Delly - l Exilee

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BIBEBOOK DELLY L’EXILÉE

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    DELLY

    LEXILE

  • DELLY

    LEXILE

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    ISBN978-2-8247-1341-0

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    Fontes : Philipp H. Poll Christian Spremberg Manfred Klein

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  • CHAPITRE I

    L un instant carts, un vif rayon de soleildavril frappait le vitrage du bow-window o Myrt reposait,sa tte dlicate retombant sur le dossier du fauteuil, dans lat-mosphre tide parfume par les violees et les muguets prcoces quicroissaient dans les caisses, lombre de palmiers et de grandes fougres.

    Ctait une miniature de petite serre. Tout au plus, entre ces caisseset ces quelques plantes vertes, demeurait-il la place ncessaire pour lefauteuil o stait glisse la mince personne de Myrt.

    Elle reposait, les yeux clos, ses longs cils dors frlant sa joue au teintsatin et nacr, ses petites mains abandonnes sur sa jupe blanche. Sestraits, dune puret admirable, voquaient le souvenir de ces incompa-rables statues dues au ciseau des sculpteurs de la Grce. Cependant, ilstaient peine forms encore, car Myrt navait pas dix-huit ans. . . Etcee extrme jeunesse rendait plus touchants, plus aendrissants le plidouloureux de la petite bouche au dessin parfait, le cerne bleutre qui en-

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  • Lexile Chapitre I

    tourait les yeux de la jeune lle, et les larmes qui glissaient lentement deses paupires closes.

    Sur sa nuque retombait, en une coiure presque enfantine, une lourdechevelure aux larges ondulations naturelles, une chevelure dun blondchaud, qui avait certains instants des colorations presque mauves, etsemblait, peu aprs, dore et lumineuse. Ses bandeaux encadraient har-monieusement le ravissant visage, doucement clair par ce gai rayon desoleil perant entre deux giboules.

    Myrt demeurait immobile, et cependant elle ne dormait pas. andmme sa sollicitude liale ne let pas tenue veille, prte courir lappel de sa mre, la douloureuse angoisse qui la serrait au cur lauraitempche de goter un vritable repos.

    Bientt, demain peut-tre, elle se trouverait orpheline et seule sur laterre. Aucun parent ne serait l pour laider dans ces terribles momentsredouts dmes plus mres et plus exprimentes, aucun foyer nexis-tait qui pt laccueillir comme une enfant de plus. Elle avait sa mre, etcelle-ci partie, elle tait seule, sans ressources, car la pension viagre dontjouissait madame Elyanni disparaissait avec elle.

    Myrt tait lle dun Grec et dune Hongroise de noble race. La com-tesse Hedwige Gisza avait rompu avec toute sa parent en pousantChristos Elyanni dont la vieille souche hellnique ne pouvait faire ou-blier, aux yeux des ers magistrats, que ses parents avaient drog ensoccupant de ngoce, et que lui-mme ntait quun artiste besogneux.

    Artiste, il ltait dans toute lacception du terme. pris didal, il vivaitdans un rve perptuel o oaient des visions de beaut surhumaine. Lajolie Hongroise, vue un jour Paris, une fte de charit o Christos s-tait laiss entraner par un ami, lavait frapp par sa grce dlicate, unpeu thre, et la douceur radieuse de ses yeux bleus. Elle, de son ct,avait remarqu cet inconnu dont les longs cheveux noirs encadraient unvisage si dirent de tous ceux qui lentouraient un visage de mdaillegrecque, o le regard rayonnant dune continuelle pense intrieure met-tait un charme indnissable. Elle se t prsenter lartiste, obtint de lavieille cousine qui la chaperonnait que Christos ft son portrait, et, unjour, elle orit elle-mme sa main au jeune Grec qui avait jusque-l sou-pir en silence, sans oser se dclarer.

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  • Lexile Chapitre I

    Elle tait majeure, sans parent proche, et pourvue dune fortune peuconsidrable, mais indpendante. Elle devint madame Elyanni. . . Et ce futun mnage la fois heureux et malheureux.

    Heureux, car ils taient unis par un amour profond et ne voyaientrien au-del lun de lautre. . . Malheureux, car ils avaient des dfauts iden-tiques, des gots trop semblables. Alors que la nature rveuse et trop ida-liste de Christos et demand, en sa compagne, le contrepoids dune rai-son ferme, dun jugement mri et dhabitudes pratiques, il ne devait trou-ver, en Hedwige, quun charmant oiseau adorant les eurs, la lumire, lestoiles claires et chatoyantes, incapable dune pense srieuse et ignoranttout de la conduite dune maison.

    Aprs avoir vcu pendant deux ans dans la patrie de Christos, ilstaient venus stablir Paris. Le peintre aimait cee ville o il tait n,o tait morte sa mre, une Franaise. Il esprait surtout arriver percerenn, aeindre quelque notorit, raliser le rve de gloire qui chantaiten son me.

    Mais il navait aucunement le got de la rclame, et ses uvres, parleur caractre didalisme trs haut, ne sadaptaient pas aux tendancesmodernes. La russite ne vint pas, la fortune dHedwige se fondit peu peu, et le jour o Christos mourut, dune maladie due au dcouragementqui stait lentement inltr en lui, il ne restait madame Elyanni quunerente viagre, relativement assez considrable, laisse au peintre, et aprslui sa veuve, par un vieux cousin qui stait teint quelques annes au-paravant dans lle de Chio.

    Myrt avait cee poque douze ans. Ctait une enfant vive et gaie,idoltre de ses parents en admiration devant sa beaut et son intelli-gence. Une pit trs ardente et trs profonde, la direction dune vieilleinstitutrice, femme dlite, lavaient heureusement prserve des cons-quences que pouvait avoir lducation donne par ces deux tres char-mants et bons, mais si peu faits pour lever un enfant. . . Et la mort deChristos, on vit cee chose touchante et exquise : la petite Myrt, do-minant la douleur que lui causait la perte dun pre trs chri et la vuedu dsespoir de sa mre, se rvlant tout coup presquune femme djpar le srieux et le jugement, organisant, avec laide dun vieil ami deson pre, une nouvelle existence, soignant avec un tendre dvouement

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  • Lexile Chapitre I

    madame Elyanni dont le chagrin avait abau la sant toujours frle.La mre et la lle sinstallrent Neuilly, dans un trs petit appar-

    tement, au quatrime tage dune maison habite par de modestes em-ploys. Madame Elyanni, que lexprience navait pas corrige, t ajouter la fentre de sa chambre ce bow-window et voulut quil ft continuel-lement garni de eurs.

    Je me passerais plutt de manger que de ne pas voir des eurs au-tour de moi, avait-elle rpondu au tuteur de Myrt qui avanait discrte-ment que les revenus ne permeraient peut-tre pas. . .

    Oh ! monsieur, il ne faut pas que maman soit prive de eurs ! avaitdit vivement Myrt.

    Il fallait aussi que madame Elyanni et une nourriture dlicate. . . Et,comme elle abhorrait les nuances fonces, elle exigeait que sa lle fttoujours vtue de blanc lintrieur, coutume conomique, car la llee,qui remplissait courageusement avec une souriante aention, bien desmenus devoirs de mnagre, devait remplacer frquemment ces costumesque sa mre ne sourait pas voir tant soit peu dfrachis.

    Il en tait ainsi de nombreux dtails, et malgr les conomies queMyrt, devenue unmnagre accomplie, russissait raliser sur certainspoints, le budget squilibrait parfois dicilement.

    Il avait fallu compter aussi avec les frais de son instruction. Grce une extrme facilit, aux admirables dispositions dont elle tait doue, elleavait pu les rduire au minimum. Elle avait conquis, lanne prcdente,son brevet suprieur, et avait russi acqurir, en prenant de temps autre quelques leons dun excellent professeur, un remarquable talentde violoniste.

    Telle tait Myrt, petite me exquise, ardente et pure, cur dlicate-ment bon et dvou, chrtienne admirable, enfant par sa candide simpli-cit, femme par lnergie et la rexion dun esprit mri dj au souede lpreuve et des responsabilits.

    Car tous les soucis retombaient sur elle. Madame Elyanni, languis-sante dme et de corps, se laissait gter par sa lle et dclarait ne pouvoirsoccuper de rien. Depuis quelques annes, elle ne voulait plus sortir etpassait ses journes tendue, soccupant de merveilleuses broderies ourvant, les yeux xs sur le dernier tableau peint par Christos, et o le

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  • Lexile Chapitre I

    peintre stait reprsent entre sa femme et sa lle, dans son petit atelierillumin de soleil.

    Elle stait tiole ainsi, htant la marche de la maladie qui lavaitterrasse enn deux jours auparavant. En voyant la physionomie sou-cieuse du mdecin appel aussitt, Myrt avait compris que le dangertait grand. . . Et en entendant, la veille, sa mre demander le prtre, ellestait dit que tout tait ni, car lme insouciante de madame Elyannitait de celles qui aendent les derniers symptmes avant-coureurs de lan pour oser songer se mere en rgle avec leur Dieu.

    Ce matin, on lui avait apport le Viatique. . . Et ctait autant pour lalaisser faire en toute tranquillit son action de grces que pour drober son regard les larmes dicilement contenues pendant la crmonie, queMyrt stait rfugie dans le bow-window.

    Elle aimait profondment sa mre, dune tendresse qui prenait, soninsu, une nuance de protection trs explicable par la faiblesse moralede madame Elyanni. Son cur avait besoin de se donner, de spancheren dvouement sur dautres curs sourants, faibles, ou dcourags. Samre disparue, ce serait ni de cee sollicitude de tous les instants quexi-geait, depuis quelques mois surtout, madame Elyanni. Personne nauraitplus besoin delle. . . moins quelle ne se ft religieuse pour dverser surses frres en Jsus-Christ les trsors de tendresse dvoue contenus dansson cur. Mais, jusquici, la voix divine navait pas parl, Myrt ignoraitsi elle avait la vocation religieuse.

    Dans le silence qui rgnait, peine troubl de temps autre par lacorne dun tramway, une voix faible appela :

    Myrt !La jeune lle se leva vivement et entra dans la chambre aux tentures

    claires, aux meubles de laque blanche. Des plantes vertes, des gerbes deeurs en ornaient les angles, garnissaient les tables et la chemine. . . Etsur une petite table couverte dune nappe blanche, dautres eurs encorespanouissaient entre les candlabres dors et le crucix.

    Myrt savana prs du lit, elle se pencha vers le ple visage tri,entour de cheveux blonds grisonnants.

    Me voil, maman chrie.evoulez-vous de votreMyrt ? demanda-t-elle en meant un tendre baiser sur le front de sa mre.

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  • Lexile Chapitre I

    Je veux te parler, mignonne. . . coute, jai compris depuis. . . depuisque je sens venir la mort. . .

    Maman ! murmura Myrt.Les yeux bleus de la malade envelopprent la jeune lle dun regard

    navr. Il faut bien nous faire cee pense, enfant. . . Jai donc compris

    que je nai pas t pour toi une bonne mre. . . Maman ! redit encore Myrt avec un geste de protestation. Si, ma chrie, cest la vrit. Je tai beaucoup aime, cest vrai, mais

    autrement, je nai rempli aucun des devoirsmaternels. Jai laiss ta petiteme courageuse toutes les responsabilits, tous les soucis, je nai su quemenfermer dans mon chagrin et dpenser gostement tout notre petitrevenu, au lieu de songer conomiser pour toi.

    Ctait juste, maman, ctait bien ainsi ! Moi je suis jeune, je tra-vaillerai. . .

