Carnet d'Iran 2007 edition 2010

112
Marianne Afsar SOLTANI AZAD En chemin CARNET D’IRAN 2007 Éditions Déracontés

description

Carnet de voyage

Transcript of Carnet d'Iran 2007 edition 2010

Page 1: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

Marianne Afsar SOLTANI AZAD

En chemin CARNET D’IRAN 2007

Éditions Déracontés

Page 2: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

2

Page 3: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

3

Aux rencontres en chemin de vie

Page 4: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

4

Page 5: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

5

Marianne Afsar SOLTANI AZAD

En chemin CARNET D’IRAN 2007

Page 6: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

6

Page 7: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

7

Je suis Marianne, je suis Afsar

Je suis française, je suis iranienne

Lors de mon premier long séjour en Iran, j'ai décidé

d'envoyer par mail

mon carnet de voyage, afin de donner

Là-bas un aperçu d’Ici. Voici la version papier

de ce carnet de voyage∗.

∗ La présente édition rassemble la série des mails envoyés depuis l'Iran en France, à une liste de diffusion amicale, lors d’un séjour de six mois, du 2 février au 3 août 2007 (du sizdah e bahman 1385 tâ davazdah e mordâd 1386 dans le calendrier iranien). Les mails et leurs pièces-jointes ont été remaniés et mis en pages, avec le souci de garder l'esprit et la fraîcheur du texte écrit au fil de la frappe. Toutes les photos ont été prises par l’auteure.

Page 8: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

8

Être anthropologue : un métier à tisser

Quel est ton métier ?

C'est un métier à tisser de tout petits liens∗

Toutes les rencontres

Histoires de dire

Se tissent, s'y trament

Mon chemin,

Faire la navette d'Ici à Là-bas

Tisser de voix en récits

Mettre en tension les extrémités

Lier soi

Broder l'entre-deux

Faire l'éloge de la couture

Et file entre les doigts

∗ Une pensée particulière aux « tout petits liens » initiés par François Laplantine, lors de ces années de formation de regard « sur l’humain ». L’anthropologie a été un des points de départ de mon chemin. Une pensée également à toutes les intenses rencontres entre humains curieux qui m’ont portées et qui m’accompagnent à chaque instant.

Page 9: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

9

Gourmandise essentielle

Je suis figue française. Je suis raisin iranien. Mi-

figue, mi-raisin, je vis entièrement de figue et me nourris de raisin imaginaire. L’Iran ne m’a jamais été donné, ne m’est aucunement familier. Tout mon désir se tend vers ce fruit rêvé. Le jus de la vigne, vin et vinaigre m’enivre. Je suis gourmande des plaisirs de vie, parfois ponctués de pépins quotidiens. L’appréhension de la découverte reste présente. Le raisin sera bien différent de celui de mes grappes de pensées. Mosaïque de soi

Au bord du premier long voyage dans le pays de mon père, j’ai le sentiment d’avoir parcouru mon chemin de vie à cloche-pied. Je songe à une assise ancrée sur deux jambes, à une démarche traversant le monde, construisant mon équilibre dans l’ambivalence. Maman m’avait déjà portée en Iran dans son ventre gonflé. Et pourtant, je m’en vais de nouveau vers l’inconnu. L’émergence de ce désir d’entre-deux a mis vingt-sept ans à se concrétiser. C’est une naissance Là-bas maintenant que je pousse. J’emmènerai en mon sein l’amour maternel, à la recherche du paternel.

Page 10: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

10

Page 11: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

11

SOMMAIRE Vendredi 26 janvier 2007, 17h06 Mail 0 _ Départ en Iran Vendredi 9 février 2007, 10h55 Mail 1 _ Premiers pas Samedi 3 mars 2007, 16h29 Mail 2 _ Salam de Rasht Samedi 17 mars 2007, 18h46 Mail 3 _ Salam rashti Lundi 19 mars 2007, 15h58 Mail 4 _ Campagne iranienne Lundi 16 avril 2007, 8h27 Mail 5 _ Nouvelle Marianne en Iran Mardi 15 mai 2007, 13h15 Mail 6 _ Depuis les rizières Lundi 18 juin 2007, 12h59 Mail 7 _ Nouvelles du Gilân Vendredi 29 juin 2007, 8h53 Mail 8 _ Détails de la capitale et tendres visions Lundi 16 juillet 2007, 12h43 Mail 9 _ Gilân, Gilân, Gilân Mardi 8 août 202007, 10h00 Mail 10 _ Gilân et Iran, fin de ce voyage Épilogue : Avant _ Pendant _ Après

Page 12: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

12

Je voyagerai principalement à Téhéran, la capitale de l’Iran, ainsi qu’à Rasht, la capitale de la province du Gilân située au nord de l'Iran et au sud de la mer Caspienne.

Page 13: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

13

Date : Vendredi 26 janvier 2007, 17h06 Objet : Mail 0 _ Départ en Iran

Bonjour les amis,

Dans une semaine, je pars en Iran pour six mois. Je suis enfin prête à découvrir le pays tant fabulé de mon père, à vivre une vie iranienne, avec ses odeurs, ses sons et ses frissons.

Fil de trame Vous êtes inscrits sur la liste de diffusion par

laquelle je donnerai de mes nouvelles par mail du bord de la mer Caspienne. Vous constituez mon fil d’Ariane, ma soupape virtuelle, un retour possible du labyrinthe de vie. Je noue mon foulard d’un double nœud, pour m’assurer que je n'échappe qu’à moi-même. Merci pour tous vos témoignages d'amour et d'attention, je vous sens présents à mes côtés.

Bonne vie à vous en attendant de vous revoir.

Marianne

Page 14: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

14

Voici la place pour imaginer mon visage.

Dernier essayage dans la salle de bain, de ma « tenue de camouflage ». C’est la première fois que je porte le voile et que je me sens ainsi désignée comme « femme ». Le hejâb m’enveloppe de cette signification. Le voile me collera t’il à la peau ?

Page 15: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

15

Date : Vendredi 9 février 2007, 10h55 Objet : Mail 1 _ Premiers pas

Marianne ya Afsar ku ? Dar iran astand !

Où est Marianne ou est Afsar ? Elles sont en Iran !

- Téhéran est situé à 1148 m d'altitude, c'est une ville de douze millions d'habitants + UNE - Un cinquième de la population iranienne a moins de trente ans + UNE - Soixante pourcent de la population est citadine + UNE

Bise saveur pistache et eau de roses.

Marianne pour vous. Ici c'est Afsar.

L'une ou l'autre me ressemble et me rassemble

Page 16: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

16

Dans le quartier où je réside, entre les mosquées se dressent des tours immenses… Image des quartiers riches du nord de Téhéran.

La place de la révolution au centre de la ville, se réveille après une nuit fraîche.

Page 17: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

17

Pause thé et pistaches avant de continuer à arpenter la tentaculaire Téhéran.

Voici la place pour imaginer nos visages.

En famille au restaurant proposant de la cuisine traditionnelle. Nourriture de corps qui tient à cœur.

Page 18: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

18

Un « tapis repas » du vendredi, jour de repos, avec les spécia-lités du nord : poisson blanc, légumes macérés dans le vinai-gre, riz en gâteau gratiné, ragoût de plantes aromatiques, sauce à la grenade.

