Culture Enfantine Et Regles de Vie Jeux Et Enjeux de La Cour de Recreation

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    TerrainNumro 40 (2003)

    Enfant et apprentissage

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    Julie Delalande

    Culture enfantine et rgles de vie.Jeux et enjeux de la cour de rcration

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    Avertissement

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    Rfrence lectroniqueJulie Delalande, Culture enfantine et rgles de vie. , Terrain [En ligne], 40 | 2003, mis en ligne le 12 septembre2008. URL : http://terrain.revues.org/index1555.htmlDOI : en cours d'attribution

    diteur : Ministre de la culture / Maison des sciences de lhommehttp://terrain.revues.orghttp://www.revues.org

    Document accessible en ligne l'adresse suivante : http://terrain.revues.org/index1555.htmlDocument gnr automatiquement le 30 septembre 2009. La pagination ne correspond pas la pagination del'dition papier. Terrain

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    Terrain, 40 | 2003

    Julie Delalande

    Culture enfantine et rgles de vie.Jeux et enjeux de la cour de rcration

    Pagination originale : p. 99-114

    1 Apprendre : voil bien le mot que nous associons spontanment celui denfance. Lactivit

    dapprendre serait au centre de son quotidien et de ses proccupations. Le plus souvent,

    le fait dapprentissage est envisag du point de vue de ladulte : comment enseigne-t-on

    aux enfants ? Pourtant, lautre approche est galement objet dintrt : comment les enfants

    apprennent-ils ? Dans les deux cas, on pense dabord aux enseignements donns par les

    adultes, les matres et par la famille. Mais quen est-il des apprentissages entre enfants ? Quels

    sont les savoirs enfantins qui mritent dtre transmis de leur point de vue et comment sefait leur apprentissage ? Cet article veut montrer le lien intime existant entre ces savoirs et

    les comptences sociales ncessaires leur valorisation et leur diffusion. Il prsente non

    seulement les modes dapprentissage des jeux, mais aussi ceux des rgles sociales insuffles

    par les adultes et que les enfants sapproprient entre pairs. Ainsi apparat le rle primordial

    des relations entre enfants dans le processus ducatif.

    2 La rflexion qui suit sajoute sept annes de recherche et dobservation dans les cours de

    rcration, pendant lesquelles jai explor le large champ des dimensions sociales et culturelles

    des relations entre enfants 1. Cette tude mamne considrer le savoir moins comme un

    moyen de devenir un adulte comptent que comme une ncessit pour sintgrer au groupe de

    pairs. De lun lautre, ce qui change est bien le point de vue : sintresser lapprentissage

    non pas de notre point de vue, voyant en lenfant ladulte en devenir, mais de celui de lenfantqui vit la matrise dun savoir au prsent, et comprend chaque instant ce quelle lui apporte

    techniquement et socialement, auprs des adultes et des pairs.

    Les enfants dtenteurs dun savoir3 Lide dun savoir enfantin est largement admise par les anthropologues. Et pour cause : ds

    le XIXe sicle, les folkloristes franais se sont appliqus fixer celui-ci pour en conserver la

    mmoire. En 1883, le folkloriste Eugne Rolland publiait Rimes et Jeux de lenfance qui,

    mis part un court avant-propos, se compose de formulettes 2 recueillies en diverses rgions

    de France. Bien quil ne constitue quun inventaire, cet ouvrage tmoigne de lexistence

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    dun savoir enfantin qui se transmet dune gnration lautre, certaines formulettes comme

    une poule sur un mur tant toujours dusage aujourdhui. En 1931, Jean Baucomont,

    alors inspecteur de lenseignement primaire, dbute une enqute auprs des instituteurs sur

    le folklore enfantin tout en entier , souhaitant faire connatre plus intimement la vie

    profonde et le caractre des enfants . Son travail nest malheureusement pas publi, mais

    on peut le consulter aux archives des ATP (Arts et Traditions populaires) Paris. Le souhait

    de Baucomont se trouve encore plus abouti dans le travail dArnold Van Gennep (1943) qui

    dpasse lapproche habituelle des folkloristes. Sa description de la socit enfantine replaceen effet les lments de folklore dans les enjeux sociaux qui les organisent, proposant une

    vritable tude ethnographique. Il crit : Lducation de lenfant, son instruction verbale et

    agie, se fait surtout par les autres enfants, et sans quil sen doute, par une contrainte morale

    et imitative. Il doit faire comme les autres : sabstenir de ce qui ne se fait pas, se soumettre

    un code dhonneur qui oppose la socit enfantine celle des adultes, de la famille dabord,

    puis des professeurs de toute sorte (1943 : 167). Son analyse pointe limportance de lentre-

    enfants dans les apprentissages culturels et sociaux, ouvrant la voie une anthropologie de

    lenfance qui malheureusement ne suivit pas.

