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Deux expériences de psychologie (version de travail)Géraldine Allaz et Sylvie Bochatay

Introduction

Ce travail s’inscrit dans le cadre du cours « Raisonnement dans l’analyse des données enSciences de l’éducation » et nous avons choisi de nous intéresser au thème « Comprendre,raisonner et trouver des solutions » car la question du développement cognitif est importantedans le domaine des Sciences de l’éducation. En effet, la cognition permet de construire etmobiliser des connaissances ainsi que d’agir sur le monde et sur soi. Pour cela, il estnécesaire de « comprendre », « raisonner » et « trouver des solutions » , c’est-à-dire apprendreet utiliser ces acquisitions.

Le développement cognitif, qui comprend les notions abordées ci-dessus, a été étudié par denombreux auteurs mais nous avons choisi de nous centrer sur la théorie de Jean Piaget car elleoccupe une place importante dans le domaine des sciences de l’éducation dans la mesure oùelle a marqué, autant sur le mode admiratif que critique, toutes les théories qui lui ontsuccédé. Dans ce travail, il s’agira plus spécifiquement de s’attarder sur deux expériences quisont liées à cette théorie et d’en étudier l’analyse des données.

Ainsi, un premier chapitre sera consacré aux notions importantes des théories de Jean Piagetafin de rendre plus facile la compréhension des expériences qui suivront. Dans un deuxièmetemps donc, deux expériences seront exposées et sur lesquelles nous porterons, dans latroisième partie de ce travail, un regard critique en lien avec l’analyse des donneés par laméthode inductive.

Les théories de Piaget

Jean Piaget a consacré de nombreuses années de son existance à l’étude de la connaissancecar il voulait comprendre comment la connaissance se développait. Pour cela, il s’est intéresséà l’évolution des idées et des capacités de raisonnement au cours du développement del’enfant. Et c’est après de longues observations sur ses propres enfants que Piaget créa sapropre théorie pour expliquer le développement intellectuel de l’enfant ; le constructivisme.On parle de théorie constructiviste dans le sens où l’enfant est amené à reconstruire la réalité àtravers ses cadres de pensée. Il n’apprend pas que par la perception de son environnement,comme le voudrait un modèle transmissif.

La construction de l’intelligence est une forme d’adaptationL’enfant est amené à construire son intelligence pour trouver un équilibre entre son organismeet l’environnement. Ainsi, le développement cognitif est une forme d’adaptationpsychologique qui suit les mêmes processus que l’adaptation biologique. En effet, l’enfant estconfronté à une perturbation, un état de rupture entre lui et son environnement quand sesbesoins ne peuvent être assouvis et va donc essayer de rétablir l’équilibre initial en utilisantson intelligence à la recherche de nouveaux moyens pour satisfaire ses besoins. Ainsi,l’équilibre retrouvé est dû à l’adaptation au milieu par le biais de l’expérimentation.

Continuité fonctionnelle du développementTout au long du développement, l’évolution des structures cognitives a comme fonctiond’adapter l’individu à son environnement. Cet équilibre, sans cesse menacé, est le moteur dudéveloppement qui a alors besoin de faire progresser son intelligence pour s’adapter auxchangements du milieu. Pour cela, l’individu possède deux processus distincts maiscomplémentaires, l’assimilation et l’accommodation. Le premier consiste en uneincorporation des situations nouvelles aux instruments d’actions et de pensée (les schèmes)

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déjà construits. L’accommodation est le perfectionnement de ces schèmes par leur ajustementà des conditions nouvelles, c’est-à-dire à leur spécialisation.

Discontinuité structurale

Au niveau de la structure du développement, l’évolution est discontinue dans le sens où ellese déroule par paliers d’équilibre, par stades dont le passage de l’un à l’autre n’est pasforcément fluide. En effet, il se peut que, pendant une certaine période du développement,l’enfant oscille entre deux stades en faisant tantôt des progrès et tantôt des régressions.

Il existe quatre grandes catégories de stades.

1) Les stades sensori-moteurs

Caractérisés par le début de l’intelligence pratique.

Se divise en six sous-parties :

- Stade I : de la naissance à la fin du premier mois se manifestent des exercices réflexes et lespremiers mécanismes d’assimilation.

- Stade II : du deuxième mois à environ quatre mois et demi, Piaget a observé des réactionscirculaires primaires, c’est-à-dire des exercices réflexes orientés vers le corps propre qui, aforce d’être répétées, vont devenir des habitudes acquises. A ce stade, il y a aussi un début decoordination vision-préhension qui sera plus manifeste au stade suivant.

