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1 DESCRIPTIF DES LECTURES ET ACTIVITES 1ERE ESC (LYCEE POINCARE NANCY) Nom de l’élève Prénom Le professeur, M GALLO Le chef d’établissement, OBJET D’ETUDE / ECRITURE POETIQUE ET QUETE DU SENS Séquence 1 : METAMORPHOSES BAROQUES Groupement de textes Problématique En quoi la thématique de la métamorphose constitue-t- elle un véritable objet de fascination pour les poètes de la période baroque ? Textes étudiés en lecture analytique Pierre de RONSARD « Je n’ai plus que les os, un squelette je semble », Derniers vers (1586) Théophile de VIAU « Un corbeau devant moi croasse », Œuvres poétiques, Ode XLIX (1621) Tristan L’HERMITE « Le Navire », La Lyre (1641) Lectures cursives Petite anthologie de 6 poèmes baroques Nicolas VAUQUELIN DES YVETEAUX « Avecque mon amour naît l’amour de changer » (1606) Etudes d’ensemble o Le baroque : caractéristiques, thèmes et procédés récurrents o Les pouvoirs de la poésie Histoire des arts o Hans BALDUNG GRIEN Les Trois âges de la femme et la mort (1510) o Giuseppe ARCIMBOLDO L’Eau (1566) o Pierre Paul RUBENS Chasse aux lions et aux tigres (1621) Activités menées avec la classe o Participation à un atelier d’écriture et réalisation d’un cahier d’écriture de la classe o Recherche d’un tableau baroque illustrant un poème de l’anthologie, présenté à l’oral Séquence 2 : LES TABLEAUX PARISIENS DE CHARLES BAUDELAIRE Œuvre intégrale La section Les Tableaux Parisiens, in Les Fleurs du Mal (1857) Problématique Comment le poète moderne met-il en scène la ville et ses habitants, marginaux et exclus ? Extraits étudiés en lecture analytique « Les Aveugles », « A une passante » « Le Jeu » Extraits étudiés en lectures cursives Le Soleil Extrait du procès des Fleurs du Mal par Ernest PINARD (du début à « répondre à toutes les objections ») Etudes d’ensemble o Parcours de lecture : quelques thématiques du recueil (la ville, la luxure, la fuite du temps, le spleen) o Les conditions de la rédaction du recueil : la subversion et la polémique Histoire des arts Les Aveugles : adaptation en bande dessinée, par Antoine ROZON, Editions Petit à Petit, 2017

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DESCRIPTIF DES LECTURES ET ACTIVITES 1ERE ESC (LYCEE POINCARE NANCY)

Nom de l’élève Prénom

Le professeur, M GALLO Le chef d’établissement,

OBJET D’ETUDE / ECRITURE POETIQUE ET QUETE DU SENS

Séquence 1 : METAMORPHOSES BAROQUES

Groupement de textes

Problématique

En quoi la thématique de la métamorphose constitue-t-

elle un véritable objet de fascination pour les poètes de la période baroque ?

Textes étudiés en lecture

analytique

Pierre de RONSARD « Je n’ai plus que les os,

un squelette je semble », Derniers vers (1586)

Théophile de VIAU « Un corbeau devant moi

croasse », Œuvres poétiques, Ode XLIX

(1621)

Tristan L’HERMITE « Le Navire », La Lyre

(1641)

Lectures cursives

Petite anthologie de 6 poèmes baroques

Nicolas VAUQUELIN DES YVETEAUX « Avecque mon amour naît l’amour de

changer » (1606)

Etudes d’ensemble

o Le baroque : caractéristiques, thèmes et procédés récurrents

o Les pouvoirs de la poésie

Histoire des arts

o Hans BALDUNG GRIEN Les Trois âges de la

femme et la mort (1510) o Giuseppe ARCIMBOLDO L’Eau (1566)

o Pierre Paul RUBENS Chasse aux lions et aux

tigres (1621)

Activités menées avec la classe o Participation à un atelier d’écriture et

réalisation d’un cahier d’écriture de la classe

o Recherche d’un tableau baroque illustrant un

poème de l’anthologie, présenté à l’oral

Séquence 2 : LES TABLEAUX PARISIENS DE CHARLES BAUDELAIRE

Œuvre intégrale

La section Les Tableaux Parisiens, in

Les Fleurs du Mal

(1857)

Problématique

Comment le poète moderne met-il en scène la ville et

ses habitants, marginaux et exclus ?

Extraits étudiés en lecture analytique

« Les Aveugles »,

« A une passante »

« Le Jeu »

Extraits étudiés en

lectures cursives

Le Soleil

Extrait du procès des Fleurs du Mal par

Ernest PINARD (du début à « répondre à

toutes les objections »)

Etudes d’ensemble

o Parcours de lecture : quelques thématiques du

recueil (la ville, la luxure, la fuite du temps, le

spleen) o Les conditions de la rédaction du recueil : la

subversion et la polémique

Histoire des arts

Les Aveugles : adaptation en bande dessinée, par

Antoine ROZON, Editions Petit à Petit, 2017

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OBJET D’ETUDE / L’EVOLUTION DU PERSONNAGE DE ROMAN DU XVIIème SIÈCLE A NOS

JOURS

Séquence 3 : L’OR de BLAISE CENDRARS

Œuvre intégrale

L’Or de Blaise CENDRARS (1925)

Problématique

Comment le romancier oscille-t-il entre réalité historique et démarche artistique pour créer son

personnage de roman ?

Extraits étudiés en lecture

analytique

Extrait du chapitre I : à partir de « Ces

paisibles campagnards bâlois » jusque « prêts

à intervenir »)

Extrait du chapitre VI (26, 27) de « Enfin,

c’est la paix » à « SAN FRANCISCO »

Extrait du chapitre X (37) « Johann August

Sutter s’est retiré dans son Ermitage » jusque

« accompagnés d’hommes de loi »

Extrait du chapitre XVI (72, 73): et chapitre

XVII

Lecture cursive - L’Etranger d’Albert CAMUS (1942)

Etudes d’ensemble

o Le projet de Cendrars : la réalité historique ? o Une écriture entre prose et poésie

o Une réflexion sur les valeurs humaines : la

dimension satirique du roman

Activités menées avec la classe

- Dans le cadre d’un exposé oral, les élèves volontaires ont eu à présenter une œuvre

romanesque de leur choix.

Séquence 4 : Le personnage de roman au travail

Groupement de textes

Problématique

Comment les romanciers mettent-ils en scène le

personnage de roman au travail ?

Extraits étudiés en lecture

analytique :

Texte 1 : Emile ZOLA Germinal, Première

partie, chapitre 4 : Maheu au travail, (1885)

Texte 2 : Louis Ferdinand CELINE, Le

Voyage au bout de la nuit, (1932)

Lectures cursives

La Mort du Roi Tsongor de Laurent

GAUDĖ (2002) Le peintre au travail dans la littérature

romanesque du XIXème siècle : groupement

de textes thématique (ZOLA, BALZAC)

Histoire des arts

o Etude d’extraits de Germinal de Claude

BERRI (1993)

o La représentation du travail à l’usine dans

l’adaptation du Voyage au bout de la nuit en BD par TARDI (Edition Futuropolis, 1988)

o Les Temps modernes de Charlie CHAPLIN :

l’aliénation de l’ouvrier (1936)

Activités menées avec la classe

- Défi lecture « personnalisé » : proposition de

romans à lire en plus du programme, selon le

rythme de lecture de chacun. Œuvres choisies

par l’enseignant et proposées individuellement, selon les goûts des élèves.

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OBJET D’ETUDE / Le théâtre : texte et représentation

Séquence 5 : DOM JUAN de MOLIERE

Œuvre intégrale

Dom Juan de

MOLIERE (1665)

Problématique

Quels sont les enjeux scénographiques de la comédie

de MOLIERE ?

