De l’exclusion à l’inclusion bancaire des particuliers en ... · De l’exclusion à...

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Université Lumière Lyon 2 Faculté de sciences économiques et de gestion Thèse de doctorat en sciences économiques Analyse et Histoire Économiques des Institutions et des Organisations De l’exclusion à l’inclusion bancaire des particuliers en France Entre nécessité sociale et contrainte de rentabilité Présentée et soutenue publiquement par Georges GLOUKOVIEZOFF Le 24 novembre 2008 Directeur de thèse : M. Jean-Michel SERVET, Professeur d’Économie, IHEID, Genève Jury : M. Olivier PASTRE, Professeur d’Économie, Université Paris VIII (rapporteur) M. Iain RAMSAY, Professeur de Droit, Université de Kent (rapporteur) M. René DIDI, Directeur du Développement, Fédération Nationale des Caisses d’Épargne M. Pierre DOCKÈS, Professeur d’Économie, Université Lumière Lyon 2 Mme. Nadine RICHEZ-BATTESTI, Maître de Conférences en Économie, Université de la Méditerranée Université Lumière Lyon 2 – 86, rue Pasteur - 69365 Lyon cedex 07

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  • Universit Lumire Lyon 2 Facult de sciences conomiques et de gestion

    Thse de doctorat en sciences conomiques Analyse et Histoire conomiques des Institutions et des Organisations

    De lexclusion linclusion bancaire des particuliers en France

    Entre ncessit sociale et contrainte de rentabilit

    Prsente et soutenue publiquement par

    Georges GLOUKOVIEZOFF

    Le 24 novembre 2008

    Directeur de thse :

    M. Jean-Michel SERVET, Professeur dconomie, IHEID, Genve

    Jury :

    M. Olivier PASTRE, Professeur dconomie, Universit Paris VIII (rapporteur)

    M. Iain RAMSAY, Professeur de Droit, Universit de Kent (rapporteur)

    M. Ren DIDI, Directeur du Dveloppement, Fdration Nationale des Caisses dpargne

    M. Pierre DOCKS, Professeur dconomie, Universit Lumire Lyon 2

    Mme. Nadine RICHEZ-BATTESTI, Matre de Confrences en conomie, Universit de la

    Mditerrane

    Universit Lumire Lyon 2 86, rue Pasteur - 69365 Lyon cedex 07

  • Remerciements

    Sil me fallait nommer et remercier tous ceux qui ont contribu dune manire ou dune autre laboutissement de cette entreprise, je crains fort quil ne faille ajouter un second volume au prsent document dj bien assez long. Je vais donc essayer dtre concis.

    Mes premiers remerciements sont pour celles que je ne nommerai pas, prcisment parce que la nature de leur contribution me linterdit : les nombreuses personnes qui mont fait le plaisir daccepter de rpondre mes questions et de me confier des aspects souvent personnels et dlicats de leur vie prive. Sans leur gentillesse et leur disponibilit alors quelles faisaient face des difficults souvent importantes, tentaient dapporter des rponses aux difficults bancaires ou travaillaient au sein de diffrents rseaux bancaires, cette thse naurait tout simplement pas exist. Jespre leur avoir t fidle mais aussi, indirectement, leur tre utile par les rsultats obtenus.

    Comme toute aventure une origine, cest Jean-Michel Servet quil me faut remercier en priorit. Cest lui le premier qui ma fait confiance en acceptant dencadrer cette thse et en me donnant les moyens daccder mes premiers contrats de recherche. Par son enthousiasme et son refus des ides reues, il ma permis de mener un travail de recherche personnel et motivant. Depuis Lyon, Pondichry ou Genve, ses relectures et conseils mont permis dapprofondir et de structurer des intuitions qui mtaient parfois moins claires que pour lui.

    Ensuite, je suis particulirement reconnaissant aux diffrentes personnes qui mont fait suffisamment confiance pour me confier la responsabilit dtudes et maccompagner pour la plupart au-del de ces seuls engagements contractuels. L encore, cest chronologiquement que je les voquerai.

    Ainsi, Franoise Bruston puis Catherine Gorgeon et Nicole Barrire la Mission de la recherche de La Poste ont, ds le mmoire de DEA, soutenu mon travail. Je leur en suis extrmement reconnaissant. Sans leur soutien, cette thse aurait t beaucoup plus dlicate mener plusieurs reprises.

    Ce sont galement Sophie Richard puis Emmanuelle Gros la Caisse des dpts et consignations et Marie-Thrse Espinasse lObservatoire national de la pauvret et de lexclusion sociale qui mont fait suffisamment confiance pour me confier la premire tude qualitative sur lexclusion bancaire. Quelles sachent quau-del de cette tude, les responsabilits quelles mont accordes ont eu un effet prolong me permettant doser entreprendre des projets dont je me serais sans cela dtourn.

    Ma dette son gard est telle quil faudrait bien plus quun paragraphe pour revenir sur tout ce que ces trois annes de thse Cifre mont apport. Je tiens donc exprimer toute ma gratitude Ren Didi qui ma offert des conditions de travail inespres et qui a prouv que finalits acadmiques et oprationnelles pouvaient tre menes de concert. travers lui, cest tous les membres de la Fdration nationale des caisses dpargne avec qui il ma t donn de travailler, que je tiens remercier. Plus particulirement, je voudrais exprimer ici tout le plaisir que jai eu (et que jai encore) collaborer avec Elodie Asselin-Gressier. Mes remerciements vont galement vers Gisle Lutun et Thierry Penet qui ont eu la patience de dmler mes diffrents problmes administratifs et ont rendu ma vie de salari plus facile.

    Jai galement eu la chance au cours de ces annes de thse de rencontrer des personnalits qui ont non seulement profondment enrichi ma comprhension de mon objet dtude, mais qui mont de plus tmoign leur confiance de nombreuses reprises ce qui pour moi est tout aussi prcieux, si ce nest plus.

  • Parmi ceux-l, certains ont accompagn ma thse sur une priode longue. Je tiens donc remercier trs chaleureusement Alain Bernard, Ren Petit, Herv Pillot et Hugues Sibille pour leur soutien constant et les riches changes que nous avons pus avoir de multiples reprises. Dautres, on crois ma route plus ponctuellement ou plus rcemment sans que cela nenlve rien limportance et la valeur de ces rencontres. Merci Marie-Christine Caffet, Chantal Fazekas, Marie-Thrse Joint-Lambert, Jean-Michel Belorgey et Benot Jolivet pour leurs encouragements et commentaires.

    Il ma galement t donn de participer diffrents comits et dy soumettre mes travaux. Je tiens remercier ici collectivement lensemble des membres du conseil de lObservatoire national de la pauvret et de lexclusion sociale et plus prcisment Agns de Fleurieu sa prsidente, Didier Gelot son secrtaire ainsi que Michel Legros. Je remercie chaleureusement galement les membres du Comits de suivi et dvaluation de lexprimentation Crdit projet personnel du Secours Catholique.

    Ce sont aussi les personnes rencontres loccasion de la dimension acadmique de cette thse que je souhaite remercier. Tout dabord, je dois exprimer ma dette lendroit dIsabelle Gurin qui a guid mes premiers pas de chercheur sur le terrain. Je suis tout aussi redevable lgard de Nadine Richez-Battesti dont le soutien, la relecture attentive et les conseils toujours pertinents mont incit aller lessentiel et mont apport un clairage bienvenu sur des questions me paraissant parfois obscures.

    Il me faut galement souligner les apports du sminaire interne anim par Ludovic Frobert avec la participation active de Mohamed Doumbouya et Karim Touach, et de celui externe anim par Cyrille Ferraton puis David Vallat en collaboration avec Benjamin Steen qui mont incit pousser plus avant et approfondir certaines de mes intuitions.

    Au sein de ce quil faut bien se rsoudre appeler lex-Centre Walras , ce sont ses membres avec qui jai eu le plaisir de partager de nombreux moments conviviaux autour dun caf que je tiens remercier. Plus particulirement, et parce que sans elles ma sant mentale aurait sans doute davantage souffert de cette aventure, il mest important que Carole Boulai, Anne Deshors, Brigitte Esnault et Nicole Mollon sachent que jai conscience de ce que je leur dois. Il en va de mme pour Marion Gaspard dont les encouragements et la critique constructive en fin de parcours mont t particulirement prcieux.

    Au-del du strict monde acadmique, je tiens galement remercier Jane Palier pour son soutien constant, ses nombreuses relectures en dbut de thse et pour sa riche collaboration lors des contrats de recherche que nous menons prsent.

    Je remercie galement Carole, Martine et Bruno qui ont eu beaucoup de mrite daller dbusquer les multiples liberts stylistiques et grammaticales que je mtais octroyes. Je doute quils soient cependant parvenus venir bout de toute ma crativit.

    Je profite aussi de loccasion pour saluer et remercier toutes celles et tous ceux qui dans la mesure o nos relations nont rien de professionnelles ne liront probablement que ces lignes (sauf peut-tre Eddy, ce qui donnera lieu jen suis sr un dbat passionn). Ils et elles ont t les victimes collatrales de toutes ces annes de thse, mais ont su en faire un sujet de plaisanteries qui, a dfaut dtre trs originales, ont eu le mrite den resituer limportance relle. Jen suis navr mais il va falloir vous renouveler !

    Enfin et surtout, mes remerciements vont vers celle qui a suffisamment support les tats dme dun doctorant. Look Caroline, I did it !!! And you wont have to call me doctor ! Thanks millions for your patience and support ; it wouldnt have been as easy without you.

  • SOMMAIRE

    INTRODUCTION GENERALE

    PARTIE I. LEXCLUSION BANCAIRE DES PARTICULIERS : UN PHENOMENE SOCIAL

    CHAPITRE 1. VERS UNE DEFINITION DE LEXCLUSION BANCAIRE DES PARTICULIERS

    CHAPITRE 2. LA FINANCIARISATION

    CHAPITRE 3. LES CONSEQUENCES DES DIFFICULTES BANCAIRES DACCES OU DUSAGE

    PARTIE II. PRESTATION DE SERVICES BANCAIRES ET INCERTITUDES

    CHAPITRE 4. LE CREDIT : DES RELATIONS DE LONG TERME POUR REDUIRE LES INCERTITUDES

    CHAPITRE 5. DE LINCERTITUDE DE LA RELATION DE CREDIT A LINCERTITUDE DE LA PRESTATION DE SERVICES

    BANCAIRES

    CHAPITRE 6. RELATION DE SERVICE ET REDUCTION DE LINCERTITUDE SUR LA QUALITE DU RESULTAT

    CHAPITRE 7. LA MODERNISATION AMBIVALENTE DE LA BANQUE DE DETAIL

    PARTIE III. PRESTATION DE SERVICES BANCAIRES INAPPROPRIEE ET DIFFICULTES

    BANCAIRES

    CHAPITRE 8. LE COPILOTAGE A LEPREUVE DES BESOINS SPECIFIQUES DES CLIENTS EN DIFFICULTE

    CHAPITRE 9. CARACTERISTIQUES TECHNIQUES DE LA PRESTATION ET DIFFICULTES BANCAIRES DACCES ET

    DUSAGE

    CHAPITRE 10. QUELLES REPONSES A LEXCLUSION BANCAIRE ?