    Tu travailleras !. . . Pauvre mignonne aime ! que pourrais-tu faire !La concurrence est norme. . . et dailleurs tu ne peux vivre seule, Myrt. Ilte faut labri dun foyer, la scurit au milieu dune famille srieuse. . . jaidonc song ma cousine Gisle. Tu sais que, seule de toute ma famille,elle a continu se tenir en rapports avec moi, par quelques mots surune carte au 1 janvier, par des leres de faire-part. Elle avait pous,trois ans avant mon mariage, le prince Sigismond Milcza. Un ls est nde cee union. Elle mapprit quelques annes plus tard son veuvage, puisson second mariage, la naissance de quatre enfants, et enn un nouveauveuvage. Nous nous aimions beaucoup, et jai song quen souvenir demoi elle accepterait peut-tre de taccueillir.

    Myrt se redressa vivement. Maman, voulez-vous que jaille mendier la protection et lhospita-

    lit de ces parents qui nont pas voulu accepter mon cher pre ? Oh ! les autres, non ! Mais Gisle na jamais cess de me considrer

    comme de la famille. Cependant, maman, il ne me parat pas admissible que je sois la

    charge de la comtesse Zolanyi ! dit vivement Myrt. Non, mais elle doit avoir des relations tendues et trs hautes, car

    les Gisza, les Zolanyi, les Milcza surtout sont de la premire noblesse ma-

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  • Lexile Chapitre I

    gyare. Ces derniers sont de race royale, et leur fortune est incalculable.Gisle pourra donc, mieux que personne, taider trouver une positionsre, elle sera pour toi une protection, un conseil. . . Et je voudrais que tului crives de ma part, an que je te cone elle.

    Ce que vous voudrez, mre chrie ! murmura Myrt en baisant lajolie main amaigrie pose sur le couvre-pied de soie blanche un peu jau-nie.

    Sous la dicte de sa mre, elle crivit un simple et pathtique appel cee parente inconnue delle. grand-peine, M Elyanni parvint yapposer sa signature. . . Myrt demanda :

    O dois-je adresser cee lere ? Depuis son second veuvage, Gisle ma donn son adresse au palais

    Milcza, Vienne. Je suppose quaprs la mort du comte Zolanyi, elle ad aller vivre prs de son ls an, qui nest peut-tre pas mari encore.Envoie la lere cee adresse. Si Gisle ne sy trouve pas, on fera suivre.

    Myrt, dune main qui tremblait un peu, mit la suscription, apposa letimbre, et se leva en disant :

    Je vais la porter chez les dames Millon. Lune ou lautre aura cer-tainement occasion de sortir ce matin et de la mere la poste.

    Les dames Million occupaient un logement sur le mme palier queM Elyanni. La mre tait veuve dun employ de chemin de fer, la lletravaillait en chambre pour un magasin de eurs articielles. Ctaientdhonntes et bonnes cratures, serviables et discrtes, qui admiraientMyrt et auraient tout fait pour lui procurer le moindre plaisir. Isolecomme ltait la jeune lle, M Elyanni nayant jamais voulu nouer derelations, elle avait trouv plusieurs fois une aide matrielle ou moraleprs de ses voisines, et elle leur en gardait une reconnaissance qui se tra-duisait par des mots charmants et de dlicates aentions, Myrt ntantpas de ces curs vaniteux et troits qui considrent avant toute chose lasituation sociale et le plus ou moins de distinction du prochain.

    La porte lui fut ouverte par M Albertine, grande et belle lle brune,au teint ple et au regard trs doux.

    M Myrt ! Entrez donc, mademoiselle !Et elle seaait pour la laisser pntrer dans la salle manger, o M

    Millon, une petite femme vive et accorte, tait en train de morigner un

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  • Lexile Chapitre I

    petit garon de cinq six ans, un orphelin que la mort de sa lle aneet de son gendre avait laiss sa charge. . . elle savana vivement vers lajeune lle en demandant :

    Eh bien ! mademoiselle Myrt ? Elle est si faible, si faible ! murmura Myrt.Et un sanglot stoua dans sa gorge. Pauvre chre petite demoiselle ! dit M Million en lui saisissant la

    main, tandis quAlbertine se dtournait pour dissimuler une larme. Je suis venue vous demander un service, reprit Myrt en essayant

    de dominer le tremblement de sa voix. and vous descendrez, voulez-vous mere cee lere la bote ?

    Mais certainement ! Albertine a justement une course faire danscinq minutes, elle ne loubliera pas, comptez sur elle.

    Moi aussi, jirai porter la lere, dit le petit garon qui stait avancet posait clinement sa joue frache contre la main de Myrt.

    Oui, cest cela, Jeannot. . . et puis tu feras aussi une petite prirepour ma chre maman, dit la jeune lle en caressant sa petite tte rase.

    Nous lui en faisons dire une tous les soirs, mademoiselle Myrt. . .Et vous savez, si vous avez besoin de nimporte quoi, nous sommes l,toutes prtes vous rendre service.

    Oui, je connais votre cur, dit Myrt en tendant la main aux deuxfemmes. Merci, merci. . . Maintenant, je vais vite retrouver ma pauvre ma-man.

    Lorsque la jeune lle eut disparu, madame Millon posa la lere sur latable, non sans jeter un coup dil sur la suscription.

    Comtesse Zolanyi, palais Milcza. . . Ces dames ne nous ont jamaisdit grand-chose sur elles-mmes, mais jai ide, Titine, quelles sont dunegrande famille. Lautre jour pendant que jtais prs de madame Elyanni,jai remarqu, sur un joli mouchoir n dont elle se servait, une petitecouronne brode.

    Etmademoiselle Myrt a des manires de princesse qui lui viennenttout naturellement, cela se voit, si elle pouvait donc avoir des parents quilaccueillent, qui laiment comme elle le mrite !. . . Car la pauvre damena plus gure vivre, maman.

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  • Lexile Chapitre I

    Hlas ! non ! Si elle passe la nuit, ce sera tout. . . Pauvre petite de-moiselle Myrt ! a me fend le cur, vois-tu, Titine !

    Et lexcellente personne sortit son mouchoir, tandis que sa lle, ser-rant les lvres pour dominer son motion, entrait dans la chambre voisinepour mere son chapeau.

    Pendant ce temps, Myrt, rentre dans la chambre de sa mre, soc-cupait dfaire le petit autel. Elle allait et venait doucement, incompara-blement lgante et svelte, avec des mouvements dune grce innie.

    Myrt !Elle sapprocha du lit. . . Madame Elyanni saisit sa main en disant : Regarde-moi, Myrt !Les yeux bleus de la mre se plongrent dans les admirables prunelles

    noires, veloutes, rayonnantes dune pure clart intrieure. Toute lmenergique, ardente, virginale deMyrt tait l. . . Et madame Elyanni mur-mura doucement :

    e je les voie encore, tes yeux, tes beaux yeux !. . . Myrt, ma lu-mire !

    Maman, ne parlez pas ainsi ! supplia la jeune lle. Il ny a quunevraie lumire, cest Dieu, et il ne faut pas. . .

    Oui. Il est la lumire, mais cee lumire incre se communique auxmes pures, et celles-ci la rpandent autour delles. . . Ne ttonne pas dementendre parler ainsi, mon enfant. Depuis hier, ta pauvre mre a bienrchi, elle a compris ce que tu avais t pour elle, ce que Dieu lui avaitdonn en lui accordant une lle telle que toi, et comment il lui aurait timpossible de vivre sans lange quelle a sans cesse trouv ses cts. Jete bnis, Myrt, mon amour, je te bnis de toute la force de mon cur !

    Ses mains se posrent sur la chevelure blonde. Myrt, sanglotante,stait laiss tomber genoux. . .

    Ne pleure pas, chrie. Pense que je vais retrouver mon cher Chris-tos. Tous deux, de l-haut nous veillerons sur toi. . .

    Elle sinterrompit, bout de forces, en laissant retomber ses mainsque Myrt pressa sur ses lvres. . . Et elles demeurrent ainsi, immobiles,savourant la douloureuse jouissance de ces dernires heures.

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  • Lexile Chapitre I

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  • CHAPITRE II

    E crpes, un peu courbe sous son long chlenoir, Myrtmarchait comme en un rve, entre les damesMillon.Elle revenait vers le logis vide do tait partie tout lheure ladpouille mortelle de madame Elyanni.

    Elle se sentait anantie, presque sans pense. Albertine avait douce-ment pris sa main pour la passer sous son bras. . . Et cee marque daec-tueuse aention avait mis un lger baume sur le cur bris de Myrt.

    En arrivant sur le palier du quatrime tage, madame Million de-manda :

    Vous allez rester djeuner et nir la journe chez nous, mademoi-selle Myrt ?. . . Et mme y coucher, si vous le voulez bien, car ce seraittrop triste pour vous. . .

    Myrt lui prit les mains et les pressa avec force. Merci, merci, madame ! Mais je prre rentrer tout de suite, mha-

    bituer cee solitude, la pense de ne plus la voir l. . .

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  • Lexile Chapitre II

    Sa voix se brisa dans un sanglot. . . . Demain, si vous le voulez bien, je viendrai partager votre repas. . .

    mais aujourdhui, je ne peux pas. . . Ne men veuillez pas, je vous en prie ! Oh ! bien sr que non, ma pauvre demoiselle ! Faites ce qui vous

    cotera le moins. . . Mais je vais aller vous porter un peu de bouillon. . . Non, pas maintenant, je ne pourrais pas. Ce soir, jessaierai. . .Elle leur tendit la main et entra dans lappartement o la femme de

    mnage soccupait tout remere en ordre.Myrt se rfugia dans sa chambre, une petite pice meuble avec une

    extrme simplicit. Elle enleva son chapeau, son chle, et sassit sur unsige bas, prs de la fentre.

    Tout lheure, en se voyant seule derrire le char funbre, elle avaiteu, pour la premire fois, la conscience nee du douloureux isolement quitait le sien. . . Et voici que cee impression lui revenait, plus vive, dansce logis o elle avait, pendant des annes, prodigu son dvouement lamre dont elle tait lunique aection.

    Lorsque le pnible vnement stait trouv accompli, elle avait aussi-tt tlgraphi son tuteur. Celui-ci, vieil artiste clibataire, vivait retirsur la cte de Provence. Il avait rpondu par des condolances, meanten avant ses rhumatismes qui lui interdisaient tout dplacement. Doresde service sa pupille, pas un mot.

    La comtesse Zolanyi navait pas rpondu. Peut-tre ne se trouvait-ellepas Vienne. . . Et dailleurs, Myrt comptait si peu sur cee grande damequi ne souciait sans doute aucunement dune jeune cousine inconnue ettrs pauvre ! Lorsquelle aurait domin ce premier anantissement quila terrassait, elle envisagerait neement la situation et chercherait, aveclaide de dames Millon, un moyen de se tirer daaire.

    Mais aujourdhui, non, elle ne pouvait pas ! Elle se sentait faiblecomme un enfant. . .

    Un coup de sonnee retentit. La femme de mnage alla ouvrir, Myrtentendit un bruit de voix. . . Puis on frappa la porte de sa chambre. . .

    Mademoiselle, cest une dame qui demande vous parler.Une envie folle lui vint de rpondre : Pas aujourdhui !. . . Oh ! pas aujourdhui !Mais elle se domina, et, se levant, elle entra dans la pice voisine.

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  • Lexile Chapitre II

    Une dame de petite taille, en deuil lger et dune discrte lgance, setenait debout au milieu de la salle manger. Sous la voilee, Myrt vitun n visage un peu tri, des yeux qui lui rappelrent ceux de sa mre,et qui exprimaient une sorte de surprise admirative en se posant sur lajeune lle. . .

