Démocratisation Et Ingerence Etrangere_Le Cas d'Iran

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 Démocratisation et ingérence é trangère : le cas iranien Clément Therme Février 2009 Perspectives MOM Perspectives MOM Département Moyen-Ori ent/Ma gh reb (MOM)

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  • Dmocratisation etingrence trangre :

    le cas iranien

    Clment ThermeFvrier 2009

    Perspectives MOM Perspectives MOM

    Dpartement Moyen-Orient/Maghreb (MOM)

  • L'Ifri est, en France, le principal centre indpendant de recherche,d'information et de dbat sur les grandes questions internationales. Cren 1979 par Thierry de Montbrial, l'Ifri est une association reconnued'utilit publique (loi de 1901). Il n'est soumis aucune tutelleadministrative, dfinit librement ses activits et publie rgulirement sestravaux. L'Ifri associe, au travers de ses tudes et de ses dbats, dansune dmarche interdisciplinaire, dcideurs politiques et conomiques,chercheurs et experts l'chelle internationale.Avec son antenne de Bruxelles (Ifri-Bruxelles), l'Ifri s'impose comme undes rares think tanks franais se positionner au coeur mme du dbateuropen.

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    Table des matires

    INTRODUCTION..............................................................................2 LE PROGRAMME DE DEMOCRATISATION AMERICAIN.............................4 DIMENSIONS MEDIATIQUES ET ETHNIQUES DE LA POLITIQUE IRANIENNE DE WASHINGTON ................................8

    Les mdias amricains en persan................................................8 La dimension ethnique .....................................................................9

    LE DEVELOPPEMENT DES CONTACTS ENTRE LES DEUX SOCIETES ......13 CONCLUSION ...............................................................................17

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    Introduction

    On ne peut promouvoir la libert par la contrainte, ni l'galit par la soumission1 . Lisolement de lIran sur la scne internationale, la nature thocratique de son systme politique, son statut d ennemi des pays occidentaux en gnral et des Etats-Unis en particulier font de lIran un exemple original de tentative dimposition de la dmocratie venant de ltranger. Il faut prciser ici quil y a une distinction faire entre la politique europenne sur la question des droits de lhomme et le programme amricain de dmocratisation de lIran dont lobjectif est daboutir un changement de rgime (regime change)2. Cette approche est contre-productive parce quelle conduit penser que lide dmocratique est instrumentalise des fins gopolitiques par les Etats-Unis. Ainsi, mme si son intention est bonne, cette politique de dmocratisation en Iran aboutit un chec et met en danger des acteurs internes (association de dfense des droits de lhomme, culturelle reprsentant les minorits ethniques) qui voient leur travail compliqu par lactivisme dmocratique de Washington.

    Par ailleurs, celui qui croit aux jugements absolus, donc transculturels, risque de prendre pour des valeurs universelles celles auxquelles il est habitu, de pratiquer un ethnocentrisme naf et un dogmatisme aveugle, convaincu de dtenir pour toujours le vrai et le juste. Il risque de devenir bien dangereux le jour o il dcide que le monde entier doit bnficier des avantages propres sa socit et quafin de mieux clairer les habitants des autres pays, il est en droit de Clment Therme, assistant de recherche lInstitut franais des relations internationales (Ifri), doctorant au Graduate Institute (Genve) et lEcole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS, Paris). Je tiens remercier MM. Ramsay et Mistral pour leur relecture et leurs conseils. 1 Tzvetan Todorov, La peur des barbares. Au-del du choc des civilisations, Paris, Robert Laffont, 2008, p. 286. 2 Nous ne traiterons pas au cours de cet article de la politique de sanctions conomiques unilatrales amricaines qui sinscrit galement dans la stratgie de regime change.

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    les envahir. Tel est le raisonnement adopt par les idologues de la colonisation, hier, mais aussi, bien souvent, par les aptres de lingrence dmocratique ou humanitaire aujourdhui. Luniversalisme des valeurs menace alors lide que les populations humaines sont gales entre elles, et donc aussi luniversalit de lespce3 . Cette mise en garde de Todorov est suivie dune dnonciation du nihilisme qui habite les partisans du relativisme culturel. En consquence, dans le cas iranien, si les Occidentaux ne doivent pas renier ce quils sont, leur croyance en certaines valeurs, ils doivent prendre garde ne pas tenter de les imposer par des remdes qui sont pires que le mal.