    4 Du ct des Britanniques, les premiers crits remarquables sur le savoir enfantin sont le fait

    de I. & P. Opie, qui ont recueilli une importante somme de donnes sur les traditions et

    langages des enfants lcole (1959), et sur leurs jeux dans la rue et dans la cour de rcration(1969). Aprs eux, une sociologie de lenfance beaucoup mieux institue quen France a pu

    se dvelopper.

    5 Malgr ce travail des scientifiques, lopinion commune considre le plus souvent que les

    enfants ne savent que ce que les adultes leur ont appris. Les enfants eux-mmes connaissent

    bien la diffrence de statut entre eux et les adultes. Ils les peroivent comme ceux qui

    dtiennent lautorit et le savoir, ceux qui dcident et enseignent. Par consquent, quand une

    ethnologue arrive dans la cour pour apprendre deux ce quils y font, leur tonnement prend

    parfois la forme dune rticence : Pourquoi tu fais a ? Cest pas la peine. Mais, devant mes

    visites quotidiennes et mon obstination noter toutes leurs activits, ils finissent par accepter

    cette situation nouvelle.

    6 Aprs plusieurs semaines dobservation, quand je demande en entretien des enfants de grande

    section de maternelle sils savent des choses que les adultes ne savent pas, certains pensent

    me citer les jeux. Le savoir ludique apparat donc comme la partie la plus vidente, et

    sans doute la plus reconnue des adultes, des savoirs enfantins. Ceux-ci sont constitus des

    connaissances propres aux enfants ainsi que de celles transmises par les adultes et quils se

    rapproprient en les mettant lpreuve entre pairs. La suite montrera comment. On peut

    numrer les caractristiques principales de ces savoirs enfantins : il sagit de savoirs oraux

    qui appartiennent une classe dge et se transmettent lintrieur de celle-ci chaque jeu

    tant souvent associ une priode donne de lenfance, jouer au papa et la maman devient

    quand on grandit un jeu de bb. Ces savoirs nont gure dutilit sans les savoir-faire qui

    les accompagnent, cest--dire sans lexprience et les comptences techniques et souvent

    sociales qui permettent de les valoriser auprs des pairs. Le lien entre apprentissages culturels

    et sociaux, tel quil sera dcrit ci-aprs, apparat donc demble.

    7 Tous ces savoirs et les savoir-faire qui les accompagnent font partie dune culture

    enfantine, cest--dire dun ensemble de pratiques, de connaissances, de comptences et de

    comportements quun enfant doit connatre et matriser pour intgrer le groupe de pairs.

    Par exemple, les jeux de corde sauter exigent une pratique et la matrise dune technique,

    de rgles, dun vocabulaire. La notion de culture enfantine, si elle peut paratre excessive

    pour dsigner les pratiques ludiques enfantines, sinscrit dans une dmarche heuristique pour

    nommer ce que les enfants construisent partir de ce que les adultes mettent en place pour eux.

    Les jeux de corde ou ceux du sable dbutent par un objet donn aux enfants, par un march du

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    jouet, un amnagement de la cour. Puis les enfants se saisissent de ces objets et laborent des

    rgles, donnent une dimension symbolique leurs jeux. Ils se constituent un savoir commun

    quils se transmettent au fil des jours. De leur point de vue, cette culture apparat surtout

    comme une comptence. Mais elle participe aussi la construction dune identit commune.

    Cest pourquoi elle peut se penser aussi bien lchelle du groupe de pairs, tel que le proposent

    les sociologues amricains William A. Corsaro et Donna Eder3, qu lchelle dun pays.

    En effet, lide dun mme patrimoine ludique sobserve quand, dans un square ou dans un

    camping, des enfants qui ne se connaissent pas se mettent jouer ensemble, en ayant peinebesoin de saccorder sur les rgles. Leur culture partage passe galement par des rfrences

    aux programmes tlviss, alimentant leurs discussions sur des vedettes admires, de mme

    que leurs jeux impliquent le renvoi des hros dun dessin anim.