    Linconnue savana vers Myrt en disant en franais, avec un lgeraccent tranger :

    Jarrive donc trop tard ? Ma pauvre Hedwige ?. . . Oui, cest ni, dit Myrt.Et, pour la premire fois, depuis deux jours, les larmes jaillirent enn

    des yeux de la jeune lle. Ma pauvre enfant ! dit ltrangre en lui prenant la main et en la

    regardant avec compassion. Et dire que jtais Paris, que jaurais puaccourir aussitt prs dHedwige ! Mais votre lere ma t renvoye deVienne, je lai reue ce matin seulement.

    oi, vous tiez Paris ! dit Myrt dun ton de regret. Oh ! si nousavions pu nous en douter ! Mais asseyez-vous, madame !. . . Et permeez-moi de vous remercier ds maintenant dtre accourue si vite lappel dema pauvre mre.

    Ctait chose toute naturelle, dit la comtesse en prenant place surle fauteuil que lui avanait Myrt. Hedwige et moi, bien que cousinesassez loignes, avons t leves dans une grande intimit. Jen ai tou-jours conserv le souvenir, malgr. . . enn, malgr ce mariage qui avaitmcontent notre parent.

    Le front de Myrt se rembrunit un peu, tandis que la comtesse conti-nuait dun ton calme, o passait un peu dmotion :

    Je nai donc pas hsit venir, esprant bien la trouver encore envie. . . Mais la concierge ma appris que. . . tout tait ni.

    Oui, cest ni, ni ! dit Myrt.Elle stait assise en face de la comtesse, et le jour un peu terne clai-

    rait dune lueur grise son dlicieux visage fatigu et pli, sur lequel leslarmes glissaient, chaudes et presses.

    La comtesse parut touche, son regard mobile sembua un peu. . . Ellese pencha et prit la main de la jeune lle.

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  • Lexile Chapitre II

    Voyons, mon enfant, ne vous dsolez pas. En souvenir dHed-wige, je suis prte vous aider, vous accorder cee protection que mapauvre cousine me demandait pour vous. . . Racontez-moi un peu votrevie, parlez-moi delle et de vous.

    On ne pouvait nier quelle ne se montrt bienveillante, bien quavecune nuance de condescendance qui nchappa pas Myrt. Cependant, lajeune lle avait craint de se heurter lamorgue de cee parente inconnue,et elle prouvait un soulagement en constatant en elle une certaine dosedamabilit et mme de sympathie.

    Elle t donc brivement le rcit de leur existence depuis la mort deM. Elyanni. Parfois, la comtesse lui adressait une question. Entre autreschoses, elle sinforma de ltat des nances de lorpheline.Myrt lui appritquil ne lui restait rien, sauf un mince capital reprsentant une rente dequatre cents francs.

    Oui, vous me disiez cela dans votre lere, mais je pensais que vouspossdiez peut-tre quelques autres petites ressources. Hedwige avait defort beaux bijoux, des diamants pour une somme considrable. . .

    Tout a t vendu au moment de la maladie de mon pre, sauf unecroix en opales laquelle ma mre tenait beaucoup.

    Oui, cest un bijou de famille qui venait dune aeule. Ainsi donc,vous ne possdez rien, mon enfant ?. . . Et vous navez aucune parent duct paternel ?

    Aucune, madame. La famille de mon pre tait dj compltementteinte lpoque de son mariage.

    La comtesse passa lentement sur son front sa main ne admirable-ment gante.

    En ce cas, mon enfant, il me parat que mon devoir est tout trac.Vous tes une Gisza par votre mre cela, personne de notre parent nepeut le discuter vous avez donc droit labri de mon foyer. . .

    Madame, je ne demande quune chose ! interrompit vivementMyrt. Cest que vous maidiez trouver une situation srieuse, dans unefamille sre. . . Car mon seul dsir est de gagner ma vie, et je naccepteraisjamais de me trouver votre charge.

    Les sourcils blonds de la comtesse se froncrent lgrement.

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  • Lexile Chapitre II

    Une situation, dites-vous ?. . . Et laquelle donc ? institutrice, demoi-selle de compagnie ?. . . Tout dabord, je vous rpondrai que vous tesbeaucoup trop jeune, et que. . . enn, que vous avez un visage. . . des ma-nires qui rendront dicile pour vous une position de ce genre.

    Myrt rougit et des larmes lui montrent aux yeux. Elle tait si totale-ment dpourvue de coqueerie que le compliment implicite contenu dansla constatation de son interlocutrice ne lui avait caus quune impressionpnible, en lui faisant toucher du doigt lobstacle qui slevait devant sesrves de travail.

    Mais cependant, il faut que je gagne ma vie ! dit-elle en tordantinconsciemment ses petites mains.

    Mon enfant, laissez-moi vous dire quil me parat impossible devous laisser remplir des fonctions subalternes quelconques, du momento vous tes ma parente. Il me dplairait fort, je vous lavoue, quunejeune lle pouvant se dire ma cousine devnt, par exemple, la demoisellede compagnie dune de mes connaissances. . . Non, dcidment, il ny aquun moyen, du moins pour le moment : cest que vous acceptiez monaide, pour vivre dans une pension de dames, o vous vous trouverez enscurit. . .

    Et dans ce cas, en serai-je plus avance dici deux ans, dici cinqans ? scria Myrt. Non, cest impossible, il faut que je travaille, je neveux pas tout devoir votre charit !

    La comtesse, surprise, considra quelques instants la charmante phy-sionomie empreinte dune re rsolution.

    Cest que me voil fort embarrasse, alors !. . . Je ne vois vraimentpas trop. . . moins que. . . Mais oui, cela arrangerait tout ! scria-t-elledun ton triomphant, en se frappant le front. Vous mavez dit que vousaviez des diplmes ?

    Oui, mes deux brevets. Vous tes musicienne ? Violoniste. Oh ! parfait ! Mes lles adorent la musique, et vous enseigneriez le

    violon Renat. . . Vous dessinez peut-tre aussi ? Mais oui, un peu. Tout fait bien !. . . Connaissez-vous la langue magyare ?

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  • Lexile Chapitre II

    Comme le franais. Nous parlions indiremment lun et lautre, mapauvre maman et moi. Je parle galement le grec, et un peu lallemand.

    Allons, mon enfant, je crois que tout va sarranger ! dit la comtessedun ton satisfait, en saisissant la main de la jeune lle. Voici ce que jevous propose : Fraulein Lnig, linstitutrice bavaroise de mes enfants,doit nous quier lanne prochaine. Voulez-vous accepter de la rempla-cer ? Comme son engagement avec moi court pendant un an encore, etque je nai aucun motif de lui iniger le dplaisir dun renvoi avant l-heure, vous demeureriez en aendant avec nous, vous donneriez des le-ons de violon mon petit Renat, vous feriez de la musique avec mes llesanes. . . Enn, vous trouverez vous occuper, quand ce ne serait qu mefaire la lecture, mes yeux se fatiguant beaucoup depuis un an.

    De cee manire, oui, jaccepte avec reconnaissance ! dit Myrtdont la physionomie sclairait soudain. Je vous remercie, madame.

    Ne me remerciez pas encore mon enfant, car ceci nest quun projettout personnel, que je dsire fort voir aboutir, mais pour lequel il me fautlapprobation du prince Milcza, mon ls an. Je vis chez lui, et je ne puisvous prendre pour ainsi dire sous ma tutelle sans savoir ce quil en pen-sera. . . Mais ne craignez pas trop, il est fort probable quil me rpondraque la chose lui importe peu. . .ant la question des appointements, jeferai comme pour Fraulein Lnig. . .

    Un geste de Myrt linterrompit. Avant toute chose, il vous faudra juger, madame, si je suis capable

    de remplacer linstitutrice de vos enfants. Cee question pourra doncsarranger plus tard, il me semble.

    Oh ! certainement !. . . Voulez-vous venir ds maintenant avec moi,si vous vous trouvez trop seule ici ?

    Jaimerais rester encore dans cet appartement, dit Myrt dont lesyeux semplirent de larmes.

    Comme vous le voudrez, mon enfant. Je vais donc crire immdia-tement mon ls, an que nous soyons xes le plus tt possible. Esprezbeaucoup. Je lui parlerai de lobligation pour nous de ne pas laisser la-bandon une jeune lle qui a dans les veines du sang de Gisza. Cest laseule considration capable de le toucher, car essayer de laendrir seraitpeine perdue. . . Mais, dites-moi, quel est votre prnom, enfant ?

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  • Lexile Chapitre II

    Myrt, madame. Myrt ! rpta la comtesse dun ton surpris et mcontent. Pourquoi

    Hedwige ne vous a-t-elle pas donn un nom de notre pays ?. . . tes-vouscatholique, au moins ?

    Oh ! oui, madame, comme ma chre maman !. . . Et je mappelleGisle-Hedwige-Myrt. Cest mon pre qui a voulu que lon me donnthabituellement ce nom.

    Enn, cela importe peu, dit la comtesse en se levant. Puisque vousprfrez rester ici aujourdhui, voulez-vous venir djeuner avec nous de-main ?. . . Nous naurons personne, soyez sans crainte, ajouta-t-elle envoyant le regard que la jeune lle jetait sur sa robe de deuil.

    Bien que Myrt et fort envie de refuser, elle se fora raisonnable-ment rpondre par un acquiescement, et prit ladresse que lui dictait lacomtesse.

    Je vais maintenant me faire conduire au cimetire, dit cee dernireen lui tendant lamain. Je veux prier sur la tombe dema pauvre Hedwige. . . demain, mon enfant.

    Oui, madame, et merci de votre sympathie, et de lespoir que vousmouvrez ! dit Myrt avec motion.

    Appelez-moi votre cousine, je nai pas lintention deme faire passerpour une trangre vis--vis de vous. . . Allons, au revoir, Myrt. . . Tenez,je vais vous embrasser en souvenir dHedwige.

    Elle lui mit sur les deux joues un lger baiser et sloigna, laissant dansla salle manger un subtil parfum.

    Myrt rentra dans sa chambre, elle sassit de nouveau prs de la fe-ntre et appuya son front sur sa main.

    Cee visite venait de soulever lgrement le poids trs lourd qui pe-sait sur son jeune cur. Elle avait senti chez la comtesse Zolanyi unecertaine dose de sympathie, et le dsir sincre de laider sortir dem-barras. Comme elle avait craint de se heurter la morgue patricienne decee cousine de sa mre, elle ne songeait pas se dire que la comtesse etpu montrer envers elle un peu plus de chaleur, insister pour lenlever sasolitude, pour lui faire connatre ses lles, ne pas laisser si bien voir, enun mot, quelle ne remplissait quun devoir strict command par ses liensde parent avec Myrt, peut-tre un peu, aussi, par laection conserve

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  • Lexile Chapitre II

    pour sa cousine Hedwige.Non, Myrt remerciait Dieu qui lui laissait entrevoir une lueur des-

    prance dans la douleur o venait de la plonger la perte de sa mre, ellesongeait quil serait moins dur, aprs tout, de remplir ce rle dinstitutriceprs de parents plutt quenvers des trangers quelconques. . . Et ce lui futune pense consolante de se dire quelle allait peut-tre connatre le paysde sa mre, la Hongrie toujours aime dHedwige Gisza.

    n

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  • CHAPITRE III

    L froid et brumeux, il tombait une pluie ne lorsqueMyrt prit, le lendemain, le train pour Paris. Un peu dangoisseloppressait la pense de pntrer dans ce milieu inconnu, otous nauraient peut-tre pas pour elle la mme bienveillance que la com-tesse Gisle.