    CONCLUSION GENERALE

  • La Banque est plus que les hommes, je vous le dis. Cest le monstre. Cest les hommes qui lont cr, mais ils sont incapables de le diriger

    John Steinbeck Les raisins de la colre

    Nos recherches ne mritent pas une heure de peine si elles ne devaient avoir quun intrt spculatif

    mile Durkheim De la division du travail social

  • Introduction Gnrale

    La crise financire dite des subprimes a rappel brutalement la place essentielle quoccupent

    les tablissements bancaires et leurs produits1 au cur des socits modernes. Alors quelle a

    dbut depuis lt 2007, il est toujours impossible dvaluer son ampleur et ses

    consquences. lorigine de nature financire et limite un march particulier (celui des

    titres adosss aux fameux crdits subprimes amricains), elle est aujourdhui devenue

    conomique et mondiale et pourrait demain tre politique et sociale. Bien quils ne soient pas

    les seuls responsables et que les mcanismes qui expliquent cette crise et son ampleur ne sy

    limitent pas, le rle jou par les tablissements bancaires y est central.

    Plus prcisment, si lon se concentre sur les relations de ces tablissements avec la clientle

    des particuliers, on remarque que ce couple se trouve aux deux extrmits du processus.

    lorigine de la crise, il sagit dun dysfonctionnement de la relation tablie par certains de ces

    tablissements avec la clientle des particuliers : loctroi de crdits immobiliers des mnages

    aux revenus extrmement faibles qui, pour nombre dentre eux, nont pu les rembourser. En

    aval de la crise financire, la relation bancaire pourrait aujourdhui de nouveau tre la source

    dune crise conomique globale. Une clientle plus large que celle initialement concerne se

    voit prive daccs au crdit en raison du resserrement des conditions pratiques par les

    tablissements bancaires. Limpossibilit de financer des besoins qui demandent une

    trsorerie dont ces personnes ne disposent pas, ou la potentialit du surendettement en raison

    de leur incapacit honorer des engagements financiers prexistants, les confrontent trs

    directement au processus dexclusion sociale.

    Bien sr les implications de la crise des subprimes dpassent largement les seules relations

    entre tablissements bancaires et particuliers et les enseignements en retirer sont aussi

    nombreux que complexes. Toutefois, du point de vue des particuliers, cette crise a deux

    implications majeures. La premire est dexacerber des difficults prexistantes : les questions

    de slection bancaire de la clientle ou les problmes de surendettement ne sont pas des

    ralits nouvelles ni des thmatiques inexplores au sein du dbat public ou scientifique. La

    1 Nous ferons rfrence aux produits et non aux produits et services bancaires pour dsigner les lments

    commercialiss par les tablissements de crdit dans le cadre de la prestation quils proposent leurs clients (y compris le conseil). Le terme service est alors rserv la prestation elle-mme.

  • Introduction gnrale

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    seconde est de souligner sans pour autant les condamner les limites de rponses

    techniques comme la titrisation pour amliorer laccs aux produits bancaires des particuliers

    qui en semblent le plus loigns. Ds lors, par son ampleur et la gravit de ses consquences,

    cette crise rend imprative et urgente la ncessit de trouver des rponses originales aux

    difficults bancaires que connaissent les particuliers. Bien quelle ne traite pas directement de

    la crise des subprimes, cette thse se propose de contribuer modestement la recherche de ces

    rponses, par lanalyse du processus dexclusion bancaire.

    Section 1. Objectifs de la thse

    Lobjectif de cette thse est de comprendre, partir principalement du cas franais, ce

    quest lexclusion bancaire des particuliers, den analyser les causes et les consquences,

    afin de proposer des pistes de rponse appropries2.

    Nous entendons par exclusion bancaire des particuliers le processus par lequel une

    personne rencontre de telles difficults bancaires daccs ou dusage quelle ne peut plus

    mener une vie sociale normale dans la socit qui est la sienne (Gloukoviezoff, 2004a)3.

    Dans la mesure o notre tude porte exclusivement sur laccs et lusage des produits que

    sont le compte de dpt, les moyens de paiement scripturaux et les crdits de trsorerie, nous

    parlons ici dexclusion bancaire et non dexclusion financire. Celle-ci englobe lexclusion

    bancaire et y intgre galement les difficults lies laccs ou lusage de produits financiers

    (crdits immobiliers, produits dpargne et dinvestissement et dassurance). Ces difficults

    seront parfois tudies ponctuellement, mais ne sont pas au cur de notre rflexion.

    Une telle dfinition implique de proposer de nouvelles rponses diffrentes questions :

    pourquoi certaines personnes peuvent accder aux produits bancaires et dautres non ?

    Pourquoi celles qui y ont accs rencontrent parfois des difficults conduisant linterdiction

    bancaire ou au surendettement ? Quelles sont les consquences, pour les personnes, dun

    accs inappropri ou inexistant aux produits bancaires ? Pourquoi rencontrer des difficults

    bancaires peut engendrer de telles consquences ?

    Pour apporter des rponses ces questions, nous mettrons au jour au cours de cette thse les

    modalits darticulation de trois lments clefs : lexclusion bancaire des particuliers, la

    prestation de services bancaires et le cadre institutionnel qui caractrise la socit franaise

    (schma 1).

    2 Sont surligns en gras les lments ou rsultats essentiels de cette thse. 3 La premire partie de la thse revient longuement sur llaboration et la justification de cette dfinition.

  • Introduction gnrale

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    Schma 1 : Les trois lments clefs de la thse

    Source : laboration personnelle.

    Notre dfinition de lexclusion bancaire repose entirement sur le lien entre les difficults

    bancaires (relation A) dun ct et leurs consquences sociales (relation B) de lautre. Ce lien

    rend indispensable de dpasser une analyse se limitant aux relations entre clients et

    tablissements de crdit4 (relation A). Celle-ci peut clairer le dveloppement des difficults

    bancaires mais dune part, elle ny parvient que partiellement, et dautre part, elle nexplique

    en rien lexistence de consquences sociales. Le rle du cadre institutionnel doit alors tre

    intgr lanalyse (relation C et B).

    Les volutions connues par le cadre institutionnel franais ont eu un double effet.

    Principalement depuis le milieu du XXe sicle, elles ont progressivement rendu les produits

    bancaires incontournables pour mener une vie sociale normale expliquant ainsi les

    consquences exprimentes par ceux confronts des difficults bancaires (relation B). Puis,

    partir du dbut des annes 1980 et la domination de lidologie nolibrale, elles se sont

    traduites par une remise en cause de la tutelle tatique sur le secteur bancaire au profit dune

    rgulation par le march croissante (relation C). Ces volutions que nous regroupons sous

    lexpression dintensification de la financiarisation des rapports sociaux conduisent la

    situation o laccs appropri aux produits bancaires est devenue une ncessit pour

    lensemble de la population alors mme que les prestataires qui les commercialisent,

    sont soumis des contraintes marchandes croissantes. Cette situation est la clef de

    comprhension de lexclusion bancaire.

    En ayant dfini le contexte dans lequel la prestation de services bancaires se dveloppe, il

    nous est alors possible den donner voir les objectifs et contraintes des acteurs, et donc les

    causes des difficults bancaires (relation A). Plus prcisment, nous pouvons dmontrer en

    4 tablissements de crdit est le terme gnrique pour lensemble des tablissements financiers en contact

    avec la clientle de particuliers. Nous prciserons lorsque nous dsignerons spcifiquement les tablissements de crdit spcialiss (appellation restreinte dans le cadre de cette thse aux fournisseurs exclusifs de crdit revolving comme Cofinoga, Cetelem, Sofinco, etc.) et les banques de dtail ou banques (Caisses dpargne, Socit Gnrale, Banque Postale, etc.).

    Prestation de services bancaires

    Cadre institutionnel

    Exclusion bancaire Relation B

    Relation C

    Relation A

  • Introduction gnrale

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    quoi les rgles et normes daccs et dusage dfinies par les tablissements de crdit5 pour

    atteindre leurs objectifs de rentabilit et de matrise du risque, entrent en contradiction avec

    les besoins et pratiques bancaires dune partie de la clientle confrontes aux difficults

    structurelles ou conjoncturelles. Cette inadquation entre les caractristiques de la

    prestation propose et celles des besoins satisfaire est la source des difficults

    bancaires potentiellement sources dexclusion bancaire. Toutefois, pour en comprendre les

    diffrentes facettes, nous oprons une rupture au regard dune lecture de la relation bancaire

    comme la rencontre dune offre et dune demande sur un march. Nous lui prfrons une

    analyse selon laquelle le rsultat de la prestation est le fruit de la collaboration6 dans la

    dure du prestataire et du client. Cela nous permet de mettre en lumire comment les

    stratgies adoptes par les acteurs de la prestation pour tenter datteindre, sous contrainte,

    leurs objectifs respectifs peuvent entrer en contradiction et aggraver la situation initiale. Il

    nous est prsent possible de formuler les diffrentes ambitions de cette thse.

    Tout dabord, nous entendons montrer en quoi lexclusion bancaire est avant tout un fait

    social et non simplement le rsultat dinteractions malheureuses entre un client et son

    banquier7. Les causes des difficults bancaires et leurs consquences sont donc rechercher

    au sein de la relation bancaire mais en faisant systmatiquement le lien avec le cadre

    institutionnel au sein duquel celle-ci prend place. Afin de permettre une analyse pousse de ce

    cadre institutionnel, nous centrons nos investigations sur la socit franaise.

    Ensuite, nous entendons donner voir en quoi labsence de compte bancaire ou de moyens de

    paiement scripturaux, laccumulation de frais bancaires, linterdiction bancaire, ou bien

    encore le surendettement, sont des facettes du mme processus quest lexclusion bancaire.

