Descriptif des lectures et des activités -...

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NOM : Prénom : 1 STMG2 Descriptif des lectures et des activités

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NOM : Prénom : 1 STMG2

Descriptif des lectures et des activités

SEQUENCE 1Le Colonel Chabert (1832) d'Honoré de Balzac,

une étude de la société parisienne de la Restauration

Objet d'etude : le personnage de roman, du XVIIe siècle à nos jours

Problematique : Quelle vision de la société parisienne de la Restauration le roman de Balzac offre-t-il ?

Perspective d'etude : genres et registres

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TEXTES ETUDIES EN LECTURE ANALYTIQUE

1. L'incipit du roman, jusqu'à « … et continua de dresser le memoire de frais auquel il travaillait »

2. La description de l’étude, de « L'etude etait une grande pièce... » jusqu'à « … des grands penseurs et des grands ambitieux. »

3. Le portrait du colonel Chabert, de « Le colonel Chabert etait aussi parfaitement immobile » à « … " Par là s'est enfuie l'intelligence ! " »

4. Le séjour à Groslay, de « Le malheur est une espèce de talisman » jusqu'à « Rosine, lui dit-il, qu’avez-vous ? »

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ACTIVITES

– autres œuvres et/ou textes étudiés :

• Groupement de textes : héros ordinaires : Gustave FLAUBERT, Madame Bovary (1857) ; Emile ZOLA, Germinal (1885) ; Marguerite DURAS, Un Barrage contre le Pacifque (1950) ;Georges PEREC, Les Choses (1962).

• Groupement de textes : les caractéristiques du réalisme en littérature : J. et E. de Goncourt, Preface de Germinie Lacerteux, 1865 ; Guy de Maupassant, extrait de la preface de Pierre et Jean, 1888 ; Guy de Maupassant, extrait de la preface de Pierre et Jean, 1888.

• Le projet littéraire de Balzac : extraits de l’Avant-propos de la Comédie Humaine• Lecture cursive : BALZAC, Le Colonel Chabert, les adieux de Derville

– lectures d'images :

• Deux représentations de la bataille d'Eylau : Charles Meynier (1768-1832), Napoléon sur le champ de bataille d’Eylau (1807) ; Antoine-Jean Gros (1771-1835), Napoléon visitant le champ de bataille au lendemain de la bataille d’Eylau le 9 février 1807 (1808)

• Analyse d'extraits des flms d'Yves Angelo (1994) : le champ de bataille d'Eylau

– autres activités :

• Honoré de Balzac : Balzac, la comedie humaine et les personnages reapparaissants (comme maître Derville)

• Le contexte historique : Napoleon du Directoire à l’exil, la Restauration• Les lieux• Les personnages• La construction du roman

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Activités conduites en autonomie par l'élève :

• Etude comparée du roman d'Honoré de Balzac et de l'adaptation cinématographique d'Yves Angelo (1994)

• Sujet de dissertation : Dans Deux définitions du roman (1866), Emile ZOLA déclarait : « le premier homme qui passe est un héros suffisant ». Discutez cette affirmation en prenant appui sur les textes du corpus et sur les œuvres que vous connaissez.

SEQUENCE 2Un fil à la patte (1894) de Georges Feydeau,

un vaudeville moderne et efficace

Objet d'étude : théâtre, texte et représentation

Problématiques : Quel regard Feydeau porte-t-il sur le mariage d'intérêt et sur le rôle de l'argent dans la sphère privée ? En quoi la dramaturgie de Feydeau est-elle novatrice ?

Perspective d'étude : étude des genres et des registres

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TEXTES ETUDIES EN LECTURE ANALYTIQUE

5. L'exposition : Acte I, scènes 1 et 2, jusqu'à « (On sonne.) »6. L'arrivée de De Fontanet : Acte I, scène 77. Un rebondissement : Acte II, scène 14, de « Eh bien ! Venez donc Bois-d'Enghien... » à la fin de la

scène8. Le dénouement : Acte III, scènes 8-9, de « TOUS. Oh ! » jusqu'à la fin.

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ACTIVITES

– autres œuvres et/ou textes étudiés :

• Groupement de textes 1 : la scène d'exposition : Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais, Le Barbier de Séville, acte I, scènes 1 et 2 (extrait), (1775) ; Alfred de Musset, On ne badine pas avec l’amour, acte I, scène 1 (extrait) (1834) ; Eugène Labiche, Un chapeau de paille d’Italie, acte I, scène 1 (1851) ; Eduardo Manet, Quand deux dictateurs se rencontrent, (incipit), © Actes Sud-Papiers (1996).

• Groupement de textes 2 : le vaudeville : “Avis de l'auteur” de Georges Feydeau ; “Un fl à la patte, par Jerôme Deschamps », propos recueillis par Laurent Mulheisein.

• Lecture cursive au choix : Molière, Le Bourgeois gentilhomme (1670) ; Beaumarchais, Le Mariage de Figaro (1781) ; Eugène Labiche, Un chapeau de paille d’Italie (1851).

– lectures d'images :

• Jean Beraud, Le Théâtre du Vaudeville (1889)• La scène de l'escalier : Bouzin contre Bois-d'Enghien dans trois adaptations

théâtrales : Jacques Charon (1970), Alain Sachs (1999) et de Jerôme Deschamps (2012)

– autres activités :

• Georges Feydeau : biographie et bibliographie• La mecanique du rire• La critique humaine et sociale• Les personnages• Representations et adaptations

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Activité conduite en autonomie par l'élève :

• Les elèves ont visionne la première scène de l’adaptation cinematographique d'Un fl à la patte, par Michel Deville (2005) et ecrit les didascalies. Les elèves ont pu mieux juger leur redaction et l’utilite des didascalies.

• Etude comparée de la pièce de Feydeau et de l'adaptation cinématographique de Michel Deville (2005).

SEQUENCE 3Le Spleen de Paris (1869),

un recueil de poèmes en prose

Objet d'etude : écriture poétique et quête du sens, du Moyen Âge à nos jours (groupement de textes)

Problematiques : en quoi la poésie des Petits poèmes en prose (ou Le Spleen de Paris, 1869) bouleverse-t-elle les normes poétiques ? Qu'est-ce qu'un recueil poétique ?

Perspective d'etude : l'évolution des formes poétiques au XIXème siècle ; la notion de recueil poétique

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TEXTES ETUDIES EN LECTURE ANALYTIQUE

9. « L'Etranger » 10. « Un hemisphère dans une chevelure »11. « Enivrez-vous »12. « Les Fenêtres »

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ACTIVITES

– autres œuvres et/ou textes étudiés :

• Groupement de textes 1 : les doublets en vers et en prose, dans Les Fleurs du Mal (1857) et dans Le Spleen de Paris (1869) : « La Chevelure » et « Un hemisphère dans une chevelure ».

• La préface du Spleen de Paris (1869) de Charles Baudelaire : la lettre-dedicace à Arsène Houssaye

• Groupement de textes 2 : la liberté poétique, de Rimbaud à Réda : Arthur Rimbaud, « Le Buffet ». Poésies, 1870 ; Paul Verlaine, « Le piano que baise une main frêle... » , Romances sans paroles, 1874 ; Francis Ponge, « La Valise », Pièces, 1961 ; Jacques Reda. « La Bicyclette », Retour au Calme, 1989.

• Lecture cursive : Les Petits poèmes en prose ou Le Spleen de Paris (1869) de Charles Baudelaire

– lectures d'images :

• Caillebotte, Le Pont de l'Europe (1875) et Rue de Paris, temps de pluie (1877)

– autres activités :

• Charles Baudelaire : biographie et bibliographie• L’evolution de la poesie aux XIXème et XXème s. : le poème en prose, le vers libre. La modernite

poetique.• Etude comparee de deux « doublets » dans Les Fleurs du Mal (1857) et dans Le Spleen de Paris (1869) :

« La Chevelure » et « Un hemisphère dans une chevelure ».• Les thèmes à l'oeuvre dans le recueil : l'evasion, le temps, le voyage, la creation poetique, les

pauvres._______________________________________________________________________________________

Activité conduite en autonomie par l'élève :

Les elèves ont ecoute des interpretations de Michel Piccoli et de Denis Podalydès, puis travaille à la mise en voix et en musique d'une selection de poèmes, qu'ils ont appris.

SEQUENCE 4 Indignez-vous !

Objet d'etude : la question de l'homme dans les genres de l'argumentation du moyen-âge à nos jours

Problematiques : Comment l'écriture dans ses diverses formes sert-elle l'expression de la dénonciation ou la révolte ? Le recours à la fction est-il un moyen effcace pour diffuser ses idées ?

Perspective d'etude : étude de l'argumentation et de ses effets sur les destinataires

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TEXTES ETUDIES EN LECTURE ANALYTIQUE

13.Voltaire, Traité sur la tolérance, « Prière à Dieu », chapitre XXIII (1763)

14. Beaumarchais, Le Mariage de Figaro, Acte V, scène 3 (extrait) (1781)

15. Victor Hugo, « Fable ou histoire », Les Châtiments (1852)

16. Emile Zola, Germinal, Quatrième partie, Chapitre 7

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ACTIVITES

– autres œuvres et/ou textes étudiés :

• Groupement de textes : utopies : Thomas More, Utopie, 1516 ; François Rabelais, Gargantua, chapitre 57, 1534 ; Voltaire, Candide ou l’optimisme, 1759, chapitre XVIII ; Georges ORWELL, La Ferme des animaux, 1945.

• Groupement de textes : les combats des Lumières : Cesar Chesneau Dumarsais - Article « philosophe » (extrait) de L'Encyclopédie (1751-1772) ; Emmanuel Kant, Qu’est-ce que les lumières ? , 1784.

• Lecture cursive : Indignez-vous ! (2010) de Stephane Hessel

– lectures d'images :

• Eugène Delacroix, La Liberté guidant le peuple (1830).

– autres activités :

• Voltaire, Beaumarchais, Hugo et Zola : des auteurs engages• Les Lumières et leur heritage ; l'utopie• L'art d'argumenter : les principales fgures de style et les procedes oratoires• L'indignation aujourd'hui : les motifs d'indignation selon Stephane Hessel

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Activités conduites en autonomie par l'élève :

• Visite virtuelle de l'exposition Victor Hugo, l'homme océan, sur le site de la BNF : http://expositions.bnf.fr/hugo/expo.htm

• Invention : Vous avez été témoin d'une injustice. Vous la racontez dans une lettre à un élu local pour lui faire part de vos émotions et l'inciter à agir.

• Visionnage d’extraits de flms :

- trois dystopies : Animal farm (1954) de John Halas et Joy Batchelor ; Fahrenheit 451 (1966) de François Truffaut ; 1984 (1984) de Michael Radford.

- trois flms sur l'égalité entre les hommes et les femmes : Pomme d'Adam (2008) de Jerome Genevray, Majorité opprimée (2010) de Eleonore Pourriat et Jacky au royaume des flles (2013) de Riad Sattouf

Lecture analytique n° 1 : l'incipit

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– Allons ! encore notre vieux carrick !Cette exclamation echappait à un clerc appartenant au genre de ceux qu’on appelle dans les Etudes des saute-

ruisseaux, et qui mordait en ce moment de fort bon appetit dans un morceau de pain ; il arracha un peu de mie pour faire une boulette qu’il lança railleusement par le vasistas d’une fenêtre sur laquelle il s’appuyait. Bien dirigee, la boulette rebondit presque à la hauteur de la croisee, après avoir frappe le chapeau d’un inconnu qui traversait la cour d’une maison situee rue Vivienne, où demeurait maître Derville, avoue.– Allons, Simonnin, ne faites donc pas de sottises aux gens, ou je vous mets à la porte. Quelque pauvre que soit un client, c’est toujours un homme, que diable ! dit le premier clerc en interrompant l’addition d’un memoire de frais.

Le saute-ruisseau est generalement, comme etait Simonnin, un garçon de treize à quatorze ans, qui dans toutes les Etudes se trouve sous la domination speciale du principal clerc dont les commissions et les billets doux l’occupent tout en allant porter des exploits chez les huissiers et des placets au Palais. Il tient au gamin de Paris par ses mœurs, et à la Chicane par sa destinee. Cet enfant est presque toujours sans pitie, sans frein, indisciplinable, faiseur de couplets, goguenard, avide et paresseux. Neanmoins presque tous les petits clercs ont une vieille mère logee à un cinquième etage avec laquelle ils partagent les trente ou quarante francs qui leur sont alloues par mois.– Si c’est un homme, pourquoi l’appelez-vous vieux carrick ? dit Simonnin de l’air de l’ecolier qui prend son maître en faute.

Et il se remit à manger son pain et son fromage en accotant son epaule sur le montant de la fenêtre, car il se reposait debout, ainsi que les chevaux de coucou, l’une de ses jambes relevee et appuyee contre l’autre, sur le bout du soulier.– Quel tour pourrions-nous jouer à ce chinois-là ? dit à voix basse le troisième clerc nomme Godeschal en s’arrêtant au milieu d’un raisonnement qu’il engendrait dans une requête grossoyee par le quatrième clerc, et dont les copies etaient faites par deux neophytes venus de province. Puis il continua son improvisation : ... Mais, dans sa noble et bienveillante sagesse, Sa Majesté Louis Dix-huit (mettez en toutes lettres, he! monsieur le savant qui faites la Grosse !), au moment où Elle reprit les rênes de son royaume, comprit... (qu’est-ce qu’il comprit, ce gros farceur-là ?) la haute mission à laquelle Elle était appelée par la divine Providence ! ... ... (point admiratif et six points: on est assez religieux au Palais pour nous les passer), et sa première pensée fût ainsi que le prouve la date de l’ordonnance ci-dessous désignée, de réparer les infortunes causées par les affreux et tristes désastres de nos temps révolutionnaires, en restituant à ses fdèles et nombreux serviteurs (nombreux est une fatterie qui doit plaire au tribunal) tous leurs biens non vendus, soit qu’ils se trouvassent dans le domaine public soit qu’ils se trouvassent dans le domaine ordinaire ou extraordinaire de la couronne soit enfn qu’ils se trouvassent dans les dotations d’établissements publics, car nous sommes et nous nous prétendons habiles à soutenir que tel est l’esprit et le sens de la fameuse et si loyale ordonnance rendue en...– Attendez, dit Godeschal aux trois clercs, cette scelerate de phrase a rempli la fn de ma page.– Eh ! bien, reprit-il en mouillant de sa langue le dos du cahier afn de pouvoir tourner la page epaisse de son papier timbre, eh ! bien, si vous voulez lui faire une farce, il faut lui dire que le patron ne peut parler à ses clients qu’entre deux et trois heures du matin : nous verrons s’il viendra, le vieux malfaiteur ! Et Godeschal reprit la phrase commencee :– rendue en... Y êtes-vous ? demanda-t-il.– Oui, crièrent les trois copistes.

Tout marchait à la fois, la requête, la causerie et la conspiration.– Rendue en... Hein ? papa Boucard, quelle est la date de l’ordonnance ? il faut mettre les points sur les i, saquerlotte ! Cela fait des pages.– Saquerlotte ! repeta l’un des copistes avant que Boucard le Maître clerc n’eût repondu.– Comment, vous avez ecrit saquerlotte ? s’ecria Godeschal en regardant l’un des nouveaux venus d’un air à la fois sevère et goguenard.– Mais oui, dit le quatrième clerc en se penchant sur la copie de son voisin, il a ecrit : Il faut mettre les points sur les i, et sakerlotte avec un k.

Tous les clercs partirent d’un grand eclat de rire.– Comment, monsieur Hure, vous prenez saquerlotte pour un terme de Droit, et vous dites que vous êtes de Mortagne ! s’ecria Simonnin.– Effacez bien ça ! dit le principal clerc. Si le juge charge de taxer le dossier voyait des choses pareilles, il dirait qu’on se moque de la barbouillée ! Vous causeriez des desagrements au patron. Allons, ne faites plus de ces bêtises-là, monsieur Hure !

Un Normand ne doit pas ecrire insouciamment une requête. C’est le : – Portez arme ! de la Bazoche.– Rendue en... en, demanda Godeschal. Dites-moi donc, quand, Boucard ?– Juin 1814, repondit le premier clerc sans quitter son travail.

Un coup frappe à la porte de l’Etude interrompit la phrase de la prolixe requête. Cinq clercs bien endentes, aux yeux vifs et railleurs, aux têtes crepues, levèrent le nez vers la porte, après avoir tous crie d’une voix de chantre :– Entrez. Boucard resta la face ensevelie dans un monceau d’actes, nommes broutille en style de Palais, et continua de dresser le memoire de frais auquel il travaillait.

Lecture analytique n° 2 : l'étude maître Derville

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L'etude etait une grande pièce ornee du poêle classique qui garnit tous les antres de la chicane. Les tuyaux traversaient diagonalement la chambre et rejoignaient une cheminee condamnee sur le marbre de laquelle se voyaient divers morceaux de pain, des triangles de fromage de Brie, des côtelettes de porc frais, des verres, des bouteilles, et la tasse de chocolat du Maître clerc. L'odeur de ces comestibles s'amalgamait si bien avec la puanteur du poêle chauffe sans mesure, avec le parfum particulier aux bureaux et aux paperasses, que la puanteur d'un renard n'y aurait pas ete sensible. Le plancher etait dejà couvert de fange et de neige apportee par les clercs. Près de la fenêtre se trouvait le secretaire à cylindre du Principal, et auquel etait adossee la petite table destinee au second clerc. Le second faisait en ce moment le palais. Il pouvait être de huit à neuf heures du matin. L'etude avait pour tout ornement ces grandes affches jaunes qui annoncent des saisies immobilières, des ventes, des licitations entre majeurs et mineurs, des adjudications defnitives ou preparatoires, la gloire des etudes ! Derrière le Maître clerc etait un enorme casier qui garnissait le mur du haut en bas, et dont chaque compartiment etait bourre de liasses d'où pendaient un nombre infni d'etiquettes et de bouts de fl rouge qui donnent une physionomie speciale aux dossiers de procedure. Les rangs inferieurs du casier etaient pleins de cartons jaunis par l'usage, bordes de papier bleu, et sur lesquels se lisaient les noms des gros clients dont les affaires juteuses se cuisinaient en ce moment. Les sales vitres de la croisee laissaient passer peu de jour. D'ailleurs, au mois de fevrier, il existe à Paris très peu d'etudes où l'on puisse ecrire sans le secours d'une lampe avant dix heures, car elles sont toutes l'objet d'une negligence assez concevable : tout le monde y va, personne n'y reste, aucun interêt personnel ne s'attache à ce qui est si banal ; ni l'avoue, ni les plaideurs, ni les clercs ne tiennent à l'elegance d'un endroit qui pour les uns est une classe, pour les autres un passage, pour le maître un laboratoire. Le mobilier crasseux se transmet d'avoues en avoues avec un scrupule si religieux que certaines etudes possèdent encore des boîtes à résidus, des moules à tirets, des sacs provenant des procureurs au Chlet, abreviation du mot CHÂTELET, juridiction qui representait dans l'ancien ordre de choses le tribunal de première instance actuel. Cette etude obscure, grasse de poussière, avait donc, comme toutes les autres, quelque chose de repoussant pour les plaideurs, et qui en faisait une des plus hideuses monstruosites parisiennes. Certes, si les sacristies humides où les prières se pèsent et se payent comme des epices, si les magasins des revendeuses où fottent des gue- nilles qui fetrissent toutes les illusions de la vie en nous montrant où aboutissent nos fêtes, si ces deux cloaques de la poesie n'existaient pas, une etude d'avoue serait de toutes les boutiques sociales la plus horrible. Mais il en est ainsi de la maison de jeu, du tribunal, du bureau de loterie et du mauvais lieu. Pourquoi ? Peut-être dans ces endroits le drame, en se jouant dans l'âme de l'homme, lui rend-il les accessoires indifferents : ce qui expliquerait aussi la simplicite des grands penseurs et des grands ambitieux.