    8 La culture enfantine se construit en troite relation avec un tat de maturit physique et

    intellectuelle commun. Elle est, lchelle individuelle, volutive, puisquelle change au

    fur et mesure quun enfant grandit : il pratique dautres jeux, il est m par de nouvelles

    proccupations, il nourrit des reprsentations diffrentes de son environnement. On peut

    encore lui associer le qualificatif de culture de passage, car en grandissant lenfant la dlaisse

    pour entrer dans ladolescence puis dans lge adulte. Elle est une tape laidant passer dans

    le monde des adultes en assimilant entre pairs les structures de notre culture.

    9 A lchelle dun pays, la culture enfantine se construit encore par le partage dun mme statutdenfant face celui de ladulte, qui les rend gaux face aux interdits, face au rle de ladulte

    qui dcide pour eux. Ensemble, ils partagent aussi le plaisir de se plonger dans ce rle de

    ladulte, grce des jeux tels que celui de papa et maman qui, par limitation dune situation

    familiale dont ils sinspirent, et dont ils construisent souvent un strotype, leur permet de

    simprgner des rles familiaux et des normes sociales qui caractrisent notre culture. Ce jeu

    donne parfois loccasion des enfants originaires de pays trangers de sapproprier les normes

    culturelles de la famille franaise, en se projetant dans le rle du pre classique ou de la mre

    modle. Lobservation montre en effet que les familles trangres, tout comme les familles

    monoparentales ou en tat de conflit, sont rarement mises en scne dans les jeux enfantins.

    Plus couramment, le jeu amne ces enfants saccorder sur un portrait commun des rles

    parentaux, bti partir de leur environnement culturel : livres de classe et explications delenseignant, publicits et films prsentent un modle imiter de la famille franaise, voire

    occidentale. Parce quils produisent leur culture avec comme rfrence le monde des adultes,

    rel et mythique, les enfants participent sa reproduction.

    10 On le voit, le concept de culture enfantine est central pour penser une anthropologie de

    lenfance, puisquil met le doigt sur la capacit des enfants produire des lments culturels et

    de ce fait participer la culture globale. En ce sens, la culture enfantine nest en rien spare

    de cette dernire. Mais elle napparat au chercheur que sil accepte de sintresser aux enfants

    en dehors de leur relation aux adultes qui les duquent, et sil considre lenculturation et la

    socialisation qui soprent entre enfants 4.

    11 Au cours de mon terrain, jai pu fixer mon attention sur quelques activits que jai

    retrouves dune cole lautre, autour desquelles slaborent un vocabulaire et des techniques

    spcifiques, emprunts aux gnrations prcdentes et renouvels par le groupe de joueurs. Je

    prendrai par la suite pour exemple les jeux de sable lcole maternelle, le prjeu du plouf-

    plouf5, qui lcole lmentaire prend des formes nouvelles, et les jeux de corde sauter chez

    les filles de cette deuxime cole.

    12 Entre enfants, la matrise de techniques et de rgles ludiques se rvle chaque jour comme

    un des enjeux fondamentaux, permettant de se faire une place dans la cour. On entend par

    exemple un enfant dire un autre : Toi tu joues pas, tu sais pas faire. Ou, en entretien en

    grande section de maternelle, une fille me dira propos des jeux de sable : Les garons y

    savent pas faire. Lincomptence apparat donc comme un obstacle pour jouer avec dautres.

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    13 Par consquent, les savoirs enfantins et leur transmission au sein dune classe dge ne peuvent

    se comprendre sans prsenter dans un premier temps le cadre social dont ils sont intimement

    dpendants.

    Apprendre pour faire partie des siens14 La cour dcole nest pas un lieu comme un autre et y tre isol est rapidement mal vcu. Les

    enfants le comprennent ds la maternelle et mettent beaucoup dnergie sintgrer parmi

    leurs pairs. Ils exprimentent galement le fait quen montrant leurs comptences dans les jeuxils pourront esprer se faire accepter et conqurir une place dans un groupe de copains. Lenjeu

    est donc de taille et la motivation pour apprendre est grande. Mais les groupes constitus sont

    dlicats pntrer et le manque de tact dun camarade sert aussi de prtexte pour lempcher

    de participer au jeu. Exclure un enfant est un moyen de valoriser ceux qui ont le privilge den

