Culture religieuse. Patrimoines spirituels, fonctions des...

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CULTURE RELIGIEUSE

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C H E Z L E M Ê M E É D I T E U R

D a n s l a m ê m e c o l l e c t i o n :

CULTURE GÉNÉRALE, p a r O . VALLET. 1 9 8 9 , 2 é d i t i o n , 2 9 6 p a g e s .

LA NOTE SUR DOSSIER JURIDIQUE, p a r B . STIRN. 1 9 8 8 , 144 p a g e s .

ANNALES, FONCTION PUBLIQUE, CATÉGORIE A . 1988 , 264 p a g e s .

ANNALES, FONCTION PUBLIQUE, CATÉGORIES B , C e t D . 1988 , 2 9 6 p a g e s .

ECONOMIE POLITIQUE CONTEMPORAINE, p a r G . PRACHE e t C h . CROS. 1989 , 384 p a g e s .

QUESTIONS ACTUELLES DE DROIT PUBLIC, p a r C h . BUHL e t T h . D A L FARRA. 1989 , 196 p a g e s .

GRAND ORAL, p a r O . VALLET. 1989 , 184 p a g e s .

INSTITUTIONS POLITIQUES, p a r D . MAUS ( à p a r a î t r e ) .

Du MÊME AUTEUR :

Aux Editions Berger-Levrault :

L'administration de l'environnement (1974). Hommes et nature en montagne : les Hautes-Alpes (1975). Paix à la nature (1976).

Aux Editions du Moniteur :

L'E.N.A. toute nue (1977). Votre commune et l'environnement (1977). Votre commune et l'Eglise (1978).

Aux Editions Droguet-Ardant :

Menus propos de Qohélet (1976).

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Collect ion C o n c o u r s Cul ture

Sous la direction de J.-Ch. Savignac

CULTURE

RELIGIEUSE

Patrimoines spirituels Fonctions des croyances

Odon Vallet Ancien éleve de l'E.N.A.

Maître de Conférences à l' I.E.P. et à l'Ecole normale supérieure

MASSON Paris Milan Barcelone Mexico

1990

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© M asson, Paris, 1989

ISBN : 2-225-81979-3 ISSN : 0988-1905— 1 1 47 - 44 6 7

MASSON S.A. 120, bd Saint-Germain, 75280 Paris Cedex 06

MASSON ITALIA EDITORI S.p.A. Via Statuto 2, 20121 Milano MASSON S.A. Balmes 151. 08008 Barcelona

MASSON EDITORES Dakota 383, Colonia Napoles, 03810 Mexico D.F.

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Entrée en matière

géographie d 'une terre sainte

La culture religieuse est un brassage de convictions. Comme toute culture, elle est le fruit d'un terroir et d'un labour : le domaine d'un ancestral savoir-faire qui résiste à toutes les modes. C'est peut-être ce que l'on appelle le retour du religieux.

Mais la culture est aussi bouleversement du superficiel, rotation des sols, croisement des espèces. C'est ainsi que grandissent ensemble les variétés étrangères dont le rôle est de prévenir les terribles maladies de la monoculture. Quand la forêt germanique, gauloise ou méditerranéenne comprenait quelques centaines d'essences, elle ne courait guère de risques, ni par le feu bactérien ni par l'attaque des chenilles. Mais du jour où, par l'impatience du profit, l'on voulut aligner des jeunes plants uniformes, plus rien ne fit barrière à l'épidémie et les sujets périrent, victimes du mal des foules. Mieux vaut donc organiser les différences, cultiver l'œcuménisme, littéralement « la terre habitée ».

Dans cette agronomie de l'essentiel, puisque l'homme est mobile, il convient de retracer son itinéraire et ses rencontres, de renouer avec le sens de la vie et le courant des échanges.

A. Le s e n s d e la vie

Le sens de la vie, c'est d'abord l'homme en marche dans sa recherche du neuf et son abandon du vieux. La question principale semble ici celle des finalités ou des motivations : pourquoi le changement ? Des opportunités permettent-elles le progrès ? Ou des obstacles exigent-ils une conversion ?

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Si le climat, le relief, la faune et la flore varient, on peut dire que la nature se fait plus humaine : l'homme n'a qu'à céder à la pente de la facilité. Mais on peut dire aussi que la nouvelle faculté a pour contrepartie un inconvénient et vice versa : les glaciations abaissent le niveau des eaux et mettent à sec les détroits 1 le réchauffement engendre l'évaporation et donc la sécheresse. Dans un cas, l'adoucissement de la nature rend moins nécessaire le recours au surnaturel ; et dans l'autre, la rigueur de la nature exige l'appui d'un au-delà. C'est une quasi-constante de la sociologie reli- gieuse : la pratique augmente avec l'altitude et la pente. Quand se rétrécit l'horizon, vient le désir du vertical. Quand s'appauvrit l'atmosphère, naît le besoin d'une autre ambiance.

De cette évolution matérielle et spirituelle on retiendra ici quelques périodes majeures saisies selon leurs directions principales. Dans ce cadre spatio-temporel, on n'oubliera pas que nous, Européens de l'Ouest, et plus encore Français, sommes situés en une extrémité (« Finistère ») de l'« Ancien Monde » 2.

En d'autres termes, jusqu'à une époque récente 2 toute innovation venait forcément du « Levant ». Quand on dit que les grandes invasions viennent de l'Est et les grandes religions d'Orient, on énonce une évidence. Mais, vu du Japon ou de Corée, l'Orient c'est l'Amérique et l'Occident l'Inde. Autant dire qu'il faut bien repérer la situation de l'interprète. On choisira donc ici des exemples du Proche-Orient d'où nous sont venus le judaïsme, le christianisme et l'Islam 3

a) La civilisation de Tibériade

Il serait tentant d'écrire l'Homme de Tibériade, une sorte d'ancêtre de Jésus. Mais on n'a pas retrouvé, dans le gisement d'Oubeidiyeh, le moindre ossement. Néanmoins, l'abondance et la forme des objets en pierre témoignent d'une présence du genre humain, plus précisément de l' Homo erectus, ancêtre de l'Homo sapiens. La marque d'une présence est ici l'ouvrage et non l'empreinte. Elle requiert du profane une foi dans la science.

Le gisement d 'Oubeidiyeh semble dater d'au moins 1,4 million d'années. Il est assez proche, dans le temps et dans l'espace, des plus anciens sites d'Homo erectus actuellement attestés en Afrique orientale ( - 1 ,7 à - 2 millions d 'années). On pense 3bis que ces hommes ont dû se déplacer le long du Rift, grande dépression qui va du Kenya, du Malawi et de la

1. Il convient de se rappeler que, voici 15 000 ans seulement, l'Asutralie était reliée à la Nouvelle-Zélande, la Turquie à la Grèce et la France à l'Angleterre. L'Amérique probablement était peuplée à partir de la Sibérie par ce qui n'était pas encore le détroit de Behring.

2. A coup sûr, jusqu 'au peuplement du « Nouveau Monde », voici quelques dizaines de milliers d 'années, semble-t-il, et bien souvent jusqu'à Christophe Colomb qui établit la communication régulière entre les deux « mondes ».

3. Ces exemples sont choisis à partir des travaux menés par le Centre de recherche français de Jérusalem (Mission permanente CNRS-DGRCST).

3bis. Dans ce chapitre, on demeurera prudent sur l'interprétation des faits quant aux migrations d humains ou aux déplacements d'idées : y a-t-il coïncidence d'apparitions ou exportation de phénomènes ? La préhistoire et l'archéologie sont périodiquement traversées par ce débat.

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Tanzanie à la mer Rouge puis à la mer Morte, le point le plus bas du globe. La vallée du Jourdain et le lac de Tibériade constituent l'extrémité de cette dépression.

Ultérieurement, ces types d'hommes signalés près le lac de Tibériade (ou mer de Galilée 4 seront repérés en Europe et Asie centrale où ils entreront probablement en contact avec d'autres hommes venus d'Extrême- Orient. L'antériorité humaine de la région équatoriale puis proche-orientale est vraisemblablement due à des conditions naturelles (climatiques notam- ment) favorables 5 Le Proche-Orient joue ici, pour la première fois, son rôle de zone de contact entre trois continents : l'Afrique, l'Asie et l'Europe.

Une autre remarque concerne la désignation de l'Homo erectus et le sens de cette érection. Pour Freud, le fait de se dresser exigeait de l'homme un renoncement aux instincts olfactifs, particulièrement développés chez l'animal à quatre pattes. On pourrait dire aussi que la station debout est pénible ou qu'on n'obtient pas de stature sans effort.

Dans la Bible, Abram est le père de l'élévation ou de l'érection 6 Puis Dieu ajoute une lettre à son nom (Genèse 17, 5), et il devient Abraham, le père de la multitude. La dimension verticale est à la fois celle de la hauteur spirituelle et celle de la fécondité corporelle ; l'érection étant à la fois tension de l'être et besoin de la nature.

Enfin, le gisement d'Oubeidiyeh (en hébreu : « esclave de Dieu ») invite à une réflexion génétique et à une exégèse biblique. On a retrouvé les traces de 66 espèces d'oiseaux et de 56 espèces de mammifères les plus divers et se rapportant à des biotopes qui nous semblent aujourd'hui assez différents : macaques, ours, loup, tigre à dents sabres, sanglier, hippopotame, buffle, gazelle, mammouth, rhinocéros, hérisson, girafe, porc-épic, hyène tachetée, etc.

La découverte d'Oubeidiyeh et de sa faune exubérante n'est pas sans évoquer le « paradis » retrouvé dans la peinture naïve d'Esaïe (11, 6-7) :

« Le loup habitera avec l'agneau Le léopard se couchera près du chevreau Le veau et le lionceau seront nourris ensemble Un petit garçon les conduira »...

Mais ce « jardin d'Eden », antérieur de soixante mille générations à la création d'Adam rappelle aussi les exigences séparatrices du règne animal :

« Dieu dit : que la terre produise des êtres vivants selon leur espèce : bestiaux, petites bêtes, et bêtes sauvages selon leur espèce » (Genèse 1. 21).

