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Claude Marais

Des vies à l'envers

Roman

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Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction réservés pour tous pays.

© Opéra Éditions, 2013 ISBN 978-2-35370-152-0

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Pour Elles...

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I

L’ÉTRANGER

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Amine

Mai 2010

Il était debout, sur le port de cette ville étrangère, hébété ! La fatigue avait eu raison de son enthousiasme.

Le voyage avait été long, trop long face à son impatience de ces jours derniers. Enfin, il était arrivé sur cette terre incon-nue, rêvée, espérée. Ville blanche, adossée à la colline, ruis-selante de soleil ; bruissement du vent chaud dans les feuilles d’acacias, clapotis de l’eau des fontaines ; immense ruche, colorée et bruyante. Ville bien aimée mais ville cruelle… « Je te trouve enfin ». Il lui fallait la conquérir, l’apprivoiser, nager vers elle sans la déranger… vingt ans déjà.

Il l’avait rêvée – si souvent – dans le ventre secret de cette ville ; il l’avait aperçue sur cette petite place, assise sous cet arbre ; puis, marchant, nonchalante, légère, en attente de quelque chose, une rencontre, une promesse, un pardon. Il l’avait imaginée, tournant la tête lentement vers lui, et le soleil avait, l’espace d’un instant, éclaboussé ses

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cheveux d’une lumière si douce qu’il en garde aujourd’hui encore la saveur.

Elle était venue vers lui, simplement, danseuse légère et il avait pris sa main. Aujourd’hui encore, à travers ses rêve-ries, il revoit la main si petite, si fine ; les doigts si longs qu’il entendait chuchoter la musique qu’ils faisaient naître car il l’avait rêvée musicienne de la nuit et puis aussi, ses ongles, si blancs, de petits coquillages nacrés ; il y décelait la trace bleutée de la vague… Elle l’a serré dans ses bras et lui a dit : « C’est bien, il fallait que tu le fasses, je n’en aurais pas eu le courage. »

Le silence d’une étoffe de soie s’était installé entre eux ; elle l’avait entraîné dans les rues de sa ville et la journée s’était écoulée ainsi, entre elle et lui, au hasard du lieu, au hasard des heures. Elle n’avait pas parlé, lui non plus. Le soir pourtant était arrivé, paisible, étouffant les bruits ; les éclaboussures du soleil avaient alors laissé la place aux ombres douces du soir venant ; puis elle avait disparu…

« Où es-tu maintenant ? Vais-je te retrouver après un si long voyage ? »

Il avait laissé derrière lui des êtres qu’il aimait pour la re-trouver. « Je vais revenir », avait-il dit à cette femme si douce, si compréhensive. « Fais ! Va où ton cœur te parle… mais ne nous oublie pas ! Inch-Allah mon fils, Inch-Allah ! »

Aujourd’hui, la moitié du chemin était accompli et pour-tant, il se sentait désemparé comme un acteur devant un mau-vais script. Il ne savait plus ce qu’il en était de ce désir ; il n’avait jamais quitté la terre de son enfance, et pourtant, il sa-vait que cette terre, que ses pieds foulaient aujourd’hui, était sa terre d’origine ; ses racines étaient nées dans ce pays-là, la France !

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II

À LA RECHERCHE DES TEMPS PERDUS

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Une pieuvre dans ma nuit

2009

« Ô tout ce que je ne dis pas ce que je ne dis à personne. Le malheur c’est que cela sonne et cogne

obstinément en moi. »Louis Aragon

Il y a toujours un début à chaque chose… et une fin à cha-que chose ; un début à la vie, une fin…

C’était novembre ! C’est toujours en novembre – aussi loin qu’elle se souvienne – qu’elle n’a d’autre choix que de porter un autre regard sur sa vie ; novembre, le mois des séparations, des deuils ; aujourd’hui, de la maladie… encore !

Le début de la « chose » est passé ; la fin n’est pas en-core là, mais je l’espère de tout mon cœur assoiffé de paix, de calme, bringuebalé qu’il est aujourd’hui dans cette tourmente sans nom, sans visage, sans horizon. Tout a commencé… mais était-ce vraiment là le commencement de cette chose qui a envahi mon corps, ma tête, me laissant exsangue, sans

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mots, sans raisons, sans ennemi véritablement nommé ; dans cette juste désespérance de ne savoir que faire.

