Decouverte_de_dieu. Le Senne. Art Sobre La Esperanza

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René LE SENNE Philosophe français, professeur à la Sorbonne (1955) LA DÉCOUVERTE DE DIEU Un document produit en version numérique par Gemma Paquet, bénévole, professeure retraitée de l’enseignement au Cégep de Chicoutimi Courriel: [email protected] Dans le cadre de la collection: "Les classiques des sciences sociales" Fondée et dirigée par Jean-Marie Tremblay, sociologue Site web: http://classiques.uqac.ca/ Une collection développée en collaboration avec la Bibliothèque Paul-Émile-Boulet de l'Université du Québec à Chicoutimi Site web: http://bibliotheque.uqac.ca/

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Le Senne diferencia dos tipos de esperanza. una laespera de algo determinado y otra la esperanza abierta y fundante

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Ren LE SENNE Philosophe franais, professeur la Sorbonne (1955) LA DCOUVERTE DE DIEU Un document produit en version numrique par Gemma Paquet, bnvole, professeure retraite de lenseignement au Cgep de Chicoutimi Courriel: [email protected] Dans le cadre de la collection: "Les classiques des sciences sociales" Fonde et dirige par Jean-Marie Tremblay, sociologue Site web: http://classiques.uqac.ca/ Une collection dveloppe en collaboration avec la Bibliothque Paul-mile-Boulet de l'Universit du Qubec Chicoutimi Site web: http://bibliotheque.uqac.ca/ Ren Le Senne, La dcouverte de Dieu [1955]2 Politique d'utilisation de la bibliothque des Classiques Toutereproductionetrediffusiondenosfichiersestinterdite, mme avec la mention de leur provenance,sanslautorisationfor-melle,crite,dufondateurdesClassiquesdessciencessociales, J ean-Marie Tremblay, sociologue. 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J ean-Marie Tremblay, sociologue Fondateur et Prsident-directeur gnral, LES CLASSIQUES DES SCIENCES SOCIALES. Ren Le Senne, La dcouverte de Dieu [1955]3 Cette dition lectronique a t ralise par Gemma Paquet, bnvole, professeure retraite de lenseignement au Cgep de Chicoutimi. Courriel: [email protected] partir du livre de : Ren Le Senne La dcouverte de Dieu. [1955] Paris : Aubier. Les ditions Montaigne, 1955, 287 pp. Collection : Philo-sophie de lesprit. Polices de caractres utilise : Comic Sans 12 points. ditionlectroniqueraliseavecletraitementdetextesMicro-soft Word 2008 pour Macintosh. Mise en page sur papier format : LETTRE US, 8.5 x 11. dition complte le 3 dcembre 2011 Chicoutimi, Ville de Saguenay, Qubec. Ren Le Senne, La dcouverte de Dieu [1955]4 Ren Le Senne La dcouverte de Dieu [1955] Paris : Aubier. Les ditions Montaigne, 1955, 287 pp. Collection : Philo-sophie de lesprit. Ren Le Senne, La dcouverte de Dieu [1955]5 [287] Table des matires Avant-propos Chapitre I.Penses sur l'ide et l'existence de DieuChapitre II.Sujet et personneChapitre III.La relation ido-existentielleChapitre IV.Le lien humainChapitre V.L'homme et la valeurChapitre VI.Le problme en axiologieChapitre VII.Brviaire de mtaphysique axiologiqueChapitre VIII.L'exprience de la valeurChapitre IX.Immanence et transcendanceChapitre X.Introduction la description de l'espranceChapitre XI.La dcouverte de Dieu Ren Le Senne, La dcouverte de Dieu [1955]6 [5 ] La dcouverte de Dieu AVANT-PROPOS Retour la table des matiresRen Le Senne, il y a quelques annes, avait song runir en un li-vre certains des articles qu'il avait publis aprs 1945 et consacrs quelques-uns des grands problmes de la mtaphysique axiologique. Le plandecetouvrageatretrouvetsuiviscrupuleusement :ilcor-respondlasuitedeschapitresVVIII.Letitrechoisialorstait Signification mtaphysique de la valeur . Cependant, au moment mme o la collection Philosophie de l'Es-prit s'achve par la publication de deux ouvrages de ceux qui en fu-rentlesgnreuxcrateurs,puislesardentsanimateurs,ilasembl opportun d'largir ce projet. Il ne s'agit pas simplement de runir des articles importants et difficiles trouver pour en faire un livre, mais de donner un dernier tmoignage de ce qui fut pour Ren Le Senne le centredetrenteannesdemditationsphilosophiques :lavaleurou Dieu. L'bauche d'un livre commenc en 1952, dont il ne reste que le plan etlespremirespagesquenousdonnonsicicommepilogue,rappelle ce qu'est la vocation philosophique : La Dcouverte de Dieu, - une d-couvertetraverslesmalheursetlesjoies,danslamortetdansla victoire, et toujours profondment dans le meilleur de soi . Ren Le Senne, La dcouverte de Dieu [1955]7 Nous avons cru respecter une ultime pense en donnant [vi] ce titre LaDcouvertedeDieul'ouvrageensonentier.PourRenLeSenne la philosophie a toujours t promotion de la confiance en Dieu, c'est--direredressementdeconsciencefacel'obstacleetpanouisse-mentd'unegrcespirituelle.Lesarticlesquipourlaplupartontt publis dans des revues trangres, - en particulier Giornale di Meta-fisica pour L'exprience de la valeur et Brviaire de mtaphysi-que axiologique , la Revue de Thologie et de Philosophie de Lausanne pour L'hommeetlavaleur ,TijdschriftvoorPhilosophiepour ImmanenceetTranscendance ,laRevueInternationalede Philoso-phiepour Lelienhumain ,DieTatweltpour Larelationido-existentielle ( Le problme en axiologie a t publi dans les Ac-tes des Entretiens de Lund en juin 1947), dveloppent et approfondis-sent cette ide sous diffrents aspects. celanousavonsjointdespensessurDieu,sonessenceetson existence,extraitesd'importantsCahiersintimesindits,critsen 1931 et 1932. Ainsi peut tre constate la continuit d'une mtaphysi-que porte par une grande tradition qu'elle a su renouveler et rendre sensible l'homme d'aujourd'hui. Ce livre apportera aussi aux thmes d'Obstacle et Valeur certaines prcisions et quelques complments. Il raffirmeencorequelamtaphysiqueestlaseulepenseuniverselle etconcrte,-leseullangagequi apportel'hommedesmotifsd'ac-tion et des raisons d'esprer. L'arrtdelaCollection Philosophiedel'Esprit qui,commence en 1934, a tenu une place de premier plan dans l'dition philosophique pendant vingt ans, - qui tait ouverte tous ceux pour qui la recherche mtaphysique tait l'unique expression de l'esprit, - cet arrt n'a pas la signification d'un achvement historique. La Collection a t l'uvre dedeuxhommes :cetteuvre[vii]devaitresterleur.Maiselleleur survivraparetdansl'espritquiainspirunetelleuvre.Etonpeut esprer que cet esprit trouvera demain de nouveaux hrauts pour qui, comme dans ce pass si proche et si vivant, qui est celui du spiritualis-me franais, la mtaphysique est la rvlation dun salut. E.M.S. Ren Le Senne, La dcouverte de Dieu [1955]8 [9] La dcouverte de Dieu Chapitre I Penses sur lide et lexistence de Dieu 1 Retour la table des matires 1er mars 1931. Preuve de l'existence de Dieu. - Si l'un objectif tait la fin de nos vises, on ne pourrait que n'y pas tre ou y tre, car cet un exclut le degr,commelepointestsansparties.Entrelamortdansl'unet l'anantissement hors de l'un, il n'y aurait pas de vie. Je suis et vis. En tant que j'existe, je dois participer de l'un ; en tant que je dsire n'y russir qu'en partie, je ne dois pas l'puiser immdiatement ni jamais. Doncl'uncomportelamultiplicitdudegr,commetoutautre ;et, 1 Ces penses sont extraites de Cahiers Intimes indits, crits entre le 1er mars 1931 et le 17 septembre 1932. Ces Cahiers sont faits d'une suite de penses dates, numrotes, distinctes les unes des autres, de sorte que les extraits qui suiventn'exigentpasd'autrecontextequelaphilosophieduDevoir.Ces pen-ses ,commeprludeauxautrescritsdecelivre,sontlesfragmentsd'une thologieidalistesurlepointdeseconvertirenunspiritualismeaxiologique. (Note de l'diteur.) Ren Le Senne, La dcouverte de Dieu [1955]9 puisquel'und'unmoiestleseulpermettreunemultiplicitensoi, l'un suprme est une personne et doit tre appel Dieu. [10] 17 mars 1931. On retrouve l'infini dans l'exprience quand on y retrouve la singu-larit : cette table-ci cet instant, c'est tout l'univers, non seulement en ce qu'il est, mais dans le dynamisme profond qui le soutient et dont les lois expriment des aspects. Il faut ajouter que la singularit relle nenousestaccessiblequeparunpluchage,carnousnepouvonsen avoirquel'ideetquelqueconnaissance ;enoutreceseraitencore cder l'abstraction que la poser part de l'ternit. 20 mars 1931. - Que rien ne puisse tre compris que par l'ide d'infini, c'est une nouvellepreuvedel'existencedeDieu.SiDieuest,c'estluiquidoit faire tout comprendre. ajouter la preuve par la contradiction et la preuve par la strilit de l'un objectif. 25 mars 1931. - J'appelle un infrieur, l'unit d'identit ; un suprieur l'unit de finalit ; un suprme l'unit subjective, le moi absolu. Mais il faut ta-blir contre Bradley que l'un suprme ne se rduit pas l'un suprieur. - Cela peut-il s'tablir ? Sans doute pas sans le concours de la volont morale. La philosophie de Bradley est en effet inquitante en ce que la moralit y est rduite une apparence comme les autres qui doit tre engloutieettransfigure(swallowedup)dansl'Absolu.N'est-cepas mettrelamoralitetl'immoralitsurlemmeplanetensommeles renvoyer dos dos ? Ren Le Senne, La dcouverte de Dieu [1955]10 [11] 31 mars 1931. -S'ilyauneunitdumonde,laseulequestionestdecherchersi cette unit est subjective ou objective. En pensant qu'on ne peut dire autre chose de l'Absolu sinon qu'il est un, Bradley, dclare le problme insoluble mais si l'on affirme le moins en dcidant qu'on ne peut savoir leplus(quanddumoinsl'unetl'autrefontdeux),onsecomporte comme si le rel, c'tait le moins et rien que le moins. Enoutreilyadjunobjectif,l'idephnomnaledeun,serap-portant au premier lment du multiple. Ce n'est pas cette unit l qui estl'absolupuisquecen'estqu'unphnomneparmilesautres.Si l'absolu ne peut tre l'un objectif, il doit tre l'un subjectif. En tout cas il est la ralit la plus haute. Mais comme la conscience nepeutconnatrederalitplushautequ'elle-mme,qu'ellefasse commeellevoudra,emploieunvocabulaireoul'autre,ellenepeut concevoir l'un absolu que comme un subjectif. L'idalisme absolu c'est l'absoluidalis.Ilquivautdoncl'affirmationdel'existencede Dieu. Eneffetl'absolucomporteaveclerelatifuneoppositionsanspa-reille. Car il en est insparable sans lui tre corrlatif puisqu'il ne se-rait que relativement s'il tait en relation avec lui. Autrement dit l'ab-soludoitconfrerl'treauxrelationsmaisnonl'inverseetcelles-ci ne peuvent que l'affecter. C'est la dfinition mme de la conscience o lesrelationsconstituentl'objet,olemoiindispensablepourqu'elles soient est affect par elles. Si en effet le moi tait un terme de l'en-chanement des relations, il serait objet et non sujet. Enfin,siBradleyaraisonetquetoutsoitengloutiettransfigur (swallowedup)dansl'absolu,lamoralitne[12]mriteplusleprimat qu'elle requiert. Comme l'immoralit, et toutes les apparences, elle est uningrdient,traitercommelesautres.Celanemeparaitvraique de la morale et Bradley l'a confondue avec la moralit parce qu'en lo-gicien, il a mconnu le sujet devant l'objet. Ren Le Senne, La dcouverte de Dieu [1955]11 L'agnosticisme est vrai pour autant que la contradiction est donne maislafoimoraleconsisteneluiconfrerqu'unevritsubordon-ne. Il exige donc que l'identification de la conscience particulire et delaconscienceuniversellesoitcommencedsmaintenant.Cequi suppose une conscience universelle. 