4. Tibériade est l'appellation romaine du nom de l'empereur Tibère. Le nom grec était « lac de Guennésareth ». Le nom hébreu actuel est « lac de Kinnereth » D 'une manière générale, la variabilité des noms propres témoigne de la diversité des occupants du territoire.

5. Les mêmes facilités jouent d'ailleurs pour les découvertes actuelles puisque les régions du Rift sont caractérisées par des failles où affleurent des sédiments qui. ailleurs, seraient enfouis à des dizaines de mètres de la surface. Aussi une certaine prudence est-elle de mise devant les affirmations telles que « le plus vieil homme du monde » ou « le plus ancien usage du feu », etc.

6. De l'hébreu ',b = père, r,m = haut.

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L'espèce (en hébreu min, en grec genos) est bien confrontée au multiple. Chaque animal, végétal ou minéral vit dans un règne (au sens de régime) qui est un assemblage de divergences. Seul l'homme ne forme qu'une espèce : celle-ci est, au-delà des diversités ethniques, un facteur « homogène ».

b) Le crâne de Galilée

Il serait encore tentant d'écrire l'Homme de Galilée et d'en faire l'ancêtre du Galiléen Jésus : cet Homo sapiens serait le premier « sage » d'Israël. Mais on risquerait alors de trop insister sur la situation, de sacraliser un lieu. Or, ce demi-crâne, vieux de 149 000 ans, témoigne d'un passage autant que d'une présence.

Le débat porte justement sur l'ordre de ce passage. Ce demi-crâne s'apparente-t-il à l'Homo sapiens Neanderta/is dont le premier spécimen découvert (ce qui ne veut pas dire le plus ancien) se trouvait en Allemagne ? Ou est-il un prototype de l'Homo sapiens sapiens, c'est-à-dire de nous- mêmes ? Alors qu'au siècle dernier, on voyait dans ce vieil « Allemand » notre ancêtre, aujourd'hui on chercherait plutôt celui-ci dans ce « Galiléen ». L'Homme de Neandertal aurait migré au Proche-Orient où sa présence n'est attestée que tardivement. Et le prototype de l'homme moderne serait « né » ou, du moins, attesté en Galilée. C'est dire combien l'imaginaire est concerné par un débat où, actuellement, le conditionnel reste de rigueur.

c) Les sépultures de Nazareth

La prudence est aussi de mise dans l'interprétation des sépultures de Qafzeh datés d'environ 80 000 ans. Il s'agirait là encore, d'ancêtres de l'homme moderne appelés protocromagnons.

O n t r o u v e , à Q a f z e h , p r è s d e N a z a r e t h 7 u n s q u e l e t t e d ' e n f a n t a v e c ,

s u r l a p o i t r i n e e t s u r l e s m a i n s , u n f r a g m e n t d ' u n g r a n d b o i s d e d a i m . I l

s ' a g i t d e l a p l u s a n c i e n n e s é p u l t u r e à o f f r a n d e d u P r o c h e - O r i e n t . O n t r o u v e

a u s s i l e s q u e l e t t e d ' u n e n f a n t d e s i x a n s a u x p i e d s d e c e l u i d ' u n j e u n e

a d u l t e . C e s « e n f a n t s d e N a z a r e t h » , p l u s p r o c h e s d e n o u s q u e l e s a d u l t e s ,

f o n t l ' o b j e t d ' é t u d e s r e l a t i v e s à l ' é v o l u t i o n h u m a i n e .

P a r a i l l e u r s , l e s s q u e l e t t e s d e Q a f z e h t é m o i g n e n t d ' u n e n s e v e l i s s e m e n t

o r d o n n é q u i e s t c o n s i d é r é g é n é r a l e m e n t c o m m e l e p r e m i e r s i g n e v i s i b l e d e

l ' a p p a r i t i o n d ' u n s e n t i m e n t « r e l i g i e u x » o u , d u m o i n s , d ' u n l a n g a g e s y m -

b o l i q u e s e l o n d e s f o r m e s q u i t r a n s c e n d e n t f r o n t i è r e s e t c o n t i n e n t s . O n

r a p p r o c h e r a a i n s i l ' e n f a n t d e Q a f z e h d e c e l u i d e T e s h i k T a s h ( R u s s i e )

7. Cette localisation invite, par ailleurs, à une réflexion sur l'aspect « profanateur » de l 'archéologie. Car Nazareth est aussi le lieu où fut découverte, en 1878, une traduction grecque d 'un édit d Auguste qui condamnait à mort l'auteur de toute profanation de sépulture. Or, précisément, l' archéologie progresse par la répétition de ces actes qui, aujourd'hui encore, en certains pays, exposent les chercheurs à la vindicte des autorités ou de la population. On pourrait dire qu 'en ce domaine comme en d'autres, il n'y a pas de connaissances du passé sans violation du mystère.

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enseveli avec des cornes de bouquetins ou de la femme du Mas-d'Azil (Ariège) dont le crâne était posé sur un bois de renne et près d'une corne de bison. Les psychanalystes parleraient ici d'un objet transitionnel dans l'apprivoisement de la mort.

Quant à la jeune fille avec un enfant, elle constitue un très ancien exemple de lien entre humains au-delà de la mort. Etait-il religieux, familial, affectif ? Il est difficile de répondre. L'imagination qui nous vient à l'esprit répond peut-être à l'imagination de nos ancêtres. Y a-t-il ou non une « religion de la préhistoire » ? Qui sait si, sous une forme ou sous une autre, la question n'était pas déjà débattue au temps de la préhistoire ? D'une manière générale, plus les chercheurs sont proches du concret plus ils font preuve de prudence en la matière. Sans doute trouve-t-on, dans le travail à ras de terre, matière à humilité 8

d) Les maisons de Mallaha

Ces maisons en pierre, circulaires et à demi enterrées, constituent les plus anciens exemples connus d'un habitat en « dur ». Les hommes n'ont plus à se réfugier, en cas de danger ou d'intempéries, dans des anfractuosités. La pierre n'est plus seulement outil ou abri, mais aussi construction et même technologie si l'on considère les objets nouveaux : silos ou poubelles, mortiers, pilons, broyeurs, meules, etc. On trouve ici à la fois les plus vieilles demeures et les premières ruines.

Cette évolution des modes de vie est probablement liée à un réchauf- fement du climat et à une abondance de la faune. De nomade ou semi- nomade, l'homme devient ici sédentaire. Il acquiert les avantages et les inconvénients de cette fixité. Cet habitat groupé permanent ou semi-permanent pose le problème de l'insertion des individus dans un ensemble stable, puis du repérage des productions mises à l'abri. Quelque millénaires plus tard, ce repérage exigera le recours à la combinatoire des signes, puis à la mémoire de l'écriture qui fut d'abord un étiquetage et une comptabilité.

Longtemps considérée comme contemporaine de l'agriculture, cette sédentarité apparaît aujourd'hui comme antérieure. Il n'y a guère d'animaux domestiques, si ce n'est (peut-être) le chien. Les plantes ne semblent pas encore cultivées. L'image d'une « révolution néolithique » s'estompe au profit d'un processus de néolithisation, ici à peine en germe. On doit nuancer les grandes oppositions tranchées entre « chasseurs-cueilleurs-nomades » et « agri- culteurs-éleveurs-sédentaires ». La culture est ici autant maturation que découverte.

8. Nazareth est sans doute un lieu d'humilité tant pour les préhistoriens que pour les exégètes. Les premiers doivent travailler à partir d'un demi-crâne et les seconds à partir d' un double sens On ne sait au juste si Jésus le Nazaréen veut dire Jésus le saint (nazir) ou Jésus le rejeton (nétzèr). Dans les deux cas. on n'est pas certain que cet adjectif se rapporte à la ville de Nazareth, inconnue de l'Ancien Testament, et le lieu de naissance de Jésus demeure donc objet de débat.

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e) L'enclos de Jéricho

Pour Mallaha, on aurait été tenté d'écrire le village de Mallaha. Pour Jéricho on serait tenté décrire la forteresse de Jéricho. Ces tentations, qui se retrouvent dans les titres de plusieurs articles, expriment d'ailleurs une part de vérité. Mais elles évoquent des images d'ensembles trop bien constitués relevant d'époques ultérieures.

Mieux vaut donc parler d'ébauche ou de prototype. Jéricho présente des traces de bâtiments antérieurs à — 7000 sur une surface d'environ 53 hectares. Des vestiges de mur d'enceinte et une tour massive permettent d'envisager un système de défense. Dans la mesure où cet ensemble a pu abriter jusqu'à deux mille habitants, il s'agit probablement du plus ancien prototype de ville connu au monde.

On est tenté de projeter sur Jéricho le fameux épisode biblique (Josué 2, 1) des murailles qui s'effondrent au son de la trompette divine. Cette anticipation serait d'autant plus hasardeuse qu'à l'époque du prophète la ville était probablement en ruine. Néanmoins, Jéricho atteste l'ancienneté de la protection des personnes et des biens, notamment des récoltes. Des traces de destructions multiples suggèrent une très ancienne relation entre stockage des richesses et pillage d'une ville, relation qui sera la cause première des hostilités de par le monde. Désormais, les hommes s'abritent derrière des fossés et des enceintes. Il y a là les prémisses d'une organisation de la « citadelle », au sens premier du terme, d'une « politique ».

Jéricho serait, semble-t-il, un bon exemple de site fermé. Témoigne- t-il déjà d'un culte organisé avec des prêtres ? On demeurera prudent à ce propos comme à celui d'Ain Ghazal, village jordanien de la même époque.

Mais Jéricho pose déjà le problème de l'ouverture et de la fermeture du site, de l'existence ou de l'absence de murailles et de fossés. Si la fortification des sites urbains est désormais le cas le plus fréquent à l'échelle mondiale, cette règle n'est pas absolue 9 Or la protection d'un site n'est pas sans rapports avec la fonction religieuse.