    Un tramway la dposa dans le faubourg Saint-Germain, non loin dela rue o habitait la comtesse. . . Bientt la jeune lle sarrta devant unancien et fort majestueux htel qui portait, graves dans un cusson depierre, des armoiries compliques. Un domestique en livre noire t tra-verser Myrt le vestibule superbe, puis un immense salon dcor avecune splendeur svre et artistique, et lintroduisit dans une pice peineplus petite, tout aussi magniquement orne, mais qui avait un certainaspect familial grce une corbeille ouvrage, des livres entrouverts, un certain dsordre dans larrangement des siges, et aussi la prsencedun petit chien terrier, bloi dans un niche lgante.

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  • Lexile Chapitre III

    Cee pice tait dserte. . . Le domestique sloigna, dun pas assourdipar les tapis, et Myrt jeta un coup dil autour delle.

    Son regard fut air tout coup par un tableau plac au milieu duprincipal panneau. Il reprsentait un jeune homme de haute taille, trssvelte, qui portait avec une incomparable lgance le somptueux costumedes magnats hongrois. La tte un peu redresse dans une pose altire, ilsemblait xer sur Myrt ses grands yeux noirs, ers et charmeurs, quitincelaient dans un visage au teint mat, orn dune longue moustachedun noir dbne. Sa main ne et blanche, dune forme parfaite, tait po-se sur le kolbach garni dune aigree retenue par une agrafe de diamants.Tout, dans son aitude, dans son regard, dans le pli de ses lvres, dce-lait une ert intense, une volont imprieuse et la tranquille hauteur deltre qui se sent lev au-dessus des autres mortels.

    Du moins, ce fut limpression premire de Myrt. . . Et pourtant,quelque chose dans cee physionomie airait et charmait. Mais Myrtne su pas dnir exactement la nature de ce rayonnement que le peintreavait mis dans le regard de son modle.

    Le bruit dune porte qui souvrait, de pas lgers dans le salon voisin,t retourner Myrt. Elle vit savancer une jeune lle grande et mince, etune llee laspect uet. Toutes deux avaient les mmes cheveux dunblond argent, lesmmes yeux gris trs grands et un peumlancoliques, lamme coupe longue de visage, et le mme teint dune extrme blancheur.

    Soyez la bienvenue, ma cousine, dit lane en tendant la main Myrt. Ma mre, en nous racontant hier sa visite, nous avait donn ledsir de vous connatre. . . Mais il faut que nous nous prsentions nous-mmes. Voici ma jeune sur Mitzi. Moi, je suis Terka.

    Presque aussitt apparut la comtesse, suivie de ses deux autres en-fants, Irne et Renat. Irne tait une jeune lle de seize dix-sept ans,petite et un peu forte, aux cheveux noirs coqueement cois, au visageirrgulier, mais assez piquant. Elle tait vtue avec une lgance trs pa-risienne, et semblait poseuse et re.

    Renat, un garonnet dune dizaine dannes, lui ressemblait beau-coup, et paraissait en outre dun caractre dicile, ainsi que Myrt put leconstater pendant le repas. Sa mre semblait le gter fortement, FrauleinLnig, une grande blonde lair srieux et paisible, navait videmment

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  • Lexile Chapitre III

    aucune autorit sur lui. . . Ce futur lve promeait de durs moments Myrt. Heureusement la blonde Mitzi avait lair beaucoup plus calme etplus douce.

    Myrt se sentait un peu oppresse dans cee salle manger magni-que, au milieu des recherches dun luxe ran qui lui tait inconnu recherches auxquelles sadaptaient cependant aussitt, sans hsitation,ses instincts de patricienne. Elle sentait chez ses parents la correction defemmes bien leves, accomplissant un devoir strict, mais aucun lan verselle, lorpheline, dont le cur meurtri avait soif dun peu de tendresse. Onlaccueillait parce que sa mre avait t une Gisza, mais elle comprenaitbien quelle ne serait jamais traite comme tant compltement de la fa-mille.

    Irne surtout semblait froide et altire. Elle prenait, en sadressant sacousine, un petit air condescendant auquel Myrt prfrait la tranquilleindirence quelle croyait saisir sous la rserve de Terka. La comtesseGisle lui semblait, de toutes, la mieux dispose son gard.

    Et cependant, une phrase dHlne vint rvler Myrt un fait quimontrait clairement que la comtesse Zolanyi navait plus nanmoinsconsidr tout fait des siennes Hedwige Elyanni.

    La jeune lle parlait de Paris et dclarait quelle aurait voulu y vivretoujours.

    Les deux mois que nous y passons chaque anne me consolent unpeu du long sjour quil nous faut faire au chteau de Voraczy, ajouta-t-elle.

    Deux mois !. . . Et jamais la comtesse Gisle ntait venue voir sa cou-sine !

    Limpression pnible prouve par Myrt se retait sans doute dansson regard, car la comtesse regarda sa lle dun air contrari et orientasur un autre terrain la conversation en parlant de Voraczy, la rsidencedu prince Milcza, o elle passait avec ses enfants le printemps, lt, etune partie de lautomne.

    Si la rponse de mon ls est favorable, cest l o nous vous emm-nerons, Myrt. Vous verrez le plus magnique domaine de la Hongrie. . .

    Je laimerais mieux moins magnique, avec quelques ftes, desrunions, de grandes chasses comme autrefois ! soupira Irne. Heureu-

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  • Lexile Chapitre III

    sement, nous avons les rceptions chez les chtelains du voisinage, maisnous ne pouvons leur rendre leurs politesses que par de petites runionssans importance, alors que Voraczy est un tel cadre pour tout ce que li-magination peut rver des ftes incomparables !

    Moi jaime Voraczy, dit Mitzi qui navait pas parl jusque-l. Lair yest si bon !. . . et on y est plus tranquille qu Paris, Vienne ou Budapest.

    Je laime aussi ! dclara Renat. Je my amuse bien. . . except quandil faut que jamuse Karoly.

    Ces derniers mots furent prononcs mi-voix, comme sil craignaitdtre entendu par quelque personnage invisible.

    Le front de la comtesse se plissa un peu, tandis quun lger earementpassait dans le regard de Mitzi.

    Je tai dj dit, Renat, quil ne fallait jamais. . . jamais. . . Tu le saisbien, voyons !

    Le regard hardi de lenfant se baissa comme sous une mystrieusemenace, qui ne semblait cependant pas exister dans le ton presque apeurde sa mre.

    Dans le salon, aprs le repas, la conversation se trana un peu. Lesgots, les habitudes de Myrt taient trop dirents de ceux de ses pa-rentes, trs mondaines, du moins la comtesse et Irne, car Terka semblaitbeaucoup plus paisible. Aussi, Myrt ne se heurta-t-elle qu de faiblesinstances lorsquelle se leva bientt pour prendre cong.

    Aendez au moins un peu, le temps que lon aelle pour vousconduire la gare, dit la comtesse. Et revenez un de ces jours, quand ilvous plaira. Jespre avoir bientt une rponse de mon ls. . . Comme jela suppose favorable, il faudrait songer par avance ce que vous ferez devos meubles, car notre dpart pour Vienne est x dans une dizaine dejours. Je pense que vous devrez les vendre. . .

    Jaurais aim conserver la chambre de ma mre, dit Myrt dunevoix un peu tremblante. Elle na quune faible valeur, les meubles tantvieux et dfrachis.

    Je comprends ce dsir, mon enfant, mais quen ferez-vous ?. . .Certes, je naurais pas mieux demand que de les faire enfermer ici, dansune des chambres du second tage, mais cee demeure appartient auprince Milcza, et lintendant qui gre les proprits que mon ls possde

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  • Lexile Chapitre III

    en France se refusera certainement faire entrer ici quoi que ce soit sanslassentiment de son matre. Et ni lui, ni moi noserions crire au princepour une chose de si petite importance.

    Je rchirai. . . je verrai si je ne puis trouver une combinaison, ditMyrt.

    Cest cela. . . Peut-tre ces voisines dont vous mavez parl vousdonneront-elles une ide. . . Et dites-moi mon enfant, ne craignez pas, silvous manque quelque chose. . .

    Myrt rougit un peu et rpliqua vivement : Merci, ma cousine, mais jai susamment, je vous assure. Ma

    pauvre maman venait de recevoir son trimestre de pension. . .Un domestique vint annoncer que la voiture tait avance. Myrt

    serra les mains de ses parentes, et fut reconduite jusquau vestibule parTerka et Mitzi. . .

    Les deux surs rentrrent ensuite dans le salon, au moment o Irnedisait dun ton contrari :

    Ce sera amusant davoir cee jeune lle pour institutrice ! Je necomprends pas que vous ayez song, maman. . . !

    Cest vrai quelle est dune beaut ravissante, dit la comtesse dunton de regret. Jai peut-tre t un peu vite, lautre jour. . . Mais la pauvreenfant me faisait compassion, si seule, si triste. . . Et aprs tout, si elle estpieuse et srieuse comme elle le parat, la chose ne sera peut-tre pas aussiennuyeuse que tu le crains, Irne. Naturellement, elle restera en dehorsde toutes nos relations, nous la connerons dans son rle dinstitutrice. . .

    Je le pense bien ! Croyez-vous que je serais charme de prsenterdans le monde cee cousine inconnue. . .

    Si jolie et si admirablement patricienne, ajouta la voix calme deTerka.

    Irne rougit et lana sa sur un coup dil irrit. Moi, je pense que je pourrai faire avec elle tout ce que je voudrai,

    dclara Renat, occup dcorer les oreilles du petit terrier avec des che-veaux de soie enlevs la corbeille ouvrage de sa mre.

    Mais je crois que tu ne ten es jamais priv avec Fraulein Rosa,remarqua paisiblement Terka. Allons, Mitzi, il est lheure de ta leon dedessin. Si Renat est dispos aujourdhui, il nous rejoindra.

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  • Lexile Chapitre III

    Non, Renat nest pas dispos ! riposta le petit garon en senfon-ant dans son fauteuil. Renat dteste le dessin, il naime au monde que lamusique. . . Mais jai bien peur que votre Myrt ne soit un mauvais pro-fesseur, maman, ajouta-t-il ddaigneusement.

    Pendant ce temps, la voiture emportait Myrt vers la gare. Il et paru

    naturel quune de ses cousines laccompagnt jusque-l. Mais cee identait vraisemblablement pas venue lesprit daucune des jeunes com-tesses, Myrt apprenait dj quil existerait pour elle une limite dans lesgards et dans la sympathie.

    Un peu damertume lui tait demeure de ces moments passs lh-tel Milcza. Pour la chasser, elle entra dans une glise et pria longuement,panchant son cur fatigu en laissant couler doucement ses larmes.Puis, rconforte, elle gagna son logis.

    Sur le palier du quatrime tage, Albertine causait avec son ancqui venait de djeuner en compagnie de sa future famille et retournaitmaintenant sa demeure. Ctait un gros blond, bon garon, trs gai, quiavait une excellente place dans le commerce. Myrt le connaissait dj,madame Millon layant prsent madame Elyanni aussitt que les an-ailles avaient t conclues.

    Eh bien ! mademoiselle Myrt, ce djeuner sest bien pass ? de-manda Albertine aprs que la jeune lle eut rpondu gracieusement auprofond salut de Pierre Roland.

    Mais trs bien. . . Seulement, je suis contente de revenir chez. . .Elle allait dire comme autrefois : Chez nous. . . Et elle retint les larmes

    qui lui montaient aux yeux en songeant quelle ne dirait plus ce mot sidoux.

    . . . Je suis si lasse de corps et desprit que javais hte dtre de retourici, de ne plus avoir causer, couter.

    Vous viendrez bien tout de mme goter notre soupe, mademoi-selle Myrt ? demanda madame Millon qui apparaissait sur le seuil, Jeanpendu sa main. On ne causera plus beaucoup, pour ne pas vous fatiguer.