Extraits étudiés en lecture

analytique

Etude de la scène d’exposition : le portrait de

Dom Juan par Sganarelle

La scène de séduction de Charlotte (Acte II,

scène 2)

La scène du pauvre (Acte III, scène 2)

Le dénouement (acte V, scènes 4, 5, 6)

Lecture cursive - Le Roi se meurt de IONESCO (1962)

Etudes d’ensemble

- La mise en scène du libertin

- La relation Dom Juan / Sganarelle

- Une pièce à machines

Histoire des arts

o Analyse de la mise en scène de Daniel

MESGUICH (2002)

o Le dénouement dans la mise en scène d’Armand DELCAMPE (1999)

Activités menées avec la classe

Création d’un Dom Juan « moderne » : sous la forme

d’un texte littéraire, d’un dessin, d’une vidéo, d’un morceau de musique, d’un collage, d’une sculpture :

justifier le projet à l’oral.

Séquence 6 : Les Formes théâtrales du délire

Groupement de textes

Problématique Montrer comment la folie est présentée sur scène.

Extraits étudiés en lecture

analytique :

Alfred JARRY, Ubu roi, I, 1 (1896)

Jean-Paul SARTRE, Huis clos, le dénouement

(1944)

Extraits ou œuvres

étudiés en

lectures cursives

Caligula d’Albert CAMUS, œuvre

intégrale (1944)

Fin de Partie, Samuel BECKETT, l’exposition (1957)

Etude d’ensemble

Les dispositifs scénographiques convoqués pour représenter la folie au théâtre

Histoire des arts

o Analyse de la mise en scène du Roi se meurt

d’Eugène IONESCO par Georges WERLER (2005)

o Etude des dessins de JARRY représentant Père

Ubu (Almanach illustré du Père Ubu, 1901)

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OBJET D’ETUDE /

LA QUESTION DE L’HOMME DANS LES GENRES DE L’ARGUMENTATION

Séquence 7 : Différentes facettes du monstre dans la littérature d’idées

Groupement de textes

Problématique

Comment les écrivains interrogent-ils le rapport entre

l’homme et « l’autre » à travers la figure du monstre ?

Extraits étudiés en lecture

analytique

Michel DE MONTAIGNE, Les Essais, Livre II,

chap. 30, « Au sujet d'un enfant monstrueux »

(1595) Jules MICHELET La Sorcière, (1862)

Lectures cursives

Victor HUGO Le Dernier Jour d’un condamné (1829)

Extrait du texte de Jean-Jacques COURTINE,

Histoire du Corps publié en 2015 (analyse du film

Freaks de Tod BROWNING de 1932)

Etudes d’ensemble

o Les différentes incarnations de la monstruosité

o La définition du « monstre » et la question du regard de l’autre

Histoire des arts

- Etude du film Freaks de Tod BROWNING (1932)

Activités menées avec la classe

- Rédaction d’un essai présentant une rencontre avec

un «monstre » (à partir du texte de MONTAIGNE) : description physique et réflexion

sur l’altérité.

Séquence 8 : Les Caractères de LA BRUYERE ou la dénonciation du paraître

Œuvre intégrale

Les Caractères de Jean

de LA BRUYERE (1688)

Problématique Comment LA BRUYERE parvient-il à sensibiliser le

lecteur aux défauts et vices des hommes ?

Extraits étudiés en lecture

analytique

Menippe, « Du mérite personnel », II, 40.

Arrias, « De la société et de la conversation », IV, 9

Irene, « De l’homme », XI, 35 Gnathon, « De l’homme », XI, 121

Lectures cursives

Portraits croisés de Giton et Phédon

Parcours de lecture des Caractères dans la

collection Etonnants classiques.

Etudes d’ensemble

o Le projet de LA BRUYERE (étude de la Préface

des Caractères)

o La dénonciation du paraître o L’actualité des Caractères ?

Histoire des arts Extrait du film Ridicule de Patrice LECONTE (1996)

Activités menées avec la classe - Rédaction d’un portrait charge à la manière de LA

BRUYERE

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TEXTES ETUDIES EN LECTURE ANALYTIQUE : 1ÈRE ES C

SEQUENCE 1 : METAMORPHOSES BAROQUES

Lecture analytique 1 : Pierre de RONSARD, « Je n’ai plus que les os, un squelette je semble »

Je n’ai plus que les os, un squelette je semble,

Décharné, dénervé, démusclé, dépulpé,

Que le trait de la mort sans pardon a frappé,

Je n’ose voir mes bras que de peur je ne tremble.

Apollon et son fils, deux grands maîtres ensemble,

Ne me sauraient guérir, leur métier m’a trompé ;

Adieu, plaisant Soleil, mon œil est étoupé,

Mon corps s’en va descendre où tout se désassemble.

Quel ami me voyant en ce point dépouillé

Ne remporte au logis un œil triste et mouillé,

Me consolant au lit et me baisant le face,

En essuyant mes yeux par la mort endormis ?

Adieu, chers compagnons, adieu, mes chers amis,

Je m’en vais le premier vous préparer la place.

Lecture analytique 2 : Théophile de VIAU, « Un Corbeau devant moi croasse »

Un Corbeau devant moi croasse,

Une ombre offusque mes regards,

Deux belettes et deux renards

Traversent l'endroit où je passe :

Les pieds faillent à mon cheval,

Mon laquais tombe du haut mal,

J'entends craqueter le tonnerre,

Un esprit se présente à moi,

J'ois Charon qui m'appelle à soi,

Je vois le centre de la terre.

Ce ruisseau remonte en sa source,

Un bœuf gravit sur un clocher,

Le sang coule de ce rocher,

Un aspic s'accouple d'une ourse,

Sur le haut d'une vieille tour

Un serpent déchire un vautour,

Le feu brûle dedans la glace,

Le Soleil est devenu noir,

Je vois la Lune qui va choir,

Cet arbre est sorti de sa place.

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Lecture analytique 3 : Tristan L’HERMITE « Le Navire »

Je fus, Plante superbe, en Vaisseau transformée.

Si je crus sur un Mont, je cours dessus les eaux :

Et porte de Soldats une nombreuse armée,

Après avoir logé des Escadrons d'Oiseaux.

En rames, mes rameaux se trouvent convertis ;

Et mes feuillages verts, en orgueilleuses voiles :

J'ornai jadis Cybèle, et j'honore Thétis

Portant toujours le front jusqu'auprès des Étoiles.

Mais l'aveugle Fortune a de bizarres lois :

Je suis comme un jouet en ses volages doigts,

Et les quatre Éléments me font toujours la guerre.

Souvent l'Air orageux traverse mon dessein,

L'Onde s'enfle à tous coups pour me crever le sein

Je dois craindre le Feu, mais beaucoup plus la Terre.

SEQUENCE 2 : LES TABLEAUX PARISIENS DE CHARLES BAUDELAIRE

Lecture analytique 1 : « Les Aveugles »

Contemple-les, mon âme ; ils sont vraiment affreux !

Pareils aux mannequins, vaguement ridicules ;

Terribles, singuliers comme les somnambules,

Dardant on ne sait où leurs globes ténébreux.

Leurs yeux, d'où la divine étincelle est partie,

Comme s'ils regardaient au loin, restent levés

Au ciel ; on ne les voit jamais vers les pavés

Pencher rêveusement leur tête appesantie.

Ils traversent ainsi le noir illimité,

Ce frère du silence éternel. Ô cité !

Pendant qu'autour de nous tu chantes, ris et beugles,

Eprise du plaisir jusqu'à l'atrocité,

Vois, je me traîne aussi ! mais, plus qu'eux hébété,

Je dis : Que cherchent-ils au Ciel, tous ces aveugles ?

Lecture analytique 2 : « A une passante »

La rue assourdissante autour de moi hurlait.

Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,

Une femme passa, d'une main fastueuse

Soulevant, balançant le feston et l'ourlet ;

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Agile et noble, avec sa jambe de statue.

Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,

Dans son œil, ciel livide où germe l'ouragan,

La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.

Un éclair... puis la nuit ! - Fugitive beauté

Dont le regard m'a fait soudainement renaître,

Ne te verrai-je plus que dans l'éternité ?

Ailleurs, bien loin d'ici ! trop tard ! jamais peut-être !

Car j'ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,

Ô toi que j'eusse aimée, ô toi qui le savais !