Tantôt, en Palestine (comme en Grèce ou ailleurs), on rencontre des sanctuaires isolés dans la nature, souvent sur des hauteurs ; tantôt ils seront intégrés dans un ensemble urbain. Dans la nature, on pourra les protéger des pillards par une enceinte. Mais dans les villes, il faudra aussi les protéger du reste de la cité pourtant fortifiée : une deuxième enceinte, plus petite, sera nécessaire pour défendre les richesses du sanctuaire contre l'appétit des citadins. L Acropole d 'Athènes et le Temple de Jérusalem sont deux exemples

9. Par exemple au I V millénaire, les villages de la vallée du Jourdain tel Ghassul ne sont pas forti fiés. A la même époque, en France (Saintonge), on trouve des éléments de fossés et de murailles, mais l'absence de fortifications ne signifie pas toujours l'absence de défense. Il arrive souvent, comme à Catal Hoyük (Turquie), que les maisons contiguës disposées en cercle, sans fenêtre, donnent sur l 'extérieur, constituant un début de protection. Sur ce sujet, voir le chapitre « Aux origines du politique », in Culture générale par O. Vallet, Masson, Paris, 1989.

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de cette double enceinte. Le problème que semble poser déjà Jéricho, c'est l'ambiguïté de la muraille : en se défendant contre un ennemi extérieur, on suscite un « ennemi intérieur » qui exigera un nouveau périmètre de défense. Telle est la dialectique de la sauvegarde et de la convoitise.

B. Le c o u r a n t d e s é c h a n g e s

Les cinq paragraphes précédents ont évoqué un territoire de mille kilomètres carrés, grand comme un arrondissement français. Il représente la partie nord de ce que les juifs et les chrétiens appellent la Terre Sainte.

Mais au-delà des confessions, chacun s'accordera à la considérer comme vénérable au sens de très âgée. L'ancienneté de l'occupation humaine, l'exceptionnelle densité démographique, la précocité du mode de vie séden- taire témoignent d'une terre qui eut un climat accueillant pour des expériences nouvelles. Elle se montre à la fois l'une des plus vieilles et des premières dans nombre d'innovations. Et aujourd'hui, fouillée plus que toute autre dans le monde 10 en révélant bien des mutations, elle dément à la fois, le fixisme de l'espèce et la permanence des acquis.

C'est ici que surgit la menace d'une pensée immobile qui nierait la migration des êtres. Déjà le gisement d'Oubeidiyeh ou les squelettes de Qafzeh laissèrent entrevoir les déplacements d'humains autant que leurs installations. Ajoutons d'ailleurs, pour lever toute équivoque, qu'on aurait pu choisir d'autres sites paléolithiques de l'autre côté du Jourdain, en Jordanie : la dépression du Rift ignore les frontières politiques.

Les exemples suivants montrent qu'à des époques plus récentes, cette terre vénérable est inséparable du Proche-Orient voire de l'Eurasie. La sacraliser en l'isolant reviendrait à nier qu'elle soit féconde.

a) Le croissant fertile

Le passage progressif à une économie de culture et d'élevage (néolithique) s'est effectué en plusieurs régions du globe, parfois indépendamment, parfois par influence. La néolithisation du Proche-Orient est, pour les Européens, un objet d'étude particulièrement intéressant puisqu'il est l'un des premiers exemples d'un mouvement qui atteignit la France (par exemple) trois millénaires plus tard vers — 5000. Les origines culturelles ou culturales se fondent ici dans une même recherche des racines.

1° Au Proche-Orient, cette néolithisation est liée à l'existence de plusieurs rivières ou fleuves tels que le Tigre et l 'Euphrate, le Nil, le Jourdain et l'Oronte (Syrie). Cette combinaison de chaleur et d humidité a permis d'abreuver la terre et les bêtes dans des bassins fluviaux dont la forme

10. C'est d'ailleurs cette intensité des fouilles qui explique notre prudence tout au long de ce chapitre tant l'abondance des découvertes peut être liée à la force des motivations.

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Sourc e : T .O.B. (Bible œcuménique) © Les Éditions du Cerf — Les Bergers et les Mages.

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évoquera un croissant fertile allant de la frontière irano-irakienne à l 'Egypte en passant par la Syrie, le Liban, la Jordanie et Israël. Aucun peuple, aucune race, aucune langue, aucun Etat ne peut revendiquer cette région qui n 'a tenu sa richesse que de la nature.

Ce croissant fertile 11 laisse aujourd'hui entrevoir les restes d'une trentaine de sites. Les plus anciens se trouveraient en Syrie du Nord (notamment à Mureybet vers - 8000) 12 tandis que la vallée du Jourdain n'aurait été atteinte que net tement plus tard, au V I I millénaire. Et encore, la fragilité de cette économie de production puis du Jourdain aurait entraîné, sous l'effet d 'un climat plus sec, la quasi-disparition de l'occupation humaine permanente au sixième millénaire 12 C'est dire qu'à l 'intérieur du croissant fertile, existent de nombreuses nuances locales qui peuvent laisser supposer tantôt des influences et des propagations, tantôt des isolements et des particularismes. Le degré d 'autonomie de ces divers groupements humains est encore mal connu.

Mais ce serait une erreur de considérer ce croissant fertile uniquement comme un ensemble de plaines communicantes : les plateaux n'en sont pas absents ni les pentes qui favorisent l 'écoulement de l 'eau ni les différences d'altitude 13 qui rapprochent des écosystèmes différents. Certains sites comme celui de Beidha (Jordanie) ou, plus tard, ceux du plateau anatolien laissent même penser que les préoccupations de défense (contre les hommes ou les bêtes sauvages) pouvaient guider le choix d'un site escarpé ou le groupement serré des maisons. Un compromis doit être trouvé dans l'installation : la générosité de la nature suscite la convoitise des hommes.

Enfin, l 'étude des conditions et des époques du passage à l'agriculture et à l 'élevage révèle des enjeux idéologiques. Alors que pour le X I millénaire (Mallaha), on aurait plutôt parlé « d'avance » pour Israël, au V I millénaire, on évoquerait plutôt son « retard ». On se doute que le facteur nationaliste n'est pas entièrement absent dans l ' interprétation des recherches. D 'autant plus qu'au V millénaire, les villages des environs du Jourdain auraient repris vigueur grâce à l'arrivée de populations venues des confins du désert syro- arabe. Au contraire, à l 'époque moderne, l'agriculture israélienne a acquis la réputation de faire reculer le désert tandis que les tribus bédouines étaient accusées de nomadiser jusqu'à l 'épuisement des pâturages. C 'est dire qu 'à l'échelle millénaire, production et prédation peuvent s 'inverser.

2° Le passage progressif de la cueillette et de la chasse à l 'agriclilture et à l'élevage (en passant par des stades intermédiaires d'horticulture et de capture d 'animaux) influe sur les religions. Notamment avec la reproduction des végétaux et des animaux, devenue vitale, prospèrent les cultes de la fertilité. Si les grottes paléolithiques témoignent déjà de peintures et de

11. Sur le plan imaginaire, ce croissant fertile n'est pas sans évoquer le croissant vert de l'Islam et son prestige s'accroît si on écrit Croissant avec une majuscule.

12. Pour un résumé de cette évolution, on pourra se référer à Agriculteurs sédentaires du VIIIe au VIe millénaire de Henri de Contençon in Archéologia n° 106.

13. Près de la mer Morte, à 1 000 mètres d'altitude. on bénéficie d'une dénivelée de 1 400 mètres avec le point le plus bas du globe.

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signes évoquant la sexualité et l'accouplement, les sites néolithiques, précoces et nombreux au Proche-Orient, attestent l'intensité de ce souci. La fécondité rapproche ici culte et culture.

Les traces de ces cultes subsistent notamment sous la forme de statuettes féminines (en pierre ou en argile) aux seins et au ventre démesurés. Leur interprétation ne fait pas l'unanimité et on les appelle tantôt déesses-mères, tantôt femmes assises ou bustes féminins. Si l'exagération volontaire des formes ne fait guère de doute, les intentions des sculpteurs sont moins claires. Ce mélange d'érotisme et d'obstétrique relève-t-il de l'admiration ou de l'adoration ?

Art et religion semblent ici indissociables, un peu comme dans les multiples « vierges à l'enfant » qui, à la Renaissance, illustreront autant une évolution du goût qu'un renouveau de la piété. La même remarque vaudra ultérieurement pour les prostituées sacrées de certains cultes : les divergences actuelles d'interprétation peuvent aussi correspondre à des différences initiales de conception. La seule certitude concerne la représentation privilégiée des attributs mâles et femelles. En passant de la cueillette à la culture, la « Terre-Mère » n'enfante plus seule mais avec les semences déposées par les hommes. Et, dans la plupart des langues du monde, le vocabulaire de la reproduction sera le même pour l'homme, l'animal et le végétal.

3° Cette exaltation du féminin et du maternel a son symétrique dans le masculin et le paternel. En témoignent des figurines cornues de taureaux et de béliers, des symboles phalliques tels que poteaux et pierres dressés, puis le culte des Baals. Ceux-ci sont des divinités agraires, époux de la terre-mère et qui assurent la régulation des saisons comme la fertilité du sol. Adorés dans la région syro-palestinienne (pays de Canaan), les Baals correspondent à une civilisation sédentaire et agro-pastorale où le chef de famille est simultanément le maître du lit, de la maison, des champs et du ciel.

Cette domination est à la fois le modèle et la rivale des patriarches d'Israël. Yahvé sera le grand adversaire des Baals et, probablement, avait d 'abord été adoré sous le nom de ses ennemis (cf. Osée 2, 18).

