Dans l’oeil de la loi - Erudit

6
Tous droits réservés © Éditions Continuité, 2012 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 19 nov. 2021 19:12 Continuité Dans l’oeil de la loi Guy Mercier Paysages : voir et savoir Numéro 132, printemps 2012 URI : https://id.erudit.org/iderudit/66221ac Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Éditions Continuité ISSN 0714-9476 (imprimé) 1923-2543 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Mercier, G. (2012). Dans l’oeil de la loi. Continuité, (132), 20–24.

Transcript of Dans l’oeil de la loi - Erudit

Page 1: Dans l’oeil de la loi - Erudit

Tous droits réservés © Éditions Continuité, 2012 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation desservices d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politiqued’utilisation que vous pouvez consulter en ligne.https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/

Cet article est diffusé et préservé par Érudit.Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé del’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec àMontréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche.https://www.erudit.org/fr/

Document généré le 19 nov. 2021 19:12

Continuité

Dans l’oeil de la loiGuy Mercier

Paysages : voir et savoirNuméro 132, printemps 2012

URI : https://id.erudit.org/iderudit/66221ac

Aller au sommaire du numéro

Éditeur(s)Éditions Continuité

ISSN0714-9476 (imprimé)1923-2543 (numérique)

Découvrir la revue

Citer cet articleMercier, G. (2012). Dans l’oeil de la loi. Continuité, (132), 20–24.

Page 2: Dans l’oeil de la loi - Erudit

par Guy Mercier�

«Ne tuons pas labeauté dumonde », im-plore la chan-teuse DianeDufresne dans

«L’hymne à la beauté du monde ». Sonexhortation résonne des échos d’une négli-gence et d’un attachement envers ce quinous entoure. Cet élan contradictoire nousplonge dans un drame : l’être humain en-laidit le seul monde qu’il ait à sa disposi-tion, un monde dont la beauté est pourtantbien précieuse. On ne doute pas que l’art,

ries de pétrole, oléoducs, mines, terrils,convoyeurs, fonderies, chemins de fer,gares de triage, centrales d’énergie, lignesde transmission électrique, etc. C’est pour-quoi, s’il importe de préserver le paysage,il est nécessaire de le concilier avec l’en-semble des usages du territoire, dont plu-sieurs portent une part de laideur.

CON

TIN

UIT

É

20

numéro cent trente-deux D o s s i e r

Adoptée le 19 octobre dernier, la Loi sur le patrimoine culturel inclut des mesures pour assurer

la protection du paysage. Une heureuse initiative, assortie de quelques bémols. Réflexion sur les

menaces qui pèsent sur le paysage et survol de ce nouvel outil législatif.

en ce vers lourd de sens, soit au diapason denotre société. Il suffit, pour s’en convaincre,de penser au paysage : source indéniable debeauté, il n’en est pas moins en danger.Le risque tient d’abord à nos divers usagesindividuels et collectifs du territoire, quinous procurent notre confort moderne, unautre bien précieux auquel il est difficile derenoncer. Or ce confort, que l’on désire goû-ter à la ville comme à la campagne, au tra-vail et pendant nos loisirs, chez soi ou àl’extérieur, ne vient pas seul. Il a à sa suiteun très long cortège d’équipements qu’ilfaut bien loger quelque part : usines, entre-pôts, centres commerciaux, autoroutes, airesde stationnement, stations-services, raffine-

Dans l’œilde la loi

Au Québec, la distinction entre paysagesnaturel et culturel demeure floue. À preuve,Percé et son rocher sont reconnus commearrondissement naturel en vertu de la Loisur le patrimoine culturel.

Photo : Guy Mercier

Page 3: Dans l’oeil de la loi - Erudit

Le risque qui pèse sur le paysage provientaussi, paradoxalement, de l’attention qu’onlui porte. Parce qu’ils en ont les moyens,d’aucuns – des personnes physiques ou mo-rales – n’hésitent pas à se l’approprier en setaillant, à des fins résidentielles, institution-nelles ou commerciales, des domaines pri-vés qui deviennent des bouts de paysagedont ils ont l’exclusivité. On peut se réjouirque des paysages soient ainsi préservés,mais dans ce cas-ci, la préservation se paieau prix d’une privation subie par le plusgrand nombre.