2 avril 1931. -L'idaldetouteconscienceestDieutelqu'ilestpoursoi.C'est l'absolu.MaissiDieus'estdiffractenconsciencesparticulires,la libertdecelles-cifaitapparatrepourluiunobjet.Enconsquence de cet objet, Dieu devient par nous, de Dieu tel qu'il est pour soi, Dieu tel qu'il est pour nous, puisqu'il nous devient comparable en tant qu'il est li au monde et Dieu tel qu'il serait pour soi devient un idal pour Dieu tel qu'il est pour nous. Mais comme il ne peut cesser d'tre Dieu, le je de Dieu est ambigu entre sa nature d'absolu, et sa nature de Dieu personnel, comme le ntre entre le moi divin et le moi particulier. Tout cela a sa raison dans la nature du fait de conscience. La conscience est. 7 avril. - Faire rendre tout ce qu'elle contient l'ide que Dieu est en cri-se.C'estlavritdel'athisme.Maissi[13]Dieunes'taitpasmis volontairement en crise, nous ne serions pas. -IdeprofondeduP.Laberthonnire,que l'orthodoxiedansles espritsc'estunidalquin'estpasatteint...puisqueniennousniau-tourdenouslavritn'estassezexplicitepourinformerpleinement les esprits . - Il n'y a que Dieu qui puisse tre orthodoxe. 9 avril. - Dieu est du parti de la libert, et l'autorit n'mane lgitimement de lui qu'en tant qu'elle est une expression de la libert morale. -Desdoctrinesquis'opposentproposduprincipedelaralit chacune doit y trouver sa raison d'tre affirme. Ce sont : Ren Le Senne, La dcouverte de Dieu [1955]12 1L'agnosticisme :lanatureabsoluedelaralitestinconnaissa-ble. C'est vrai d'abord en ce qu'il doit toujours y avoir de l'inconnu en Dieu ;etmmeDieupoursoi,Dieusujetdoitnouschapper,puisque c'estdjvraidetouteconsciencesubordonne.C'esticilelieude rpterquel'infinitismedel'treentranelerelativismedelacons-cience particulire. 2L'athisme :iln'yapasdeDieu.EneffetabsencedeDieu.La conscienceparticulire,siellesecantonnedansseslimitesnepeut trouverDieu,carellenetrouvequ'elle-mmeetmmenesetrouve que comme un produit. Il n'y a pas de Dieu pour qui ne veut pas qu'il y en ait. L'athe est un partisan du sacrifice absolu. Il se sacrifie abso-lument. C'est un suicide. 3 Le thisme, qui est un disme affectif : il y a une personne divi-ne.EneffetaprsfractionnementDieudevientunepersonneparmi d'autres. On peut l'appeler le personnalisme. [14] 4 Le finitisme personnaliste de W. James. Met en vidence la limi-tationqueDieusubitaprsfractionnementparl'initiativeetl'aveu-glement relatif des autres consciences. 5 Le polythisme. Exprime l'intriorit de Dieu par rapport tou-tes les autres consciences. 6 L'absolutisme impersonnel par exemple de Bradley : l'un dont on ne peut rien dire sinon qu'il est. C'est Dieu pour soi, Dieu-sujet, mais il faut le montrer. 10 avril. -Deuxmouvementsdanslaconsciencedel'athed'abordilne croiraitDieuques'illesaisissait,c'est--dires'iltaitDieului-mme ; puis ne l'tant pas, il se nie en se refusant de participer l'in-finitdivine.Ilestvictimedel'abstractiondeuxfois :iltirel'ida-lismejusqu'auboutdanslesensdumoiabsolu,puisjusqu'l'autre bout dans le sens du moi onirique. Il choue dans l'usurpation et au lieu de se convertir, il se punit de son chec par le suicide. Ren Le Senne, La dcouverte de Dieu [1955]13 -L'tre,entantquetout,n'estpaspourmoioupourn'importe quelleautreconsciencefinie,particulire,carmaconnaissancede l'univers est misrablement restreinte. tre pour soi, c'est se conna-treets'ilyaunelimitationdecetteconnaissance,l'tren'estpas entirement pour soi. Il faut donc si l'idalisme est vrai, que l'tre en tantquetoutsoitpoursoi,soitunepersonne,doncqueDieuexiste. L'idalismeneselaissepasmitiger.Ilfautl'acceptertoutentierou pas, quitte aprs l'avoir accept, le dgrader notre taille. [15] 11 avril. - On ne sait trop ce que fait Hamelin. Ce n'est pas la thorie de la conscience divine car celle-ci ne permet plus la distinction d'lments principaux. Elle doit tre intriorit parfaite (Dieu pour soi). Dieu n'a pasbesoindes'peler.Cen'estpaslathoriedelantrequiest troubleparlacontingence.L'Essain'estdoncqu'unmodleoffert parlaconsciencedivinelantre.Unervlationlamanirechr-tienne, mais par Hamelin et pour mtaphysicien. - Sans l'un absolu, Dieu, n'ayant pas d'idal, ne crerait pas, ne se-raitpasvivant ;maissansDieuquiseleproposeetqu'ilexprimecet absolu serait fictif. En somme la contradiction oppose les consciences particulires et Dieu entre l'un infrieur qui est le devoir et l'un sup-rieur qui est l'absolu. 13 avril. - Il y a deux consciences qui ne doutent pas, Dieu et le fou. 15 avril. - L'exprience du bonheur est la thologie exprimentale. Ren Le Senne, La dcouverte de Dieu [1955]14 18 avril. -Rvlation.Aucunervlationn'estqu'unedemi-rvlation.Elle est un mixte d'esprit et de matire. En trois sens, : 1 Elle doit exprimer la fois Dieu qui l'met et la [16] conscience quilareoit.Parconsquentilnepeutsefairequ'ilnes'ymlede l'insuffisance.Ilyauraunevolutiondansl'interprtationdecette rvlation ;etcetteinterprtationexprimeraaussilavaleurmorale de la conscience qui interprtera. 2Toutervlationdoits'incarnerdansunematirepourtre transmissible. Elle doit donc y perdre sa puret spirituelle. 3Enfinl'espritnes'puisepasdansunedesesmanifestations. Par consquent toute rvlation a la limitation d'une expression. - En tant qu'il se diffracte en nous, pour nous confrer l'existence, Dieu accepte pour lui-mme d'entrer en crise. Il en rsulte ce carac-tredramatiquedumonde,cetteindcisionrelativedel'avenir,qui n'estaprstoutquelacontrepartieobjectivedelalibertetdela moralit. Mardi 21 avril. -Lesformesconfessionnellessontlavolontreligieusedecom-munion affective avec Dieu ce que les hypothses scientifiques sont lavolontscientifiquedecommunieravecDieupardestechniqueset des mthodes. -CeluiquiagitmoralementaDieupourlui,maisdsqu'illepr-tend, il ne l'a plus, car il s'attribue une certitude qui n'appartient qu' Dieu. C'est pourquoi Dieu est silencieux : il ne pourrait ordonner qu'un acte infiniment concret, mais d'abord cet ordre anantirait la libert etparconsquentl'existencedel'individu,si,enoutre,-cetordre devait tre compltement inintelligible celui qui le recevrait, puisque Ren Le Senne, La dcouverte de Dieu [1955]15 celui-ci ne peut penser que l'abstrait ou le partiel. Dieu parle, mais par des faits, des expriences. [17] Mercredi 22 avril. -L'idalismen'estactuellementetcompltementvrifiquepour Dieu ;maisdanscettevrificationparfaiteils'anantit,puisqu'iln'a plus de raison d'tre comme doctrine o il n'a plus tre affirm. - La dcouverte philosophique du moi par lui-mme est la condition pralabledeladcouvertedeDieu.Carladcouvertedumoi,par l'idalisme personnel, enlve l'idoltrie de l'objet. L'idoltrie consis-te prendre une partie pour le tout, et le principe spirituel du tout. -Spinozapensequenousneconnaissonsquedeuxattributsde Dieu, savoir l'tendue et la pense. Il n'y a donc rien en nous que la perceptionoul'imagination,expressionsdel'tendue,etlaraison.Si l'on pense que l'tendue intelligible doit se rsoudre en vrit, en rai-son,lebutdelavierationnelleestdedissiperlaconfusion.C'est conforme dj la pense de Descartes, pour qui en somme confusion etesclavagedel'meparrapportaucorpssonttermessynonymes. Maisendissipantlaconfusion,cesontlaqualitetlesentimentque l'on dissipe. Ce qu'on a aim dans Bergson, c'est qu'il les sauvait. C'est ce que Delbos appelle dispositions subjectives . Mais en professant que la confusion doit tre dissipe, on la traite commeuneillusion,quidoitsersoudredansunpurnant.Lenant esticicommepartoutunedisqualificationmorale.Convertissonsle nant en infini : celui-ci porte la confusion, elle est confuse, non en ce qu'ellemasqueuntrou,maisencequenotreconsciencefinienepeut dployersarichesse.Iciencorel'idedeDieusauvelaralitdela qualit : vrification relle. - Il ne suffit pas de montrer des preuves de l'existence de Dieu, il faut montrer en quoi il est bon d'y croire. Ren Le Senne, La dcouverte de Dieu [1955]16 [18] Vendredi 24 avril. -LepersonnalismedeDieuestlogiquementavantl'impersonnalis-me :c'estlepersonnalismeni.Unefoisquelepersonnalismeat pos,ilnepeutplustreretir.Maisnouscraignonsquelenomde personnenerduiseDieunoslimitationsetnousnionsparl'imper-sonnalisme,noncequenotrepersonnalitmetdepositifdanslaper-sonnalit,maiscequ'elleymetdengatif.Autrementdit,aulieude nierlapersonnalit,divine,nouslaportonsausuprmedegr.Unim-personnalisteestinfinimentpersonnaliste.Conversiondunantdans l'infini. Pour moi la principale preuve de l'existence de Dieu est la joie que j'prouve penser que Dieu existe. Samedi 25 avril. LesilencedeDieu.Dieuneparlepas :1parcequeparler,c'est commencer se matrialiser ; 2 parce que toute parole est un vne-ment sensible, dont la circonscription objective correspond (et elle la reprsentedansl'espace)l'abstractiondel'ideexprime :ceca-ractredepartialitlarendinadquatel'infinitdivine ;3parce qu'il ne serait pas compris, puisqu'il devrait, pour que la vrit lui soit adquate, exprimer une ide infiniment singulire, dont la comprhen-sionseraittoujourstropcompliquepouruneconsciencefinieetla dborderaitinfiniment.Ilseraitdoncinintelligible ;4parcequepar suite ses paroles seraient quivalentes aux vnements rels et qu'el-les n'auraient que cet effet de dispenser les consciences particulires de vivre ; 5 parce que, si enfin on observe qu'il pourrait simplifier son discours,sanscompterqu'ils'humaniseraitd'une[19]manirequile dgraderait,ilresterpondre,quelesvnements,danslamesure o ils nous portent au bien, sont quivalents des paroles, et qu'ils ne dgradentpasDieu,puisqu'ilnesontdivinsqu'raisondel'infinit Ren Le Senne, La dcouverte de Dieu [1955]17 qu'ilsenveloppentetrestenthumainsparlalimitationquenousleur imposons. Lasubjectivitdivine,c'estl'infinit.Quandons'tonnequ'ilne se comporte pas comme le ferait un homme, c'est qu'on lui attribue la limitation humaine. Il n'en rsulte pas qu'on puisse le croire capable de monstruosits sous le prtexte qu'elles rpugnent notre nature ; car ce que nous devons nier de lui, ce sont seulement nos ngations, et on les lui attribuerait, en en faisant par exemple un bourreau. En lui rai-son et infinit concident. Il n'y a donc que la moralit pour l'exprimer et celle-ci exclut que l'homme doive tre dtermin du dehors. Toute dtermination du dehors est une dtermination partielle et par cons-quent matrielle, non divine. - ceux qui s'tonnent qu'on puisse parler de Dieu et de ses volon-ts, il suffit de rpondre qu'affirmer la vrit d'une proposition et la valeurmoraled'unacte,c'estenfairetoutautant ;etquepersonne ne peut vivre sans le faire cent fois par jour. La mthode du bonheur est donc en dfinitive d'extraire de chacun des petits succs que nous pouvons remporter, tout ce qu'ils contien-nent de promesses particulires etde moyen de confiance dans l'Ab-solu. Il faut presser tout succs comme une ponge. - Ce qu'on dit contre la personnalit divine vaut contre la personna-lithumaine :leurscausessontlies.C'estparlammeabstraction quelascienceestatheetqu'elleest angoste ,impersonnelle toujours. De mme la sublimit du moi correspond l'impossibilit morale de confondreDieuavecaucunedesdterminations[20]objectives.Per-sonnen'aledroitd'attribueraucuneautrevolontDieuquelede-voir universel. Dimanche 26 avril. -Chaquetat,chaquemomentdumondeestparfaitetcommetel exprimeDieu ;maislaperfection,conceptformel,objectif,n'appar-tientpasDieu,quiestplus-que-parfait.L'infinitaucontraireap-Ren Le Senne, La dcouverte de Dieu [1955]18 