Lecture analytique 3 : « Le Jeu »

Dans des fauteuils fanés des courtisanes vieilles,

Pâles, le sourcil peint, l’œil câlin et fatal,

Minaudant, et faisant de leurs maigres oreilles

Tomber un cliquetis de pierre et de métal ;

Autour des verts tapis des visages sans lèvre,

Des lèvres sans couleur, des mâchoires sans dent,

Et des doigts convulsés d’une infernale fièvre,

Fouillant la poche vide ou le sein palpitant ;

Sous de sales plafonds un rang de pâles lustres

Et d’énormes quinquets projetant leurs lueurs

Sur des fronts ténébreux de poètes illustres

Qui viennent gaspiller leurs sanglantes sueurs ;

Voilà le noir tableau qu’en un rêve nocturne

Je vis se dérouler sous mon œil clairvoyant.

Moi-même, dans un coin de l’antre taciturne,

Je me vis accoudé, froid, muet, enviant,

Enviant de ces gens la passion tenace,

De ces vieilles putains la funèbre gaieté,

Et tous gaillardement trafiquant à ma face,

L’un de son vieil honneur, l’autre de sa beauté !

Et mon cœur s’effraya d’envier maint pauvre homme

Courant avec ferveur à l’abîme béant,

Et qui, soûl de son sang, préférerait en somme

La douleur à la mort et l’enfer au néant !

SEQUENCE 3 : L’OR DE CENDRARS

Lecture analytique 1 : extrait du chapitre I : l’arrivée de l’étranger (à partir de « Ces paisibles

campagnards bâlois » jusque « prêts à intervenir »)

Ces paisibles campagnards bâlois furent tout à coup mis en émoi par l'arrivée d'un étranger.

Même en plein jour, un étranger est quelque chose de rare dans ce petit village de Runenberg; mais

que dire d'un étranger qui s'amène à une heure indue, le soir, si tard, juste avant le coucher du soleil?

Le chien noir resta la patte en l'air et les vieilles femmes laissèrent choir leur ouvrage. L'étranger

venait de déboucher par la route de Soleure. Les enfants s'étaient d'abord portés à sa rencontre, puis

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ils s'étaient arrêtés, indécis. Quant au groupe des buveurs, “ Au Sauvage ", ils avaient cessé de boire

et observaient l'étranger par en dessous. Celui-ci s'était arrêté à la première maison du pays et avait

demandé qu'on veuille bien lui indiquer l'habitation du syndic de la commune. Le vieux Buser, à qui

il s'adressait, lui tourna le dos et, tirant son petit-fils Hans par l'oreille, lui dit de conduire l'étranger

chez le syndic. Puis il se remit à bourrer sa pipe, tout en suivant du coin de l'œil l'étranger qui

s'éloignait à longues enjambées derrière l'enfant trottinant.

On vit l'étranger pénétrer chez le syndic.

Les villageois avaient eu le temps de le détailler au passage. C’était un homme grand, maigre,

au visage prématurément flétri. D'étranges cheveux d'un jaune filasse sortaient de dessous un

chapeau à boucle d'argent. Ses souliers étaient cloutés. Il avait une grosse épine à la main.

Et les commentaires d'aller bon train. “ Ces étrangers, ils ne saluent personne ", disait Buhri,

l'auber- giste, les deux mains croisées sur son énorme bedaine. “ Moi, je vous dis qu'il vient de la

ville ", disait le vieux Siebenhaar qui autrefois avait été soldat en France; et il se mit à conter une

fois de plus les choses curieuses et les gens extravagants qu'il avait vus chez les Welches. Les jeunes

filles avaient surtout remarqué la coupe raide de la redingote et le faux col à hautes pointes qui sciait

le bas des oreilles; elles potinaient à voix basse, rougissantes, émues. Les gars, eux, faisaient un

groupe menacant auprès de la fontaine; ils attendaient les événements, prêts à intervenir.

Lecture analytique 2 : extrait du chapitre VI (26, 27) La ruée vers l’or : de « Enfin, c’est la paix » à

« SAN FRANCISCO »

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Enfin, c'est la paix.

Une nouvelle ère commence.

Johann August Suter va enfin pouvoir jouir et se réjouir de ses richesses.

De nouvelles semailles arrivent d'Europe, des plants de tous les arbres fruitiers. Dans les bas-

fonds, il acclimate l'olivier et le figuier, sur les collines, les pommiers et les poiriers. Il commence

les premières plantations de coton et, sur les rives du Sacramento, il expérimente le riz et l'indigo.

Il réalise enfin un vieux désir cher à son cœur : il plante de la vigne. Il a fait venir à grands

frais des ceps du Rhin et de Bourgogne. Das le nord de ses domaines, sur les bords de la rivière

Plume, il s'est fait construire une sorte de gentilhommière. C'est sa retraite. L'Ermitage. Des touffes

de grands arbres ombragent sa maison. Autour, il y a des jardins, des champs d'œillets, des champs

d'héliotropes. Ses plus beaux fruits poussent là, cerises, abricots, pêches, coings. Dans les prairies

sont ses plus belles bêtes de race.

Tous ses pas le mènent maintenant sur les coteaux. Toutes ses promenades sont pour ses

vignes, Hochheimer, Chambertin, Château-Chinon.

A l'ombre d'une treille d'Italie et caressant son chien préféré, il songe à faire venir sa famille

d'Europe, à indemniser richement ses créanciers, à sa réhabilitation, à l'honneur de son nom et

comment doter sa lointaine petite patrie... Douce rêverie.

"Mes trois fils vont venir, ils auront du travail, ce seront des hommes. Et ma fille, comment

est-elle? Tiens, je vais commander un grand piano chez Pleyel à Paris. Il viendra par la piste que j'ai

suivie autrefois et s'il le faut à dos d'hommes... Maria... Tous mes compagnons..."

Rêverie.

Sa pipe s'est éteinte. Ses yeux sont perdus au loin. Les premières étoiles s'allument. Son chien

ne bouge pas.

Rêverie. Calme. Repos.

C’est la paix.

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Rêverie. Calme. Repos.

C'est la paix.

Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non : c'est l'OR !

C'est l'or.

Le rush.

La fIèvre de l'or qui s'abat sur le monde.

La grande ruée de 1848, 49, 50, 51 et qui durera quinze ans.

SAN FRANCISCO !"

Lecture analytique 3 : extrait du chapitre X (37) Les désillusions : « Johann August Sutter s’est

retiré dans son Ermitage » jusque « accompagnés d’hommes de loi »

Johann August Sutter s’est retiré dans son Ermitage.

Il a ramené ce qu’il a pu de ses troupeaux. Malgré les événements, la première récolte lui

rapporte encore 40 000 boisseaux. Ses vignobles, ses vergers semblent bénis. Il pourrait encore

exploiter tout cela, car il y a dans la contrée disette de vivres, l’importation ne va pas de pair avec

l’immigration folle, et la nuée des chercheurs d’or est plus d’une fois menacée de famine.

Mais Sutter n’a plus le cœur à l’ouvrage.

Il laisse tout tomber.

Ses employés les plus fidèles, ses hommes de confiance l’ont abandonné. Il a beau les payer

très cher, on gagne encore plus aux mines. Il n’y a plus de bras pour les cultures. Il n’y a pas un seul

berger.

Il pourrait encore refaire fortune, spéculer, profiter de la hausse vertigineuse des denrées

alimentaires ; mais à quoi bon ? Il voit maintenant tomber ses réserves de grain et bientôt la fin de

ses provisions.

D’autres feront fortune.

Il laisse faire.

Il ne fait rien.

Il ne fait rien.

Il assiste impassible à la prise en possession et au partage de ses terres. On établit des titres

de propriété. Un nouveau cadastre s’enregistre. Les derniers arrivants sont accompagnés d’hommes

de loi.

Lecture analytique 4 : extrait du chapitre XVI (72, 73): et chapitre XVII La mort du personnage

72

Un jour, il croise dans la rue trois infirmiers qui mènent à l’asile un être immonde, sale,

déguenillé. C’est un grand vieillard qui se démène furieusement, gesticule et crie fort. Comme il

arrive à échapper à ses gardiens, il se précipite par terre, se rue dans la boue, s’en emplit la bouche,

les yeux, les oreilles, et fouille avidement avec ses mains les tas de crottin et d’ordures. Ses poches

sont remplies de détritus innommables et sa besace est pleine de cailloux ?