UN BIEN COLLECTIF À DÉFINIR

Il faudrait donc élever le paysage au rang debien public, proclame-t-on. Là encore, ledéfi n’est pas mince. Comment garantir,dans une société où les nantis ne manquentpas et où fleurit une classe moyenne accé-dant massivement à la propriété résiden-tielle, au loisir et au tourisme, le droit de tousau paysage ? Et ce, sans nier ou compromet-tre le droit de chacun de se réserver un coin

du pays, en permanence ou pour une courtepériode…L’entreprise est d’autant plus compliquéeque, même si on réalisait cet équilibre descontraires, il reste toujours à prendre lajuste mesure de l’intérêt public que l’onprête au paysage. Car si on croit capital dele préserver, on ne tire pas de cette seuleconviction une définition utile et communedu paysage. Nous habitons tous le mêmemonde, mais de manière différente. Sabeauté lui appartient moins qu’elle n’est liéeà ce que nous sommes et à ce que nous vou-lons être. Or nos êtres et nos désirs ne s’accordent pas toujours. Aussi, une basecommune, qui n’est pas incompatible avec lalégitime liberté de chacun, est à rechercher. Faut-il, pour ce faire, s’en remettre aux ex-perts qui peuvent arguer de leur autoritéscientifique pour décréter ce que sont lepaysage et sa préservation ? Faut-il plutôttendre l’oreille vers la population qui, bienque ne sachant pas a priori ce qu’est le pay-sage exactement, pourrait, au fil d’un débat

CON

TIN

UIT

É

21

numéro cent trente-deuxD o s s i e r

À LIREPour un tour d’horizon des outils légaux,réglementaires et communautaires per-mettant de protéger les paysages,consultez « Protection des paysages.Boîte à outils » de Jean-François Girard,paru dans le no 110 (automne 2006) deContinuité. Nous avons également pu-blié dans le no 100 (printemps 2004)un dossier entièrement consacré aupaysage. On peut lire ces textes auwww.erudit.org/culture/continuite.Le Guide de gestion des paysages au Qué-bec. Lire, comprendre et valoriser le paysagede la Chaire en paysage et environne-ment de l’Université de Montréal et duministère de la Culture, des Communi-cations et de la Condition féminine(2008) propose un survol des différentsacteurs du paysage, de leur rôle, deleurs pouvoirs.

En raison, entre autres, de la qualité de ses paysages, l’île d’Orléans a été décrétée arrondissement historique en 1970.

Photo : Perry Mastrovito

Page 4: Dans l’oeil de la loi - Erudit

démocratique, se donner un projet collectifen matière de paysage ?Quoi qu’il en soit, une fois le paysageconçu comme un bien public, demeuretoujours l’écueil de le cantonner dans unprogramme qui le réifie immanquablementet, du coup, l’édulcore, alors que l’assisevéritable de sa beauté réside peut-être dansl’émotion fugace qu’il cause chez l’être enquête de consolation ou emporté par lesouffle artistique. Le paysage étant source de beauté, il estimpérieux de le préserver, de le soigner. Làcomme en d’autres circonstances, le péril

de dévorer ce que nous admirons nousguette autant si nous n’y prenons garde quesi, au contraire, nous nous gardons de tout.Les autorités publiques, les institutions, lesentreprises, les associations et les citoyensdoivent donc trouver leur voix entre cesdeux extrêmes.

LE PAYSAGE DANS LA NOUVELLE LOI

Récemment, au Québec, le législateur aélargi la protection patrimoniale au pay-sage. Telle est l’une des principales inno-vations de la Loi sur le patrimoine culturel,adoptée le 19 octobre dernier par l’Assem-blée nationale. En attendant de pouvoir enévaluer l’efficacité, il convient d’en pren-dre acte en examinant l’esprit qui l’animeet les moyens qu’elle met en œuvre.Notons d’abord que le paysage y apparaît àtitre de patrimoine culturel, suivant la re-commandation formulée en 2000 dans lerapport Notre patrimoine, un présent du passéet reprise en 2008 dans le livre vert Un re-gard neuf sur le patrimoine culturel. S’il sem-ble justifié de l’associer au patrimoineculturel, il ne faut pas oublier que le pay-sage concerne également le patrimoine na-turel, comme le stipule la Loi sur laconservation du patrimoine naturel. Que lepaysage puisse être patrimoine culturel etnaturel et que le régime de protection, res-sortissant d’une loi spécifique, s’accorde enconséquence n’est pas un problème en soi.On peut néanmoins s’étonner que ce dou-ble statut n’ait pas inspiré une plus forte in-tégration de nos pratiques institutionnellesen matière de patrimoine.En se limitant aux paysages culturels patri-moniaux, la Loi sur le patrimoine cultureltourne en quelque sorte le dos à la problé-matique paysagère d’ensemble. On doit ducoup en conclure que la politique paysa-gère québécoise reste partielle, même aveccet ajout. Elle l’est d’autant plus que laquestion paysagère ne se réduit pas au re-gistre patrimonial. Si un paysage est dési-gné patrimoine et fait l’objet d’uneprotection, cela signifie qu’il a conservé safacture ancienne. Mais qu’en est-il des pay-sages ordinaires ou dégradés qui relèventdavantage de l’aménagement du territoire ?Pour l’instant, la Loi sur l’aménagement etl’urbanisme est plus que discrète à cetégard, et ce que l’on sait de l’éventuelle loiqui devrait bientôt la remplacer n’indiquepas d’avancée majeure de ce côté.Si la Loi sur le patrimoine culturel regardele paysage par le petit bout de la lorgnette,le traitement qu’elle réserve aux paysagesculturels patrimoniaux, du moins ceux qui

CON

TIN

UIT

É

22

numéro cent trente-deux D o s s i e r

Un convoyeur de sable près de la côte du détroit de Géorgie devant Sechelt, en Colombie-Britannique. Comme quoi la beauté de ce paysage identitaire ne faitpas le poids devant la valeur de la silice (enhaut). Pourtant, à un kilomètre de là, un individu qui en a les moyens peut profiterd’un panorama inaccessible à la collectivitégrâce à un écran végétal (en bas).