Lecture analytique n° 3 : le portrait du colonel Chabert

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Le colonel Chabert était aussi parfaitement immobile que peut l'être une figure en cire de ce cabinet de Curtius où Godeschal avait voulu mener ses camarades. Cette immobilité n'aurait peut-être pas été un sujet d'étonnement, si elle n'eut complété le spectacle surnaturel que présentait l'ensemble du personnage. Le vieux soldat était sec et maigre. Son front, volontairement caché sous les cheveux de sa perruque lisse, lui donnait quelque chose de mystérieux. Ses yeux paraissaient couverts d’une taie transparente : vous eussiez dit de la nacre sale dont les reflets bleuâtres chatoyaient à la lueur des bougies. Le visage, pâle, livide, et en lame de couteau, s’il est permis d’emprunter cette expression vulgaire, semblait mort. Le cou était serré par une mauvaise cravate de soie noire. L’ombre cachait si bien le corps à partir de la ligne brune que décrivait ce haillon, qu’un homme d’imagination aurait pu prendre cette vieille tête pour quelque silhouette due au hasard, ou pour un portrait de Rembrandt, sans cadre. Les bords du chapeau qui couvrait le front du vieillard projetaient un sillon noir sur le haut du visage. Cet effet bizarre, quoique naturel, faisait ressortir, par la brusquerie du contraste, les rides blanches, les sinuosités froides, le sentiment décoloré de cette physionomie cadavéreuse. Enfin l’absence de tout mouvement dans le corps, de toute chaleur dans le regard, s’accordait avec une certaine expression de démence triste, avec les dégradants symptômes par lesquels se caractérise l’idiotisme, pour faire de cette figure je ne sais quoi de funeste qu’aucune parole humaine ne pourrait exprimer. Mais un observateur, et surtout un avoué, aurait trouvé de plus en cet homme foudroyé les signes d’une douleur profonde, les indices d’une misère qui avait dégradé ce visage, comme les gouttes d’eau tombées du ciel sur un beau marbre l’ont à la longue défiguré. Un médecin, un auteur, un magistrat, eussent pressenti tout un drame à l’aspect de cette sublime horreur dont le moindre mérite était de ressembler à ces fantaisies que les peintres s’amusent à dessiner au bas de leurs pierres lithographiques en causant avec leurs amis.

En voyant l'avoué, l'inconnu tressaillit par un mouvement convulsif semblable à celui qui échappe aux poètes quand un bruit inattendu vient les détourner d'une féconde rêverie, au milieu du silence et de la nuit. Le vieillard se découvrit promptement et se leva pour saluer le jeune homme ; le cuir qui garnissait l'intérieur de son chapeau étant sans doute fort gras, sa perruque y resta collée sans qu'il s'en aperçût, et laissa voir à nu son crâne horriblement mutilé par une cicatrice transversale qui prenait à l'occiput et venait mourir à l'oeil droit, en formant partout une grosse couture saillante. L'enlèvement soudain de cette perruque sale, que le pauvre homme portait pour cacher sa blessure, ne donna nulle envie de rire aux deux gens de loi, tant ce crâne fendu était épouvantable à voir. La première pensée que suggérait l'aspect de cette blessure était celle-ci : " Par là s'est enfuie l'intelligence ! "

Lecture analytique n° 4 : le séjour à Groslay

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Le malheur est une espèce de talisman1 dont la vertu consiste à corroborer2 notre constitution primitive : il augmente la défiance et la méchanceté chez certains hommes, comme il accroît la bonté de ceux qui ont un cœur excellent. L’infortune avait rendu le colonel encore plus secourable et meilleur qu’il ne l’avait été, il pouvait donc s’initier au secret des souffrances féminines qui sont inconnues à la plupart des hommes. Néanmoins, malgré son peu de défiance, il ne put s’empêcher de dire à sa femme : « Vous étiez donc bien sûre de m’emmener ici ?

- Oui, répondit-elle, si je trouvais le colonel Chabert dans le plaideur3 ». L’air de vérité qu’elle sut mettre dans cette réponse dissipa les légers

soupçons que le colonel eut honte d’avoir conçus. Pendant trois jours la comtesse fut admirable près de son premier mari. Par de tendres soins et par sa constante douceur elle semblait vouloir effacer le souvenir des souffrances qu’il avait endurées, se faire pardonner les malheurs que, suivant ses aveux, elle avait innocemment causés ; elle se plaisait à déployer pour lui, tout en lui faisant apercevoir une sorte de mélancolie, les charmes auxquels elle le savait faible ; car nous sommes plus particulièrement accessibles à certaines façons, à des grâces de cœur ou d’esprit auxquelles nous ne résistons pas ; elle voulait l’intéresser à sa situation, et l’attendrir assez pour s’emparer de son esprit et disposer souverainement de lui. Décidée à tout pour arriver à ses fins, elle ne savait pas encore ce qu’elle devait faire de cet homme, mais certes elle voulait l’anéantir socialement. Le soir du troisième jour elle sentit que, malgré ses efforts, elle ne pouvait cacher les inquiétudes que lui causait le résultat de ses manœuvres. Pour se trouver un moment à l’aise, elle monta chez elle, s’assit à son secrétaire4, déposa le masque de tranquillité qu’elle conservait devant le comte Chabert, comme une actrice qui, rentrant fatiguée dans sa loge après un cinquième acte pénible, tombe demi-morte et laisse dans la salle une image d’elle-même à laquelle elle ne ressemble plus. Elle se mit à finir une lettre commencée qu’elle écrivait à Delbecq, à qui elle disait d’aller, en son nom, demander chez Derville communication des actes qui concernaient le colonel Chabert, de les copier et de venir aussitôt la trouver à Groslay. A peine avait-elle achevé, qu’elle entendit dans le corridor5 le bruit des pas du colonel, qui, tout inquiet, venait la retrouver. « Hélas ! dit-elle à haute voix, je voudrais être morte ! Ma situation est intolérable... - Eh ! bien, qu’avez-vous donc ? demanda le bonhomme. - Rien, rien », dit-elle.

Elle se leva, laissa le colonel et descendit pour parler sans témoin à sa femme de chambre, qu’elle fit partir pour Paris, en lui recommandant de remettre elle-même à Delbecq la lettre qu’elle venait d’écrire, et de la lui rapporter aussitôt qu’il l’aurait lue. Puis la comtesse alla s’asseoir sur un banc où elle était assez en vue pour que le colonel vînt l’y trouver aussitôt qu’il le voudrait. Le colonel, qui déjà cherchait sa femme, accourut et s’assit près d’elle. « Rosine, lui dit-il, qu’avez-vous ? »

1 Un talisman est un objet magique.2 Corroborer : appuyer, confirmer quelque chose.3 Plaideur : celui qui plaide, qui est en procès.4 Secrétaire : bureau sur lequel on écrit.5 Corridor : couloir.

Groupement de textes : héros ordinaires

Texte A : Gustave FLAUBERT, Madame Bovary, Deuxième partie, chapitre 12, 1857.

[Emma Bovary mène une existence qu’elle juge médiocre au côté de son mari, Charles Bovary. Elle a un amant, Rodolphe, et rêve de s’enfuir avec lui.]

Emma ne dormait pas, elle faisait semblant d’être endormie ; et, tandis qu’il1 s’assoupissait à ses côtes, elle se reveillait en d’autres rêves.

Au galop de quatre chevaux, elle etait emportee depuis huit jours vers un pays nouveau, d’où ils2 ne reviendraient plus. Ils allaient, ils allaient, les bras enlaces, sans parler. Souvent, du haut d’une montagne, ils apercevaient tout à coup quelque cite splendide avec des dômes, des ponts, des navires, des forêts de citronniers et des cathedrales de marbre blanc, dont les clochers aigus portaient des nids de cigogne. On marchait au pas, à cause des grandes dalles, et il y avait par terre des bouquets de feurs que vous offraient des femmes habillees en corset rouge. On entendait sonner des cloches, hennir des mulets, avec le murmure des guitares et le bruit des fontaines, dont la vapeur s’envolant rafraîchissait des tas de fruits, disposes en pyramide au pied des statues pâles, qui souriaient sous les jets d’eau. Et puis ils arrivaient, un soir, dans un village de pêcheurs, où des flets bruns sechaient au vent, le long de la falaise et des cabanes. C’est là qu’ils s’arrêteraient pour vivre ; ils habiteraient une maison basse, à toit plat, ombragee d’un palmier, au fond d’un golfe, au bord de la mer. Ils se promèneraient en gondole, ils se balanceraient en hamac ; et leur existence serait facile et large comme leurs vêtements de soie, toute chaude et etoilee comme les nuits douces qu’ils contempleraient. Cependant, sur l’immensite de cet avenir qu’elle se faisait apparaître, rien de particulier ne surgissait ; les jours, tous magnifques, se ressemblaient comme des fots ; et cela se balançait à l’horizon, infni, harmonieux, bleuâtre et couvert de soleil. Mais l’enfant3 se mettait à tousser dans son berceau, ou bien Bovary ronfait plus fort, et Emma ne s’endormait que le matin, quand l’aube blanchissait les carreaux et que dejà le petit Justin4, sur la place, ouvrait les auvents5 de la pharmacie.

1. « il » : Bovary, le mari d’Emma. 2. « ils » : Emma et son amant Rodolphe. 3. « l’enfant » : Berthe, sa petite flle.4. « Justin » : un jeune garçon, employe de la pharmacie de Monsieur Homais. 5. « auvents » : volets.

Texte B : Emile ZOLA, Germinal, Septième partie, chapitre 6, 1885.

[Etienne Lantier, embauché dans une mine du Nord, découvre le monde de souffrances des mineurs de charbon. Il tente d’organiser une grève puissante, qui se termine tragiquement dans la violence et la mort. A la fn du roman, le jeune homme retourne à Paris pour prendre des responsabilités syndicales.]

Dehors, Etienne suivit un moment la route, absorbe. Toutes sortes d’idees bourdonnaient en lui. Mais il eut une sensation de plein air, de ciel libre, et il respira largement. Le soleil paraissait à l’horizon glorieux, c’etait un reveil d’allegresse, dans la campagne entière. Un fot d’or roulait de l’orient à l’occident, sur la plaine immense. Cette chaleur de vie gagnait, s’etendait, en un frisson de jeunesse, où vibraient les soupirs de la terre, le chant des oiseaux, tous les murmures des eaux et des bois. Il faisait bon vivre, le vieux monde voulait vivre un printemps encore.

Et, penetre de cet espoir, Etienne ralentit sa marche, les yeux perdus à droite et à gauche, dans cette gaiete de la nouvelle saison. Il songeait à lui, il se sentait fort, mûri par sa dure experience au fond de la mine. Son education etait fnie, il s’en allait arme, en soldat raisonneur de la revolution, ayant declare la guerre à la societe, telle qu’il la voyait et telle qu’il la condamnait. La joie de rejoindre Pluchart1, d’être comme Pluchart un chef ecoute, lui souffait des discours, dont il arrangeait les phrases. Il meditait d’elargir son programme, l’affnement bourgeois qui l’avait hausse au-dessus de sa classe le jetait à une haine plus grande de la bourgeoisie. Ces ouvriers dont l’odeur de misère le gênait maintenant, il eprouvait le besoin de les mettre dans une gloire, il les montrerait

comme les seuls grands, les seuls impeccables, comme l’unique noblesse et l’unique force où l’humanite pût se retremper2. Dejà, il se voyait à la tribune, triomphant avec le peuple, si le peuple ne le devorait pas.

[…] S’il fallait qu’une classe3 fût mangee, n’etait-ce pas le peuple, vivace, neuf encore, qui mangerait la bourgeoisie epuisee de jouissance ? Du sang nouveau ferait la societe nouvelle. Et, dans cette attente d’un envahissement des barbares, regenerant les vieilles nations caduques4, reparaissait sa foi absolue à une revolution prochaine, la vraie, celle des travailleurs, dont l’incendie embraserait la fn du siècle de cette pourpre de soleil levant, qu’il regardait saigner au ciel.

1. « Pluchart » : responsable syndical. 2. « retremper » : reprendre de la force, de la vigueur. 3. « classe » : on designe par « classe » une categorie sociale qui partage les mêmes conditions de vie et de travail. 4. « caduques » : anciennes.

Texte C : Marguerite DURAS, Un Barrage contre le Pacifque, Première partie, chapitre 2, 1950.

[Le roman se situe vers 1930, dans l’Indochine française, à l’époque de la colonisation. La mère, venue de France, vit pauvrement avec ses deux enfants, sur des terrains incultivables, périodiquement envahis par la mer. Elle a déjà construit des barrages qui ont été détruits par les grandes marées, mais elle ne renonce pas à ce projet.]

- Si vous le voulez, nous pouvons gagner des centaines d’hectares de rizières et cela sans aucune aide des chiens du cadastre1. Nous allons faire des barrages. Deux sortes de barrages : les uns parallèles à la mer, les autres, etc.

Les paysans s’etaient un peu etonnes. D’abord parce que depuis des millenaires que la mer envahissait la plaine ils s’y etaient à ce point habitues qu’ils n’auraient jamais imagine qu’on pût l’empêcher de le faire. Ensuite parce que leur misère leur avait donne l’habitude d’une passivite qui etait leur seule defense devant leurs enfants morts de faim ou leurs recoltes brûlees par le sel. Ils etaient revenus pourtant trois jours de suite et toujours en plus grand nombre. La mère leur avait explique comment elle envisageait de construire ces barrages. Ce qu’il fallait d’après elle c’etait les etayer2 avec des troncs de paletuviers3. Elle savait où s’en procurer. Il y en avait des stocks aux abords de Kam qui, une fois la piste terminee, etaient restes sans emploi. Des entrepreneurs lui avaient offert de les lui ceder au rabais. Elle seule d’ailleurs prendrait ces frais-là à sa charge.

II s’en etait trouve une centaine qui avaient accepte dès le debut. Mais ensuite, quand les premiers avaient commence à descendre dans les barques qui partaient du pont vers les emplacements designes pour la construction, d’autres s’etaient joints à eux en grand nombre. Au bout d’une semaine tous à peu près s’etaient mis à la construction des barrages. Un rien avait suff à les faire sortir de leur passivite. Une vieille femme sans moyens qui leur disait qu’elle avait decide de lutter les determinait à lutter comme s’ils n’avaient attendu que cela depuis le commencement des temps.

Et pourtant la mère n’avait consulte aucun technicien pour savoir si la construction des barrages serait effcace. Elle le croyait. Elle en etait sûre. Elle agissait toujours ainsi, obeissant à des evidences et à une logique dont elle ne laissait rien partager à personne. Le fait que les paysans aient cru ce qu’elle leur disait l’affermit encore dans la certitude qu’elle avait trouve exactement ce qu’il fallait faire pour changer la vie de la plaine. Des centaines d’hectares de rizières seraient soustraits aux marees. Tous seraient riches, ou presque. Les enfants ne mourraient plus. On aurait des medecins. On construirait une longue route qui longerait les barrages et desservirait les terres liberees.

1. « chiens du cadastre » : la mère designe par cette expression les employes de l’administration coloniale qui vendent des terres incultivables et qui contribuent ainsi à l’appauvrissement des petits colons et à la misère de la population indochinoise. 2. « etayer » : consolider. 3. « paletuviers » : arbres des regions tropicales.

Texte D : Georges PEREC, Les Choses, Première partie, chapitre 2, 1962.

[Les personnages principaux du roman vivent dans l’unique préoccupation de réussir matériellement.]

Ils auraient aime être riches. Ils croyaient qu’ils auraient su l’être. Ils auraient su s’habiller, regarder, sourire comme des gens riches. Ils auraient eu le tact, la discretion necessaires. Ils auraient oublie leur richesse, auraient su ne pas l’etaler. Ils ne s’en seraient pas glorifes. Ils l’auraient respiree. Leurs plaisirs auraient ete intenses. Ils auraient aime marcher, fâner, choisir, apprecier. Ils auraient aime vivre. Leur vie aurait ete un art de vivre.

Ces choses-là ne sont pas faciles, au contraire. Pour ce jeune couple, qui n’etait pas riche, mais qui desirait l’être, simplement parce qu’il n’etait pas pauvre, il n ‘existait pas de situation plus inconfortable. Ils n’avaient que ce qu’ils meritaient d’avoir. Ils etaient renvoyes, alors que dejà ils rêvaient d’espace, de lumière, de silence, à la realite, même pas sinistre, mais simplement retrecie - et c’etait peut-être pire – de leur logement exigu, de leurs repas quotidiens, de leurs vacances chetives. C’etait ce qui correspondait à leur situation economique, à leur position sociale. C’etait leur realite, et ils n’en avaient pas d’autre. Mais il existait, à côte d’eux, tout autour d’eux, tout au long des rues où ils ne pouvaient pas ne pas marcher, les offres fallacieuses1, et si chaleureuses pourtant, des antiquaires, des epiciers, des papetiers. Du Palais-Royal à Saint-Germain, du Champ-de-Mars à l’Etoile, du Luxembourg à Montparnasse, de l’île Saint-Louis au Marais, des Ternes à L’Opera, de la Madeleine au parc Monceau2, Paris entier etait une perpetuelle tentation. Ils brûlaient d’y succomber, avec ivresse, tout de suite et à jamais. Mais l’horizon de leurs desirs etait impitoyablement bouche ; leurs grandes rêveries impossibles n’appartenaient qu’à l’utopie..

1. « fallacieuses » : trompeuses. 2. differents quartiers de Paris.