Page 19: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

19

Date : Samedi 3 mars 202007, 16h29 Objet : Mail 2 _ Salam de Rasht Salam. Hâl e tun chetor ast ? Santé sur toi. Comment est ton âme, ton être ?

Me voici dans le Nord de l'Iran pour quelque temps. Ma vie iranienne a réellement commencé. Les démarches pour concrétiser mon projet de recherche anthropologique commencent timidement à porter leurs fruits.

À Rasht, je loge dans un petit appartement de la famille. J'y habite presque seule car « vivre seule » Ici n'a pas le même sens que Là-bas. Les voisins, l'épicier, les connaissances, la famille entière via le téléphone et les visiteurs, tout le monde ici a une attention soutenue sur les faits et gestes de cette fille non mariée qui a émis l'idée incongrue de venir seule ici pour vivre et travailler. Pour l'instant j'arrive à trouver le côté positif d'un tel système de surveillance, et j'espère que cela va durer.

J'apprécie comme jamais les rares moments où je peux -en guise de défoulement- danser la bourrée à trois temps sur le tapis persan industriel du salon. Du métissage grandeur nature entre espace et temps.

Page 20: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

20

Sur certains magazines étrangers pour Ici, les pages contenant des figures féminines ont été méticuleusement recouvertes de marqueur noir, avant qu’ils puissent être diffusés ici.……..…… « La Liberté guidant le peuple » de Delacroix n’y a pas échappé. La Marianne révolutionnaire, la poitrine recouverte de feutre noir, brandit bien haut son étendard...……………...………... Je me demande qu’elle est la différence entre ces cache-misère et le foulard que je porte au quoti-dien.……………...……………………..… Pourrai-je me servir de ces voiles sans m’y dissimuler, pour me révéler à moi-même ? ………….……………………………………… J’apprends que les voix chantées des femmes sont également « à couvrir » en public. Le chant d'amour de ma cousine, murmuré dans la cuisine, ne sortira pas de la marmite de hash (préparation de soupe cérémonielle). Lors d’une virée en voiture, nous chantons Nam Nam (goutte à goutte), une chanson gilaki, du nord de l'Iran. La voiture m’apparaît soudain comme un espace de liberté jusqu’alors insoupçonné. Au cœur de la ville, le chœur des femmes de la famille y chante à TUE-TÊTE, les vitres bien fermées.

Page 21: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

21

Pensées iraniennes

Quand vous vous déchaussez ou que vous vous rechaussez, si l'une de vos chaussures est accidentellement posée sur l'autre, cela signifie Ici que quelqu'un pense à vous.

Je ne manque donc pas à chaque fois que j'ôte ou que j’enfile mes chaussures, de les mettre l'une sur l'autre. Comment pourrai-je faire autrement alors que je sais que vous pensez à moi ? Prenez bien soin, vous aussi, de vos escarpins.

Page 22: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

22

Hier tempête de neige et vendeurs d'oranges. Aujourd'hui il fait grand soleil.

De la boutique de pâtisseries, je vous lance mon bonjour sucré.

Page 23: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

23

Au bazar de Langarud, les hommes vendent le poisson debout en ligne. En face, hors champ, les femmes assises vendent les légumes de leur jardin.

Page 24: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

24

Page 25: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

25

Date : Samedi 17 mars 2007, 18h46 Objet : Mail 3 _ Salam rashti

La vie dans cette grosse ville de province est devenue plus facile qu'elle ne l'était dans la mégalopole de Téhéran. Ici on prend plus le temps d’être.

Bien entendu, tout le quartier est au courant de ma présence. Je suis la nesfeh-ye khâreji (l'étrangère à demi). Les habitants sourient de mon persan. Les chauffeurs de taxi me prennent souvent pour une azerbaïdjanaise, soi-disant à cause de mon accent, de ma peau et de mes yeux plus clairs. Il est étrange de voir comment les gens essayent de me définir comme venant d'un extérieur « pas si éloigné que ça », un « ailleurs encore connu ». Malgré tous mes efforts, je ne passe jamais inaperçue. J'ai même osé acheter un foulard noir, croyant ainsi pouvoir me fondre dans la foule des femmes citadines, très souvent vêtues de couleurs sombres. Mais mon mètre quatre-vingt, mon imperméable trop grand, mes chaussures rouges, mon foulard qui vire et chavire, me désignent comme un Monsieur Hulot au féminin, en voyage en Iran. Après avoir pris conscience d'une partie de l'ampleur de mon décalage vestimentaire et culturel, j'essaie d'en jouer comme je peux.

Les filles et les femmes me mangent du regard. Les hommes jeunes sont plus distants. Les femmes et les hommes plus âgés s'empressent de me poser question sur question et de plaisanter avec moi.

Page 26: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

26

Je ne réponds pas aux canons de la femme occidentale, tels que les adolescents du quartier peuvent se la représenter et je sens un certain sarcasme des jeunes garçons à mon égard. Cette perception est sûrement aussi déroutante pour eux. Khodâ hafez azizam,

Au revoir mes chers amis Ghorban-e shoma∗

Je suis toute entière à vous.

J'espère qu'avec ces petites impressions iraniennes vous arrivez vous aussi à voyager.

∗ Formule de politesse, qui signifie littéralement « je me sacrifie pour

vous ».

Page 27: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

27

De nombreuses blagues persanes se rient des gilaks∗, qui « sont ainsi la cible privilégiée dans l'espace iranien des blagues ethniques, comme le sont les Belges dans notre tradition nationale. »∗∗ Un Rashti∗∗∗ rentre chez lui et trouve sa femme nue. Il s'indigne. – Pourquoi es-tu nue ? Sa femme lui répond. – Tu ne me donnes pas d'argent pour renouveler ma garde-robe. – Comment ? Réplique t-il, ta penderie est remplie de vêtements. Suis-moi. Il ouvre la penderie et en fait l'inventaire : une robe, une robe, bonjour Monsieur, une robe, une robe, une robe.

Avec un père rashti [originaire du nord de l'Iran] et une mère ch'timi [originaire du nord de la France] me voilà bien trop au nord de tout pour être sujette aux railleries, n'est-ce pas ?

∗ Terme qui désigne les habitants de la région du Gilân.

∗∗ Christian Bromberger, Récits facétieux, in Cahier de la littérature

orale n°20, 1986. ∗∗∗ Terme qui désigne les habitants de la ville de Rasht et par

extension, tous les habitants de la région du Gilân.

Page 28: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

28

Sur la carte du Gilân, la figue situe la ville de Rasht. La pista-che, la noix de cajou, le pois chiche et l'amande localisent quelques villages dans lesquels je suis allée voir des maisons traditionnelles construites en terre et en bois. D'un côté à l'autre de la région l’architecture, les vêtements, la cuisine, les langues, ou la musique sont très différents.

Un peu d'amour. S'il n est pas vraiment possible de l'exprimer publiquement, il est bien là. Sa présence se trace sur les murs.

Page 29: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

29

Prière du soir dans le salon pour la mère, pendant que les filles confectionnent des ballotins de fruits secs à distribuer lors d’une cérémonie de la Nappe verte. Cette cérémonie donnée en l'honneur de l'Emâm Hossein, permet d'exaucer des voeux de santé, de bonheur, de réussite.

Châhâr shanbe suri : une semaine avant le nouvel an, les habitants allument des feux le soir, dans la cour des maisons ou dans la rue. Ils sautent au dessus du feu pour chasser le mal accumulé durant l’année précédente et acquérir la force du feu pour l'année qui s'annonce.