    faire partie et de rendre le jeu plus attrayant encore car difficile matriser. Un enfant apprendra

    donc user de diffrentes stratgies pour se faire accepter, telles quoffrir un bien prcieux au

    leader du groupe (une pelle pour un jeu de sable, un bonbon en toute circonstance) ou se rendre

    utile dans un rle un peu ingrat et se plier aux exigences du chef, en attendant de pouvoir se

    valoriser davantage par ses comptences sociales. Lapprentissage ncessaire lacceptation

    parmi les siens ne relve pas que du domaine du ludique, il inclut aussi lacquisition des rgles

    lmentaires de savoir-vivre reconnues par le groupe, que lon dcrira plus loin.15 Le savoir et la matrise dune technique permettent aux enfants de se diffrencier entre eux,

    voire de se crer une hirarchie. Au sein dune bande, cest le chefqui sait et dcide quoi

    lon joue et comment on y joue. Il possde en effet un savoir-faire sur lequel on reviendra :

    lhabilet diriger un groupe et conduire un jeu, limagination ncessaire la dynamique du

    jeu et lautorit permettant de donner chacun son rle et de le soumettre la rgle commune

    quil a mise en place. Sil sait ne pas abuser de son pouvoir, il est maintenu comme leader par

    ses acolytes qui profitent de son aura, de la paix quil instaure et du plaisir ludique quil permet.

    16 A lchelle de la cour, ce sont les grands qui connaissent les rgles des jeux tels que les billes

    ou qui matrisent lart de la baston. Pour viter le danger quils reprsentent par leur supriorit

    physique, les plus jeunes doivent apprendre leur abandonner les territoires quils occupent

    et ne pas les gner dans leurs jeux. Les plus habiles savent se faire des allis parmi leurs

    ans, surtout quand ils y ont un frre ou un cousin, et servent ainsi de relais entre le monde

    des grands et celui des petits, transmettant leur groupe dge des informations prcieuses sur

    la rgle dun jeu, sur la faon de se comporter pour se faire respecter.

    17 Le savoir assure galement une diffrenciation entre filles et garons, puisque des jeux tels que

    la corde sauter sont dsigns comme fminins et se pratiquent surtout entre filles, alors que

    les jeux de billes ou de ballon se droulent principalement entre garons. Des enfants du sexe

    oppos peuvent pourtant simmiscer dans lautre groupe, mais ils doivent alors accepter dtre

    des participants de deuxime rang et dtre utiliss pour occuper les moins bonnes places, sauf

    sils font preuve dune matrise remarquable de la technique mobilise dans le jeu. Dans la

    bouche des enfants, la sparation des savoirs est vidente.

    18 En grande section de maternelle, je demande Aurlia : Est-ce que vous jouez avec les

    garons ? Oui des fois y nous regardent faire lquilibre. 19 Cindy, au CE2, me raconte les points davance que leur laissent les garons quand elles jouent

    avec eux au football : Y sont chiants parce qu chaque fois y disent cest nous qui ont le plus

    de points. Parce que y a des quipes qui sont pas quilibres, alors ceux qui sont pas quilibrs

    y ont trois points de plus. Nous on sait mme pas jouer alors

    20 Lidentit dun groupe, et par consquent de chaque enfant, se construit en partie autour dun

    savoir quil matrise et valorise, et qui lui permet de se diffrencier des autres. En dernier lieu,

    le savoir enfantin et plus largement la culture enfantine donne une identit commune

    lensemble des enfants, puisquil apparat comme un lment de sparation entre eux et les

    adultes. Mais, alors que les premiers sont contraints de possder pour tre reconnus comme

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    membres de la communaut enfantine, les seconds en sont exclus sans mme chercher la

    connatre.

    Le savoir comme pouvoir : transmettre et crer un lien21 Lapprentissage dun jeu commence souvent par lobservation. Il ncessite ensuite dtre

    continu et renforc par une pratique commune avec celui qui sait. Mais comment jouer avec

    lautre quand faire partie du groupe suppose dj de possder le savoir ? Ce dilemme se rsout

    souvent en apprenant de nouveaux jeux avec ceux dont on est dj lami ou avec qui la relationest engage. Le jeu commun permet ensuite dapprofondir le lien.