Novembre, toujours novembre !

Elle se sent vide, sans substance déjà inexistante. Que vais-je faire de ma vie, maintenant, tout de suite ? Que vais-je devenir sans moi ? Elle ne dira rien de son état, elle jouera, elle sait faire ! Mais à quel prix ! Debout, la nuit ! Surtout ne pas s’endormir car la mort viendrait à coup sûr, emportant tout de son histoire ; rester en alerte ! Le vigile est là à ses côtés, il est si familier à sa vie !

Aujourd’hui j’ai voulu aller aux urgences, demander en-core de l’aide pour faire taire cet ennemi de la nuit, du petit matin qui me trouve épuisée, hagarde, désorientée. Et pour-tant, je dois faire face néanmoins aux contrats à respecter, ho-norer, servir, à l’argent qui en découle. Je dois travailler pour faire taire la peur de manquer.

Les urgences : moi contre lui, lui contre moi, fidèle, présent, stable, sa main chaude et sûre qui rassure : « Ne me lâche pas, ne permets pas qu’on m’emporte comme une barque perdue au service psychiatrique. » J’ai peur et j’ai envie de fermer les yeux sur ma plainte, ma fatigue, mon désespoir. Et surtout, ne rien te dire de ce qui m’a été annoncé, Vincent ! Ou si peu te dire.

Dormir, je veux dormir ! Oublier pourquoi je ne dors pas, je ne dors plus, ou alors, renoncer et mourir ; la vie s’échappe de mon corps ; seulement, dormir ! Qu’on me donne une pi-lule, blanche, rose, magique qui va régler mon sommeil ; re-trouver le calme… mais, quand ai-je été calme ?

Le médecin, gentil, attentif : « Vous êtes volontaire, lâchez prise, vivez autrement, comme avant, sortez, chantez, oubliez

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que vous devez dormir et vous dormirez. Pilule ? Que nenni, toute seule ! Vous devez savoir faire et vous savez faire ! » Alors, me voilà avec ce cadeau brut, sans papier d’emballage ; je vais donc cesser de penser à mon sommeil et vivre ; avais-je donc arrêté de vivre ? Oui ! Centrée que je suis sur cette pieuvre, centrée sur cette partie de moi qui n’obéit plus à mes ordres ; comment ? Moi, Louise, je ne maîtrise pas cette par-tie-là de mon être ? Elle n’est donc plus à ma disposition ? Elle « roule » sans moi depuis le début de ce mois de novembre.

Quatre mois d’hostilités, de combats pour comprendre, quatre mois de respirations, de méditations, de prières ; quatre mois d’écueils mais pourtant quatre mois à apprendre de la souffrance de mon corps, de mon âme ; quatre mois d’accep-tation de ce corps qui résiste à la pieuvre, qui renâcle mais qui n’en fait qu’à sa tête, sans mon consentement.

Les poches sous les yeux, la peau grise ; accepter aussi ce vieillissement ; accepter de lâcher l’image de marque, accep-ter d’avoir soixante-deux ans, de ressembler à une femme de soixante-deux ans ; accepter qu’une autre femme enfante de cet accouchement douloureux, de cette autre partie cachée ; accepter de ne plus résister au temps, aux transformations, à ces manques, à la jeunesse perdue ; accepter d’enfanter d’autre chose ! C’est ainsi, le temps fait ce qu’il a à faire sans se préoccuper de nous. Oui, bien sûr, le temps… mais c’est d’un autre temps qu’il s’agit, le temps de ma vie à moi ! Mon corps crie, hurle et au bout de ces hurlements, de ces tumultes et de ce désespoir, le lâcher prise arrive comme s’il ne pou-vait en être autrement, comme si le passage de l’ombre à la lumière devait s’opérer de cette manière ; mon accouchement est long mais j’ai déjà tant appris des contractions de cet hiver noir ! Je ne peux pas tout : la vie, ma vie ne m’appartient pas totalement et ma tête fait des choix à mon insu ; « vous n’êtes pas très gentille avec vous », dit le gentil thérapeute des ur-gences… « Vous manquez d’humilité ! »