Page 30: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

30

Sacrifice en remerciement à Dieu. Abattage et dépeçage du mouton dans une cour d'immeuble de Rasht.

Page 31: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

31

Date : Lundi 19 mars 2007, 15h58 Objet : Mail 4 _ Campagne iranienne Dobareh salam Re-Bonjour

Je ne peux pas résister à l'envie de vous envoyer un peu de campagne. La nature est encore endormie, seuls les premiers bourgeons de cerisiers et de forsythias pointent. Bientôt ce sera l'explosion de couleurs. Tout le monde attend maintenant le printemps avec impatience et m’assure que je vais voir le paradis.

Je vous donne à voir ces quelques photos pour que -comme moi- vous puissiez vous étonner du décalage saisonnier, visible ainsi seulement dans le nord de l'Iran… Et que vous puissiez aussi goûter à ce petit bout de paradis. Mibusametun très très fort. Je vous embrasse kheily kheily ziâd.

MariannAfsar

Page 32: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

32

Visions hivernales. Rizières au repos.

Une grand-mère du village de Lasheh prépare le thé.

Je vous envoie peu de photo de personnages car je trouve toujours délicat de prendre des photos, alors que je ne fais que passer. Heureusement cette grand-mère sait que sa photo sera admirée par mes amis de France.

Page 33: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

33

Une des nombreuses maisons traditionnelles, aujourd’hui délaissée, dans le village de Lasheh au nord-est du Gilân.

Une maison reconstruite et restaurée dans le site de l'Écomu-sée du Patrimoine Rural du Gilân. Elle mesure environ quinze mètres de hauteur. Les architectures de la région sont spécifiques, ouvertes par des coursives, et des terrasses. Elles sont construites uniquement en matériaux végétaux (bois et torchis).

Page 34: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

34

Je vous laisse deviner laquelle de ces deux jeunes filles du musée a revêtu des vêtements traditionnels et laquelle travaille en ville… En êtes-vous bien sûr ?

Solution de l'énigme : Les vêtements traditionnels ne sont plus portés au quotidien par les jeunes générations, mais seulement lors de certaines occasions festives. Ces deux jeunes filles sont citadines.

Page 35: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

35

Date : Lundi 16 avril 202007, 8h27 Objet : Mail 5 _ Nouvelle Marianne de l’Iran. Eyd shoma mobarak ! Bonne nouvelle année iranienne ! Ici nous sommes passés en 1386 depuis le 21 mars dernier. Comme la plupart des Iraniens, je passe Noruz en famille. Pendant une semaine, la frénésie des activités du pays sera comme suspendue. Les universités, les institutions, les entreprises seront pour la plupart fermées. Il s'agit donc pour moi d'arriver à m'organiser de telle sorte que je puisse me mettre à l'heure iranienne et profiter aussi de cette faille spatio-temporelle ! Je me suis gardée pour l'instant, de parler des passages douloureux de mon voyage. J'essaie aujourd’hui un peu d'écrire pour les décrire. Deux mois et demi d'Iran déjà et je suis encore en permanence décontenancée par le quotidien d'Ici ! Comme prévu je vis un moment de transition, de vide. Je m'attendais de façon théorique à ce creux de vague, mais le vécu pratique est plus difficile à traverser que sa pensée.

En Iran, je trouve un univers, une culture, une

immense famille, des racines, une identité, dont je ne soupçonnais pas même l’existence. Ce pays me renvoie à des souvenirs qui ne sont pas miens, ce qu’aurait pu vivre mon père. Ma vision, ma culture est celle de Là-bas. J'ai

Page 36: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

36

du mal à partager l'enthousiasme des gens qui Ici me reconnaissent comme « fille de mon père », me disent fille du pays et trouvent la raison de mon soi-disant rapide apprentissage du persan dans un patrimoine génétique iranien. Je pense alors aux heures passées à recopier les mots entendus, à essayer maladroitement de me faire comprendre, à faire contresens sur contresens et à me perdre à vouloir expliquer, avec mes trois mots de persan que je ne préfère pas plus la France que l'Iran, pas plus Là-bas qu'Ici. La concrétisation d’un projet de recherche est logiquement lente et dure à mettre en place et à réaliser. Impossible à l'heure actuelle, d'acquérir une certaine indépendance qui me permettrait de travailler de façon autonome. Personne ne s'attend à ma venue et encore moins les villageois. Personne ne veut prendre la responsabilité d'une fille non mariée. Personne ne comprend cette idée semble t’il farfelue de venir on ne sait d’où « de l’autre côté », s’intéresser au quotidien rural d’Ici. Pas à pas sur mon chemin, je constate rétrospectivement que je ne recule pas, c'est déjà ça. Après moult tractations et pérégrinations, me voici autorisée à séjourner dans un village du centre du Gilân. Je me prépare à m’y acheminer dans quelques jours, pour une période d’un à deux mois. En perspective : plantation du riz, cueillette du thé, élevage des vers à soie, dans un village de cinq cents habitants, relativement accessible en transport depuis Rasht.

Page 37: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

37

Un rhume carabiné, attrapé à l’arraché, a paradoxalement fait baisser l'ampleur de mon accent et facilite pour mes interlocuteurs la compréhension de mon persan. Je peux en effet enfin prononcer des « Â » différemment des « a », un point essentiel en persan. J'apprends des chansons pour m’imprégner de mots. Lorsque je trouve le courage de chanter en persan à des persans, ou en gilaki au Gilân, je passe instantanément du statut d'invitée à celui de fille de la maison. Ces espaces-temps fulgurants remplis de grâce, me donnent l’énergie pour la suite. Je vous envoie à tous des bouquets de pensées iraniennes printanières. MariannAfsar

Page 38: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

38

Une nappe des sept signes est dressée dans chaque maison à l'occasion de la nouvelle année. Les sept signes sont symbolisés par des objets dont le nom commence en persan par la lettre S : Sir ail, Sib pomme, Somagh épice, Samanu pâte à base de blé, Senjeh dattes chinoises, Sabzi touffe de graines germées (souvent des graines de blé), Sekkeh pièces de monnaie. Des oeufs colorés y sont souvent ajoutés, ainsi que des poissons rouges, un miroir, des bougeoirs, un exemplaire du Coran… Même si les objets se retrouvent, chaque nappe est particulière à une famille. Certaines nappes sont très simples, d'autres plus sophistiquées jusqu'à parfois être très « hétéroclites ». Au moment de la nouvelle année, la famille se réunit autour de la nappe. Les visites se font en chassé-croisé entre jeunes et aînés. Ces derniers se doivent d’offrir des étrennes aux plus jeunes, des billets neufs dédicacés qui pourront être conservés en souvenir.

Sisdabedar : treize jours après la nouvelle année, toute la famille passe la journée hors de la maison pour chasser le mal accumulé pendant l'année. Les pousses de blé fraîchement germées sont nouées par les filles qui ont le souhait d’être mariée dans l’année, avant d’êtres jetées dans l'eau courante. Cette coutume se perpétue en ville et je vous laisse imaginer l'embouteillage de touffes de verdures qui encombrent les canaux le long des rues. Je vous laisse également apprécier la poésie de ces deux corps flottants dans un canal téhéranais.