    22 Au CE2, Yoan mexplique comment il apprend de nouveaux jeux : En regardant les autres,

    comme cache-cache, jai demand Cest quoi votjeu ? et aprs jai demand Est-ce que

    je peux jouer avec eux ?, et y ma dit oui. Ctait des copains moi dans lcole. Je pose

    la question Marine, galement au CE2, propos de jeux de corde sauter : Je sais pas.

    Par exemple y a quelquun qui nous avait montr en premier Coca-cola et aprs jai vu et

    force que je le vois faire et ba je sais maintenant. La queue du chat par exemple.

    23 Par limitation, on acquiert le geste et la technique, on assimile les rgles ainsi que les habitudes

    particulires du groupe qui joue. En acceptant le dbutant, le groupe sait quil sengage lui

    transmettre ses connaissances. Cest pourquoi linitiation est dautant plus chaleureuse que ce

    don peut se faire entirement. Ainsi, propos des jeux de gymnastique qui plus que dautresappellent la solidarit pour sencourager et saider dans un exercice prilleux, Aurlia (au

    CE2) me raconte : Parce que des fois ma copine Cindy elle ma appris faire lquilibre

    mieux, et puis aprs jai essay sans le mur et puis jy arrivais.

    24 Entre ami(e)s, la transmission devient un moment de complicit, semblable aux scnes de

    confidences et de secrets partags.

    25 Dans les cours dcoles maternelles se manifeste le rle de limitation dans lapprentissage

    dun jeu. On observe par exemple des scnes o un enfant commence en suivre un autre

    en train de marcher sur une bordure. Celui-ci le remarque et soit il le repousse, soit il profite

    de ce pouvoir dattraction et construit un circuit, transformant son imitateur en suiveur docile

    et en compagnon de jeu. Connatre un jeu ou savoir en inventer un et lapprendre lautre

    participe donc dune mme dynamique dans laquelle un enfant initie un pair qui, de ce fait,

    doit accepter ses conditions et suivre ses rgles. Du moins dans un premier temps, car si la

    relation se poursuit, les deux joueurs contribueront sans doute lun et lautre nourrir le jeu

    de nouvelles variantes, la recherche dun plus grand plaisir ludique. Ainsi se transforme un

    jeu qui se perptue parce quil se rgnre.

    La classe dge, espace de transmission et dappropriation26 Si la transmission voque un passage de savoir des ans aux cadets, lapprentissage des jeux

    dans une cour dcole se fait pourtant en priorit entre enfants du mme ge, puisque les

    affinits qui permettent la relation dapprentissage se dveloppent entre ceux de la mme

    classe ou du mme niveau.

    27 Mais bien que les connaissances sacquirent et se diffusent dans la classe dge, lide de

    pratiquer un jeu vient de lobservation des ans. Cette transmission passive sopre du faitdun espace partag et dune attirance des plus jeunes pour leurs ans quils regardent et

    imitent, lcole et ailleurs.

    28 On remarque pourtant qu chaque ge correspond un jeu, comme si les enfants attendaient

    dentrer dans la classe suprieure pour sapproprier le jeu de leurs ans. Ainsi, dans un

    tablissement o se ctoyaient les lves de maternelle et ceux de lcole lmentaire, les plus

    jeunes ne commenaient jouer aux billes quen entrant au CP, alors quils voyaient depuis

    trois ans les plus grands le faire. Plusieurs lments expliquent ce phnomne. Dabord, la

    pression du collectif veut que lon pratique les mmes activits que ses pairs les plus proches,

    par contagion mais aussi cause dun processus dengouement des enfants pour un jeu pendant

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    une priode donne. Ainsi des camarades de jeu vont-ils souvent pratiquer dun jour lautre

    la mme activit jusqu en devenir spcialistes , et, quand ils lauront explore sous tous

    ses angles et quils la matriseront au maximum de leurs capacits, ils labandonneront parce

    quelle sera dnue de toute surprise, et ils se focaliseront sur une autre. Quelques mois plus

    tard, ils la reprendront avec des ides neuves et des possibilits nouvelles, car ils auront grandi.