    Nous montrerons que ce processus a des consquences non seulement au niveau des

    personnes mais galement celui de la socit dans son ensemble.

    Enfin, cest partir de la comprhension de ces diffrents lments quil nous est possible de

    tracer des voies de rponse lexclusion bancaire. Celles-ci ciblent les caractristiques de la

    prestation de services bancaires puisquelle est au cur du dveloppement des difficults

    5 Ces rgles et normes daccs et dusage correspondent aux modalits dvaluation du risque, de la solvabilit et

    des besoins des clients, aux caractristiques des produits (leur cot, leur mode de fonctionnement, etc.), la place accorde au conseil personnalis, aux procdures de gestion des incidents (tarification, modalits de recherche de solution, etc.).

    6 La ncessit de cette collaboration ne prjuge pas de sa qualit. La prestation peut tout fait se caractriser par une collaboration de trs mauvaise qualit entre client et prestataire.

    7 Par banquiers nous dsignons les employs de banque en contact avec la clientle. Ils peuvent tre guichetiers, conseillers commercial, tl-conseillers, ou directeurs dagence. Nous prciserons leur fonction seulement lorsque cela sera utile.

  • Introduction gnrale

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    bancaires. Toutefois, elles ne peuvent tre efficaces en labsence dune rflexion portant sur

    leur cadre institutionnel. Cest pourquoi nous envisageons galement les amliorations

    pouvant tre apportes aux modalits de rgulation du secteur bancaire.

    Les paragraphes prcdents nous permettent prsent de tracer avec prcisions les frontires

    de notre objet dtude. Nous navons pas lambition de proposer une analyse exhaustive des

    relations entre les banques et leurs clients, pas plus quil nest question de saisir toute la

    varit du rle social des produits bancaires. Si ltude de lexclusion bancaire des particuliers

    requiert lexploration de ces deux dimensions, notre ambition est limite. Cette thse ne porte

    que sur les relations bancaires dans les temps forts de leurs checs, et le rle social des

    produits bancaires nest considr quen lien avec le processus dexclusion sociale et les

    questions de cohsion sociale. Il sagit donc de se saisir dun aspect limit et prcis de la

    relation entre les banques et les particuliers mais de lanalyser dans sa globalit en prenant

    simultanment en compte la diversit de ses causes et de ses consquences.

    Section 2. Problmatique et hypothses

    Nous nous proposons danalyser le processus dexclusion bancaire en adoptant la

    problmatique suivante :

    Le phnomne dexclusion bancaire des particuliers peut-tre compris comme le rsultat

    de linadquation entre la ncessit pour les personnes de recourir aux produits

    bancaires et la contrainte de rentabilit croissante qui pse sur les tablissements de

    crdit les distribuant.

    Les rsultats attendus de cette thse et les hypothses affrentes labores partir de nos

    enqutes de terrain sont alors les suivants :

    - Proposer une dfinition oprationnelle du phnomne dexclusion bancaire des

    particuliers en faisant lhypothse quil est ncessaire pour cela de considrer

    simultanment les difficults bancaires daccs et dusage et de les lier

    systmatiquement leurs consquences sociales.

    - Montrer en quoi les produits bancaires sont aujourdhui une composante

    incontournable de lappartenance sociale des personnes en faisant lhypothse que ce

    rle dcoule du processus dintensification de la financiarisation des rapports sociaux.

    - Mettre en vidence que les difficults bancaires que connaissent les particuliers ne

    peuvent tre comprises sans considrer les caractristiques de la prestation dfinies par

  • Introduction gnrale

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    les tablissements bancaires en faisant la double hypothse que cest le caractre

    inappropri des caractristiques de la prestation aux besoins spcifiques dune partie

    de la population qui provoque ces difficults, caractristiques qui sexpliquent par les

    choix retenus par les tablissements en raison de la double contrainte technique de

    rduction de lincertitude, et financire de rentabilit.

    - Sinterroger sur la pertinence des rponses existantes pour prvenir lexclusion

    bancaire ou en limiter les consquences en faisant lhypothse que la rgulation du

    secteur bancaire en est llment clef en permettant la prise en compte approprie des

    besoins des personnes ne prsentant pas un intrt commercial suffisant pour les

    tablissements de crdit pour tre servis de manire approprie.

    Lobjectif oprationnel de cette thse nest pas poursuivi au dtriment de toute thorisation. Il

    est ainsi ncessaire de se doter dune grille de lecture adquate qui permette de construire des

    hypothses afin dexpliquer le rel. Cette dmarche prenait dautant plus dimportance que

    nous avons constat labsence de travaux portant sur ce sujet en France lorsque nous avons

    dbut cette thse.

    Il nous a donc fallu construire des donnes originales permettant lanalyse et la

    conceptualisation. Cest cette dmarche de recherche quil faut prsent rendre explicite. Plus

    prcisment, il sagit de dfinir les principes pistmologiques gnraux qui ont guid notre

    travail (section 3) puis les outils de collecte et danalyse des donnes (section 4) ainsi que leur

    mise en uvre (section 5) avant de pouvoir prsenter la structure de la thse (section 6).

    Section 3. Les choix de la socio-conomie : une approche normative,

    institutionnaliste et comparative

    Comprendre le phnomne dexclusion bancaire des particuliers est donc lobjectif de cette

    thse. Le but est den saisir la fois les causes et les consquences pour laborer une grille de

    lecture permettant de penser des rponses pertinentes. Pour cela, nous optons dans ce travail

    pour un regard socio-conomique tel que dfini par Jean Gadrey (2003) (encadr 1) qui ancre

    la production de la connaissance scientifique dans lempirie et les rfrences aux pratiques

    conomiques concrtes.

    Encadr 1 : Une approche socio-conomique

    La socio-conomie nest pas une discipline, cest une faon de faire de lconomie en articulant les mthodes classiques de lconomie et certains outils emprunts dautres sciences sociales (en premier lieu la sociologie et lhistoire). Cela permet de socialiser les "agents conomiques" en les considrant comme des acteurs sociaux dont les comportements et calculs sinscrivent dans des rgles, des institutions et des

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    conventions (Gadrey, 2003, p. 3). Gadrey insiste ensuite sur la pertinence dune telle dmarche dans le cadre de notre propre recherche qui suppose lanalyse de la prestation de services bancaires : Les services sont particulirement concerns par cet "encastrement" social de lconomie. Pour (mieux) comprendre lconomie des services, il faut (aussi) analyser les socits de services, les relations de service, les rgles et les institutions correspondantes (ibidem). Ce sont prcisment les objectifs que nous nous sommes fixs dans cette thse.

    Ce choix repose sur un postulat : on ne pourra comprendre le phnomne dexclusion

    bancaire quen tant attentif aux motivations contextualises des acteurs : il importe en effet

    de mettre au jour les lments qui sous-tendent les processus de dcision sous-jacents aux

    pratiques bancaires des particuliers, mais aussi ceux des banquiers avec qui ils sont en

    relation. Pour cela, il est ncessaire dintgrer les contraintes (droits et obligations,

    environnement social et politique) pesant sur ces pratiques, ainsi que le sens que les acteurs

    confrent ces pratiques. Lintgration dans lanalyse, des institutions8 mais aussi des valeurs

    morales est alors une ncessit absolue. Pour cela, nous avons opt pour une approche qui

    articule la dimension normative de la notion de capabilit emprunte Amartya Sen (1993)

    (1), et celle institutionnelle des conceptualisations de la relation dchange labores par

    Karl Polanyi (1975, 1983) et Jean Gadrey (1994a, b, c) (2). Ces deux choix supposent

    dadopter une dmarche comparative (Weber, 1965) pour parvenir en saisir les mcanismes

    et subtilits (3).

    1. Dpasser le positivisme no-classique la faveur dune approche en

    termes de capabilits

    la figure abstraite de lhomo oeconomicus, individu isol et calculateur, nous avons prfr

    une conception socialise des personnes. Cette conception revient considrer que les

    actions, et les dcisions qui les prcdent, sinscrivent dans un ensemble de droits et

    obligations qui les contraint autant quil les rend possibles. Adopter cette approche des faits

    conomiques a une implication majeure : rompre avec les hypothses de lconomie standard9

    qui rduisent les modalits de coordination des agents au march et leur rationalit

    loptimisation (Favereau, 1989). Dun point de vue mthodologique, cette remise en cause est

    double. Elle porte sur le statut et les viss de la pratique scientifique et sur le statut de la

    8 Corei (1995) dfinit linstitution comme : un terme gnrique en rsonance avec les notions dorganisation,

    de communaut, de groupement, de collectif ; de rgles morales religieuses, laques ou juridiques ; de valeurs, de conventions, de normes. Il sagit encore de conduites, dactivits prives ou collectives ainsi que leurs supports et, en amont, de manires de faire, de penser et de percevoir [] Une fois filtre la polysmie du concept dinstitution, il reste lide dun ensemble de "rgles du jeu" sociales ou dune communaut particulire allant des coutumes au droit ou la constitution dune nation (pp. 8-9).

    9 Ladjectif standard dsigne tout ce qui, en thorie conomique sappuie, pour sa validit formelle ou son interprtation analytique, sur la thorie de lquilibre gnral (Favereau, 1989, p. 277).

  • Introduction gnrale

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    connaissance et ses modes dapprhension. Cest partir du constat dIsabelle Gurin (2000)

    quant au caractre insatisfaisant des explications apportes par lconomie du bien-tre

    standard aux pratiques montaires de femmes en situation de prcarit, que nous donnons une

    brve justification de cette remise en cause avant den explorer les implications10.