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Oui ! Tu as raison, gentil thérapeute, mais dis-moi, toi qui sais, tu entends ce que je te crie ? Donne-moi la recette pour être plus gentille et plus douce avec moi ; aujourd’hui que je ne dors plus, que je ne sais plus dormir. Je dois apprendre à ne plus me laisser envahir par mes émotions, ces peurs du noir, de la mort, alors que je sens la vague d’angoisse immense et glau-que qui déferle sur moi… mes jambes se dérobent sous mes pas ; je vais mourir, je suis presque morte ! Et ces cris d’enfant que j’entends en permanence quand le sommeil arrive enfin vers le petit matin ! Alors, ma tête et mon corps, qu’avez-vous à me dire que je ne sache déjà ? Je croyais pourtant avoir fait le tour de cette femme ; soixante ans et plus, ça compte tout de même ! La vie me met encore aujourd’hui devant un nouveau désert où je dois marcher… seule… vers quoi ? Le néant, je le sais !

Le cancer m’avait appris l’impermanence de la vie ; aurais-je déjà tout oublié ?

- Viens Louise, viens dormir près de moi… oui là, comme ça ma Louise, ferme les yeux et dors.

- Je ne sais plus, Vincent, je ne sais plus dormir, j’ai perdu la clef ; c’est comme si je n’arrivais plus à éteindre les lumiè-res de la maison.

- Que se passe-t-il, Louise ? Tout allait bien, tu me disais que tout allait bien pour toi… Tu te sentais légère, sereine, presque sage disais-tu… Quels sont les monstres qui te tarau-dent encore aujourd’hui ?

- Je ne sais pas, Vincent, je ne comprends rien à ce qui se passe… Peut-être encore un passage, celui de la soixantaine et plus qui arrive… et tout le tralala.

Et Louise ne répondait pas à Vincent, rien de plus que ce qu’il pouvait entendre aujourd’hui. Plus tard, elle verrait, elle serait obligée de lui dire ; et puis, sûrement, il se rendrait compte de ce qu’elle était en train de devenir, une coquille vide !

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Malade, encore malade, occupez-vous de moi ! S’est-on déjà occupé de moi ? Aidez-moi ! Au secours, je vais mourir, je ne peux plus vivre debout la nuit ! Je ne peux plus parler, la mâchoire est en plomb et les mots n’arrivent plus à dire ma douleur.

La vie est à mi-temps et je suis lasse d’être ça : ce que l’on dit de moi : « bonne, formidable, géniale, courageuse. » Laissez-moi ! Foutez-moi la paix ! Je veux être une petite fille qu’on garde contre soi, qu’on console. Ce soir, je ne crois plus au miracle et je ne vois plus que moi, j’oublie que le monde existe, les autres, ceux que j’aime. Mon tout petit-fils, le premier, je pense à toi dans mes insomnies, tes grands yeux plein de vie, et ta voix qui me dit « Guégué ! » ; tu prends des centimètres ces temps-ci, mais je ne vois plus rien de ce qui est beau, si préoccupée que je suis de l’inconnu qui m’habite. Le gros ventre de ta maman plein de vie s’épanouit et cette petite princesse qui tressaille de vie et qui s’apprête à conquérir le monde n’a pas encore entendu, comme toi, la berceuse que je te fredonnais et que je chantais aussi à ta maman, avant et après la naissance ! Je suis si loin de tous ces bonheurs qui comblaient ma vie !

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Ninni Nanna1

O la richezza di la to mammucciaToi la richesse de ta maman

U me figliolu tisoru di mè.Toi mon fils mon trésor

A ninninanna dighjà t’abbiucciaCette berceuse déjà t’apaise

Sarra i to ochji chi veghju per tè.Ferme tes yeux je veille sur toi

In celu luce tamanta una stellaDans le ciel brille une si grande étoile

U rusignolu hà cantatu digiàLe rossignol a déjà chanté

A luna tonda pare una bastellaLa lune est ronde comme une fougasse

L’agnuli in celu a si voni manghajà.Les anges du ciel vont la manger

1 Carulu Giovoni/Roger Lucchesi

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Ma fille chérie, je ne suis pas loin de toi ; je t’ai un peu oubliée, négligée toi aussi, toute focalisée que je suis sur mon mal-être, cette insomnie qui dure, salope, sournoise, qui sape jusqu’à mon désir d’aller te voir, mais je t’aime infiniment, toujours ; donne-moi du temps. Je pense beaucoup à toi tous ces jours-ci ; devant la magnificence de ce ventre plein de vie, je me souviens du jour où tu as quitté la maison pour aller vivre avec l’amour de ta vie ; t’en souviens-tu, toi ?