    29 A lchelle de la cour, on observe aussi des phnomnes de mode communs toute une cour,

    o pendant un mois les enfants de maternelle passeront beaucoup de leur temps des jeux de

    sable et de papa et maman, pendant que la cour dcole lmentaire sera envahie de billes.Comme lintrieur du groupe de copains, lexplication tient en partie linfluence des leaders

    qui lancent lactivit, avant que la passion ne gagne toute la cour. Mais les adultes jouent aussi

    leur rle dans le processus : les jeux de sable dmarrent lcole maternelle quand, larrive

    du printemps, les enseignants dcident de sortir le matriel de plage. La priode des jeux de

    billes qui sinstalle peu aprs la rentre des classes est plus nigmatique, et dautres chercheurs

    comme lanthropologue Georges Augustins (1988 et 2000) se sont dj penchs sur ce mystre6. Motive en partie par des raisons climatiques excluant certaines priodes du calendrier

    lhiver nest pas propice limmobilit dans une posture accroupie elle sexplique parfois

    par larrive dans les magasins dun nouveau type de bille qui relance la pratique. De mme,

    la sortie des cordes sauter en plastique fluorescent avait-elle donn une nouvelle jeunesse

    ce jeu ancestral. Je mentretiens avec Cindy, au CE2 : Cest quand les Pogs ? Ba, quandtout le monde emmne des Pogs jen emmne. Cest quelle saison ? Ba cest dj pass.

    Cest quand a sort. Par exemple les billes quand cest sorti y en avait plein.

    30 Comme lcrit le sociologue Patrick Rayou (1999 : 91-92), les modes suivent ainsi les

    oprations de marketing, et perdent de leur ampleur quand la pression publicitaire dcrot.

    Les jeux de la cour sont donc aliments par de multiples sources extrieures : les parents, les

    enseignants qui apprennent des comptines et des jeux sportifs leurs lves, la tlvision et

    les producteurs de jouets et produits drivs, qui vont jusqu distribuer des chantillons dans

    les coles. Linfluence des personnages issus des sries tlvises est visible dans les cours

    de rcration, introduisant par exemple le hros du moment dans lancien jeu de gendarmes

    et voleurs. Mais le travail de construction du jeu autour des personnages reste la charge des

    joueurs. Le sociologue Gilles Brougre (2000) explique bien comment les figurines issues dessries tlvises comme les Power Rangers enrichissent la culture ludique des enfants par des

    rfrences communes, mme sil reste aux joueurs se dbrouiller pour atteindre leur but,

    celui de mener un jeu collectif.

    31 En plus de ces priodes, les enfants passent dun jeu un autre, guids par lassociation

    traditionnelle dun jeu un ge. Celle-ci est autant leur propre fait que celui des parents ou

    des marchands de jeux qui dfinissent lge appropri leur pratique. Si les enfants dlaissent

    une activit en grandissant du fait de leurs proccupations et de leurs capacits nouvelles, ils

    subissent aussi limage du jeu associ un ge. Ils se doivent de labandonner parce quil

    reprsente cet ge.

    32 Au CE2, je demande Latifa : Est-ce que vous jouez au papa et la maman ? a ctait

    quand jtais petite en CP. Mais maintenant a me plat plus. Dans la mme classe, Abdel

    me dit : Aux voitures, cest pour les bbs.

    33 Du fait de cette association entre ge et savoir, un enfant apprend davantage avec ses

    camarades quau contact des grands qui ont dj abandonn lactivit quand lui-mme parvient

    lge dy jouer.

    34 Les entretiens mens avec les enfants de 5 6 ans et de 8 9 ans montrent quun dnominateur

    commun les motive suivre une mode, respecter la saison laquelle on pratique un jeu, ou

    abandonner une pratique qualifie de jeu pour petits. Sur ces trois phnomnes, le groupe

    exerce une pression sur lindividu et lui apprend se soumettre la norme collective.

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    35 Je demande Latifa (CE2) quand a lieu la priode des billes : Cest pas moi qui sais, cest

    les autres qui savent et je les vois jouer. Y a des grands qui savent quand cest la saison, y

    jouent et ensuite un autre, un autre, a regroupe, et tout le monde joue.

