43Études de Géographie Physique, n° XXXIV, 2007

DEUX LACS À PROBLÈMES DU CENTRE-VAR : LE GRAND LOUCIEN DE LA ROQUEBRUSSANNE

ET LE LAC DE BESSE-SUR-ISSOLE

Jean NICOD (1)

(1) : Professeur honoraire à l'Institut de Géographie d'Aix-en-Provence, Florida 1, 35 Avenue du 24 Avril 1915, 13012 MARSEILLE.

RÉSUMÉ : Les petits lacs du Centre-Var sont situés dans des dépressions karstiques produites par ladissolution des gypses et de l'anhydrite des terrains triasiques. Leur évolution récente pose d'importantsproblèmes typiques, hydrologiques et environnementaux

MOTS-CLÉS : gypses, karst, lacs.

ABSTRACT : The little lakes of Middle Var Department are located in karstic depressions produced bysolution of gypsum or anhydrite in the triassic formations. Their new evolution show main typical,

ydrological and environmental problems.h

KEY-WORDS : gypsum, karst, lakes.

I - INTRODUCTION

Les deux Louciens de La Roquebrussanne etle Lac de Besse-sur-Issole sont logés dans des dépressions d'effondrement. Elles dérivent de la formation de cavités instables résultant de ladissolution du gypse et du sel de certainescouches du Trias, particulièrement du Trias moyen. Il s'agit de phénomènes typiques des karsts des gypses et autres évaporites (J. NICOD,1993).

Le processus de dissolution est attesté parune minéralisation riche en sulfates et enchlorures de certaines sources comme à la Foux de Draguignan (R. COVA et G. DUROZOY,1983), et un peu aussi à la source Saint-Médardet aux Bouillidous de Garéoult.

Il se traduit par des phénomènes d'effon-drements subits : les plus récents ayant été leTrou de Tourrettes, qui avala un ruisseau en 1987, l'absorption partielle du lac de Besse en 1989 – "après le gouffre glouton le lac qui fuit !"titra la presse locale – et surtout la formation de l'énorme Trou de Bargemon en 1992. Mais aussi bien d'autres formes, telles les "clapes" (enton-noirs) de la vallée de la Nartuby en amont de Draguignan (et divers désordres dans cette ville),des dolines et dépressions karstiques diversesont été recensées (J. NICOD, 1999). Tous ces

phénomènes, nombreux dans le Département du Var (Fig. 1), posent divers problèmes d'ordregéotechnique et environnemental.

II - LES LACS DE DOLINES DE LAROQUEBRUSSANNE

Le bassin de la Roquebrussanne, entouré de massifs calcaires et dolomitiques, est unedépression complexe évidée au cours du Tertiairedans les terrains triasiques (C. CORNET, 1957,1965 ; J. NICOD, 1967) (Fig. 2). Énergiquementplissés, ils sont constitués de calcaires et de dolomies, mais aussi de marnes et d'argiles, avecdes lentilles de gypses et d'anhydrite. La dissolution de ces roches sulfatées produit deseffondrements comme celui survenu en 1986 dans la chaussée de la D5 au nord de Méounes.Dans la plaine entre la Roquebrussanne et Garéoult, ce processus s'est répercuté dans la couverture alluviale, en formant quelques petites dolines comme les Pesquiers (ces derniers étaientautrefois deux petits lacs temporaires).

Le Grand et le Petit Loucien (ou Laouciens) sont deux volumineuses dolines d'effondrement,situées sur le piémont du Massif de la Loube – en bordure de la D 64 – entre La Roquebrussanne etGaréoult. Ces deux dépressions karstiques sont ouvertes dans un anticlinal des calcaires du Trias

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Figure 1 - Phénomènes karstiques dans les terrains triasiques du Centre et de l'Estdu Département du Var (J. NICOD, 1999, Fig. 2 et liste des phénomènes, Tab. 1).

moyen (Muschelkalk) très fracturés et karstifiés,par dissolution des gypses de l'Anhydritgruppesitués au cœur de cet anticlinal.

Le Grand Loucien (Photos 1 et 2), lac permanent, mais à niveau variable, présente un aspect de "cratère", avec des falaises calcairesdominant la nappe d'eau, d'une profondeur maxi-male d'environ 38 m. Les variations saisonnières de niveau (plus de 20 m !) produisent des ébou-lements sur les parois et des glissements de blocs(Fig. 3). Ainsi la forme en cratère est entretenue.À noter que ce beau site est maintenant préservé.

Le Petit Loucien (Photo 3) est une doline typique, aux versants raides mais boisés, ouverte dans le cône de déjection du Cendrier. Son fondplat et argileux est inondé en hiver par la montéedes eaux profondes, et surtout par le déversement artificiel du petit torrent depuis les années 50(pour préserver la plaine de Garéoult de ses crues). Du fait de ce déversement, le fond de la doline s'exhausse par suite des apports de blocs etd'argile – et présente un aspect de cloaque lorsqu'il est en voie d'assèchement.