Pendant que les infirmiers le ligotent, le général regarde attentivement cet homme et le

reconnaît tout à coup : c’est Marshall, le charpentier. Marshall aussi le reconnaît, et tandis qu’on

l’entraîne, il lui crie : « Patron, patron, je vous l’avais bien dit, il y a de l’or partout, tout est en or. »

73

Par un chaud après-midi de juin, le général est assis sur la dernière marche de l’escalier

monumental qui mène au palais des Congrès. Sa tête est vide comme celle de beaucoup de vieillards,

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c’est un rare moment de bien-être, il ne fait que chauffer sa vieille carcasse au soleil.

– Je suis le général. Oui. Je suis le général. Je suis le général, ral.

Tout à coup un môme de sept ans dévale quatre à quatre le grand escalier de marbre, c’est

Dick Price, le petit marchand d’allumettes, le préféré du général.

« Général ! Général ! crie-t-il à Suter en lui sautant au cou, général ! tu as gagné ! Le congrès vient

de se prononcer ! Il te donne 100 millions de dollars !

– C’est bien vrai ? c’est bien vrai ? tu en es sûr ? lui demande Suter tenant l’enfant étroitement

embrassé.

– Mais oui, général, même que Jim et Bob sont partis, il paraît que c’est déjà dans les journaux. Ils

vont t’en vendre ! et moi aussi je vais en faire des journaux ce soir, des tas ! »

Suter ne remarque pas 7 petits voyous qui se tordent comme des gnomes sous le haut

portique du Congrès et qui rigolent et font des signes à leur petit copain. Il s’est dressé tout raide, n’a

dit qu’un mot : « Merci ! » puis il a battu l’air des bras et est tombé tout d’une pièce.

Le général Johann August Suter est mort le 17 juin 1880, à trois heures de l’après-midi. Le

congrès n’avait même pas siégé ce jour là.

Les gamins se sont sauvés.

L’heure sonne dans l’immense place déserte et comme le soleil tourne, l’ombre gigantesque

du palais du Congrès recouvre bientôt le cadavre du général.

SEQUENCE 4 : LE PERSONNAGE DE ROMAN AU TRAVAIL

Lecture analytique 1 : Emile ZOLA, Germinal, Maheu au travail

C'était Maheu qui souffrait le plus. En haut, la température montait jusqu'à trente-cinq degrés,

l'air ne circulait pas, l'étouffement à la longue devenait mortel. Il avait dû, pour voir clair, fixer sa

lampe à un clou, près de sa tête; et cette lampe, qui chauffait son crâne, achevait de lui brûler le sang.

Mais son supplice s'aggravait surtout de l'humidité. La roche, au-dessus de lui, à quelques

centimètres de son visage, ruisselait d'eau, de grosses gouttes continues et rapides, tombant sur une

sorte de rythme entêté, toujours à la même place.

Il avait beau tordre le cou, renverser la nuque: elles battaient sa face, s'écrasaient, claquaient sans

relâche. Au bout d'un quart d'heure, il était trempé, couvert de sueur lui-même, fumant d'une chaude

buée de lessive. Ce matin-là, une goutte, s'acharnant dans son œil, le faisait jurer. Il ne voulait pas

lâcher son havage, il donnait de grands coups, qui le secouaient violemment entre les deux roches,

ainsi qu'un puceron pris entre deux feuillets d'un livre, sous la menace d'un aplatissement complet.

Pas une parole n'était échangée. Ils tapaient tous, on n'entendait que ces coups irréguliers,

voilés et comme lointains. Les bruits prenaient une sonorité rauque, sans un écho dans l'air mort. Et

il semblait que les ténèbres fussent d'un noir inconnu, épaissi par les poussières volantes du charbon,

alourdi par des gaz qui pesaient sur les yeux. Les mèches des lampes, sous leurs chapeaux de toile

métallique, n'y mettaient que des points rougeâtres. On ne distinguait rien, la taille s'ouvrait, montait

ainsi qu'une large cheminée, plate et oblique, où la suie de dix hivers aurait amassé une nuit

profonde. Des formes spectrales s'y agitaient, les lueurs perdues laissaient entrevoir une rondeur de

hanche, un bras noueux, une tête violente, barbouillée comme pour un crime. Parfois, en se

détachant, luisaient des blocs de houille, des pans et des arêtes, brusquement allumés d'un reflet de

cristal. Puis, tout retombait au noir, les rivelaines tapaient à grands coups sourds, il n'y avait plus que

le halètement des poitrines, le grognement de gêne et de fatigue, sous la pesanteur de l'air et la pluie

des sources.

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Lecture analytique 2 : Louis-Ferdinand CELINE, Voyage au bout de la nuit, Bardamu à l’usine

Tout tremblait dans l’immense édifice et soi-même des pieds aux oreilles possédé par le

tremblement, il en venait des vitres et du plancher et de la ferraille, des secousses, vibré de haut en

bas. On en devenait machine aussi soi-même à force et de toute sa viande encore tremblotante dans

ce bruit de rage énorme qui vous prenait le dedans et le tour de la tête et plus bas vous agitant les

tripes et remontait aux yeux par petits coups précipités, infinis, inlassables. A mesure qu'on avançait

on les perdait les compagnons. On leur faisait un petit sourire à ceux-là en les quittant comme si tout

ce qui se passait était bien gentil. On ne pouvait plus ni se parler ni s'entendre. A mesure qu’on

avançait on les perdait les compagnons. On leur faisait un petit sourire à ceux-là en les quittant

comme si tout ce qui se passait était bien gentil. On ne pouvait plus ni se parler ni s’entendre. Il en

restait à chaque fois trois ou quatre autour d’une machine. On résiste tout de même, on a du mal à se

dégoutter de sa substance, on voudrait bien arrêter tout ca pour qu’on y réfléchisse, et entendre en

soi son cœur battre facilement, mais ca ne se peut plus. Ca ne peut plus finir. Elle est en catastrophe

cette infinie boîte aux aciers et nous on tourne dedans et avec les machines et avec la terre. Tous

ensembles ! Et les mille roulettes et les pilons qui ne tombent jamais en même temps avec des bruits

qui s’écrasent les uns contre les autres et certains si violents qu’ils déclenchent autour d’eux comme

des espèces de silences qui vous font un peu de bien. Le petit wagon tortillard garni de quincaille se

tracasse pour passer entre les outils. Qu'on se range! Qu'on bondisse pour qu'il puisse démarrer

encore un coup le petit hystérique ! Et hop ! il va frétiller plus loin ce fou clinquant parmi les

courroies et volants, porter aux hommes leur ration de contraintes.

Les ouvriers penchés soucieux de faire tout le plaisir possible au machines vous écœurent, à leur

passer les boulons au calibre, et des boulons encore, au lieu d’en finir une fois pour toutes, avec cette

odeur d’huile, cette buée qui brûle les tympans et le dedans des oreilles par la gorge. C’est pas la

honte qui leur fait baisser la tête. On cède au bruit comme on cède à la guerre. On se laisse aller aux

machines avec les trois idées qui restent à vaciller tout en haut derrière le front de la tête. C’est fini.

Partout ce qu’on regarde, tout ce que la main touche,

c’est dur à présent. Et tout ce dont on arrive à se souvenir encore un peu est raidi aussi comme du fer

et n’a plus de goût dans la pensée. On est devenu salement vieux d’un seul coup. Il faut abolir la vie

du dehors, en faire aussi d’elle de l’acier, quelque chose d’utile. On l’aimait pas assez telle qu’elle

était, c’est pour ca.

Faut en faire un objet donc, du solide, c’est la Règle.