- Stade III : la coordination vision-préhension développée au stade II favorise l’apparition desréactions circulaires secondaires qui sont orientée vers les objets, c’est-à-dire que les schèmessont appliqués aux objets saisis cette fois. La fin de ce stade est marquée par des prémices dela distinction moyens-buts.

- Stade IV : Distinction claires entre moyens et buts, c’est-à-dire que l’action est marquée parl’intentionnalité. Les relations entre les différents objets sont envisagées et prises en compte.Ce stade est très important car Piaget le marque comme le début de l’intelligence.

- Stade V : Cette période est caractérisée par les réactions circulaires tertiaires. En effet, lesactivités intentionnelles qui consistent à explorer les objets s’affinent de plus en plus et,surtout, l’enfant commence à rechercher des moyens nouveaux pour agir sur ces objets. Unecertaine curiosité nouvelle peut s’observer entre 11 à 18 mois où les enfants font desexpériences « pour voir ».

-Stade VI : Les différents schèmes d’actions développés dans les stades précédents peuventêtre combinés mentalement pour une plus grande efficacité dans l’action. Par exemple,Lucienne (la fille de Piaget) cherche à sortir une chaîne d’une boîte d’allumettes et après avoiressayé les schèmes appris auparavant (secouer la boîte, la retourner pour la vider), marqueune pause en ouvrant et fermant sa bouche puis, mets son doigts pour élargir la fente et ouvrirla boîte. Pour Piaget, cet acte de mimer l’action avant de la produire prouve que l’enfantcherche à se représenter symboliquement l’action avant d’agir. Ce stade est la charnière entrela période sensori-motrice, c’est-à-dire l’apparition de l’intelligence pratique, et la période dela pensée symbolique.

2) Stade de la pensée pré-opératoire

A ce stade, l’enfant reconstruit sur le plan de la pensée ce qu’il a construit sur le plan del’action. Il doit s’adapter aux concepts et non plus seulement à la réalité physique. Ce stadecomprend deux sous-stades :

- stade de la pensée symbolique

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L’assimilation se fera à ce que Piaget nomme des pré-concepts, qui dépendent du point de vuede l’enfant, de son expérience. La pensée de l’enfant est marquée par un rapport affectif auxchoses. Il n’assimile pas encore les objets à des concepts généraux (classes d’objets), mais àdes représentations imagées, des individus-types.

- stade de la pensée intuitive

Avant d’arriver aux stades des opérations concrètes (opérations mentales), l’enfant passe parun stade d’action intériorisée (intuition), ce qui veut dire qu’il effectue l’action mentalement.Il est donc soumis aux contraintes de l’action physique et fonctionne par centration mentale,ne pouvant penser plusieurs dimensions à la fois. Par exemple, dans l’épreuve de conservationdes liquides, l’enfant répondra que le récipient le plus large est moins rempli que le récipientétroit, car il se centre uniquement sur la hauteur des niveaux de liquide.

Il ne peut pas non plus penser à la fois le tout et une sous-classe. Il est déjà sensibles auxcontradictions. Il met en relation les différentes dimensions qui amènent une contradiction,mais n’est pas encore capable de suffisamment de décentration pour résoudre cescontradictions.

On trouve par ailleurs la genèse des structures logiques de classification et de sériation austade pré-opératoire.

3) Stade des opérations concrètes

Les opérations mentales se mettent en place petit à petit, mais pas en même temps dans tousles domaines.

L’enfant est maintenant capable de penser les dimensions de manière simultanée (par exemplele poids et la grandeur). Il atteint le niveau que Piaget appelle le niveau de conservation, quiest le résultat d’un raisonnement opératoire. Malgré la transformation sur un objet (ex :forme), l’objet lui-même est conservé. Par exemple, si on modifie la forme d’un objet, on nemodifie pas son poids ! L’enfant doit se dégager des apparences perceptives.

Lorsque l’enfant est conservant, il peut penser simultanément une transformation et soninverse. Il acquiert à ce stade la notion d’espace, de mesure, de temps et de vitesse.

4) Stade des opérations formelles

A ce stade, l’enfant acquiert une pensée hypothétique. Il acquiert la combinatoire : il estcapable de combiner différents éléments en envisageant tous les cas possibles, donc de fairedes opérations sur des opérations. La pensée se dégage du concret et amène des raisonnementbeaucoup plus complexes.