4° Cette civilisation mêlant culture et élevage était ponctuée de fêtes liées au calendrier agricole. Ainsi, la fête juive des Tentes (Exode 23, 16), avant de rappeler la sortie d'Egypte, fut une célébration des récoltes d 'automne. La fête chrétienne de la Pentecôte, avant de commémorer la venue de l 'Esprit Saint sur les apôtres, fut une fête des moissons. Pâques, avant de symboliser le passage de la mer Rouge par les fils d'Israël, puis la Résurrection du Christ, était la consécration des troupeaux. La fête qui se transmet de génération en génération apparaît alors comme un accord de l'éternel et du saisonnier.

D 'une manière générale, comme d'ailleurs chez les Grecs et les Romains, la culture et l 'élevage invitaient au sacrifice des primeurs et des prémices dans l 'esprit de belles récoltes. Le premier-né est par définition unique et, bien plus tard, Jésus sera présenté comme le modèle du premier-né (Luc

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2, 7), qui devait être consacré à Dieu (Exode 13, 2). Une partie de la critique verra dans sa mort l'exemple achevé des sacrifices humains de premiers-nés.

5° La rivalité entre cultivateurs sédentaires et pasteurs semi-nomades ou transhumants est illustrée dans la Bible avec le meurtre d'Abel le berger par son frère Caïn 14 l'agriculteur (Genèse, ch. 4). Puis le meurtrier sédentaire construit une ville.

En règle générale, la Bible est sévère pour les sédentaires et les citadins, tous ceux qui s'installent dans la richesse. Elle préfère les pasteurs qu'aucune possession ne retient. Dieu puis Jésus seront décrits comme des exemples du bon berger conduisant un peuple de brebis.

Effectivement, les Hébreux furent longtemps des semi-nomades ou des transhumants avant de se fixer vers la fin du I I millénaire entre le Jourdain et la Méditerranée et de bâtir, eux aussi, des villages et des villes. On notera que Mahomet et ses premiers amis se présentent aussi comme des semi-nomades (caravaniers ou pilleurs de caravanes) en butte à l'hostilité des citadins de La Mecque et de Médine. A l'origine d'Israël et de l'Islam, il y a donc des populations mobiles qui se révoltent contre les fondations et les possessions avant de devenir, à leur tour, propriétaires.

b) Le commerce de l'Orient

Le croissant fertile et son prolongement nordique du plateau anatolien (Turquie) 15 forment un ensemble culturel et cultural assez bien caractérisé dès l'époque néolithique. Sans doute s'ouvrait-il déjà sur l'extérieur selon des directions que des fouilles nouvelles permettront de préciser.

En avançant de quelques millénaires, on découvre une civilisation plus élaborée où les échanges se multiplient et les moyens de communication se perfectionnent. Dès lors, il devient de plus en plus difficile de séparer ce qui relève de l'emprunt et ce qui tient de l'original. Que deux civilisations entrent en contact ne signifie pas qu'elles se mélangent. Mais qu 'il s 'agisse d'art, de religion, ou de technique, nulle invention ne peut prétendre au monopole du brevet.

14. L'étymologie des noms propres est incertaine. Abel tiendrait de Hebel = souffle ou vanité peut-être par allusion à sa courte vie. Caïn signifierait « forgeron » et Mircea Eliade relève la crainte qu'inspiraient les forgerons dans les sociétés pastorales. Mais la Genèse contient un jeu de mots entre Caïn et le verbe gânâ, posséder ou procréer : « J 'ai procréé (ou possédé) un homme avec le Seigneur. » On pourrait aussi y voir une référence œdipienne : Eve aurait enfanté un futur meurtrier avec un substitut du père.

15. Et peut-être son prolongement méridional avec le croissant fertile africain qui aurait couvert la vallée du Nil égyptien et soudanais ainsi que le Sahara oriental. Mais il est toujours difficile, tant pour la néolithisation que pour l'apparition des civilisations urbaines. de préciser le rayonnement du Proche-Orient. Ainsi, on s 'interroge toujours sur le rô le exact du Proche- Orient dans l'apparition de l'agriculture (Mehrgarh) et des villes (Mohenjo-Daro) de la vallée de l'Indus.

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1° Une première restitution de ces influences est fournie par l' abondance des traits d'union. On parle de langue ou de civilisation indo-européenne, chamito-sémitique 16 assyro-babylonienne, indo-hellénique, gréco-boud- dhique, phénico-punique et, plus tard, gréco-romaine ou judéo-chrétienne. Mais chacun de ces traits d'union cache un certain nombre de pièges bien connus des spécialistes : à titre d'exemple l'indo-européen est un groupe de langues qui ne touche, en Inde, que le nord du pays ; le phénico-punique unit deux contrées (la Phénicie et la région de Carthage) aux limites mal connues : la religion « judéo-chrétienne » n'est compréhensible que par rapport aux influences « helléno-chrétiennes ». Des peuples connaissent le métissage, et des religions le syncrétisme. C'est dire aussi les menaces qui pèsent sur la « race pure » et « le vrai Dieu » et donc, la complexité qui anime les processus d'autrefois comme les recherches d'aujourd'hui.

2° Cette vie d'échanges témoigne aussi de la densité démographique. Tant de métiers du commerce, du bâtiment, de l'artisanat ou de l'adminis- tration attestent que de très nombreux hommes étaient soustraits aux tâches de production agricole. Le premier effet de la néolithisation a été de multiplier, peut-être par dix, la population des pays concernés. Cette spécialisation professionnelle provoque des divergences d'interprétation. La division du travail... divise les chercheurs car elle introduit les classes sociales. Ainsi, tout colloque archéologique franco-soviétique sur le Proche-Orient et l'Asie centrale doit tenir compte de ces approches conflictuelles, dès lors qu'on ne peut creuser la terre sans que surgissent les idées.

Cette densité et cette diversité de la population rendent plus aiguë la question des liens entre les hommes et, donc, de la religion. A titre d'exemple, la Palestine de la fin du I I millénaire avant Jésus-Christ, vingt fois plus petite que la France actuelle, avait la même population que l'Amérique d u N o r d , l e J a p o n o u l ' O c é a n i e d e l ' é p o q u e 17 .

C r é e r d e s l i e n s d e v e n a i t u n p r o b l è m e v i t a l . L a r e l i g i o n a p p a r a î t a l o r s

c o m m e u n f a c t e u r d e c o h é s i o n s o c i a l e . D a n s l a B i b l e , l e s r e c e n s e m e n t s s o n t

p r é s e n t é s c o m m e u n o r d r e d e D i e u à v i s é e m i l i t a i r e . M a i s c e s « c o n s e i l s

d e r é v i s i o n » o n t a u s s i u n e p o r t é e a d m i n i s t r a t i v e e t c o e r c i t i v e d a n s l a m e s u r e

o ù c h a c u n e s t o b l i g é d ' o c c u p e r u n e p l a c e d a n s u n e f a m i l l e e t u n c l a n . C e t t e

g é n é a l o g i e a u s e r v i c e d e l a p o l i t i q u e a p p a r a î t a s s e z i m p o r t a n t e p o u r q u e

l e s t r a d u c t e u r s g r e c s a i e n t a p p e l é u n l i v r e d e l a B i b l e L e s N o m b r e s .

3° L a d e n s i t é d é m o g r a p h i q u e e t l ' a c t i v i t é c o m m e r c i a l e c o n d u i s e n t a u

d é v e l o p p e m e n t d e s v o i e s t e r r e s t r e s e t m a r i t i m e s . P o u r l e s v o i e s t e r r e s t r e s ,

o n p e u t c i t e r u n g r a n d a x e n o r d - s u d , s o u v e n t a p p e l é r o u t e d u r o i , a l l a n t

d u s u d d e l ' A r a b i e à l a M é s o p o t a m i e e n p a s s a n t p a r l e s p l a t e a u x d o m i n a n t

16. Voir 1 partie, chapitre 1 La culture méditerranéenne.

17. A en croire la Bible (Nombres 1, 46) Israël avait même une population équivalente celle de ces trois territoires réunis soit environ 3 millions d'habitants correspondant à une

armée de 603 500 hommes. Mais l 'exagération est ici probable à moins que les « tribus d'Israël » ne fassent référence à des populations et des territoires assez flous.

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la vallée du Jourdain et le désert syrien. Dans une large mesure, la religion d'Israël témoigne d'ailleurs d'une tension entre influences du nord et du sud au point que la rédaction même de la Bible en a été influencée 18

Un axe est-ouest, à la fois terrestre et maritime va d'Anatolie (Turquie) à la vallée de l'Indus en passant par la plaine mésopotamienne et le détroit d'Ormuz. Cette route, ou cet ensemble de routes, dont l'importance prête encore à discussion, est attestée dès le I I I millénaire. Ainsi l'ouest du sous- continent indien était-il relié à l'Arabie et aux contacts « indo-européens » s'ajoutaient des relations « indo-sémitiques ». Bien plus tard, cette route servira à l'expansion de l'Islam vers l'Iran et le Pakistan.

Enfin, à partir de la fin du I I millénaire, les Phéniciens vont créer des routes maritimes et installer des comptoirs, dans toute la Méditerranée (Chypre, Malte, Sardaigne, Sicile, Carthage, etc.) et jusqu'à l'Atlantique en passant par les Baléares. A l'inverse, le peuple d'Israël apparaît comme beaucoup plus terrien que marin. Il est vrai que les villes de la côte étaient généralement tenues par ses ennemis philistins.

Une deuxième remarque concerne l'importance relative de la terre et de la mer. Plus une côte est découpée et un intérieur est montagneux, plus on a intérêt à communiquer par bateau. Mais moins le littoral est sinueux et l'intérieur accidenté, plus il est facile d'emprunter la voie terrestre. Le premier cas correspond parfaitement à la Grèce et le second assez bien à Israël. On se doute que les relations portuaires poussent à l'ouverture sur l'extérieur et les relations villageoises à la consolidation des valeurs internes. Il y a là, pour quelques millénaires suivants, l'ébauche d'une tension entre les novateurs de Grèce et de Rome et les résistants que sont les Hébreux puis les Juifs.