    Nous tudierons dabord le programme amricain de dmocratisation et les diffrents outils utiliss (mdias, soutien aux minorits ethniques, dveloppement des contacts entre les deux socits) avant denvisager, en conclusion, ltat davancement de lide dmocratique en Iran.

    3 Tzvetan Todorov, La peur des barbares. Au-del du choc des civilisations, Robert Laffont, Paris, 2008, p. 29.

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    Le programme de dmocratisation amricain

    Le concept de dmocratisation sera ici dfini comme tant un processus conduisant la mise en place dun cadre juridique permettant la tenue dlections libres et quitables. Ces lections sont une condition indispensable mais pas suffisante la dmocratisation comme le montre, depuis 2003, lexemple irakien. Ce processus doit tre port par une volution politique interne qui a russi lorsque le pouvoir nest plus dvolu un groupe de personnes (dans le cas iranien, une oligarchie comptitive) mais dpend dun ensemble de rgles institutionnelles4. La dfinition de lingrence trangre sera dans cet article limite au champ dmocratique. Nous ne prendrons donc pas en compte les cas dingrence humanitaire. Lingrence dmocratique, pour reprendre lexpression de Todorov, apparat partir du moment o un acteur tranger (Etat, ONG) simmisce dans les affaires dun autre pays afin de dmocratiser son systme politique. Le financement amricain de la dmocratie en Iran sinscrit dans ce cadre. Il constitue dailleurs, selon le gouvernement iranien, une violation des accords dAlger de 1981. Ceux-ci ont t adopts pour mettre un terme au contentieux n de la crise des otages de 1979-1980. Ces accords disposent que les deux parties sengagent ne pas interfrer dans les affaires internes de lautre5. Toutefois, on peut aussi remarquer que lIran singre parfois dans les affaires internes dautres Etats de la rgion (Liban, Irak, Syrie par exemple).

    Dautre part, il y a toujours eu dans la politique extrieure amricaine une tentation de mener des actions en faveur de lclosion de la dmocratie dans les pays ayant des rgimes politiques autocratiques ou totalitaires. Les modles qui sous-

    4 Nous nous inspirons ici de la dfinition propose par Mahmood Monshipouri dans Democratization, Liberalization and Human Rights in the Third World, Lynne Rienner Publishers, Londres, 1995, p. 16. 5 Voir le texte officiel, http://www.parstimes.com/history/algiers_ accords.pdf

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    tendent lambition dmocratique amricaine en politique extrieure datent des lendemains de la seconde guerre mondiale. Ainsi, pour mettre dans une perspective historique la reconstruction de lIrak au lendemain de lintervention militaire de 2003, les no-conservateurs amricains ont eu recours aux exemples allemand et japonais. Concernant lIran, le modle appliquer serait cette fois ci, celui de la fin de la guerre froide et de leffondrement des rgimes communistes totalitaires dEurope de lEst. Cest cet exemple historique qui devrait permettre le renversement du rgime totalitaire iranien. Cette hypothse de travail nest pas que thorique puisque que la cration, en 1998, du Persian Service de Radio Free Europe bas Prague sinscrit dans ce cadre conceptuel. Cette politique amricaine suscite une rponse de la Rpublique islamique qui a multipli ces dernires annes les arrestations dintellectuels iraniens ou irano-amricains (Ghassemlou, Haleh Esfandiari) accuss de foment une rvolution de velours en Iran sous la direction des services de renseignement amricain6. Haleh Esfandiari a d faire des confessions publiques au cours desquelles elle a avou avoir tent dorganiser une rvolution colore 7 en Iran. Ce rle des Etats-Unis et des ONG internationales dans la chute de lURSS et dans lvolution pro-occidentale de certains pays de lancien espace sovitique est dailleurs une proccupation des lites politiques iraniennes et singulirement du Guide suprme. Il craint par exemple linstrumentalisation des intellectuels iraniens pro-occidentaux par les Etats-Unis dans lobjectif de renverser la Rpublique islamique8.