Piaget utilise différentes épreuves pour mesurer le niveau cognitif des enfants. A sa suite,différents auteurs se sont basés sur ses épreuves pour étudier divers phénomènes.

Par exemple, Anne-Nelly Perret-Clermont et ses collaborateurs ont étudié le rôle du facteursocial dans le développement intellectuel des enfants. Des expériences ont tenté de mettre enévidence qu’une interaction sociale menait à des structurations plus complexes qu’une actionindividuelle. Ce sujet sera abordé au chapitre suivant.

Présentation de la première recherche

Dans ce chapitre, il s’agira d’une expérience menée par Piaget et Inhelder. Elle porte sur laconstruction de la notion d’espace et concerne donc le stade des opérations concrètes.

Il s’agit de l’épreuve « des trois montagnes » qui a été à l’origine de plusieurs recherches surla décentration spatiale et sociale.

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Le matériel utilisé pour réaliser cette expérience était une maquette représentant troismontagnes dont l’une était verte avec une maison, une autre brune surmontée d’une croix et ladernière grise avec le sommet enneigé (voir fig. 1). L’enfant est placé de façon à ce qu’il voitau premier plan, la montagne verte sur la droite et la montagne brune sur la gauche et, àl’arrière-plan, la montagne grise. Le sujet dispose de dix tableaux représentant ces mêmesmontagnes mais depuis d’autres points de vue qui correspondent aux déplacement d’unepoupée que les expériementateurs positionnent à divers endroits de la maquettes. Deuxconsignes différentes peuvent alors être données :

- L’enfant doit choisir le tableau qui représente la perspective de la poupée. Parmi les dixpossibilités seules quatre respectent la position des montagnes et correspondent aux faces dela maquette (A, B, C et D).

- L’enfant doit placer la poupée à l’endroit de la maquette depuis lequel elle peut voit ce quiest illustré sur le tableau donné.

Fig. 1 : Matériel schématisé (A=perspective de l’enfant ; B, C, D= différentes perspectives selon laposition de la poupée).

Piaget et Inhelder ont observé une population de 100 enfants âgés de 4 à 12 ans ayant reçul’une des deux consignes.

A partir de ces observations, ces auteurs distinguent trois stades de développement enfonction de trois catégories de réponses.

- Entre 4 et 7 ans, les réactions des enfants démontrent qu’ils ne font aucune ou très peu dedifférence entre leur propre point de vue et celui des autres représenté par la poupée.

- Entre 7 et 8 ans, ils admettent qu’il existe un autre point de vue que le leur mais neparviennent pas à l’expliquer car ils sont encore trop encrés dans leur propre perspective.

- A partir de 8-9 ans, l’enfant découvre que les rapports de déplacement entre les objetspeuvent changer selon la position de l’observateur. Le rapport avant-arrière est acquis plus tôtque le rapport gauche-droite mais ces deux systèmes de rapports vont progressivement secoordonner pour améliorer la compréhension d’ensemble des points de vue (envisager).

A B

C D

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Présentation d’une seconde recherche

La seconde recherche que nous avons choisi a été menée par Anne-Nelly Perret-Clermont, etconduite avec 100 enfants de première années primaire entre 5;6 ans et 7;5 ans. Cetteexpérience a consisté en une adaptation de l’épreuve de Piaget sur le transvasement desliquides (Piaget et Szeminska, 1941) où les auteurs montrent que « les quantités continues nesont pas d’emblée considérées comme constantes, mais que leur conservation se construitprogressivement selon un mécanisme intellectuel précis » (Perret-Clermont, 2000).

L’hypothèse de cette recherche est la suivante : si un sujet non conservant (qui n’a pas encoreatteint le stade des opérations concrètes de Piaget) doit faire un partage équitable de siropentre deux sujets conservants, dans une situation où une non conservation lèserait les intérêtsdes sujets conservants, ceux-ci l’amèneraient à résoudre le problème de façon adéquate.

Il s’agit ici de vérifier que nous sommes au-delà d’une simple imitation de conduites despartenaires conservants, et que l’enfant fait preuve d’une meilleure compréhension de lanotion qu’au début de l’activité.

La première phase du test (pré-test) a pour but de déterminer les niveaux cognitifs des sujets :conservant (C), non-conservant (NC) ou intermédiaire (I) (les intermédiaires sont ceux quidonnent des réponses fluctuantes ou hésitent) afin de créer des groupes.

La deuxième phase se passe en situation collective. Deux semaines après le pré-test, on placedes trios de sujets en situation d’interaction pour réaliser un partage de sirop.