J’ai gardé dans un de mes tiroirs secrets, ce petit rouleau de papier entouré d’un ruban de satin rose ; j’avais alors écrit : « C’est le 3 septembre. Hier soir, histoire de femmes, ou plu-tôt, histoire de mère, fille presque femme ; toutes les deux, seules. J’ai noué autour de ton ventre neuf, un ruban rose et l’ai relié ainsi à moi, autre ventre qui t’a portée. »

C’était un cordon t’ai-je dit et tu l’as bien compris toi qui me connaît, qui a ri, souri, mi-joyeuse, mi-triste, cordon d’amour entre toi et moi que je te demandais de rompre, de couper au ciseau ; tu l’as coupé violemment en riant, en me traitant de folle, mais avec un regard tendre et sérieux, toi qui quittes le cocon où tu vis depuis dix-neuf ans et neuf mois !

C’était comme un jeu entre nous…

J’ai souhaité que tu accomplisses ce geste pour libérer l’enfant de moi, pour te donner une nouvelle fois à la vie qui t’attend. Je t’ai demandé aussi de garder, si tu le voulais, le bout de ruban et j’ai fait de même ; je l’ai rentré dans mon pantalon, près de mon ventre !

Tu me quittes ma fille et c’est douloureux pour moi, ta mère, même si je trouve merveilleux que tu ailles vers ta vie, ton avenir ; créer une autre famille, faire alliance avec celui que tu aimes. J’ai un peu mal car le dernier poussin me quitte.

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Je te l’ai dit et c’est vrai : de mes trois enfants, tu es la plus jeune, celle avec qui j’ai vécu le plus longtemps ; nous avons eu peu de moments malheureux toi et moi, certains ont été partagés de près, d’autres vécus éloignées momentanément l’une de l’autre mais peu de temps.

Vincent est parti pour la journée et Louise s’autorise à se laisser aller… les émotions la submergent, les souvenirs af-fluent ; les larmes glissent ; elle ne retient rien, ne se rebelle contre rien !

Je me souviens, je te revois ! Je te retrouve dans cette quête qui est la mienne aujourd’hui ; ne jamais oublier ces moments avec vous, si tendres.

J’ai gardé, depuis ta naissance, ce geste qui me fait respi-rer dans tes cheveux l’odeur de l’enfance. Je te regardais hier soir, femme mais encore enfant ; tu m’as dit : « Je ne te quitte pas ; je ne vais pas être loin. » Si, tu me quittes et c’est bien que tu le fasses quoi qu’il arrive car c’est dans l’ordre des choses.

C’est bien, ma chérie, car ce départ est porteur de projets, de promesses d’avenir ; il va falloir construire pour toi, pour l’autre avec toi. Aujourd’hui pourtant, je suis triste car en ten-dant la main, ici, je ne te rencontrerai pas ; les bisous dans ta nuque humide quand tu dors, tes joues rondes encore dans l’enfance et les boucles partout autour de ton visage ; tes vingt ans arrivent !

Je vous aime mes petits, je t’aime mon enfant, je t’aime d’amour depuis si longtemps ; bien avant que tu arrives, je connaissais déjà le prénom que tu aurais ; je t’avais presque déjà imaginée dans mes rêves d’adolescente où j’inventais ma vie le nez en l’air. J’ai essayé, tout au long de ces années, de t’apprendre à devenir grande pour aller vers l’âge adulte ! Je te

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l’ai dit, en me trompant souvent certes, mais en croyant bien faire, chaque fois. J’espère en partie y être parvenue car tu es belle et dehors et dedans, encore âme guerrière, farouche et réactive et je suis fière de toi. Reste ainsi ma fille, aimante et généreuse, mais vigilante. Le monde a besoin d’êtres comme toi !