    Il est par ailleurs avr que des ONG amricaines ont jou un rle dans les rvolutions colores quil sagisse du National Democratic Institute (NDI), lInternational Republican Institute (IRI), Freedom House, de la Fondation Soros (notamment lOpen Society Institute)9. Dans le cas iranien, le 6 Voir Denis Bauchard, Iran 2007 : dfis et incertitudes , Perspectives Moyen-Orient/Maghreb, IFRI, n5, mai 2007, p. 4. 7 On appelle rvolution colore les transitions politiques en Gorgie (novembre 2003), en Ukraine (novembre-dcembre 2004) et au Kirghizstan (mars 2005). 8 Voir Karim Sadjadpour, Reading Khamenei. The World View of Irans Most Powerful Leader , Carnegie Endowment for International Peace, 2008, pp. 17-18. 9 Voir sur cette question, Rgis Gent, Les ONG internationales et occidentales dans les rvolutions colores". Des ambigits de la dmocratisation , in Revue Tiers Monde, n193, janvier-mars 2008, pp. 55-66. Lorigine de ces rvolutions colores serait une combinaison dlments exognes et endognes ; llment exogne apportant son concours lendogne Par ailleurs, Lucan Way remarque que plus le lien entre lEtat autoritaire et lOccident est fort, plus sa stabilit est mise lpreuve. Lauteur conteste galement limportance des financements trangers des mouvements politiques instigateurs des rvolutions colores dans The Real

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    programme de dmocratisation finance entre autres la New America Foundation (NAF). Le Directeur de linitiative pour la Global Governance de la NAF estime que la politique de changement de rgime en Iran va conduire lamour (Iran. Regime Change will lead to love10). Face ce que Thran peroit comme une menace des ONG occidentales (sur le modle de lexprience de lespace post-sovitique o elles se sont installes en grand nombre au lendemain de lexplosion de lURSS), les autorits iraniennes ont, pour se prmunir contre toute tentative dingrence, maintenu les restrictions dinstallation pour toutes les associations ou ONG trangres (sauf pour lurgence, aprs le tremblement de terre de Bam en 2004 par exemple).

    Le financement des ONG iraniennes est principalement issu du gouvernement iranien et des agences de lONU. Ces ONG ne sont en outre pas autorises recevoir des fonds provenant de gouvernements trangers. Il est nanmoins juridiquement possible pour les ONG daccepter des financements des ONG trangres mais le risque est alors grand pour celles-ci dtre accuses despionnage au service dune entit ennemie. Le programme amricain officiel de dmocratisation de lIran est nanmoins limit par un budget annuel de 75 millions de dollars auquel il faut ajouter le financement de covert operations qui seraient conduites par les services secrets amricains en direction notamment des minorits ethniques11. Le Dpartement dEtat amricain a dcid, par exemple, le financement de programmes pro-dmocratie conduit par 26 organisations bases aux Etats-Unis et en Europe. Les autorits amricaines refusent de dvoiler qui sont les bnficiaires de ces fonds pour des raisons de scurit . Une partie du programme consiste financer la promotion les changes entre les populations (people to people) afin damliorer limage des Etats-Unis en Iran.

    Aprs les interventions militaires en Afghanistan (2001) et en Irak (2003), cet aspect de la politique extrieure

    Causes of the Color Revolutions , in Journal of Democracy, Volume 19, n3, juillet 2008, pp. 55-69. 10 Voir Daniel H. Pink, Parag Khanna. Embrace the Post-American Age , Wired, octobre 2008, pp. 163-163. 11Au dbut de lanne 2006, les Etats-Unis ont dcid dallouer un budget de 75 millions de dollars la dmocratisation de lIran autrement dit pour parvenir un changement de rgime. Washington a aussi t accus par les autorits iraniennes de soutenir des groupes arms baloutches, les Moujahdins du Peuple (MKO) en Iran et davoir conduit des oprations avec les forces spciales en Iran. Voir John Rydqvist, Kristina Zetterlund (editors), Consequences of Military Action Against Iran, FOI, Swedish Defense Research Agency, Stockholm, mars 2008, p. 32.

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    amricaine est dsormais peru par lopinion publique internationale comme une tentative de Washington dutiliser lide dmocratique pour justifier des interventions militaires au service de son ambition hgmonique12. De mme, ce programme de dmocratisation amricain du grand Moyen-Orient13 est souvent prsent comme tant gomtrie variable : le double standard occidental se manifeste par exemple dans la contradiction entre le refus des pays occidentaux de reconnatre le rsultat des lections dmocratiques en Palestine (janvier 2006) et leur soutien des rgimes autocratiques (aide financire amricaine au rgime de Moubarak, soutien Ryad).

    12 Voir Francis Fukuyama, La chute dAmerica, Inc , Le Monde, 9 octobre 2008. 13 Ce projet a t voqu par le Prsident Bush pour la premire fois en 2003 devant le National Endowment for Democracy.