    36 Si le phnomne des saisons sexplique parfois par des raisons climatiques, et si le

    dveloppement neurophysiologique de lenfant motive son abandon de certains jeux en

    grandissant, les raisons invoques par les enfants relvent davantage de la rgle sociale. Ces

    comportements sont des faits institus dans les cours de rcration, respects par les lves

    et connus des enseignants. Ils font partie de la culture enfantine. Celui qui joue un jeu quinest pas de son ge, ou qui pratique une activit hors saison ou dmode, est considr par

    les autres comme dviant. Tout autant quils se transmettent un savoir ludique, les enfants

    diffusent une idologie du jeu qui concourt asseoir un ordre social et leur construire

    une identit collective. Mais si cette idologie est un aspect de la culture enfantine, elle est

    largement empreinte de celle des adultes qui, avant mme la vulgarisation dune psychologie

    du dveloppement, a toujours diffus lide qu chaque ge correspondent des capacits ainsi

    quun type de comportement. De mme, le phnomne de mode est la consquence vidente

    dun matraquage publicitaire. Lobservation dune cour permet donc de voir comment, partir

    de leur environnement culturel global, les enfants composent leurs propres normes sociales

    et culturelles.

    37 Le rle des pairs de mme ge dans la transmission dun patrimoine ludique se rvle encoredans la manire dont chaque groupe de joueurs incorpore les rgles et les modifie. Ainsi

    le moment dapprentissage des composantes et des rgles dun jeu nest-il quune tape

    prliminaire dans lincorporation dune pratique. Cest par cette dernire que les enfants

    sapproprient le jeu en ladaptant leurs envies et leurs ides, participant ainsi sa

    transformation au fil des gnrations. A la corde par exemple, jai entendu une formulette

    qui accompagne lexercice prendre une touche personnelle au groupe, et une autre subir une

    transformation apparemment plus courante : le jeu de corde SVP a t transform en SVPT par

    Julien (CE1), qui, en plus de faire un jeu de mots (pter), ajoutait une preuve, chaque lettre

    correspondant un exercice li un mouvement de corde : serpent, vague, poteau et tempte.

    38 La formulette Mon drapeau a trois couleurs : bleu, blanc, rouge devenait dun groupe

    lautre mon chapeau ou mon bateau, dformant la phrase originelle dsignant le drapeau

    franais et lui associant une autre image.

    39 Les jeux de sable sont encore plus rvlateurs de lappropriation du patrimoine ludique car

    peu dlments sont fixs par la tradition. On aurait mme pu imaginer quaucun savoir ne se

    transmette autour du sable qui, plus quun jeu, est un simple matriau ouvert limagination

    des enfants. Pourtant, lchelle de mes quatre coles et lcoute de souvenirs dadultes,

    quelques constantes apparaissent comme le terme de sable doux et la manire de lobtenir en

    raclant le sol avec ses talons, assis sur ses fesses. Cest galement toute la rfrence au domaine

    du culinaire qui demeure dune cole lautre, les jeux de sable consistant frquemment

    fabriquer un gteau ou tout autre mets. Mais, partir de ces donnes communes, chaque groupe

    de joueurs dispose dune large marge de libert dans lappropriation du jeu. Il utilise la varit

    des qualits de sable, attribuant chacune delles une correspondance culinaire (le sable blanc,

    noir, mouillou sec devenant sel, poivre, chocolat, vanille, etc.), dveloppe une technique

    pour les extraire et rpertorie les lieux o lon peut les trouver derrire un buisson, prs

    dun arbre, en surface ou en creusant. Chaque fois quil joue, il invente une fiction, souvent

    construite autour du quotidien dune famille, qui valorise la diversit des sables et le savoir-

    faire labor autour delle.

    40 Lapprentissage dun jeu dans la classe dge nest pas un processus fini mais continu, qui

    se transforme avec la maturit enfantine. Dans lune des coles visites, les exercices de

    gymnastique, simples roulades dans un premier temps, deviennent au CE2 un ensemble de

    figures se ralisant seul ou deux, et procurant un vritable spectacle visuel. Au plouf-plouf,

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    les enfants de maternelle font de ce prjeu un jeu force den discuter les rgles en cours de

    processus, et mettent beaucoup dintrt montrer leur attention la rgle, afin dapporter

    du srieux leur pratique par le cadre quils leur donnent. De plus, ils en font un moment

    o se joue un rapport de force entre participants, chacun cherchant ne pas tre dsign

    comme chat. Au contraire, au CE2, le plouf-plouf devient un outil oprationnel qui permet

    rapidement de jouer au jeu choisi. La transformation de la pratique, de la matrise de la rgle et

    des comptences enfantines entrane une modification de lintrt du jeu, ainsi quun nouveau

    rapport au savoir. Lenvie de se construire un cadre ludique chez les plus jeunes devient parfoisle but du jeu, alors quil en est un moyen par la suite. Le savoir est souvent une faon de se

    mettre en valeur (on entend des changes tels que Non, moi je sais, toi tu sais pas ), il est jeu

    avant de servir le jeu. Si lapprentissage est moins prcis chez les enfants de maternelle et si la

    matrise de la rgle est imparfaite, leur importance ludique et sociale nen est que plus grande.

