov. lai, lay, auj. lai, y, là,distinct de lei, là dedans. La graphie ley, si elle est exacte; doit représenter laprononciation de lay en positioh atone.

L,naà, s. lit siog., 7 : petit livre.—Le diminutif est auj. inusité; le simpleest libre, avec I mouillé et i très affaibli et très voisin de e.

LOU , 3, L000, 8, art. déf. m. pl . : les. - Auj.- lait (ou long) et lait (oudiphtongue) devant une consonne; 1ozt-t devant une voyelle.

s. M&, adj. poss. 1rt p. L sing., : ma. - Auj. ml, devant une consonne;devant une voyelle, archaiquement ut et ordinairement mou-u ; au plur. 'itâ,

et nid-t, selon l'initiale du mot suivant.2. MA, conj., 5 : mais. - Auj. mil , correspondant à l'anc. prov. mas.MM, adv., 4: mais, plus (cf. l'art. ny). - Auj. mai, correspondant à l'anc.

prov, niais et tuai.S. ni. sing., 5 : miel. - Auj. talait : le patois de Felletin confond

sous la même désinence lait le sing. et le plur. des mots qui étaient originai-renient il, lu au sing, ils, us au plur. Cf. mon Rapport cité, P. 447.

MEIME, adj. m. sing., 6 : même. - Adj. ineima au masc. comme au fém.MON, adj. po55, i' p. ni. sing., t, 2 : mon. - Auj, mon, njoin, 'flou-n, selon

l'initiale du mot suivant.

Cette ganse s'appelle auj. l'étang de L'Age-Cartier, comm. de Chambon-sur-Voueize, Creuse (Abbé Leclerc, Did. topogr... de la Creuse, art. L'AGE-CARrIER).

j. L'orijine limousine de Marcial d'Auvergne, mémoire faisant partie desMélanges Chahaneau en cours depublication.

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NE (devant une consonne), 2, 4, 10 N' (devant une voyelle), 7, particulenégative ne, n'.

NEN, adv., 4 1 en. - N'en, encore usité, parait sorti de la fusion des formesen et ne usitées concurremment au moyen âge.

Nou, adv. de négation, to : non. - Auj. no et izoun selon la syntaxe.Ny, xv MAT, conj., 3ni... 11011 plus. - Auj - ni, prononcé avec n

mouillée et ï très affaibli et très voisin de e, et vi niai.PA, 8 PAR, g ; PER, 2, prép. : par. - Auj. pâr etpfl, selon l'initiale du

mot suivant,

l'Eau, s. ni. pl., 3 poils,cheveux.—Auj.phin cf. mon Rapport cité, P . 447.Pnn. Voy-. Pa.POtInÉE, 2°p. pl. mil. prés. du verbe « pouvoirs,,4.—Auj.pondrè; inf.poudei.Pocu, s. f. sing., 7 : peur. - Auj. pote (on diphtongue).I. QUE, pr. i-et. sujet m. pi., 5 : qui. - Auj. ke et k', selon l'initiale du

mot suivant.

2. Quu, conj., : que. - Auj, lv et k', selon l'initiale dit suivant.REDU, part. pass. ni . sing. servant à former le passé indéfini, 9 : rendu.

- Ani. i-edo, avec un d palatalisé en dy; inf. rèdre. Subsiste avec le gens de« lâcher n ; la plupart des sens de « rendre sont assumés par rendit, ra nd '-e,d'origine française.

SA, adj. pots. 3e p. f. sing., 9 : sa. — Auj. sé, devant une consonne; devantune voyelle, archaïquesnent s' et ordinairement sou-n ; au plur. sa , sd-. etselon l'initiale du mot suivant.

SÉE. 2e P. sing. md . prés. do verbe e être s, 10. - Auj. ai; i]iL rare.

SON. 3 P . pl. md. pr. du verbe « être». 5.—Auj. son et souE, selon les lieux.Souu, adj. poss. 3C P. ni. pl., 5 . - Auj. sou (on diphtongue) devant

une consonne. soie- (oit devant une voyelle.TOURMENTA, y . tr.. 3 : tourmenter. - Forme conservée.Tu, prou. pers. suj, de la at P. sing., ao.— Auj. tu (t palatalisé), niais -

seulement après le verbe; devant le verbe, le régime te ou t (selon l'initiale)a pris la place de tu.

Va, ae P. sing. inipér. du verbe « aller n, 'o (cf. ana). - e N'y va passe dit aujourd'hui : « [Ne.] lai noua pci

VEAu, s. ni. pi., s : vers. - Auj. inusité.Vnsi, s. ni. sing.. t : voisin. - Auj. vei (avec palatalisé, équivalant à)

français, et i très voisin de e) ait vçi (avec palatalisé) au pluriel.VIDE, S. f. sing., : vie. - Auj. vidâ et vite, selon la nuance sémantique.Vou, pr. pers. sujet 2e pl. devant une voyelle, 5 ; la mesure exige l'élision

de la voyelle oit la voyelle initiale du mot suivant. - Forme despatoisoccidentaux de la Creuse.

Vous, pr. pers. rég. 2' p. p1. devant une voyelle, 3, 4.— Forme conservée.

A. THOMAS.