J'essayais de lui parler au contremaître à l'oreille, il a grogné comme un cochon en réponse et par les

gestes seulement il m'a montré, bien patient, la très simple manœuvre que je devais accomplir

désormais pour toujours. Mes minutes, mes heures, mon reste de temps comme ceux d'ici s'en iraient

à passer des petites chevilles à l'aveugle d'à côté qui calibrait, lui, depuis des années les chevilles, les

mêmes. Moi j’ai fais ça tout de suite très mal. On ne me blâma point, seulement après trois jours de

ce labeur initial, je fus transféré, raté déjà, au trimballage du petit chariot rempli de rondelles, celui

qui cabotait d’une machine à l’autre. Là, j’en laissais trois, ici douze, là-bas quinze seulement.

Personne ne me parlait. On existait plus que par une sorte d’hésitation entre l’hébétude et le délire.

Rien n'importait que la continuité fracassante des mille et mille instruments qui commandaient les

hommes.

Quand à six heures tout s’arrête on emporte le bruit dans sa tête. J’en avais encore moi pour la nuit

entière de bruit et d’odeur à l’huile aussi comme si on m’avait mis un nez nouveau, un cerveau

nouveau pour toujours.

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SEQUENCE 5 : DOM JUAN DE MOLIERE

Lecture analytique 1 : Etude de la scène d’exposition : le portrait de Dom Juan par Sganarelle

SGANARELLE. – Eh ! mon pauvre Gusman, mon ami, tu ne sais pas encore, crois-moi, quel

homme est Dom Juan.

GUSMAN. – Je ne sais pas, de vrai, quel homme il peut être, s'il faut qu'il nous ait fait cette

perfidie ; et je ne comprends point comme après tant d'amour et tant d'impatience témoignée, tant

d'hommages pressants, de vœux, de soupirs et de larmes, tant de lettres passionnées, de protestations

ardentes et de serments réitérés, tant de transports enfin et tant d'emportements qu'il a fait paraître,

jusqu'à forcer, dans sa passion, l'obstacle sacré d'un couvent, pour mettre Done Elvire en sa

puissance, je ne comprends pas, dis-je, comme, après tout cela, il aurait le cœur de pouvoir manquer

à sa parole.

SGANARELLE. – Je n'ai pas grande peine à le comprendre, moi ; et si tu connaissais le pèlerin, tu

trouverais la chose assez facile pour lui. Je ne dis pas qu'il ait changé de sentiments pour Done

Elvire, je n'en ai point de certitude encore : tu sais que, par son ordre, je partis avant lui, et depuis

son arrivée il ne m'a point entretenu ; mais, par précaution, je t'apprends, inter nos, que tu vois en

Dom Juan, mon maître, le plus grand scélérat que la terre ait jamais porté, un enragé, un chien, un

diable, un Turc, un hérétique, qui ne croit ni Ciel, ni Enfer, ni loup-garou, qui passe cette vie en

véritable bête brute, en pourceau d'Epicure, en vrai Sardanapale, qui ferme l'oreille à toutes les

remontrances qu'on lui peut faire, et traite de billevesées tout ce que nous croyons. Tu me dis qu'il a

épousé ta maîtresse: crois qu'il aurait plus fait pour sa passion, et qu'avec elle il aurait encore épousé

toi, son chien et son chat. Un mariage ne lui coûte rien à contracter ; il ne se sert point d'autres pièges

pour attraper les belles, et c'est un épouseur à toutes mains. Dame, demoiselle, bourgeoise, paysanne,

il ne trouve rien de trop chaud ni de trop froid pour lui ; et si je te disais le nom de toutes celles qu'il

a épousées en divers lieux, ce serait un chapitre à durer jusques au soir. Tu demeures surpris et

changes de couleur à ce discours ; ce n'est là qu'une ébauche du personnage, et pour en achever le

portrait, il faudrait bien d'autres coups de pinceau. Suffit qu'il faut que le courroux du Ciel l'accable

quelque jour ; qu'il me vaudrait bien mieux d'être au diable que d'être à lui, et qu'il me fait voir tant

d'horreurs, que je souhaiterais qu'il fût déjà je ne sais où. Mais un grand seigneur méchant homme

est une terrible chose ; il faut que je lui sois fidèle, en dépit que j'en aie : la crainte en moi fait l'office

du zèle, bride mes sentiments, et me réduit d'applaudir bien souvent à ce que mon âme déteste. Le

voilà qui vient se promener dans ce palais : séparons-nous. Écoute au moins : je t'ai fait cette

confidence avec franchise, et cela m'est sorti un peu bien vite de la bouche ; mais s'il fallait qu'il en

vînt quelque chose à ses oreilles, je dirais hautement que tu aurais menti.

Lecture analytique 2 : La scène de séduction de Charlotte

DOM JUAN, apercevant Charlotte.

Ah ! ah ! d'où sort cette autre paysanne, Sganarelle ? As-tu rien vu de plus joli ? et ne trouves-tu pas,

dis-moi, que celle-ci vaut bien l'autre ?

SGANARELLE.─ Assurément. Autre pièce nouvelle.

DOM JUAN. – D'où me vient, la belle, une rencontre si agréable ? Quoi ? dans ces lieux

champêtres, parmi ces arbres et ces rochers, on trouve des personnes faites comme vous êtes ?

CHARLOTTE. – Vous voyez, Monsieur.

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DOM JUAN. – Êtes-vous de ce village ?

CHARLOTTE. – Oui, Monsieur.

DOM JUAN. – Et vous y demeurez ?

CHARLOTTE. – Oui, Monsieur.

DOM JUAN. – Vous vous appelez ?

CHARLOTTE. – Charlotte, pour vous servir.

DOM JUAN. – Ah ! la belle personne, et que ses yeux sont pénétrants !

CHARLOTTE. – Monsieur, vous me rendez toute honteuse.

DOM JUAN. – Ah ! n'ayez point de honte d'entendre dire vos vérités. Sganarelle, qu'en dis-tu ?

Peut-on rien voir de plus agréable ? Tournez-vous un peu, s'il vous plaît. Ah ! que cette taille est

jolie ! Haussez un peu la tête, de grâce. Ah ! que ce visage est mignon ! Ouvrez vos yeux

entièrement. Ah ! qu'ils sont beaux ! Que je voie un peu vos dents, je vous prie. Ah ! qu'elles sont

amoureuses, et ces lèvres appétissantes ! Pour moi, je suis ravi, et je n'ai jamais vu une si charmante

personne.

CHARLOTTE. – Monsieur, cela vous plaît à dire, et je ne sais pas si c'est pour vous railler de moi.

DOM JUAN. – Moi, me railler de vous ? Dieu m'en garde ! je vous aime trop pour cela, et c'est du

fond du cœur que je vous parle.

CHARLOTTE. – Je vous suis bien obligée, si ça est.

DOM JUAN. – Point du tout ; vous ne m'êtes point obligée de tout ce que je dis, et ce n'est qu'à

votre beauté que vous en êtes redevable.

CHARLOTTE. – Monsieur, tout ça est trop bien dit pour moi, et je n'ai pas d'esprit pour vous

répondre.

DOM JUAN. – Sganarelle, regarde un peu ses mains.

CHARLOTTE. – Fi ! Monsieur, elles sont noires comme je ne sais quoi.

DOM JUAN. – Ha ! que dites-vous là ? Elles sont les plus belles du monde ; souffrez que je les

baise, je vous prie.

CHARLOTTE. – Monsieur, c'est trop d'honneur que vous me faites, et si j'avais su ça tantôt, je

n'aurais pas manqué de les laver avec du son.

DOM JUAN . – Et dites-moi un peu, belle Charlotte, vous n'êtes pas mariée, sans doute ?

CHARLOTTE. – Non, Monsieur ; mais je dois bientôt l'être avec Piarrot, le fils de la voisine

Simonette.

DOM JUAN. – Quoi ? une personne comme vous serait la femme d'un simple paysan ! Non, non :

c'est profaner tant de beautés, et vous n'êtes pas née pour demeurer dans un village. Vous méritez

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sans doute une meilleure fortune, et le Ciel, qui le connaît bien, m'a conduit ici tout exprès pour

empêcher ce mariage, et rendre justice à vos charmes ; car enfin, belle Charlotte, je vous aime de

tout mon cœur, et il ne tiendra qu'à vous que je vous arrache de ce misérable lieu, et ne vous mette

dans l'état où vous méritez d'être. Cet amour est bien prompt sans doute ; mais quoi ? c'est un effet,

Charlotte, de votre grande beauté, et l'on vous aime autant en un quart d'heure, qu'on ferait une autre

en six mois.