    A. La remise en cause du positivisme no-classique

    Encore largement hritire du tournant positiviste des annes 1930, lconomie standard ne

    retient gnralement comme critre dvaluation des situations dingalit ou de prcarit

    quun critre defficience conomique. Les ingalits ou la prcarit ne sont pas

    condamnables en soi mais seulement si elles se rvlent inefficientes Les valeurs sous-

    jacentes aux choix des individus (utilits ou prfrences) sont considres comme des boites

    noires, lconomiste se refusant de les valuer ou de les interroger, et devant les considrer

    comme donnes. En matire dvaluation des politiques conomiques possibles et

    notamment les politiques de redistribution, ou de lutte contre lexclusion bancaire on se

    contente encore souvent de considrer la hirarchie entre les diffrents tats possibles de

    lconomie tablie partir des prfrences personnelles, et dappliquer un critre de Pareto :

    la situation est considre optimale au sens de Pareto sil est impossible de modifier la

    rpartition sans affecter lutilit dau moins lun des individus. Aux dcideurs politiques de

    choisir entre les diffrents tats. La force de cette argumentation est la neutralit des

    critres qui prsident la dsignation de la situation optimale. La scientificit de lconomie

    du bien-tre, et de lconomie standard en gnral, repose sur le respect des critres noncs

    par Karl Popper dans son ouvrage de 1963 (Popper, 1985) : une thorie scientifique se doit

    dtre rfutable, cest dire quelle doit noncer les conditions exprimentales de sa

    confirmation ou de son infirmation. Lconomie standard propose ainsi une approche

    hypothtico-dductive, proposant a priori des prdictions qui seront soumises la rfutation

    par des tests empiriques. Les thories de lconomie standard seraient ainsi linstar des

    sciences naturelles : objectives car dbarrasses des jugements de valeur, et universelles aussi

    longtemps que leurs prdictions ne sont pas rfutes par lexprience.

    Or, cette neutralit de lconomie du bien-tre ne nous semble quapparente. Comme le

    remarque Emmanuel Picavet (1999), le jugement selon lequel il faut laisser chaque individu

    10 Notre dmarche sinscrit plus largement la suite des travaux raliss au sein de lquipe organise autour de

    Jean-Michel Servet dveloppant une approche comprhensive et incluant systmatiquement une dimension qualitative. Parmi les travaux de ce groupe, on notera notamment les thses de Jrme Blanc (1998), David Vallat (1999), Isabelle Gurin (2000) et Solne Morvant-Roux (2006) ainsi que celles en cours de Jane Palier et Cyril Fouillet.

  • Introduction gnrale

    17

    choisir sans entrave ce que cet individu juge le mieux adapt la satisfaction de ses gots

    lorsque cela ne gne pas les autres est lui-mme un jugement normatif (p. 847). Cette

    normativit peut tre justifie (Picavet 1999). Mais elle nest pas pertinente pour notre objet.

    Elle suppose fondamentalement que sont rgls, ex ante, les problmes au cur de lexclusion

    bancaire : la facult de choisir sans entrave , la dfinition de ses gots par chacun, etc.

    Ces lments, considrs comme donns par lconomie standard, sont selon nous le fruit

    dapprentissages, de contingences, qui sont souvent au cur mme du processus dexclusion.

    En outre, le principe dunanimit retenu slectionne demble ces configurations dans

    lesquelles la satisfaction du bien-tre individuel (socle de lvaluation collective) ne

    gne pas les autres : impossible prsuppos pour penser la relation de service bancaire dont

    le rsultat dpend dune collaboration des acteurs et non dun systme de prix donns, comme

    nous le verrons ultrieurement.

    Ensuite, la notion dexclusion ne peut tre rduite une valuation en termes defficience, ou

    defficacit conomique. On peut bien sr chercher en valuer, demble et dun point de

    vue macroconomique, les cots (ou les avantages) conomiques, mais nous pensons que ce

    serait passer ct des dimensions relatives et morales du processus dexclusion bancaire.

    Ces dimensions doivent pourtant tre intgres lanalyse si lon veut obtenir une

    comprhension intime des mcanismes luvre. Or, nous pensons, la suite de Bazzoli

    (1994), et de Gurin (2000), que lobjectif dune science conomique ne doit pas tre

    cantonn la prdiction, mais doit galement correspondre la comprhension et la

    rsolution concrte de problmes. lapproche en termes de thorie du bien-tre nous avons

    donc prfr ici une autre normativit, susceptible dintgrer ces lments et fonde sur la

    notion senienne de capabilit.

    B. Lapproche normative des capabilits

    Avoir men nos premires recherches sur lexclusion bancaire des particuliers aux cts de

    Gurin (Gloukoviezoff & Gurin, 2002a et b), nous a donn voir toute la pertinence du

    concept de capabilit dvelopp par Sen (1983, 1993, 1999, 2000a et b) pour analyser les

    mcanismes du processus dexclusion sociale11.

    Selon Sen, la capabilit reflte la libert de mener diffrents types de vie. Une vie peut se

    dfinir de faon large ou troite. De plus, nous avons aussi des objectifs et des valeurs

    11 Sen parle de pauvret mais nous verrons dans le chapitre 1 que lapproche des capabilits et celle en terme

    dexclusion sociale sont tout fait cohrentes.

  • Introduction gnrale

    18

    concernant dautres choses que les types de vie que nous pouvons mener, et notre aptitude

    les raliser est galement une question de libert au sens large (Sen, 1993, p. 218). Ds

    lors, une personne peut tre considre comme pauvre lorsque sa libert relle dtre et dagir

    c'est--dire son autonomie, est restreinte. En renouvelant les thories de la justice par laccent

    mis sur la rduction de lautonomie, Sen invite mettre au cur de lanalyse les questions

    dquit et de libert tout autant que defficacit. Cest en se sens que notre approche est

    normative. la suite de Sen, nous pensons que lautonomie des personnes est une chose

    bonne en soi et que son dveloppement constitue la finalit de nos travaux.

    Le concept de capabilit conduit considrer simultanment les caractristiques individuelles

    des personnes et le contexte dans lequel elles se trouvent. Il ne se limite pas aux capacits

    individuelles. Sen offre une lecture des actions individuelles intgrant les contraintes sociales

    qui psent sur les personnes. Ainsi, ce sont les droits et obligations que son approche permet

    de saisir tout autant que la place des jugements moraux, quils soient propres aux personnes

    ou celles qui constituent leurs diffrents rseaux sociaux. Cette conception de laction

    socialise peut tre rapproche de celle de lconomie institutionnaliste pour laquelle : il

    faut considrer le sujet de laction sociale comme mme dagir non seulement en tant

    quindividu isol et centr sur lui-mme, mais aussi comme membre dune famille (et agissant

    dans le sens des intrt de sa famille), dun groupe de pairs, de diverses organisations et

    institutions, ou dune ou plusieurs communauts sociales politiques ou religieuses (et agissant

    pour leur compte), etc. Plus gnralement, mme de simples acteurs conomiques ne peuvent

    pas tre considrs purement et simplement comme des calculateurs maximisateurs. Ils

    essaient aussi de trouver du sens ce quils font (Caill, 2007, pp. 42-43) 12.

    En subordonnant le critre de lefficience qui seul mne une situation dictatoriale comme la

    montr Kenneth Arrow13, ceux dquit et de libert, Sen induit que la question de la justice

    sociale ne peut tre rsolue que par un processus ngoci et donc politique permettant les

    arbitrages dus aux tensions entre ces trois critres (efficience, quit, libert). Cette approche

    est au cur dune conomie institutionnaliste qui se fixe pour objectif de contribuer la

    construction dune communaut dmocratique dont la caractristique est de se soucier de

    12 propos des obligations qui psent sur les personnes, Sen prcise dailleurs que les devoirs relatifs lagent

    peuvent en outre se fonder sur dautres liens que la parent et laffection, et peuvent mme reflter des relations conomiques ou politiques, par exemple ce quun citoyen doit un autre. (Sen, 1993, p. 284).

    13 Le thorme dimpossibilit dArrow montre que, sil y a au moins deux individus et au moins trois options classer, il est impossible de construire une relation de prfrence collective qui respecte les prfrences individuelles (conditions duniversalit, dindpendance et dunanimit ou principe de Pareto) sans que lun des individus ne devienne despote (ce qui contrevient la condition de non-dictature).

  • Introduction gnrale

    19

    manire effective de donner du pouvoir (empower) au plus grand nombre possible de gens et

    qui le prouve en les aidant dvelopper leurs capabilits (Caill, 2007, pp. 43-44).

    Que ce soit par sa conception de laction individuelle ou de la justice, lapproche de Sen

    implique de considrer la pluralit des valeurs. Cest dailleurs pour cela quil ne fixe pas une

    liste universelle de capabilits : il existe plusieurs visions morales du monde et chacun a sa

    propre opinion sur ce quest une vie panouie. Gurin (2000) partir du constat de Robert

    Salais (1998) explique que cette conception pluraliste des valeurs suppose pour tre mise en

    uvre concrtement, que soient analyses les complmentarits entre justice globale et locale.

    Autrement dit, il est ncessaire de tenir compte de la manire dont les acteurs locaux

    sapproprient les principes gnraux et les mettent en uvre.

    Compte-tenu de notre objet dtude, cette problmatique se manifeste dans les relations entre

    clients et banquiers lorsque prcisment diffrents principes gnraux pourront tre mobiliss

    dans la ralisation de la prestation mais galement au sein des dispositifs alternatifs supposs

    apporter des rponses aux problmes issus de la relation bancaire en agence. Les problmes

    poss tiennent autant la multiplicit et la possible opposition des registres mobiliss par les

    acteurs pour lgitimer leurs dcisions (Boltanski & Thvenot, 1991), quaux ajustements

    locaux du principe gnral qui, sils peuvent en amliorer lefficacit, peuvent galement

    laisser place larbitraire (Elster, 1992).

    2. Le point de vue institutionnaliste : Des liens de clientle aux relations de

    service

    Plus largement, ce sont les droits et obligations qui psent sur les actions des personnes et

    donc lenvironnement social et politique de la relation bancaire quil faut considrer pour

    pouvoir donner sens aux pratiques des acteurs et en comprendre la logique. Lanalyse de la

    relation bancaire comme relation conomique marchande ne peut donc se faire de manire

    dsencastre des rgles et institutions qui en permettent et contraignent la ralisation.

    De fait, notre analyse sinscrit dans la ligne des nombreux travaux inspirs par la

    dconstruction du mythe du March autorgulateur et par le renouvellement de lanalyse

    des changes marchands propos par Polanyi (1975, 1983). Dans son Quasi-manifeste

    institutionnaliste, Alain Caill (2007) prcise que cette approche place en son cur

    quaucune conomie ne peut fonctionner en labsence dun cadre institutionnel (p. 38) et

    que les institutions conomiques sont troitement enchevtres avec des normes politiques,

    juridiques, sociales et thiques, et quelles doivent toutes tre tudies et penses en mme

  • Introduction gnrale

    20

    temps (pp. 38-39). Les pratiques bancaires des personnes en difficult et des banquiers

    seront donc analyses ici en tenant compte de ces lments afin den comprendre les logiques.