partientausujetetnepeutjamaistredansl'objetquelereflet, lexpression du sujet. Sichaquetatdumondenenousapparatpasavecsaperfection, c'estqu'ilfauttreactuellementinfinipourvoirlaperfectiondece qui procde de l'infini. Mais nous trouvons dans les choses particuli-res des chantillons de perfection. Lundi 27 avril. - Il est essentiel ma pense de maintenir au centre de toute vie intellectuelle et pratique l'ide de sa communion avec l'Absolu. La valeur, c'est l'un refus la contradiction, qui n'en offre que la promessedansledevoir.Sansl'un,touts'miettel'infinipourse dissoudre dans le vide, dans l'espace pur. Mercredi 29 avril. - Quand le moi particulier affirme l'existence de Dieu, il affirme sa propre ternit. [21] Jeudi 30 avril. -Encoreunefois,l'Absoluimprdicablec'estlesujet,entant qu'au cur de Dieu, il est infini. Vendredi 1er mai. - Il est essentiel que la philosophie ne reste pas en de et n'aille pas au del de son but. Elle ne peut faire la philosophie de Dieu car il faudraittreDieupourlafaire ;ellenedoitpasfairelaphilosophie del'hommespardelAbsolu,carceseraitsupprimerlavaleur, commencerparlavrit,indispensablelaphilosophie.Commela conscienceclaire,laphilosophieseporteoilyadbattre,aux confins, dans l'actualit. C'est pourquoi elle est essentiellement mora-le : Ren Le Senne, La dcouverte de Dieu [1955]19 par le souci de ne pas rompre le lien avec l'Absolu ; par le souci de ne pas se sparer du sujet ; enfin par celui de se maintenir dans l'actualit claire. La morale, en effet, c'est un commandement d'action, qui est fon-d en tant que l'Absolu serait mort s'il n'tait pas crateur : ternit ruptive. L'ternel s'grne indfiniment dans le temps. - L'ontologie intellectualiste classique substituait la philosophie de Dieu celle de l'homme. Le kantisme a inaugur la philosophie de l'hu-manit. Il faut faire celle du rapport de l'homme Dieu. Samedi 2 mai. - Ma philosophie a trois centres : le devoir, le moi et Dieu, sujet di-vin ; tous trois doivent venir concourir dans le bonheur. La philosophie doitpartirdel'actualit[22]etrevenirl'actualit.Pouravoirun pointdedpart,ilfautqu'ilyaitunpointtelqu'onnepuissepartir d'un autre. Ce qui nous arrache tout autre chose pour nous contrain-dred'enpartir,cequinousimposeindiscutablementsanature,c'est la souffrance : la souffrance est donc l'actualit de dpart. Ce qui est tel au contraire que nous ne demandons pas autre chose, c'est le bon-heur.Lebonheurestl'actualitd'arrive.Toutepenses'enferme entre la souffrance et le bonheur. Le bonheur est transpersonnel. Son principe est le devoir. C'est ce caractre transpersonnel du devoir qui fait son caractre catgorique. -LacommunionavecDieudanslareligion :lagrce ;dansl'art, l'inspiration ;danslascience,l'vidence ;danslamorale,lajoiede vivre. Dans chacune de ces expriences celui qui la possde ne doute ni qu'ilnelapossde,niqu'iln'aitatteintl'objectivit.Maisledoute demeure en ce que ce succs dynamique reste partiel. Ren Le Senne, La dcouverte de Dieu [1955]20 Lundi 4 mai. - Notre ide de Dieu doit s'lever avec notre connaissance de Dieu. Notre ide de Dieu est un compromis entre Dieu et la limitation de la connaissance humaine, De mme toute invention est un compromis en-trel'unitabsolueetlesconditionsdanslesquellesnousl'apprhen-dons. Mais par rapport invention, compromis est un terme ngatif. Mercredi 6 mai. - Si Dieu existe, toute intelligence, tout bonheur doit nous arriver par l'ide de l'infini. Il est essentiel de marquer que les preuves rel-lesentoutematirenesontpas[23]cellesquiaboutissentdes conclusionsthoriques,maisdesactesrussis.Laprobationde l'existencedeDieu,dontladmonstrationn'estquel'approche,l'in-troduction,leconstituantintellectuel,c'estl'accscroissantaubon-heur par la mdiation des expressions de Dieu. Mercredi 20 mai. - Dieu se rvle la conscience particulire par la nature mme de la conscience particulire ; mais cette nature est libert. Jeudi 21 mai. - Parmi les psychologues, sentiment vif de l'htrognit d'eux moi.Jeseraisvidemmentmieuxmaplaceparmidesespritsreli-gieux. Tous les motifs-secondaires finissent par se rfugier en Dieu. Dessanguinssontpeut-tresatisfaitsparlessuccstemporelset sociaux,argent,honneurs,succssociaux.Pourunmotif-secondaire, le social, ce n'est que de l'humain et encore de l'humain infrieur, ba-nalis,dgrad.Aucund'euxnepeutavoirlesentimentqu'ilrussit, cartousmettenttrshautleursambitionsetcequ'ilsobtiennentet font ne peut que leur paratre trop peu par rapport ce qu'ils dsirent et voudraient faire et recevoir : ils doivent donc transporter avec eux lesentimentinvincibledel'chec.C'estcequ'ontvrifilesviesde Ren Le Senne, La dcouverte de Dieu [1955]21 Pascal,Malebranche,MainedeBiranetmmeDescartes.Desscepti-ques en concluront que leur exigence de Dieu n'est donc que l'expres-siondeleurcaractre :maisquelescaractreslespluspuissants prouvent cette exigence, cela est dj un argument pour l'existence de Dieu et tout succs qu'eux et d'autres hommes ont obtenus suffit vrifier [24] que Dieu est. La noblesse de l'homme n'est possible que par la valeur de l'tre. - Nous sommes enface du bien et du mal. Le bien, c'est--dire la vrit, l'ordre, la beaut, le bonheur vrifient Dieu. S'ils taient seuls, sonexistenceseraitsansconteste.Maisleserreurs,lesguerres,les difformits, le malheur sont avec eux dans l'exprience. Est-ce le bien qui exprime le sens du monde et les maux ne sont-ils par rapport lui que des accidents superficiels et provisoires ? Ou, au contraire, le mal exprime-t-il la vritable nature des choses et le bien, la finalit, notre existence ne sont-ils que de fragiles hasards ? cette question, il faut, me semble-t-il, rpondre : 1lepositif,l'tresontmtaphysiquement :premiersparrapport au ngatif, au non-tre ; car si le non-tre avait t premier, rien n'en etpusortir,tandisquesil'treestprogressif,ilestchaqueins-tant limit et le non-tre exprime cette limitation ; 2treetnon-trenepeuventcoexisterqueparlaconscience ; maisinversementlaconscienceneseraitetnepourraitpastres'il n'y avait aussi le non-tre et par suite le mal ; mais ce mal ne doit rien pouvoir absolument contre la conscience puisqu'il est li son existen-ce ;etlavaleurabsoluedelaconscience,c'estsousuneformesup-rieure, le primat de l'tre ; 3aveclaconscienceapparatdanslemondelamoralit.Pour qu'elle soit et pour qu'elle l'emporte sur le mal, le mal doit apparatre comme le repoussoir du bien. Dieu nous invite collaborer avec lui. Donc si le bien est premier, c'est--dire si Dieu existe, on peut ex-pliquer le mal, mais si le mal tait premier, on ne pourrait expliquer le bien. Je peux prier Dieu, c'est--dire me rjouir en lui. Ren Le Senne, La dcouverte de Dieu [1955]22 [25] Vendredi 22 mai. -MainedeBiranavuleplusnettementpossibleledilemme :Dieu oulecorps : Toujourslemmedoutesurcettequestionpremire, d'odpendtoutenotreconnaissancedel'homme :danslesdisposi-tions et affections qui ne sont pas au pouvoir de l'action de la volont, qu'est-ce qui vient du corps organique ou des variations spontanes du principe et du jeu de la vie ? Qu'est-ce qui vient d'une force suprieu-reettrangre,quipeutdirigernotreforcepropredepenseetde volont, l'exciter, l'lever quelquefois au dessus d'elle-mme, la nour-rir d'ides et de sentiments, qui n'ont plus de rapport avec les sensa-tionsetleschosesenvironnantes ? (Journalintime,d.delaValet-te-Monbrun, t. II, p. 254). Mais sur ce dilemme, il reste toujours ind-cisparcequiln'apasprisuneconscienceasseznetteducaractre idal, relatif de l'objet en opposition avec le caractre rel, absolu du sujet. Le corps est dfini objectivement. Explication explique. Suffi-sante ? Non. Car ces dterminations objectives spcifient l'esprit pur, quinefaitqu'unavecDieu.C'estdoncvidemmentdeDieuquenous vienttoutcequ'ilyadepositif,devaleur,deconfiancedanstoutes nosexpriences.Orientationversunau-delinfinietindfiniment nouveau.Decetau-dellesceptiquefaitunnant :maisilanantit alors la valeur, avec tout ce qu'elle enveloppe de rfrence l'absolu. MainedeBiranatvictimedesaconscienceanalytique :celle-cien dfinissantdesobjetslesrendjusticiablesducorps.Maisilyatou-joursinadquationdesdfinitionsabstraiteslaralitabsoluede l'esprit. Dans le bonheur notre esprit s'identifie l'esprit ; mais nous ne pouvons penser comment, puisque la pense objective n'atteint que du concept. -Prouverl'existencedeDieu,c'estcommencerse[26]porter verslui.Quandondiscutedel'existencedeDieu,onparlecommesi celle-cidevaits'imposernoussansnotreparticipation.Celaencore est un idal, comme tel limite de la pense. Il y a le mme orgueil m-taphysique dans le solipsisme, o le moi se croit capable de tout faire, Ren Le Senne, La dcouverte de Dieu [1955]23 etdansl'objectivisme,oiln'aqu'recevoir.Sil'onsongeque,dans le solipsisme, ce pouvoir de tout faire doit obtenir immdiatement sa-tisfaction :iln'yaplusdediffrenceentretoutfaireettoutrece-voir. Les deux limites concident. Samedi 23 mai. - La religion est l'ensemble des moyens par lesquels l'esprit concilie lecontenudelaconsciencelathologie.Saportevajusqu'ova l'ide de Dieu ; mais l'ide de Dieu n'est pas Dieu. - La mort ou le nant de conscience est la raison de craindre pour soi ;maisdanscettecraintepoursoi,lejeformel'idedelui-mme. Enacqurantl'idedesoi,ilprendimmdiatementconsciencede l'inadquationdetoutmoiauje,etparsuitereconnatDieuaucur de lui-mme. La mort est donc indispensable la connaissance de soi et de l'idal de soi, Dieu. -Jen'aicommencrendreunevaleurl'idedeDieuqu'aprs avoir admis la ralit du moi et l'intriorit de tout objet par rapport lui. En effet jusque l je circonscrivais plus ou moins troitement le moidanslesconfinsd'uneconsciences'arrtantaucerveauetl'ex-cluant, puis dans les limites de mon piderme, au plus dans le territoire battu par mon action. Donc l'homme fait Dieu son image, mais quand il s'est pralablement fait l'image de Dieu. Il faut donc pour convertir quelqu'un l'idalisme [27] l'amener fairesautercettebarrireidalequelesenscommunmetentrele moi et le monde. Il faut mettre la lune vue dans le moi ; et montrer que cette lune vue enveloppe le monde tout entier. -Lavritrelativedusolipsismeestungrandargumentpour l'existence de Dieu. Sans elle, contradiction absolue. Car, d'une part, il est vrai que nous ne pouvons pas sortir de nous-mme, de l'autre il est vraiquenoussommeslimitsetnepouvonsaccaparerl'treentier. Seuleissue :l'intriorituniverselledeDieunous-mme.Chacunde nous est limit en Dieu. Ren Le Senne, La dcouverte de Dieu [1955]24 - Pour s'avancer vers l'absolu, il ne faut pas le chercher en dehors des phnomnes, mais travers eux. Le soleil derrire la verrire. Mercredi 27 mai. -Bradleyatdupedel'abstractionduthorique.Sonlangage mmeprouvequ'ilaralisdesabstraits :parexemple Deity ,au lieude Dieu .Maisqu'est-cequepeuttreunedivinitquinese connatrait pas ? Dimanche 31 mai. -L'existencedeDieu,c'estl'absencedel'infini,pournous.Nous ne pouvons rien comprendre que par lui et il nous manque. [28] Ren Le Senne, La dcouverte de Dieu [1955]25 [29] La dcouverte de Dieu Chapitre II Sujet et personne I Retour la table des matiresOn pourrait soutenir sans paradoxe que, dans toute l'histoire de la pense humaine, ceux des philosophes qui ne se sont pas expressment propospouridalsuprmelaconnaissancedel'objetintelligibleont fait figure d'opposants et de suspects. Cette prdilection ordinaire