    Et je ne vous demanderai pas de me dire des histoires, ajouta Jeanavec une gnrosit chevaleresque.

    Myrt avait bien envie de refuser, mais elle nosa, craignant de blesser

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  • Lexile Chapitre III

    les excellentes cratures qui lavaient entoure, durant tous ces tristesjours, daentions aectueuses et discrtes. . .

    Elle sassit donc le soir la table des Millon, et pas une minute lamodeste toile cire, le couvert commun, les mets fort simples et le servicefait par ses htesses ne lui rent regreer la table splendide, le menudlicat et le service impeccable de lhtel Milcza. Ici elle se sentait aime,l-bas accepte seulement. . . Et Myrt tait de celles qui font passer lessatisfactions du cur inniment au-dessus de celles du bien-tre et desranements dlgance.

    elques jours plus tard, un billet de la princesse Zolanyi informait

    Myrt que le prince Milcza acceptait que sa mre soccupt de la lle desa cousine. Il fallait donc que la jeune lle sapprtt aussitt pour sondpart, et prt toutes les dispositions relatives la vente des quelquesmeubles qui ornaient le petit logement.

    Ceux quelle dsirait conserver trouvrent place chez une voisine quiacceptait, moyennant une faible rtribution, de les garder dans une piceinutilise. Les autres furent vendus avantageusement par les soins de MMillon, quiMyrt cona quelques souvenirs trs chersmais trop encom-brants pour tre emports.

    Et je soignerai bien vos eurs, mademoiselle ! dit la brave dame entendant la main vers le bow-window, le jour o Myrt quia dnitive-ment le cher petit logis.

    Ctait, pour la jeune lle, une consolation de penser quelle seraitremplace ici par ses voisines, les dames Millon changeant, locca-sion du prochain mariage dAlbertine, leur logement pour celui-l dontles pices taient plus vastes.

    Toutes deux, avec le petit Jean, accompagnrent Myrt la gare lors-quelle fut revenue du cimetire o elle avait t dire une dernire priresur la tombe de sa mre. La jeune lle pleurait silencieusement en se spa-rant de ses humblesmais vritables amies, qui trouvaientmoyen, jusquaudernier moment, de lentourer daentions.

    Vous nous crirez quelquefois, mademoiselle Myrt ? demanda Al-bertine en tamponnant ses yeux gons.

    Oui, oh ! oui ! Jamais je noublierai combien vous avez t bonnes,

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  • Lexile Chapitre III

    toutes deux ! Ah ! si nous avions pu seulement vous conserver prs de nous !

    soupira madame Millon.Le train sbranlait, Myrt vit bientt disparatre ces visages amis. . . Et

    elle senfona dans le coin du compartiment en se disant quune nouvellevie, pleine dincertitudes, commenait pour elle.

    La famille Zolanyi ne partant que le surlendemain, Myrt passa doncsa journe et celle du lendemain lhtel Milcza. Laitude de ses pa-rentes se prcisa telle quelle lavait sentie dj : chez la comtesse, unebienveillance un peu froide, chez Terka, une rserve polie, chez Irne,une indirence lgrement ddaigneuse, et certains instants tant soitpeu agressive. ant Mitzi, elle semblait se modeler sur sa sur ane,et Renat, agit par la perspective du dpart, avait autre chose faire quede soccuper de celle quil appelait la remplaante de Fraulein.

    Myrt comprit ainsi, ds le premier moment, quelle serait morale-ment isole dans cee famille, et quil ne lui fallait pas compter trouverune amiti chez ces cousines de son ge qui ne lacceptaient pas tout fait comme une des leurs.

    Les Zolanyi sarrtrent au passage huit jours Vienne, o la com-tesse avait quelques arrangements rgler. Le prince Milcza possdaitdans cee ville un palais magnique, dcor avec le luxe le plus exquis.Mais, pas plus que dans lhtel de Paris, rien ne dcelait ici la prsencehabituelle ou mme accidentelle du matre. Terka, qui Myrt t un jourcee remarque en parcourant sa suite les admirables salons, rponditbrivement :

    Non, le prince Milcza ne quie plus Voraczy.Dans les rares occasions o la comtesse et ses enfants parlaient du

    prince, ces derniers dsignaient toujours leur frre de cee faon cr-monieuse, et tous, mme lindpendant Renat, prenaient un ton o la d-frence se mlait une sorte de crainte.

    Les voyageurs arrivrent par une belle soire de mai la petite garequi desservait le chteau de Voraczy. Deux voitures aendaient. La com-tesse et ses lles montrent dans la premire, Myrt, Fraulein Rosa etRenat dans la seconde, o prirent place aussi les femmes de chambre.

    Le crpuscule tombait, Myrt ne vit que vaguement le beau paysage

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  • Lexile Chapitre III

    verdoyant qui stendait de chaque ct de la large route. Tout a est au prince Milcza. . . tout a, tout a ! disait Renat en

    tendant la main de tous cts, vers les forts dont la ligne sombre bar-rait lhorizon. Je ne peux pas vous montrer jusquo, et il vous faudralongtemps pour connatre tout. Nous irons en voiture, cela mamusera devous montrer. . . Il y a un lac si joli !. . . Et le Danube nest pas loin, vousverrez. Le prince Milcza a un petit yacht, o il se promne quelquefoisavec Karoly.

    i est Karoly ? demanda Myrt. Karoly, cest son ls. Ah ! le prince est mari ? dit-elle avec surprise, car jamais elle na-

    vait entendu faire allusion une princesse Milcza. Non, il ne lest plus. . . et puis il lest tout de mme, rpondit Renat. Voyons, que me racontez-vous l, Renat ? dit-elle en souriant.

    Voulez-vous dire que votre frre est veuf ? Mais non ! t lenfant avec impatience. Vous ne comprenez rien ! Je

    veux dire que. . . Ah ! nous voil arrivs ! Regardez, Myrt !Les voitures, sortant dunemagnique alle, forme darbres normes,

    venaient de franchir une grille immense, dont les globes lectriques clai-raient la merveilleuse ferronnerie. Au-del de la cour dhonneur, dignedun palais royal, slevait une construction superbe, daspect majestueuxet presque svre. Une lumire intense et cependant trs douce clairaittout la faade, mais surtout le perron monumental, double rampe, surlequel aendaient plusieurs domestiques en livre blanche parementscouleur dmeraude.

    Dans le vestibule, haut comme une glise, dall de marbre, dcor detapisseries magniques, un personnage imposant, vtu de noir, sinclinadevant le comtesse en disant :

    Son Excellence la prince Milcza ma charg de souhaiter la bienve-nue Votre Grce et de linformer quil viendra lui prsenter ses hom-mages aussitt le dner termin.

    Ah ! merci, Vildy !. . . Montons vite, enfants, il ne faut pas nous re-tarder. . . Katalia, montrez sa chambre mademoiselle Elyanni.

    Ces mots sadressaient une grande femme trs correctement vtuede soie noire. Sur son invitation, Myrt la suivit au second tage, jusqu

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  • Lexile Chapitre III

    une chambre fort bien meuble, et pourvu dun confortable ignor par lajeune lle dans sa chambre de Neuilly.

    Et pourtant, comme elle et souhait se trouver encore l-bas ! eserait-elle dans cee opulente demeure, sinon une quasi-trangre, lacousine pauvre que lon accepte et que lon ddaigne ?

    Refoulant les larmes qui gonaient ses paupires, elle se mit genouxet rconforta son cur par une ardente prire. Puis stant hte de serecoier et de changer sa robe de voyage, elle descendit un peu au hasard.

    Un domestique lui indiqua la salle manger, pice fort lgante maisdont les dimensions relativement restreintes ne cadraient pas avec lap-parence du chteau.

    Le dner fut un peu vite expdi. La comtesse semblait nerveuse, etelle se leva sans avoir achev son dessert lorsquun domestique vint laprvenir que Son Excellence aendait dans le salon des Princesses .

    Allons, venez vite, enfants. . . Renat, arrange un peu ton col. Laissecee crme, mon enfant, il ne faut pas faire aendre le prince. Myrt, re-montez chez vous, reposez-vous bien. Je vous prsenterai un de ces jours,mais ce soir, il nest pas ncessaire.

    Elle sen allait tout en parlant, suivie de ses enfants. . . Et Myrt re-monta dans sa chambre, tonne au plus haut point de tant de correctionet dtiquee dans ces relations de mre ls, de surs frre. . . Dcid-ment, mieux valait sappeler Millon et saimer la bonne franquee !. . .Et ce prince Milcza devait tre quelque grand seigneur plein de morgue,qui considrerait de bien haut Myrt Elyanni, sa trs humble parente.

    n

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  • CHAPITRE IV

    M le lendemain son heure accoutume cest--dire de fort bonne heure et se leva rapidement, touterepose de la lgre fatigue du voyage et charme la vue dugai soleil qui entrait par les deux fentres.

    Aussitt habille, elle alla vers lune delles et louvrit. Les jardins duchteau stendaient devant elle, admirablement dessins. Mais quels sin-guliers jardins ctaient donc ! Aussi loin que sa vue stendt, Myrt nyvoyait pas une eur. Les corbeilles taient formes de feuillages dune va-rit de tons inoue, de plantes vertes superbes et rares. Dans des bassinsde marbre, leau sirisait et se moirait sous les rayons dor qui la frap-paient.

    Pas de eurs ! murmura Myrt avec tristesse.Comme sa mre, elle aimait ces dlicats chefs-duvre donns par

    Dieu lhomme pour charmer son regard. . . Et la vue de ces jardins sanseurs faisait descendre en elle une singulire impression de mlancolie.

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  • Lexile Chapitre IV

    Une jeune femme de chambre en costume national vint lui apporterson djeuner. Aprs avoir bu rapidement le chocolat mousseux, Myrtdescendit limmense escalier, au bas duquel elle trouva un domestique qui elle demanda le chemin de la chapelle. Il laccompagna, travers delarges corridors dalls de marbre, jusqu une porte de chne sculpt quilouvrit en sinclinant respectueusement.

    La chapelle avait d faire partie de btiments antrieurs au chteauactuel, car elle semblait fort ancienne. Comme elle tait assombrie par desvitraux foncs, Myrt ne vit tout dabord que lautel, o un vieux prtre la longue barbe neigeuse commenait lIntrot.

    Elle sagenouilla au hasard sur un antique banc sculpt.elques ser-viteurs, seuls, assistaient au saint Sacrice. Devant le chur, une rangede fauteuils et de prie-Dieu armoris annonait la place habituelle de lacomtesse et de ses enfants. Tout fait en avant, se voyaient deux autressiges dune somptuosit svre, surmonts de la couronne princire.

    La messe termine, Myrt t le tour de la chapelle, elle admira lestrsors artistiques dont les princes Milcza avaient orn le petit sanctuaire.Puis, aprs une dernire prire, elle sortit et se trouva dans une galerieimmense qui prcdait immdiatement la chapelle.

    La paroi de gauche tait garnie dune succession dadmirables vitrauxqui rpandaient sur le dallage de marbre des tranes de pourpre, din-digo et de jaune dor. Celle de gauche se couvrait de tableaux religieux,uvres de matres, alternant avec danciennes tapisseries dune valeurinestimable. . . En regardant ces merveilles qui charmaient son me dar-tiste, Myrt aeignit ainsi lextrmit de la galerie.

    Par une porte de chne largement ouverte, elle vit un perron demarbre rouge, que balayait un domestique en tenue de travail. Au-delstendait la perspective des jardins et du parc.