La troisième (après une semaine) et la quatrième phase (après un mois) permettent deconstater un éventuel progrès chez les enfants NC ou I (post-test).

En condition expérimentale, 24 des 37 enfants progressent contre 2 sur 12 en condition decontrôle et l’on constate une progression des 17 enfants sur 28 NC (61%).

Entre le post-test 1 et le post-test 2 , 15 sujets ont conservé le progrès acquis entre le pré-testet le post-test 1, 8 sujets ont encore progressé entre les deux post-tests et 4 sujets ont régressédu pré-test au post-test 2.

Le tableau 1 présente les résultats.

Condition

expérimentale

Condition

expérimentale

Condition

contrôle

Condition

contrôle

Niveau au

post-test 1NC au pré-test I au pré-test NC au pré-test I au pré-test

NC 11 9

I 9 2 1 1

C 8 7 0 1

Totaux 28 9 10 2

Tableau 1 : Evolution entre le pré-test et le post-test des sujets NC et I de l’expérience 1

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L’analyse des données

Epreuve des trois montagnesDans cette première recherche présentée précédemment, Piaget et Inhelder s’entretiennentavec des enfants selon la méthode clinique que Piaget a mise en place tout au long de sesexpérimentations. Inspirée du diagnostique et de l’investigation psychiatrique, cette méthodequi sera appelée plus tard « la méthode critique », consiste à dialoguer avec l’enfant de façonlibre sur le thème abordé par l’épreuve soumise et suivre de près le cheminement de la penséeà travers les réponses fournies, en demandant des justifications et en proposant des contre-suggestions. Ainsi, à part quelques questions clés qui servent à diriger l’enfant sur le thèmeabordé (la conservation des liquides, du nombre, la structuration de la notion d’espace, etc.),le déroulement de l’entretien n’est pas standardisé mais s’adapte aux réponses, aux attitudeset au vocabulaire de l’enfant en question. La méthode critique ne vise pas une évaluationnormative ni un test des connaissances, elle enregistre ce que l’enfant dit et le pousse à allerau-delà de sa première intuition, à développer sa pensée. Ainsi, l’erreur est aussi informativequ’une bonne réponse car elle montre tout aussi bien le déroulement du raisonnement encoreen construction. Piaget, interrogé par Bringuier sur la nature de sa méthode clinique répond :« [… ] Bringuier – Donc on vous apporte une matière première qui est un ensemble deconversations ? Piaget – Une série de conversations libres avec les enfants, sur les problèmesque nous avons délimités, nous en tirons des protocoles qui sont les résultats transcrits des cesconversations. […] Bringuier – Je repense au contenu de ces entretiens. Ce sont des espècesde tests ? Piaget – Non, Les tests portent sur des performances, des résultats ; nous, nouscherchons comment l’enfant raisonne, comment il découvre de nouveaux instruments, alorsc’est de la conversation directe, de la conversation libre. Bringuier – Un test, c’est toujours unpeu un examen ? Piaget – Un examen, oui, et surtout une standardisation. On pose, on choisit,on détermine les questions d’avance. Comment voulez-vous avec notre esprit adulte ce quisera intéressant ? Tandis que si on suit l’enfant partout où il vous répond d’une manièreimprévue, au lieu de le guider avec des questions prévues d’avance, alors on trouve duneuf…Bien sûr, il y a trois ou quatre questions qu’on posera toujours mais autour de ça, ontourne et on explore tous les environs plutôt que de s’en tenir aux questions strictes.Bringuier – Mais il faut bien préparer des questions pour établir des statistiques ? (Piaget faitla moue). Enfin, simplement pour avoir un ensemble d’informations cohérent. Piaget –Justement. Une fois qu’on aura fait ce travail de dépouillement et de défrichement quiconsiste à trouver du neuf et à voir des choses qu’on avait pas prévues, on pourra commencerà standardiser, enfin ceux que ça amuse, et faire des statistiques précises. Mais je trouve qu’ily a un métier plus intéressant qui consiste à défricher d’abord.».

D’après ce qu’il a été décrit jusqu’à présent, nous pouvons voir que la démarche piagétienneest particulière car elle n’est ni observation pure puisqu’il y a interaction entre le sujet etl’observateur, elle s’inspire de la méthode clinique de l’investigation psychiatrique mais s’endémarque par son objet d’étude et n’est pas non plus une démarche expérimentation car,même si elle part d’hypothèses théoriques définies qu’elle tente de confirmenr, elle nerespecte pas toutes les conditions de cette démarche. En effet, Piaget s’intéresse plus auxréponses individuelles auxquelles il cherche à adapter sa méthode qu’à une standardisationdes conditions ce qui rend difficile le contrôle de variables contextuelles qui peuventinfluencer les réponses.