I - Vous répondrez aux questions suivantes : (6 points) :

1. Quelles reactions ces personnages manifestent-ils face au monde qui les entoure ? (2 points)2. De quelle manière les espoirs des personnages sont-ils exprimes ? (4 points)

II. Vous traiterez ensuite, au choix, l'un des sujets suivants (14 points) :

• CommentaireVous ferez le commentaire du texte de Marguerite Duras (texte C) en vous appuyant sur le parcours de lecture suivant :- Comment le texte presente-t-il les paysans et leur environnement ?- Quelle image l’auteur donne-t-il de son heroïne et du rôle qu’elle joue dans la situation ?

• DissertationSelon vous, un personnage de roman doit-il emouvoir, faire rêver ou faire refechir ?Vous repondrez à la question en vous appuyant sur les textes du corpus, les romans que vous avez etudies ainsi que sur vos lectures personnelles.

• Invention Dans une emission litteraire, deux lecteurs s’affrontent sur la question du personnage du roman :L’un pretend qu’il doit necessairement être un heros au destin exceptionnel. L’autre affrme, au contraire, qu’un personnage de roman peut être banal et ordinaire.Redigez le dialogue entre ces deux lecteurs. Vous veillerez à argumenter vos propos, à vous appuyer sur des exemples precis et à employer un niveau de langue correct.

Groupement de textes : les caractéristiques du réalisme en littérature

Texte 1 : J. et E. de Goncourt, Préface de Germinie Lacerteux, 1865.Il nous faut demander pardon au public de lui donner ce livre et l'avertir de ce qu'il y

trouvera. Le public aime les romans faux, ce roman est un roman vrai.Il aime les livres qui font semblant d'aller dans le monde; ce livre vient de la rue.Il aime les petites oeuvres polissonnes, les memoires de flles, les confessions d'alcôves, les

saletes erotiques, le scandale qui se retrousse dans une image aux devantures des librairies; ce qu'il va lire est sevère et pur. Qu'il ne s'attente point à la photographie decolletee du plaisir, l'etude qui suit est la clinique de l'amour.

Le public aime encore les lectures anodines et consolantes, les aventures qui fnissent bien, les imaginations qui ne derangent ni sa digestion, ni sa serenite. Ce livre avec sa triste et violente distraction est fait pour contrarier ses habitudes et nuire à son hygiène.

Pourquoi donc l'avons-nous ecrit ? Est-ce simplement pour choquer le public et scandaliser ses goûts ?

Non.Vivant au dix-neuvième siècle, dans un temps de suffrage universel, de democratie, de

liberalisme, nous nous sommes demande si ce qu'on appelle les "basses classes" n'avait pas droit au roman; si ce monde sous un monde, le peuple, devait rester sous le coup de l'interdit litteraire et des dedains d'auteurs qui ont fait jusqu'ici le silence sur l'âme et le coeur qu'il peut avoir, nous nous sommes demande s'il y avait encore pour l'ecrivain et pour le lecteur, en ces annees d'egalite où nous sommes, des classes indignes, des malheurs trop bas, des drames trop peu nobles. Il nous est venu la curiosite de savoir si cette forme conventionnelle d'une litterature oubliee et d'une societe disparue, la tragedie, etait defnitivement morte; si, dans un pays sans caste et sans aristocratie legale, les misères des petits et des pauvres parleraient à l'interêt, à l'emotion, à la pitie, aussi haut que les misères des grands et des riches; si en un mot les larmes qu'on pleure en bas pourraient faire pleurer comme celles qu'on pleure en haut. Ces pensees nous avaient fait oser l'humble roman de Soeur Philomène Lacerteux.

Maintenant, que ce livre soit calomnie, peu lui importe. Aujourd'hui que le Roman s'elargit et grandit, qu'il commence à être la grande forme serieuse, passionnee, vivante de l'etude litteraire et de l'enquête sociale, qu'il devient par l'analyse et par la recherche psychologique, l'Histoire morale contemporaine, aujourd'hui que le Roman s'est impose les etudes et les devoirs de la Science, il peut en revendiquer les libertes et les franchises. Et qu'il cherche l'Art et la Verite, qu'il montre des misères bonnes à ne pas laisser oublier aux heureux de Paris, qu'il fasse voir aux gens du monde ce que les dames de charite ont le courage de voir, ce que les reines d'autrefois faisaient toucher de l'oeil à leurs enfants dans les hospices : la souffrance humaine presente et toute vive, qui apprend la charite ; que le roman ait cette religion que le siècle passe appelait de ce large et vaste nom : Humanite; - il lui sufft de cette conscience : son droit est là !

Texte 2 : Guy de Maupassant, extrait de la préface de Pierre et Jean, 1888.Faire vrai consiste donc à donner l'illusion complète du vrai, suivant la logique ordinaire des

faits, et non à les transcrire servilement dans le pêle-mêle de leur succession.J'en conclus que les Realistes de talent devraient s'appeler plutôt des Illusionnistes.Quel enfantillage, d'ailleurs, de croire à la realite puisque nous portons chacun la nôtre dans

notre pensee et dans nos organes. Nos yeux, nos oreilles, notre odorat, notre goût differents creent autant de verites qu'il y a d'hommes sur la terre. Et nos esprits qui reçoivent les instructions de ces organes, diversement impressionnes, comprennent, analysent et jugent comme si chacun de nous appartenait à une autre race.

Chacun de nous se fait donc simplement une illusion du monde, illusion poetique, sentimentale, joyeuse, melancolique, sale ou lugubre suivant sa nature. Et l'ecrivain n'a d'autre mission que de reproduire fdèlement cette illusion avec tous les procedes d'art qu'il a appris et dont il peut disposer.

Illusion du beau qui est une convention humaine ! Illusion du laid qui est une opinion changeante ! Illusion du vrai jamais immuable ! Illusion de l'ignoble qui attire tant d'êtres ! Les grands artistes sont ceux qui imposent à l'humanite leur illusion particulière.

Texte 3 : Emile Zola, extrait de la préface de L’Assommoir, 1877.J'ai voulu peindre la decheance fatale d'une famille ouvrière, dans le milieu empeste de nos

faubourgs. Au bout de l'ivrognerie et de la faineantise, il y a le relâchement des liens de la famille, les ordures de la promiscuite, l'oubli progressif des sentiments honnêtes, puis comme denouement, la honte et la mort. [...] C'est une œuvre de verite, le premier roman sur le peuple, qui ne mente pas et qui ait l'odeur du peuple. Et il ne faut point conclure que le peuple tout entier est mauvais, car mes personnages ne sont pas mauvais, ils ne sont qu'ignorants et gâtes par le milieu de rude besogne et de misère où ils vivent.

Le projet littéraire de Balzac : extraits de l’Avant-propos de la Comédie Humaine

L’idée première de la Comédie humaine fut d’abord chez moi comme un rêve, comme un de ces projets impossibles que l’on caresse et qu’on laisse s’envoler. (…) Cette idée vint d’une comparaison entre l’Humanité et l’Animalité. Les différences entre un soldat, un ouvrier, un administrateur, un avocat, un oisif, un savant, un homme d’état, un commerçant, un marin, un poète, un pauvre, un prêtre, sont, quoique plus difficiles à saisir, aussi considérables que celles qui distinguent le loup, le lion, l’âne, le corbeau, le requin, le veau marin, la brebis, etc. Il a donc existé, il existera donc de tout temps des Espèces Sociales comme il y a des Espèces Zoologiques. Si Buffon a fait un magnifique ouvrage en essayant de représenter dans un livre l’ensemble de la zoologie, n’y avait-il pas une œuvre de ce genre à faire pour la société ? Mais la Nature a posé, pour les variétés animales, des bornes entre lesquelles la Société ne devait pas se tenir. Quand Buffon peignait le lion, il achevait la lionne en quelques phrases ; tandis que dans la Société la femme ne se trouve pas toujours être la femelle du mâle. Il peut y avoir deux êtres parfaitement dissemblables dans un ménage. La femme d’un marchand est quelquefois digne d’être celle d’un prince, et souvent celle d’un prince ne vaut pas celle d’un artiste. Enfin, (…) l’animal a peu de mobilier, il n’a ni arts ni sciences ; tandis que l’homme, par une loi qui est à rechercher, tend à représenter ses mœurs, sa pensée et sa vie dans tout ce qu’il approprie à ses besoins. (…) Les habitudes de chaque animal sont, à nos yeux du moins, constamment semblables en tout temps ; tandis que les habitudes, les vêtements, les paroles, les demeures d’un prince, d’un banquier, d’un artiste, d’un bourgeois, d’un prêtre et d’un pauvre sont entièrement dissemblables et changent au gré des civilisations.

Ainsi l’œuvre à faire devait avoir une triple forme : les hommes, les femmes et les choses, c’est-à-dire les personnes et la représentation matérielle qu’ils donnent de leur pensée ; enfin l’homme et la vie.

(…) Mais comment rendre intéressant le drame à trois ou quatre mille personnages que présente une Société ? comment plaire à la fois au poète, au philosophe et aux masses qui veulent la poésie et la philosophie sous de saisissantes images ? Si je concevais l’importance et la poésie de cette histoire du cœur humain, je ne voyais aucun moyen d’exécution ; car, jusqu’à notre époque, les plus célèbres conteurs avaient dépensé leur talent à créer un ou deux personnages typiques, à peindre une face de la vie. Ce fut avec cette pensée que je lus les œuvres de Walter Scott. Walter Scott, ce trouveur (trouvère) moderne, imprimait alors une allure gigantesque à un genre de composition injustement appelé secondaire. N’est-il pas véritablement plus difficile de faire concurrence à l’État-Civil avec Daphnis et Chloë, Roland, Amadis, Panurge, Don Quichotte, Manon Lescaut, Clarisse, Lovelace, Robinson Crusoë, Gilblas, Ossian, Julie d’Etanges, mon oncle Tobie, Werther, René, Corinne, Adolphe, Paul et Virginie, Jeanie Dean, Claverhouse, Ivanhoë, Manfred, Mignon, que de mettre en ordre les faits à peu près les mêmes chez toutes les nations, de rechercher l’esprit de lois tombées en désuétude, de rédiger des théories qui égarent les peuples, ou, comme certains métaphysiciens, d’expliquer ce qui est ? D’abord, presque toujours ces personnages, dont l’existence devient plus longue, plus authentique que celle des générations au milieu desquelles on les fait naître, ne vivent qu’à la condition d’être une grande image du présent. Conçus dans les entrailles de leur siècle, tout le cœur humain se remue sous leur enveloppe, il s’y cache souvent toute une philosophie. Walter Scott élevait donc à la valeur philosophique de l’histoire le roman, cette littérature qui, de siècle en siècle, incruste d’immortels diamants la couronne poétique des pays où se cultivent les lettres. Il y mettait l’esprit des anciens temps, il y réunissait à la fois le drame, le dialogue, le portrait, le paysage, la description ; il y faisait entrer le merveilleux et le vrai, ces éléments de l’épopée, il y faisait coudoyer la poésie par la familiarité des plus humbles langages. Mais, ayant moins imaginé un système que trouvé sa manière dans le feu du travail ou par la logique de ce travail, il n’avait pas songé à relier ses compositions l’une à l’autre de manière à coordonner une histoire complète, dont chaque chapitre eût été un roman, et chaque roman une époque. En apercevant ce défaut de liaison, qui d’ailleurs ne rend pas l’Écossais moins grand, je vis à la fois le système favorable à l’exécution de mon ouvrage et la possibilité de l’exécuter. Quoique, pour ainsi dire, ébloui par la fécondité surprenante de Walter Scott, toujours semblable à lui-même et toujours original, je ne fus pas désespéré, car je trouvai la raison de ce talent dans l’infinie variété de la nature humaine. Le hasard est le plus grand romancier du monde : pour être fécond, il n’y a

qu’à l’étudier. La Société française allait être l’historien, je ne devais être que le secrétaire. En dressant l’inventaire des vices et des vertus, en rassemblant les principaux faits des passions, en peignant les caractères, en choisissant les événements principaux de la Société, en composant des types par la réunion des traits de plusieurs caractères homogènes, peut-être pouvais-je arriver à écrire l’histoire oubliée par tant d’historiens, celle des mœurs.

(…) L’homme n’est ni bon ni méchant, il naît avec des instincts et des aptitudes ; la Société, loin de le dépraver, comme l’a prétendu Rousseau, le perfectionne, le rend meilleur ; mais l’intérêt développe aussi ses penchants mauvais.

(…) Certaines personnes pourront trouver quelque chose de superbe et d’avantageux dans cette déclaration. On cherchera querelle au romancier de ce qu’il veut être historien, on lui demandera raison de sa politique.

Les écrivains qui ont un but, fût-ce un retour aux principes qui se trouvent dans le passé par cela même qu’ils sont éternels, doivent toujours déblayer le terrain. Or, quiconque apporte sa pierre dans le domaine des idées, quiconque signale un abus, quiconque marque d’un signe le mauvais pour être retranché, celui-là passe toujours pour être immoral. Le reproche d’immoralité, qui n’a jamais failli à l’écrivain courageux, est d’ailleurs le dernier qui reste à faire quand on n’a plus rien à dire à un poète. Si vous êtes vrai dans vos peintures ; si à force de travaux diurnes et nocturnes, vous parvenez à écrire la langue la plus difficile du monde, on vous jette alors le mot immoral à la face. Socrate fut immoral, Jésus-Christ fut immoral ; tous deux ils furent poursuivis au nom des Sociétés qu’ils renversaient ou réformaient. Quand on veut tuer quelqu’un, on le taxe d’immoralité. (...)

En copiant toute la Société, la saisissant dans l’immensité de ses agitations, il arrive, il devait arriver que telle composition offrait plus de mal que de bien, que telle partie de la fresque représentait un groupe coupable, et la critique de crier à l’immoralité, sans faire observer la moralité de telle autre partie destinée à former un contraste parfait. Comme la critique ignorait le plan général, je lui pardonnais d’autant mieux qu’on ne peut pas plus empêcher la critique qu’on ne peut empêcher la vue, le langage et le jugement de s’exercer. Puis le temps de l’impartialité n’est pas encore venu pour moi. D’ailleurs, l’auteur qui ne sait pas se résoudre à essuyer le feu de la critique ne doit pas plus se mettre à écrire qu’un voyageur ne doit se mettre en route en comptant sur un ciel toujours serein. Sur ce point, il me reste à faire observer que les moralistes les plus consciencieux doutent fort que la Société puisse offrir autant de bonnes que de mauvaises actions, et dans le tableau que j’en fais, il se trouve plus de personnages vertueux que de personnages répréhensibles. Les actions blâmables, les fautes, les crimes, depuis les plus légers jusqu’aux plus graves, y trouvent toujours leur punition humaine ou divine, éclatante ou secrète. J’ai mieux fait que l’historien, je suis plus libre. (…)

En saisissant bien le sens de cette composition, on reconnaîtra que j’accorde aux faits constants, quotidiens, secrets ou patents, aux actes de la vie individuelle, à leurs causes et à leurs principes autant d’importance que jusqu’alors les historiens en ont attaché aux événements de la vie publique des nations.

Ce n’était pas une petite tâche que de peindre les deux ou trois mille figures saillantes d’une époque, car telle est, en définitif, la somme des types que présente chaque génération et que LA COMEDIE HUMAINE comportera. (...)

L’immensité d’un plan qui embrasse à la fois l’histoire et la critique de la Société, l’analyse de ses maux et la discussion de ses principes, m’autorise, je crois, à donner à mon ouvrage le titre sous lequel il parait aujourd’hui : La Comédie humaine. Est-ce ambitieux ? N’est-ce que juste ? C’est ce que, l’ouvrage terminé, le public décidera.

Paris, juillet 1842.

Lecture cursive : BALZAC, Le Colonel Chabert, les adieux de Derville – Quelle destinée ! s'écria Derville. Sorti de l'hospice des Enfants trouvés, il revient mourir à l'hospice de la Vieillesse, après avoir, dans l'intervalle, aidé Napoléon à conquérir l'Égypte et l'Europe. Savez-vous, mon cher, reprit Derville après une pause, qu'il existe dans notre société trois hommes, le Prêtre, le Médecin et l'Homme de justice, qui ne peuvent pas estimer le monde ? Ils ont des robes noires, peut-être parce qu'ils portent le deuil de toutes les vertus, de toutes les illusions. Le plus malheureux des trois est l'avoué. Quand l'homme vient trouver le prêtre, il arrive poussé par le repentir, par le remords, par des croyances qui le rendent intéressant, qui le grandissent, et consolent l'âme du médiateur, dont la tâche ne va pas sans une sorte de jouissance : il purifie, il répare, et réconcilie. Mais, nous autres avoués, nous voyons se répéter les mêmes sentiments mauvais, rien ne les corrige, nos études sont des égouts qu'on ne peut pas curer. Combien de choses n'ai-je pas apprises en exerçant ma charge ! J'ai vu mourir un père dans un grenier, sans sou ni maille, aban-donné par deux filles auxquelles il avait donné quarante mille livres de rente ! J'ai vu brûler des testaments ; j'ai vu des mères dépouillant leurs enfants, des maris volant leurs femmes, des femmes tuant leurs maris en se servant de l'amour qu'elles leur inspiraient pour les rendre fous ou imbéciles, afin de vivre en paix avec un amant. J'ai vu des femmes donnant à l'enfant d'un premier lit des goûts qui devaient amener sa mort, afin d'enrichir l'enfant de l'amour. Je ne puis vous dire tout ce que j'ai vu, car j'ai vu des crimes contre lesquels la justice est impuissante. Enfin, toutes les horreurs que les romanciers croient inventer sont toujours au-dessous de la vérité. Vous allez connaître ces jolies choses-là, vous ; moi, je vais vivre à la campagne avec ma femme, Paris me fait horreur. – J'en ai déjà bien vu chez Desroches », répondit Godeschal.

Paris, février-mars 1832.