de laphilosophienefaitaurestequ'yprolongerunparti-prisquisere-trouve dans tous les modes de l'activit humaine. Il suffit d'une des-cription sommaire pour en reconnatre les mobiles profonds et univer-sels. Comme en tout ce que nous faisons, ceux-ci se laissent rpartir en deuxgroupes.Lesuns,qu'onpeuttenirpourmoralementinfrieurs, mmesionlescroitenracinsdanscequenotrenaturecongnitale comportedeplusinstinctif,sontdesmobilesngatifs ;ilstendent carterunepressionouunemenace ;ilsrepoussent ;leuressence motionnelle est la rpugnance, l'aversion. Les autres chappent tout ce que la peur met de disgracieux dans ce qu'elle produit. Ce sont desmobilespositifs,essenced'amour,quinousportent,ouobjective-ment vers un bien, ou intimement vers une joie, mais plus haut que tout Ren Le Senne, La dcouverte de Dieu [1955]26 [30] bien ou toute joie, vers la valeur, dont biens et joies ne sont que lerayonnement.Quandnousprouvonslecharmedecespuissances ravissantes, nous ressentons aussi notre faiblesse, car nous mesurons combien notre nature attidit l'ardeur que, pour notre bonheur et no-tre bienfaisance, elles devraient nous inspirer. Mobilesd'aversionetd'attrait,rpugnancesetesprancesse composent dans la propension de l'homme l'objectivisme. L'objet en tant que l'esprit cherche le penser, c'est essentiellement la ncessi-tlogique.Mmesi,aprslacritiquedelaconceptionanalytiquedu jugement,onserefuselarduirel'identitpure,ilrestevrai qu'elle est l'unit qui conditionne l'intriorit, la participation mutuel-ledestermesqu'ellerelie,commel'unarithmtiqueestl'lment communetgntiquedetouslesnombres.Dansleschoses,ellefait leur cohsion ; dans les socits, leur solidarit lastique ; partout, ce qu'il y a de solidit, donnant un fond la contingence. 1Lepremieravantagedelasolidit,c'estdepromettreunapai-sementsansduperietouteslescraintesquis'entremlentdansnos besoinsdescurit.Onparlesouventdel'hommeenmontrantouen impliquant que sa vie ne se comprend jamais que si l'on y reconnat une aspirationinfinie.C'estindiscutablementvrai,maiscen'estquela moiti de la vrit, car ce n'est pas assez de comprendre le positif, il fauts'expliqueraussipourquoicettepositivitcomportedeslimites, des retards, demande du temps, pourquoi cette aspiration ne se rassa-sie pas, est contrarie. Elle se reconnat mme au cur de la dtresse, puisque,sansl'exigenceintrieure,lamisre,fauted'trereconnue, neseraitpasmisrable ;iln'enestpasmoinsvraiquel'aspirationy estdue,trahie,dmentieparl'checquiestl'occasiondelad-pressionmentale.Parla[31]mdiationmotionnelledel'accident,la spontanit,enelle-mmeheureuseetconfiante,sedgradeetse diffracteendouleursetenrpulsions,endfiancesetenmfiance : le moi se met sur la dfensive. Au sein de cette atmosphre asphyxiante, la scurit semble deve-nirlaseulevaleur.Souffrantdudoute,qui,nousfaisantperdredu temps dans l'urgence, nous empche d'affirmer et d'agir, prcisment aumomentocenousseraitleplusutile,etparsuitenousmetla Ren Le Senne, La dcouverte de Dieu [1955]27 merci des choses et des hommes, souffrant de l'incohrence, qui nous condamne nier et dtruire le lendemain ce que nous avons dit et fait la veille, de l'imprvision, qui nous prive des ressources de l'action par l'ignorancedeseseffets,etdeladception,quel'imprvoyanceen-trane, nous en venons oublier toutes les autres valeurs au profit de lavrit,filledelancessit,sanslaquelletoutevaleurmanquedes conditionsobjectivesdesonactualisation.Onpeutappelervalidit cette valeur-minimun, faute de laquelle aucune autre valeur ne peut se condenserderveenpossessionprsenteetenpuissancedisponible. Sousl'influencedelapeur,larecherchedelavalidit,decequiest capable de nous porter sans que nous ayons faire effort, se substi-tue insensiblement l'amour des autres valeurs qu'elle a pour destina-tion de mdiatiser, comme il arrive ces avares vieillis, dont la sensi-bilit,parl'effetd'unemfianceinvtre,meurtdanslamaniede collectionnerdesobjets,monnaysounon,commeiladvientaussi l'humanit, prsentement menace de perdre son me dans le service du machinisme. Ce n'est pas en effet de notre temps que cette dgradation de la vise de valeur dans la poursuite exclusive de ce qui est intellectuelle-ment et pratiquement utile peut tre considre comme un mal excep-tionnel. En faisant de [32] la technique l'armature de l'humanit et de l'histoire, au point que, par rapport elle, tout ce qu'il y a d'intellec-tueletdespiritueldansl'hommeneseraitplusqu'piphnomne,le marxisme est vrai comme symptme, parce qu'il exprime cette adora-tion de l'objet fait idole, qui distingue une socit s'asservissant la sciencesanslacritiquer.Iln'enreoitquelavritd'uneimagevir-tuelle.Card'abordilsediscrditelui-mmecommedoctrine,siune doctrine n'est jamais rien de plus qu'un lment d'une superstructure oniriquedelamatire ;enoutreilcomprometlacrationspirituelle quiprocdeternellementdelaconfiancedanslaprioritdel'esprit par rapport l'objet. Encorereste-t-il,etrestera-t-iltoujoursvrai,quelaconscience humaine en tant que finie, si elle vise ternellement au del de la natu-re, ne peut rien obtenir que par sa permission. Nous nous sentons vivre souslamenace,lointaineouurgente,desonhostilit,quifinirapar noustuer.Pluselleestinstante,plusbrutalementellenousarrache Ren Le Senne, La dcouverte de Dieu [1955]28 l'aveu que la scurit est une valeur. Aussi l'objectivisme, qui conseille dedcouvriretd'appliquerleslois,seprsente-t-iltoujoursaux hommes comme une condition, sinon de salut, du moins de sauvetage. La conscience humaine oscille entre le tourment, origine du dsespoir vio-lent et explosif, et l'ennui, matrice du dgot de vivre. La rduction de la conscience la nature serait un assoupissement sans rveil ; mais le tourmentnousfaitdsirerlesommeil,aucoursduquell'objetrgne sansquenotrevolontlegouverne.Avantquenousnousrsignions abdiquer en lui, la thorie, mme quand elle n'est pas encore imprime parsesapplicationsdanslaperception,apaiselesmouvementstrop violentsdenotresensibilit.Spinozaaposleprincipequelespas-sions taient rductibles une gomtrie pour amortir [33] les oscilla-tions de la fluctuatio animi et s'lever au-dessus de l'humilitas. Sieneffetl'idedel'objetn'taitsusceptibled'accrocherquel-queintrtdumoi,celui-cinedisposeraitjamaisdel'nergiences-saire pour le penser. Une fois que le pril nous a rendu l'objectivisme prcieux,ilnenousestquetropfaciled'userdel'universalisation abstraite,quiextrapolesansvrifierpaspaslaporteduprincipe gnralis,pour~rduirel'objetlecontenudel'exprience.Lemoi seforgeainsilemythetranscendentald'unordre,parlequeliln'au-rait plus qu' se laisser vhiculer comme dans un sleeping-car. En cha-queperturbationdenotreconscience,l'objectivitnousprometla restaurationd'unquilibreternel,qu'onsupposeavoirttroubl, comme si la possibilit mme de ce trouble ne supposait pas aussi au-tre chose, comme si la contingence et la libert n'taient pas appeles ncessairement par la ncessit. 2Sicemythedelasystmaticitparfaite,deladtermination complteestcondamnn'inspirerjamaisquedesapplicationspar-tielles,iln'ensuitpasquesapossessionidale,sousrservedesd-ceptions qu'il doit amener si on se livre lui passionnellement, ne soit pasunbienpourlaconsciencefinie.C'estunbienesthtique,dontil fautjouircommedetouteslesouvresdel'art,ensachantquece n'estpasarriv.Nonseulementl'objectivitnousfournit,soitdans les choses de la perception, soit dans les lois de l'intelligence thori-que, des instruments qui permettent toujours notre volont de pas-Ren Le Senne, La dcouverte de Dieu [1955]29 serquelquepartdel'impuissancelapuissance ;nonseulement,en soutenantlesidentitscommunesauxhommes,elleleurpermetde communiqueretdecooprer ;maisencoreellesduitl'intimitmo-tionnelle du moi en proposant [34] l'imagination l'idal d'une beaut cosmique qui ne laisserait rien en dehors d'elle. Par l elle sollicite et satisfaitdesbesoinsd'admiration.Lemalesttoujoursaupointde rencontre d'un dsordre entre les chosesetlesides,etdel'atten-tion, souvent trop complaisante, du sujet. En nous invitant concevoir, malgr les dmentis de l'exprience, une ralit qui ne serait qu'ordre et harmonie, l'objectivisme change en jouissance intellectuelle la paix qu'il nous a permis d'atteindre en nous donnant la scurit. Malheureusementilfaudraavouerbientt,souslapressiondela souffrance, que cet ordre n'est qu'un idal, dont la ralisation est et doitrestercontradictoirelaconditiondelaconsciencefinie.Car, pour apprhender la beaut totale du monde, l'homme devrait dominer tout l'objet. comme ce serait le dpasser, le dborder, il chapperait sa limitation. Aussi est-il destin rester la fois intrieur et ext-rieur la nature : engag dans le monde en tant qu'il est toujours si-tu quelque part, emprisonn par sa situation, dfini par un pass ; et matredumonde,maisabstraitement,entantqu'illeconoit,l'em-brasse, s'y situe. C'est ainsi que le~ prsent du mme coup nous atta-che un instant qui nous exclut des autres et, en nous invitant oppo-ser en lui-mme le pass et l'avenir, les met sous notre prise. II L'objetvientdenousapparatreavecsonambigitessentielle. D'unepartils'imposenouscommeobjetdeconnaissance,comme nature ; comme tel il est cens antrieur l'esprit, indpendant de lui, dcouvrirparunertrospectionanalytique.D'autrepartils'offre [35]commeobjetraliser,commeidal ;ildoittrealorsl'uvre del'esprit,conuetaccompliparlui,crerparunmouvementen avant, par une proversion, qui reste formelle tant qu'on demeure dans ledomainedel'thique.Ainsilemotordresignifie,tanttl'unit d'unestructuretablie,tanttlecontenuintellectueld'uncomman-Ren Le Senne, La dcouverte de Dieu [1955]30 dement excuter. Cette ambigit prouve l'impossibilit de raliser l'objetensoicommeuntresesuffisantlui-mme.Iln'estjamais que la projection thorique ou thique d'un mouvement, dont l'objecti-visme dfinit la direction, sans que cette direction puisse avoir aucune existence part de ce mouvement. Il faut donc que l'objet ait sa raison d'tre en dehors de soi. Il la trouveensuggrantl'entredanslavieoscillanteetcontrastede l'esprit.Sicelui-cin'taitjamaissollicitdesemouvoirquesuivant unedirection,ilnepourraitsedistinguercommeexistencedecette direction objective ; et de plus il n'y aurait aucune cause, intervenant comme principe de retard, pour l'empcher de se trouver instantan-ment port au terme indiqu par cette direction. La relation de l'objet etdusujetserduiraitl'objet ;l'unitpuresesubstitueraitla conscience. Iln'enestpasainsipuisquenoussommesconscients ;iln'enpeut treainsi,puisquelaconscienceesttoujourssuspendueentreles conditionsissuesdupassetl'impatiencedel'avenir.Incertainde l'objet,l'espritserveillelui-mme,avanttoutephilosophie,dans toutesleshsitationsquelapratiqueluiimpose ;parlaphilosophie, danslamditationsurledoute.Unmdecinesttoujourslafoisun savant qui oublie son malade pour commencer la thorie impersonnelle de la maladie, et un thrapeute, mme un ami, qui, press par l'urgen-ce, doit anticiper sur l'achvement de la nosologie pour choisir un re-mde et gurir : il ne peut pas, dans cette situation [36] quivoque, ne pasressentirprofondmentsaresponsabilit.Ils'yretrouvelui-mme. De la mme faon la philosophie renvoie du systme, qu'elle ne peutjamaisqu'baucher,laconscience,dontcesystmen'est qu'une expression, moins utile comme signe de la ralit faite ou fai-re que comme symbole indispensable la suggestion mentale. Revenonsdoncmaintenant,suivantcetteinvitation,dansl'intimit