4° A la différence du terrestre et du maritime, s'ajoute celle du rural et de l'urbain. La construction de villes, c'est-à-dire d'ensembles de bâtiments groupés, différenciés et le plus souvent fortifiés, modifie l'existence sociale et religieuse. Aujourd'hui encore, on ne saurait concevoir l'Islam sans La Mecque, le judaïsme sans Jérusalem ou le catholicisme sans Rome. Seul le protestantisme peut se passer de ville sainte, peut-être parce que issu des bourgs et de la bourgeoisie, il connaît trop bien les arcanes de l 'urbanité.

On mesure donc l'importance du passage de lieux de culte multiples à des lieux limités voire à un lieu unique, puisqu'à certaines époques (réformes d'Esdras vers - 450), Jérusalem fut (théoriquement) le seul lieu de sacrifice en Israël. Le monopole d'une ville s'exprimait par la suprématie d 'un culte.

Si, pendant longtemps, on a cru que cette « explosion » urbaine avait surtout affecté la Mésopotamie, une intensification des fouilles en terre biblique a permis de découvrir plusieurs sites urbains du I V millénaire tels Meggido ou Arad. A la même époque, la culture de la vigne et de l 'olivier et le travail du cuivre (époque chalcolithique) amènent le stockage du vin,

18. Certaines sources (yahviste, sacerdotale) sont plus « méridionales » (proches de Jéru- salem) et d'autres (Elohiste, Deutéronome) plus « nordistes » (proches de la Phénicie).

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de l'huile et d'objets divers (sans oublier la laine, les figues, les céréales) avec l'aide de jarres en céramique. Désormais les villes abritent des « trésors » dont on ne sait jamais trop s'il faut les considérer comme profanes ou sacrés. Et les religions associeront les décrets de la providence aux mystères de la fortune.

SOURCES DOCUMENTAIRES

Pour cette introduction, on donnera quelques indications générales sur les sources archéologiques. Comme pour l'ensemble de cet ouvrage, les sources sont classées par ordre croissant de difficultés avec un, deux ou trois astérisques. Et comme pour l'ensemble de l'ouvrage, on n'indique jamais les références spirituelles supposées des auteurs, avec la conviction que leur désir de connaître l'emporte sur la volonté de séduire.

* L'invention de la civilisation, Trois millions d'années de l'histoire de l'homme, John A.J. GOWLETT, Nathan, Paris, 1984.

* Les premiers hommes au pays de la Bible, catalogue de l'exposition préparée par le Centre de recherche français de Jérusalem, CNRS-DGRST, 1988.

* La Jordanie, de l'âge de la pierre à l'époque byzantine, catalogue de l'exposition « 9 000 ans d'art au royaume de Jordanie », la Documentation française, Paris, 1987.

* Préhistoire en Israël, les premiers hommes au pays de la Bible, Dossiers Histoire et archéologie, n° 100.

* Le croissant fertile, J. DUCHESNE-GUILLEMIN, Maisonneuve, Paris, 1963. * Les civilisations antiques du Proche-Orient, P. AMIET, Que sais-je ? PUF, Paris,

1972. * De / 'Euphrate à l'Indus, les plus anciennes civilisations, Dossiers Histoire et

archéologie, n° 122. ** La Jordanie à l'époque de la Bible, Le Monde de la Bible, n° 46. ** Atlas de l'histoire ancienne, Colin Mc EVEDY, R. Laffont, Paris, 1985.

Histoire des croyances et des idées religieuses, tome 1, Mircea ELIADE, Payot, Paris, 1976.

* * dieux et hommes, / 'imaginaire des premières religions, P. LÉVÊQUE, Paris, Messidor, 1985. ** Les religions de la préhistoire, A. LEROI-GOURHAN, PUF, Paris. 1964.

** La Préhistoire d'un continent à l'autre, J. GUILAINE et coll., Paris, Larousse, 1989.

** Dictionnaire de l'archéologie, G. RACHET, R. Laffont, Paris, 1983. ** 'archéologie française à / 'étranger, Ministère des affaires étrangères, éditions Recherches sur les civilisations, Paris, 1985.

** Dictionnaire archéologique de la Bible (collectif), éditions Fernand Hazan, Paris. * Des dieux, des tombeaux, des savants, le roman fabuleux de l'archéologie,

** C.W. CERAM, Rowholt Verlag, Hambourg, 1949 ; Plon, Paris, 1967. Le Proche-Orient asiatique, P. GARELLI (2 volumes), PUF, Paris, 1969. * * de la Mésopotamie, Ed. du C.N.R.S., Paris, 1989.

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** The early history of the ancient Near-East. H.J. NISSEN, The University of Chicago Press, 1988.

** Les premières civilisations (tome 1), sous la direction de P. LÉVÊQLE, PUF. Paris, 1987.

*** L'Asie centrale et ses rapports avec les civilisations orientales, des origines à l'âge de fer, Mémoires de la mission archéologique française en Asie Centrale, Diffusion de Boccard, Paris, 1988.

*** Revue Paléorient. *** Les hommes fossiles de Qafzeh, B. VANDERMEERSCH, Ed. du C.N.R.S., Paris, 1989.

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** Lourdes, histoire authentique des apparitions, R. LAURENTIN, Paris, Lethielleux, 1958 et s.

* Notre-Dame de Lourdes, Henri LASSERRE, Paris, 1869. * Lourdes, Emile ZOLA, Paris, 1893. * Mon voyage à Lourdes in Mes voyages, Emile ZOLA, Paris, Fasquelle, 1958. * Commémoration du centenaire des apparitions de Lourdes, ouvrage collectif, Paris,

éditions d'Art La couronne, 1959. * Les foules de Lourdes, J.-K. HUYSMANS, Paris, Plon-Nourrit, 1926. * Y a-t-il encore des miracles à Lourdes ?, Dr A. OLIVIERI et dom B. BILLET,

Paris-Lourdes, Lethielleux, Œuvre de la Grotte, 1972. * Lourdes, un pèlerinage, une ville, M. CHADEFAUD, Aix-en-Provence, Edisud,

1981.

Pour la conclusion sur religion et réussite, l'auteur s'est référé à un travail universitaire personnel sur les thèses de Max Weber relatives au protestantisme par rapport à l'économie. On se reportera à : ** L'Ethique protestante et l'esprit du capitalisme, M. WEBER, Tübingen-Paris, Mohr-

Plon, 1904-1920 — 1947-1964.

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Conclusion

Les chemins de l'Orient

A. A l'aube des Lumières

Les religions viennent d'Orient. Ce lieu commun justifie une exploration de ce qu'on nommait autrefois les « mystères » de l'Orient, son charme, son envoûtement, tout ce qui défie la raison.

Lorsque les franc-maçons français du dix-huitième siècle cherchèrent un nom pour leur loge, ils l'appelèrent Grand-Orient car ils se réclamaient de grandes figures telles que Pythagore, Moïse, Zoroastre ou Jésus. Et la Grèce. la Palestine, l'Egypte ou la Perse étaient bien les étapes du voyage en Orient tel qu'en rêvaient alors les jeunes gens à qui souriaient l'audace et la fortune. Et puis, au siècle des Lumières, quel meilleur emblème choisir que les pays du Soleil Levant ?

Là où le soleil se lève, on voit poindre les idées. Or, l'héliocentrisme de Copernic, Kepler et Galilée avait montré que, précisément, le lever du soleil est une illusion. Si le grand luminaire est fixe, où donc attendre du neuf ? La magie de l'Orient, c'est peut-être aussi une réaction contre le désenchantement de la science, un moyen de conjurer l'angoisse si le soleil ne revenait pas 1

a) La voie des invasions

L'Orient serait aussi un moyen de masquer ou de conjurer la peur de l'Est. Pour nous, Français, l'Est évoque Huns, Vandales, Ostrogoths, Cosaques, Mongols, Teutons, Prussiens et autres envahisseurs. Peur justifiée par l'histoire au point qu'entre les deux guerres, les Parisiens n 'achetaient plus de maisons de campagne dans le nord-est de l'Ile-de-France par crainte de revoir les Uhlans à Senlis.

1. Titre d 'un film de Claude Gore t ta dans lequel Charles Vanel joue le rôle du mage dans un village de montagne du Valais où, l 'hiver. les paysans craignent de ne jamais revoir le soleil.

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Menacés que nous étions par les cavaliers de la steppe indo-européenne, il était logique de leur susciter quelques rivaux dans les déserts sémitiques. Sitôt que, par leur retard technologique, les arabes ne purent faire parler la poudre, on leur découvrit l'arme de la prière. Lorsqu'au milieu du siècle dernier, les musulmans d'Algérie durent s'avouer vaincus, ils accédèrent, selon les conquérants français, au rang de puissance spirituelle. Et Abd El Kader fut le premier de cette longue lignée de chefs religieux à recevoir la légion d'honneur.

Les deux guerres mondiales firent de l'Est européen la région de l ' au couteau entre les dents puis du rideau de fer tandis que le sud- est asiatique devenait la région du rideau de bambou et des petits hommes jaunes de Giapet de Mao. Mais que se profile à nouveau le spectre des grandes invasions et l'on redécouvre comme antidote les sagesses de l'Orient, ses icônes et son yoga. Il appartiendrait à l'Eglise orthodoxe d'être la gardienne des traditions et à la religion hindoue d'avoir la maîtrise du corps.

Mais qu'on se garde bien de voir en l'Orient un simple miroir de nos peurs. C'est aussi la source de nos espoirs et le soutien de nos luttes. Lorsque sont traduits (de 1704 à 1717) les contes de Mille et Une Nuits, la France, trop soumise aux dévots et aux jansénistes, découvre un Orient ouvert aux plaisirs. Dans ses Lettres persanes, Montesquieu s'appuie sur le regard étonné de deux orientaux pour dénoncer les aberrations de la société occidentale. Et dans Mahomet ou le Fanatisme, Voltaire prend prétexte d'une intrigue en Arabie pour railler la monarchie de droit divin et la religion romaine. Benoît XIV eut beau envoyer à l'auteur sa bénédiction, la critique du fanatisme oriental était un simple levier dans la lutte contre les rois très chrétiens.