Deux représentations de la bataille d'Eylau

Charles Meynier (1768-1832), Napoléon sur le champ de bataille d’Eylau (1807), Versailles, Musee National du château, huile sur toile (H. 0,93 m x L. 1,47 m)

Antoine-Jean Gros (1771-1835), Napoléon visitant le champ de bataille au lendemain de la bataille d’Eylau le 9 février 1807 (1808), huile sur toile (H. 5,21 m x L. 7,84 m), Paris, Musee du Louvre

Lecture analytique n° 5 : l'exposition

Scène premièreFirmin, Marceline

Au lever du rideau, Marceline est debout, à la cheminée sur laquelle elle s’appuie de son bras droit, en tambourinant du bout des doigts comme une personne qui s’agace d’attendre ; pendant ce temps, dans le fond, Firmin, qui a achevé de mettre le couvert, regarde l’heure à sa montre et a un geste qui signifie : "Il serait pourtant bien temps de se mettre à table."Marceline, allant s’asseoir sur le canapé.— Non, écoutez, Firmin, si vous ne servez pas, moi je tombe !Firmin, descendant à elle.— Mais, Mademoiselle, je ne peux pas servir tant que madame n’est pas sortie de sa chambre.Marceline, maussade.— Oh ! bien, elle est ennuyeuse, ma soeur ! vraiment, moi qui quittée… si ça t’a fait beaucoup de chagrin, au moins, depuis ce temps-là, tu te lèves de bonne heure, et on peut déjeuner à midi !" C’était bien la peine de la complimenter.Firmin.— Qui sait ? madame a peut-être trouvé un successeur à M. de Bois-d’Enghien !Marceline, avec conviction.— Ma soeur !… Oh ! non ! elle n’est pas capable de faire ça !… Elle a la nature de mon père ! c’est une femme de principes ! si elle avait dû le faire, (changeant de ton.) je le saurais au moins depuis deux jours.Firmin, persuadé par cet argument.— Ah ! alors !…Marceline, se levant.— Et puis, quand cela serait ! ce ne serait pas encore une raison pour ne pas être debout à midi et quart !… Je comprends très bien que l’amour vous fasse oublier l’heure !… (Minaudant.) Je ne sais pas… je ne connais pas la chose !Firmin.— Ah ?Marceline.— Non.Firmin.— Ah ! ça vaut la peine !Marceline, avec un soupir.— Qu’est-ce que vous voulez, je n’ai jamais été mariée, moi ! Vous comprenez, la soeur d’une chanteuse de café-concert !… est-ce qu’on épouse la soeur d’une chanteuse de café-concert ?… N’importe, il me semble que, si toquée soit-on d’un homme, on peut bien, à midi !… ! Enfin, regardez les coqs… est-ce qu’ils ne sont pas debout à quatre heures du matin ?… Eh ! bien alors ! (Elle se rassied sur le canapé.)Firmin.— C’est très juste !

Lucette entre précipitamment de gauche. Firmin remonte au fond.

Scène IILes Mêmes, Lucette, sortant de sa chambre

Lucette.— Ah ! Marceline !...Marceline, assise, ouvrant de grands bras.— Eh ! arrive donc, toi !Lucette.— De l’antipyrine ! vite un cachet !Marceline, se levant.— Un cachet, pourquoi ? Tu es malade ?Lucette, radieuse.— Moi ! oh ! non, moi je suis bien heureuse ! Non ! pour lui ! il a la migraine ! (Elle s’assied à droite de la table.)Marceline.— Qui, lui ?Lucette, même jeu.— Fernand ! il est revenu !Marceline.— M. de Bois-d’Enghien ! non ?Lucette.— Si !Marceline, à Firmin, tout en remontant au chiffonnier dont elle ouvre un tiroir.— Ah ! Firmin, M. de Bois-d’Enghien qui est revenu !Firmin, une assiette qu’il essuie, à la main, descendant à Lucette.— M. de Bois- d’Enghien, pas possible ! ah ! bien, j’espère, Madame doit être contente ?Lucette, se levant.— Si je suis contente ! oh ! vous le pensez ! (Firmin remonte.) (À Marceline qui redescend avec une petite boîte à la main) Tu juges de mon émotion quand je l’ai vu revenir hier au soir ! (Prenant l’antipyrine que lui remet Marceline.) Merci ! (Changeant de ton.) Figure-toi, le pauvre garçon, pendant que je l’accusais, il avait une

syncope qui lui a duré quinze jours ! (Elle descend à gauche.)Marceline.— Non ?... oh ! c’est affreux ! (Elle remonte un peu à droite.) Lucette, remontant entre la table et la console.— Oh ! ne m’en parle pas ! s’il n’en était pas revenu, le pauvre chéri... il est si beau ! (À Firmin qui est occupé dans la salle à manger.) Vous avez remarqué, n’est-ce pas, Firmin ?Firmin, qui n’est pas du tout à la conversation, redescend un peu.— Quoi donc, Madame ?Lucette.— Comme il est beau, M. de Bois-d’Enghien ! Firmin, sans conviction.— Ah ! oui. Lucette, avec expansion.— Ah ! je l’adore ! Voix de Bois-d’Enghien.— Lucette !Lucette.— Tiens, c’est lui !... c’est lui qui m’appelle. (À Marceline.) Tu reconnais sa voix ? (Elle remonte.)Marceline.— Si je la reconnais !Lucette, sur le pas de la porte de gauche.— Voilà, mon chéri !Marceline, remontant dans la direction de la chambre.— On peut le voir ?Lucette.— Oui... oui... (Sur le pas de la porte, parlant à la cantonade à Bois- d’Enghien.) C’est Marceline qui vient te dire bonjour !Voix de Bois-d’Enghien.— Ah ! bonjour, Marceline !Marceline, devant la cheminée.— Bonjour, Monsieur Fernand !Firmin, derrière Marceline.— Ca va bien, Monsieur Fernand ?Voix de Bois-d’Enghien.— C’est vous, Firmin ?... Mais pas mal... un peu de migraine seulement.Marceline et Firmin.— Ah ! tant pis ! tant pis ! Lucette, entrant dans la chambre.— Allons, apprête-toi, parce que l’on va déjeuner.(Elle disparaît.) (On sonne.)

Lecture analytique n° 6 : l'arrivée de De Fontanet

Scène VIILes Mêmes, Bois-d’Enghien, puis Firmin

Bois-d’Enghien.— Là ! je suis prêt ! (Regardant le journal.) Allons, bon, encore un ! (Il se précipite entre Lucette et Fontanet et arrache le journal des mains de ce dernier.) Donnez-moi ça !… donnez-moi ça !Tous.— Encore !De Fontanet, ahuri.— Eh bien ! qu’est-ce que c’est ?Bois-d’Enghien.— Non, ce n’est pas le moment de lire les journaux ! On va déjeuner ! on va déjeuner ! (Il roule le journal en boule.)Lucette.— Oh ! mais voyons, c’est ennuyeux, puisqu’il y a un article sur moi !Bois-d’Enghien, fourrant le journal dans sa poche.— Eh bien ! je le range, là, je le range ! (À part.) Non, mais tire-t-il, ce journal !… tire-t-il !De Fontanet, presque sur un ton de provocation.— Mais enfin, Monsieur !Bois-d’Enghien, même jeu.— Monsieur ?…Lucette, vivement.— Ne faites pas attention ! (Présentant.) Monsieur de Fontanet, un de mes amis ; Monsieur de Bois-d’Enghien, mon ami. (Elle appuie sur le mot "mon".)De Fontanet, interloqué, saluant.— Ah ! ah ! enchanté, Monsieur !Bois-d’Enghien.— Moi de même, Monsieur ! (Ils se serrent la main.)De Fontanet.— Je ne saurais trop vous féliciter. Je suis moi-même un adorateur platonique de Mme Lucette Gautier, dont la grâce autant que le talent… (Voyant Bois-d’Enghien qui hume l’air depuis un instant.) Qu’est-ce que vous avez ?Bois-d’Enghien.— Rien. (Bien ingénument.) Vous ne trouvez pas que ça sent mauvais ici ?Chenneviette, Lucette, Marceline et Nini ont peine à retenir leur rire.De Fontanet, reniflant.— Ici ? non !… Maintenant, vous savez, ça se peut très bien, parce que, je ne sais pas comment ça se fait, l’on met dit ça souvent et je ne sens jamais. (Il s’assied sur le canapé et cause avec Chenneviette debout derrière le canapé.)Lucette, vivement et bas à Bois-d’Enghien.— Mais tais-toi donc, voyons, c’est lui !Bois-d’Enghien.— Hein !… ah ! c’est… ? (Allant à Fontanet, et étourdiment.) Je vous demande pardon, je ne savais pas !De Fontanet.— Quoi ?Bois-d’Enghien.— Euh !… Rien ! (À part, redescendant un peu.) Pristi, qu’il ne sent pas bon ! (Il remonte.)Firmin, du fond.— Madame est servie !Lucette.— Ah ! à table, mes amis !Marceline, se précipitant la première.— Ah ! ce n’est pas trop tôt. (Elle entre dans la salle à manger. Bois-d’Enghien la regarde passer en riant.)Nini.— Allons, ma chère amie, moi, je me sauve !Lucette, l’accompagnant.— Alors, sérieusement, tu ne veux pas ?Nini, prenant l’en-tout-cas qu’elle a déposé contre le canapé.— Non, non, sérieusement…Lucette, pendant que Nini serre la main à Fontanet et à Chenneviette.— Je n’insiste pas ! J’espère que quand tu seras duchesse de la Courtille, ça ne t’empêchera pas de venir quelquefois me voir.Nini, naïvement.— Mais, au contraire, ma chérie, il me semblera que je m’encanaille.Lucette, s’inclinant.— Charmant ! (Tout le monde rit.)Nini, interloquée, mais riant avec les autres.— Oh ! ce n’est pas ce que j’ai voulu dire !Marceline, reparaissant à la porte de la salle à manger, la bouche pleine.— Eh bien ! vient-on ?Lucette.— Voilà ! (À Nini, qu’elle a accompagnée jusqu’à la porte du vestibule.) Au revoir !Nini.— Au revoir ! (Elle sort.)De Chenneviette, assis sur le tabouret du piano.— Eh bien ! mais… la voilà duchesse de la Courtille !Lucette.— Ah ! bah ! ça fera peut-être une petite dame de moins, ça ne fera pas une grande dame de plus.

De Fontanet.- Ca, c’est vrai !Lucette.— Allons déjeuner ! (Bois-d’Enghien entre dans la salle à manger. À Fontanet qui s’efface devant elle.) Passez !De Fontanet.— Pardon ! (Il entre dans la salle à manger.)Lucette, à Chenneviette qui est resté rêveur au-dessus du canapé.— Eh bien ! Toi, tu ne viens pas ?De Chenneviette, embarrassé.— Si !… seulement j’ai… j’ai un mot à te dire. (Il redescend.)Lucette, redescendant.— Quoi donc ?De Chenneviette, même jeu.— C’est pour la pension du petit. Le trimestre est échu…Lucette, simplement.— Ah ! bon, je te remettrai ce qu’il faut après déjeuner !De Chenneviette, riant pour se donner une contenance.— Je suis désolé d’avoir à te demander ; je… je voudrais pouvoir subvenir, mais les affaires vont si mal !Lucette, bonne enfant.— Oui, c’est bon ! (Elle fait le mouvement de remonter, puis redescendant.) Ah ! seulement, tâche de ne pas aller, comme la dernière fois, perdre la pension de ton fils aux courses.De Chenneviette, comme un enfant gâté.— Oh ! tu me reproches ça tout le temps ! … Comprends donc que si j’ai perdu la dernière fois, c’est qu’il s’agissait d’un tuyau exceptionnel !Lucette.— Ah ! oui, il est joli, le tuyau !De Chenneviette.— Mais absolument ! c’est le propriétaire lui-même qui m’avait dit, sous le sceau du secret : "Mon cheval est favori, mais ne le joue pas ! c’est entendu avec mon jockey… il doit le tirer !"Lucette.— Eh bien ?De Chenneviette.— Eh bien ! il ne l’a pas tiré !… et le cheval a gagné… (Avec la plus entière conviction.) Qu’est-ce que tu veux, ce n’est pas de ma faute si son jockey est un voleur !Firmin, paraissant au fond.— Mlle Marceline fait demander à Madame et à Monsieur de venir déjeuner.Lucette, impatientée.— Oh ! mais oui ! qu’elle mange, mon Dieu ! qu’elle mange ! (Firmin sort.) Allons, viens, ayons égard à la gastralgie de ma soeur ! (On sonne.) Vite, voilà du monde !

(Ils entrent dans la salle à manger où ils sont accueillis pas un "Ah !" de satisfaction. Ils referment la porte sur eux.)

Lecture analytique n° 7 : un rebondissement

La Baronne.— Eh bien ! venez donc Bois-d’Enghien ! Qu’est-ce que vous faites ? (Montrant Bouzin qui est allé se placer par habitude de bureaucrate derrière la table de droite.) Monsieur vous attend pour lire le contrat !Le Général, apercevant Bouzin et bondissant.— Boussin !Bouzin.— Le Général ici ! sauvons-nous !.

Poursuite autour de la table en va-et-vient, en sens contraire de la part du général et de Bouzin, puis en faisant le tour complet de la table au milieu du tumulte général.

Le Général, faisant la chasse à Bouzin.— Boussin ici ! Encore Boussin ! Attends, Boussin ! C’est oun homme morte, Boussin !

Bouzin s’est sauvé par la droite, en faisant tomber au passage la chaise, qui est près de la porte, dans les jambes du général. Le Général l’enjambe.

La Baronne, dans le tumulte général.— Eh bien ! qu’est-ce qu’il y a ? Où vont-ils ?Lucette.— Ne craignez rien, Madame ! Courez, de Chenneviette… séparez-les.De Chenneviette.— J’y vole !

Pendant ce dialogue très rapide au milieu du brouhaha général, ce qui en fait presque une pantomime, Bouzin s’est sauvé par la droite en faisant tomber au passage la chaise qui est à droite de la porte, dans les jambes du général. Le Général enjambe la chaise, Bois-d’Enghien, qui s’est précipité, tient le général par une basque de son habit. Chenneviette, qui s’est lancé à son tour, enlève à bras-le-corps, Bois-d’Enghien qui lui obstrue le passage, le rejette derrière lui et se précipite à la poursuite.— Affolement des personnages qui restent. Un instant après, on aperçoit dans le second salon la poursuite qui continue. Bouzin traverse le premier le fond en courant, puis, successivement, le général et Chenneviette.

La Baronne.— Mais en voilà une affaire ! Qu’est-ce que c’est que cet homme-là ! Qu’est-ce qu’il a après ce garçon ?Lucette.— Excusez-le, Madame, je vous en prie !La Baronne.— Enfin, c’est très désagréable ces histoires chez moi. (Les deux femmes continuent de parler à la fois : Lucette pour excuser le général, la baronne pour manifester son mécontentement. Enfin d’une voix impérative.) Voyons ! finissons-en ! Nous avons un contrat à lire… Bois-d’Enghien ! donnez le bras à ma fille et venez.

Elle remonte.Lucette, prise de soupçon.— Mais… pourquoi M. Bois-d’Enghien ?La Baronne, sous le coup de l’émotion et sans réfléchir.— Comment, pourquoi ?… Parce que c’est son fiancé !Lucette.— Son fiancé, lui… (Poussant un cri strident.) Ah !

Elle s’évanouit.Tous.— Qu’est-ce qu’il y a ?Marceline, qui a reçu Lucette dans ses bras.— Ah ! mon Dieu, ma soeur ! Du secours ! elle se trouve mal !…

Tout le monde — à l’exception de la baronne et de Viviane qui, redescendues, restent pétrifiées sur place— entoure Lucette qu’on étend sans connaissance sur la chaise longue.

Bois-d’Enghien, revenant à la baronne, lui faisant carrément une scène.— Là ! voilà ! ça y est ! Vous avez prononcé le mot de fiancé, voilà !La Baronne.— Moi !Viviane, faisant aussi une scène à sa mère.— Mais oui, toi !Bois-d’Enghien.— Et on vous prévient !

Il retourne à Lucette.Viviane.— Puisqu’on t’avait dit de ne pas parler de fiancé !

La baronne, énervée, hausse les épaules.

Le Général, entrant vivement par le fond gauche, emboîté par Chenneviette.— Voilà ! yo viens de le flanquer par la porte, Boussin !De Chenneviette, à part, s’épongeant le front.— Oh ! quelle soirée, mon Dieu !Le Général, apercevant Lucette évanouie.— Dios ! quel il a Lucette ! il est malade ! (Allant à elle.) Loucette !Bois-d’Enghien, quittant Lucette et frappant dans ses mains pour presser les gens. — Vite, du vinaigre, des sels !Marceline.— J’y cours !

Elle sort par la gauche pendant que Bois-d’Enghien, la baronne et Viviane, comme des gens qui ne savent où donner de la tête, vont chercher des sels sur la toilette du fond.

Le Général, tapant dans les mains de Lucette pendant que Chenneviette en fait autant de l’autre côté.— Mademoiselle Gautier ! révénez à moi… révénez à moi !De Fontanet, qui est derrière la chaise longue, naïvement en se penchant sur la figure de Lucette.— Il faudrait lui faire respirer de l’air pur…Bois-d’Enghien, revenant avec un flacon de sels.— Oui, eh bien ! alors retirez-vous de là !De Chenneviette et Le Général.— Oui, allez-vous-en ! allez-vous-en !Bois-d’Enghien, vivement, repassant au milieu de la scène.— C’est ça, allons-nous-en tous ! (À la baronne et à Viviane qui sont un peu remontées.) Laissons ces messieurs avec elle, nous finirons de signer par là, nous !…Tous.— Oui, oui, c’est ça !Le Général, d’une voix forte, au moment où Bois-d’Enghien va partir avec les deux femmes.— Oun clé ! qu’il a oun clé ?Bois-d’Enghien, très affairé, tirant une clé de sa poche, la donne au général et remontant tout en parlant.— Une clé, voilà. Pourquoi ?Le Général.— Gracias !

Il la met dans le dos de Lucette.Bois-d’Enghien, redescendant pour prendre sa clé.— Mais vous êtes fous ! c’est la clé de mon appartement ! elle ne saigne pas du nez !Le Général, qui a mis la clef dans le dos.— Yo veux voir si ça fait le même !La Baronne, s’impatientant, à Bois-d’Enghien.— Eh bien ! voyons ! allons par là, nous !Bois-d’Enghien, cavalcadant sur place comme un homme attiré de deux côtés.— Voilà, voilà ! (À part.) Je signe et je reviens.

Tout le monde sort, à l’exception De Fontanet, du général, de Chenneviette et de Lucette évanouie. Les portes du fond se referment. Elles ne s’ouvrent plus, jusqu’à la fin de l’acte, qu’à deux vantaux.

Lecture analytique n° 8 : le dénouementTous.— Oh !Miss Betting.— What is that !Bois-d’Enghien.— Qu’est-ce qui vous demande quelque chose à vous ? Voulez-vous vous en aller ! voulez-vous vous en aller !Les domestiques.— Oh !Bois-d’Enghien.— Voulez-vous vous en aller !