Page 39: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

39

Page 40: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

40

Une nappe de mariage très simple mais non dénuée de charme : avec pain de sucre, sucre cristallisé, miel, pain sangak cuit sur lit de pierres, fromage de brebis, miroir, pièces de monnaie, petites sucreries, fruits secs, bougeoirs… Elle symbolise l'union dans la durée d'un homme et d'une femme. Le mariage est un des temps les plus forts de la vie iranienne. Il est difficilement compréhensible Ici de pouvoir vivre une vie d'amours libres comme Là-bas, ou d’être encore célibataire à la trentaine.

Un petit coucou de la balançoire, sur laquelle il faut ruser d'astuce pour ne pas se laisser dévoiler de façon impromptue, par le vent dans les voiles. Les superpositions de tissu font baisser le seuil de mon audition, toujours parasitée par les frottements des diverses couches sur les oreilles.

Page 41: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

41

Page 42: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

42

Toilettes pour femmes voilées. C'est écrit sur la porte.

Page 43: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

43

Date : Mardi 15 mai 2007, 13h15 Objet : Mail 6 _ Depuis les rizières Bishim bijâr ! Allons aux rizières ! En gilaki Salam salam De retour en ville pour une petite semaine, j'en profite pour vous envoyer quelques nouvelles. Je peux assez facilement avoir accès à Internet au village, mais j'ai préféré oublier pour quelques semaines la technologie virtuelle. Je suis accueillie au village chez une famille. Le père et la mère sont agriculteurs, les sept enfants habitent en ville. Les fils travaillent en tant qu’ouvriers non qualifiés. Les filles sont mères au foyer. Pendant les pé-riodes d'activités intenses comme pour la plantation du riz, les filles de la maison et les belles-filles viennent à tour de rôle aider la mère et le père au travail agricole, suivant des tâches réparties en fonction des genres. Au Gilân, le repiquage du riz est effectué exclusivement par les femmes, alors que dans les provinces voisines les hommes repiquent aussi le riz. C’est notamment cette particularité qui m’attire ici.

Vous devinez le décalage de toute ma personne avec les gens du pays. Tout, depuis mon habillement, jusqu'à ma façon de me tenir, de rire tout fort, de montrer sans le vouloir que je suis mal à l'aise, me désigne comme Pas-d'Ici.

Page 44: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

44

J'ai dû acheter avec l'aide des filles de la famille une jupe longue, une tunique à manches longues, et un pantalon léger à mettre sous ma jupe, comme toutes les femmes. Ce qui n'est pas possible de faire deviner ici c'est le haut du corps à partir des poignets et l'entre-jambe féminine qui va de la cheville jusqu'aux hanches. Considérez donc avec quelle liberté je suis autorisée à remonter mes manches et mon pantalon de façon parfois impudique Ici. Nous sommes entre femmes, dans les rizières pour planter le riz. Lorsque nous prenons le chemin du retour pour rentrer à la maison, je réajuste mes vêtements de façon à ce que seule la peau de mes mains, de mes pieds et de mon visage soit visible. L'habitude est vite prise et je mesure la chance que j'ai de pouvoir me balader seule dans le village, dans cette tenue Ici correcte. De telles promenades ne seraient peut-être pas possibles dans tous les villages du reste de l'Iran. Me voilà repartie pour un séjour de deux à trois semaines dans ma famille d'accueil avant de vous donner d'autres nouvelles. Merci pour toutes vos lettres qui m'attendent pour le moment à Téhéran et qui ne sauraient tarder à trouver leur destinataire. Je vous embrasse tous kheily ziâd. Afsar pour Ici Marianne pour Là-bas ou Afsar pour Là-bas Marianne pour Ici

Page 45: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

45

Voici la place pour imaginer le reste de l’image.

Un petit coucou avec les enfants du village.

Page 46: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

46

Autour d'un thé, les femmes découpent les sabzi : mélange de persil plat, de coriandre, de ciboule, d'ail et d'autres herbes du jardin, qui sont ciselées très finement. Revenu dans l'huile, ce mélange se conserve plusieurs semaines et sert à la préparation d'omelettes aux herbes, de « ragoûts acides » et d’autres mets succulents.

Triage et épluchage des bâghâli : fèves, de multiples sortes et de multiples couleurs, servant à la préparation de nombreux plats succulents.

Page 47: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

47

Page 48: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

48

Voici une image de la plantation du riz telle qu'elle est effectuée en ce moment quotidiennement, par une grande partie des femmes des villages du Gilân. Si j'ai effectivement planté le riz en touriste pendant seulement deux grosses heures, c'est pour me rendre compte combien ce travail est pénible. Les femmes sont toute la journée les pieds dans l'eau, le reste du corps courbé, exposé au soleil, à la pluie, au froid. Je ne m'étonne plus maintenant de voir nombre de vielles femmes courbées à l'équerre marcher ainsi dans les rues de la province sans pouvoir se redresser.

La vie dans le village est loin d'être facile, sans être non plus exempte de très bons moments. Le paradis que l'on m'avait promis avec l'arrivée du printemps au Gilân est une explosion de couleurs et de verdures. Un paradis façonné jour après jour et pousse à brin de riz par ses habitants.

Page 49: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

49

Page 50: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

50

Date : Lundi 18 juin 07, 12h59 Objet : Mail 7 _ Nouvelles du Gilân

Saaaaalaaaaaaam ∗ Après une plus longue absence épistolaire, voici enfin quelques nouvelles écrites et photographiques. « Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles » (merci Voltaire), mais j'ai de plus en plus de mal à supporter le poids des codes de conduites d’Ici, qui lorsque je les ignorais, m'affectaient moins, ou pas de la même façon. Cela signifierait-il que j'ai dépassé le statut de touriste ou d'invité ? Heureusement, je vis aussi des moments de vie quotidienne au goût de "revenez-y". Les quelques moments de vie sélectionnés dans ce carnet sont en partie représentatifs d'une vie auX quotidienS Ici. Ce point de vue donné à voir ne peut refléter toute la complexité et les nuances de la vie sur place. Ce sont des échantillons discutables et à discuter d'une vision de l'Iran, construite et déconstruite chaque jour. Boos torsh o shirin Bises acides et sucrées

∗ La typographie vous sonne un aperçu de l'accent rashti.

Page 51: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

51

Voici quelques activités effectuées par des hommes dans le Gilân, en parallèle de mon précédent mail qui montrait des activités féminines. Récolte du thé avec la machine. Au contraire de la cueil-lette à la main plutôt féminine, la cueillette à la machine est exclusivement masculine. La machine est portée de chaque côté des plants afin de couper la partie haute des arbustes de thé, c'est-à-dire les premières feuilles poussées dans l'année ; les feuilles coupées sont ensuite soufflées dans deux énormes sacs de quatre à six mètres de long qui sont vidés régulièrement. La récolte est ensuite vendue la plupart du temps à l'usine de transformation. Boutique de Rudbâr au sud du Gilân : olives marinées, huile, torshi (légumes marinés dans du vinaigre). Les boutiques d'olives se font le reflet du paysage de la région : des kilomètres carrés d'oliviers.

Page 52: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

52

Page 53: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

53

Réalisations artisanales de tapis et nappes de feutre. Le motif de laines colorées est recouvert de laine cardée. Le tout sera ensuite mouillé d'eau bouillante, serré dans un tissu et tassé au pied pendant deux à trois heures.