    Elle descendit dans lintention de voir de prs ces tranges jardins etde sapprocher des serres superbes dont le dme tincelait l-bas entreles arbres. Peut-tre les eurs staient-elles rfugies l ?

    Mais Myrt fut due. Derrire les vitres, elle naperut que desplantes vertes, les plus rares, les plus magniques, et des feuillages detous les tons, depuis le pourpre intense jusquau vert ple argent.

    Malgr sa dsillusion, Myrt se sentait si bien mise en train par ce

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  • Lexile Chapitre IV

    gai soleil et cee brise matinale si frache, quelle rsolut de faire unetoute petite exploration dans le parc. Elle se mit marcher dun pas vif etaeignit bientt les grands vieux arbres magniques qui formaient unevote majestueuse aux alles, grandes et petites, sentrecroisant en toussens.

    Ce parc tait superbe, il devait tre interminable et renfermer millecoins charmants. Seulement, chose singulire, Myrt ny avait pas encoreaperu une eur. Fallait-il donc penser que cee terre se refusait enproduire ?

    Ah ! si, voil quelle en dcouvrait une, bloie sous les feuilles, unepetite jacinthe qui semblait toute honteuse de se trouver l. Sa vue pa-nouit le cur de Myrt, et la jeune lle, se penchant, la cueillit et la glissa son corsage.

    Il fallait maintenant songer revenir, malgr larait qui let poussetoujours plus avant. La jeune lle prit une petite alle presque envahie parles arbustes croissant follement, en toute libert. Une herbe ne et rarecouvrait le sol, piqu de points dor par le soleil lorsque celui-ci russissait percer lamoncellement de feuillage qui formait une vote idalementfrache.

    Tout coup, Myrt se vit au bout de lalle, devant une prairie im-mense entoure de futaies. Des aboiements retentirent, deux lvriersnoirs bondirent vers la jeune lle. Surprise et eraye, elle ne put retenirun lger cri. . .

    Ici Hadj, Lula ! dit une voix brve.Les chiens sarrtrent, et Myrt, tournant un peu la tte, vit

    quelques pas delle un jeune homme de taille haute et svelte, en costumede cheval, qui se tenait appuy lencolure dun magnique alezan dor,tout frmissant sur ses jambes nerveuses. Elle rencontra deux grands yeuxsombres et irrits, et devant ce regard, elle souhaita soudain rentrer sousterre.

    Linconnu souleva son chapeau, dun geste pleine de hauteur, et d-tourna la tte. Myrt rentra prcipitamment sous le couvert de lalle, ellerevint sur ses pas et prit, un peu au hasard, une direction qui se trouvaheureusement tre la bonne, car elle aeignit bientt les jardins et vitdevant elle la masse imposante du chteau, dor par le soleil qui faisait

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  • Lexile Chapitre IV

    tinceler les vitres des innombrables fentres.Au moment o Myrt sen approchait, le bruit dun galop de cheval

    lui t tourner la tte. Linconnu de tout lheure arrivait, en droite ligne,faisant franchir lalezan les obstacles reprsents par les corbeilles defeuillages et les bassins de marbre. Il tait incomparable cavalier, duneextrme lgance, absolumentmatre de la bte superbe et fougueuse quilmontait.

    quelques mtres du grand perron, lanimal sarrta net. Le jeunehomme sauta lgrement terre, jeta les rnes un des domestiques quise prcipitaient vers lui et gravit rapidement les degrs du perron.

    Terka sortait ce moment, une ombrelle la main. Linconnu sarrtaprs delle, lui tendit la main et lui dit quelques mots. Myrt, qui nosaitplus avancer, voyait fort bien lexpression irrite de son visage ce vi-sage qui avait les traits de celui du jeune magnat de lhtel Milcza, maisqui dirait dexpression, nen ayant conserv, semblait-il, que la ertaltire.

    Terka baissait les yeux, elle semblait fort mal laide en rpondant son interlocuteur. Celui-ci pntra dans le vestibule, et la jeune lledescendit lentement les degrs.

    Elle aperut Myrt qui savanait enn. Vous venez du parc, petite malheureuse ? dit-elle dun air lgre-

    ment agit. Mais oui. . . Ai-je commis en cela quelque chose de rprhensible ?

    t Myrt, inquite. Au fait, personne ne vous avait prvenue, vous ne pouviez pas sa-

    voir. . . Cest lheure de la promenade du prince, et il veut la faire abso-lument solitaire. La moindre rencontre lui dplat. Les gens de par ici lesavent et scartent de sa route ds quils entendent le galop de son cheval.

    Je regree de navoir pas t prvenue. Jai commis sans le vouloirune indiscrtion qui a sans doute vivement contrari le prince Milcza, sijen juge par lexpression de sa physionomie lorsque je me suis trouvetout lheure devant lui, dans le parc. Jai eu un peu peur, je lavoue, etjai fui comme une petite lle.

    Oh ! vous ntes pas la seule !and le prince est contrari, il sait lemontrer de telle faon que lon souhaiterait trouver un trou de souris pour

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  • Lexile Chapitre IV

    sy nicher. . . Enn cee fois, jespre quil ne vous en voudra pas trop. Jelui ai expliqu que vous aviez pch par ignorance, et il a paru accepterlexcuse. Pour plus de sret, vous pourrez lui exprimer vous-mme vosregrets, la premire fois que vous le verrez. . . Comment trouvez-vous cesjardins, Myrt ?

    Ils seraient superbes sil y avait des eurs, rpondit franchementMyrt.

    Terka jeta un coup dil ear vers le vestibule o avait disparu tout lheure le prince Milcza.

    Ne parlez jamais de eurs devant lui ! Il les hait, on nen voit pasune ici. Ses gardes, pour lui faire leur cour, poussent le zle jusqu pour-chasser les pauvres petites malheureuses qui oseraient spanouir dans leparc. Mais je suis de votre avis, Myrt, ajouta-t-elle voix basse.

    Elle ouvrit son ombrelle et sloigna vers les jardins, dune allure non-chalante et un peu lasse. Myrt rentra dans le chteau et russit, non sanspeine, retrouver sa chambre. Il lui faudrait quelque temps avant de so-rienter dans cee immense demeure. . . et peut-tre plus longtemps encorepour se faire des habitudes si trangres pour elle, et connatre toutesles singularits du seigneur de Voraczy.

    el misanthrope tait-il donc, si jeune encore ? Une grande douleur,peut-tre, avait fondu sur lui, et il navait pas su ragir chrtiennement,il senfonait dans une orgueilleuse mlancolie. . .

    Myrt, tout en songeant ainsi, commenait dfaire sa malle. Unepetite jacinthe tomba tout coup sur les piles de linge. . .

    Oh ! ma pauvre petite eur ! Heureusement, le prince Milcza ne tapas vue, sans doute. Je vais te conserver bien prcieusement, puisque jene pourrai pas avoir dautres eurs ici.

    Elle entrouvrit son petit portefeuille et y posa la jacinthe, tout prsdu portrait de la chre disparue. Longuement, elle considra le n visageaux yeux trs beaux, mais sans profondeur. . .

    Mre chrie, je voudrais tant tre encore prs de vous, dans notrehumble petit logis ! murmura-t-elle avec un sanglot.

    Ce fut Terka qui assuma la tche de faire visiter le chteau Myrt.

    Sa froideur navait pas lapparence de ert presque ddaigneuse que re-

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  • Lexile Chapitre IV

    vtait celle dIrne ; elle semblait faire partie inhrente de son caractre,alors que la cadee savait fort bien, selon les cas, se montrer aimable etempresse.

    Myrt vit donc en dtail la magnique demeure, elle admira en artiste,sans lombre denvie, les merveilles quelle contenait. Elle contempla lesreliures anciennes et sans prix des volumes contenus dans la bibliothque,les peintures admirables ornant les plafonds des salons meubls avec unluxe inou, les pices dorvrerie sans pareilles renfermes dans la salledes banquets, o avaient lieu autrefois de somptueuses agapes, ainsi queTerka lapprit Myrt.

    Maintenant, elle ne sert plus, car le prince prend ses repas dans sonappartement, avec son ls.

    Cest un trs jeune enfant, nest-ce pas ? Oui, il a cinq ans, et il en parat peine trois. Cest un pauvre petit

    tre chtif, dont lintelligence est par contre trs dveloppe. Il est lidolede son pre, sa consolation.

    Je nai pas compris ce que ma dit Renat ; le jour de notre arrive. . .que son frre ntait plus mari, et quil ltait tout de mme ? Jai supposquil voulait expliquer par l que le prince tait veuf. . .

    Terka, qui franchissait en ce moment la porte de la salle, tourna versMyrt un visage assombri.

    Non, il nest pas veuf, et lenfant avait raison. Le prince Milcza estdivorc.

    Ah ! murmura tristement Myrt. Il a obtenu le divorce en France, o il rsidait frquemment, aprs

    je ne sais quelles formalits et des dicults sans nombre. Elle aussi bienque lui tait acharne le vouloir pour recouvrer sa libert. . . Donc auxyeux de certains gens, il nest plus mari, et pour nous, il lest toujours.Mais nous ne parlons jamais de ces tristes choses, que nous navons puempcher. . . Oh ! malheureusement non ! dit Terka avec un soupir.

    Et il a gard lenfant ? Oui ! grce Dieu ! Sil ne lavait pas obtenu, je ne sais quelles

    extrmits il se serait port !. . . Pauvre Arpad, la foi est morte en lui ! mur-mura mlancoliquement Terka.

    Myrt secoua la tte.

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  • Lexile Chapitre IV

    La foi meurt-elle jamais compltement, Terka ? Il me semble quilen reste dans toute me une tincelle cache, capable de jaillir un jour.

    Je ne sais. . . En tout cas, personne ici ne se risquerait tenter chezlui cee rsurrection morale.

    Oh ! pourquoi donc ? dit Myrt avec surprise.Terka la regarda dun air stup. Pourquoi donc ?. . . Il ne vous a donc pas su de le voir, lautre jour,

    pour comprendre que jamais il ne supporterait un mot ce sujet ?. . . non,pas mme de la part du Pre Joaldy qui lui a pourtant fait faire sa premirecommunion !. . . Oh ! vous ne savez pas encore ce quil est, Myrt, sans celavous ne mauriez pas adress une pareille question !

    Cest que, dit doucement Myrt, je ne comprends pas que lonpuisse vivre prs dune me sourante et spare de Dieu sans essayerde la gurir et de la ramener Lui.

    Une autre, peut-tre. . . mais celle du prince Milcza, non ! Vous vousen rendrez compte en le connaissant.

    La n de la visite du chteau ne causa plus Myrt le mme plaisir.Elle regarda distraitement la salle des Magnats, o se voyait le fauteuilprincier surlev de plusieurs marches, la salle des Ftes, le jardin dhiver,toutes merveilles qui la laissaient maintenant singulirement froide. Ellepensait au matre de ces magnicences, cet tre qui sourait peut-tredouloureusement, et dautant plus que lesprance divine avait qui soncur. Une piti immense envahissait le cur de Myrt pour ce grandseigneur qui se trouvait ainsi plus pauvre, plus dnu quelle, lhumbleorpheline oblige de gagner son pain.

    quoi lui servaient ses immenses richesses, cee demeure plus queroyale, cee arme de serviteurs suprieurement dirige par Vildy, la ma-jordome, et Katalia, la femme de charge ? Un peu de foi, un peu damourdivin eussent t un baume inniment plus doux sur les blessures quilavait pu recevoir.

    Jusquici, Myrt ne lavait plus revu. Il vivait avec son ls compl-tement en dehors des Zolanyi. La comtesse Gisle nexerait ici aucuneautorit en dehors de son service priv, Vildy et Katalia continuaient tout diriger, et Myrt remarquait parfois combien la comtesse et ses en-fants semblaient gns et peu chez eux dans cee demeure.