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    Dimensions mdiatiques et ethniques de la politique iranienne de Washington

    Les mdias amricains en persan

    Les mdias amricains en persan sont les principaux bnficiaires (avec les think tanks et, depuis la fin des annes 1990, pour les contacts people to people) des fonds pour la dmocratisation de lIran. Il sagit de Radio Farda14, Voice of America (Sed-ye meric) qui devrait recevoir 20 millions de dollars pour lanne 2008. Par ailleurs, la revue lectronique Gozaar, cre en 2006, est finance par la Freedom House. Elle a pour objectif la promotion de la dmocratie et des droits de lhomme en Iran. Sa ligne ditoriale est dinsister sur les droits des femmes, le droit des minorits ethniques et religieuses, des enfants, des travailleurs mais aussi des tudiants15. Il existe galement des tlvisions diffuses par satellite qui sont finances par des personnalits de la diaspora iranienne aux Etats-Unis ou en Sude par exemple. Celles-ci rencontrent nanmoins une audience limite en Iran lexception de Persian Music Channel qui est la premire chane du satellite que regardent les Iraniens. La principale chane diffusant des informations politiques est Voice of America (VOA), son audience est nanmoins difficile estimer en raison de labsence de statistiques officielles. Toutefois, on constate que le public de cette chane se retrouve plutt dans la capitale ou dans les grandes villes de province dans lesquelles la population a un accs plus ais au satellite. En effet, si le prix de la parabole ne constitue pas un obstacle, force est de reconnatre que dans les zones rurales laccs au satellite est 14 Pour 2008, le Prsident amricain a demand 8,1 millions de dollars pour le financement de la radio. 15 Voir le site de la revue, www.gozaar.com. En persan, gozaar signifie transition .

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    compliqu par la pression sociale et le contrle des autorits16. Cette chane qui a t lance en 2005-2006 a rencontr un succs significatif bien que limit. Elle permet au citoyen daccder une information alternative aux mdias officiels dans leur langue maternelle. En effet, le systme de la radio-tlvision iranienne est fig depuis ladoption de la constitution iranienne qui empche tout acteur priv de lancer une tlvision depuis le territoire de la Rpublique islamique. Cest lIRIB qui dtient le droit exclusif de diffusion de programmes tlviss. Cette absence de mdias indpendants sur les plans politique ou financier devrait renforcer dautant lintrt de la chane VOA. Or, lhypothse ne se vrifie que partiellement puisque le caractre orient des informations diffuses ainsi que labsence de renouvellement des intervenants affaiblisse la crdibilit ditoriale de VOA. Enfin, lintrt trs important accord aux minorits religieuses et ethniques suscite le dsaveu dune grande partie des citoyens iraniens qui ont en partage un fort sentiment nationaliste. Ce nest pas le projet de diffusion de Radio Free Europe en langue azrie vers lIran qui est susceptible de rassurer les nationalistes iraniens17 Il semble donc quil existe un espace pour dautres chanes dinformation par satellite en persan ; le lancement en janvier 2009 de la chane BBC Persian Service pourrait combler ce vide.

    La dimension ethnique

    Le rapport entre lethnicit et la dmocratisation est des plus complexes. La majorit des politologues estiment, par exemple, que la multiplicit ethnique dun Etat est un obstacle un systme dmocratique stable. Or linverse est aussi vrai puisque le nationalisme ethnique sous certaines conditions peut tre un facteur favorisant laffirmation dun systme politique dmocratique18. Dans le cas iranien, il semble que la politique 16 Au dbut des annes 2000, on estimait le nombre dhabitants ayant accs au satellite 2 millions dont la moiti Thran. Ce chiffre est sans doute en augmentation depuis et cela en dpit des campagnes de confiscations de paraboles qui se sont acclres depuis larrive au pouvoir du Prsident Ahmadinejad. Estimation cite par Ali Mohammadi, Iran and modern media in the age of globalization in Ali Mohammadi (edited by), Iran Encountering Globalization. Problems and prospects, RoutledgeCurzon, Londres/new York, 2003, p. 31. 17 Voir Iran: US Government Planning Azeri-Language Broadcasts to Iran , Eurasianet, 10 mars 2008. 18 Mark R. Beissinger, A new Look at Ethnicity and Democratization , Journal of Democracy, Volume 19, n3, juillet 2008, p. 85.