Sieste après le repas du midi. Ici sur une chaise et un banc, parfois à même le sol, sur la bande herbée de séparation des voies de circulation, dans les parcs, ou derrière un étalage… Cette forme de sieste publique est exclusivement masculine.

Page 54: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

54

Page 55: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

55

Scène de plage au port d'Ânzali : les enfants se baignent ensemble, les adultes se regroupent par famille ou par genre sur la plage. L’espace de la plage me donne à ressentir une sensation de liberté telle je n'en ai pas vécu ailleurs depuis toutes ces semaines iraniennes : pouvoir tremper mes pieds dans la mer en remontant mon pantalon jusqu'à mi-mollet et rire à pleins poumons en faisant le clown. Dans quelle mesure n’ai je pas pu jusqu’ici faire le choix d’être ainsi ?

Homme, femme, moto et thé.

Page 56: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

56

Page 57: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

57

Marchand de fruits de saisons au stand côté rue principale.

Marchandes de plantes de saison et de préparations culinaires au stand côté trottoir, en deçà de la rue principale.

Page 58: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

58

Page 59: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

59

Chariot à ramasser les ordures et tout objet pouvant être récupéré dans la rue. En arrière plan, une femme est assise et un homme debout.

Page 60: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

60

Page 61: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

61

Date : Vendredi 29 juin 2007, 8h53 Objet : Mail 8 _ Détails de la capitale & Tendres visions

Voici quelques nouvelles extra fraîches : Mon passage au Musée du Patrimoine rural du Gilân construit une autre facette de l’expérience. J’essaye particulièrement de comprendre d’un point de vue interne, le fonctionnement du musée : depuis l'acquisition de maisons traditionnelles souvent en état de dégradation avancée, la prise de mesures, l'étude de l’environnement géographique, historique, social, jusqu'au transport des éléments de la structure, la reconstruction sur le site du musée, les animations proposées pour mettre en valeur les pratiques locales, les expositions, les projets de constructions et de recherches futures, etc. La patrimonialisation des objets, des savoir-faire, ou du vivant nécessite des choix judicieux. La question est alors : en quoi ce processus de patrimonialisation est spécifique au contexte de la région du Gilân ?

Dans quelques jours, je repars au village, dans ma famille d’accueil. Le village est encore riche d’une dizaine de maisons traditionnelles construites en terre et en bois. Nombreuses sont inoccupées ou modulées avec des matériaux industriels. Les fonctions habituellement imparties aux espaces ont été modifiées. Le salon pour les invités devient par exemple salle d'ordinateur.

Une étudiante en anthropologie qui travaille au musée, me demande si j’ai préparé toutes mes affaires pour aller au village. Je lui confirme que mon sac à dos est prêt. La voilà bien surprise, elle me demande si je ne devrais pas acheter des meubles et s'inquiète de savoir si au moins j'ai déjà une télévision. Le moment le plus impressionnant est de constater sa surprise quand je lui dis qu'en France je ne possède pas ce genre d’appareil.

Page 62: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

62

L'accès du village en voiture étant plus difficile

qu’il n’y paraît pour une « étrangère », on m’a recommandé de choisir de « bons chauffeurs » de moto, à savoir, des hommes « biens » ou à défaut des chauffeurs âgés. La veille du départ, je m'imagine sur la moto me cramponnant au (vieux) chauffeur, slalomant entre les nids de poules remplis d'eau. Je coince la télé sous un bras et un parapluie dans l’autre m’aide à passer entre les gouttes de pluie intarissables.

Cette anecdote est la cerise sur le gâteau des

fraîcheurs locales, qui pourrait tout aussi bien se retrouver en France, ou ailleurs. Le reste est bien trop proche d'une anthropologie classique pour prêter ainsi à sourire. « Mais que diable suis-je venue faire dans cette galère ? » (Merci Molière !) Cette citation est mon credo du moment. Pauvre esseulée, sans mari, ne parlant pas la langue… Selon le point de vue d’Ici, tout est potentiellement dangereux pour moi. Je dois être protégée. Je me sens étouffer. Impossible de présenter la situation selon un point de vue externe. Bien sûr j'ai bien compris que ce jeu avec mes nerfs fait aussi partie du terrain et je suis contente de cette issue. À voir maintenant les suites de l'aventure. L’angoisse est j’espère, passagère. Il y a souvent des noeuds de vie qui s’ouvrent dès lors que l’on prend de la distance.

Boos et re-boos à tous. Bisou et re-bisou barâye hameh

Page 63: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

63

Papa et bébé sur la moto attendent presque au milieu de la route.

Page 64: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

64

Détails de la capitale : Voile et voile et structure en métal de futures constructions.

Embouteillages habituels, drapeaux, publicité. Vous n'avez ni le son ni l'odeur.

Page 65: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

65

Page 66: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

66

Bâtiment en construction. Imaginez tout un quartier en chantier.

Maison crème pâtissière. Logement tendance des quartiers riches. Des quartiers entiers sont construits en pâtisseries. Cerises sur les gâteaux, d’énormes et rutilants 4/4 sont posés devant chaque habitation à la crème.

Page 67: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

67

Page 68: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

68

Papa, bébé et poussette ; petites filles et femmes.

Maman, bébé et poussette. L'utilisation de la poussette n'est pas très fréquente, plus à la mode chez les jeunes couples de la capitale, sa conduite en ville demande une adresse incroyable.

Page 69: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

69

Page 70: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

70

Pliage crépusculaire de la poussette.

Papa et enfants, en brochette sur une moto.

Page 71: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

71

Page 72: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

72

Page 73: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

73

Date : Lundi 16 juillet 2007, 12h43 Objet : Mail 9 _ Gilân Gilân Gilân Dans le village d'Ambouh au sud-ouest de la région du Gilân, les femmes sont toutes vêtues des vêtements traditionnels. Il semble que ce soit le seul village du Gilân, où l'habit traditionnel est encore porté quotidiennement par les vielles femmes, comme les plus jeunes. Précisons que les parentes habitant dans les grosses villes voisines ou à Téhéran, viennent rendre visite à leur famille restée au village, en troquant leurs jeans et leurs foulards copie de Vuitton, pour revêtir le vêtement traditionnel le temps de leur séjour. Je viens d’avoir un premier véritable fou rire, après cinq mois et demi de vie Ici, à cause d'un foulard sans gène qui ne se tient pas tranquille. Premier fou rire et slave de regards réprobateurs retournés par l'assistance, qui n'ont fait que renforcer cet état euphorique. Il me reste encore deux grosses semaines à vivre à l'heure iranienne. À très bientôt donc.

Page 74: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

74

Un mariage traditionnel dans le village de montagne d'Ambouh. Les femmes attendent l’arrivée de la mariée pour la cérémonie du henné. Le vêtement dit traditionnel a été sérieusement modifié, particulièrement depuis une trentaine d’années. Le choix actuel se porte sur une jupe à fleurs, une blouse rouge bordeaux, un petit gilet noir, un sous-voile bordeaux et un voile en crochet ou en tissu blanc. Les tissus utilisés sont aujourd’hui, la plupart du temps, fabriqués en matières synthétiques. Les hommes portent chemises ou tee-shirt et pantalons droits ou jeans.