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  • Lexile Chapitre IV

    Renat avait commenc ses leons de violon. Aprs avoir entenduMyrt jouer admirablement une sonate de Beethoven accompagne parTerka, il avait bien voulu dclarer quil acceptait sa cousine comme pro-fesseur. Comme il aimait la musique, elle navait pas trop sourir descarts de caractre quil rservait pour Fraulein Rosa dont les leons l-horripilaient, prtendait-il.

    Myrt faisait aussi de la musique avec ses cousines, et la comtesse,apprciant le charme exquis de sa voix et dune diction trs pure, en avaitfait sa lectrice.

    Elle nemanquait donc pas doccupations, dautant plus quelle accom-pagnait souvent ses cousines dans leurs promenades pied ou en voiture.Irne la chargeait sans faon de tout ce qui la gnait : ombrelle, manteau,sac ouvrage. Myrt remplaait videmment pour elle une femme dechambre. Renat, peu peu, imitait sa sur, si bien que Myrt revenaitparfois du parc trs lasse et les bras briss de fatigue.

    La comtesse et ses lles avaient repris leurs relations avec les autreschtelains de la contre, elles avaient reu de nombreuses visites, maisMyrt demeurait compltement lcart, elle restait invisible pour lestrangers reus Voraczy.

    Les petites pines de sa situation se trouvaient compenses par la pos-sibilit dassister chaque jour la messe et par lappui spirituel quelletrouvait dans le Pre Joaldy, laumnier de Voraczy, prtre instruit etpieux, me sereine qui se sanctiait dans le recueillement et dans la cha-rit apostolique exerce envers les pauvres, trs nombreux sur les do-maines du prince Milcza, dont les ispans(1) taient souvent durs et ra-paces.

    Une aprs-midi, les jeunes lles saardrent travailler dans le parc.Elles se htrent enn darriver pour lheure du th. . . Au passage, Myrtdit, en dsignant une alle du parc :

    Je me demande pourquoi nous ne passons jamais par ici. Ce chemindoit tre beaucoup plus direct.

    Oui, mais il nous conduirait au temple grec prs duquel le petitKaroly passe ses journes.

    Eh bien ? dit Myrt en regardant Irne avec surprise. Eh bien ! je ne me soucie pas du tout quun caprice de lenfant ou

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  • Lexile Chapitre IV

    de son pre nous immobilise l ! Nous nallons prs de Karoly que parordre. . . et cest bien assez, je vous assure !

    Oh ! votre neveu, Irne ! t malgr elle Myrt presque scandalise. Irne, murmurait en mme temps Terka en jetant sur elle un regard

    plein deroi.Irne baissa sa voix en rpliquant : Ne crains rien, il ny a personne. . . Mais vous avez lair de penser,

    candide Myrt, que nous pouvons agir prs de Karoly comme le font g-nralement les tantes prs de leur neveu ?

    Elle regardait sa cousine dun air mi-moqueur, mi-srieux. Mais je me demande pourquoi ?. . . dit Myrt. Pourquoi ? Pourquoi ?. . . Eh bien ! parce quil est le ls du prince

    Milcza !Elle eut un petit clat de rire ironique en rencontrant le regard surpris

    de Myrt. Vous ne comprenez pas ?. . . Je vous expliquerai cela plus tard, main-

    tenant nous navons pas le temps. Marchons plus vite.En peu de temps, elles arrivrent prs de la grande terrasse de marbre

    sur laquelle donnait le salon o se tenait habituellement la comtesse Zo-lanyi. Irne, tout en gravissant les degrs, scria :

    Mes cheveux sont un peu dfaits, mais tant pis, je ne remonte pas !Jai soif et je vais vite me servir une tasse de. . .

    Elle sinterrompit brusquement et sarrta net. Deux lvriers noirs ap-paraissaient au seuil du salon et slanaient vers elle. . .

    Ciel ! le prince est l ! murmura-t-elle dune voix toue. Et juste-ment nous sommes si en retard !. . . Et mes cheveux !. . .

    Redescends et cours vite ta chambre, conseilla tout bas Terka. Pour le faire aendre davantage ?. . . Dailleurs il ma vue certaine-

    ment. . . Eh bien ! o allez-vous, Myrt ? Venez, au contraire, vous dtour-nerez peut-tre un peu lorage.

    Myrt entra la suite de ses cousines. . . En face de la comtesse, leprince Milcza, vtu de anelle blanche et demi enfonc dans un fauteuil,feuilletait distraitement une revue. Il tourna vers les arrivantes ce regardsombre qui avait si bien eray Myrt.

    Vos montres retardent par trop, comtesses, dit-il dun ton glac.

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  • Lexile Chapitre IV

    Il aperut ce moment Myrt qui se dissimulait un peu derrire sescousines et, se levant, il sinclina pour la saluer.

    La comtesse sempressa de faire la prsentation, dans lintention,sans doute, de dtourner lorage, comme disait Irne. Le prince adressaquelques mots polis et froids Myrt, qui russit rpondre sans trop setroubler, malgr ltrange timidit dont elle tait tout coup saisie.

    Le prince Milcza tendit la main ses surs et sassit de nouveau enface de sa mre. Irne savana vers la table th pour remplir son oceaccoutum. Mais la voix brve du prince sleva. . .

    Laissez Terka nous servir le th et allez vous recoier, Irne. Vousavez lair dune folle avec vos cheveux en dsordre.

    La jeune lle devint pourpre et sortit sans protester. . . Myrt staitassise prs de la table th, et, voyant que la comtesse travaillait lai-guille, elle prit elle-mme un ouvrage commenc.

    Le prince Milcza feuilletait de nouveau sa revue dun air de dtache-ment hautain. Il parut peine sapercevoir que Renat, entr doucement,contre son habitude, sapprochait de lui et lui baisait la main.

    Myrt sentait autour delle une atmosphre inaccoutume. Sur lacomtesse comme sur ses enfants, une gne trange semblait lourdementpeser. Renat, le turbulent Renat, demeurait assis prs de sa mre, aussitranquille que la calmeMitzi. Le soin mticuleux que Terka apportait tou-jours la confection du th paraissait se doubler aujourdhui, comme sillui et fallu absolument aeindre la perfection. . . Et en rentrant dans lesalon, Irne, si frondeuse en paroles, se glissa silencieusement sa place,voulant sans doute viter dairer sur elle laention de son frre.

    Ctait la prsence du prince Milcza qui produisait sur eux tous ceteet singulier. . . Myrt lprouvait pour sa part. Mais cela, rien dton-nant, car elle ne le connaissait pas, elle ntait pour lui quune trangre,comme il lavait neement marqu en lappelant tout lheure made-moiselle alors que les autres enfants de la comtesse ne lui avaient pasrefus le titre de cousine.

    En le voyant en pleine lumire, Myrt avait constat aussitt lex-trme ressemblance du prince avec le portrait de lhtel Milcza. Seule-ment, il y avait entre eux la dirence qui spare un homme dans toutlclat de la jeunesse et du bonheur de celui qui a vcu et souert. Le

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  • Lexile Chapitre IV

    beau visage du prince avait une expression dure et altire, encore accen-tue par le pli ddaigneux des lvres, et il fallait convenir que laitudehautaine, le silence glacial ou les paroles brves de ce ls et de ce frrentaient pas faits pour encourager les panchements de siens.

    Les deux lvriers, qui staient couchs aux pieds de leur matre, sedressrent tout coup et slancrent vers une des portes-fentres. Lacomtesse, levant les yeux, dit vivement :

    Ah ! cest Karoly !Une forte femme brune, jeune encore, portant un riche costume na-

    tional, apparaissait au seuil du salon. Elle tenait entre ses bras un enfant un frle petit tre vtu de blanc qui ne semblait pas avoir dpass troisans.

    La comtesse se leva avec empressement et, savanant, prit lenfantdes mains de la servante. Terka, ses surs et Renat sapprochrent, ilseeurrent dune caresse les cheveux noirs qui couvraient la tte du pe-tit garon, en ayant lair daccomplir ainsi quelque rite dindispensabletiquee. . . Et la comtesse elle-mme ne montrait pas plus dexpansionenvers son petit-ls.

    Karoly tourna vers son pre ses yeux noirs trop grands, sa ple petitegure sourante et un peu maussade sclaira soudain, et il tendit lesbras vers le prince. . . Celui-ci se leva, il vint vers lenfant et le prit entreses bras.

    Son visage dur et sombre stait soudain incroyablement adouci, sesyeux superbes simprgnaient dune caressante tendresse en se posantsur le petit tre bloi contre sa poitrine. . . Il ne semblait plus le mmehomme, il tait vraiment bien en cet instant le jeune magnat du portraitvu par Myrt.

    Karoly, la tte penche sur son paule, contemplait son pre avec unesorte dadoration. Ses petits doigts maigres caressaient doucement la che-velure sombre, extraordinairement paisse et boucle, qui donnait laphysionomie du prince Milcza un caractre un peu trange.

    Le regard de lenfant tomba tout coup sur Myrt qui tait demeu-re assise et le regardait avec un intrt compatissant. Il la considra uninstant, puis tendit le doigt vers elle.

    i est-ce, papa ?

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  • Lexile Chapitre IV

    Il avait une toute petite voix douce et chantante, qui salliait bien safrle apparence.

    Va le lui demander, mon petit chri, rpondit le prince Milcza.Il le mit terre, et lenfant t quelques pas vers Myrt.Comme il tait petit et dlicat !. . . Le cur de Myrt se serra de piti.

    Elle se leva et, se penchant vers Karoly, le prit entre ses bras. Je mappelle Myrt Elyanni, et je viens de France, dit-elle en enve-

    loppant lenfant du doux rayonnement de ses prunelles veloutes. Myrt. . . Myrt. . . rpta Karoly en passant sa petite main sur celle

    de la jeune lle. Cest joli. . . et vous resterez ici ? Mais je le pense. Je suis content. . . Je veux rester avec vous aujourdhui.Et, dun geste conant, lenfant passait ses bras autour du cou de

    Myrt. Voil une sympathie spontane dont Karoly nest pas coutumier,

    dit le prince qui suivait cee scne dun regard nigmatique. Vous devezaimer beaucoup les enfants, mademoiselle, et celui-ci en aura eu lintui-tion ?

    En eet, prince, je suis trs aache ces chers petits tres, et jen ailhabitude, car je moccupais beaucoup, Neuilly, dun patronage voisinde notre logis.

    Vous pouvez vous retirer, Marsa, dit le prince en sadressant la ser-vante demeure prs de la porte. Servez-nous promptement le th, Terka.Vous tes dune lenteur dsesprante, aujourdhui.

    Il sassit de nouveau, tandis que Myrt reprenait sa place en gardantKaroly sur ses genoux. Lenfant se bloissait contre elle et demeurait si-lencieux, mais son regard ne quiait pas son pre dont les yeux, chaquefois quils rencontraient ceux de Karoly, prenaient cee expression decaressante douceur qui contrastait tellement avec leur habituelle duret,dont la voix si brve, si froidement imprieuse, avait des intonations in-croyablement tendres en sadressant lenfant.

    Le prince parlait fort peu, dailleurs, et le salon de la comtesse Zo-lanyi avait perdu ce soir sa physionomie accoutume, alors quIrne etRenat lanimaient de leur vivacit et de leur bavardage. La comtesse elle-mme, qui aimait fort causer dordinaire, semblait avoir peine trouver

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  • Lexile Chapitre IV

    quelques sujets de conversation, bien vite puiss par le laconisme de sonls.