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    extrieure amricaine sinscrive dans le cadre conceptuel de la seconde cole de pense puisque la violation des droits des minorits religieuses et ethniques est un leitmotiv que lon retrouve dans les discours des autorits amricaines sur labsence de dmocratie en Iran. Il semblerait donc que pour Washington le respect et laffirmation des identits culturelles et religieuses de lIran serait un signe de dmocratisation de son systme politique. A linverse, si lon applique la thorie selon laquelle la multiplicit ethnique est un obstacle un systme politique dmocratique stable, on constate que le caractre exclusiviste du nationalisme ethnique revt un risque pour le maintien de lintgrit territoriale du pays et donc la stabilit de lEtat.

    Outre la diffusion de programmes radio-tlviss qui traitent extensivement de la question ethnique, le gouvernement amricain soutiendrait, selon les autorits iraniennes, des mouvements politiques reprsentant les minorits ethniques (kurdes, arabes, azris, baloutches notamment) afin daffaiblir le systme politique de la Rpublique islamique. A titre dillustration, depuis la fin de lanne 2005, lintensification des troubles dans la province du Sistan-Baloutchistan suscite linquitude du pouvoir central iranien, qui a fait appel plusieurs reprises la coopration scuritaire avec le Pakistan19 dans sa lutte contre le groupe arm baloutche, Joundollah. Ce mouvement, qualifi de terroriste , serait, selon les autorits iraniennes, soutenu par les Etats-Unis dans le cadre de la guerre larve20 contre le dveloppement du programme nuclaire de Thran et le renforcement de sa puissance rgionale.

    Cette tentation stratgique amricaine de soutien financier aux minorits ethniques iraniennes en gnral, et baloutche en particulier, semble cependant contre-productive en raison de la force du nationalisme iranien qui transcende la diversit ethnique du pays21. De mme, les Etats-Unis sont

    19 Voir par exemple, Iran cautions Pakistan over Jundullah , Press TV, 2 juillet 2008. 20 Un budget de 400 millions de dollars aurait t allou par ladministration Bush afin de dstabiliser la Rpublique islamique par la priphrie. Voir Alain Gresh, " Compte rebours " in Manire de voir, n 93, juin-juillet 2007, http://www.monde-diplomatique.fr/mav/93/GRESH/14767 et Seymour M. Hersh, Preparing the Battlefield , The New Yorker, 7 juillet 2008, http://www.newyorker.com/reporting/2008/07/07/080707fa_fact_hersh 21 Voir sur cette question Jean-Franois Bayart, LIran est-il soluble ? , Note de Terra Nova, 3 juillet 2008, 8 p. et Keith Crane, Rollie Lal, Jeffrey Martini, Irans

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    accuss de soutenir les groupes kurdes (PJAK) et davoir une lecture oriente du fait ethnique azri22. En effet, les azris sont plutt bien reprsents au sein des lites politiques de la Rpublique islamique (la plus haute autorit de lEtat, le Guide suprme Khamenei, est azri) et ils constituent une partie importante des bazaris qui sont historiquement lun des principaux soutiens de la Rpublique islamique. Il semble donc que toute lecture ethnique du systme politique iranien sous-estime la cohsion nationale, fonde sur une identit chiite et iranienne, qui sinscrit dans le temps long. Lors dune confrence organise par des membres du congrs amricain, en mars 2008, des reprsentants des minorits ethniques ont fait valoir leurs revendications mais, ceux-ci ne semblaient pas tre rellement reprsentatifs de ces populations23 ce qui montre la difficult de Washington mettre en pratique sa politique daide aux minorits ethniques. Toutefois, on peut aussi considrer que ce soutien amricain certains mouvements politiques qui se disent reprsentatifs de ces minorits est une opration de realpolitik. Il sagirait dans cette hypothse de rechercher la dislocation dun Etat qui se prsente comme lennemi du rgime sioniste et qui ne reconnat donc pas lexistence du fait national isralien. Il existe nanmoins aux Etats-Unis une contestation de cette politique de promotion de la dmocratie qui sexprime par la voie de certains reprsentants du congrs24 ou dONG telles que lAmerican-Iranian Council. Cette stratgie ethnique apparat in fine comme un atout pour les dirigeants de Thran, qui peuvent justifier les difficults intgrer les minorits ethniques ou les sunnites par laction dun Etat tranger. Ces difficults relvent pourtant principalement de dynamiques internes.