de nous-mme. Dans le secret du moi, l'objet ne se prsente plus que souslaformedequelquesdonness'offrantl'attentionperceptive etintellectuelle.Touteconscienceestenmmetempsetncessaire-mentanalytiqueetatmosphrique :elledistinguedesvnements, mais ceux-ci baignent dans une ambiance, qui, en les embrassant tous, lestreintingalement.Icil'lmentd'objetestladtermination, Ren Le Senne, La dcouverte de Dieu [1955]31 perceptiveetintellectuelle,transparentejusqu'oelleestpense, opaqueentantqu'ellecomportetoujoursunfondd'inintelligibilitet d'empiricit pure. mergeantdel'ambigitspirituelle,ladterminationlareflte ; et d'elle sur l'esprit reviennent deux influences, qui obligent lui rap-porter deux noms. Nous allons d'abord les justifier. Rsistante par sa cohsionsanslaquelleelleseseraitimmdiatementdissoutedansla fluidit mentale, arrtant l'intelligence proportion de son dfaut de transparence,ladterminationimposel'espritlesentimentdesa limite. Par son hostilit plus ou moins brutale, c'est un absolu ngatif. Lesprit se sent relativement ni par elle. L'chec irrmdiable du so-lipsisme manifeste cette puissance irrfutable de conviction que l'ab-solu rvle partout o il se montre. Nul moi qui puisse se croire l'esprit totaletunique,nulmoiquines'opposeunnon-moietnes'avouefini. Lepourrait-ilsi,commelarflexionrapidesurl'exprience[37]du tempsnousamenaittoutl'heurelepressentir,l'espritnesesen-tait en mme temps suprieur ce non-moi, qu'il doit bien aussi saisir etpenserpourpouvoirlemettreenrelation,serait-ceenrelation d'extriorit,aveclemoi ?Appelonssujetl'espritentantqu'ilse sententrav,barr,gn,conditionnparladtermination,quine perd, pas tout fait son caractre d'obstacle mme quand la thorie, uvre du loisir, toujours plus ou moins utopique et esthtique, en fait un objet ; nous appellerons au contraire personne l'esprit en tant qu'il sereconnatlasourcedeladtermination,lacomprend,lamanie, plusprofondmentseladonnecommelecrateursacrature.Entre lesujetetlapersonne,unedterminationobjective,insulaireou continentale,n'estplusqu'unemdiation,tanttdestineservirla motricit intellectuelle et pratique quand elle conduit quelque autre dtermination,,tanttpropresuggrerunephasedel'atmosphre motionnelle, quand elle nous aide prouver la beaut des choses ou un surcrot de confiance. Soulignons tout de suite que la diffrence du sujet et de la person-neneserduitpasunediffrencedumoinsauplus.Ils'agitici moinsdecontenuqued'orientationdevaleur ;etcenesontpastou-jours les consciences les plus riches de connaissances qui sont les plus nobles. Ce qui distingue essentiellement le sujet de la personne, je di-Ren Le Senne, La dcouverte de Dieu [1955]32 rai aupieddeladtermination commeondit aupieddumur , c'estl'optionquelemoiycommence.Oul'espritinaugureunglisse-ment, une renonciation, abdique devant la difficult, ou il adopte l'obs-tacle comme l'occasion de se spiritualiser plus avant. faire d'un su-jetunobjetdepense,onlechangeenchose.Lapersonnenatau contraire dans le sursaut par lequel, niant son tour la dtermination qui la niait, elle [38] commence en faire l'instrument de l'esprit. La mtaphysique est la connaissance des commencements. En manire de contre-preuve, supposons coupe, non relativement, maisabsolument,larelationentrel'Espritentantquepersonneet l'espritentantquesujet :l'espritestcondamndchoir.Mme quand nous n'arrivons pas jongler avec les dterminations, comme le grand artiste avec les couleurs et les sons, nous prouvons en nous un lan,qui,parlaprtentionaumoins,commencenoussouleverau-dessus des obstacles. Il fait notre dignit ; mais qu'il perde peu peu sonefficacitetsapuissance,laconsciencetombecettecondition de tmoin sans valeur, laquelle l'piphnomnisme la rduit. cette quasi-limite,ellen'estplusgurequeledoubledel'objet ;etilne reste qu' se demander pourquoi l'objet s'est doubl d'une ombre vai-ne. La limite infrieure de la subjectivit serait la limite infrieure de lasujtion.L'espritymourrait.Maintenantportons-nousl'autre terme, si terme il y a, que la section entre sujet et personne ralise partduetdessujets.Cequenousytrouvons,c'estunelimitesup-rieuredelapersonnalitqu'onpeutappelerDieu-sans-nous,dansle-quel on peut bien voir l'esprit triomphant, mais sans percevoir sur quoi il triomphe. Car, devant l'esprit qui ne consentirait, par rsignation ou grce,selaisseraffecterpardesobjets,dontladterminationne vienne pas seulement de lui, il n'y aurait rien pour lui donner un conte-nu. Vide, il serait indiscernable du nant. cartonscesfictions,issuesdelarupturecomplted'unrapport. La, conscience est la relation de l'Esprit en tant que premier par rap-porttouteslesdterminations,posesouventuelles,parcons-quententantqu'infinipositif,etlamultiplicitdesespritsparticu-liers, qui doivent tre, chacun limit, et tous spars, sans que ce [39] soit jamais absolument. C'est ce que suppose aussi l'ide de cration. Quand le savant invente une thorie, le pote son pome, le hros une Ren Le Senne, La dcouverte de Dieu [1955]33 belle action ou un rgime social, l'aptre une structure confessionnel-le, l'Infini positif sort de l'indtermination, on dirait mieux de la sur-dtermination ; mais cette mission, en mme temps qu'elle manifeste sa prexistence par rapport la crature, le rduit, l'abaisse, puisque la quantit d'tre de cette uvre finie ne peut tre que misrable par rapport l'Infinit qui la scrte. C'est ce que vrifie tout instant l'expriencesociale.L'inintelligence,ledfautdesympathie,lagros-siret d'une masse de sujets engourdis ou passionns ralentit et peu peuuselegniedel'hommeinspirparl'esprit,luparlavaleur ; niaisilnecreraitriensilesobstaclesmmesquil'enserrentnelui servaient grossir son lan, comme l'industrie fait un barrage, et m-me ne contribuaient lui fournir ces donnes rsistantes, solides, dont ilabesoinpoursonoeuvre.Encetteintimitdel'meol'oeuvre mane de lui, en l'tonnant toujours demi, celui qui n'tait que sujet quand le monde extrieur l'opprimait, participe de la personnalit ab-solue. L'homme monte vers Dieu ou Dieu descend vers lui. La matire, c'est ce qu'il y a d'aveuglement dans l'esprit. III Ceschmesommairesuffitpourautoriserl'apprciationdel'ob-jectivisme.Quandcelui-cisetournecontrelasubjectivitpourmon-trer l'arbitraire de ses intuitions, le dsordre de, ses caprices, la c-cit et la nocivit de son nergie irrflchie, pour en faire en dfiniti-ve la source du mal, il n'a raison qu'en tant qu'il ne considre dans le moi que les aspects par lesquels celui-ci apparat [40] justement com-mel'esclavedelanature.Heureusementtoutespritesttoujours mieuxqu'unsujet :sifanatiqueousilchequecesoitunhomme,il reste un homme, et si l'on cherchait, non corriger, mais anantir sa subjectivit, on tuerait aussi sa personnalit, car l'une et l'autre sont uniesparunecontamination,quiseconfondavecl'existence.L'idal d'impersonnalit est une arme deux tranchants : il peut entraner la personne s'purer de ce qui l'asservit, mais il peut inaugurer le rgne de la mort. La loi, o elle mdiatise la valeur, vivifie ceux auxquels elle Ren Le Senne, La dcouverte de Dieu [1955]34 s'applique ;ailleursc'estuneabstractionhomicide ;etelleesttou-jours plus ou moins l'un et l'autre. Ilconvientdonc,aprsavoirreconnuleprixdel'objectivit,de ruinersaprtenduesuffisance.Lamanirelaplusdirecteconsiste montrer que l'abstraction, qui est l'essence constitutive de toute ob-jectivit offerte et accessible l'homme, rvle au plus haut point, de faon clatante, sa subjectivit. quoi en effet servirait-il de dgager une loi physique, modle de prcisionetderigueurobjectives,uneloijuridique,mmelapluspu-rementimpartiale,siellesn'taientpassusceptiblesdes'appliquer dans les conditions les plus diverses ? Si c'est possible, c'est que cha-cune des expriences d'o elle a t induite et o elle est applique a t ou est dpouille de sa singularit historique, mutile de ses rela-tions avec le reste des choses, dessche et appauvrie. bref objecti-ve, peu prs comme on se fait un bton en dpouillant une branche vivante de ses rameaux et de ses feuilles. On a limin les diffrences pourtant solidaires de l'identit, puisque le jugement A est A lui-mme suppose que l'esprit ait distingu les deux A, pour en affirmer l'iden-tit, qui n'est jamais que partielle, avant de devenir fictive quand elle estposeabsolument.[41]L'abstractionestunmoyencommodePour unespritfinid'oublier,oude mettreentreparenthses lereste de l'exprience, mais ce reste reste l ; et l'on s'en apercevra. L'ob-jectivit pure, seule est une passion. Laprtendueuniversalitd'uneloin'estriendeplusquel'envers decetteabstraction.Elleconsisteattribueraucontenudel'abs-traction le pouvoir suffisant pour engendrer les diffrences, indpen-damment de l'esprit. Dans l'ordre thorique comme dans l'ordre pra-tique,l'idaldel'objectivismeestlamachine,unsystmecapablede fonctionner sans nous. C'est cet idal qui se sublimise dans le principe spinoziste que l'ide se suffit et que la notion de volont n'est qu'une notion confuse. De mme la machine, c'est l'esprit absent. Mais tout le monde sait que toute machine doit avoir t invente par l'esprit, que celui-cidoitluicherchertoujoursdesalimentsetque,laisseelle-mme, elle finit bientt par s'arrter, se rouiller, enfin se dfaire. C'est donc parce que lobjectivit manifeste sa dpendance envers la subjectivit qu'il faut la dpasser, au mme titre que les autres as-Ren Le Senne, La dcouverte de Dieu [1955]35 pectsdelasubjectivit,considrepartdesonoppos.Laphiloso-phie est le portrait de l'esprit ; un bon portrait ne se contente pas de reproduirelestraitsd'unvisage,ilymontrel'expressiond'uneme. Nousdevonsnousdsubjectiverindfiniment,maisc'estpournous personnaliser de plus en plus. IV Cette critique de principe vaut pour ses applications. L'idoltrie de l'objet, sous des formes grossires et raffines, entrane trois cons-quences fcheuses, mme pernicieuses. [42] 1Elleamnemconnatrequetoutepenseettouteactionhu-maine n'entre dans l'existence que par la puissance, l'efficience d'une nergie,quiestplus,autre,quetouteslestrajectoiresqu'onpeutlui assigner. La connaissance ne devient thorique que par un refroidisse-ment intime, qui remplace des entreprises par des plans. La foi s'y d-tendencuriosit,legnieeningniosit.L'exigencespirituelleyest localise par une situation, qui rduit la vise de l'infini en tir sur une cibledtermine.l'inversedu dcollage ,quiouvrel'espace l'aviateur, s'y fait un atterrissage. Le savant, qui est le plus important exemple de la pense objective, sautille d'une dtermination une au-tre la surface de l'objet. Il trouve plutt qu'il ne cherche. Il en r-sulte que la surrelation ido-motionnelle de l'objet et du sujet se lo-calise dans une relation entre un terme objectif, qui sert de point de dpart, par exemple la prmisse matrielle d'une dduction, et un au-tre,quisertdepointd'arrive,parexemplelaconclusiondecette dduction.Maiscetteexigencecanalisequivaanimerunraisonne-ment,unemdiation,n'estquel'expressiond'uneexigenceouverte, l'effluentd'unepuissancequin'estpasesclavedel'objetetqu'ilne fautpasanmier.Onpeutprirenselaissantglisseraudcourage-mentcommeenseprcipitantdansunecatastrophe.Decequela spontanitsubjectivepeuttretrahieparl'irrflexionetpervertie Ren Le Senne, La dcouverte de Dieu [1955]36 par l'gosme, il ne rsulte pas qu'elle ne soit pas la force motrice de toute rflexion et de toute action. Quand la valeur l'inspire, elle a d-possasubjectivitpourdevenirl'meharmonieuseetexpansive d'une personne ; son nergie n'est plus physique, mais spirituelle, car il n'y a que les forts qui puissent, non seulement survivre, mais tre g-nreux. 