III - LE GRAND LOUCIEN : UN LACPIÉZOMÈTRE

Le Grand Loucien est un regard sur l'aqui-fère profond des terrains triasiques, lui-mêmealimenté par la nappe des alluvions et surtout par déversement des aquifères des calcaires etdolomies jurassiques des massifs – Agnis, Loube et Pilon de Saint-Clément – encadrant le bassinde La Roquebrussanne, comme l'avait montréW. KILIAN (1906).

Les recherches effectuées par le BRGMdans les années 70 et divers traçages (J. LEVEN,1971) montrent qu'un flux important s'écoulesuivant l'un des anticlinaux de calcaires triasiques(Muschelkalk), fracturé, karstifié et en partie recouvert par des alluvions, depuis la bordureorientale de l'Agnis (sur une faille N-S jalonnée par les sources de la Foux et du Loou) jusqu'auxdiverses émergences de Garéoult : Foux de la Roquebrussanne � dolines des Pesquiers �Grand Loucien � Petit Loucien � Source Saint-Médard.

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Figure 2 - Carte hydro-géomorphologique schématique du bassin de la Roquebrussanne (d'après la carte géologique au 1/50000 Cuers – BRGM, 1974 – et d'autres documents du BRGM).

* : Les évaporites présentes au cœur des anticlinaux du Trias moyen n'affleurent pas.

Figure 3 - Schéma du Grand Loucien, dans un anticlinal calcaire faillé (voir photo 2) :évolution des parois, en niveau bas (d'après une photo, prise du belvédère).

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Photo 1 - Le GrandLoucien : haut niveau en remplissage hivernal (février 1994).

Photo 2- Le Grand Loucien : bas niveauen novembre 2006.

Photo 3 – La doline duPetit Loucien : inondée en hiver (février 1977). Les versants sontboisés. Le massif de la Loube se devine à l'arrière plan.

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Toutefois les traçages ont montré qu'il il y a une divergence hydrologique, avec un écoule-ment vers le sud, suivant les anticlinaux triasi-ques, en direction des sources de Méounes (J.C. FOURNEAUX et L. SOMERIA, 1986). Cette divergence, qui semble le reliquat d'une évolutiondu bassin comme poljé karstique, s'inscrit dansun système hydrologique très complexe.

Comme le montre la figure 4, le niveau du Grand Loucien ne réagit aux précipitations qu'avec un certain retard. En général, il s'abaisseau cours de l'été et au début de l'automne et neremonte qu'au cours de l'hiver, si les pluies

d'automne et d'hiver sont suffisantes. Dans le cascontraire, des bas niveaux peuvent persister pendant plusieurs années… Il semble qu'aujour-d'hui ces bas niveaux (Photo 2) soient de plus enplus fréquents, en raison de précipitations moinsabondantes, notamment au cours des mois hors période végétative les plus favorables à la rechar-ge des nappes aquifères, et de la surexploitationdes aquifères. À la station météorologique duCannet-des-Maures, la plus ancienne du Centre Var, les précipitations annuelles de 2003 à 2006ont atteint respectivement 518, 540, 636 et523 mm, alors que la valeur annuelle moyennesur la période 1946-2006 s'élève à 840 mm.

Figure 4 - Évolution du niveau de l'eau dans le Grand Loucien en 1970.

IV - À BESSE SUR ISSOLE : LE LAC QUI FUIT

Ce lac plus étendu (4 ha), est situé enbordure de la petite ville et contribue à son agrément (Photo 4). Moins profond (environ 9 m)que le Grand Loucien, il est logé dans un bassin de subsidence dans une structure complexe(Fig. 5). Il est inscrit sur la bordure de la vallée élargie de l'Issole au voisinage de Besse, évidéedans les terrains triasiques (principalement dansles argiles du Keuper), dominée au NW par le massif de calcaires et dolomies jurassiques de Saint-Quinis (63 m), et bordée au SE par le plateau des calcaires triasiques (G. MENNES-SIER, 1969). L'église et le château sont perchés sur la barre de dolomies cataclasées qui sépare lelac de la vallée (bloc-diagramme Fig. 6). La

cuvette du lac de Besse, comme celle du marais de Gavoty au SE (voir encadré in fine), sont des formes karstiques évoluées. Le lac est alimentépar une source (aquifère des calcaires et dolomiestriasiques) et à la suite de la sécheresse de 1878 –déjà un grave abaissement ! –, par un petit canaldérivé de l'Issole.