    Le matre dhtel apporta pour Karoly du lait dans un petit pot ci-sel qui tait une pure merveille. Lenfant voulut que Myrt elle-mmele lui verst dans une tasse, et quelle soutnt celle-ci tandis quil buvaitlentement.

    Vous venez dobtenir un excellent rsultat, mademoiselle, dit leprince dun ton satisfait. Depuis quelques jours, Karoly ne voulait plusprendre son lait, et je nosais le forcer, craignant quil nen rsultt plusde mal que de bien. Mais ce jeune capricieux se dcide aujourdhui. . . envotre honneur, probablement.

    Je laime bien, papa, dit la petite voix de Karoly. Vous pouvez tre re, Myrt, les sympathies de Karoly ne sont

    jamais si promptes, dordinaire, dit en souriant la comtesse Gisle. Cela na pas dinconvnient maintenant. Je saurai lui apprendre

    plus tard la dance, rpliqua le prince dun ton dur qui impressionnasingulirement Myrt.

    Il se leva et sortit sur la terrasse. Ayant allum un cigare, il se mit fumer en marchant de long en large.

    Irne et Renat osrent alors remuer un peu et commencrent parlerdune voix assourdie.Mais leurmremit bientt un doigt sur sa bouche enindiquant Karoly du regard. Lenfant sendormait dans les bras de Myrt.

    Le prince Milcza rentra doucement, il sassit et se mit lire jusquaumoment o Karoly se rveilla. Il se retira alors, emportant lenfant un peuensommeill encore, et qui rptait en adressant Myrt de petits signesde main :

    Je vous aime, Myrt. Vous viendrez vous amuser avec moi, vous medirez des histoires. Jaime beaucoup les histoires. . .

    Lorsque la porte se fut referme sur le prince, le silence rgna en-core un moment dans le salon. Puis Renat se leva, stira brusquement etslana au dehors en murmurant :

    Je nen peux plus !Irne sortit un mouchoir de batiste et lappuya contre son front en

    disant dune voix dolente :

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  • Lexile Chapitre IV

    Jai une atroce migraine ! Cest une chose horriblement fatigantedavoir se surveiller ainsi, quand on sait quun mot, un simple mouve-ment peut tre lobjet de critiques svres. . . et injustes.

    Irne ! dit la comtesse avec un coup dil plein deroi vers la porte. Voyons, maman, vous nallez pas supposer que le prince Milcza

    coute au trou de la serrure ! rpliqua la jeune lle avec un petit rire iro-nique.

    Mais un domestique peut entendre, mon enfant !. . . Et si jamais unmot pareil arrivait ses oreilles !. . . Tu ne veilles pas assez sur tes paroles,Irne.

    Cest quelquefois plus fort que moi, maman. Jai des moments dervolte, voyez-vous. . . Allons, je vais imiter Renat en faisant un petit tourdans le parc pour me calmer les nerfs. . . Vous aussi, Myrt ? dit-elle envoyant la jeune lle se lever.

    Non, je vais faire une prire la chapelle, Irne.Une petite lueur ironique et quelque peu mchante passa dans le re-

    gard dIrne. Elle sortit en mme temps que Myrt, et, dans le corridor,posa une seconde sa main sur le bras de sa cousine.

    Cest cela, allez prendre des forces, Myrt, car, ou je me trompefort, vous aurez sous peu dployer toute votre patience et votre. . . com-ment dirais-je ? votre humilit. Karoly vous a en grande faveur. . . Or, voussaurez ce quil en cote de possder la faveur de Karoly.

    e voulez-vous dire, Irne ? t Myrt en la regardant avec sur-prise.

    Vous le saurez bientt. . . et je souhaite charitablement que votreesclavage ne dure pas plus longtemps que le mien.

    Elle se mit rire dun air moqueur et sloigna, laissant Myrt stup-e et perplexe.

    n

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  • CHAPITRE V

    L , en sortant de la chapelle, Myrt trouva laporte Constance, la femme de chambre parisienne de la com-tesse Zolanyi, qui linforma que sa matresse dsirait lui parler.Myrt, un peu surprise, la suivit jusqu lappartement de la comtesse.Celle-ci tait encore couche. Elle tendit la main la jeune lle en s-criant :

    Arrivez vite, enfant ! Mon ls vient de menvoyer un mot. . . Dureste, je my aendais, aprs ce qui sest pass hier. Il parat que lenfantna fait que parler de vous toute la soire, et ce matin encore, peineveill. Le prince demande donc que vous passiez la matine et laprs-midi prs de son ls.

    Si cela peut faire plaisir au pauvre petit, certainement. . . Mais jaice matin la leon de Renat. . .

    La comtesse leva les mains au ciel. Il sagit bien de Renat ! Karoly vous veut prs de lui, le princeMilcza

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  • Lexile Chapitre V

    ordonne que nous nous rendions au dsir de lenfant car le mot de-mander ne signie pas autre chose sous sa plume ou dans sa bouche, ilfaut vous mere cela dans lide, Myrt. Ni vous, ni moi ne sommes lais-ses libres de refuser. . . Allez donc vite rejoindre lenfant. Vous le trou-verez dans le parc, prs du petit temple grec. Par ordonnance mdicale,il passe l toutes ses journes ds que le temps le permet. Emportez unlivre, un ouvrage pour ne pas trop vous ennuyer. . . Ciel ! jallais oublier !Mon ls demande que vous ne meiez pas une robe noire, il naime pas voir de couleurs sombres prs de lenfant.

    Mais, je ne peux pas. . . je suis en grand deuil ! murmura Myrt.La comtesse eut un geste dimpatience. Meez une robe blanche quand vous irez prs de Karoly, vous la

    quierez ensuite. Je vous le rpte, il ny a pas discuter une demandeou un dsir du prince Milcza. Dpchez-vous, lenfant vous aend avecimpatience.

    Myrt regagna sa chambre, elle sortit une des robes blanches quelleportait Neuilly. Des larmes lui montrent aux yeux tandis quelle senrevtait, au souvenir de celle qui avait toujours voulu la voir habilleainsi. Elle stait plie, par aection liale, cee exigence purile et sou-vent gnante. Aujourdhui, une autorit trangre lui imposait la mmeobligation, et elle venait dprouver soudain la trs vive sensation de saposition dpendante, en entendant la comtesse lui faire neement com-prendre quelle ne pouvait songer seulement discuter lordre dont elletait lobjet.

    Cependant, lme re et nergique de Myrt ne se serait pas soumisesi facilement sil ne stait agi dviter peut-tre une impression dsa-grable un enfant malade. Pour un motif de ce genre seulement, ellepouvait faire trve extrieurement au grand deuil dont son cur ressen-tait le douloureux brisement.

    Une demi-heure plus tard, elle pntrait dans le parc. Elle ne connais-sait pas encore le temple grec, dont les jeunes comtesses vitaient soi-gneusement lapproche. Aussi sarrta-t-elle, charme, devant la petitemerveille qui se dressait tout coup au fond dune vaste clairire. Surle feuillage environnant, le temple de marbre senlevait, tout blanc, dunepuret de ligne idale. droite, entre les arbres, tincelait leau bleue dun

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  • Lexile Chapitre V

    petit lac sur lequel voguaient quelques cygnes.Au bas des degrs du pristyle, le petit Karoly tait tendu sur une

    chaise longue. quelques pas de l, Marsa, la servante qui tait son an-cienne nourrice, travaillait une broderie. Plus loin, sur un des degrs,tait assis un garonnet dune dizaine dannes, petit blond lair craintifet rveur, vtu dun riche costume hongrois.

    Karoly tourna la tte, il aperut Myrt et jeta un cri de joie en tendantles bras vers elle.

    Oh ! venez vite, Myrt !. . . Je suis si content !mue de cee joie enfantine, elle sassit prs de lui, et, tendrement,

    caressa la petite tte qui sappuyait contre son paule. Le petit garon,ravi, rptait :

    Je suis content !. . . je suis content !. . . Et vous avez une robe blanche !Je naime pas le noir, cest vilain, cest triste.

    Il fallut que Myrt lui racontt une histoire. Puis, fatigu, il sendor-mit, appuy contre la jeune lle. Celle-ci, nosant faire un mouvementde crainte de lveiller, demeura inactive, en apparence du moins, car in-trieurement, elle priait pour les mes qui lentouraient, pour ce pauvrepetit tre si dle dont la faiblesse et laection spontane faisaient vibrerles instincts de tendresse maternelle trs dvelopps dans son cur. Lespetits enfants du patronage de Neuilly savaient ce quil y avait pour euxde douceur, de dvouement, daimable gaiet chez la chre demoiselleMyrt , et ce ls de prince, ce petit magnat lavait devin aussitt dansle seul regard de Myrt.

    Karoly sveilla au moment o apparaissait le matre dhtel suivi deplusieurs domestiques portant une table et les lments dun couvert.Lorsque le temps tait beau, le prince et son ls prenaient leur repas ici,ainsi que Karoly lapprit Myrt.

    Et vous allez aussi djeuner avec nous, Myrt, dit lenfant en luiprenant la main.

    Oh ! mais non, mon chri, cela ne se peut pas ! dit-elle vivement. Jedjeune avec votre grand-mre et vos tantes. . .

    Si, si, je le veux ! et papa le voudra aussi, si je lui demande. Voyons, soyez raisonnable, mon petit Karoly, dit doucement Myrt.

    Je reviendrai aussitt aprs, je vous le promets.

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  • Lexile Chapitre V

    Elle sloigna, ne sachant trop si elle avait russi persuader lenfant.La comtesse et ses enfants se trouvaient dj table, lorsquelle entra

    dans la salle manger. Irne, tout en lenveloppant du coup dil jalouxqui lui tait coutumier envers cee trop jolie cousine, demanda ironique-ment :

    Vous tes-vous bien amuse, Myrt ? Le devoir est rarement un amusement, rpondit Myrt avec froi-

    deur. Jai t simplement heureuse de donner un peu de contentement ce pauvre petit malade.

    Ah ! si vous avez des instincts de sur de charit, tant mieux pourvous ! dit Irne. Ils ne seront pas de trop en la circonstance.

    Mais, Irne !. . . mais, Irne ! scria la comtesse dun ton mcontent. Eh bien ! maman, quest-ce que je dis de si terrible ? riposta la jeune

    lle. Myrt ne tardera pas sapercevoir de la vrit de mes paroles, etpeut-tre sa belle srnit ne durera-t-elle pas longtemps. . . Je vous croisun peu prsomptueuse, Myrt. Nous verrons si vous aurez mme ma r-sistance. . .

    Elle jeta un coup dil autour delle, et, voyant que les domestiquestaient en ce moment loigns, elle se pencha vers Myrt.

    . . . Il y a deux ans, ctait sur moi que lenfant avait jet son d-volu. Il ne fallait pas que je le quie de la journe, je devais me plier tous ses caprices, rire lorsquil le voulait, demeurer dautres momentsde longues heures inactive et immobile.and ma mre se prpara par-tir pour passer comme de coutume lhiver Vienne, le prince dclara queje resterais Voraczy, pour tenir compagnie Karoly. Ce que jai pleuren les voyant tous partir !. . . Mais il fallait paratre gaie devant lenfantet devant son pre, supporter sans broncher une perptuelle contrainte,un ennui dvorant. Je tombai malade, le prince dut alors me renvoyer Vienne. Mais il ne ma jamais pardonn cela.

    Il est inutile de dcourager davance Myrt en lui racontant toutesces choses, dit la comtesse dun ton dsapprobateur. Dailleurs, elle estpeut-tre plus patiente que toi. . .

    Lentre dun domestique t changer la conversation. . . Myrt, le d-jeuner ni, se dirigea de nouveau vers le templ