De nos jours, quand des religieuses s'adonnent au zen et des étudiants fréquentent les ashrams, c'est bien pour tirer le signal d'alarme devant des Eglises ou des Universités dont l'intellectualisme est jugé, à tort ou à raison, trop desséchant. Lorsque des artistes ou des écrivains manifestent évidemment contre l'intransigeance de l'imam Khomeiny, ils protestent évidemment contre le retour de l'ordre moral qu'ils voient poindre dans la patrie de Mac Mahon. En bien comme en mal, l'Orient est la religion de rêve pour y symboliser l'idéal ou le malaise.

b) La force des coutumes

Encore faudrait-il savoir exactement quelles religions sont pratiquées en Orient ? En Chine 2 domine la religion chinoise, mélange de taoïsme, de confucianisme et de bouddhisme. En Inde, prévaut la religion indienne appelée Hindouisme. Telle la religion chinoise, l'hindouisme apparaît moins

2. Par « Chine », il faut entendre à la fois la République populaire de Chine, Hong Kong, Macao, Singapour et Taïwan.

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comme une doctrine que comme un trait d'union. Qu'au Népal le chef de l'hindouisme soit le roi en personne souligne le caractère patriotique de la religion. Et dans la mesure où, entre l'Inde et la Chine, il y a l'Indochine, la religion vietnamienne y est particulièrement composite avec ses éléments bouddhistes, confucianistes, taoïstes et animistes. On s'imagine parfois les religions asiatiques comme les domaines de la sérénité au pays du matin calme. Mais rien n'y est simple.

Et pour compliquer encore la situation, la première religion asiatique (en nombre) n'est plus l'hindouisme, encore moins le bouddhisme mais l'Islam. Les quatre premiers pays musulmans du monde sont asiatiques : Indonésie, Pakistan, Bangladesh, Inde : pour tous ces pays, la Révélation est venue de l'Ouest.

En Occident, la situation n'est d'ailleurs guère plus évidente. Quels sont les trois premiers pays catholiques du monde ? En 1939, ils étaient tous européens : Italie, Allemagne (du grand Reich), France. Aujourd'hui, ils sont tous américains : Brésil, Mexique, Etats-Unis. Pour les Etats-Unis, on pourrait peut-être aussi parler de religion américaine dans la patrie des Eglises par satellite et des miracles télévisés.

A l'inverse, la religion anglaise n'a plus grande signification : d'une part, il y a chaque dimanche, en Angleterre, plus de catholiques romains que d'anglicans dans les églises 3 D'autre part, la majorité des anglicans sont désormais situés en dehors de l'Angleterre, notamment aux Etats-Unis ou dans les pays du Commonwealth. Et l'Eglise anglicane compte une majorité de fidèles noirs. Ainsi se réalise le rêve de Kipling quant à la mission civilisatrice de l'empire britannique qui a porté la Croix au monde comme fardeau de l'homme blanc.

En Amérique du Sud, les statistiques font du catholicisme la confession dominante à 90 %. Mais comment croire qu'il n'y ait qu'une seule religion là où les évêques s'excommunient mutuellement ? Où est le lien entre les prélats des palais et ceux des favellas ? Entre l'Eglise des pauvres et l'Eglise de l'ordre, il y a un abîme figuré par deux catéchèses, deux prédications et deux pastorales sacramentelles. Il y a une théologie de la Libération et une autre de la Restauration. Comme jadis entre les Vaudois et les papistes, entre les pauvres de Lyon et les fastes du Vatican, deux combats s'abritent derrière une même bannière, laquelle retrouve ses origines guerrières d'en- seigne du Seigneur.

Trois combats devrait-on dire car il faut aussi tenir compte des cultes syncrétiques. Ici la Vierge de la Guadeloupe réunit le culte marial et celui d'une déesse aztèque. Au Guatémala ou au Nicaragua, des croyances animistes d'origine africaine se mêlent au catholicisme espagnol dans le mélange détonnant d'une religion d'esclaves. Dans le seul Brésil, parmi ces cultes syncrétiques, on connaît le Kimbanda, le batuque, le xango, le catimbo, le pajelanca, la macumba, le candomblé et le nago sans oublier l 'umbanda qui

3. Les catholiques romains sont moins nombreux que les anglicans mais plus pratiquants.

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les réunit tous. Bien des sectes modernes (notamment d'origine pentecôtiste) s'appuient sur ce vieux fonds traditionnel avec lequel même le pape Jean- Paul II, durant ses visites en Amérique du Sud, a dû composer.

Composer avec les traditions locales, tel fut, de Saint Paul à Mahomet, le souci des prédicateurs. Relier l'universel à l'indéfectible serait la mission première des religieux. L'Islam indonésien contient autant d'animisme, de bouddhisme et d'hindouisme que de Coran. Le catholicisme breton comporte autant de légendes celtes et de fêtes druidiques que de message évangélique.

Relier le moderne au vénérable, telle serait la deuxième mission des religions qu'elles viennent d'Orient ou d'Occident. Dans l'Antiquité, les cultes séculaires d'Isis, de Mithra ou de Yahvé émigraient à la rencontre de l'urbanité grecque ou romaine. Dans l'Indonésie contemporaine, le culte du cargo mêle aux traditions locales les nouvelles richesses importées naguère par bateau, aujourd'hui par avion. Et l'on y adore des agences bancaires et des aéroports.

En Afrique, l ' chrétienne mêle des rituels animistes à la liturgie conciliaire et l'image du missionnaire à la longue barbe s'efface devant celle du jeune prêtre ou pasteur 4 né au village et formé en Europe. En Asie du Sud-Est, on bat à la fois les records mondiaux de l'expansion et de la conversion : les nouveaux champions de la croissance empruntent à l'Occident sa technologie et sa théologie au point qu'à Hong-Kong, toute école de qualité doit ajouter le mot saint à son nom. Et avec l'Eglise de Moon et les Jeux de Séoul, la Corée du Sud aura beaucoup puisé dans l'épopée occidentale, de la croisade anticommuniste aux champions de l'Olympe.

Toute religion vient peu ou prou d'Orient et d'Occident comme elle est plus ou moins nordique et méridionale puisque, rassemblant des hommes divers, elle annule les distances. Voici deux mille ans, on aurait pu dire que les Turcs avaient la religion des Gaulois dans la mesure où Gaule et Galatie tenaient maints éléments de leurs cultes d'un vieux fonds celte et où la déesse Cybèle était adorée de la vallée du Rhône à Hiérapolis. Et de l ' syrien à l ' hébreu et à l' Adonis des Grecs, les Anciens suivaient à la trace la force et la beauté d'un même Seigneur.

Faut-il pour autant s'en tenir à un relativisme et conclure que toutes les spiritualités ou les religions se pillent et se valent ? Il faut ici aborder la question de l'éclectisme et du syncrétisme. L'éclectisme est né à Alexandrie lorsque Potamon et ses disciples durent emprunter le meilleur de chaque doctrine pour concilier les multiples tendances d'un hellénisme distendu jusqu 'aux portes de l'Afrique. Il renaît au siècle dernier avec Victor Cousin qui, tenant la balance entre ses fonctions de ministre et de professeur, subit l 'influence de Royer-Collard tout en faisant connaître l'œuvre de Hegel.

4. En Afrique, un peu plus de la moitié des chrétiens appartiennent à des Eglises protestantes.

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On pourrait dire aujourd'hui qu'il y eut de l'éclectisme dans la théologie conciliaire qui, attentive aux signes des temps, voulait réconcilier l'Eglise et le monde en demandant le meilleur d'eux-mêmes aux gardiens, des traditions et aux prophètes de l'existence.

L'éclectisme relève plutôt de la diplomatie et le syncrétisme 5 de la stratégie. Le syncrétisme était l'union des Crétois 6 contre un adversaire commun. Durant la dernière guerre mondiale il y eut, selon le mot d'Aragon, l'union de ceux qui croient au ciel et de ceux qui n'y croient pas contre le pacte d'acier des régimes fascistes. Après la Libération, il y eut, en Occident et en Orient, l'union des hommes de bonne volonté contre les tenants du passé. Un même esprit de progrès animait le pape Jean XXIII et le pandit Nehru dans leur refus d'une religion désincarnée ou du système des castes.

B. Au c œ u r d e s inven t ions

a) Les génies de l'Europe

Rapprocher l'ancien patriarche de Venise et le Premier ministre de l'Inde, c'est aussi montrer les limites d'une dichotomie entre Orient et Occident. Coupure qui s'appuie souvent sur une vision réductrice du sous- continent indien privé d'une partie des vallées de l'Indus et du Gange (Pakistan et Bangladesh) comme des royaumes himalayens. Et réduire l'Inde aux pèlerins de Bénarès sans parler du sanctuaire de l'Annapurna, c'est un peu comme évoquer l'Europe des foules de Lourdes sans évoquer la croix du Cervin ou la Vierge des Drus.

Les visions simplistes de l'Inde ne manquent pas. La plus néfaste et la plus répandue fut celle qui voyait dans les Aryens les uniques civilisateurs de l'Inde. On la doit notamment à Joseph Arthur de Gobineau pour qui l'idéal aryen symbolisait la supériorité de la noblesse 7 et aux nazis pour qui la croix gammée 8 figurait le salut de la race. Et pourtant, à l'époque de la montée du nazisme, des archéologues montraient les limites des thèses aryennes en mettant à jour à Mohenjo-Daro (Pakistan) des vestiges de la civilisation de l'Indus antérieurs de plus de mille ans à l'arrivée des Aryens dans le sous-continent indien. Et l'année même du putsch d'Hitler à Munich (1923), on découvrait dans la vallée de l'Euphrate des sceaux comparables

5. Sur le syncrétisme dans l'Antiquité grecque, voir notamment E. W ill et Cl. Orrieux, Ioudaïsmos — Hellènismos, p. 185, Presses universitaires de Nancy, 1986.