2 Non seulement l'objectivisme, s'il lui tait possible de supprimer toutesubjectivit,tariraitlessourcesmmes[43]delavie,maisil dessert la connaissance en dtournant des oprations intimes, qui sont l'origine de tous les mouvements observables. L'erreur de la psycho-logie de comportement n'est pas de chercher dans les actes corporels lamatired'uneconnaissancedel'homme,c'estdenepasremonter assezavantjusqu'l'origineintime,jusqu'lagestationmentaledes mouvementsvisibles,dontledploiementdansl'espacen'estqu'une trace et une ombre. vouloir limiter la connaissance ce qui se passe dans l'objet, on ignore ce qu'il y a d'motionnel au cur de toute pen-se, mme la plus purement abstraite. Car avant les systmes math-matiquesoulestablesdecatgories,aussibienqu'avantlardaction d'unlivreoud'uneconstitution,untumultesecretd'oprationsnon encoreformulesamridesmouvements,dontlessystmesthori-ques ne seront que des expressions et, on peut dire, la publicit. Qu'on viennel'oublier,mmelarflexionsurlascienceenserafausse, car,aulieud'unepistmologie,s'efforantderemonterjusqu'aux sources de l'invention, de manire respecter l'originalit de l'inven-teur,onserarduitcettertrospectionobjective,quineferaque courir aprs les produits de la science pour les constater. plus forte raison, sera-t-on condamn mconnatre et par suite affaibliretcontrariercetteintelligenceducur,aussiprcieuse quecelledesides,quis'exercedansl'intimitdesfonctionsmo-tionnelles de la conscience, Part et la religion. On peut et on doit mme penser qu'une intuition n'est qu'un complexe de jugements rapides : on rend ainsi justice l'intellectualisme. Il ne faut pas en conclure qu'on soitautorisenrduireaucunequelques-unsdeseslmentsles plusrudimentaires,commeyamnepresquefatalementleglissement versl'objectivisme.D'unmotonsacrifieraitl'instruction,[44]plus Ren Le Senne, La dcouverte de Dieu [1955]37 propre instituer un conformisme verbal et pratique, qui est condam-ndgnrerdansleformalisme,l'ducation,dontlenomlatin,si expressif, rappelle qu'elle consiste faire sortir du sein d'une me ce qu'ellerecledevirtualitsdployer,degermesfairepousser, fleurir et fructifier. 3 Enfin l'objectivisme spar, que son abstraction contraint res-tertoujoursmisrablementendedesonidald'universalitcom-plte, doit tristement aboutir sacrifier la valeur des mes. Derrire cesactes,cesgestesetcesparoles,quiconstituentl'objectivit quandonnesesouciequedeleursrapportspropres,etquimanifes-tentlasubjectivitquandonyrduitceluiquilesfait,fermenteune masse motionnelle, qui monte de beaucoup plus bas et est inspire de beaucoupplushautquecemondededterminations,oudistinctesou relies, que la vision sensible ou intellectuelle installe en cercle autour dumoi.S'iln'yavaitquel'objectivit,l'hommenepossderaitquela valeurmarchanded'unechose,quel'onachteetvend,desorteque l'amour se rduirait l'change ; s'il n'y avait que la subjectivit, il ne seraitriendeplusqu'unrve,etl'amourseraitillusion.Ilnepeuty avoirdevaleurabsoluequeparl'infinietc'estluiquisuscitelaper-sonnalit des mes. V levons-nous donc maintenant au-dessus de la subjectivit. Ngati-vementunepersonnesereconnataudoublerefusd'abdiquersares-ponsabilit dans un ordre tout fait, qu'elle n'aurait pas maintenir et amliorer sans cesse, et de se livrer un individualisme ngatif, qui confondlaprotestationetlarevendicationavecla[45]libertcra-trice.Positivementlapersonnalitestido-motionnelle.Partouto l'homme touche la personnalit, ce qui ne se fait parfois que pendant uneheuredesavie,cequipeutaussiserenouvelerparsoneffort, partout o il participe de l'Esprit en tant qu'un et infini, les ides, en cequ'ellesnedpendentpasdelui,maisdesautresetdeDieu,ver-sent leurs nergies canalises dans une action o elles confluent avec Ren Le Senne, La dcouverte de Dieu [1955]38 la puissance encore presque indtermine de ses sentiments. Au cours decettecroissance,l'hommes'puredesafaiblesseetdesespas-sions ;maisc'esttoutlecontraired'unmouvementparlequeliltom-beraitdansl'impersonnalit,parlequelilcesseraitd'treaimable ; c'est s'lever une vie divine. La pense thorique se meut travers la relativit. On est invit ensortirparlarelativitmme,puisquecelle-cirenvoiel'absolu. cemomentdialectiqueonpeutencoresubirleprestigedelapense thorique ; mais si l'on s'arrte l, on ne fait toujours qu'objectiver la relation de la relativit l'absolu. L'absolu auquel on est parvenu y est frappderelativitparl'effetdesacorrlationaveclerelatif ;et puisqu'il est vide de toutes relations pensables, ce n'est qu'un mot, le dernier mot. - Il ne peut qu'indiquer, comme un doigt tendu, l'absolument Abso-lu,l'On-ne-sait-quoi-primitif,dontl'essenceultimeresteraitcompl-tementinconnuetantqu'onauraitsongardl'attituded'untmoin absolument indiffrent. La vie, avec ses menaces et ses esprances, ne le permet pas. Nous ne pouvons pas tre absolument froids. C'est alors denotrelibertqu'ildpendderemplircevide,laissparcemot d'Absolu.Sinousnouslivronsauxpassionsdestructrices,ouseule-ment l'inertie, nous impliquerons par notre conduite que l'Absolu est une sorte de machine infernale, un volcan qui, la manire de la volon-tschopenhauerienne,sionlaconsidrepartde[46]l'uniondes mesdanslacontemplationetl'amour,neproduitquepourdtruire, brefqu'ilnieradicalementtouteintelligibilitettoutevaleur ;siau contraire nous russissons viter les prils opposs de l'impersonna-lit pure et de la subjectivit, nous faisons de l'Absolu une source de lumire intellectuelle et d'nergie spirituelle. En tant qu'elle doit nous trehomognepourquenouspuissionsenparticiper,c'estune,ou mieux la Personne, et c'est elle qui nous personnalise. Par ce choix, qui neportepassurdespartisdtermins,carillveau-deldeleur opposition,lesujetdcideentredevenirquelquechoseouquelqu'un, mourir ou natre. Ren Le Senne, La dcouverte de Dieu [1955]39 [47] La dcouverte de Dieu Chapitre III La relation ido-existentielle Retour la table des matiresLaconnaissance,spcialeouphilosophique,n'ajamaisfait,nine pourrajamaisfaireautrechosequedcrirel'exprience,soitcelle des objets perceptifs, soit, gnralement, celle des mouvements, sen-sibles,intellectuelsoumotionnels,dontcesobjetssontlesrepres, lespivotsoulesuvres.Mais,tantqu'ellen'estquespciale,la connaissance arrache l'exprience des lambeaux, qui ne sont que les champsdevaleurdeprincipeslimits.Quandelleestphilosophique, elle se propose au contraire d'accder celle des expriences qui est la source universelle des autres, afin, autant, qu'elle le peut, d'en d-river la diversit des principaux types d'expriences spciales. - C'est enl'estimanttellequenousallonssommairementdcrirecelleque nousavonsdnomme,enttedecetarticle,larelationido-existentielle. Ren Le Senne, La dcouverte de Dieu [1955]40 I Onnefausseraitpaslesensdelaphilosophiemodernedansce qu'elle a de plus original et de plus fcond en la prsentant comme une intimisation.Prcisonsd'abordla[48]significationdecemotsurun exempleartistique.-Tantqu'unephrasemusicalen'estconnuepar nousquecommeunobjetdepense,quelquechosedontl'acoustique traite, elle reste dans le domaine de la connaissance la plus abstraite, laplusloignedel'intimitdumoi,puisqu'iln'ysaisitqu'unpens, qu'il ne fait qu'en dessiner la structure, qu'elle n'est mme pas sono-re. - Deuxime temps : le moi vient l'entendre. Aussi longtemps que lamlodiesetientencoredanscetloignementrelatifdelaqualit nonaime,elleestplutttoucheetvuequ'entendue.Lasensibilit auditiveestlatransitiondelasensibilitkinesthsique,tactileet visuelle, en laquelle se maintient le sentiment de l'extriorit du peru parrapportaupercevant,lacoenesthsiequinefaitqu'unavecle mystredumoi.Audbutd'uneaudition,quandellen'intressepas, n'meutpasencorel'auditeur,lesonestunchocetunspectacle.Il reste dans l'espace et le temps de la perception, et celle-ci son d-butestcequinousexpulseduperu.-Quecettemlodiepoursuive sontravaildepntration,s'insinueennous,elledevientdelamusi-que.Maisencoreicideuxmomentssontdistinguer.Leplussouvent nous ne faisons que nous prter elle. Tout l'heure nous dessinions aveclephysicienunevibrationdansl'espace ;maintenantnouscom-menonsdanseraveclamlodie.Onpeutdanserenrestantpeu prsfroid :cepointdumouvementversl'intimit,lamusiqueest pour nous, elle n'est pas encore nous : nous sommes avec elle, nous ne sommes pas elle. - Quand la musique achve de se spiritualiser, ce qui esttoujoursrare,c'estquenousavonspouslamlodiesiconsubs-tantiellementqu'ellen'estplusdutoutuneaudition.Nousnoussen-tonsappeleretengendrer,lesnotesmesurequ'ellessedposent. Elles ne sont plus extrinsques, mais endognes : ce [49] ne sont plus desperceptions.Lemusicienestdevenusourd,nonplusausensola surditlemaintiendraitendeduson,maisencetautreoilse trouve port au del. Ren Le Senne, La dcouverte de Dieu [1955]41 C'estexactementlemmemouvementversl'intimitquifaitpas-serdelarelationdessavantsetdeslogicienslarelationido-existentielle. la limite de l'objectivit, la relation se prsente com-me une forme. Une aperception presque instantane nous la fait saisir comme un tout dont les parties sont simultanes. la rigueur ce n'est plusunerelation,c'estuneunit,unedtermination.L'habitudequi soudeleslmentsdetoutpensestdevenueassezfortepourque nousayonspeinelesydiscerner ;etnousnel'appellerionsplusune relation,silesouvenirdesoprationsparlesquelleslespartiesdece tout ont t rapportes les unes aux autres, ne flottait autour de lui. Dj la mobilisation de la relation est moins difficile quand l'esprit seporteversunerelationfonctionnelle.Ilfautquelquemouvement pour penser une loi physique. On voit bien sa formule tale ; mais de mmequetoutdessinprovoqueunecirculationmentaled'unedeses lignes l'autre, cette formule invite l'esprit passer d'un de ses ter-mes son oppos. - Elle perd mme son caractre objectif au moment o cette circulation ne se prsente Plus comme un dplacement sur un terrain,maiscommeuneoprationpurementintellectuelle.Penserle carr d'un nombre, c'est le multiplier par lui-mme, et cette multipli-cation fait corps avec l'esprit. Il est vrai qu'il ne s'y sent que superfi-ciellement intress, peu prs comme il le serait par le geste de je-ter un disque. L'intimitdelarelations'accentuequandelleestpromuela condition de mthode, puisque l'opration dont [50] elle fournit la tra-jectoireydevientindpendantedestermesquinesontplusqueles occasionsdesonapplication.Ilssontrenvoysdanslechampdela perception ; ils deviennent des inconnues ; et l'opration, relativement dleste de son contenu, se change en une action o le moi se sent plus avec lui-mme qu'avec les choses. mesure que la dtermination de la relations'appauvrit,lemoinatausentimentdel'priori,quiestla dmarche par laquelle le rsultat d'une induction profonde est spar de ses origines historiques et se reprsente comme une manation de l'esprit mme. Ilsuffitmaintenantquelestermesetleurrapportobjectifac-croissent leur indpendance mutuelle, se sparent des habitudes qui en fontunestructure,quelesmouvementsdontilssontlesexpressions Ren Le Senne, La dcouverte de Dieu [1955]42 s'assouplissent, pour que l'esprit doive reconnatre dans la relation sa proprelibert.Ilennatunepossibilitindfinimentcroissantede dmarches. De deux dterminations, il est toujours possible l'esprit, soit,enneretenantquelangativitdechacune,d'ensusciterune contradiction relative, soit, en lesfaisant se succder devant son re-gard,d'enfaireunealternative,soit,enpartantdeleurdualitpour arriver leur totalit, d'en faire une construction, et ainsi de suite. la mesure de cette libration, la relation se dcivilise ; elle fait clater les postulats qui la tenaient en laisse, rcupre l'originalit de l'inven-tion. C'est le jeu mme de la vie ; mais ce jeu peut tre grave, soit par l'importance des besoins qu'il cherche satisfaire, soit par l'intensit destendancesquis'yemploient.Quandelletaitobjet,larelation canalisait l'nergie de la pense, comme une voie ferre le mouvement d'un train ; au cur de l'intimit, en de de toute catgorie, et mme de toute dialectique, c'est un ttonnement, qui n'est comparable qu' [51] une exploration, o l'on part l'aventure avec le ferme dessein de nepasprir.