Nous allons, à présent, brièvement décrire la méthode employée par Piaget et sescollaborateurs pour analyser les données qu’il a récoltées lors des entretiens afin decomprendre comment est établi le lien entre l’épreuve des montagnes décrite plus haut et lesstades de développement qui catégorisent les différentes réponses obtenues. A partir du

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contenu des entretiens cliniques, Piaget obtient des résultats qualitatifs et quantitatifs. Commenous l’avons vu dans le chapitre qui traitait de l’épreuve des trois montagnes, Piaget etInhelder ont interrogé des enfants entre 4 et 12 ans et lors de l’analyse des transcriptions deconversations, ils ont cherché les points communs des réponses données par les enfants d’unmême niveau de développement. Ainsi, les résultats qualitatifs correspondent à une hiérarchiede stades de développement cognitif. Ils ont donc tenté de retracer, à travers une analysetransversale, l’évolution de la pensée au sujet de la notion d’espace. Pour l’épreuve desmontagne, les trois niveaux distingués sont « l’illusion égocentrique », c’est-à-dire lacentration sur le point de vue propre, le début de la différentiation des points de vue avec laprise en compte de la position de l’observateur mais en relation qu’avec un seul des élémentsdu tableau représenté et finalement, la coordination des perspectives (perspective propre etd’autrui). Les auteurs ont donc relevé les caractéristiques et la logique découlant des réponsesd’enfant d’une même tranche d’âge afin de constituer des stades de développement standardsrelatifs au thème traité. Ensuite, Piaget et ses collaborateurs ont fait une analyse qualitativedes arguments présentés qu’ils ont mis en relation avec les niveaux de développementcognitif. Ainsi, avec ses données qualitatives (niveaux génétiques et types d’arguments), ilsont établi les données quantitatives, c’est-à-dire qu’ils ont calculé le pourcentage de sujetsdans chaque catégories et en relation avec l’âge. Voici un exemple fictif : 40% des enfants de8 ans se situent au dernier stade de développement de la notion d’espace alors que c’est le casde 80% des enfants de 9 ans donc Piaget fixe la limite entre le deuxième et le troisième stadeà 8-9 ans.

A présent, nous allons tenter de poser un regard critique sur l’analyse des données qui vientd’être décrite en nous aidant de ce que nous avons abordé en cours. Tout d’abord il noussemble que le choix des sujets passant l’épreuve n’est nulle part justifié alors que certainescaractéristiques peuvent fortement influencer les réponses des enfants comme leur capacitéslinguistiques aussi bien en compréhension qu’en production. En effet, l’enfant pourrait ne pascomprendre les questions posées et le taire ou alors il pourrait avoir de la peine à exprimer cequ’il pense, à argumenter verbalement alors qu’il connaît la réponse à la question. Puisqu’ilest question de catégoriser les types de réponses selon une hiérarchie relative audéveloppement cognitif, l’âge des sujets mais aussi le niveau initial de développementcognitif influencent les résultats. Ainsi, il nous paraît important d’obtenir plus de précisionssur la population observée en leur faisant passer, par exemple, un prétest. Bien entendu, celafait partie de la méthode piagétienne de n’être qu’uniquement clinique et de ne pas seconformer au canon expérimental mais les chercheurs actuels qui s’inspirent des épreuvespiagétiennes ont pour la majorité adopté des méthodes plus expérimentales, comme c’est lecas de la seconde recherche que nous présentons. Ensuite, il nous est apparu que les questionsqui étaient posées par l’adulte pouvaient parfois être suggestives et induire chez les enfantsinterrogés des arguments qu’ils pensent conformes à la demande. La connaissance de cetaspect de l’épreuve devrait permettre de nuancer les résultats trouvés alors qu’il ne semble pasque ce soit le cas pour cette épreuve. Troisièmement, nous souhaiterions mettre l’accent surun point qui a déjà été soulevé précédemment, le manque de standardisation du protocole del’épreuve. En effet, Piaget voulait une méthode qui s’adapte à chaque enfant interrogé et quipermette d’étudier de manière individuelle le raisonnement sous-jacent à chacune desargumentations mais pour cela il a dû renoncer à une structure rigide et définie de la passationde l’épreuve. Il y a tout de même quelques questions définies et un matériel standardisé maiscela ne suffit pas pour contrôler des variables contextuelles et individuelles qui rendentdifficile la généralisation des réponses. Cependant, malgré un désir d’observer de manièreparticulière le développement cognitif de chacun de ses sujets, Piaget a finalement généraliséles résultats pour n’obtenir plus que des catégories globalisantes et regroupant la singularitéde chaque situation. Sur ce point, Piaget a été vivement critiqué entre autre par L.S.