Sortie des domestiques.La Baronne, surgissant.— Viviane ! toi, ici… Malheureuse enfant !…Viviane.— Maman !Bois-d’Enghien, repoussant la baronne sans la reconnaître.— Voulez-vous vous en aller ?… (La reconnaissant.) La baronne !Miss Betting, passant devant Viviane.— Oh ! good morning, Médème.La Baronne.— Vous !… Vous n’avez pas honte, Miss, de vous faire le chaperon de ma fille ici !Miss Betting.— What does that mean ?La Baronne.— Ah ! laissez-moi tranquille ! Avec son anglais, il n’y a pas moyen de l’attraper !…Bois-d’Enghien.— Madame, j’ai l’honneur de vous redemander la main de votre fille.La Baronne.— Jamais, Monsieur ! (À Viviane.) Malheureuse, qui est-ce qui t’épousera après ce scandale ?Viviane, passant au n° 3.— Mais lui, maman ! je l’aime et je veux l’épouser !La Baronne, Viviane dans ses bras, comme pour la garantir de Bois-d’Enghien.— Lui !… Le je ne sais pas quoi de Mlle Gautier !Bois-d’Enghien.— Mais je ne suis plus le … "je ne sais pas quoi de Mademoiselle Gautier" !La Baronne.— Vraiment, Monsieur ! après ce qui s’est passé hier au soir !Bois-d’Enghien, avec aplomb.— Eh bien, justement, ce que vous avez pris pour tout autre chose, c’était une scène de rupture.La Baronne, railleuse.— Allons donc ! dans cette tenue ?Bois-d’Enghien, même jeu.— Parfaitement : j’étais en train de dire à Mademoiselle Gautier : "Je veux qu’il ne me reste rien qui puisse vous rappeler à moi, rien !… pas même ces vêtements que vous avez touchés !"La Baronne.— Hein ?Bois-d’Enghien.— Et joignant l’acte à la parole, je les enlevais à mesure… Deux minutes plus tard et je retirais mon gilet de flanelle.La Baronne, choquée.— Oh !Viviane.— Tu vois, maman, que tu peux bien me le donner pour mari !La Baronne, avec résignation.— Qu’est-ce que tu veux, mon enfant ! si tu crois que ton bonheur est là !Viviane.— Ah ! maman !Bois-d’Enghien.— Ah ! Madame !Viviane, à miss Betting.— Ah ! Miss, je l’épouse ! I will marry him !Miss Betting, étonnée.— Mister Capoul ?… Aoh !

Scène IXLes Mêmes, Jean, puis Bouzin, le Concierge, les deux agents et les domestiques

Jean, paraissant par la porte du fond du cabinet de toilette.— Tiens, où est donc Monsieur ?Il ouvre la porte du palier.Bois-d’Enghien.— Enfin, c’est vous ! (Sur le pas de la porte.) Tenez, entrez, belle-maman ; entrez, Viviane ; entrez, Miss.

À ce moment on entend un brouhaha venant des étages supérieurs.Tous.— Qu’est-ce que c’est que ça ?Le concierge, paraissant le premier.— Enfin, nous le tenons ! Nous avons dû faire une chasse à l’homme sur les toits.

Bouzin paraît tout déconfit, traîné par les agents et suivi des domestiques qui le huent.Bois-d’Enghien.— Bouzin !La Baronne.— Le clerc en caleçon !Viviane.— Quelle horreur !Miss Betting.— Shocking !

Elles se précipitent, scandalisées, dans le cabinet de toilette.Les Agents.— Allons, venez !Bouzin, se faisant traîner.— Mais non ! mais non ! Ah ! Monsieur Bois-d’Enghien, je vous en prie !Bois-d’Enghien, sur le pas de sa porte.— Qu’est-ce que c’est… ? Voulez-vous vous cacher !

Il entre dans le cabinet dont il ferme la porte sur Bouzin.Bouzin.— Oh !Les Agents.— Allons ! Allons ! au poste ! au poste !Bois-d’Enghien, dans le même cabinet de toilette.— C’est un peu pendable ce que je fais là ! Mais bast ! je connais le commissaire, j’en serai quitte pour aller le réclamer.Les Agents.— Au poste ! au poste !Bouzin.— J’en appelle à la postérité !Tous.— Au poste !

Les agents entraînent Bouzin, qui résiste, au milieu des huées des domestiques.RIDEAU

Groupement de textes 1 : la scène d'exposition

TEXTE A : Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais, Le Barbier de Séville, acte I, scènes 1 et 2, (1775).

ACTE PREMIER

Le théâtre représente une rue de Séville, où toutes les croisées1 sont grillées2.

SCÈNE PREMIÈRELE COMTE,

seul, en grand manteau brun et chapeau rabattu. Il tire sa montre en se promenant.

Le jour est moins avancé que je ne croyais. L'heure à laquelle elle3 a coutume de se montrer derrière sa jalousie4 est encore éloignée. N'importe ; il vaut mieux arriver trop tôt que de manquer l'instant de la voir. Si quelque aimable de la cour pouvait me deviner à cent lieues de Madrid, arrêté tous les matins sous les fenêtres d'une femme à qui je n'ai jamais parlé, il me prendrait pour un Espagnol du temps d'Isabelle5. Pourquoi non ? Chacun court après le bonheur. Il est pour moi dans le cœur de Rosine. Mais quoi ! suivre une femme à Séville, quand Madrid et la cour offrent de toutes parts des plaisirs si faciles ? Et c'est cela même que je fuis. Je suis las6 des conquêtes que l'intérêt, la convenance ou la vanité7 nous présentent sans cesse. Il est si doux d'être aimé pour soi-même ; et si je pouvais m'assurer sous ce déguisement... Au diable l'importun8 !

SCÈNE 2FIGARO, LE COMTE, caché

FIGARO,une guitare sur le dos attachée en bandoulière avec un large ruban ; il

chantonne gaiement, un papier et un crayon à la main.

Bannissons le chagrin, Il nous consume :Sans le feu du bon vin, Qui nous rallume,Réduit à languir,L'homme, sans plaisir,Vivrait comme un sot,Et mourrait bientôt.

Jusque-là ceci ne va pas mal, hein, hein !...

... Et mourrait bientôt.Le vin et la paresseSe disputent mon cœur...

Eh non ! ils ne se le disputent pas, ils y règnent paisiblement ensemble...

Se partagent... mon cœur.

Dit-on « se partagent » ?... Eh ! mon Dieu, nos faiseurs d'opéras-comiques n'y regardent pas de si près. Aujourd'hui, ce qui ne vaut pas la peine d'être dit, on le chante. (Il chante.)

Le vin et la paresseSe partagent mon cœur...

Je voudrais finir par quelque chose de beau, de brillant, de scintillant, qui eût l'air d'une pensée. (Il met un genou en terre, et écrit en chantant.)

Se partagent mon cœur.Si l'une a ma tendresse...

L'autre fait mon bonheur.

Fi donc ! c'est plat. Ce n'est pas ça... Il me faut une opposition, une antithèse :

Si l'une... est ma maîtresse, L'autre...

Eh ! parbleu, j'y suis !...

L'autre est mon serviteur.

Fort bien, Figaro !... (Il écrit en chantant.)

Le vin et la paresseSe partagent mon cœur ;Si l'une est ma maîtresse,L'autre est mon serviteur,L'autre est mon serviteur,L'autre est mon serviteur.

Hein, hein, quand il y aura des accompagnements là-dessous, nous verrons encore, messieurs de la cabale9, si je ne sais ce que je dis. (Il aperçoit le Comte.) J'ai vu cet abbé10-là quelque part. (Il se relève.)

1. Les croisées : les fenêtres. 2. Grillées : grillagées 3. « Elle » désigne Rosine, la jeune fille dont le comte est amoureux. 4. Jalousie : grillage de fer ou de bois qui couvre une fenêtre et permet de voir sans être vu. 5. Isabelle : La reine Isabelle la catholique (1451-1504). Le comte considère que sa conduite amoureuse relève d’une époque lointaine, révolue. 6. Las : fatigué 7. Vanité : arrogance, prétention. 8. Importun : personne dont la présence n’est pas souhaitée 9. Cabale : manœuvres secrètes et collectives menées contre un auteur en vue de provoquer l’échec d’une pièce. 10. C’est la tenue du comte qui le fait ressembler à un abbé en soutane.

TEXTE B : Alfred de Musset, On ne badine pas avec l’amour, acte I, scène 1 (extrait) (1834).

ACTE PREMIER SCÈNE PREMIÈREUne place devant le château.

MAÎTRE BLAZIUS, DAME PLUCHE, LE CHŒUR1

LE CHŒURDoucement bercé sur sa mule fringante, messer1 Blazius s’avance dans les bluets

fleuris, vêtu de neuf, l’écritoire au côté. Comme un poupon sur l’oreiller, il se ballotte sur son ventre rebondi, et, les yeux à demi fermés, il marmotte un Pater noster3 dans son triple menton. Salut, maître Blazius, vous arrivez au temps de la vendange, pareil à une amphore antique.MAÎTRE BLAZIUS

Que ceux qui veulent apprendre une nouvelle d’importance m’apportent ici premièrement un verre de vin frais.LE CHŒUR

Voilà notre plus grande écuelle ; buvez, maître Blazius ; le vin est bon ; vous parlerez après.MAÎTRE BLAZIUS

Vous saurez, mes enfants, que le jeune Perdican, fils de notre seigneur, vient d’atteindre à sa majorité, et qu’il est reçu docteur4 à Paris. Il revient aujourd’hui même au château, la bouche toute pleine de façons de parler si belles et si fleuries, qu’on ne sait que lui répondre les trois quarts du temps. Toute sa gracieuse personne est un livre d’or ; il ne voit pas un brin d’herbe à terre, qu’il ne vous dise comment cela s’appelle en latin ; et quand il fait du vent ou qu’il pleut, il vous dit tout clairement pourquoi. Vous ouvririez des yeux grands comme la porte que voilà, de le voir dérouler un des parchemins qu’il a coloriés d’encres de toutes couleurs, de ses propres mains et sans en rien dire à personne. Enfin c’est un diamant fin des pieds à la tête, et voilà ce que je viens annoncer à M. le

baron. Vous sentez que cela me fait quelque honneur, à moi, qui suis son gouverneur depuis l’âge de quatre ans ; ainsi donc, mes bons amis, apportez une chaise que je descende un peu de cette mule-ci sans me casser le cou ; la bête est tant soit peu rétive5, et je ne serais pas fâché de boire encore une gorgée avant d’entrer.LE CHŒUR

Buvez, maître Blazius, et reprenez vos esprits. Nous avons vu naître le petit Perdican, et il n’était pas besoin, du moment qu’il arrive, de nous en dire si long. Puissions-nous retrouver l’enfant dans le cœur de l’homme !MAÎTRE BLAZIUS

Ma foi, l’écuelle est vide ; je ne croyais pas avoir tout bu. Adieu ; j’ai préparé, en trottant sur la route, deux ou trois phrases sans prétention qui plairont à monseigneur ; je vais tirer la cloche. (Il sort.)

1. Le chœur : ensemble de personnes qui commentent l’action selon la tradition du théâtre antique. Il est, dans cette pièce, composé de paysans. 2. « Messer » pour Monsieur 3. Pater noster : début d’une prière chrétienne (Notre Père). 4. Docteur : titre universitaire obtenu après la soutenance d’une thèse. 5. Rétive : peu docile.

TEXTE C : Eugène Labiche, Un chapeau de paille d’Italie, acte I, scène 1 (1851).

ACTE PREMIER(Chez Fadinard)

Un salon octogone. - Au fond, porte à deux battants s'ouvrant sur la scène. - Une porte dans chaque pan coupé. - Deux portes aux premiers plans latéraux. - A gauche, contre la cloison, une table avec tapis, sur laquelle est un plateau portant carafe, verre, sucrier. - Chaises.

SCÈNE PREMIÈREVIRGINIE, FELIX

VIRGINIE, à Félix, qui cherche à l'embrasser : - Non, laissez-moi, monsieur Félix !... Je n'ai pas le temps de jouer.FELIX – Rien qu'un baiser ?VIRGINIE – Je ne veux pas !...FELIX – Puisque je suis de votre pays1 !... je suis de Rambouillet...VIRGINIE – Ah ! ben ! s'il fallait embrasser tous ceux qui sont de Rambouillet !...FELIX - Il n'y a que quatre mille habitants.VIRGINIE – Il ne s'agit pas de ça... M. Fadinard, votre bourgeois, se marie aujourd'hui... Vous m'avez invitée à venir voir la corbeille... voyons la corbeille !...FELIX – Nous avons bien le temps... Mon maître est parti, hier soir, pour aller signer son contrat chez le beau-père... il ne revient qu'à onze heures, avec toute sa noce, pour aller à la mairie.VIRGINIE – La mariée est-elle jolie ?FELIX – Peuh !... je lui trouve l'air godiche2; mais elle est d'une bonne famille... c'est la fille d'un pépiniériste de Charentonneau... le père Nonancourt.VIRGINIE – Dites donc, monsieur Félix... si vous entendez dire qu'elle ait besoin d'une femme de chambre... pensez à moi.FELIX – Vous voulez donc quitter votre maître... M. Beauperthuis ?VIRGINIE. – Ne m'en parlez pas... c'est un acariâtre3, premier numéro... Il est grognon, maussade, sournois, jaloux... et sa femme donc !... Certainement, je n'aime pas à dire du mal des maîtres...FELIX – Oh ! non !...VIRGINIE. – Une chipie ! une bégueule4, qui ne vaut pas mieux qu'une autre.FELIX – Parbleu !

VIRGINIE – Dès que Monsieur part... crac ! elle part... et où va-t-elle ?... elle ne me l'a jamais dit... jamais !...FELIX – Oh ! vous ne pouvez pas rester dans cette maison-là.VIRGINIE, baissant les yeux – Et puis, ça me ferait tant plaisir de servir avec quelqu'un de Rambouillet...FELIX, l'embrassant . – Seine-et-Oise !

1. Pays : région, ville ou village natal. 2. Godiche : gauche, maladroit. 3. Acariâtre : colérique. 4. Bégueule : farouche, rigide.

TEXTE D : Eduardo Manet, Quand deux dictateurs se rencontrent, (incipit), © Actes Sud-Papiers (1996).

VOIX OFF1, 1-A, 1-B

VOIX OFF.

Quelque part dans le monde, deux dictateurs se rencontrent. Ils sont vieux. Vieux, mais taillés dans le roc. Visages granitiques, regards de joueurs de poker. Maîtres de leur propre jeu. Les corps sont massifs, les gestes lents. Et pour cause… chacun porte un épais gilet pare-balles, par mesure de précaution. Le premier sous une élégante veste signée par un styliste à la mode, l’autre dissimulé sous l’épaisse vareuse de son uniforme. Rencontre au sommet qui fera date dans l’Histoire. Les deux hommes, protégés par des vitres blindées, se trouvent sur la terrasse d’un palais, sorte de forteresse construite au sommet d’une vertigineuse montagne et où l’on ne peut accéder qu’en hélicoptère. Isolés du reste du monde, les deux hommes se parlent, sans témoins. Ils n’ont aucune raison particulière de se rencontrer. Caprice. Coup de tête. Aucune raison, si ce n’est le voluptueux plaisir d’être en face de son double, son reflet, la présence charnelle et puissante d’un dictateur comme soi. Pour mieux tenir au secret leur rencontre et déjouer de possibles pièges, leurs appareils policiers leur ont donné des codes, composés du chiffre 1 et des deux premières lettres de l’alphabet : A et B. Comme les deux hommes s’estiment d’une égale puissance, ils ont tiré au sort l’ordre de leur dialogue. Pile – pour le 1-A, face pour le 1-B.

Ils viennent de dîner. Ils ont parlé – comme ils disent – « à bâtons rompus », « à cœur ouvert », « les yeux dans les yeux ». Imbus2 de leur pouvoir, les dictateurs ne craignent pas d’utiliser les clichés les plus éculés3.

1-A sirote une menthe à l’eau, 1-B boit de la camomille.

1-ATu ne fumes plus tes fameux cigares aromatiques… Tu ne bois plus d’alcool… tu refuses le café… ordre du médecin ?1-B.Self-control, autodiscipline, mon cher. Comme toi. D’après ce que j’ai entendu dire, tu t’interdis l’alcool, le tabac, tous ces stimulants exquis mais nuisibles à la santé.

1. Voix off : voix entendue par les spectateurs sans que l’émetteur soit sur scène. 2. Imbus de leur pouvoir : sûrs de leur puissance 3. Éculés : usés.

I- Après avoir lu attentivement les textes du corpus, vous répondrez aux questions suivantes de façon organisée et synthétique (6 points) :

1. Quelle est la fonction principale de ces quatre scènes d’ouverture ? Justifiez votre réponse en vous appuyant sur les textes. (3 points)2. Chaque auteur a fait un choix d’énonciation différent pour débuter sa pièce (qui parle ? à qui ?). Précisez lesquels et étudiez quels peuvent être les effets de ces choix sur les spectateurs ou les lecteurs. (3 points)

II- Vous traiterez ensuite, au choix, l'un des sujets suivants (14 points) :

• Commentaire :Vous commenterez le texte A en vous aidant du parcours de lecture suivant :- vous montrerez en quoi il s’agit d’une exposition de comédie.- vous étudierez comment Beaumarchais souligne l’opposition entre les deux personnages.

• Dissertation : Selon quels critères, selon vous, une scène d’exposition est-elle réussie et remplit-elle sa fonction ? Vous développerez votre argumentation en prenant appui sur les textes du corpus ainsi que sur les pièces que vous avez lues ou vues.

• Invention :Deux élèves d’un atelier théâtre ont choisi l’une des scènes d’exposition du corpus, pour la jouer devant leurs camarades. Ils débattent de leurs intentions de mise en scène du texte retenu ainsi que des effets qu’ils veulent produire sur le spectateur. Imaginez leur dialogue.

Groupement de textes 2 : le vaudeville

Texte 1 : Avis de l'auteur

AvisPour obtenir l’effet de la porte qui se ferme au moment voulu au troisième acte,

voici comment on s’y prend. La porte est garnie extérieurement, sur le palier, de deux ressorts en caoutchouc, grâce auxquels elle retombe toujours dès qu’elle n’est pas maintenue. Aussi pour éviter, pendant les premières scènes de l’acte où le domestique a à sortir en laissant la porte contre, mais non close, que celle-ci, dans la chaleur du jeu de l’acteur, ne vienne à retomber trop fort et par conséquent à se refermer sur elle-même, ce qui serait un obstacle pour la suite, a-t-on soin de paralyser momentanément le fonctionnement de la serrure, en tenant le bouton de tirage, qui fait jouer le pêne, tendu au moyen d’un crochet placé horizontalement à la serrure. Lorsque l’on n’a plus besoin que la porte soit ouverte, c’est-à-dire au moment où Bois-d’Enghien, chassant définitivement Lucette, lui dit : "Oh ! oui, pour toujours ! Oh ! oui, pour toujours !", l’artiste chargé du rôle, sans en avoir l’air, défait le crochet, et le bouton retrouve alors toute son action.