    La vise oprationnelle de notre travail doit ainsi entrer en cohrence avec le projet dune

    conomie politique institutionnaliste dont lune des ambitions principales [] est de

    parvenir dterminer le meilleur agencement institutionnel pour une socit donne un

    moment donn (Caill, 2007, p. 45).

    Cependant, nous ne nous sommes pas restreint au cadre danalyse dun auteur particulier ou

    dune cole de pense spcifique (conventionnaliste, rgulationniste, etc.). Nous avons

    construit un cadre danalyse ad hoc en puisant dans les outils qui permettaient le mieux selon

    nous de rendre compte des processus et pratiques que nous observions et de sarticuler de

    manire cohrente. Cest ainsi quen complment de lapproche sennienne en termes de

    capabilits, nous avons eu recours lanalyse des relations de service propose par Gadrey

    aprs avoir fait un dtour thorique par la conception polanyienne des relations dchange.

    Lanalyse de lexclusion bancaire passe obligatoirement par lanalyse de la relation qui

    stablit entre le client et la banque. De ce point de vue la thorie conomique standard offre

    une lecture totalement asociale de la relation dchange. Elle ne suppose aucun lien antrieur

    ou postrieur entre des cocontractants anonymes qui ont pour seul statut celui doffreur ou de

    demandeur. La relation dchange se rsume en fait un contrat qui ne lie les individus que le

    temps quil dure c'est--dire jusquau paiement qui met fin la relation. Les relations de crdit

    offre une petite particularit car elles sinscrivent dans la dure. Toutefois, cela ne remet pas

    en cause les lments prcdents puisque cette dure nest envisage que dun point de vue

    instrumental. En effet, elle est seulement un moyen daccrotre les mcanismes incitatifs qui

    permettent de rduire lincertitude lie aux imperfections de march14.

    Une telle conceptualisation est incapable de saisir ce qui se joue vritablement entre le client

    et le banquier et les raisons pour lesquelles les difficults bancaires se dveloppent. Il est

    indispensable pour cela de saisir comment sarticulent relation sociale et relation marchande.

    Cest ce que Servet et al. (1999) mettent en valeur partir de la distinction entre place de

    march et lien de clientle , inspire de Polanyi (1975) (place de march/port de

    commerce). La place de march dsigne une relation o les partenaires de la

    transaction sont supposs gaux, o le contrat est achev par le paiement et o il ny a pas de

    mmoire des oprations (Servet et al., 1999, p. 123). Elle renvoie la conceptualisation de

    lconomie standard. Au contraire, le lien de clientle se prsente comme une relation

    14 Ces lments sont dvelopps dans la revue de la littrature de notre deuxime partie (chapitre 4).

  • Introduction gnrale

    21

    qui se reproduit et se perptue dans le temps et qui peut tre de type hirarchique. [Elle] met

    en avant les principes de confiance et de temporalit (Servet et al., 1999, p. 123).

    Cette analyse en termes de lien de clientle nous a permis initialement danalyser les relations

    qui stablissent entre clients bancaires et agents de La Poste, que nous avons compares dans

    une tude de 2004, la relation stablissant entre les usagers et agents dune mairie

    darrondissement (Gloukoviezoff & Tinel, 2004)15. Cette tude nous a montr la fois la

    pertinence analytique des trois dimensions identifies au sein du lien de clientle

    (durabilit, hirarchie, personnalisation), mais aussi la ncessit des les affiner (tableau 1)

    pour saisir plus prcisment la spcificit de la relation bancaire.

    Tableau 1 : Les multiples dimensions du lien de clientle

    Dimensions principales Sous-catgories Reproduction des changes

    Durabilit Mmoire des changes Rpartition ingale du pouvoir de ngociation

    Hirarchie Affirmation dun statut social Interconnaissance Personnalisation commerciale (en fonction de lintrt commercial du client) Personnalisation Personnalisation circonstancielle (en fonction des besoins sociaux du client)

    Source : Daprs Gloukoviezoff et Tinel (2004).

    Une grille de lecture plus prcise nous a t donne par lanalyse en termes de relation de

    service labore par Gadrey (1994a, b, c et d, 1996, 2003) partir notamment de Goffman

    (1968). La relation de service intgre les diffrents lments identifis par la grille de lecture

    place de march / lien de clientle mais elle est explicitement labore pour un type

    prcis de relation marchande supposant la collaboration entre client et prestataire dans la

    production du rsultat. Le fait que les acteurs coproduisent et copilotent la prestation est

    dailleurs ce qui dfinit une relation de service. Les difficults coordonner des valeurs et

    jugements diffrents ainsi que les mcanismes dappropriation des principes gnraux

    (principes de justice globale, principes noncs par lorganisation qui emploie les salaris en

    contact avec les clients, etc.) y sont explicitement pris en compte. Elle rpond alors au besoin

    danalyser les modalits de coordination des acteurs et le rle quy jouent les valeurs et cadres

    institutionnels.

    Capabilits et relation de service sont donc les deux lments clefs de notre cadre thorique

    autour desquels viennent ponctuellement sarticuler dautres apports conceptuels afin de

    mettre en relief un point prcis de lanalyse. Cette grille de lecture offre une conception

    15 Ltude portait sur un bureau en zone urbaine sensible et un dans une zone rsidentielle aise. Lobjet de

    ltude tait de comparer les relations bancaires La Poste avec les relations tablies avec des usagers dune mairie darrondissement.

  • Introduction gnrale

    22

    socialise de laction individuelle dont la rationalit ne peut tre limite au calcul et doit

    intgrer des lments comme la confiance, les valeurs, etc. Elle vite ainsi les excs aussi bien

    individualiste que holiste. Elle en permet galement lanalyse dans les temps forts de

    coordination avec les autres acteurs dans le cadre des relations marchandes particulires que

    sont les relations bancaires en tenant compte de linfluence du pluralisme des valeurs et des

    cadres institutionnels qui les permettent et contraignent. Notre grille sinscrit donc pleinement

    dans une approche institutionnaliste pour laquelle aucune coopration viable et durable ne

    peut tre obtenue et structure travers la seule rationalit instrumentale, quelle soit

    paramtrique ou stratgique. Toute coordination, pour tre effective, implique plus ou moins

    le partage de certaines valeurs et lexistence dune rgulation politique (Caill, 2007,

    p. 40).

    Cependant, cest une chose de souligner limportance essentielle de ces diffrents lments et

    sen est une autre que de parvenir les identifier. En liens troits avec les implications de

    nature conceptuelle, ce sont donc galement les modalits dapprhension de la connaissance

    qui sont transformes.

    3. Une approche comprhensive et comparative

    La rupture pistmologique avec lapproche positive de lconomie standard remettant

    notamment en cause la dissociation entre faits et valeurs, a des implications fortes en matire

    de mthodologie. Elle implique en effet de parvenir accder au sens que donnent les

    personnes leurs pratiques et donc dadopter une posture de recherche comprhensive et une

    observation micro-chelle.

    Lconomie standard adopte une mthodologie formaliste dont lobjectivit et donc la

    scientificit repose sur le rejet de linterprtation qui ouvrirait la porte la subjectivit. Dans

    ce cadre, lobservation empirique na pour seule utilit que la vrification des hypothses

    labore pralablement. La dmarche hypothtico-dductive est cense permettre de dissocier

    faits et valeurs et de donner une lecture de la ralit sociale analogue celle des sciences

    naturelles ou physiques c'est--dire organise par des lois universelles. Ayant refus cette

    lecture et rintgr les valeurs comme un lment part entire de lanalyse, notre

    mthodologie sen distingue galement.

    Pour comprendre les pratiques, leur ralit, il est impossible de se limiter une observation

    extrieure. Bien que les interprtations que font les personnes de leur situation et de leurs

    dcisions soient assimiles par lconomie standard au discours commun, et donc non

  • Introduction gnrale

    23

    scientifique car emprunt de subjectivit, il convient pourtant dlaborer une mthode qui

    permette dintgrer cette subjectivit sans pour autant y soumettre lanalyse. En effet, aprs

    avoir libr lanalyse de luniversalisme trompeur de lconomie standard, il serait tout aussi

    nfaste de sinscrire dans un relativisme absolu selon lequel la connaissance nest quune

    reconstruction subjective de la ralit rendant toute thorisation et comparaison impossibles.

    Cest donc une voie mdiane quil nous faut emprunter entre universalisme et relativisme.

    Cette voie mdiane est celle dune approche en comprhension qui sappuie sur les bases

    mthodologiques poses par Max Weber dans son recueil darticles crits entre 1904 et 1917

    intitul Essais sur la thorie de la science (Weber, 1965)16. Il y explique que les

    comportements ne peuvent tre compris en dehors du sens que les personnes donnent leurs

    actions aussi bien du point de vue dlments extrieurs (les relations aux autres par

    exemple) qu intrieurs (comme ltat motionnel). Pour autant, ce nest pas la capacit

    saisir ces lments qui fonde lobjectivit de lobservation et donc son caractre scientifique

    mais la comparaison de ces observations avec dautres. La comparaison doit permettre au

    chercheur didentifier les lments dont la rcurrence permet la construction dun idal-type

    devenant point de comparaison des pratiques.

    Weber invite distinguer et articuler ainsi ce qui est de lordre de la comprhension du

    singulier dans sa complexit comprhension qui nest possible que par la prise en compte de

    la subjectivit des personnes (contexte actuel, trajectoire personnelle, valeurs, etc.) et ce qui

    est de lordre de lexplication, c'est--dire le passage du singulier au gnral grce la

    comparaison et au recours aux outils conceptuels. Pour cela, le chercheur labore partir des

    observations de situations singulires un idal-type en accentuant unilatralement un ou

    plusieurs points de vue et en enchanant une multitude de phnomnes donns isolment,

    diffus et discrets [] qu[il] ordonne selon les prcdents points de vue choisis

    unilatralement, pour former un tableau de pense homogne. On ne trouvera nulle part

    empiriquement un pareil tableau dans sa puret conceptuelle : il est une utopie (Weber,

    1965)17. Sa construction na dans les recherches empiriques que le seul but suivant :

    "comparer" lui la ralit empirique et dterminer en quoi elle en diverge, sen carte ou

    sen rapproche relativement, afin de pouvoir la dcrire avec des concepts aussi

    16 Nous avons utilis la version lectronique de cet ouvrage disponible ladresse suivante : http://classiques.uqac.ca/classiques/Weber/essais_theorie_science/essais_theorie_science.html 17 Citation p. 141 du premier essai de la version en ligne.