Photos : Guy Mercier

Page 5: Dans l’oeil de la loi - Erudit

seront honorés de ce statut, dénote uneréelle et ferme intention d’assurer leur pro-tection. La procédure peut se résumer ainsi.Le gouvernement désigne un territoirepaysage culturel patrimonial à la demanded’une instance locale ou régionale. En sou-tien à sa demande, cette instance doit pro-duire : un diagnostic paysager, qui décrit endétail « les caractéristiques paysagères duterritoire visé sous l’angle physique et so-cioculturel », tout en précisant lesquellessont « remarquables » ; une démonstrationque la population concernée a été consultéeet qu’elle approuve le diagnostic paysager ;une charte du paysage culturel patrimonial,«qui présente les principes et les engage-ments pris par le milieu pour sa protectionet sa mise en valeur», charte dont découleraun plan de conservation.On peut se féliciter que le législateur aitlaissé l’initiative de la sélection et de la pro-tection d’un paysage culturel patrimonialaux instances locales et qu’il ait exigé quecette initiative soit soutenue, à la faveurd’une consultation publique, par les ci-toyens. Il reste qu’une telle initiative peut

faire défaut si la communauté locale et sesreprésentants sont moins dynamiques ous’ils n’épousent pas la cause paysagère. Lalourdeur et le coût de la démarche pour-raient aussi freiner l’élan dans les milieuxoù les moyens sont plus limités. Quant auxplans de conservation, ils auront à êtreéprouvés au fil des expériences à venir.Mais comme le législateur demeure plutôtvague sur leur contenu, on peut s’attendreà quelques tâtonnements à ce chapitre. À sadécharge, il faut admettre que la définitiondu paysage demeure encore bien vague et

CON

TIN

UIT

É

23

numéro cent trente-deuxD o s s i e r

QU’EST-CE QU’UN PAYSAGE CULTUREL?Il existe plusieurs définitions de cette notion. Celle d’Action patrimoine (autrefois leConseil des monuments et sites du Québec) s’avère englobante. Selon l’organisme,un paysage culturel découle du processus d’humanisation d’un territoire naturel. Lesvaleurs et les attitudes des gens qui s’installent dans un lieu et y pratiquent différentesactivités modifient graduellement sa réalité physique. Les types de production agri-cole, la façon d’édifier les villages et les villes, l’organisation des lieux d’échange, l’ex-ploitation des ressources naturelles ou l’utilisation d’une portion du territoire pour lavillégiature : ces actions cumulées forgent les composantes de ce qui deviendra l’assised’un paysage culturel.

Page 6: Dans l’oeil de la loi - Erudit

que son opérationnalisation à travers desmesures précises et contrôlables est parconséquent sujette à interprétation.La nouvelle Loi sur le patrimoine culturelannonce un progrès réel dans le domainede la protection du paysage. Elle impliqueen revanche un certain confinement dupaysage, autant dans sa conception que

dans sa prise en charge par les autorités pu-bliques. Souhaitons que la question paysa-gère, qui déborde le cadre du patrimoine,saura trouver d’autres canaux pour s’insérerencore plus profondément dans notre ma-nière d’aménager le territoire.Pourra-t-on ainsi répondre à l’appel deDiane Dufresne et contribuer à la survied’un monde en beauté ? On peut l’espérer,quoiqu’il vaille peut-être mieux laisser àl’art et à l’âme le soin de nous révéler et denous inspirer la beauté, et confier à nos po-litiques publiques la simple mais lourdecharge de rendre nos territoires viables etacceptables pour le plus grand nombre. �

Guy Mercier est professeur d’aménagement duterritoire au Département de géographie del’Université Laval.

CON

TIN

UIT

É

24

numéro cent trente-deux D o s s i e r

1365, rue Frontenac Québec (Québec) G1S 2S6

Tél. et téléc. : 418.648.9090

www.patri-arch.compatrimoine & architecture

Le coteau entourant le jardin de Boboli àFlorence fait partie intégrante de ce chef-d’œuvre d’architecture paysagère.Comment sceller une alliance paysagèreentre l’État, propriétaire du jardin, et les occupants du territoire environnant ?La solution n’est pas simple.

Photo : Guy Mercier