Lecture analytique 3 : La scène du pauvre

ACTE III, scène 2

Dom Juan, Sganarelle, un pauvre.

SGANARELLE.- Enseignez-nous un peu le chemin qui mène à la ville.

LE PAUVRE.- Vous n'avez qu'à suivre cette route, Messieurs, et détourner à main droite quand

vous serez au bout de la forêt. Mais je vous donne avis que vous devez vous tenir sur vos gardes, et

que depuis quelque temps il y a des voleurs ici autour.

DOM JUAN.- Je te suis bien obligé, mon ami, et je te rends grâce de tout mon cœur.

LE PAUVRE.- Si vous vouliez, Monsieur, me secourir de quelque aumône.

DOM JUAN.- Ah, ah, ton avis est intéressé, à ce que je vois.

LE PAUVRE.- Je suis un pauvre homme, Monsieur, retiré tout seul dans ce bois depuis dix ans, et

je ne manquerai pas de prier le Ciel qu'il vous donne toute sorte de biens.

DOM JUAN.- Eh, prie-le qu'il te donne un habit, sans te mettre en peine des affaires des autres.

SGANARELLE.- Vous ne connaissez pas Monsieur, bon homme, il ne croit qu'en deux et deux

sont quatre, et en quatre et quatre sont huit.

DOM JUAN.- Quelle est ton occupation parmi ces arbres ?

LE PAUVRE.- De prier le Ciel tout le jour pour la prospérité des gens de bien qui me donnent

quelque chose.

DOM JUAN.- Il ne se peut donc pas que tu ne sois bien à ton aise.

LE PAUVRE.- Hélas, Monsieur, je suis dans la plus grande nécessité du monde.

DOM JUAN.- Tu te moques; un homme qui prie le Ciel tout le jour, ne peut pas manquer d'être bien

dans ses affaires.

LE PAUVRE.- Je vous assure, Monsieur, que le plus souvent je n'ai pas un morceau de pain à

mettre sous les dents.

DOM JUAN.- Voilà qui est étrange, et tu es bien mal reconnu de tes soins; ah, ah, je m'en vais te

donner un Louis d'or tout à l'heure, pourvu que tu veuilles jurer.

LE PAUVRE.- Ah, Monsieur, voudriez-vous que je commisse un tel péché ?

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DOM JUAN.- Tu n'as qu'à voir si tu veux gagner un Louis d'or ou non, en voici un que je te donne

si tu jures, tiens il faut jurer.

LE PAUVRE.- Monsieur.

SGANARELLE.- Va, va, jure un peu, il n'y a pas de mal.

DOM JUAN.- Prends, le voilà, prends te dis-je, mais jure donc.

LE PAUVRE.- Non Monsieur, j'aime mieux mourir de faim.

DOM JUAN.- Va, va, je te le donne pour l'amour de l'humanité, mais que vois-je là ? Un homme

attaqué par trois autres ? La partie est trop inégale, et je ne dois pas souffrir cette lâcheté.

(Il court au lieu du combat.)

Lecture analytique 4 : Le dénouement (acte V, scènes 4, 5, 6)

Scène IV

DOM JUAN, SGANARELLE.

SGANARELLE. – Monsieur, quel diable de style prenez-vous là ? Ceci est bien pis que le

reste, et je vous aimerais bien mieux encore comme vous étiez auparavant. J'espérais toujours

de votre salut ; mais c'est maintenant que j'en désespère ; et je crois que le Ciel, qui vous a

souffert jusqu'ici, ne pourra souffrir du tout cette dernière horreur.

DOM JUAN. – Va, va, le Ciel n'est pas si exact que tu penses ; et si toutes les fois que les

hommes…

SGANARELLE. – Ah ! Monsieur, c'est le Ciel qui vous parle, et c'est un avis qu'il vous

donne.

DOM JUAN. – Si le Ciel me donne un avis, il faut qu'il parle un peu plus clairement, s'il eut

que je l'entende.

Scène V

DOM JUAN, UN SPECTRE en femme voilée, SGANARELLE.

LE SPECTRE, en femme voilée

Dom Juan n'a plus qu'un moment à pouvoir profiter de la miséricorde du Ciel ; et s'il ne se

repent ici, sa perte est résolue.

SGANARELLE . – Entendez-vous, Monsieur ?

DOM JUAN. – Qui ose tenir ces paroles ? Je crois connaître cette voix.

SGANARELLE. – Ah ! Monsieur, c'est un spectre : je le reconnais au marcher.

DOM JUAN. – Spectre, fantôme, ou diable, je veux voir ce que c'est.

Le Spectre change de figure, et représente le temps avec sa faux à la main.

SGANARELLE. – O Ciel ! voyez-vous, Monsieur, ce changement de figure ?

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DOM JUAN. – Non, non, rien n'est capable de m'imprimer de la terreur, et je veux éprouver

avec mon épée si c'est un corps ou un esprit.

Le Spectre s'envole dans le temps que Dom Juan le veut frapper.

SGANARELLE. – Ah ! Monsieur, rendez-vous à tant de preuves, et jetez-vous vite dans le

repentir.

DOM JUAN. – Non, non, il ne sera pas dit, quoi qu'il arrive, que je sois capable de me

repentir. Allons, suis-moi.

Scène VI

LA STATUE, DOM JUAN, SGANARELLE.

LA STATUE. – Arrêtez, Dom Juan : vous m'avez hier donné parole de venir manger avec

moi.

DOM JUAN. – Oui. Où faut-il aller ?

LA STATUE. – Donnez-moi la main.

DOM JUAN. – La voilà.

LA STATUE. – Dom Juan, l'endurcissement au péché traîne une mort funeste, et les grâces

du Ciel que l'on renvoie ouvrent un chemin à sa foudre.

DOM JUAN. – O Ciel ! que sens-je ? Un feu invisible me brûle, je n'en puis plus, et tout

mon corps devient un brasier ardent. Ah !

Le tonnerre tombe avec un grand bruit et de grands éclairs sur Dom Juan ; la terre s'ouvre

et l'abîme ; et il sort de grands feux de l'endroit où il est tombé.

SGANARELLE . – Ah ! mes gages ! mes gages ! Voilà par sa mort un chacun satisfait :

Ciel offensé, lois violées, filles séduites, familles déshonorées, parents outragés, femmes

mises à mal, maris poussés à bout, tout le monde est content. Il n'y a que moi seul de

malheureux. Mes gages ! Mes gages ! Mes gages !

SEQUENCE 6 : LES FORMES THEATRALES DU DELIRE

Lecture analytique 1 : Alfred JARRY, Ubu roi, I, 1

PÈRE UBU

Merdre!

MÈRE UBU

Oh ! voilà du joli, Père Ubu, vous estes un fort grand voyou.

PÈRE UBU

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Que ne vous assom'je, Mère Ubu!

MÈRE UBU

Ce n'est pas moi, Père Ubu, c'est un autre qu'il faudrait assassiner.

PÈRE UBU

De par ma chandelle verte, je ne comprends pas.

MÈRE UBU

Comment, Père Ubu, vous estes content de votre sort ?

PÈRE UBU

De par ma chandelle verte, merdre, madame, certes oui, je suis content. On le serait à moins :

capitaine de dragons, officier de confiance du roi Venceslas, décoré de l'ordre de l'Aigle Rouge de

Pologne et ancien roi d'Aragon, que voulez-vous de mieux ?

MÈRE UBU

Comment ! après avoir été roi d'Aragon vous vous contentez de mener aux revues une cinquantaine

d'estafiers armés de coupe-choux, quand vous pourriez faire succéder sur votre fiole la couronne de

Pologne à celle d'Aragon ?

PÈRE UBU

Ah ! Mère Ubu, je ne comprends rien de ce que tu dis.

MÈRE UBU

Tu es si bête !

PÈRE UBU

De par ma chandelle verte, le roi Venceslas est encore bien vivant ; et même en admettant qu'il

meure, n'a-t-il pas des légions d'enfants ?