    Le classement par le Trsor amricain, en fvrier 2009, du groupe kurde PJAK (une manation du PKK, le parti des travailleurs du Kurdistan bas en Turquie) sur la liste des organisations terroristes pourrait constituer une prise de conscience par ladministration Obama des effets ngatifs produits par la stratgie ethnique mise en uvre par ladministration Bush. En effet, dans le cas du PJAK, le soutien amricain tait non seulement un vecteur de renforcement du

    Political, Demographic, and Economic Vulnerabilities, RAND Corporation, 2008, pp. 56-57. 22 Voir les travaux de la spcialiste des azris Brenda Shaffer. 23 Selon Mohsen Milani cit par Joshua Kucera, Iran: Is the United States trying to Stir up Discontent among Minority Groups? , Eurasianet, 17 mars 2008. 24 Par exemple, Barbara Lee a introduit une loi pour interdire le financement doprations clandestines en Iran conduites par la CIA afin de renverser la Rpublique islamique. Voir HR 6951 IH, projet de loi dpos le 18 septembre 2008.

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    nationalisme iranien mais aussi un facteur de tension dans la relation turco-amricaine. Cette dcision sinscrit enfin dans le cadre de la politique dtablissement de ngociations directes avec les dirigeants de la Rpublique islamique de la nouvelle administration amricaine25.

    25 Voir Geopolitical Diary : A U.S. Treasury Move Signals to Iran , Stratfor, 5 fvrier 2009.

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    Le dveloppement des contacts entre les deux socits

    Le dveloppement des changes directs date de la fin des annes 1990. Le Prsident Khatami propose, en 1998, un accroissement des changes culturels et universitaires entre les deux pays26. Le Dpartement dEtat a depuis lors soutenu des changes irano-amricains impliquant plus de 150 universitaires iraniens, athltes, artistes et professionnels du secteur mdical. Lors dune visite aux Etats-Unis en 2006, des professionnels iraniens du secteur mdical ont pu entrer en contact avec, entre autres, le Center for Disease Control ou la Harvard Medical School. Sil existe un risque pour les universitaires iraniens qui cooprent, sur des questions juges sensibles par la Rpublique islamique27, cela nempche pourtant pas le dveloppement des relations acadmiques dans dautres domaines (mdical, technologique ou scientifique). Ainsi, le corps professoral de lUniversit des sciences et techniques Sharif est compos de nombreux professeurs ayant obtenu leur PhD aux Etats-Unis. On estime que plus des deux tiers de chaque promotion partent aux Etats-Unis aprs avoir t diplms et Stanford est lune des destinations privilgies des tudiants iraniens de lUniversit Sharif28.

    Toutefois les Memorandum of Understanding (MOU) signs entre les universits iraniennes et amricaines rencontrent de nombreux problmes et, lexistence dun lien institutionnel ne signifie pas systmatiquement que des

    26 Voir Steven Erlanger, U.S. Aides Warm Up to Informal Iran Ties , New York Times, 10 janvier 1998. 27 Voir University Professors Need Permission to Travel. Committee for People Exchange Visits with America , Roozonline, 5 janvier 2009,http:// www.roozonline.com/english/archives/2009/01/university_professors_need_per.html 28 Lire Ashin Molavi, The Star Students of the Islamic Republic. Forget Harvard-One of the worlds best undergraduate colleges is in Iran , Newsweek, 18 aot 2008.

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    changes soient rellement en cours29. La multiplication des changes traduit la volont, de plus en plus forte, des autorits amricaines de construire avec lIran des relations qui ne soient pas exclusivement des relations diplomatiques informelles. Ainsi, en juillet 2008, le sous-Secrtaire dEtat William Burns a dclar : "We are committed to using educational, cultural and sports exchanges to help rebuild bridges between our two societies after 30 years of estrangement".30 Depuis trois ans, les autorits amricaines ont ainsi fait le choix dune nouvelle politique dattribution des visas en direction des tudiants iraniens qui souhaitent poursuivre leurs tudes (notamment au niveau du doctorat) aux Etats-Unis. Il y avait, en 2004, selon lUNESCO, 19 000 tudiants iraniens qui tudiaient ltranger dont un peu moins de 3000 aux Etats-Unis31.