Il ne s’agit plus maintenant que de maintenir la porte ouverte quand Bois-d’Enghien sort sur le palier pour arracher le pistolet des mains de Lucette, en même temps que de la faire se fermer, quand il en sera besoin, sous l’influence du courant d’air causé par la fenêtre qui s’ouvre brusquement. Pour cela, deux fils de rappel, aboutissant au même point derrière le décor (coin droit du fond du cabinet de toilette) de façon à pouvoir être conduits à la coulisse par une même personne. Le premier partant du centre intérieur de la porte (de sorte qu’il n’a qu’à être maintenu tendu à la sortie de Bois-d’Enghien sur le palier pour empêcher le battant de retomber). Le second partant de la fenêtre, côté extérieur, et fixé à un ressort qui empêche la fenêtre de s’ouvrir. Le reste n’est plus qu’une réplique à prendre.Quand Bois-d’Enghien, alors à l’extrémité droite du palier, a posé son pistolet sur le tabouret et au moment même où il dit en se retournant pour entrer chez lui : "Enfin, je vais avoir la paix maintenant", la personne qui conduit les fils, simultanément tire sur le fil de la fenêtre (ce qui fait déclencher le ressort, et la fenêtre munie intérieurement de ressorts en caoutchouc, et dont l’espagnolette est pendante — s’ouvre brusquement) et lâche le fil de la porte (et le battant se referme naturellement, juste à temps pour retomber sur le nez de Bois-d’Enghien).

AUTRE CONSEIL POUR LE PREMIER ACTE.— Comme souvent la carte mise par Bouzin dans le bouquet est difficile à trouver, il vaut mieux en placer une d’avance sur le piano, que l’artiste chargé du rôle de Chenneviette aura l’air de tirer du bouquet au moment voulu. De même pour l’écrin contenant la bague ; au lieu de le mettre dans le bouquet, qu’il soit sur la cheminée, d’où Lucette le rapportera, comme si elle venait de le trouver dans les fleurs.

Texte 2 : “Un fl à la patte, par Jérôme Deschamps », propos recueillis par Laurent Mulheisein

Amour, lâcheté et luciditéUn fil à la patte est une grande pièce, hallucinante, une réussite absolue ; elle met en

scène des personnages ballottés par un système, entraînés par une histoire, un cadre. Ils sont dans un monde où l’argent a une place absolument déterminante ; et ils courent après, chacun à sa façon. L’argent préside à la destinée de chacun. Rien ne les arrête. Cela ne va pas sans une espèce de cynisme, de détachement par rapport à la vie sentimentale, à l’honnêteté des sentiments. C’est de là que viennent la férocité et la drôlerie de Feydeau. Dans ce contexte, pourtant, la tendresse, l’attachement qu’a Lu- cette pour Bois d’Enghien est une chose touchante, sur laquelle j’ai voulu mettre l’accent, m’éloignant à cet endroit de la vision de Charon. Lucette n’est pas une fille si légère que cela, elle est vraiment amoureuse de Bois d’Enghien. En lisant bien le texte, on comprend que, pour elle, c’est pour la vie ! Je veux dire : pour elle, c’est toute la vie. Bois d’Enghien veut la quitter pour

trouver de l’argent en épousant Viviane, mais comme il n’est guère courageux, il retombe dans les bras de Lucette dès qu’il la voit ; c’est normal, elle est irrésistible. Quand il lui avoue enfin qu’il va la quitter, il pose comme argument qu’il n’a pas assez d’argent pour elle. Elle lui répond : « je m’en fous », et éclate de rire en lui tendant les bras. À cela il réplique : « Oui, mais ma dignité ? ! » C’est extraordinaire : sa dignité ! Une fois que Lucette comprend qu’elle a été trahie, elle cherche à lui casser son affaire, et c’est cela qu’il ne lui pardonne pas. Il la « balance » parce qu’il a beau aimer passer du temps avec elle...il préfère quand même l’argent. Ce qui est drôle, dans la pièce, c’est que les autres ne comprennent pas pourquoi ces deux là sont ensemble ; ils ne comprennent pas qu’on puisse être ensemble parce qu’on est amoureux... Pour eux, la vraie question est : Est-ce qu’il y a de l’argent ou est-ce qu’il n’y en a pas ? L’amour, ça se monnaye, comme le reste ! Il y a un fond assez noir chez Feydeau... À la tendresse de Lucette répond la lucidité de Viviane : pour elle, la vie amoureuse, la vie sentimentale, n’est qu’un vaste marché où règne la loi de l’offre et de la demande. Et si elle accepte Bois d’Enghien, c’est parce qu’il correspond parfaitement à ce schéma. C’est un homme de son temps. D’un côté, il choisit le mariage, il répond à la loi du marché, et de l’autre, il a des maîtresses...

Trouver la belle humeur Les pièces de Feydeau, un peu comme chez Laurel et Hardy, sont souvent une suite

de déconvenues ou de malheurs – qui naturellement provoque le rire. Mais il y a chez lui un art de la construction poussé à la perfection... Souvent, au théâtre, les scènes de transition sont celles où l’auteur – même s’il est grand – « rame » un peu, où l’écriture peut être laborieuse. Eh bien, chez Feydeau, il n’y en a pas, rien n’est écrit pour armer le tir de la scène suivante. La mécanique, l’horlogerie, sont parfaitement réglées. Le génie de Feydeau réside dans l’art des contrastes, dans la mise en situation des obsessions de chacun, et dans l’entremêlement des situations. L’idée par exemple de mettre Marceline en scène avec cette obsession du déjeuner. Et cela depuis la première phrase du spectacle... Elle a faim. Il y a donc là quelqu’un qui a faim tout le temps. Qui attend ses oeufs. Qui attend et ne fait qu’attendre. Quel incroyable ressort. Ce procédé est repris avec Fontanet, qui lui sent mauvais. Avec Bouzin, qui ne fait que des choses méprisables (jusqu’à ce qu’on croit qu’il a de l’argent !), avec le général, qu’on traire de tous les noms (mais qu’on admire aussi parce qu’il a de l’argent) L’autre ressort, bien sûr, est un emploi étourdissant des mots d’esprit : le fait par exemple de commenter la chanson de Bouzin de cette manière : « On dirait la chanson d’un homme d’esprit qui l’aurait fait écrire par un autre ». Et d’enchaîner avec Fontanet qui dit avoir essayé d’en écrire mais qu’il n’arrivait pas à trouver la fin ; quand on lui demande : « Comment fîtes-vous » et il répond : « Comme je pus ! ». Si ce texte est parsemé d’explosifs destinés à faire rire, pour qu’il fonctionne, il faut qu’on soit dans un rythme, dans la musicalité et dans l’harmonie de tout cela. Il y a de la pensée, mais il faut que celle-ci s’enchaîne, que le cerveau du spectateur fonctionne à une certaine cadence, faute de quoi il n’est pas crédible que les personnages disent toutes ces énormités, ces mots d’esprits qui parfois leur échappent, ces phrase-réflexes qui déchaînent le rire. Les personnages de Feydeau ne sont pas grandioses, ni par leurs sentiments, ni par leurs valeurs. Ils n’ont pas de hauteur de vue. Ils sont pris dans la machine, ils sont à l’intérieur de la mécanique. C’est cela qui est drôle et c’est cela, à mon avis, qu’il faut jouer. Je suis de ceux qui pensent qu’une grande part du travail du metteur en scène consiste à mettre les comédiens en situation de désir ; désir de jouer, bonheur d’être sur scène. Ces éléments comptent pour moi autant que toutes les trouvailles qui peuvent être les nôtres. Il faut trouver la bonne humeur... la belle humeur ! J’ai tourné le dos à ce que l’on appelle le travail à la table. Je préfère réfléchir chez moi et faire en sorte que pendant les répétitions, les choses se passent. Qu’elles ne soient pas le temps où l’on prend du recul par rapport à ce qu’on fait. J’essaie de travailler (comme le disait Vitez) ici et maintenant. Particulièrement chez Feydeau, la répétition n’est pas là pour que les acteurs collectent des intentions qu’ils mettront en oeuvre plus tard. Il ne s’agit pas de dire : « Ah oui, je comprends ce que tu souhaites, je le ferai plus tard ». Il s’agit de le faire ! J’aime mieux passer mon temps à confronter les « animaux fragiles » que sont les acteurs à des situations à chaud. C’est là qu’on voit des couleurs, qu’on entend les voix. Il n’y a aucun intérêt, surtout avec Feydeau, à se plonger dans les méandres de la psychologie. Il n’y a que

le ressort, le ressort social. Les personnages de Feydeau sont comme pris au milieu d’une bataille navale. Il leur arrive d’être malins, mais ils ne sont pas plus malins les uns que les autres. Ils sont stratégiques, tout le temps. Ils livrent de petites guerres.

Précision et inventivitéS’il y a un auteur qui, selon moi, ne s’est pas trompé dans ses recommandations, dans

la rédaction de ses didascalies, c’est bien Feydeau. Je pense donc qu’il y a grand danger à s’éloigner du respect de ces didascalies. Je me suis donc amusé, avec Laurent Peduzzi qui signe le décor, à faire un relevé assez scrupuleux des demandes de Feydeau. Elles portent sur des points aussi précis que la place du tabouret, la distance entre une porte et une table. Ensuite, nous avons rêvé. Nous nous sommes dit qu’il fallait peut-être marquer assez précisément le niveau de vie, ou le mode de vie des uns et des autres ! L’intérieur de chez Lucette est chaleureux, un certain nombre d’hommes y ont défilé, et s’y sont sentis bien. Nous avons marqué de façon assez forte aussi le décor de la Baronne ; bien sûr c’est un hôtel particulier, il y a de l’argent, mais c’est assez austère, ce n’est pas fastueux, car chez ces gens on ne dépense pas sans compter. Et puis le décor de l’acte III, chez Bois d’Enghien, n’est quant à lui pas situé dans un immeuble somptueux, puisqu’il n’est pas dans la même situation sociale que sa future épouse. Avec Vanessa Sannino, qui signe les costumes, nous avons fait une entorse au respect scrupuleux des indications de Feydeau pour aller non pas vers la mode de 1893, mais vers celle, plus élégante et plus inventive, littéralement ravissante, du début du XXe siècle ; c’est elle qui nous a inspirés. L’invention des costumes nous a permis de rejoindre le merveilleux savoir-faire et la finesse du travail des différents ateliers de la Comédie-Française. Modistes, couturières, chapeliers..., tous ces métiers auront leur part dans le bonheur que ce spectacle procurera, nous l’espérons, aux spectateurs.

Lectures d'images : Jean Béraud, Le Théâtre du Vaudeville (1889)

La scène de l'escalier : Bouzin contre Bois-d'Enghiendans trois adaptations théâtrales (acte III, scènes 4-5)

Jacques Charon (1970)

Alain Sachs (1999)

Jérôme Deschamps (2012)

Lecture analytique n° 9 : « L'Etranger »

L'ÉTRANGER

« Qui aimes-tu le mieux, homme énigmatique, dis ? ton père, ta mère, ta sœur ou ton frère ?- Je n'ai ni père, ni mère, ni sœur, ni frère.- Tes amis ?- Vous vous servez là d'une parole dont le sens m'est resté jusqu'à ce jour inconnu.- Ta patrie ?- J'ignore sous quelle latitude elle est située.- La beauté ?- Je l'aimerais volontiers, déesse et immortelle.- L'or ?- Je le hais comme vous haïssez Dieu.- Eh ! qu'aimes-tu donc, extraordinaire étranger ?- J'aime les nuages... les nuages qui passent... là-bas... là-bas... les merveilleux nuages !»

Charles BAUDELAIRE (1821-1867), Le Spleen de Paris (1869), I.

Lecture analytique n° 10 : « Un hémisphère dans une chevelure »

UN HÉMISPHÈRE DANS UNE CHEVELURE

Laisse-moi respirer longtemps, longtemps, l'odeur de tes cheveux, y plonger tout mon visage, comme un homme altéré dans l'eau d'une source, et les agiter avec ma main comme un mouchoir odorant, pour secouer des souvenirs dans l'air.

Si tu pouvais savoir tout ce que je vois ! tout ce que je sens ! tout ce que j'entends dans tes cheveux ! Mon âme voyage sur le parfum comme l'âme des autres hommes sur la musique.

Tes cheveux contiennent tout un rêve, plein de voilures et de mâtures ; ils contiennent de grandes mers dont les moussons me portent vers de charmants climats, où l'espace est plus bleu et plus profond, où l'atmosphère est parfumée par les fruits, par les feuilles et par la peau humaine.

Dans l'océan de ta chevelure, j'entrevois un port fourmillant de chants mélancoliques, d'hommes vigoureux de toutes nations et de navires de toutes formes découpant leurs architectures fines et compliquées sur un ciel immense où se prélasse l'éternelle chaleur.

Dans les caresses de ta chevelure, je retrouve les langueurs des longues heures passées sur un divan, dans la chambre d'un beau navire, bercées par le roulis imperceptible du port, entre les pots de fleurs et les gargoulettes rafraîchissantes.

Dans l'ardent foyer de ta chevelure, je respire l'odeur du tabac mêlé à l'opium et au sucre ; dans la nuit de ta chevelure, je vois resplendir l'infini de l'azur tropical ; sur les rivages duvetés de ta chevelure je m'enivre des odeurs combinées du goudron, du musc et de l'huile de coco.

Laisse-moi mordre longtemps tes tresses lourdes et noires. Quand je mordille tes cheveux élastiques et rebelles, il me semble que je mange des souvenirs.

Charles BAUDELAIRE (1821-1867), Le Spleen de Paris (1869), XVII.

Lecture analytique n° 11 : « Enivrez-vous »

ENIVREZ-VOUS

Il faut être toujours ivre. Tout est là : c'est l'unique question. Pour ne pas sentir l'horrible fardeau du Temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve.

Mais de quoi ? De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise. Mais enivrez-vous.Et si quelquefois, sur les marches d'un palais, sur l'herbe verte d'un fossé, dans la solitude

morne de votre chambre, vous vous réveillez, l'ivresse déjà diminuée ou disparue, demandez au vent, à la vague, à l'étoile, à l'oiseau, à l'horloge, à tout ce qui fuit, à tout ce qui gémit, à tout ce qui roule, à tout ce qui chante, à tout ce qui parle, demandez quelle heure il est ; et le vent, la vague, l'étoile, l'oiseau, l'horloge, vous répondront : « Il est l'heure de s'enivrer ! Pour n'être pas les esclaves martyrisés du Temps, enivrez-vous ; enivrez-vous sans cesse ! De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise. »

Charles BAUDELAIRE (1821-1867), Le Spleen de Paris (1869), XXXIII.

Lecture analytique n° 12 : « Les Fenêtres »

LES FENÊTRES

Celui qui regarde du dehors à travers une fenêtre ouverte, ne voit jamais autant de choses que celui qui regarde une fenêtre fermée. Il n'est pas d'objet plus profond, plus mystérieux, plus fécond, plus ténébreux, plus éblouissant qu'une fenêtre éclairée d'une chandelle. Ce qu'on peut voir au soleil est toujours moins intéressant que ce qui se passe derrière une vitre. Dans ce trou noir ou lumineux vit la vie, rêve la vie, souffre la vie.

Par-delà des vagues de toits, j'aperçois une femme mûre, ridée déjà, pauvre, toujours penchée sur quelque chose, et qui ne sort jamais. Avec son visage, avec son vêtement, avec son geste, avec presque rien, j'ai refait l'histoire de cette femme, ou plutôt sa légende, et quelquefois je me la raconte à moi-même en pleurant.

Si c'eût été un pauvre vieux homme, j'aurais refait la sienne tout aussi aisément.Et je me couche, fier d'avoir vécu et souffert dans d'autres que moi-même.Peut-être me direz-vous : « Es-tu sûr que cette légende soit la vraie ?» Qu'importe ce que

peut être la réalité placée hors de moi, si elle m'a aidé à vivre, à sentir que je suis et ce que je suis.

Charles BAUDELAIRE (1821-1867), Le Spleen de Paris (1869), XXXV.

Les doublets en vers et en prosedans Les Fleurs du Mal (1857) et dans Le Spleen de Paris (1869)

XXIII - La Chevelure

O toison, moutonnant jusque sur l'encolure !O boucles ! O parfum chargé de nonchaloir !Extase ! Pour peupler ce soir l'alcôve obscureDes souvenirs dormant dans cette chevelure,

Je la veux agiter dans l'air comme un mouchoir !

La langoureuse Asie et la brûlante Afrique,Tout un monde lointain, absent, presque défunt,

Vit dans tes profondeurs, forêt aromatique !Comme d'autres esprits voguent sur la musique,Le mien, ô mon amour ! nage sur ton parfum.

J'irai là-bas où l'arbre et l'homme, pleins de sève,Se pâment longuement sous l'ardeur des climats ;

Fortes tresses, soyez la houle qui m'enlève !Tu contiens, mer d'ébène, un éblouissant rêveDe voiles, de rameurs, de flammes et de mâts :

Un port retentissant où mon âme peut boireA grands flots le parfum, le son et la couleur

Où les vaisseaux, glissant dans l'or et dans la moireOuvrent leurs vastes bras pour embrasser la gloire

D'un ciel pur où frémit l'éternelle chaleur.

Je plongerai ma tête amoureuse d'ivresseDans ce noir océan où l'autre est enfermé ;Et mon esprit subtil que le roulis caresseSaura vous retrouver, ô féconde paresse,Infinis bercements du loisir embaumé !

Cheveux bleus, pavillon de ténèbres tenduesVous me rendez l'azur du ciel immense et rond ;

Sur les bords duvetés de vos mèches torduesJe m'enivre ardemment des senteurs confondues

De l'huile de coco, du musc et du goudron.

Longtemps ! Toujours ! ma main dans ta crinière lourdeSèmera le rubis, la perle et le saphir,

Afin qu'à mon désir tu ne sois jamais sourde !N'es-tu pas l'oasis où je rêve, et la gourde

Où je hume à longs traits le vin du souvenir ?

Charles BAUDELAIRE (1821-1867), Les Fleurs du Mal (1857).

UN HÉMISPHÈRE DANS UNE CHEVELURE

Laisse-moi respirer longtemps, longtemps, l'odeur de tes cheveux, y plonger tout mon visage, comme un homme altéré dans l'eau d'une source, et les agiter avec ma main comme un mouchoir odorant, pour secouer des souvenirs dans l'air.

Si tu pouvais savoir tout ce que je vois ! tout ce que je sens ! tout ce que j'entends dans tes cheveux ! Mon âme voyage sur le parfum comme l'âme des autres hommes sur la musique.