-l'origine,lalimiteantrieuredel'intimidation,la relation n'tait, ne serait qu'idelle ; son terme final, elle ne serait qu'motionnelle. II Ce n'est ni l'une, ni l'autre de ces limites que nous nous place-rons ;c'estdansl'entre-deux,enunmilieuodesdterminationset leursrapportsperusoupensssediscernentdemidel'existence continue, comme des glaons moiti pris la surface d'une eau. Pour que la relation soit existentielle, il faut que la continuit entre les d-terminations ou leurs rapports et le tout de conscience ne soit pas r-duite la contigut pure ; mais elle est ido-existentielle, si inverse-mentcettecontinuitn'estpaspartoutsiintimequelesdtermina-tionsysoientparfaitementdissoutes.L'expriencecommenousla connaissonsn'estjamaisexclusivement,niunestructureouunarchi-pel de donnes, ni une confusion o rien ne soit discernable, ni discer-n.Ellemettoujoursenrelationcequ'ilyadeclairetdedistinct, d'analytique et de pens en elle, avec un halo, une atmosphre de mys-Ren Le Senne, La dcouverte de Dieu [1955]43 tremotionnel.Elleesttoujourscartsienneetbergsonienne.Elle peut pencher vers ces extrmits, niais mesure qu'elle en approche, illuidevientdeplusenplusdifficiled'insister,car,s'iln'yarienen dehors de l'esprit, ce qui doit ventuellement le, retenir, ce ne doivent pas tre des barrires, mais des impuissances--poursuivre. Commeelleapparatdansl'intervalle,larelationido-existentielle est ce centre d'o l'exprience entire peut tre drive. Cherchons d'abord ce que la description doit y reconnatre d'essentiel : [52] 1 Ce que tout homme ne cesse d'prouver dans son intimit, c'est uneexigenced'ingaletension,demasseplusoumoinsdense,d'o l'existence lui semble se rpandre et s'taler. - On peut, si l'on veut, rduirecetteexigenceauneoprationintellectuelleetdialectique, dont l'essence serait une itration, par laquelle une premire position seraitsuivied'unesecondeetcelle-cis'ajouteraitlapremire.Il suffira de dcrire les divers aspects de cette opration pour obtenir une table de catgories ; et mme autant qu'on en voudra, si l'on pr-frevarierladescription.Detoutefaoncetteissueabstraitede l'exigencen'enestqu'uneexpressionpauvreetschmatique.Elleen mconnat les aspects nergtiques ; elle oublie la diversit inpuisable dessituationsol'exigenceseretrouve ;elletrahitl'histoireetla libert ; elle dtourne de l'tude de l'motionnel. 2Nousapprochonsdel'exigencepuredanslaspontanitlaplus ingnue ; mais il n'y a pas de vie sans quelque difficult, et la sponta-nitlaplusardentenepeutfairequequelquedterminationnesoit assezrsistantepourprovoquerl'achoppementdel'exigence,etou-vrir la rflexion. De cet obstacle, la pense thorique fera un objet analyseretutiliser,lamorale,uneoccasiondecourageetd'action, l'art, un pisode dramatique tourner la gloire de l'esprit, la religion enfin,letmoignagedenotrefaiblesseetlaraisond'uneprire.Ce serachercheretcommencersaspiritualisation.Iln'yauraitpaseu lieudelarecherchersiladterminationconsolide,dfinie,n'avait t ressentie comme un arrt et une menace, comme la priptie d'o Ren Le Senne, La dcouverte de Dieu [1955]44 peut toujours sortir le bonheur du salut ou le tragique de la perdition. Touterencontre,toutenouvelleprovoqueunbranlement,quelajoie viendra peut-tre ultrieurement noyer ; en tant qu'elle a t invita-blement provocante, elle nous a [53] arrachs l'existence ralentie et ennuye de la connaissance froide. 3 Cet obstacle agit comme une pierre qui toile une vitre : il pro-duituneffetuniverseldediffraction.L'existencejusque-lindivise, ouplusexactementquiresteraitindfinimentindivisesil'obstacle n'mergeait,sefle ;maisellen'clatepas,puisquel'expriencene peuttomberdanslamultiplicitpure.L'obstaclesuscitelesrieux, peut-tre la peur, ventuellement mme l'angoisse, il n'autorise jamais le dsespoir. Qu'il soit intellectuel comme un fait dmentant une tho-rie,artistiquecommeunedissonance,moralcommeunetrahisonou religieuxcommeunsacrilge,ilnedispensepasd'esprerdansune rintgration, d'y travailler, il en est au contraire l'occasion. Laformeprimitivedediffractionestlasubdivisionparlaquelle l'nergie de l'exigence se distribue, suivant un rapport qui dpend de labrutalitdel'obstacle,ennergied'applicationetennergie d'migration.-Pourprciserunpeucettedistinction,etenmme tempsfairepressentirlagnralitdecettedescription,ouvrons l'extensiondel'obstacleenhauteur.salimiteinfrieure,ladter-mination qui en constitue la nature serait absolument simple, sans par-ties, sans opposs : ce qui manifeste l'inanit de cette limite. Ce serait l'unitd'unconceptsanscomprhension ;etcenepeuttreque l'idal asymptotique d'un mouvement de rduction l'unit objective, le nom de l'universalit de mdiation. Plus haut au contraire, la dter-mination, laquelle l'obstacle confre sa ralit existentielle, lui don-neuneralitintellectuelleencequ'elleestuncomplexe,plusou moinssystmatis,quidfinitunesituation,unrapportdestructure etd'accidents.C'estlasituationqui,enmmetemps,permetaumoi de se dcouper dans la relation ido-existentielle, lui propose, [54] en fonction de l'exigence, ses problmes et ses instruments, contraint la pensedesortirdel'utopie ;C'estsurelleque,souslaformeinf-rieuredel'instinct,souslaformesuprieuredel'attention-aux-choses, travaille l'nergie d'application. - Peut-il en rsulter que l'exi-Ren Le Senne, La dcouverte de Dieu [1955]45 gence,accrocheparl'obstacle,limiteparlui,nevisepasau-del ? Derrirelasurfaced'unmur,nouspressentonssonpaisseur,etau-del il y a l'espace. Tandis que, au sein du Prsent, l'nergie d'applica-tion commence faire surgir le pass de la situation qui en parat sor-tir,l'nergied'migration,setournantversl'autre,l'inconnu,ouvre devant la relation ido-existentielle un avenir encore sans futurs. tre danslemonde,c'estlafoissetrouveraudessousdumondeetse mettre au dessus du monde. Arrtonsiciuninstantladescription.L'existence,animepar l'exigence, en train d'achopper, mais se portant dj au del de la d-terminationmerge,estcommepencheversl'avenir,qu'elleregar-de sans y voir encore rien. Elle est en suspens ; un cart s'ouvre entre l'tre et le devoir-tre. Cet cart est la conscience. Elle est la partie vivedelarelationido-existentielle :elleopposeetrelieenellela connaissance,ausensstrictdumot,quiestl'identificationdel'exis-tenceavecl'obstacleetgnralementlesdterminationsquil'affec-tent, et la vise, qui est son identification avec l'nergie d'migration. 4Reprenonsmaintenantcetteesquisseetachevons-la.-Suppo-sons qu'au freinage par l'obstacle, l'exigence rponde, avec le retard invitable, par un atterrissage. Soit que la dtermination, apporte par l'obstacle,serveaussidemdiationobjective,commeilarrivequand on ajoute 1 1 pour obtenir 2, soit que l'attention, anime par l'ner-gied'application,enaitdcouvertuneautre,auseindelasituation, pourlafaireservircommemoyenterme,soitenfin,commeilarrive d'ordinaire, par [55] l'union de ces deux mouvements a priori et a pos-teriori,larelationobjective,pense,celledelaquellenoussommes partistoutl'heurepouraccderlarelationintimise,sedessine avec son essence trinitaire et se consolide, grce une part de l'ner-gie,fournieparl'exigence,quiluidonnesacohsion.Unefoiscons-truite,elleapparatlafoiscommelacratureetl'expressiondela relation ido-existentielle. Nousavonsmaintenanttoutcequ'ilnousfallaitpourdonnerune image,sommaire,maisexacte,decelle-ci.Larelationido-existentielleestlacroisededeuxoppositions.L'uneestidelle : c'estcellededeuxdterminations,dfiniesjusqu'uncertainpoint, Ren Le Senne, La dcouverte de Dieu [1955]46 semblablesc'est--diremmesetautres,maisd'unemanireindis-cernable,carl'identitetlesdiffrencesquel'analysepourraenti-rer auront t comme telles cres par elle. L'autre est existentielle : c'est le face--face de l'existence et de la structure relationnelle qui luifaitsentirseslimitesprovisoires.Letoutdelarelationido-existentielle est l'esprit. C'est lui qui, par la manire dont il orientera l'exigence suivant les directions que ces deux oppositions indiquent, se fera sa destine. Si l'obstacle n'est pour lui qu'une raison de les tirer dans le sens de la contradiction absolue, il se dchirera et se dgrade-ra,sanspouvoirs'anantir ;s'ilsaitaucontrairelestournerdansle sens de leur convergence, il ouvrira devant son exigence un essor heu-reux.C'estl'espritlui-mmequisefaitsesdrames,puissestour-mentsousagloire.Laphilosophieapourmissiondeservirsonpa-nouissement en lui donnant la connaissance de ses ressources. [56] III Si la construction des catgories n'est qu'un symbole objectif de la gestationdel'espritparlui-mme,ilfaudraitmaintenantentrepren-dre,pourtrefidlelamissiondeladescriptionphilosophique,de driverdelarelationido-existentielle,curdel'exprience,ladi-versit des expriences, aussi bien transcendentales et professionnel-les que caractrologiques, et idiologiques. Nous ne pourrons ici qu'indi-quer les directions de la diffraction transcendentale, dont nous avons dj reconnu l'origine dans le ddoublement de l'nergie d'application et de l'nergie d'migration. Cette diffraction, oppose celle qui produit la distinction relative desespritsparticuliers,estlejaillissementdesdmarchesparles-quellesl'esprit,contradictoirement,alternativementousimultan-ment,prolongelespossibilitsqueluioffrelabidimensionalitdela relation ido-existentielle. Deux couples de mouvements sont sa dis-position. Suivant la direction du pass l'avenir, il peut, par rtrover-sion, se retourner sur la situation ou l'existence en tant que donne ; ouancontraireparproversion,accumulersonnergie,leversaten-Ren Le Senne, La dcouverte de Dieu [1955]47 sion,pourseporterversl'indterminationdel'avenir.Suivantladi-rection de l'existence la dtermination, il peut, par extraversion, se tournerverslesdterminations,extrieureslesunesauxautres ;ou enfin par introversion, revenir vers l'preuve de l'existence intime et continue. Il va de soi qu'aucun de ces termes ne doit tre entendu en un sens exclusivement psychologique. Tout homme est partout pntr par l'Esprit universel. Ilsuffitdecomposerdeuxdeuxcesoptionstranscendentales pourobtenirlesdmarches,quidfiniront[57]lesconditionsetles preuves,surlesquelleslesespritsparticulierspourronts'unir,par rencontre objective ou communion motionnelle. Detouteslesoprationsquicomposentrtroversionetextraver-sion,lascienceestlaplusrigoureuse.Ledoublepostulatenvelopp danslaschmatisationscientifiqueestl'antrioritdelanaturepar