6. Cette origine crétoise donnerait plutôt au mot « syncrétisme » une résonnance désagréable. les Crétois (cf. verbe Krètizô) étant réputés fourbes et menteurs.

7. En sanscrit, arya = noble, seigneur. 8. En sanscrit, swastika = de bon augure, qui porte chance, de svasti = salut. On l' appelle

croix gammée parce qu'elle est de forme coudée comme le gamma majuscule grec. Le nom de croix gammée semble jeter un pont entre la Grèce et l'Inde. Mais les coudes de la croix gammée sont tracés en sens inverse de ceux de la swastika.

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à ceux de la vallée de l'Indus. Ainsi l'axe indo-européen avait été précédé par un courant d'échanges indo-iranien ou indo-mésopotamien puis indo- arabique 9 Pas plus qu'aucun autre pays, l'Inde n'est une source incréée. Elle fait partie d'un réseau d'échange.

Dans ces approches de l'Inde, c'est d'une quête des origines que naissent les vues naïves. Le mouvement partit d'Allemagne où, en 1800, et en 1803, Friedrich von Schlegel écrivait :

« C'est en Orient que nous devons chercher le suprême romantisme... Ici (en Inde), se trouve la source de toutes les langues, de toutes les pensées et de toute l'histoire de l'esprit humain ; tout, sans exception, est originaire de l'Inde 10 »

On parlerait aujourd'hui de recherche des racines. Et l'on reprocherait ce besoin radiculaire d'un goût du terroir. Mais en mille huit cent, les racines, ce sont celles des mots. Les jeunes veulent appuyer leurs réformes radicales sur de nouvelles racines. Rejetant l'hébreu comme langue-mère et Adam comme père de tous, on cherche l'idéal dans le sanskrit qui, littéralement, veut dire « parfait ».

Ignorant encore les textes sumériens et babyloniens, on croit, avec Voltaire, que les plus anciennes théologies furent inventées chez les Indiens 11 Et l'originaire (stammt) dont parle Schlegel, c'est, en allemand, à la fois, la souche et la lignée, une image qui évoque l'arbre généalogique. Rejetant les origines juives et chrétiennes rendues odieuses à leurs yeux par l'obs- curantisme clérical, les jeunes Allemands voient dans l'Inde redécouverte les racines du futur.

Une génération plus tard, le goût de l'Inde arrive en France. Pour Victor Cousin,

« Nous sommes contraints de plier le genou devant la philosophie orientale et de voir dans ce berceau de la race humaine la terre natale de la plus haute philosophie 12 »

Mais cet attrait de l'Inde, teinté d'un spiritualisme souvent vague, ne résistera pas aux courants universitaires. D'un côté, les études indiennes sont progressivement annexées par les philologues comparatistes et décou- ragent les amateurs par leur complexité. Comment retrouver dans les radicaux immotivés ou la théorie des laryngales l'Inde des fleuves sacrés ou des charmeurs de serpents ?

De l'autre côté, la philosophie gagne en abstraction ce qu'elle perd en couleurs. Avec tous les mots savants de Kant et de Hegel on est bien loin

9. A la voie terrestre traversant l'Iran et l'Afghanistan (qui sera la route d'Alexandre), s'ajoutait une voie maritime qui passait par le golfe Persique.

10. In revue Athenaum et lettre personnelle, cité par R.P. DROIT, L'oubli de l'Inde (voir sources documentaires).

11. VOLTAIRE, Essai sur les mœurs, III. Voir aussi 1 partie, chapitre 2 de cet ouvrage. 12. Victor COUSIN, Cours de l'Histoire de la philosophie, Paris, Pichon et Didier, 1829.

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de l'Inde où, apprenant par cœur des milliers de strophes de la Râmâyana, les foules « incultes » inventent la science des illettrés. Et que vaut l'Inde aux trente-trois millions de dieux quand l'Europe fonde sa richesse sur l'empire de la raison ?

Hegel symbolise ce mépris de l'Inde :

« Chez les Indiens, la superstition n'existe pas en tant que celle-ci s'oppose à la raison ; mais toute leur vie et toute leur pensée sont bien au contraire une unique superstition parce que chez eux tout est songe et asservi à ce songe 13 »

Après Hegel, les forces de progrès auront foi dans la science et se méfieront de cette Inde des mille bouddhas où, selon le bon plaisir des dieux, l'on renaît homme ou bête. Quant aux mouvements de lutte, ils ne s'attarderont guère sur un pays où la fascination des gourous et la puissance des ashrams convainquent les parias de leur juste condition. Qu'est-ce que la lutte finale pour un idéal de renoncement ? Qu'est-ce que la société sans classes devant la hiérarchie des castes ?

b) Les arcanes de l'Inde

Mais les mêmes questions pouvaient se poser en Occident. Là où les brahmanes dénonçaient les contacts impurs, les évêques condamnaient les « doctrines infectes ». Là où les moines hindous conseillaient le régime végétarien, les ordres mendiants prêchaient le jeûne et l'abstinence. Et qu'elles enseignent le nirvana ou la rédemption, les religions se méfient du paradis sur terre.

Il n'y a pas de place que pour une seule puissance et promesse. L'Inde est devenue Etat en résistant aux envahisseurs grecs lorsque Chandra Gupta s'opposa aux séleucides et son petit-fils Ashoka (264-226 av. J.-C.) se convertit au bouddhisme. Assurer l'unité spirituelle et patriotique, tel fut le rôle de Bouddha en Inde. Et, d'un point de vue indien, Marx, disciple d'Epicure et de Démocrite, est un descendant d'Alexandre qui professe une philosophie de l'étranger.

Est-ce à dire que les spiritualités de l'Inde seraient imperméables aux influences occidentales ? La réponse n'est pas simple. On peut ainsi tenir l'Islam aussi bien pour un modèle d'assimilation que pour un contre-exemple. D'un côté, l'Inde, avec ses cent millions de musulmans, est l 'une des premières 14 puissances islamiques du monde. De l'autre, le partage de 1947 entre l'Inde hindouiste et le Pakistan musulman montre les difficultés

13. Leçons sur l'histoire de la philosophie. 14. Il est difficile d'être plus précis et de départager l'Indonésie, le Pakistan. le Bangladesh

et l'Inde. Dans le premier de ces pays, on peut hésiter à classer une grande partie de la population comme syncrétiste ou comme musulman. Dans les trois autres pays. le flou des statistiques démographiques incite à la prudence.

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d'acculturation de l'Islam. De même, les problèmes du syncrétisme sikh 15 s o r t e d e c o n f l u e n c e d e c o u r a n t s d i v e r s a u « p a y s d e s c i n q e a u x » 1 6 m o n t r e n t

l e s d i f f i c u l t é s d e l a c o e x i s t e n c e e n t r e u n m o n o t h é i s m e d ' i m p o r t a t i o n e t u n

p o l y t h é i s m e a u t o c h t o n e . E n f a i t , l ' é t a t d e s r e l a t i o n s I s l a m - H i n d o u i s m e e s t

l i é a u x m o d e s d ' i n t r o d u c t i o n d e l ' I s l a m : a u S u d , u n e p a i x r e l a t i v e t é m o i g n e

d ' u n e i m p o r t a t i o n m a r i t i m e e t c o m m e r c i a l e ; a u N o r d , l e s t e n s i o n s c o n s e r v e n t

l e s o u v e n i r d e s c o n q u ê t e s m i l i t a i r e s . L ' I n d e a u s s i a g a r d é l a m é m o i r e d e s

c a v a l i e r s a r a b e s .

M a i s l a p e r m é a b i l i t é d u s o u s - c o n t i n e n t i n d i e n a u x i n f l u e n c e s é t r a n g è r e s

s e m a n i f e s t e s u r t o u t p a r l e s a p p e l l a t i o n s : a r t g r é c o - b o u d d h i q u e o u i s l a m o -

b o u d d h i q u e , r i t e s y r o - m a l a b a r o u s y r o - m a l a n k a r , l ' I n d e e s t l e p a r a d i s d e s

t r a i t s d ' u n i o n . A l o r s q u e b i e n d e s E u r o p é e n s c h e r c h e n t e n I n d e u n a b s o l u ,

i l s y d é c o u v r e n t q u e l ' a r t e s t u n c o m p r o m i s e t l a f o i u n e t r a n s a c t i o n .

C o m p r o m i s s u r l a b e a u t é q u i a t t e s t e u n d i a l o g u e p o s s i b l e e n t r e l ' é p h è b e

e t l e b o u d d h a . T r a n s a c t i o n s u r l ' e s s e n t i e l 17 q u i t é m o i g n e d u s u c c è s d e s

m o n o p h y s i t e s c h e z l e s p o l y t h é i s t e s e t f o n d e u n e h a r m o n i e s u r l e m a r i a g e

d e s c o n t r a i r e s .

C e t t e s y m b i o s e p e u t ê t r e u n f a c t e u r d e p r o g r è s p l u s q u e l e s c o n v e r s i o n s

r e t e n t i s s a n t e s . C r o i t - o n é c h a p p e r à s a c o n d i t i o n e n é p o u s a n t l a c a u s e a d v e r s e

q u ' o n s e h e u r t e à u n e i m p a s s e . N o m b r e u x s o n t l e s i n t o u c h a b l e s q u i s e f i r e n t

c h r é t i e n s o u m u s u l m a n s p o u r f i n i r l e s c a s t e s e t q u i d e m e u r e n t p a r i a s d a n s

l a s o c i é t é . N o m b r e u x s o n t e n E u r o p e l e s r é v o l t é s q u i f i r e n t l e v o y a g e d e

l ' I n d e p o u r s ' i n t é g r e r d a n s u n m o n a s t è r e e t y f u r e n t r e ç u s c o m m e d e s

m a r g i n a u x .