  • Introduction gnrale

    24

    comprhensibles et aussi univoques que possible, la comprendre et lexpliquer grce

    limputation causale (Weber, 1965)18.

    Cest partir du terrain que se construit lobjet dtude mais en retour, cest cette

    conceptualisation qui rend le rel comprhensible. Par un incessant va et vient entre terrain et

    thorie, lanalyse gagne en pertinence et les hypothses saffinent. Cest donc une mthode

    la fois relativiste et raliste que nous avons suivie dans le cadre de cette thse : Elle est

    relativiste, au sens o nous admettons que notre connaissance de la ralit sociale est

    construite relativement un point de vue comprenant un cadre thorique et une chelle

    dobservation choisis au dpart, ainsi que la subjectivit du chercheur. Elle est en mme

    temps raliste, car nous reconnaissons que la ralit observe existe en dehors de

    lobservation et de lintention du chercheur ; elle a une ralit en soi (Gurin, 2000, p. 97).

    Cette dmarche donne voir une construction de la ralit issue de lanalyse de situations

    singulires. Son objectivit dcoule de la reconnaissance de ces spcificits (linvitable

    subjectivit du savoir produit) et des allers-retours permanents entre comprhension et analyse

    afin de faire voluer les hypothses nonces. La validit objective de tout savoir empirique

    a pour fondement et na dautre fondement que le suivant : la ralit donne est ordonne

    selon des catgories qui sont subjectives en ce sens spcifiques quelles constituent la

    prsupposition de notre savoir et quelles sont lies la prsupposition de la valeur de la

    vrit que seul le savoir empirique peut nous fournir. Nous ne pouvons rien offrir, avec les

    moyens de notre science, celui qui considre que cette vrit na pas de valeur, car la

    croyance en la valeur de la vrit scientifique est un produit de certaines civilisations et nest

    pas une donne de nature (Weber, 1965)19.

    tudier lexclusion bancaire des particuliers avec les objectifs qui sont les ntres ne peut se

    faire que par lobservation qualitative de terrain. Elle seule peut permettre daccder ces

    informations indispensables au raisonnement et llaboration dune connaissance

    scientifique. En affirmant cela, nous oprons une rupture radicale avec la dmarche

    hypothtico-dductive de lconomie standard : les observations empiriques ne sont plus

    considres comme lments de vrifications des thories, mais elles participent leur

    laboration et donc la construction de lobjet dtude. La dmarche de recherche correspond

    alors un processus daller-retour permanent entre terrain et thorie afin daffiner la

    18 Citation p. 45 du quatrime essai de la version en ligne. 19 Citation p. 158 du premier essai de la version en ligne.

  • Introduction gnrale

    25

    connaissance ainsi produite. Cest alors la question de la mthodologie suivie pour collecter

    les donnes qui est pose.

    Section 4. Les mthodes de collecte et danalyse des donnes

    Analyser lexclusion bancaire suppose de saisir au travers des pratiques singulires des

    personnes connaissant des difficults bancaires et de leurs banquiers, les mcanismes sociaux

    qui produisent ce phnomne. Pour y parvenir, nous avons fait le choix dune approche

    micro-chelle (1), dun outil principal de collecte des donnes quest le rcit de pratiques en

    situation (2) que nous avons articul avec des outils complmentaires danalyse (3).

    1. Une approche qualitative micro-chelle

    Le choix de lchelle danalyse conditionne les aspects de la ralit accessibles au chercheur.

    Selon que lon retient une analyse micro ou macro-chelle, la construction de la

    connaissance par le processus dallers-retours entre observation et conceptualisation

    nclairent pas les mmes facettes de la ralit tudie.

    Une approche macro-chelle peut donner voir la structuration de lexclusion bancaire en

    montrant par exemple que les allocataires de minima sociaux ont moins accs que les autres

    aux produits bancaires ou que le surendettement ne concerne pas en priorit les mnages les

    plus pauvres. Une approche micro-chelle permet, elle, dexpliquer pourquoi les

    bnficiaires de minima sociaux ont moins accs ces produits ou les diffrentes raisons pour

    lesquelles les plus pauvres des mnages sont moins concerns par le surendettement. Tels que

    nous les prsentons, la complmentarit de ces deux niveaux danalyse parat vidente. Ils

    sont pourtant frquemment opposs en conomie.

    Les raisons de cette opposition sont multiples. La principale est conceptuelle et tient la

    question de larticulation des rsultats obtenus par les modles microconomiques et

    macroconomiques. Nous laissons ce dbat de ct dans la mesure o il nintervient pas dans

    le cadre de cette thse. En revanche, une autre source dopposition est de nature

    mthodologique et tient aux liens troits entre niveau macro et outils quantitatifs dun ct et

    niveau micro et outils qualitatifs de lautre. Cette opposition sapparente en conomie au rejet

    par les tenants de lapproche formaliste doutils intgrant des dimensions subjectives comme

    nous lavons vu prcdemment. Dans le cadre dune approche institutionnaliste, cette

    opposition na plus lieu dtre. Les outils quantitatifs compltent et mettent en perspectives

    les mcanismes identifis par les outils qualitatifs. Ils peuvent galement susciter de nouvelles

  • Introduction gnrale

    26

    pistes de recherche en mettant au jour des corrlations entre diffrents lments dont les liens

    navaient jusqualors pas t explors. tablir des corrlations ne permet cependant pas

    lanalyse mais le constat. Comment donner du sens aux chiffres ? Comment mettre en

    perspective les rsultats que les outils quantitatifs peuvent mesurer ? Cest pour rpondre

    ces questions quil faut recourir aux outils qualitatifs micro-chelle.

    Cest par le recours aux entretiens et lobservation que les pratiques prennent sens. Le

    contact que le chercheur tablit avec des facettes de la ralit de son objet dtude doit lui

    permettre den comprendre les ressorts. Pour nous, cela implique dtudier comment les

    personnes faisant face des difficults bancaires utilisent les produits de la banque. Quelles

    sont les lments qui conditionnent ces usages ? Quelle est la nature de ces lments :

    conomique, culturelle, langagire, etc. ? Comment les personnes se les approprient ? Mais

    cela suppose galement de se pencher sur la relation bancaire elle-mme et de tenter de

    comprendre ce qui en dtermine la qualit tant du point de vue du client que du banquier. L

    encore, il est ncessaire de saisir les lments qui encadrent la relation et de quelles manires

    les acteurs se les approprient dans les jeux de pouvoir auxquels ils se livrent. Saisir la

    complexit de ce contexte aussi bien institutionnel, organisationnel, qumotionnel est

    indispensable pour donner du sens aux pratiques et, in fine, pouvoir expliquer le

    dveloppement du processus dexclusion bancaire et tenter de le prvenir. Seule une approche

    micro-chelle peut saisir ces lments.

    Le choix de lchelle danalyse tient aux objectifs que le chercheur se fixe mais galement

    ltat des connaissances prexistantes. Le choix de la micro-chelle sest impos nous parce

    que nous souhaitions comprendre le sens des dcisions des acteurs et donc de leurs pratiques

    observables mais galement parce que ce type de travaux tait quasiment inexistant dans la

    littrature. tonnamment, si des facettes de lexclusion bancaire des particuliers avaient

    parfois t tudies, aucune tude systmatique navait t mene20, et les principaux travaux

    existants avaient presque unanimement adopt une approche quantitative, que ce soit pour

    laccs aux produits bancaires (Daniel & Simon, 2001), linterdiction bancaire (Gallou & Le

    Quau, 2000) ou le surendettement (Banque de France, 2002). Avant de mesurer, il est

    indispensable de comprendre ; la micro-chelle sest donc impose nous.

    20 Des travaux portant sur des lments prcis comme les relations entre la clientle aux ressources financires

    modestes et les agents de La Poste (Sagna, 2003) ou le travail des assistantes sociales auprs des personnes surendettes (La Hougue, 2002) ont t publis mais aucune tude du phnomne lui-mme.

  • Introduction gnrale

    27

    Choisir une chelle danalyse ne suffit pas accder aux lments de connaissance

    recherchs. Il faut galement se doter des outils adquats. Nous avons fait le choix de mettre

    au cur de notre mthodologie les entretiens approfondis ou rcits de pratiques en situation.

    2. Les rcits de pratiques en situation

    Nous avons men de multiples entretiens tout au long de la thse avec une grande varit

    dinterlocuteurs de manire plus ou moins formelle afin dexplorer et de comprendre certaines

    dimensions de notre objet dtude. Ces entretiens ont jou un rle extrmement important

    dans lavance de nos travaux. Toutefois, ils se sont avrs insuffisants pour saisir le sens des

    pratiques bancaires des personnes ou des banquiers. Le seul moyen possible pour accder

    cette connaissance est daller la recueillir auprs des personnes elles-mmes en les

    interrogeant de manire approfondie. Leurs pratiques et le regard quelles portent dessus

    permettent en effet de saisir le rle structurant des institutions et des rapports sociaux,

    autrement dit, de saisir le collectif dans les pratiques individuelles. Pour cela nous avons eu

    recours aux rcits de pratiques en situation.

    A. Un type particulier dentretiens

    Les rcits de pratique en situation sont une forme de rcit de vie , outils denqute introduit

    en France au cours des annes 1970 et dont Daniel Bertaux donne la dfinition suivante :

    une forme particulire dentretien, l"entretien narratif", au cours duquel un chercheur

    demande une personne ci-aprs dnomme "sujet" de lui raconter tout ou partie de son

    exprience vcue (Bertaux, 2005, p. 11). Lors des rcits de pratiques en situation, le sujet est

    invit raconter certaines de ses expriences passes. Toutefois, il ne le fait pas sans aucun

    cadre. Lenquteur lincite en effet explorer les thmes qui correspondent lobjet dtude

    ou que le sujet considre comme pertinents cet gard. Concrtement, lenquteur dispose

    dun guide dentretien qui rcapitule les principaux thmes gnraux quil souhaite voir

    abords par lenqut (explication des difficults, consquences des difficults, relation la

    banque, etc.). Ces thmes sont larges de manire ne pas limiter lenqut dans la

    prsentation de ses pratiques et de sa situation. Ils peuvent ventuellement tre accompagns

    de phrases de relance rdiges lavance de manire faire redmarrer lentretien ou le

    rorienter si ncessaire sans fausser la logique du discours livr par la personne21 (Berthier,

    2002).