Le temps me paraît si court parfois entre le moment de votre enfance, votre adolescence et les adultes que vous êtes aujourd’hui. Je vous observe et retrouve parfois dans vos mi-miques, vos comportements, ce que j’ai gardé de vous, en-fants… et pourtant, le temps va sa vie ! Toi mon fils aîné, déjà quarante ans, je vois les petites rides qui commencent à se former au coin de tes yeux ; ton petit qui te tient la main et qui étrangement te ressemble au même âge ; comme cela est trou-blant pour moi ta mère… Où suis-je ? Dans le passé ? Dans le présent de nos vies ? Dans le passé de ma jeunesse où je me sentais alors immortelle.

Laissez-moi du temps, juste pour les souvenirs, juste pour aller à la recherche des temps perdus ! Et d’ailleurs, quelle chose étrange de se souvenir, de remonter vers le passé sans le désirer, sans même y penser comme cela, simplement. Un sourire, une image, des mots et la survivance de ce que j’étais en ce temps revient, souvenir éblouissant auquel je me raccro-che.

Comme la vie était simple et douce dans ce temps-là, le temps de vos rires, de votre enfance, le temps des vacances, mes enfants chéris, mes amours ; simple comme le bon pain du matin qu’on trempe dans le bol de chocolat ; ça dégouli-nait partout, sur les doigts, le long du menton et vous restiez ainsi barbouillés de chocolat, de confiture… Ah ! les bons petits-déjeuners de votre enfance ! Oui, c’était le temps des vacances, le temps de la liberté d’échapper aux contraintes, quand les habitudes sont remisées. Vos vélos, la glace à la

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fraise, le visage doré et vos petites jambes qui volaient vers vos aventures d’enfants, dans ces lieux où rien de mauvais ne pouvait vous arriver. Vos vélos ! Rouge, bleu, blanc, sales d’avoir traversé les chemins boueux ; les chaînes qui grincent à chaque tour, les chaînes qui sautent, vos petites mains noires de graisse. Et puis notre rituel – le vôtre surtout – plusieurs fois durant les vacances : les moules à la marée basse qu’il fallait ramasser ; vos petites bottes bleues qui sautaient sur les rochers et, pour chacun de vous, un seau ; vous comptiez les moules ; c’était la surenchère comme pour les châtaignes au temps de l’automne. Ensuite, il fallait les gratter, les laver plusieurs fois dans la bassine verte et après ce long travail où, bien sûr, vous n’étiez pas présents – vous autres les enfants, vous n’étiez que des chasseurs de moules – nous, les cuistots, nous enfournions dans la cocotte, moules, vin blanc et échalotes. Le temps de la cuisson, vous aviez juste le temps de sauter sur vos vélos, votre petite gamelle scoute tenue par le tendeur et vous filiez sur le port, à l’aventure – cinq cents mètres à peine – acheter les portions de frites qui allaient accompagner les moules. Ah ! les bonnes moules-frites de nos vacances, de votre enfance ! Vos visages réjouis d’avoir mené à bien l’ex-pédition, sans dégâts. Avais-je conscience à cet instant, que des anges étaient assis à ma table ?

Aujourd’hui, Louise tu en as conscience, tu as beaucoup grandi ma Louise, mais tu étais une si jeune maman ; tu sen-tais juste que le bonheur était là car ces trois petits, il fallait t’en occuper. Avais-tu le temps de te dire : « Je suis heureuse, comblée ? » Non, tu le ressentais, nul besoin de mots pour parler de ce qui pour toi était une évidence.

Saurez-vous un jour comme je vous ai aimés et savez-vous aujourd’hui comme je vous aime ! À présent, plus que jamais, j’en ai la certitude et je retrou-ve quelquefois, la nuit, dans un rêve lointain où nous étions

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ensemble, si près les uns des autres, la soie de vos cheveux blonds sous ma main !

Je vais laisser faire, ne plus lutter, attendre que le sommeil revienne avec le printemps.