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Viygotsky pour avoir résumé le développement en quelques stades bien définis. Un autrereproche qui a été fait à la théorie piagétienne est le manque d’intérêt pour la dimensionsociale du développement cognitif. Effectivement, l’objectif de Piaget était de pouvoirobserver le développement cognitif d’un point de vue épistémologique et même si cesobservations étaient obtenues par le biais d’entretiens, l’interaction en soi n’était pas prise encompte. La technique du contre-argument posse l’enfant par le conflit socio-cognitif àremettre son point de vue initial en quesiton et apporte un déséquilibre dans son système depensée qui cherche alors à se rééquilibrer. Ainsi, l’enfant reconstruit ici son raisonnementavec le soutien de l’expérimentateur, il recrée des réponse en « partenariat » et donc cetteinteraction est très importante pour permettre le dépacement des connaissances. L’influencede l’autre est à prendre en compte pour une meilleure analyse des données mais il s’agit alorsd’un autre courant de pensée auquel la recherche suivante appartient ; le socio-constructivisme.

La recherche de Perret-ClermontLa situation d’interaction génèrerait donc des progrès. La comparaison des progrès desenfants ayant vécu la condition expérimentale avec les enfants contrôles n’ayant passé que lepré-test et le post-test permet de montrer que les progrès ne sont sans doute pas dusuniquement à un facteur de maturation (Perret-Clermont, 2000). Les chercheurs s’appuientsur des analyses statistiques pour dire cela. Ils ont par exemple calculé la probabilité que lesprogrès ne soient dus uniquement au facteur de motivation à l’aide du Chi2. Ils ont obtenusune probabilité de 0.1, qui est une probabilité très faible (Perret-Clermont, 2000).

Il ressort donc qu’un effet du à l’interaction est présent dans les deux conditions. On ne parleplus uniquement d’imitation d’un pair plus avancé, mais d’une déstabilisation cognitiveentraînant un conflit socio-cognitif.

L’enfant NC est placé en situation de déséquilibre de son système de pensée, ce qui l’amène àdevoir trouver une issue, un facteur de rééquilibration. La dimension sociale ici est trèsimportante. Le sujet vit un conflit relationnel lorsqu’il réalise que l’un des receveurs risqued’être lésé. Le cognitif rejoint le relationnel, une rupture de l’interaction créée par unproblème relationnel pourra être réparée par la découverte d’une solution cognitive plusavancée. Dans cette idée, l’enfant devra éviter de produire une solution de complaisance quine serait pas cognitive, en résolvant un conflit relationnel par l’imposition du point de vued’un des sujets lésés.

Conclusion

La manière d’aborder ce travail a été nouvelle et différente que celle utilisée pour d’autrestravaux. Nous nous sommes en effet intéressées à l’analyse des données d’un point de vuequantitatif et qualitatif. Nous nous sommes concentrées sur les méthodes d’analyse deschercheurs, comme par exemple l’analyse statistique et ce qu’il est possible d’en tirer.

Cette démarche a été très intéressante, car nous n’avions pas l’habitude d’aborder un travailsous cet angle. Analyser des données demande une grande prudence, car de nombreuxfacteurs doivent être pris en compte et les négliger amènerait une réduction de l’informationet un risque d’interprétation faussée des résultats. Lors de la discussion des résultats, nousavons pu nous apercevoir que dans chaque recherche, de nombreuses questions restentouvertes.

Bibliographie

Bideaud J., Houdé, O. et J-L. Pedinielli. (1993). L’homme en développement. Paris : PressesUniversitaires de France.

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Montangero, J. (1994). Une vision constructiviste du développement des connaissances : lepoint de vue de Jean Piaget. In : R. Ghiglione et J-F. Richard (Eds.), Cours de psychologie : 2,bases, méthodes, épistémologie. (pp. 57-70). Paris : Dunod.

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Perraudeau, M (1998). Echanger pour apprendre. L’entretien critique. Paris, Armand Colin

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