    21 Des guides dentretiens utiliss pour les diffrentes enqutes sont runis au sein des annexes 2, 3 et 5.

  • Introduction gnrale

    28

    Lobjectif de ces rcits est de restituer un objet social , ici le phnomne dexclusion

    bancaire, partir des expriences livres par les personnes rencontres (personnes en

    difficults, banquiers, etc.). Il sagit dexplorer larticulation des pratiques bancaires des uns

    et des autres avec lensemble des droits et obligations qui caractrisent leur appartenance

    sociale afin den comprendre la logique du point de vue des personnes.

    Cette exploration doit intgrer la dimension dynamique court et plus long terme de ces

    pratiques. Il sagit donc la fois de saisir les diffrentes modalits de gestions de situations

    durgence quotidienne mais galement leurs volutions plus long terme. Cela permet

    notamment de comprendre comment les personnes adaptent leurs pratiques aux produits

    bancaires auxquels elles accdent mais galement comment elles adaptent ces produits leurs

    propres pratiques en fonction des diffrents droits et obligations qui caractrisent leur

    situation. Cest l la seconde dimension que ces rcits doivent permettre dexplorer ct de

    la dimension dynamique de ces pratiques : la place des jugements moraux que les personnes

    portent sur leurs pratiques et donc le sens quelles leurs donnent. Cette exploration se fait aux

    trois niveaux de lappartenance sociale que sont le lien soi (estime de soi), le lien aux autres

    (dimension horizontale des liens sociaux) et le lien la socit dans son ensemble (dimension

    hirarchique des liens sociaux). Elle suppose de considrer les relations sociales au sein

    desquelles se dveloppent les pratiques bancaires au premier lieu desquelles, la relation

    bancaire.

    B. Un outil exploratoire et analytique : passer du particulier au gnral

    Le rcit de pratiques en situation est alors la fois un outil exploratoire et analytique. Cest

    partir de la comparaison des diffrents rcits runis qumergent des hypothses permettant de

    dfinir progressivement lobjet dtude puis cest partir des rcits ultrieurs que les

    hypothses labores peuvent tre affines. Ainsi, la prcision des thmes suggrs par

    lenquteur peut saccrotre mesure que les hypothses sur lobjet dtude saffinent

    cependant il est impratif de laisser suffisamment de libert la personne pour quelle ait la

    possibilit de livrer des causalits nouvelles qui navaient pas t recenses jusqualors.

    Linterprtation et la comparaison sont alors les deux techniques essentielles du chercheur

    pour passer du particulier dun rcit au gnral quil renferme et que seule la comparaison

    avec dautres permet de dceler. Linterprtation est indispensable car il nest pas possible de

    se limiter pour lanalyse au rcit de la personne tel quelle le livre. Il est ncessaire de

  • Introduction gnrale

    29

    linterprter laide de la grille de lecture quoffre le cadre thorique de dpart. Lobjectif est

    de rendre intelligible les logiques luvre.

    Pour cela il est ncessaire de coupler deux modes danalyse des rcits recueillis. Le premier

    suppose de reconstituer le parcours et les liens de causalits qui expliquent les pratiques du

    point de vue de la personne interroge. Il sagit de synthtiser et dorganiser dun point de vue

    individuel les pratiques en lien avec lobjet dtude de manire en comprendre les tenants et

    aboutissants. Le but est dviter par la suite des interprtations errones en ayant laiss de ct

    un lment clef du parcours de la personne ou de ses valeurs morales.

    Le second suppose de comparer les rcits grce lanalyse thmatique. Il sagit de passer au

    crible de la grille danalyse lensemble des rcits rcolts et danalyser ce quils apportent au

    regard des diffrentes thmatiques retenues. Cette tape permet de dcouvrir les rcurrences

    mais galement la diversit des logiques pour une mme pratique que lon supposait

    homogne. Ainsi, dans les premires enqutes que nous avons menes, il est apparu quil tait

    plus que rducteur dexpliquer le renoncement des personnes aux produits bancaires par une

    simple absence de besoin de ces produits : les questions de cot, dinadquation aux besoins,

    de complexit excessive, de peur, etc. sont bien plus importantes.

    Encadr 2 : Le traitement des entretiens

    Il existe diffrentes techniques de traitement des entretiens. Pour lanalyse thmatique la technique que nous avons retenue la premire tape est un travail de dcouverte des catgories (points de vue, concepts, ides, etc.) qui est lie la fois au cadre danalyse retenu et aux thmes du guide dentretien. Ces diffrentes catgories sont ensuite organises entre elles sous la forme dune arborescence en thmes / sous-thmes / etc. Cette grille labore, les entretiens sont cods par unit de sens c'est--dire que les passages des entretiens correspondant un thme ou sous-thme y sont rattachs. Il est ainsi possible dtablir des comparaisons prcises pour un mme thme ou sous-thme. Cette technique danalyse peut se faire manuellement mais elle est aujourdhui rendue plus facile et plus efficace par le recours aux logiciels informatiques. Ces logiciels ne sont que des outils, ils ne ralisent pas le codage la place du chercheur comme peuvent le faire les logiciels danalyse smantique. Pour nos enqutes nous avons tout dabord procd manuellement puis nous avons eu recours pour les dernires menes au logiciel NVivo7. titre dillustration, la dernire enqute mene pour le Secours Catholique a conduit laborer une arborescence thmatique comportant plus de 200 entres possibles (thmes et sous-thmes) (Gloukoviezoff & Palier, 2008).

    De la comparaison des diffrents rcits de pratiques en situation dcoulent les premires

    interprtations et donc progressivement, dans un aller-retour constant entre terrain et thorie,

    les premires hypothses partir de la constitution didaux-types. Au fur et mesure des

    comparaisons, ces hypothses saffinent et se renforcent ou linverse se rvlent errones ou

    largement incompltes, impliquant leur reformulation. Cest par ce processus que lon passe

    du singulier au gnral et que lon met au jour les logiques daction communes qui expliquent

    par exemple que dans tel cas des difficults bancaires se dveloppent alors que dans tel autre

    elles sont vites.

  • Introduction gnrale

    30

    C. Statut des hypothses et taille de lchantillon

    Il est essentiel dtre clair sur le fait que les entretiens ne sont pas une instance de vrification

    des hypothses comme peuvent ltre les tests statistiques. Les hypothses sont labores

    partir de lanalyse des entretiens et elles sont systmatiquement affines par lanalyse des

    entretiens suivants. Ces rcits participent donc leur construction et amlioration permanente.

    Concrtement, lorsquune hypothse est labore partir des comparaisons des premiers

    entretiens, elle est ensuite explore plus en profondeur dans les entretiens qui suivent. Le

    guide dentretien se modifie donc mesure que la grille danalyse se complexifie.

    Lapprofondissement dune hypothse se fait par le recoupement de questions et de relances

    qui incitent lenqut prciser son discours et expliciter davantage les diffrents liens de

    causalit quil tablit. Ces lments alimentent ensuite lanalyse comparative et, par leur

    rcurrence ou au contraire leur diversit, conduisent tenir pour pertinente une hypothse ou

    la remettre en cause. La validit dune hypothse ou plutt sa pertinence ne dcoule donc

    pas dun test ralis ex-post mais au contraire du processus qui conduit sa formulation. Cette

    dmarche a galement des implications en termes de taille de lchantillon.

    Si la qualit des hypothses retenues dpend de la qualit du travail du chercheur dans le

    recueil (encadr 3) et lanalyse quil fait des entretiens quil a recueillis, elle dpend

    galement de la qualit de lchantillon dont sont issus ces entretiens. Cette qualit de

    lchantillon ne doit pas tre confondue avec la reprsentativit dun chantillon statistique.

    Lobjectif dune enqute qualitative est de comprendre les situations et non de mesurer des

    proportions au sein dune population. La question qui se pose est celle du choix pertinent des

    personnes interroges afin davoir accs la diversit des expriences relatives notre objet

    dtude. Ainsi, ce nest pas la mme chose de raliser un entretien avec une personne qui

    connat des difficults bancaires depuis des annes et une autre qui est confrontes subitement

    au surendettement suite une perte demploi. De mme, sentretenir avec un salari de

    banque intervenant au guichet ou un conseiller commercial recevant sur rendez-vous ne donne

    pas accs aux mmes types de relations avec les clients. Cette diversit permet de saisir

    lventuelle multiplicit des logiques daction qui se dveloppent face une situation

    similaire.

    Encadr 3 : Recueil des entretiens et biais mthodologiques

    La qualit des informations recueillies peut tre dgrade pour de multiples raisons qualifies de biais mthodologique. Une information de qualit dgrade correspond une information incomplte ou fausse en raison des caractristiques de lentretien. Les raisons cela sont potentiellement infinies. Toutefois deux principales peuvent tre retenues : le cadre dans lequel se droule lentretien et la distance sociale entre lenquteur et lenqut.

  • Introduction gnrale

    31

    Le cadre de lentretien peut induire un comportement plus ou moins ouvert de la part de lenqut. Ainsi, interroger un client au sein de lagence bancaire pourra avoir pour effet de rendre les choses plus compliques alors quil sera plus laise pour rpondre aux mmes questions son domicile. Pour les clients nous avons autant que possible privilgi des lieux neutres et quand cela tait possible leur domicile. Pour les banquiers, les entretiens se sont drouls sur le lieu de travail tout comme pour les membres des dispositifs spcifiques de lutte contre lexclusion. Dans les deux derniers cas, tre sur le lieu de travail est appropri dans la mesure o lobjet de lentretien est prcisment leur activit ; en revanche, il est indispensable de sassurer de la confidentialit du lieu pour mener un entretien de qualit. La distance sociale entre lenquteur et lenqut est une problmatique complexe. Si elle est trop grande elle peut empcher quune relation de confiance stablisse, lenqut refusant alors de confier des lments quil considre comme intime ou qui peuvent tre vcus comme pnibles ou honteux. Si elle est trop faible, lenqut peut vouloir plaire ou satisfaire lenquteur en lui donnant les rponses quil est suppos attendre ou alors ne pas suffisamment expliquer supposant que cela va de soi . Il ny a pas de recette pour se prmunir contre cette difficult. En revanche, il est possible den limiter les effets en faisant attention la manire dentrer en contact avec les enquts (quels sont les intermdiaires ? quest-ce que cela peut induire ?), la manire de se prsenter afin dtablir clairement son statut et celui de lentretien (le fait dtre tudiant est alors souvent un avantage), la manire de sexprimer et de se vtir et enfin de tenter de se montrer bienveillant afin de faciliter lexpression de dtails souvent pnibles pour des personnes vivant en situation de pauvret.