À l'aide de plateaux posés sur la tête, les femmes portent en procession, les objets achetés par la famille de la mariée jusqu'à la maison du marié. C'est-à-dire surtout de la vaisselle, des ustensiles de cuisines (depuis la petite cuillère jusqu'à la poubelle en plastique). L'électroménager et les meubles seront achetés sur place car les futurs mariés s'installent à Téhéran.

Page 75: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

75

Page 76: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

76

Le lendemain, tout le village participe à la fête. C'est depuis le toit des maisons qu’il est plus facile d’assister à l'arrivée de la mariée.

Lors de la dernière étape symbolique du mariage, la mariée, montée sur un cheval est amenée jusqu'à la maison de son mari. Elle est protégée des regards et du mauvais œil par une série de voiles superposés.

Page 77: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

77

Page 78: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

78

À la fin de la journée, après l'arrivée de la mariée, les hommes ferment symboliquement l'accès de la route qui mène à la maison du mari.

Page 79: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

79

Date : Mardi 8 août 202007, 10h00 Objet : Mail 10 _ Gilân et Iran, fin de ce voyage Bonjour, Je vous écris ce premier mail de retour en terre maternelle, après un mois de retour de voyage en terre paternelle. Jusqu’à la dernière minute, des soucis avec mon billet d'avion, ont installé chez moi une angoisse montante. Le moindre oubli me conduirait à un dédale administratif et un non-retour est toujours possible. Malgré les situations rocambolesques qui me sont encore arrivées, tout a fini au mieux, dans le meilleur des mondes voltairien possible. J’ai traversé. Si j'ai pu craindre d'idéaliser le pays de mon père, je reviens au contraire avec encore plus de questions et le goût amer du « cul du concombre » dans la bouche∗. L'Iran a été une série d'épreuves ressenties parfois avec violence, qui a vite effacé les premières promesses de « beau voyage ». J'ai pour le moment, du mal à formuler le désir d'y retourner. Mais je sens que ma démarche a porté ses fruits, le raisin me paraîtra sûrement moins

∗ Cette expression est reprise de l'écrivain iranien Sadegh Heddayat

dans La chouette aveugle décrivant la bouche de la bien-aimée.

Page 80: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

80

amer avec le temps. Je ne me sens plus « ni figue ni rai-sin », mais tout autre. C'est seulement trois semaines avant de rentrer en France que j'ai plongé dans un espace temps plus clément pour moi, baigné de musique, de rires et de vie intérieure moins étouffée. Tout se construisant fil à fil, il a effectivement fallu du temps pour que je tire, ou que je sois tirée par le fil de « l'image dans le tapis »∗ qui me fasse toucher la trame et la chaîne. Il a fallu que ma carapace de peurs s'assouplisse et que ma consistance d'éponge absorbante retrouve un peu de chair et d'elle-même, pour se laisser toucher par des échantillons de bonheur inoubliables. Merci à tous pour vos pensées qui m’ont portée tout au long de ce chemin initiatique. Bises sonores

∗ Voir la nouvelle d'Henri James, L'image dans le tapis.

Page 81: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

81

Je vous offre un dernier thé sur motifs persans, accompagné de savoureuses pâtisseries.

Page 82: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

82

La ville de Rasht un instant bucolique avec boulevard, arbre en fleurs, voiture rouge et coq noir.

Avant de partir du village, je prends photographiquement, une dernière vision des rizières. Dans une semaine arrive la période des moissons.

Page 83: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

83

Page 84: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

84

Autre animal des rizières. Après les serpents, les grenouil-les, les tortues, les araignées d'eau, les sangsues et toutes les bêtes non identifiables et qui piquent, voici un chapeau de paille d'Italie à la Feydeau ou un crapaud de paille gilaki et la reine des mots tordus.

Moment de la « restitution au terrain » suivant le jargon anthropologique. Je présente l’état de mes recherches à la famille chez qui je suis restée un mois et demi, aux villageois et au personnel du bureau du musée. Au fond, les habitantes du villages et les employées du Musée du Patrimoine Rural du Gilân. Hors champ, les habitants et les employés du musée.

Page 85: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

85

Page 86: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

86

Tableau arboré. Paysage du Gilân et sigle végétal de la république islamique.

Téhéran vu de ses montagnes au petit matin.

Page 87: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

87

Page 88: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

88

Partage d'une boisson, sans faire de bruit avec la paille SVP.

Les petits plaisirs au quotidien : c'est celui qui finira le plus vite. Il est sous-entendu que j'ai un lien de filiation clair avec mon cousin pour jouer les belles et le clochard en hedjâb.

Page 89: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

89

Place libre à l’imagination.

Page 90: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

90

Page 91: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

91

ÉPILOGUE Traversée Toi le voyageur ! Vers où marches-tu, vers où ? Où que tu ailles, tu resteras assis en notre cœur. Tel un poisson, tu désires tant la mer Que de tes sèches lèvres jaillissent des perles marines∗ En chemin, une partie de mon être m’a rencontrée. La différence que je cherchais au début m’est apparue point de vue. Peu importe au fond, identité et papier. Je ne suis pas chrétien, pas juif, pas mazdéen, pas musulman Mon lieu est le nulle part, mon signe est le non-signe… Je ne suis pas occidental et pas oriental, je ne suis ni de la terre ni de la mer Ni du royaume d’Irak, ni du pays du Khorâsân∗∗ L’initiation me mène jusqu’aux confins des mondes. Cet engagement travaille mon être à cœur. La quête de l’origine me fait renoncer à être, mourir à moi-même. Le cœur meurtri et épanoui de bonheur, me traverse d’amour. ∗ Poème de Djalal Al Din Rumi tiré des « Robâ’î », cité par Leila

Anvar-Chenderoff dans Rûmi, Éditions Médicis-Entrelacs, Paris, 2004 : XX.

∗∗ Poème de Djalal Al Din Rumi, cité par Jean During dans Quelque

chose se passe. Le sens de la tradition dans l’Orient musical, Éditions Verdier, Lagrasse, 1995 : 197.

Page 92: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

92

C’est la douleur qui guide l’homme en toute chose. Tant que l’on ne souffre pas du désir et de l’amour d’une chose, on ne forme pas l’intention de l’accomplir. Et sans douleur, on ne peut rien accomplir, que ce soit dans le domaine matériel ou spirituel, qu’il s’agisse de commerce ou de royauté, de science ou d’astronomie, etc. Tant que Marie n’éprouva pas les douleurs de l’enfantement, elle ne se dirigea pas vers l’arbre du bonheur (…) ∗

∗ Poème de Djalal Al Din Rumi tiré de « Fîhe mâ Fîh », cité par Leila

Anvar-Chenderoff dans Rûmi, Éditions Médicis-Entrelacs, Paris, 2004 : XX.