Tes cheveux contiennent tout un rêve, plein de voitures et de mâtures ; ils contiennent de grandes mers dont les moussons me portent vers de charmants climats, où l'espace est plus bleu et plus profond, où l'atmosphère est parfumée par les fruits, par les feuilles et par la peau humaine.

Dans l'océan de ta chevelure, j'entrevois un port fourmillant de chants mélancoliques, d'hommes vigoureux de toutes nations et de navires de toutes formes découpant leurs architectures fines et compliquées sur un ciel immense où se prélasse l'éternelle chaleur.

Dans les caresses de ta chevelure, je retrouve les langueurs des longues heures passées sur un divan, dans la chambre d'un beau navire, bercées par le roulis imperceptible du port, entre les pots de fleurs et les gargoulettes rafraîchissantes.

Dans l'ardent foyer de ta chevelure, je respire l'odeur du tabac mêlé à l'opium et au sucre ; dans la nuit de ta chevelure, je vois resplendir l'infini de l'azur tropical ; sur les rivages duvetés de ta chevelure je m'enivre des odeurs combinées du goudron, du musc et de l'huile de coco.

Laisse-moi mordre longtemps tes tresses lourdes et noires. Quand je mordille tes cheveux élastiques et rebelles, il me semble que je mange des souvenirs.

Charles BAUDELAIRE (1821-1867), Le Spleen de Paris (1869), XVII.

La préface du Spleen de Paris (1869) de Charles Baudelaire

A Arsène Houssaye

Mon cher ami, je vous envoie un petit ouvrage dont on ne pourrait pas dire, sans injustice, qu'il n'a ni queue, ni tête, puisque tout, au contraire y est à la fois tête et queue, alternativement et réciproquement. Considérez, je vous prie, quelles admirables commodités cette combinaison nous offre à tous, à vous, à moi et au lecteur. Nous pouvons couper où nous voulons, moi ma rêverie vous le manuscrit, le lecteur sa lecture. Enlevez une vertèbre, et les deux morceaux de cette tortueuse fantaisie se rejoindront sans peine. Hachez-la en nombreux fragments, et vous verrez que chacun peut exister à part. Dans l'espérance que quelques-uns de ces tronçons seront assez vivants pour vous plaire et vous amuser, j'ose vous dédier l'ensemble du serpent tout entier.

J'ai une petite confession à vous faire. C'est en feuilletant, pour la vingtième fois au moins, le fameux Gaspard de la nuit d'Aloysius Bertrand (un livre connu de vous, de moi, et de quelques-uns de nos amis, n'a-t-il pas tous les droits d'être appelé fameux ?), que l'idée m'est venue de tenter quelque chose d'analogue, et d'appliquer à la description de la vie moderne, ou plutôt d'une vie moderne et plus abstraite, le procédé qu'il avait appliqué à la peinture de la vie ancienne, si étrangement pittoresque.

Quel est celui de nous qui n'a pas, dans ses jours d'ambition, rêvé le miracle d'une prose poétique, musicale sans rythme et sans rime, assez souple et assez heurtée pour s'adapter aux mouvements lyriques de l'âme, aux ondulations de la rêverie, aux soubresauts de la conscience ?

C'est surtout de la fréquentation des villes énormes, c'est du croisement de leurs innombrables rapports que naît cet idéal obsédant. Vous-même, mon cher ami, n'avez-vous pas tenté de traduire en une chanson le cri strident du Vitrier, et d'exprimer dans une prose lyrique toutes les désolantes suggestions que ce cri envoir jusqu'aux mansardes, à travers les plus hautes brumes de la rue ?

Mais, pour dire le vrai, je crains que ma jalousie ne m'ait pas porté bonheur. Sitôt que j'eus commencé le travail, je m'aperçus que non-seulement je restais bien loin de mon mystérieux et brillant modèle, mais encore que je faisais quelque chose (si cela peut s'appeler quelque chose) de singulièrement différent, accident dont tout autre que moi s'enorgueillirait sans doute, mais qui ne peut qu'humilier profondément un esprit qui regarde comme le plus honneur du poëte d'accomplir juste ce qu'il a projeté de faire.

Votre bien affectionné,

C.B.

La liberté poétique, de Rimbaud à Réda

Texte A : Arthur Rimbaud, « Le Buffet ». Poésies, 1870.

Le Buffet

C'est un large buffet sculpté ; le chêne sombre,Très vieux, a pris cet air si bon des vieilles gens ;Le buffet est ouvert, et verse dans son ombreComme un flot de vin vieux, des parfums engageants ;

Tout plein, c'est un fouillis de vieilles vieilleries,De linges odorants et jaunes, de chiffonsDe femmes ou d'enfants, de dentelles flétries,De fichus6 de grand-mère où sont peints des griffons ;

- C'est là qu'on trouverait les médaillons, les mèchesDe cheveux blancs ou blonds, les portraits, les fleurs sèchesDont le parfum se mêle à des parfums de fruits.

- O buffet du vieux temps, tu sais bien des histoires,Et tu voudrais conter tes contes, et tu bruis7

Quand s'ouvrent lentement tes grandes portes noires.

Texte B : Paul Verlaine, « Le piano que baise une main frêle... », Romances sans paroles, 1874.

Le piano que baise une main frêleLuit dans le soir rose et gris vaguement,Tandis qu'avec un très léger bruit d'aileUn air bien vieux, bien faible et bien charmantRôde discret, épeuré8 quasiment,Par le boudoir9 longtemps parfumé d'Elle.

Qu'est-ce que c'est que ce berceau soudainQui lentement dorlote mon pauvre être ?Que voudrais-tu de moi, doux Chant badin10 ?Qu'as-tu voulu, fin refrain incertainQui vas tantôt mourir vers la fenêtreOuverte un peu sur le petit jardin ?

6 Fichus : foulards.7 Bruire : produire un son confus.8 Apeuré.9 Petite pièce dans laquelle la maîtresse de maison se retire pour être seule ou s'entretenir avec des intimes.10 Léger, gai.

Texte C : Francis Ponge, « La Valise », Pièces, 1961.

La Valise

Ma valise m'accompagne au massif de la Vanoise, et déjà ses nickels11 brillent et son cuir épais embaume. Je l'empaume12, je lui flatte le dos, l'encolure et le plat. Car ce coffre comme un livre plein d'un trésor de plis blancs : ma vêture13 singulière, ma lecture familière et mon plus simple attirail, oui, ce coffre comme un livre est aussi comme un cheval, fidèle contre mes jambes, que je selle, je harnache, pose sur un petit banc, selle et bride, bride et sangle ou dessangle dans la chambre de l'hôtel proverbial.

Oui, au voyageur moderne sa valise en somme reste comme un reste de cheval.

Texte D : Jacques Réda, « La Bicyclette », Retour au Calme, 1989.

Passant dans la rue un dimanche à six heures, soudain,Au bout d’un corridor ferme de vitres en losange,On voit un torrent de soleil qui roule entre des branchesEt se pulverise à travers les feuilles d’un jardin,Avec des eclats palpitants au milieu du pavageEt des gouttes d’or — en suspens aux rayons d’un velo.C’est un grand velo noir, de proportions parfaites,Qui touche à peine au mur. Il a la grâce d’une bêteEn eveil dans sa fxite calme : c’est un oiseau.La rue est vide. Le jardin continue en silenceDe deverser à fots ce feu vert et dore qui dansePieds nus, à petits pas legers sur le froid du carreau.Parfois un chien aboie ainsi qu’aux abords d’un village.On pense à des murs ecroules, à des bois, des etangs.La bicyclette vibre alors, on dirait qu’elle entend.Et voudrait-on s’en emparer, puisque rien ne l’entrave,On devine qu’avant d’avoir effeure le guidonÉblouissant, on la verrait s’enlever d’un seul bondÀ travers le vitrage à demi noye qui chancelle,Et lancer dans le feu du soir les grappes d’etincellesQui font à present de ses roues deux astres en fusion.

11 Ferrures en métal blanc argenté.12 Prendre dans la paume de la main.13 Habit, vêtement.

Caillebotte, Le Pont de l'Europe (1875)

et Rue de Paris, temps de pluie (1877)

Caillebotte, Le Pont de l'Europe (1875)

Caillebotte, Rue de Paris, temps de pluie (1877)

Lecture analytique n° 13 : Voltaire, « Prière à Dieu »

Conçu initialement pour réparer l’erreur judiciaire à l’origine de l’affaire Calas, cet ouvrage acquiert progressivement une portée universelle, devenant un plaidoyer en faveur de la tolérance.

Prière à DieuCe n’est donc plus aux hommes que je m’adresse ; c’est à toi, Dieu de tous les

êtres, de tous les mondes et de tous les temps : s’il est permis à de faibles créatures perdues dans l’immensité, et imperceptibles au reste de l’univers, d’oser te demander quelque chose, à toi qui a tout donné, à toi dont les décrets sont immuables comme éternels, daigne regarder en pitié les erreurs attachées à notre nature ; que ces erreurs ne fassent point nos calamités. Tu ne nous as point donné un cœur pour nous haïr, et des mains pour nous égorger ; fais que nous nous aidions mutuellement à supporter le fardeau d’une vie pénible et passagère ; que les petites différences entre les vêtements qui couvrent nos débiles corps, entre tous nos langages insuff isants, entre tous nos usages ridicules, entre toutes nos lois imparfaites, entre toutes nos opinions insensées, entre toutes nos conditions si disproportionnées à nos yeux, et si égales devant toi ; que toutes ces petites nuances qui distinguent les atomes appelés hommes ne soient pas des signaux de haine et de persécution ; que ceux qui allument des cierges en plein midi pour te célébrer supporte ceux qui se contentent de la lumière de ton soleil ; que ceux qui couvrent leur robe d’une toile blanche pour dire qu’il faut t’aimer ne détestent pas ceux qui disent la même chose sous un manteau de laine noire ; qu’il soit égal de t’adorer dans un jargon formé d’une ancienne langue, ou dans un jargon

plus nouveau ; que ceux dont l’habit est teint en rouge ou en violet, qui dominent sur une petite parcelle d’un petit tas de boue de ce monde, et qui possèdent quelques fragments arrondis d’un certain métal, jouissent sans orgueil de ce qu’ils appellent grandeur et richesse, et que les autres les voient sans envie : car tu sais qu’il n’y a dans ces vanités ni envier, ni de quoi s’enorgueillir.

Puissent tous les hommes se souvenir qu’ils sont frères ! Qu’ils aient en horreur la tyrannie exercée sur les âmes, comme ils ont en exécration le brigandage qui ravit par la force le fruit du travail et de l’industrie paisible ! Si les fléaux de la guerre sont inévitables, ne nous haïssons pas, ne nous déchirons pas les uns les autres dans le sein de la paix, et employons l’instant de notre existence à bénir également en mille langages divers, depuis Siam jusqu'à la Californie, ta bonté qui nous a donné cet instant.

Voltaire, Traité sur la tolérance, « Prière à Dieu », chapitre XXIII (1763)

Lecture analytique n° 14 : Beaumarchais, Le Mariage de Figaro

L’acte V de cette comédie se passe dans le parc du château d’Aguas-Fescas, en Espagne, demeure du comte et de la comtesse Almaviva. Figaro, serviteur du comte, doit épouser Suzanne, la femme de chambre de la comtesse. Cependant, le comte est amoureux de Suzanne, dont il voudrait faire sa maîtresse. Afin de regagner l’amour de son mari, la comtesse a imaginé un stratagème : elle a fait écrire par Suzanne un billet donnant rendez-vous au comte le soir même sous les grands marronniers ; c’est elle qui sera au rendez-vous, déguisée en Suzanne. Mais, à l’acte IV, Figaro a vu ce billet et acquis la conviction que Suzanne veut effectivement le tromper. Il attend ici l’arrivée du comte au rendez-vous donné… Dans ce long monologue, Figaro exprime son désarroi mais aussi sa colère contre l’injustice…

Figaro

Parce que vous êtes un grand seigneur, vous vous croyez un grand génie !... Noblesse, fortune, un rang, des places, tout cela rend si fier ! Qu'avez-vous fait pour tant de biens ? Vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus : du reste, homme assez ordinaire ! tandis que moi, morbleu ! perdu dans la foule obscure, il m'a fallu déployer plus de science et de calculs pour subsister seulement qu'on n'en a mis depuis cent ans à gouverner toutes les Espagnes14 ; et vous voulez jouter ... On vient... c'est elle... ce n'est personne. - La nuit est noire en diable, et me voilà faisant le sot métier de mari, quoique je ne le sois qu'à moitié ! (Il s'assied sur un banc.) Est-il rien de plus bizarre que ma destinée ? Fils de ne je sais pas qui, volé par des bandits, élevé dans leurs moeurs, je m'en dégoûte et veux courir une carrière honnête ; et partout je suis repoussé ! J'apprends la chimie, la pharmacie, la chirurgie, et tout le crédit d'un grand seigneur peut à peine me mettre à la main une lancette vétérinaire ! - Las d'attrister des bêtes malades, et pour faire un métier contraire, je me jette à corps perdu dans le théâtre : me fussé-je mis une pierre au cou ! Je broche une comédie dans15 les moeurs du sérail ; auteur espagnol, je crois pouvoir y fronder Mahomet sans scrupule : à l'instant un envoyé... de je ne sais où se plaint que j'offense dans mes vers la Sublime Porte16, la Perse, une partie de la presqu'île de l'Inde, toute l'Égypte, les royaumes de Barca17, de Tripoli, de Tunis, d'Alger et de Maroc : et voilà ma comédie flambée, pour plaire aux princes mahométans, dont pas un, je crois, ne sait lire, et qui nous meurtrissent l'omoplate en nous disant : chiens de chrétiens ! - Ne pouvant avilir l'esprit, on se venge en le maltraitant. - Mes joues creusaient18 ; mon terme était échu ; je voyais de loin arriver l'affreux recors19, la plume fichée dans sa perruque ; en frémissant je m'évertue. Il s'élève une question20 sur la nature des richesses et comme il n'est pas nécessaire de tenir les choses pour en

14 Les anciens royaumes composant l’Espagne.15 Dans : sur.16 Porte majestueuse à Istambul menant au palais du Grand Vizir, et, par extension, siège du gouvernement ottoman.17 Barca : la Cyrénaïque, au nord-est de l’actuelle Lybie.18 Se creusaient.19 Recors : huissier.20 Question : débat.

raisonner, n'ayant pas un sol, j'écris sur la valeur de l'argent et sur son produit net, sitôt je vois, du fond d'un fiacre, baisser pour moi le pont d'un château fort, à l'entrée duquel je laissai l'espérance et la liberté. (Il se lève.) Que je voudrais bien tenir un de ces puissants de quatre jours, si légers sur le mal qu'ils ordonnent, quand une bonne disgrâce a cuvé son orgueil ! Je lui dirais... que les sottises imprimées n'ont d'importance qu'aux lieux où l'on en gêne le cours ; que, sans la liberté de blâmer, il n'est point d'éloge flatteur ; et qu'il n'y a que les petits hommes qui redoutent les petits écrits. (Il se rassied.)

Beaumarchais, Le Mariage de Figaro, Acte V, scène 3 (extrait) (1781)

Lecture analytique n° 15 : Victor Hugo, « Fable ou histoire »

Fable ou histoire

Un jour, maigre et sentant un royal appétit,Un singe d'une peau de tigre se vêtit.Le tigre avait été méchant ; lui, fut atroce.Il avait endossé le droit d'être féroce.Il se mit à grincer des dents, criant : Je suisLe vainqueur des halliers, le roi sombre des nuits !Il s'embusqua, brigand des bois, dans les épinesIl entassa l'horreur, le meurtre, les rapines,Egorgea les passants, dévasta la forêt,Fit tout ce qu'avait fait la peau qui le couvrait.Il vivait dans un antre, entouré de carnage.Chacun, voyant la peau, croyait au personnage.Il s'écriait, poussant d'affreux rugissements :Regardez, ma caverne est pleine d'ossements ;Devant moi tout recule et frémit, tout émigre,Tout tremble ; admirez-moi, voyez, je suis un tigre !Les bêtes l'admiraient, et fuyaient à grands pas.Un belluaire vint, le saisit dans ses bras,Déchira cette peau comme on déchire un linge,Mit à nu ce vainqueur, et dit : Tu n'es qu'un singe !Jersey, le 6 novembre 1852.

Victor Hugo, « Fable ou histoire », Les Châtiments (1852)

Lecture analytique n° 16 : Emile Zola, Germinal

[Le roman Germinal est une peinture puissante de la vie misérable des mineurs de la deuxième moitié du XIXe siècle. Il met en scène un confit dramatique entre les mineurs en grève et la compagnie minière. L'ouvrier Etienne Lantier, renvoyé de son atelier pour ses opinions contestataires, prend contact, dans son nouveau travail à la mine, avec tout un monde de souffrances et d'injustices. Une grève se déclenche, dont il prend la tête. Dans ce chapitre 7, Etienne tient une réunion clandestine, la nuit, dans la forêt, et incite les mineurs à poursuivre la grève.]

Un silence profond tomba du ciel étoilé. La foule, qu’on ne voyait pas, se taisait dans la nuit, sous sette parole qui lui étouffait le coeurv; et l’on n’entendait que son souff le désespéré, au travers des arbres.

Mais Etienne déjà, continuait d’une voix changée. Ce n’était plus le secrétaire de l’association qui parlait, c’était le chef de la bande, l’apôtre apportant la vérité. Est-ce qu’il se trouvait des laches pour manquer à leurs parole ? Quoi ! depuis un mois, on aurait souffert inutilement, on retournerait aux fosses, la tête basse, et l’eternelle misére recommencerait ! Ne valait-il pas mieux mourrrir tout de suite, en essayant de détruire cete tyrannie du capital qui affamait le travailleur ? Toujours se soumettre devant la faim jusqu’au moment ou la faim, de nouveau, jetait les plus calmes à la révolte, n’était-ce pas un jeu stupide qui ne pourrait durer d’avantatge ? Et il montrait les mineurs exploités, supportant à eux seuls les désastres des crises, réduits à ne plus manger, dés que les nécessités de la concurrence abaissaient le prix de revient. Non! le tarif de boisage n’était pas acceptable, il n’y avait là qu’une économie déguisée, on voulait voler a chaque homme une heure de son travail par jour. C’était trop cette fois, le temps venait où les misérables, poussés à bout, feraient justice.