    Source : partir de Berthier (2002).

    Il faut galement tenir compte de la diversit des points de vue. Chaque catgorie dacteur

    nentretient pas le mme rapport avec notre objet dtude. Clients, banquiers et travailleurs

    sociaux ne nous donnerons pas accs la mme vision dune situation de difficults

    bancaires. Les considrer simultanment offre une vision plus complte des logiques

    luvre, des relations de pouvoir, ou des incomprhensions lies des divergences

    dinterprtation. La prise en compte de la diversit des points de vue nous a ainsi permis de

    mettre en lumire que la logique des pratiques bancaires de certains clients tait totalement

    incomprhensible pour un banquier expliquant alors les situations de blocage et les jugements

    sur le manque de connaissances et parfois la malhonntet de ces clients.

    Enfin, cest labsence de nouveaux lments ou de prcisions significatives au sein des

    entretiens mens qui dcide in fine du nombre dentretiens raliss. videmment, mener des

    entretiens supplmentaires pourrait toujours apporter un petit quelque chose en plus mais

    arrive un moment o limage est suffisamment claire pour que lon puisse sen satisfaire.

    Le nombre dentretiens qui permet datteindre une qualit danalyse satisfaisante avec la

    technique des rcits de pratiques en situation est variable selon la complexit de lobjet

    dtude. Cependant, ce nombre reste rduit en comparaison des tudes statistiques et peut

    mme se limiter quelques cas lors de ltude exploratoire (Berthier, 2002). Il est

    gnralement admis que pour une population homogne, 5 10 entretiens sont suffisants dans

    la phase exploratoire et une trentaine pour la phase danalyse. Dans le cadre de notre thse, le

    nombre dentretiens mens est plus important en raison de la complexit de lobjet dtude et

    de la dimension longitudinale de notre travail explique dans la section suivante (section 5).

    Cest ainsi un peu plus de 130 rcits de pratiques en situation qui ont t mens avec des

  • Introduction gnrale

    32

    personnes confrontes lexclusion bancaire, 70 avec des banquiers et 80 avec des membres

    de dispositifs spcifiques (structures ddies aux difficults bancaires ou services sociaux),

    soit au total un peu plus de 280 rcits de pratiques en situation. Tous ont t enregistrs et la

    quasi-totalit a t retranscrite afin de permettre lanalyse.

    Dans notre qute dobjectivit et de mise en perspectives des lments de connaissance issus

    des entretiens, nous avons articul lusage des rcits de pratiques en situation qui sont au cur

    de notre analyse avec dautres outils de recueil de donnes.

    3. Les outils complmentaires danalyse

    Observer ou mesurer des pratiques sans en connatre le sens est un exercice risqu. En

    revanche, en complment dentretiens, ces outils permettent dobjectiver les lments factuels

    issus des rcits de pratiques en situation et de susciter des interrogations qui pourront trouver

    des rponses dans des entretiens futurs. Ces outils nont donc dans notre recherche quun rle

    instrumental, il nen est pas moins dterminant. Nous nous limitons ici en expliquer lutilit,

    leur mise en uvre empirique (terrain, caractristiques, etc.) tant dtaille au sein de la

    section suivante (section 5).

    A. Lutilit de lobservation

    Par lobservation, il est possible de remettre en question des liens de causalits qui taient

    apparus au cours des entretiens, mais galement de dcouvrir dautres contraintes objectives

    que les enquts navaient pas penses mentionner tant elles font partie de leur quotidien.

    Cela est vrai pour les personnes en difficults bancaires comme pour les banquiers. Pour saisir

    ces lments, nous avons eu accs trois terrains de nature diffrente : les rendez-vous entre

    personnes en difficults et membres de dispositifs devant les aider trouver des solutions, les

    rendez-vous avec les conseillers bancaires, les interactions au guichet des agences bancaires.

    chaque fois nous tions prsent comme stagiaire ou tudiant en observation de manire

    perturber le moins possible le droulement des interactions. Notre prsence a toutefois

    forcment influenc le droulement des rendez-vous et nous avons essay den tenir compte

    dans note analyse, cest moins le cas pour lactivit de guichet lorsque le flux tait important.

    Ces diffrents terrains dobservation nous ont permis de mieux comprendre linfluence de

    certaines contraintes comme le flux de clientle au guichet ou des objectifs commerciaux pour

    les conseillers. Ils nous ont galement conduits mieux saisir les lments clefs dune relation

    de qualit que ce soit en termes de conseil, de personnalisation ou de confiance par la

  • Introduction gnrale

    33

    comparaison des comportements des diffrents protagonistes selon que la relation prenait

    place dans une agence bancaire ou au sein dun dispositif ddi.

    B. Les apports de la quantification

    La quantification est une allie prcieuse lorsque lon sait ce que lon souhaite mesurer et que

    cela sy prte. Elle permet de mettre en perspective les descriptions faites par les personnes

    rencontres quel que soit leur statut. Nous y avons eu recours trois reprises.

    La premire micro-chelle sest traduite par lanalyse quantitative de lactivit bancaire de

    guichet au sein dagence en zone urbaine sensible et en environnement ais. Elle nous a

    permis de mettre en lumire la ralit du flux de clientle mais galement de la nature des

    difficults bancaires que rencontraient les personnes ainsi que de leur frquence.

    La deuxime en lien avec la prcdente a consist tenter de mesurer limplantation en zone

    urbaine sensible des agences bancaires selon leur rseau dappartenance. Ces informations

    macro-conomiques ne sont pas disponibles publiquement en dpit de lexistence dun

    Observatoire national des zones urbaines sensibles.

    Enfin la troisime nous a t offerte dans le cadre dune tude de la Direction de la recherche,

    des tudes et de lvaluation statistique (DREES) auprs de 5 000 allocataires de minima

    sociaux au premier semestre 2003 o nous avons eu lopportunit dintgrer quatre questions

    relatives laccs aux produits bancaires. Il nous a ainsi t possible de quantifier certaines

    difficults daccs au compte et moyens de paiement scripturaux que rencontrait cette

    population particulire.

    En dpit de la modestie de ces approches quantitatives, elles ont t extrmement prcieuses

    tant les analyses statistiques sont pauvres en matire dexclusion bancaire. Que ce soit au

    niveau franais ou europen, il est presque impossible dobtenir des donnes solides et

    comparables pour analyser les diffrentes facettes de ce phnomne. Ainsi, la principale tude

    qui alimente notre travail a t publie en 2001 par le Crdoc et porte sur laccs des

    bnficiaires de minima sociaux (Daniel & Simon, 2001). En dpit de son intrt, le fait

    quelle ait prcd toute analyse qualitative laisse dans lombre de nombreux aspects pourtant

    essentiels de ce phnomne. Nous avons ainsi mobilis les diffrentes sources existantes y

    compris lorsquelles ne permettent seulement quun chiffrage partiel comme cest galement

    le cas des tudes sur le surendettement (Banque de France, 2002, 2005).

  • Introduction gnrale

    34

    Section 5. La mise en uvre de la mthodologie

    La mise en uvre de notre mthodologie est caractrise par larticulation de commandes

    sociales et de la progression de notre rflexion quant notre objet dtude.

    1. Des enqutes menes dans le cadre de commandes sociales

    Les multiples enqutes de terrain qui alimentent cette thse ont toutes t ont t

    commandites par diffrentes institutions imprimant systmatiquement leur demande une

    finalit oprationnelle.

    Les premires enqutes ont t menes dans le cadre de contrats de recherche, passs entre

    notre laboratoire daccueil et diverses institutions (Mission recherche de La Poste, Caisse des

    dpts et consignations, Observatoire national de la pauvret et de lexclusion sociale, Bureau

    international du travail (BIT), Secours Catholique). Ces contrats ont notamment permis

    dvaluer lefficacit ou limpact de diffrents types de rponses apportes lexclusion

    bancaire ou dtudier en profondeur les mcanismes et facettes du phnomne lui-mme.

    Toutefois, aussi spcialises soient-elles, ces enqutes ont toujours t dfinies de manire

    permettre dexplorer des dimensions de lexclusion bancaire en cohrence avec lavancement

    de la thse elle-mme. Dune part, la mthodologie mise en uvre pour ces diffrentes

    enqutes est sinon totalement similaire au moins suffisamment cohrente pour donner accs

    une connaissance de qualit homogne pour une analyse transversale. Dautre part, les

    investigations menes ont souvent t loccasion de dpasser le seul objectif fix par le

    contrat de recherche lui-mme afin de mettre profit les entretiens raliss en cohrence avec

    notre grille danalyse.

    Plus largement, une grande partie de nos enqutes a t mene grce la Convention

    industrielle de formation par la recherche (CIFRE) signe en 2002 avec la Fdration

    nationale des caisses dpargne. Dans ce cadre le doctorant se voit confier une mission de

    recherche stratgique pour lentreprise qui constitue galement son sujet de thse. La

    Fdration nationale des caisses dpargne ayant de par ses statuts pour mission de lutter

    contre lexclusion bancaire dans le cadre de ses Missions dintrt gnral fixes par la loi de

    scurit financire du 25 juin 1999, notre objet de recherche a port sur les modalits de lutte

    contre lexclusion bancaire quune banque cooprative pourrait mettre en uvre. Cest dans

  • Introduction gnrale

    35

    cet objectif que nous avons donc men diffrentes enqutes et analyses22 pour la Fdration au

    cours de ces trois annes.

    Cette convention a t une formidable opportunit car elle nous a non seulement donn accs

    des terrains qui nous seraient rests interdits ou seulement partiellement accessibles comme

    les agences bancaires, mais en plus, nous avons bnfici tout au long de ces trois annes de

    la confrontation de nos rsultats aux attentes et objectifs dun groupe bancaire. Leur validit et

    leur oprationnalit ont donc t mises lpreuve en permanence et ont bnfici des

    remarques et conseils de professionnels bancaires. De plus, notamment parce que cela tait

    galement dans lintrt de la Fdration, notre champ dinvestigation au cours de ces trois

    annes na pas t restreint aux actions des Caisses dpargne mais a port plus largement sur

    la diversit des rponses existantes afin den tirer des leons. Cela a permis de conserver une

    approche globale du phnomne dexclusion bancaire et donc de nourrir la thse sans en

    limiter sa porte.

    Si lun des rsultats de la convention devait tre dalimentation les recherches pour la thse, il

    tait galement attendu