MÈRE UBU

Qui t'empêche de massacrer toute la famille et de te mettre à leur place ?

PÈRE UBU

Ah ! Mère Ubu, vous me faites injure et vous allez passer tout à l'heure par la casserole.

MÈRE UBU

Eh ! pauvre malheureux, si je passais par la casserole, qui te raccommoderait tes fonds de culotte ?

PÈRE UBU

Eh vraiment ! et puis après ? N'ai-je pas un cul comme les autres ?

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MÈRE UBU

À ta place, ce cul, je voudrais l'installer sur un trône. Tu pourrais augmenter indéfiniment tes

richesses, manger fort souvent de l'andouille et rouler carrosse par les rues.

PÈRE UBU

Si j'étais roi, je me ferais construire une grande capeline comme celle que j'avais en Aragon et que

ces gredins d'Espagnols m'ont impudemment volée.

MÈRE UBU

Tu pourrais aussi te procurer un parapluie et un grand caban qui te tomberait sur les talons.

PÈRE UBU

Ah ! je cède à la tentation. Bougre de merdre, merdre de bougre, si jamais je le rencontre au coin

d'un bois, il passera un mauvais quart d'heure.

MÈRE UBU

Ah ! bien, Père Ubu, te voilà devenu un véritable homme.

PÈRE UBU

Oh non ! moi, capitaine de dragons, massacrer le roi de Pologne ! plutôt mourir !

MÈRE UBU, à part.

Oh ! merdre ! (Haut.) Ainsi tu vas rester gueux comme un rat, Père Ubu.

PÈRE UBU

Ventrebleu, de par ma chandelle verte, j’aime mieux être gueux comme un maigre et brave rat que

riche comme un méchant et gras chat.

MÈRE UBU

Et la capeline ? et le parapluie ? et le grand caban ?

PÈRE UBU

Eh bien, après, Mère Ubu ? (Il s'en va en claquant la porte.)

MÈRE UBU, seule.

Vrout, merdre, il a été dur à la détente, mais vrout, merdre, je crois pourtant l'avoir ébranlé. Grâce à

Dieu et à moi-même, peut-être dans huit jours serai-je reine de Pologne.

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Lecture analytique 2 : Jean-Paul SARTRE, Huis clos, le dénouement

SCÈNE V (Ed. Folio p. 93-95) - INÈS, GARCIN, ESTELLE :

GARCIN. – Il ne fera donc jamais nuit ?

INÈS. – Jamais.

GARCIN. – Tu me verras toujours ?

INÈS. – Toujours.

Garcin abandonne Estelle et fait quelques pas dans la pièce. Il s’approche du bronze.

GARCIN. – Le bronze... (Il le caresse.) Eh bien, voici le moment. Le bronze est là, je le contemple

et je comprends que je suis en enfer. Je vous dis que tout était prévu. Ils avaient prévu que je me

tiendrais devant cette cheminée, pressant ma main sur ce bronze, avec tous ces regards sur moi.

Tous ces regards qui me mangent... (Il se retourne brusquement.) Ha! vous n’êtes que deux ? Je vous

croyais beaucoup plus nombreuses.

(Il rit.) Alors, c’est ca l’enfer. Je n’aurais jamais cru... Vous vous rappelez : le soufre, le bûcher, le

gril... Ah ! quelle plaisanterie. Pas besoin de gril : l’enfer, c’est les Autres.

ESTELLE. – Mon amour !

GARCIN la repoussant.

Laisse-moi. Elle est entre nous. Je ne peux pas t’aimer quand elle me voit.

ESTELLE. – Ha ! Eh bien, elle ne nous verra plus.

Elle prend le coupe-papier sur la table, se précipite sur Inès et lui porte plusieurs coups.

INÈS, se débattant et riant.

Qu’est-ce que tu fais, qu’est-ce que tu fais, tu es folle ? Tu sais bien que je suis morte.

ESTELLE. – Morte ?

Elle laisse tomber le couteau. Un temps. Inès ramasse le couteau et s’en frappe avec rage.

INÈS. – Morte ! Morte ! Morte ! Ni le couteau, ni le poison, ni la corde. C’est déjà fait, comprends-

tu ? Et nous sommes ensemble pour toujours.

Elle rit.

ESTELLE, éclatant de rire.

Pour toujours, mon Dieu que c’est drôle ! Pour toujours !

GARCIN, rit en les regardant toutes deux.

Pour toujours !

Ils tombent assis, chacun sur son canapé. Un long silence. Ils cessent de rire et se regardent. Garcin

se lève.

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GARCIN. – Eh bien, continuons.

RIDEAU

SEQUENCE 7 : DIFFERENTES FACETTES DU MONSTRE DANS LA LITTERATURE

Lecture Analytique 1 : Michel DE MONTAIGNE, Les Essais, Livre II, chap. 30, « Au sujet d'un

enfant monstrueux » (1595)

Je vis avant-hier un enfant que deux hommes et une nourrice, qui disaient être le père, l'oncle et la

tante, conduisaient pour le montrer à cause de son étrangeté et pour tirer de cela quelque sou. Il était

pour tout le reste d'une forme ordinaire et il se soutenait sur ses pieds, marchait et gazouillait à peu

près comme les autres enfants de même âge […] ; ses cris semblaient bien avoir quelque chose de

particulier : il était âgé de quatorze mois tout juste. Au-dessous de ses tétins, il était attaché et collé à

un autre enfant sans tête et qui avait le canal du dos bouché, le reste intact, car s'il avait un bras plus

court que l'autre, c'est qu'il lui avait été cassé accidentellement à leur naissance ; ils étaient joints

face à face et comme si un plus petit enfant voulait en embrasser un second […].

Les [êtres] que nous appelons monstres ne le sont pas pour Dieu, qui voit dans l'immensité de son

ouvrage l'infinité des formes qu'il y a englobées ; et il est à croire que cette forme, qui nous frappe

d'étonnement, se rapporte et se rattache à quelque autre forme d'un même genre, inconnu de

l'homme. De sa parfaite sagesse1 il ne vient rien que de bon et d'ordinaire et de régulier ; mais nous

n'en voyons pas l'arrangement et les rapports.

« Quod crebro videt, non miratur, etiam si cur fiat nescit. Quod ante non vidit, id, si evenerit,

ostentum esse censet." » [Ce que (l'homme) voit fréquemment ne l'étonne pas, même s'il en ignore la

cause. Mais si ce qu'il n'a jamais vu arrive, il pense que c'est un prodige.]

Nous appelons « contre nature» ce qui arrive contrairement à l'habitude : il n'y a rien, quoi que ce

puisse être, qui ne soit pas selon la nature. Que cette raison universelle et naturelle chasse de nous

l'erreur et l'étonnement que la nouveauté nous apporte.

Lecture Analytique 2 : Jules MICHELET, La Sorcière (1862)

Sprenger1 dit (avant 1500) : « Il faut dire l’hérésie des sorcières, et non des sorciers ; ceux-ci

sont peu de chose. » — Et un autre sous Louis XIII : « Pour un sorcier dix mille sorcières. »

« Nature les a fait sorcières. » — C’est le génie propre à la Femme et son tempérament. Elle

naît Fée. Par le retour régulier de l’exaltation, elle est Sibylle2. Par l’amour, elle est Magicienne. Par

sa finesse, sa malice (souvent fantasque et bienfaisante), elle est Sorcière, et fait le sort, du moins

endort, trompe les maux.

Tout peuple primitif a même début ; nous le voyons par les Voyages. L’homme chasse et

combat. La femme s’ingénie, imagine ; elle enfante des songes et des dieux. Elle est voyante à

certains jours ; elle a l’aile infinie du désir et du rêve. Pour mieux compter les temps, elle observe le

ciel. Mais la terre n’a pas moins son cœur. Les yeux baissés sur les fleurs amoureuses, jeune et fleur

elle-même, elle fait avec elles connaissance personnelle. Femme, elle leur demande de guérir ceux

qu’elle aime.