Page 93: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

93

Photo et droit de regard

En Iran, j'ai réappris à prendre des photos. Appris à rendre bien visible le geste de sortir l'appareil de son étui. Appris à laisser un temps de suspension avant de faire la prise, à attendre les réajustements des positions, la remise en place des foulards qui ont glissé sur l'arrière de la tête, des jupes, des pantalons de dessous bien tirés sur les bas de jambes. Appris à accepter les mises en scène étudiées spécialement pour moi par les sujets-acteurs. Je prends des photos du quotidien et je suis désignée comme « photographe de la famille ». Ce que je vais donner à voir en France ou ailleurs en Iran, doit montrer le meilleur aspect de la vie d'Ici. Ma façon de prendre des photos sur le vif est donc parfois critiquée gentiment sous forme de plaisanteries. En fonction des actions effectuées par les personnes et en pensant à ce que je vais donner à voir, j'ai parfois construit un hejâb pour mon regard. J'ai appris à prendre des photos de femmes non voilées, en cadrant sur les mains, les pieds, les vêtements. Sachant que je respectais le non dévoilement de leurs corps les femmes ont peu à peu appris à me faire confiance en oubliant l'appareil. Le droit de regard sur mes photos restait cependant systématique. Il est arrivé parfois qu'une des femme photographiée s'effraie de sa tenue, d'une cheville trop découverte, d'un foulard non serré. Cette photo était alors à effacer et à reprendre. L'appareil numérique

Page 94: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

94

permet tous ces changements et ces hésitations. Après avoir mesuré l'importance de la prise de vue, j'ai pu également mesurer l'importance de l'acte de montrer une image : que laisser voir et à qui ? Car le fait même de « prendre des images » implique leur introduction dans un autre contexte, leur vision par des regards extérieurs à la scène photographiée. En pays musulman, une image prise, par exemple sans présence masculine, peut-elle être donnée à voir à des hommes et à un public ne faisant pas partie du réseau de connaissance de la famille ? Les personnes photographiées, conscientes de ne pouvoir totalement contrôler la vision de leur image, tiennent à avoir un droit de regard sur ce que je prends et sur ce que je montre. Les images que je choisis de présenter dans ce carnet sont donc validées par les membres de ma famille d'accueil. Les protestations de départ et l'effervescence d'abord suscitées devant mon intention de vouloir prendre des photos sont par conséquent, plutôt dues au fait que je demande un droit de regard qui puisse dépasser l'espace des regards permis à priori. Le fait de prendre une photo n'est pas visé en tant que tel, puisque les personnes acceptent d'être ou/et se font les sujets de ma curiosité photographique et me remercient à chaque fois chaleureusement. Ayant appris à ma famille d'accueil le maniement de l'appareil numérique, les femmes avant les hommes s'en sont saisies pour me prendre en photo, puis pour prendre leurs parentes et leurs parents. Un des fils de la

Page 95: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

95

famille a également retourné les regards, en me photographiant et en me filmant à mon tour à l’aide de son téléphone portable.

Tissu de liens

Je tiens à vous rendre hommage, lecteurs amis, en publiant à la suite de cet épilogue, des extraits de vos écrits virtuels. Merci pour vos témoignages, ainsi que vos soutiens respectueusement silencieux.

Page 96: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

96

L'image dans le tapis.

Motif gourmand.

Page 97: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

97

AVANT – Le grand jour approche, j'imagine que tu es partagée entre l'euphorie du départ, impatiente d'y être et les doutes ou l'appréhension quant au bon déroulement de ce séjour, souvent invités de dernière minute. Sache que je pense bien fort à toi même s'il l'on s'est peu vues ces derniers temps. Admirative, envieuse mais aussi curieuse de savoir ce qui peut pousser à renoncer à des libertés bien écrites dans notre pays pour peut-être en trouver d'autres, plus intimes, plus fortes dans un pays que l'on dit « dictatorial ». Peut-être auras-tu davantage d'éléments de réponse dans quelques mois ? Quoi qu’il en soit, je te souhaite de belles rencontres, avec des lieux, leurs habitants et peut-être avec toi-même... Que les contes et la musique t'accompagnent sur ce bout de chemin ! – Bon il ne me reste alors plus qu'à te souhaiter de vivre de très belles expériences autant professionnelles que personnelles. Et du courage aussi il va-t’en falloir des tonnes miss !!!! Même si on ne se voit pas, nous pensons à toi et toi pense aussi à nous et à tes autres amis lorsque le bonheur ou la tristesse sera trop lourde et que tu voudras les partager. Bonne route. – Je te souhaite de faire un beau voyage et que ton séjour en Iran soit épanouissant. Ta tenue de moudjahidin te va comme un gant ! Il ne te manque que la couscoussière... Reviens-nous vite et en pleine forme. Je compte sur toi pour enseigner la bourrée et la mazurka à tes collègues iraniens. Je joins à ce message une valise de bises pour six mois, que tu mettras avec tes bagages. Bon vent !

Page 98: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

98

Berceuse.

Fleurs sucrées.

Page 99: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

99

PENDANT – Je me régale à lire tes mails en ces débuts de journées au bureau ! – C'est une belle idée, ces mails, je les ai lus avec beaucoup d'intérêt et je vais les montrer aux gens de mon équipe qui me bombardent de question sur ce mystérieux pays d'Iran qui n'est pas un désert rempli d'usines interdites ! – J'imagine que tu dois être un peu déboussolée. C'est normal ! Les choses se mettent en place petit à petit et les gens avec qui tu vas discuter vont te permettre de te poser dans ce nouvel univers. Et surtout n'oublie pas de t'écouter toi, ne t'oublie pas, c'est ton projet, ton envie ! Qui est-ce qui m'a dit un jour de ne pas baisser les bras, que c'est toujours dans les moments difficiles qu'il faut s'accrocher et que ça finira par se débloquer ? C’est toi. Donne-moi de tes nouvelles dès que tu peux ! – Comme je suis contente d'avoir de tes nouvelles et de constater que tu as l'air d'être satisfaite de ton séjour. Merci pour les photos. Ici ? Eh bien la vie continue sans toi et ta franche gaîté, avec en cette fin mars, une arrivée de giboulées après un hiver plus que printanier. Nous aurons plein de chants à t'apprendre lorsque tu rentreras.

Page 100: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

100

Petits poissons frits.

Jeu de jambes.

Page 101: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

101

– Je suis bien rentrée d’Iran et j’ai replongé dans ma vie stras-bourgeoise. Le Gilân me paraît bien irréel ! Je suis vraiment très contente de ce voyage, de ces rencontres et d'avoir entrouvert une fenêtre vers un monde complètement inconnu. Je te remercie beaucoup pour ton « initiation » au B A BA de la vie iranienne, vue du côté des femmes. Ce qui est sensiblement différent de ce que pouvaient me dire les hommes. Je reviens la tête pleine d'images, et j'espère qu'il y aura une suite à tout ça. Je me retrouve en débardeur et tête nue avec un grand soulagement ! PS : Je mets le marchand d'olive en fond d'écran, ce sera mon petit lien quotidien avec vous ! – Te voilà à un mois de la fin de ton périple et c'est maintenant que je me manifeste ! Ne crois pas que je t'ai oubliée au contraire nous suivons avec beaucoup d'intérêt ton voyage à travers l'Iran et c'est toujours avec un réel plaisir que nous découvrons tes photos aussi insolites que surprenantes pour nous bons Français bien installés dans notre confort quotidien ! Tu en vois des choses mais quel enrichissement personnel ! En tout cas merci de prendre du temps pour nous faire partager ce que tu vis là-bas et bravo pour tes photos qui nous plongent dans ton quotidien actuel ! Termine bien ton séjour garde de bons souvenirs que tu pourras partager à ton retour. Allez bon courage pour la fin de ton aventure. – C'est vraiment magnifique ces photos, j'espère que tu vas bien, fais-moi signe à ton retour.

Page 102: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

102

Tombe aux fleurs.

L'eau à la bouche.