rapportausujetetsarductibilitendterminationsmesurableset enrelationspensables.Enpermettantl'espritderetrouveretde reproduirelesoprationsparlesquellesiladifilepassqu'ilen-traneenlui-mme,lesavant,toutenrsolvantl'obstacle,nedonne passeulementl'espritlesmdiationsgrceauxquellescelui-cipeut remanier sa structure, il le confirme aussi dans la foi qu'il est la seule source de tout ce qui est. mesurequelasciences'lvedesrgionslesplussolidesdela nature vers les uvres les plus rcentes et les plus dlicates de l'es-prit, elle prouve son insuffisance. Insensiblement la prvalence de la ncessitsurlavolontserenverse,etlartroversionlecdela proversion ;lanature,quiestl'existenceentantquedonne,sesu-bordonnel'idal,quiestl'existenceentantquedonnante.Celui-ci esttoujoursunerelationentreuneformedtermineetuneme nergtique : la proversion doit donc tre la fois et corrlativement extraversive et introversive. Le moraliste commande l'avenir quand il indiquelanormesuivantlaquellelesfutursdoivents'ordonner.Mais que pourrait tre le devoir ? Rien qu'un mot vain, si le courage du h-ros ne lui prtait sa force et ne la recevait de l'amour. Ilestaislaconnaissanceintellectuelle,scientifiqueouthique, des'entenirauformalisme,parcequ'elleestl'uvredethoriciens aussi loigns de l'urgence que de la cration ; et les hommes ont rai-Ren Le Senne, La dcouverte de Dieu [1955]48 son de traiter la mtaphysique [58] comme un jeu abstrait tant qu'ils n'yreconnaissentpasleretentissementdeleurssouffrancesetde leursespoirs.Onaccordel'intuitionnismesondquandonselaisse ramenerparl'introversionverslesremousintimesoselivrentles drames nergtiques de notre existence. C'est peine si la philosophie acommencladescriptiondecettenergtiquespirituelle,dont l'nergtique physique n'est que la substructure naturalise. Deux expriences s'offrent son tude. La premire, indique par la rtroversion, consiste mnager les nergies qui jaillissent du pass de manire ce que leur harmonie engendre la joie de l'esprit. Il faut s'tre rjoui de ce qui est, avant de vouloir y ajouter ce qui doit tre - cette glorification du donn est la mission de l'art. C'est une esth-tique,nonobjective,maisido-existentielle,qu'ilconvientderecon-natrelejeudesmouvementsraffins,parlesquelsl'objetdevenu beautserttransfigurerl'nergienaturelle.Lasciencelaborela matire dans sa profondeur ; mais elle doit s'arrter loin de l'intimit, puisquelesloisnepeuventservirdemdiationsgnralesqu'raison deleurabstraction.Olasciencecessedefonderlamotricitintel-lectuelle et pratique, l'art commence charmer. lui devrait s'arrter le travail de l'esprit si celui-ci pouvait, sans sedmentir,aboutirquelquetatfinal.Puisquel'infinitluiestes-sentielle, il faut que l'introversion se fasse proversive. Au ple oppos de la science, la rencontre mystrieuse de l'exigence de l'inconnu et duretourversleplusintimedenous-mme,semeutlareligionpure, dont la description est la deuxime tche de la philosophie motionnel-le.Sespostulatstranscendentauxsontl'antrioritdel'existence spirituelle par rapport aux dterminations et de l'nergie par rapport l'analyse. Ce n'est que par une sympathie aussi gnreuse, que celle [59] de l'art est dlicate, et par le truchement d'une symbolique plus propresuggrerqu'montrer,quelaphilosophiepeutessayerde reprsenterlesoprationsmotionnelles,parlesquelleslareligion s'acquittedesamission,quiestdespiritualiserlaspontaniten amour. Ren Le Senne, La dcouverte de Dieu [1955]49 IV Enengendrantlesuvresetlesmouvementsquipermettentaux esprits particuliers de s'unir, la diffraction transcendentale en suppo-se une autre, la diffraction idiologique, qui suscite les histoires indivi-duellesdesujetsdistincts :l'effet,maintenantleplusintime,de l'obstacleestlefractionnementrelatifdel'espritenmessinguli-res.Dsqu'unesituationarelativementcirconscrit,dcoup,ject un secteur de la relation ido-existentielle, au sein duquel l'esprit doit se sentir plus ou moins bloqu et entrav, il y nat la subjectivit, s'y incarne dans un moi comprim et menac. Il ne cesse pas d'imaginer au del de ce qu'il peroit, mais son impuissance prciser suffisamment cequ'ilimagineluifaitressentirsarclusion.Savoiresttoujoursin-termdiaire entre croire et voir : il ne voit pas ce qu'il ignore, mais il ensaitdjbeaucoupensachantquec'estlereste.Ilnecessepas nonplusd'prouverenlui-mmel'ardeurdel'exigence ;maissonim-puissancebousculerinstantanmentl'obstacleleforcedistinguer entrel'exigenceinfinieetlasienne.Enfinilnepeutseconcevoirlui-mme comme attach telle situation, sans commencer sympathiser avecd'autresespritsattachsd'autressituations,etendfinitive avec l'esprit universel, qui est premier par rapport toute dtermina-tion. L'indignationestledsespoirvaincu :ellecommence[60]la conversionparlaquelletoutsujetsedlivredelaconditionhumilie qu'exprimelenommmedesujet.Lesdmarchestranscendentales s'offrent lui comme les intentionalits, dont il doit, dans la situation historiqueoils'esttrouvnatre,fairelesdirectionsdesondve-loppement et de celui de l'esprit. Elles se prolongent dans sa psycholo-gieparlaperceptionetlavolont,parlammoireetlesentiment ; autourdelui,ellessemanifestentparlesfonctionssociales,l'ensei-gnement et l'arme, le thtre et l'glise. mesurequelemois'lvedesonhumilitinitialeversune connaissance largie et une puissance accrue, les dmarches transcen-dentales,quis'offraientluicommedesmoyensdesauvetage,de-Ren Le Senne, La dcouverte de Dieu [1955]50 viennent des voies de salut. Peu peu, suivant que les mobiles de peur, les soucis de scurit, les sentiments ngatifs se changent en mobiles d'amour, en gnrosit, en sentiments positifs, elles se changent elles-mmesenvaleurs.Lascienceconcilieaumoilavrit,quin'estpas seulementlaconstatationd'undonn,maislepressentimentdeson importance ; la morale change le devoir en bien, et le moi ne peut plus nepasl'aimerquandilyareconnulechemindesonpanouissement ; l'art lui prsente la beaut, qui n'est pas seulement l'ordre, mais l'or-dreravissant ;etlareligionluiapprendsedonnerauxautrespar l'amour, sans se perdre. Laphilosophieestdestines'exprimerpardesdterminations : toute dtermination, en ce qu'elle a de ngatif, manifeste la subjecti-vit.C'estdoncdupointdevuedusujetquelephilosophejetteson regardsurlarelationido-existentielle.Commentpourrait-ilfaire plusquenommerl'unitspirituelleverslaquellelessujets,s'ensen-tant spars, s'orientent comme vers le soleil, pour en recevoir lumi-re et nergie ? L'homme la cherche en niant [61] les ngations que lui imposent les obstacles de sa vie. Mais il y a toujours deux manires de nier,l'unequisupprime,l'autrequitranscende.Lapremireestcelle del'immoralit,quidtruitetdgrade.L'autrenepeutenvelopper qu'une vise, la Valeur absolue et infinie. C'est elle que nous supposons auplusintimedetouterelation,sisestermesnesontpasfaitspour sesupprimermutuellement,maispourluiprterleursecoursconver-gent. Que la Valeur sans restriction ni spcification fasse dfaut, tou-tevaleurspcialeetsecondesephnomnise :ellen'estplusqu'une lueur vanescente, l'instant dfaillant, enfin dception. V Depuis que Kant a transcendentalis l'objet, la philosophie a t de plusenplusentraneversl'tudedel'existence.Lebergsonismea pousscemouvementjusqu'l'unedeseslimites ;l'objectivitn'y est plus que le produit dgrad d'une spatialisation. Si prcieux qu'ait t ce forcement pour rendre l'existence au sentiment de soi, il n'en est pas moins vrai que c'est le respect de l'existence mme qui oblige Ren Le Senne, La dcouverte de Dieu [1955]51 aurespectdel'objectivit,puisque,entantquel'objetnousheurte, s'taledevantnous,ettoujoursnoussoutient,ilestundesaspects majeursdel'existence.L'objectivismeatraditionnellementpropos unidald'ordre,etparsuiteentretenulaconfiancedel'homme. l'oublier on risque de livrer la philosophie un existentialisme ngatif, quibientt,Parcequel'exigenceyrpugne,sesublimedansunexis-tentialismeesthtique ;danslecalmedelamditation,loignede l'urgence, on gote l'angoisse, on savoure l'amertume, il est vrai at-tnue, de la souffrance. [62] En cherchant dans la relation ido-existentielle la source des exp-rienceslesplusconcrtesetlesplusprcieuses,aussibiencellesqui conduisentlaparticipationintellectuelleetmoralequecellesqui permettentlaparticipationartistiqueoureligieuse,onsegardede toute partialit pour l'un des modes de la Valeur au dtriment des au-tres ;etsilangationdequelqueobstacle,conflitoulacune,yest toujoursncessaire,dumoinsleSeinzumToden'yestplusqu'une priptie du Sein zum Werte. L'esprit n'y perd ni l'htrognit qui faitlarichessedesmesetdel'exprienceentire,nilesdnivella-tions o il puise son nergie ; il doit seulement tcher que la diversit ne dgnre pas en inimiti, les ruptures d'quilibre en catastrophes. O l'on sait gurir, la maladie s'achve dans les douceurs de la conva-lescence ; o l'on sait convertir, le pch ou la faute achvent la suavi-t spirituelle de la grce ; o l'on sait aimer, la douleur, que les amants se partagent, lve leur amour son extrme puissance. Ren Le Senne, La dcouverte de Dieu [1955]52 [63] La dcouverte de Dieu Chapitre IV Le lien humain Retour la table des matiresLa manire la plus assure d'accder la connaissance du lien la foisvivantetvcuquientretientlasolidaritetladistinctiondes hommes et gnralement des esprits finis est d'carter critiquement les vues partiales qui lui substituent un de ses aspects. Lapartialitthorique.-Lapremirednoncerestcellequiex-prime le parti pris de toute affirmation thorique. En remplaant une rgiondel'existence,plusoumoinssolidairedel'existenceentire, parunsystmededterminations,dfinitions,quations,discours, plan,lethoricienimpliquenaturellementlepostulatdel'identitet par suite de l'quivalence entre une expression thorique et ce qu'elle exprime.Cepostulatconduitdesvrificationsquimanifestentson exactitude dans la mesure o l'esprit se proccupe moins de respecter l'existence comme elle lui est donne et comme il doit la vivre que de selarendrepensableetmaniableenvue,soitd'carterlesdtermi-nations qui gnent ses dsirs, soit de susciter celles dont il prouve le besoin.Pourpasserd'untermeobjectifunautretermeobjectif,il se donne une mdiation objective. Ainsi la thorie rsulte d'une trans-Ren Le Senne, La dcouverte de Dieu [1955]53 formation[64]del'atmosphrementale,dontelledevientlephno-mne, par la mdiation duquel la vise de cette transformation obtient un secours indispensable au succs de sa recherche. La science, forme la plus, prcise de la thorie, est issue d'un complexe d'infriorit que nousressentonsdansl'urgence,puis,proportiondesessuccs,elle se convertit en volont de puissance. Par le savoir dtermin, le tho-ricien, d'esclave de la nature, s'en fait le matre. Il se peut que l'exis-tence lui chappe dans son intimit et sa valeur : il en, tient les rnes. Comment ne serait-il pas tent d'tendre des choses aux hommes, toujours plus ou moins engags dans les choses, la porte d'un postulat qui lui a dj assur, dans beaucoup de cas, la domination sur la natu-re ?Lesactionsd'hommeshommess'exercentparl'intermdiaire dedterminations,etc'ensontencorequelesmanifestationsdes mesdansl'objectivitspatio-temporelle.N'est-ilpaspossible,en forantousautantl'intimitspirituelledontlemystres'intercale entrelesunesetlesautres,deluiimposerdespensesetdesactes dontlasciencesocialedcouvriraitlesconditions ?Ens'levantdes chosesauxhommes,lascience,insensiblement,s