La foule, à ce mot de justice, secouée d’un long frisson, éclata en applaudissements, qui roulaient avec un bruit de feuilles sèches. Des voix criaient :

« Justice ! … Il est temps, justice ! »Peu à peu, Etienne s’échauffait. Il n’avait pas l’abondance facile et coulante de

Rasseneur. Les mots lui manquaient. Souvent, il devait torturer sa phrase, il en sortait par un effort qu’il appuyait d’un coup d’épaule. Seulement, à ces heurts continuels, il rencontrait des images d’une énergie familière, qui empoignaient son auditoire ; tandis que ses gestes d’ouvrier au chantier, ses coudes rentrés, puis détendus et lançant les poings en avant, sa mâchoire brusquement avancée, comme pour mordre, avaient eux aussi une action extraordinaire sur les camarades. Tous le disaient, il n’était pas grand, mais il se faisait écouter.

« Le salariat est une forme nouvelle de l’esclavage, reprit-il d’une voix plus vibrante. La mine doit être au mineur, comme la mer est au pêcheur, comme la terre est au paysan… Entendez-vous ! la mine vous appartient, à vous tous qui, depuis un siècle, l’avez payée de tant de sang et de misère ! »

Emile Zola, Germinal, Quatrième partie, Chapitre 7 (1877).Groupement de textes : utopies

Texte 1 : Thomas More, L’Utopie (Livre II) 1516, extrait, traduction M. Delcourt, éd. Gf Flammarion, 1987

Dans ce texte, Thomas More propose une ville parfaite, inspirée de la vision littéraire des villes antiques : l’urbaniste s’inspire des villes romaines et de la vie sociale des Spartes car ils mettent tout en commun.

La ville est reliée à la rive opposée par un pont qui n'est pas soutenu par des piliers ou des pilotis, mais par un ouvrage en pierre d'une fort belle courbe. Il se trouve dans la partie de la ville qui est la plus éloignée de la mer, afin de ne pas gêner les vaisseaux qui longent les rives. Une autre rivière, peu importante mais paisible et agréable à voir, a ses sources sur la hauteur même où est située Amaurote, la traverse en épousant la pente et mêle ses eaux, au milieu de la ville, à celles de l'Anydre. Cette source, qui est quelque peu en dehors de la cité, les gens d'Amaurote l'ont entourée de remparts et incorporée à la forteresse, afin qu'en cas d'invasion elle ne puisse être ni coupée ni empoisonnée. De là, des canaux en terre cuite amènent ses eaux dans les différentes parties de la ville basse. Partout où le terrain les empêche d'arriver, de vastes citernes recueillent l'eau de pluie et rendent le même service.

Un rempart haut et large ferme l'enceinte, coupé de tourelles et de boulevards ; un fossé sec mais profond et large, rendu impraticable par une ceinture de buissons épineux, entoure l'ouvrage de trois côtés ; le fleuve occupe le quatrième.

Les rues ont été bien dessinées, à la fois pour servir le trafic et pour faire obstacle aux vents. Les constructions ont bonne apparence. Elles forment deux rangs continus, constitués par les façades qui se font vis-à-vis, bordant une chaussée de vingt pieds de large. Derrière les maisons, sur toute la longueur de la rue, se trouve un vaste jardin, borné de tous côtés par les façades postérieures.

Chaque maison a deux portes, celle de devant donnant sur la rue, celle de derrière sur le jardin. Elles s'ouvrent d'une poussée de main, et se referment de même, laissant entrer le premier venu. Il n'est rien là qui constitue un domaine privé. Ces maisons en effet changent d'habitants, par tirage au sort, tous les dix ans. Les Utopiens entretiennent admirablement leurs jardins, où ils cultivent des plants de vigne, des fruits, des légumes et des fleurs d'un tel éclat, d'une telle beauté que nulle part ailleurs je n'ai vu pareille abondance, pareille harmonie. Leur zèle est stimulé par le plaisir qu'ils en retirent et aussi par l'émulation, les différents quartiers luttant à l'envi à qui aura le jardin le mieux soigné. Vraiment, on concevrait diff icilement, dans toute une cité, une occupation mieux faite pour donner à la fois du profit et de la joie aux citoyens et, visiblement, le fondateur n'a apporté à aucune autre chose une sollicitude plus grande qu'à ces jardins.

Texte 2 : François Rabelais, Gargantua, chapitre 57, 1534

Pour récompenser Frère Jean des Entommeures d’avoir combattu à ses côtés, Gargantua a fait bâtir l’abbaye de Thélème.

Comment était réglé le mode de vie des Thélémites

Toute leur vie était régie non par des lois, des statuts ou des règles, mais selon leur volonté et leur libre arbitre. I ls sortaient du lit quand bon leur semblait, buvaient, mangeaient, travaillaient, dormaient quand le désir leur en venait. Nul ne les éveillait, nul ne les obligeait à boire ni à manger, ni à faire quoi que ce soit. Ainsi en avait décidé Gargantua. Et leur règlement se limitait à cette clause :

FAIS CE QUE TU VOUDRAS,

parce que les gens libres, bien nés, bien éduqués, vivant en bonne société, ont naturellement un instinct, un aiguillon qu'ils appellent honneur et qui les pousse toujours à agir vertueusement et les éloigne du vice. Quand ils sont affaiblis et asservis par une vile sujétion ou une contrainte, ils utilisent ce noble penchant, par lequel ils aspiraient librement à la vertu, pour se défaire du joug de la servitude et pour lui échapper, car nous entreprenons toujours ce qui est défendu et convoitons ce qu'on nous refuse.

Grâce à cette liberté, ils rivalisèrent d'efforts pour faire tous ce qu'ils voyaient plaire à un seul. Si l'un ou l'une d'entre eux disait : « buvons », tous buvaient ; si on disait : « jouons », tous jouaient ; si on disait : « allons nous ébattre aux champs », tous y allaient. Si c'était pour chasser au vol ou à courre, les dames montées sur de belles haquenées, avec leur fier palefroi, portaient chacune sur leur poing joliment ganté un épervier, un lanier, un émerillon, les hommes portaient les autres oiseaux.

Ils étaient si bien éduqués qu'il n'y avait aucun ni aucune d'entre eux qui ne sache lire, écrire, chanter, jouer d'instruments de musique, parler cinq ou six langues et s'en servir pour composer en vers aussi bien qu'en prose. Jamais on ne vit des chevaliers si preux, si nobles, si habiles à pied comme à cheval, aussi vigoureux, aussi vifs et maniant aussi bien toutes les armes, que ceux qui se trouvaient là. Jamais on ne vit des dames aussi élégantes, aussi mignonnes, moins désagréables, plus habiles de leurs doigts à tirer l'aiguille et à s'adonner à toute activité convenant à une femme noble et libre, que celles qui étaient là.

Pour ces raisons, quand le temps était venu pour un des membres de l'abbaye d'en sortir, soit à la demande de ses parents, soit pour d'autres motifs, il emmenait avec lui une des dames, celle qui l'avait choisi pour chevalier servant, et on les mariait ensemble. Et s'ils avaient bien vécu à Thélème dans le dévouement et l'amitié, ils cultivaient encore mieux ces vertus dans le mariage ; leur amour mutuel était aussi fort à la fin de leurs jours qu'aux premiers temps de leurs noces.

Texte 3 : Voltaire, Candide ou l’optimisme, 1759, chapitre XVIII. Candide et son ami Cacambo viennent d’arriver dans le pays d’Eldorado.

Candide et Cacambo montent en carrosse ; les six moutons volaient, et en moins de quatre heures on arriva au palais du roi, situé à un bout de la capitale. Le portail était de deux cent vingt pieds de haut, et de cent de large ; il est impossible d’exprimer quelle en était la matière. On voit assez quelle supériorité prodigieuse elle devait avoir sur ces cailloux et sur ce sable que nous nommons or et pierreries. Vingt belles filles de la garde reçurent Candide et Cacambo à la descente du carrosse, les conduisirent aux bains, les vêtirent de robes d’un tissu de duvet de colibri1 ; après quoi les grands off iciers et les grandes off icières de la couronne les menèrent à l’appartement de sa majesté au milieu de deux files, chacune de mille musiciens, selon l’usage ordinaire. Quand ils approchèrent de la salle du trône, Cacambo demanda à un grand off icier comment il fallait s’y prendre pour saluer sa majesté : si on se jetait à genoux ou ventre à terre ; si on mettait les mains sur la tête ou sur le derrière ; si on léchait la poussière de la salle : en un mot, quelle était la cérémonie. L’usage, dit le grand-off icier, est d’embrasser le roi et de le baiser des deux côtés. Candide et Cacambo sautèrent au cou de sa majesté, qui les reçut avec toute la grâce imaginable, et qui les pria poliment à souper.

En attendant, on leur fit voir la ville, les édif ices publics élevés jusqu’aux nues, les marchés ornés de mille colonnes, les fontaines d’eau pure, les fontaines d’eau rose, celles de liqueurs de cannes de sucre qui coulaient continuellement dans de grandes places pavées d’une espèce de pierreries qui répandaient une odeur semblable à celle du girof le et de la cannelle. Candide demanda à voir la cour de justice, le parlement ; on lui dit qu’il n’y en avait point, et qu’on ne plaidait jamais. Il s’informa s’il y avait des prisons, et on lui dit que non. Ce qui le surprit davantage, et qui lui fit le plus de plaisir, ce fut le palais des sciences, dans lequel il vit une galerie de deux mille pas, toute pleine d’instruments de mathématiques et de physique.

Note : 1. Oiseau minuscule des régions tropicales américaines, au plumage éclatant.

Texte 4 : Georges ORWELL, La Ferme des animaux, 1945.

La Ferme des animaux (Animal Farm) est un apologue décrivant une ferme dans laquelle les animaux se révoltent puis prennent le pouvoir et chassent les hommes

Tous les animaux étaient maintenant au rendez-vous - sauf Moïse, un corbeau apprivoisé qui sommeillait sur un perchoir, près de la porte de derrière - et les voyant à l’aise et bien attentifs, Sage l’Ancien se racla la gorge puis commença en ces termes :

« (…) Quelle est donc, camarades, la nature de notre existence ? Regardons les choses en face nous avons une vie de labeur, une vie de misère, une vie trop brève. Une fois au monde, il nous est tout juste donné de quoi survivre, et ceux d’entre nous qui ont la force voulue sont astreints au travail jusqu’à ce qu’ils rendent l’âme. Et dans l’instant que nous cessons d’être utiles, voici qu’on nous égorge avec une cruauté inqualif iable. Passée notre première année sur cette terre, il n’y a pas un seul animal qui entrevoie ce que signif ient des mots comme loisir ou bonheur. Et quand le malheur l’accable, ou la servitude, pas un animal qui soit libre. Telle est la simple vérité.

« Et doit-il en être tout uniment ainsi par un décret de la nature ? Notre pays est-il donc si pauvre qu’il ne puisse procurer à ceux qui l’habitent une vie digne et décente ? Non, camarades, mille fois non ! Fertile est le sol de l’Angleterre et propice son climat. Il est possible de nourrir dans l’abondance un nombre d’animaux bien plus considérable que ceux qui vivent ici. Cette ferme à elle seule pourra pourvoir aux besoins d’une douzaine de chevaux, d’une vingtaine de vaches, de centaine de moutons - tous vivant dans l’aisance une vie honorable. Le hic, c’est que nous avons le plus grand mal à imaginer chose pareille. Mais, puisque telle est la triste réalité, pourquoi en sommes-nous toujours à végéter dans un état pitoyable ? Parce que tout le produit de notre travail, ou presque, est volé par les humains ; Camarades, là se trouve la réponse à nos problèmes. Tout tient en un mot : l’Homme Car l’Homme est notre seul véritable ennemi Qu’on le supprime, et voici extirpée la racine du mal. Plus à trimer sans relâche ! Plus de meurt-la-faim !

« L’Homme est la seule créature qui consomme sans produire. I l ne donne pas de lait, il ne pond pas d’œufs, il est trop débile pour pousser la charrue, bien trop lent pour attraper un lapin. Pourtant le voici le suzerain de tous les animaux. Il distribue les tâches : entre eux, mais ne leur donne en retour que la maigre pitance qui les maintient en vie. Puis il garde pour lui le surplus. Qui laboure le sol : Nous ! Qui le féconde ? Notre fumier ! Et pourtant pas un parmi nous qui n’ait que sa peau pour tout bien. Vous, les vaches là devant moi, combien de centaines d’hectolitres de lait n’avez-vous pas produit l’année dernière ? Et qu’est-il advenu de ce lait qui vous aurait permis d’élever vos petits, de leur donner force et vigueur ? De chaque goutte l’ennemi s’est délecté et rassasié. Et vous les poules, combien d’œufs n’avez-vous pas pondus cette année-ci ? Et combien de ces œufs avez-vous couvés ? Tous les autres ont été vendus au marché, pour enrichir Jones et ses gens ! Et toi, Douce, où sont les quatre poulains que tu as portés, qui auraient été la consolation de tes vieux jours ? Chacun d’eux fut vendu à l’âge d’un an, et plus jamais tu ne les reverras ! En échange de tes quatre maternités et du travail aux champs, que t’a-t-on donné ? De strictes rations de foin plus un box dans l’étable ! »

Groupement de textes : les combats des Lumières

Texte 1 : César Chesneau Dumarsais - Article « philosophe » (extrait) de L'Encyclopedie (1751-1772)

Les autres hommes sont déterminés à agir sans sentir ni connaître les causes qui les font mouvoir, sans même songer qu'il y en ait. Le philosophe au contraire démêle les causes autant qu'il est en lui, et souvent même les prévient, et se livre à elles avec connaissance : c'est une horloge qui se monte, pour ainsi dire, quelquefois elle-même. Ainsi il évite les objets qui peuvent lui causer des sentiments qui ne conviennent ni au bien-être, ni à l'être raisonnable, et cherche ceux qui peuvent exciter en lui des affections convenables à l'état où il se trouve. La raison est à l'égard du philosophe ce que la grâce est à l'égard du chrétien. La grâce détermine le chrétien à agir ; la raison détermine le philosophe.

Les autres hommes sont emportés par leurs passions, sans que les actions qu'ils font soient précédées de la réflexion : ce sont des hommes qui marchent dans les ténèbres ; au lieu que le philosophe, dans ses passions mêmes, n'agit qu'après la réflexion; il marche la nuit, mais il est précédé d'un flambeau.

La vérité n'est pas pour le philosophe une maîtresse qui corrompe son imagination, et qu'il croie trouver partout ; il se contente de la pouvoir démêler où il peut l'apercevoir. Il ne la confond point avec la vraisemblance ; il prend pour vrai ce qui est vrai, pour faux ce qui est faux, pour douteux ce qui est douteux, et pour vraisemblance ce qui n'est que vraisemblance. Il fait plus, et c'est ici une grande perfection du philosophe, c'est que lorsqu'il n'a point de motif pour juger, il sait demeurer indéterminé […]

L'esprit philosophique est donc un esprit d'observation et de justesse, qui rapporte tout à ses véritables principes ; mais ce n'est pas l'esprit seul que le philosophe cultive, il porte plus loin son

attention et ses soins.

L'homme n'est point un monstre qui ne doive vivre que dans les abîmes de la mer ou dans le fond d'une forêt : les seules nécessités de la vie lui rendent le commerce des autres nécessaire et dans quelqu'état où il puisse se trouver, ses besoins et le bien-être l'engagent à vivre en société. Ainsi la raison exige de lui qu'il connaisse, qu'il étudie, et qu'il travaille à acquérir les qualités sociables.

Notre philosophe ne se croit pas en exil dans ce monde ; il ne croit point être en pays ennemi; il veut jouir en sage économe des biens que la nature lui offre; il veut trouver du plaisir avec les autres; et pour en trouver, il faut en faire ainsi il cherche à convenir à ceux avec qui le hasard ou son choix le font vivre et il trouve en même temps ce qui lui convient: c'est un honnête homme qui veut plaire et se rendre utile […]

Le vrai philosophe est donc un honnête homme qui agit en tout par raison, et qui joint à un esprit de réf lexion et de justesse les mœurs et les qualités sociales. Entez un souverain sur un philosophe d’une telle trempe, et vous aurez un souverain parfait.

Texte 2 : Emmanuel Kant, Qu’est-ce que les lumières ? , 1784.

Les lumières, c’est pour l’homme sortir d’une minorité qui n’est imputable qu’à lui. La minorité, c’est l’incapacité de se servir de son entendement sans la tutelle d’un autre. C’est à lui seul qu’est imputable cette minorité dès lors qu’elle ne procède pas du manque d’entendement, mais du manque de résolution et de courage nécessaires pour se servir de son entendement sans la tutelle d’autrui. Sapere aude ! Aie le courage de te servir de ton propre entendement : telle est donc la devise des Lumières.

La paresse et la lâcheté sont causes qu’une si grande partie des hommes affranchis depuis longtemps par la nature de toute tutelle étrangère, se plaisent cependant à rester leur vie durant des mineurs ; et c’est pour cette raison qu’il est si aisé à d’autre de s’instituer leurs tuteurs. I l est si commode d’être mineur. Si j’ai un livre qui a de l’entendement pour moi , un directeur spirituel qui a de la conscience pour moi, un médecin qui pour moi décide de mon régime etc., je n’ai pas besoin de faire des efforts moi-même. Je ne suis point obligé de réfléchir, si payer suff i t ; et d’autres se chargeront pour moi l’ennuyeuse besogne. […]

Il est donc diff icile pour tout homme pris individuellement de se dégager de cette minorité devenue comme une seconde nature. Il s’y est même attaché et il est alors réellement incapable de se servir de son entendement parce qu’on ne le laissa jamais en fait l’essai. Préceptes et formules, ces instruments mécaniques destinés à l’usage raisonnable ou plutôt au mauvais usage de ses dons naturels, sont les entraves de cet état de minorité qui se perpétue.

Mais qui les rejetterait ne ferait cependant qu’un saut mal assuré au-dessus du fossé même plus étroit, car il n’a pas l’habitude d’une telle liberté de mouvement. Aussi sont-ils peu nombreux ceux qui ont réussi, en exerçant eux-mêmes leur esprit, à se dégager de cette minorité tout en ayant cependant une démarche assurée.

Qu’un public en revanche s’éclaire lui-même est davantage possible ; c’est même, si seulement on lui en laisse la liberté, pratiquement inévitable. Car, alors, il se trouvera toujours quelques hommes pensant par eux-mêmes, y compris parmi les tuteurs off iciels du plus grand nombre, qui, après voir rejeté eux-mêmes le joug de la minorité, rependront l’esprit d’une estimation raisonnable de sa propre valeur et de la vocation de chaque homme a penser par lui-même. […]

Mais ces Lumières n’exigent rien d’autre que la liberté ; et même la plus inoffensive de toutes les libertés, c’est-à-dire celle de faire un usage public de sa raison dans tous les domaines.

Eugène Delacroix, La Liberté guidant le peuple (1830)

Eugène Delacroix, La Liberté guidant le peuple (1830)