Page 103: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

103

APRÈS – Bon atterrissage… – Je voulais tellement te dire ce qui me touchait au fur et à mesure des envois. C’était très frustrant et j'attendais ton retour. J'espère te voir bientôt en chair et en os pour partager à nouveau cette intensité bouleversante. Quelles images ! Quelles musiques ! Et tout ce que tu portes en toi à présent... – Bon retour ! Tu rentres juste à l'heure pour la sortie du film « Persépolis ». Merci en tout cas pour tes cartes postales en mots, en sons, et en images. – Si tu savais comme je pensais à toi... C'est super ce lien que tu as établi entre toi, l'Iran et nous, les chanceux de ta liste ! J'adore le morceau que tu as enregistré pour cette fête où les enfants gueulent comme des perdus ! Je regarde parfois tes photos avec ma famille ou des amis et c'est comme si moi aussi, j'étais un peu passeur ! J'ai hâte d'entendre tes récits et tes musiques ! – Bienvenue ma belle Marianne sur ta terre maternelle. Merci pour tous les superbes messages que tu m' (nous) as fait parvenir et qui m'ont permis de t'accompagner dans ton périple. J'espère que très bientôt j'aurais l'occasion de te voir afin que de vive voix tu me (nous) fasses partager ton « bilan » !

Page 104: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

104

Yes

Manifestation à Téhéran.

Page 105: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

105

– Merci pour cette longue saga de ta quête iranienne, Je ne me suis pas longtemps posé la question de savoir si j'étais ou non un destinataire accidentel ! J'ai été touché par la spontanéité et la profondeur de tes annotations, derrière ton habituelle (je crois) façade ironique. J'avais déjà suivi, sur ce mode des mails circulaires, l'année d'une amie dans la brousse malgache. C'est un contact prodigieux de proximité et de distance mêlées ; quelque chose qui ressemble aux récits anciens de voyageurs qui faisaient parvenir de loin en loin des bribes de leurs avancées. La proximité temporelle, ici, n'y change rien, abolie qu'elle est par la distance « géoculturelle ». Tu étais dans un autre monde, d'où ta voix lointaine parvenait. Merci encore. Le retour ne doit pas être simple. Que comptes-tu faire maintenant ? – Maintenant que tu as retrouvé ce que certains appellent la civilisation… En tous cas des accès sans doute plus faciles à Internet, je t'envoie enfin ces quelques lignes pour te remercier de tes messages et photos. Grâce à cette merveille technologique, j'ai pu découvrir un peu ton pays et ton travail, et c'est vraiment un plaisir renouvelé à chaque fois. Te voilà rentrée en France depuis presque un mois : j'espère que le retour n'a pas été trop difficile et que tu as pu récupérer doucement de toutes ces émotions. Et peut-être même commencé à imaginer d'autres projets ? – Belle Marianne, ce carnet est magnifique d'humanité et aussi de savoirs. J'ai tant le sentiment d'avoir fait ce chemin avec toi, que j'y retrouve mes souvenirs de voyage ! Incroyable, non ? Je l'ai fait partager à ma fille et quelques amis au fur et à mesure… Mais quel voyage non de D'là !

Page 106: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

106

Baudruches.

Mille et un rêves d'ailleurs.

Page 107: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

107

– Merci de m'avoir inscrite sur votre liste de diffusion, j'ai reçu avec beaucoup d'émotion vos fragments de récits et trouvé votre démarche impressionnante de sincérité et de courage, ethnographique et humain. J'ai archivé aussi en pensant que de tels carnets de voyage seraient des documents de grande qualité à mettre en partage sur une plate-forme numérique : un espace expérimental autour des traditions orales (où nos chemins se croisent). Vos documents sont sur mon bureau, comme des signaux. Comment vous envisagez les suites, la suite ? En tout cas je vous souhaite un bon atterrissage en douceur, il est des voyages initiatiques qu'il faut digérer et vous avez fait une sacrée expérience. – Quelle chouette idée ! J'ai toujours lu avec plaisir tes mails, et beaucoup apprécié surtout tes photos. Tes impressions me renvoyaient à plein de souvenirs, à mes propres débuts [anthropologiques]. Que d'émotions ! Heureuse de savoir que tu sembles être sortie indemne et plutôt positive de l'expérience. [Moi aussi] je n'oublie pas l'Iran. – Merci pour ton carnet. J'ai ouvert avec plaisir tes « petites fenêtres » ces derniers mois, et je retournais de temps en temps prendre une bouffée d'air. J'y ai découvert un monde inconnu (bien que ce que tu illustrais se rapporte beaucoup à ce que me raconte une amie afghane de son ancienne vie) et très attachant. J'y retrouvais un peu ce que je retrouve « au pays » une façon de vivre en évolution lente, dans une autre dynamique que celle de nos sociétés de consommation… Merci pour ton Carnet d’Iran. – Merci de m'avoir fait partager ainsi ces instants passés Là-bas... C'est avec beaucoup de plaisir que j'ai parcouru tes lignes. Je te souhaite tout le meilleur et bonne route.

Page 108: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

108

Cette carte du XVIIe siècle localise le paradis « ici ou à peu près ». Ma soif de découverte a laissé place à un tendre lâcher-prise. Le chemin m’anime désormais. Je sens que la cartographie de ce territoire est vaine. À deux pas du paradis, ou en plein dedans, je suis habitée de la béatitude des êtres reposés.

Page 109: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

109

– J'ai tout lu de ton périple au pays des Mille et une nuits. J'aime ces photos, des clichés d'un instant de vie partagée, moult fois plus intéressantes que des photos de monuments que tous les touristes visitent et qui sont dans tous les guides touristiques ! – Merci beaucoup de m'avoir donné à lire ton Carnet d'Iran. J'ai passé un très bon moment au fil de tes impressions. Cette lecture m'a accompagnée plusieurs jours, j'entends par là qu'elle m'a quelque peu secouée, dans le sens « donné à mâcher », réfléchir et encore davantage et apprécier notre belle liberté d'ici. Non mais quelle chance quand même, on ne se le dira jamais assez ! – Merci beaucoup pour ce carnet qui m'a fait un peu rattraper mon retard sur le fameux voyage en Iran. C'est vrai que les mails c'est un peu comme une photo, c'est chargé. Tu es forte d'arriver à écrire comme ça, sur ce que tu vis. Même si ce qu'on vit c'est surprenant, fou, passionnant, terrible, fort, émouvant remuant, difficile... Ce n'est pas facile d'écrire, je trouve ! Mais ça fait tellement plaisir de lire les récits des autres que ça finit par donner envie aussi d'essayer. Alors à quand le prochain voyage ? – Plein de joie, de bonheurs, d'amour, de folies, de sourires, de rires et de fous rires (sous le voile) ! – Merci pour cet envoi que je prendrais le temps de savourer… – À bientôt. Prenez le temps. On se téléphonera pour un thé ?

Page 110: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

110

Page 111: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

111

E n c h e m i n CARNET D’IRAN 2007

Éditions Déracontés

Automne 2010

Page 112: Carnet d'Iran 2007 edition 2010

112

Je suis Marianne, je suis Afsar

Je suis française, je suis iranienne.

Lors de mon premier long séjour en Iran, j'ai décidé

d'envoyer par mail

mon carnet de voyage, afin de donner

Là-bas un aperçu d’Ici. Voici la version papier

de ce carnet de voyage.

Bonne lecture, bon plaisir.

Et au prochain voyage

MariannAfsar