… après, avril…

Ce matin, dans le petit chemin de ce bois habité par ma solitude de ces mois derniers, j’ai entendu pour la première fois le chant du coucou ! Et les larmes de reconnaissance sont arrivées ; oui, le printemps était là et j’étais debout, vivante pour le célébrer ! Un rayon de soleil Juste là sur ma joue Le chant du coucou Juste là, près de mon oreille Le mois d’avril se réjouit de me faire plaisir !

Le sommeil revient, merci mon Dieu, mes anges, mes gui-des, merci à l’amour que toi tu me donnes, merci à ceux qui m’aiment. Vais-je retrouver la vie avec ce nouveau printemps que j’espérais plus qu’à l’habitude ?

Je dors dit-elle La nuit s’enroule autour d’elle Et l’emporte vers les étoiles…

C’est si simple de dormir. Il suffit de fermer les yeux et laisser la nuit s’installer près de soi. Elle va aller se coucher, fermer les yeux et attendre que les paupières deviennent si lourdes qu’elle en oublie qui elle est.

Le bateau s’était posé La tempête s’éloignait

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La nuit noire était là… Mais elle se tenait présente, sur le pont, forte !

Rien de pire ne pourrait lui arriver à présent ; elle avait vécu l’enfer ! Mais je n’ai pas tout dit, je ne vous ai pas tout dit de mon chemin de désespérance qui ne fait que commen-cer. Alors, l’inéluctable était à venir, elle le savait !

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TABLE DES MATIÈRES

I - L’ÉTRANGER

1 Amine - 2010 ............................................................ 7

II - À LA RECHERCHE DES TEMPS PERDUS

2 Une pieuvre dans ma nuit - 2009 ........................... 11 3 L’homme sage - 2009 ............................................. 23 4 À la rencontre de soi - 2009 ................................... 27 5 Le Père - 2010 ........................................................ 31 6 Pace e Salute - 2010 ............................................... 35 7 La Mère - 2010 ....................................................... 41

III - HÉLÈNE OU UNE AUTRE VIE

8 J’existe - 2010 ........................................................ 53 9 Incertitudes - 1984 .................................................. 59 10 Vague amour - 1984 ............................................. 63 11 Retenir la vie - 2010 ............................................. 65 12 Nostalgie du plaisir - 2010 ................................... 73

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13 J’oublie que j’oublie - 2010 ................................. 77

IV - DESTINS CROISÉS

14 Angèle, Claire et Louise - 2010 ............................ 83 15 L’arrachement - 1960 ........................................... 95 16 La peur d’être libre - 1984 .................................... 97 17 L’amour rôde - 1985 ........................................... 101 18 Ma liberté - 1985 ................................................ 107 19 La muse du café - 2010 ...................................... 111 20 Une odeur d’herbe coupée - 1985 ...................... 115 21 L’aube d’un jour nouveau - 1985 ...................... 123 22 Pesante légèreté - 1985 ....................................... 127 23 La part d’ombre - 1985 ....................................... 133 24 La vieille poste - 2010 ........................................ 139 25 L’inventaire - 1985 ............................................. 143 26 Amoureuse d’étoiles - 1985 ................................ 149 27 Il pleuvait des larmes - 1985 .............................. 153 28 Tenir debout - 1985 ............................................ 157

V - DANSER DANS LA PLUIE

29 L’ours solitaire - 2010 ........................................ 165

VI - VARIATIONS DE L’ÂME

30 Elle regarde le ciel - 2010 .................................. 173 31 La couleur de son âme - 1986 ............................ 177 32 L’odeur du bonheur - 1989 ................................. 183

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255

33 Aimer les chimères - 1989 .................................. 187 34 On se quitte - 1989 ............................................. 195

VII - LE RETOUR AU RÉEL

35 L’adieu à Villanova - 2010 ................................. 201 36 Paul, mon Ami - 2010 ........................................ 203 37 Encore vivante ! .................................................. 209 38 Putain de vie ! ..................................................... 215 39 La dernière gorgée de bière ................................ 223 40 Le déni ................................................................ 227 41 L’homme ............................................................ 241 42 La vie a fait ce qu’elle avait à faire - 2011 ......... 247

VIII - ÉPILOGUE....................................................... 249

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Dépôt légal juillet 2013

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