    Cette ouverture amricaine sinscrit dans une stratgie affiche daffaiblissement scientifique de lIran. Mais lefficacit de cette politique est limite puisque quun nombre significatif dtudiants font le choix du retour dans leur pays dorigine. Il nexiste pas de statistiques officielles puisque ce sont les institutions iraniennes qui accueillent ces tudiants la fin de leurs tudes ltranger. Il faut nanmoins distinguer la question du brain drain qui relve plus de stratgies individuelles dtudiants iraniens trs comptitifs, de la stratgie amricaine daffaiblissement scientifique de lIran, qui est un objectif politique poursuivi dans le cadre de la politique de sanctions visant contraindre lIran respecter les rsolutions du Conseil de scurit relatives son programme nuclaire.

    Le dialogue religieux est un autre moyen de favoriser les relations people to people entre les deux pays. Il sagit dune tradition au sein du clerg chiite qui date davant la rvolution islamique, en ralit plus de 50 ans. Cest lAyatollah Bouroujerdi qui, le premier, a propos de les dvelopper entre, dune part, le clerg chiite et les sunnites et, dautre part, le clerg chiite et les Eglises chrtiennes. Il y a depuis, par exemple, un dialogue annuel entre le Vatican et Qom et de 29 Par exemple, un MOU a t sign, en 2002, entre les Universits de Thran et lUniversit dIndiana et celle de Purdue Indianapolis. La licence ncessaire la mise en uvre de ce master commun a t dlivre au bout de 4 ans par ladministration amricaine Aisha Labi, Growing Isolation Frustrates Iranian Academic. Islamist Rule has seperated Iran from academic and cultural connections in the West , The Chronical of Higher Education, 30 juillet 2008. 30 Dclaration cite in U.S. using sports diplomacy with Iran, UPI, 16 juillet 2008. 31 Il semble que le nombre dtudiants iraniens aux Etats-Unis est trs largement suprieur ce chiffre. Ces statistiques sont cites par Aisha Labi, Growing Isolation Frustrates Iranian Academic. Islamist Rule has seperated Iran from academic and cultural connections in the West , op. cit.

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    nombreux dialogues sunnites-chiites ont t organiss entre lEgypte et lIran (en dpit des problmes politiques, le dialogue na pas t interrompu). Ahmadinejad a poursuivi cette tradition et la notamment mise en uvre dans le cadre des relations Iran-Etats-Unis. Une premire runion entre des reprsentants des mennonites et des Quakers, et le Prsident Ahmadinejad32, sest droule Thran le 24 fvrier 2007. Une seconde a eu lieu lors de la visite dAhmadinejad aux Etats-Unis, en septembre 2008, lors de la session annuelle de lAssemble gnrale des Nations unies. Celle-ci a t organise par la mission de la Rpublique islamique auprs des Nations unies en partenariat avec les mennonites, les Quakers et le World Council of Churches sur le thme Has not one God created us ? The signifiance of religious contributions to peace 33. Ces runions semblent facilites du ct iranien par le travail de lInstitut Imam Khomeiny de lAyatollah Mesbah Yazdi. Outre lorganisation de rencontres pour le prsident Ahmadinejad, lInstitut entretient des liens institutionnels avec de nombreuses communauts chrtiennes dans le monde : une abbaye de Bndictins ou lUniversit dInnsbruck en Autriche par exemple. Des liens informels sont galement dvelopps par lInstitut avec lUniversit de Notre Dame aux Etats-Unis. Le cas des mennonites est intressant puisque ceux-ci ont des activits en Iran depuis le tremblement de terre de 1990 au Giln et Zanjan. Ils ont aussi un partenariat avec lIranian Red Crescent Society depuis 1991.

    Les contacts people to people se construisent galement par le biais de rencontres sportives. Le premier acte de cette diplomatie sportive sest droul dans les coulisses de deux rencontres entre les quipes nationales de football, la premire en 1998 Lyon, et la seconde en Californie en 2000. Puis, en janvier 2007, des lutteurs amricains du Colorado sont alls Bandar Abbas pour participer un combat avec des lutteurs iraniens linvitation de lONG Search for Common Ground34. De mme, pendant lt 2008, lquipe nationale de basket-ball iranienne sest rendue aux Etats-Unis pour une tourne de matches contre des quipes amricaines de la NBA. Cette

    32 Voir Michel Vu, U.S. Ecumenical Group Counters Negative View of Iran, Christian Post, 27 fvrier 2007 et Iran President Meets with U.S. Churches Ministers, AP, 26 fvrier 2007. 33 Lire ce sujet la critique du Directeur de lInstitute of Advanced Theology (Bard College) et du Episcopal-Jewish Relations Commitee for the Episcopal Diocese of New York, Bruce Chilton, Breaking Fast With a Hate-Monger, www.forward.com, 2 octobre 2008. 34 http://www.sfcg.org/programmes/iran/pdf/iran.pdf.