En décembre 1989, un gouffre (un ancienconduit karstique décolmaté) s'ouvrit dans le bas-sin au pied de l'éperon NW, et absorba une partiedes eaux (Fig. 6, photo 5). Ce phénomène était enrelation avec une longue période de sécheresse (P annuelles de 389 mm au Cannet-des-Maures) entraînant un abaissement drastique de la nappe de l'Issole (surexploitée !), et par voie de consé-quence un abaissement de celle des calcaires etdes dolomies triasiques.

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1 : fond alluvial de vallée. 2 : glacis et colluvions. 3 : plateaux calcaires du Lias. 4 : plateaux calcairesdu Trias (Muschelkalk). 5 : dépression fermée (isohypse) et ponor. 6 : source, écoulement, lacpermanent. 7 : écoulement temporaire, vallat. 8 : canal d'irrigation, canal de drainage, agglomération,

aison repère. A : ponor du lac de Besse. C : camping du lac. B : marais de Gavoty.m

Figure 5 - Carte des environs de Besse-sur-Issole (in J. NICOD, 1999, Fig. 9 ; d'aprèsla carte géologique au 1/50000 Collobrières – BRGM, 1969).

Figure 6 - Bloc-diagramme du lac de Besse-sur-Issole dans son environnement.

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Photo 4 - Le lac de Besse-sur-Issole dans son environnementurbain (niveau normal,en mars 2005).

Photo 5 - Le gouffreouvert au pied du pavillon (flèche), à l'extrémité de l'éperonde Muschelkalk (décembre 1989).

Photo 6 - Le lac à nouveau réduit, en octobre 2007. La position du gouffre de1989 est marquée A.La Barre de Saint-Quinis (636 m) ferme l'horizon.

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En 1990, le trou a été rebouché en utilisant un remblai de blocs et d'argile qui a été com-pacté. L'adduction à l'Issole a en outre été améliorée. Toutefois le dispositif est insuffisant. Des niveaux bas, avec faible renouvellement des eaux, se sont donc reproduits au cours de la période 2004-2006, à la suite de précipitations déficientes (précipitations annuelles à Besse-sur-Issole de 604, 647, 790 et 599 mm respective-ment de 2003 à 2006 – P annuelles moyennes sur la même période au Cannet-des-Maures : 554 mm). À l'automne 2006, le lac était à nouveau réduit à sa partie centrale (Photo 6). De janvier à septembre 2006, la station de Besse-sur-Issole avait reçu 382 mm de pluie seulement (304 mm au Cannet-des-Maures).

V - CONCLUSION

Les bas niveaux de ces lacs karstiques souli-gnent les problèmes hydrologiques que connaît actuellement la Basse-Provence varoise, qui s'expriment aussi par les phases d'assèchement fréquent et prolongé de certains secteurs de cours d'eau, comme ceux de l'Issole dans le bassin de La Roquebrussanne, ou plus en aval près de Besse. La sécheresse persistante, en avril 2007 (au moment où ces lignes sont écrites), est à la fois facteur et révélateur d'une situation inquié-tante, à laquelle contribue la surexploitation des aquifères.

Encadré -Le marais de Gavoty : un lac en disparition !Situé au sud-est de Besse (Fig. 3), sur le plateau de calcaires et dolomies du Trias (Muschelkalk), le marais de Gavoty occupe le fond d'une vaste doline à 252 m d'altitude prolongée de dépressions adjacentes, constituant avec elles un ouvala au contour sinueux d'environ 4 km2. Sa genèse est identique à celle du lac de Besse et des petits poljés (Bonne Cougne, etc.) du plateau triasique au sud de Flassans (G. MENNESSIER, 1969). Les années humides, après les pluies d'automne, le marais devient un lac temporaire de 2 à 3 m de profondeur (J. NICOD, 1967).

Un espace naturel menacé !C'est un site particulièrement intéressant pour sa flore, dont Artemisia molienieri, armoiseendémique dédiée au souvenir du Professeur R. MOLINIER, sa faune (un batracien : Pelobates cultripes) et comme aire de passage des oiseaux migrateurs. La protection de ce marais est proposée dans le cadre de Natura 2000. Malheureusement, il est maintenant enclavé dans une zone n pleine expansion résidentielle ! e

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

BRGM (1969) - Carte géologique au 1/50000 Collobrières.

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CORNET C. (1957) - Étude tectonique et mor-phologique de la région de Méounes et de la Roquebrussanne. Rev. Géogr. Phys. Géol. Dyn. (2), vol. 1, n° 1-2.

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Utilisation de la méthode des traçages pour l'étude des aquifères fissurés en milieu calcaire. Karstologia n° 7, p. 21-24.

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NICOD J. (1967) - Recherches morphologiques en Basse-Provence calcaire. Thèse de Docto-rat d'État, Aix-en-Provence, Édit. Louis-Jean, Gap, 557 p.

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NICOD J. (1999) - Phénomènes karstiques et

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