1 Inquisiteur auteur d’un ouvrage interdit par l’Eglise, Le Marteau des Sorcières, en 1490 2 femme capable d’énoncer des prophéties, dotée d’un don de divination

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Simple et touchant commencement des religions et des sciences ! Plus tard, tout se divisera ;

on verra commencer l’homme spécial, jongleur, astrologue ou prophète, nécromancien3, prêtre,

médecin. Mais au début, la Femme est tout.

Une religion forte et vivace, comme fut le paganisme grec, com- mence par la sibylle, finit

par la sorcière. La première, belle vierge, en pleine lumière, le berca, lui donna le charme et

l’auréole. Plus tard, déchu, malade, aux ténèbres du moyen âge, aux landes et aux forêts, il fut caché

par la sorcière ; sa pitié intrépide le nourrit, le fit vivre encore. Ainsi, pour les religions, la Femme

est mère, tendre gardienne et nourrice fidèle. Les dieux sont comme les hommes ; ils naissent et

meurent sur son sein.

SEQUENCE 8 : LES CARACTERES DE LA BRUYERE OU LA DENONCIATION DU

PARAITRE

Lecture analytique 1 : Ménippe, « Du mérite personnel »

Ménippe est l'oiseau paré de divers plumages qui ne sont pas à lui. Il ne parle pas, il ne sent

pas; il répète des sentiments et des discours, se sert même si naturellement de l'esprit des autres qu'il

y est le premier trompé, et qu'il croit souvent dire son goût ou expliquer sa pensée, lorsqu'il n'est que

l'écho de quelqu'un qu'il vient de quitter. C'est un homme qui est de mise un quart d'heure de suite,

qui le moment d'après baisse, dégénère, perd le peu de lustre qu'un peu de mémoire lui donnait, et

montre la corde. Lui seul ignore combien il est au-dessous du sublime et de l'héroïque; et, incapable

de savoir jusqu'où l'on peut avoir de l'esprit, il croit naïvement que ce qu'il en a est tout ce que les

hommes en sauraient avoir: aussi a-t-il l'air et le maintien de celui qui n'a rien à désirer sur ce

chapitre, et qui ne porte envie à personne. Il se parle souvent à soi-même, et il ne s'en cache pas,

ceux qui passent le voient, et qu'il semble toujours prendre un parti, ou décider qu'une telle chose est

sans réplique. Si vous le saluez quelquefois, c'est le jeter dans l'embarras de savoir s'il doit rendre le

salut ou non; et pendant qu'il délibère, vous êtes déjà hors de portée. Sa vanité l'a fait honnête

homme, l'a mis au-dessus de lui-même, l'a fait devenir ce qu'il n'était pas. L'on juge, en le voyant,

qu'il n'est occupé que de sa personne; qu'il sait que tout lui sied bien, et que sa parure est assortie;

qu'il croit que tous les yeux sont ouverts sur lui, et que les hommes se relayent pour le contempler.

Lecture analytique 2 : Arrias, « De la société et de la conversation »

Arrias a tout lu, a tout vu, il veut le persuader ainsi ; c'est un homme universel, et il se donne pour tel

: il aime mieux mentir que de se taire ou de paraître ignorer quelque chose. On parle à table d'un

grand d'une cour du Nord : il prend la parole, et l'ôte à ceux qui allaient dire ce qu'ils savent ; il

s'oriente dans cette région lointaine comme s'il en était originaire ; il discourt des mœurs de cette

cour, des femmes du pays de ses lois et de ses coutumes ; il récite des historiettes qui y sont arrivées

; il les trouve plaisantes, et il en rit le premier jusqu'à éclater. Quelqu'un se hasarde de le contredire,

et lui prouve nettement qu'il dit des choses qui ne sont pas vraies. Arrias ne se trouble point, prend

feu au contraire contre l'interrupteur : "Je n'avance rien, lui dit-il, je ne raconte rien que je ne sache

original : je l'ai pris de Sethon, ambassadeur de France dans cette cour, revenu à Paris depuis

quelques jours, que je connais familièrement, que j'ai fort interrogé, et qui ne m'a caché aucune

circonstance." Il reprenait le fil de sa narration avec plus de confiance qu'il ne l'avait commencée,

lorsque que l'un des conviés lui dit : "C'est Sethon à qui vous parlez, lui même, et qui arrive

fraîchement de son ambassade.

3 art prétendu d’évoquer les morts pour connaître l’avenir

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Lecture analytique 3 : Gnathon, « De l’homme »

Gnathon ne vit que pour soi, et tous les hommes ensemble sont à son égard comme s’ils

n’étaient point. Non content de remplir à une table la première place, il occupe lui seul celle de deux

autres ; il oublie que le repas est pour lui et pour toute la compagnie ; il se rend maître du plat, et fait

son propre de chaque service : il ne s’attache à aucun des mets, qu’il n’ait achevé d’essayer de tous ;

il voudrait pouvoir les savourer tous tout à la fois. Il ne se sert à table que de ses mains ; il manie les

viandes, les remanie, démembre, déchire, et en use de manière qu’il faut que les conviés, s’ils

veulent manger, mangent ses restes. Il ne leur épargne aucune de ces malpropretés dégoûtantes,

capables d’ôter l’appétit aux plus affamés ; le jus et les sauces lui dégouttent du menton et de la

barbe ; s’il enlève un ragoût de dessus un plat, il le répand en chemin dans un autre plat et sur la

nappe ; on le suit à la trace. Il mange haut et avec grand bruit ; il roule les yeux en mangeant ; la

table est pour lui un râtelier ; il écure ses dents, et il continue à manger. Il se fait, quelque part où il

se trouve, une manière d’établissement, et ne souffre pas d’être plus pressé au sermon ou au théâtre

que dans sa chambre. Il n’y a dans un carrosse que les places du fond qui lui conviennent ; dans

toute autre, si on veut l’en croire, il pâlit et tombe en faiblesse. S’il fait un voyage avec plusieurs, il

les prévient dans les hôtelleries, et il sait toujours se conserver dans la meilleure chambre le meilleur

lit. Il tourne tout à son usage ; ses valets, ceux d’autrui, courent dans le même temps pour son

service. Tout ce qu’il trouve sous sa main lui est propre, hardes, équipages. Il embarrasse tout le

monde, ne se contraint pour personne, ne plaint personne, ne connaît de maux que les siens, que sa

réplétion et sa bile, ne pleure point la mort des autres, n’appréhende que la sienne, qu’il rachèterait

volontiers de l’extinction du genre humain.

Lecture analytique 4 : Irène, « De l’homme »

Irène se transporte à grands frais en Epidaure, voit Esculape dans son temple, et le consulte

sur tous ses maux. D’abord elle se plaint qu’elle est lasse et recrue de fatigue ; et le dieu prononce

que cela lui arrive par la longueur du chemin qu’elle vient de faire. Elle dit qu’elle est le soir sans

appétit ; l’oracle lui ordonne de dîner peu. Elle ajoute qu’elle est sujette à des insomnies ; et il lui

prescrit de n’être au lit que pendant la nuit. Elle lui demande pourquoi elle devient pesante, et quel

remède ; l’oracle répond qu’elle doit se lever avant midi, et quelquefois se servir de ses jambes pour

marcher. Elle lui déclare que le vin lui est nuisible : l’oracle lui dit de boire de l’eau ; qu’elle a des

indigestions : et il ajoute qu’elle fasse diète. « Ma vue s’affaiblit, dit Irène. — Prenez des lunettes,

dit Esculape. — Je m’affaiblis moi-même, continue-t-elle, et je ne suis ni si forte ni si saine que j’ai

été. — C’est, dit le dieu, que vous vieillissez. — Mais que moyen de guérir de cette langueur ? — Le

plus court, Irène, c’est de mourir, comme ont fait votre mère et votre aïeule. — Fils d’Apollon,

s’écrie Irène, quel conseil me donnez-vous ? Est-ce là toute cette science que les hommes publient,

et qui vous fait révérer de toute la terre ? Que m’apprenez-vous de rare et de mystérieux ? et ne

savais-je pas tous ces remèdes que vous m’enseignez ? — Que n’en usiez-vous donc, répond le dieu,

sans venir me chercher de si loin, et abréger vos jours par un long voyage ? »