P e u t - ê t r e a l o r s , l ' h i n d o u i s m e e t l e c h r i s t i a n i s m e d é l i v r e n t - i l s l e m ê m e

m e s s a g e s o c i a l e n d e s t e r m e s d i f f é r e n t s . L e s b r a h m a n e s , t o u t e n h a u t d e

l a h i é r a r c h i e 1 8 c i t a i e n t n a g u è r e u n h y m n e v é d i q u e c o m p a r a n t l e s c a s t e s a u

c o r p s d e l ' h o m m e :

« S a b o u c h e d e v i n t l e b r a h m a n e

L a g u e r r e f u t l e p r o d u i t d e s e s b r a s

S e s c u i s s e s f u r e n t l ' a r t i s a n

D e s e s p i e d s n a q u î t l e s e r v i t e u r . »

15. Les difficultés du syncrétisme sikh en Inde ne sont pas sans rappeler les difficultés du syncrétisme druze au Liban : les synthèses doctrinales ne sont pas l'équivalent de compromis politiques et sont lourdes de conflits.

16. Le Panjab situé sur la ligne de partage des eaux entre l'Indus et le Gange, au milieu des zones d'attraction de l'Islam et de l'Hindouisme.

17. Au Sud-Ouest de l'Inde, dans la région du Malabar, existent de vieilles communautés chrétiennes datant au moins du IV siècle et se réclamant de l'apôtre Thomas. Ces communautés, sous l'influence du patriarcat de Babylone, furent gagnées par le nestorianisme qui est une suite monophysite de l'arianisme. Avec l'arrivée des Portugais au XVI siècle, certains d'entre eux adoptèrent la foi trinitaire de Nicée (voir chapitre 4 de la 1 partie). Les Malabars sont de rite chaldéen et les Malenkars de rite syrien. Il existe cinq communautés chrétiennes au Malabar qui possèdent des théologies et des liturgies différentes.

18. Il s'agit d'une hiérarchie d'honneur et non d'argent. Il peut y avoir des brahmanes modestes comme il y avait des hobereaux bretons ou des citoyens romains assez pauvres.

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Saint Paul, citoyen romain, ne disait guère autre chose :

« Le corps est un et pourtant il a plusieurs membres ; mais tous les membres du corps, malgré leur nombre, ne forment qu'un seul corps : il en est de même du Christ... Que chacun demeure dans la condition où il se trouvait quand il a été appelé. Etais-tu esclave quand tu as été appelé ? Ne t'en soucie pas ; au contraire, alors même que tu pourrais te libérer, mets plutôt à profit ta condition d'esclave. Car l'esclave qui a été appelé dans le Seigneur est un affranchi du Seigneur 19 »

Mais à côté de cette sacralisation de l'inégal, il y a aussi une miséricorde pour les humbles. Comme Don Helder Camara prenant l'« option préfé- rentielle pour les pauvres », le mahatma Gandhi fera des intouchables le « peuple de Dieu ». Comme les prêtres du Brésil tireront des Evangiles une théologie de la Libération, Gandhi interprétera la Bhagavad Gita comme une déclaration d'Indépendance. Et il y a plus d'un point commun entre l'apôtre de la non-violence et nos objecteurs de conscience. Lorsque Lanza del Vasto épousa les thèses de Gandhi sans renier sa foi catholique, il montra qu'une même inspiration pouvait régner du plateau du Deccan à celui du Larzac.

Mais il est un autre domaine majeur dans lequel l'Inde se montre autant réceptive aux échanges que le christianisme : les langues.

On sait que le judaïsme et le christianisme se sont largement développés à partir de traductions des textes révélés de la langue ancienne aux parlers courants : de l'hébreu au grec commun (koinè de la Septante) 20 pour le judaïsme, du grec au latin et aux langues du moyen-âge pour le christianisme. C ' e s t e n l a n g u e « v u l g a i r e » q u ' o n t é t é g a g n é e s l e s f o u l e s 2 1

De même, l'épopée du Râmâyana, composée entre le III siècle avant J.-C. et le IV siècle de notre ère) a-t-elle été traduite au XVI siècle du sanscrit en hindi, c'est-à-dire d'une langue indo-européenne ancienne et proche du ou des prototypes de ce groupe de langues en une langue indo- européenne moderne beaucoup plus « indianisée » et éloignée des langues européennes actuelles.

Ces glissements sémantiques ne sont pas sans conséquences idéologiques. En quittant l'hébreu (ou l'araméen), le christianisme s'est coupé des langues sémitiques et des religions qu'elles expriment, singulièrement celle de Maho- met. Quand un milliard de catholiques répètent à la messe La paix soit avec vous, ils ignorent que de l'hébreu à l'arabe, une même racine (s, l, m ) u n i t S a l o m o n , J é r u s a l e m , I s l a m e t M u s u l m a n 2 2 E t q u e l e n o m d e c e t t e

19. I Corinthiens 12, 12 et 7. 20. 20. Voir le chapitre 2 de la I partie. 21. Notamment en France. 22. Salomon est l'homme de la paix, Jérusalem, la ville de Salem, probablement une

ancienne divinité de la paix. L'Islam est la paix, est Musulman l'homme de la paix. On préfère parfois traduire ces deux derniers termes par « soumission ». La racine s l m tout au long de son trajet thématique, semble plutôt véhiculer une notion de confiance et d abandon. Sur ce sujet voir O. VALLET. Islam et Musulman in revue Mots, n° 16.

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paix est véhiculé, jusqu'aux portes de la Russie, par de nombreux patronymes qui, selon les aires linguistiques, s'épellent Suleimanov ou Soliman.

Des rapprochements aussi suggestifs se manifestent dès lors qu'examinant la spiritualité hindoue dans sa principale langue d'origine, le sanskrit, on examine le sens premier de ses notions fondamentales.

Qu'est le yoga sinon le joug 23 qui soumet le corps à l'âme comme la bête aux hommes ? Qu'est le nirvana sinon l'extinction du désir, la suppression de l'argent et du sexe, du vénal et du vénérien 24 ? Qu'est le veda sinon la vision idéale ? 25 Entre voir et savoir, la connaissance védique ne tranche pas. A l'époque de la vidéo-communication, quel peut être le rapport entre apprendre et contempler ?.

SOURCES DOCUMENTAIRES

Sur les aires de diffusion et les lignes de partage des religions dans le monde, on trouvera des renseignements dans les trois ouvrages suivants :

* L'état des religions dans le monde, ouvrage collectif sous la direction de Michel CLÉVENOT, Paris, La Découverte, Le Cerf, 1987.

* Atlas des religions, Paris, Larousse, 1988. * Religions et croyances in Culture générale, O. VALLET, Paris, Masson, 1988.

Sur la redécouverte de l'Orient et de l'Inde à partir du XVIII siècle, voir : * Le voyage en Orient J.C. BERCHET, Paris, R. Laffont. Coll. Bouquin, 1985.

** L'oubli de l'Inde, une amnésie philosophique, Roger-Pol, Droit, Paris, P.U.F., 1989.

** Langue et pouvoir in Culture générale, 2 édition, O. VALLET, Paris, Masson, 1989.

Sur la religion de l'Inde, voir notamment : * Histoire des croyances et des idées religieuses, tome 2, Mircea ELIADE, Paris,

Payot, 1987. * Guide bleu de l'Inde, introduction de Pierre AMADO, Paris, Hachette, 1987. * L'Hindouisme, L. RENON, Paris, P.U.F., Que sais-je ? 1970.

** Les religions de l'Inde, J. GONDA, A. BARREAU et collaborateurs, 3 volumes, Paris, Payot, 1962-1966.

Pour une initiation aux comparaisons de racines indo-européennes, voir ** Grammaire du sanskrit, Jean VARENNE, Paris, P.U.F., Que sais-je ? 1971. ** L'indo-européen, Jean HAUDRY, Paris, P.U.F., Que sais-je ? 1979.

Citons aussi quelques ouvrages bien connus des spécialistes : *** A dictionary of selected synonyms in the principal indo-european languages,

C.D. BUCK, Chicago-Londres, 1949. *** Indogermanisches etymologisches Wörterbuch, J. POKORNY, Berne-Munich, 1958.

23. Racine y, w, g = connexion, attelage, terme du vocabulaire agricole. 24. Racine indo-européenne reconstituée * w, n, (van ou ven) qui donne nirvana (refus

du « van »), vénal et vénérien (Vénus) avec influence possible de deux racines voisines l'une sur l'autre ( et w è n

25. Racine * woid ou weid donnant le sanscrit veda ; le grec oida (voir d'où histôr = histoire = celui qui sait pour avoir vu) et idea = forme visible ; le latin video = voir.

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Masson Editeur 120, bd Saint-Germain 75280 Paris Cedex 06

Dépôt légal : décembre 1989

Imprimerie Laballery 58500 Clamecy

Dépô t légal : novembre 1989 Numéro d'imprimeur : 909030

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Le but de cet ouvrage, « Culture religieuse », est de proposer des éléments de réflexion et d'information en matière de culture religieuse. Il s'adresse aux élèves, étudiants et enseignants comme à toute personne intéressée par l'impact des phénomènes religieux dans la France contemporaine ainsi que par leur influence sur l'histoire des civilisations.

Ancien élève de l'E.N.A., Docteur en droit et titulaire d'un D.E.A. de Science des religion, Odon VALLET enseigne à l'Institut d'études politiques de Paris et à l'Ecole no rma le supérieure. Ses travaux personnels portent sur les relations entre linguistique et sciences humaines, notamment sous l'angle de la psychanalyse et de l'Histoire des religions.

Dans la même collection :

CULTURE GÉNÉRALE, par O. VALLET.

LA NOTE SUR DOSSIER JURIDIQUE, par B. STIRN.

ANNALES, FONCTION PUBLIQUE, tomes 1 et 2, pa r Ch. SAVIGNAC et coll.

ECONOMIE POLITIQUE CONTEMPORAINE, par G. PRACHE et Ch. CROS.

DROIT PUBLIC, QUESTIONS ACTUELLES, par Ch. BUHL et Th. DAL FARRA.

GRAND ORAL, par O . VALLET.

INSTITUTIONS POLITIQUES FRANÇAISES, pa r D. MAUS.

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