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    diplomatie sportive permet de crer des canaux de communication entre les deux socits. Du point de vue amricain, le but principal est de donner une autre image du pays que celle habituellement offerte par les mdias officiels de la Rpublique islamique. Pour Washington, il ny a pas de contradiction entre, dun ct la politique de regime change et, de lautre, le dveloppement des contacts people to people. En effet, le people to people contribue au dveloppement de lamiti entre les deux peuples et donc linfluence amricaine qui devrait permettre in fine la contagion dmocratique. Cette diplomatie sportive peut permettre aux deux pays de repenser leur relation dans un autre contexte et de faciliter les rencontres entre les officiels des deux pays. Mais, celle-ci ne semble pas en mesure de conduire elle seule une amlioration des relations politiques bilatrales35.

    Ces derniers dveloppements montrent que les autorits amricaines ont dcid de renforcer les liens avec le peuple iranien. Cet effort saccompagne aussi dune tentative damlioration de la communication des autorits amricaines en direction de lopinion publique iranienne. Cest ainsi que la Secrtaire dEtat, Condolezza Rice, donne dsormais des entretiens aux mdias persans afin de souligner les aspirations du peuple iranien pour un respect plus grand des droits humains et des liberts civiles mais aussi pour un gouvernement plus dmocratique et plus ouvert 36. Cette stratgie des autorits amricaines de communiquer directement avec le peuple iranien suscite nanmoins la rprobation de Thran, qui estime quil sagit ici dune ingrence dans les affaires intrieures de la Rpublique islamique, et donc dune violation des accords dAlger de 1981. Enfin, ce dveloppement des contacts people to people peut permettre une amlioration de limage qua chacune des socits de lautre mais ne peut en aucun cas tre le facteur principal du rtablissement des relations diplomatiques entre les deux pays.

    35 Voir sur cette question, H. E. Chehabi, Sport Diplomacy between the United States and Iran , Diplomacy and Statecraft, Vol. 12, n1, mars 2001, p. 103. 36 Dclarations de R. Nicholas Burns, Under Secretary for Political Affairs, Testimony Before the Senate Foreign Relations Committee, Washington DC, 29 mars 2007.

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    Conclusion

    Si lide dmocratique en Iran a une histoire ancienne lIran a par exemple t le premier Etat de la rgion se doter dune constitution la suite de la rvolution constitutionnelle (1905-1911), il semble que les interventions amricaines visant influer sur lvolution dmocratique du pays sont contre-productives. Laction des Etats-Unis nest nanmoins quun facteur secondaire dans la rgression dmocratique que traverse actuellement lIran. Celle-ci est en effet essentiellement le fait dune dynamique politique interne mlant populisme et confusion entre le politique et le religieux notamment dans la sphre juridique. Le rsultat a t une rpression accrue des mouvements sociaux, quil sagisse des femmes, des minorits ethniques, des tudiants ou des intellectuels37. Cette rpression sest traduite par un affaiblissement de la socit civile et de nouvelles restrictions dans le dveloppement dun dbat politique pluraliste.

    Si la question de la dmocratisation en Iran est donc plus lie la rformabilit de son systme politique38 qu la question de lingrence dmocratique amricaine, il nen reste pas moins que cette stratgie amricaine a un rsultat contraire aux objectifs quelle prtend atteindre. Enfin, on ne peut que sinquiter de lvocation par Washington de la nature du rgime politique iranien pour justifier une intervention militaire contre les installations nuclaires de Thran. Celle-ci aurait en effet pour consquence principale de renforcer le systme politique de la Rpublique islamique et la conviction au sein des opinions publiques de la rgion quil existe toujours un double standard dmocratique dans la mise en uvre des diplomaties occidentales en gnral et amricaine en particulier. A cet gard, la mise en uvre dune nouvelle politique iranienne par lAdministration Obama pourrait donner une plus grande crdibilit la politique des Etats occidentaux dans la rgion.

    37 Voir Farhad Khosrokhavar, La rpression des mouvements sociaux en Iran , Etudes, tome 408, 2008, pp. 729-740. 38 Voir Mohammad Reza Djalili, Lillusion rformiste, Presses de sciences po, Paris, 2001, 125 p.