    41 On comprend comment un mme jeu, tel que les billes, la corde ou le sable, peut passionner

    des gnrations les unes aprs les autres. Cest que la pratique nest pas fige, elle sadapte

    chaque groupe et chaque poque, en fonction des proccupations de ceux qui, par les

    variantes quils y incorporent et par la symbolique quils y projettent, interprtent le jeu et

    en font leur jeu. Lide souvent vhicule dune culture enfantine, conservatoire de pratiques

    anciennes, est donc en partie errone puisque les jeux voluent ainsi que la perception que

    les enfants en ont. De leur point de vue, ils sont neufs quand ils les dcouvrent et deviennentvieux quand ils les abandonnent leurs cadets. De nombreux auteurs comme Brian Sutton-

    Smith (1972) et Gary Alan Fine (1980 : 179-183) ont soulev cette confrontation dans les

    pratiques enfantines entre habitude et ritualisme, dune part, fantaisie et innovation 7, dautre

    part. Si la stabilit des pratiques et des rgles des jeux peut tre attribue, comme Sutton-Smith

    en fait lhypothse (1972 : 45-46), un besoin de relations sociales structures (notamment

    chez les enfants de 6 9 ans), les variantes et innovations trouvent leur origine dans un tat

    desprit enfantin qui ne ressemble pas celui dun adulte possdant un savoir traditionnel et

    souhaitant le transmettre. Le souci dun enfant nest pas de transmettre ses cadets un jeu

    toujours pratiqu par ses ans, mais de suivre ses camarades dans une activit collective et

    de trouver un plaisir dans son jeu favori du moment. Pour ce faire, un jeu a autant besoin du

    savoir qui sy rapporte que de rgles de vie permettant laction commune.

    Lapprentissage des rgles de vie

    42 Apprendre bien se comporter avec autrui est lun des objectifs de lducation parentale et

    scolaire.A priori, le groupe de pairs nest pas conu comme participant cette ducation,

    dabord parce que les enfants nont pas entre eux dintention ducative, et ensuite parce que

    lon pense plus couramment lentre-enfants comme un lieu de contre-pouvoir, ou tout au

    moins de dfouloir , face aux contraintes imposes par les adultes. Lobservation des

    cours de rcration contredit largement cette ide. Il sy rvle au contraire que les enfants,

    loin dtre rticents toute forme dautorit et de rgles, mettent beaucoup dnergie sy

    soumettre entre eux. Ils reprennent ainsi quelques-unes des valeurs introduites par lducation.

    Pour autant, les rgles qui en dcoulent sont vcues comme celles du groupe et non commedes normes imposes par ladulte. De mme que pour le patrimoine ludique, on assiste en fait

    une appropriation des rgles de savoir-vivre.

    43 Comment sexplique leur volont de simposer des rgles ? Le contexte y concourt : dune

    part lcole est un espace contrl qui normalement ne permet pas de dbordement, dautre

    part la rcration est un moment de jeu et le jeu collectif impose de se soumettre des rgles

    communes. La recherche du plaisir ludique se rvle donc lorigine de la mise en place de

    groupes de joueurs, de petites structures sociales qui permettent le jeu commun. Mais leur

    existence dpasse ce simple moment et, ds la maternelle, le groupe se charge dorganiser les

    relations sociales.

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    44 Un enfant doit dabord apprendre, comme on la vu, se faire accepter dun groupe. A lcole

    maternelle, celui-ci se structure hirarchiquement autour du leader qui a autorit sur les autres.

    Il est l pour commander une bande (Franois, lui-mme leader). Lenfant doit donc

    accepter de sy soumettre pour se faire une place. Les enfants parlent du chefen des termes

    clairs : On doit lui obir, cest qule chef qua ldroit de dire (Jean-Louis). Pour autant,

    le vrai leader nest pas un despote. Il tient son pouvoir de sa capacit faire fonctionner un

    jeu, il est respect pour son savoir-vivre. Il fait adopter au groupe des valeurs telles que le

    respect et la politesse.45 Anas en moyenne section de maternelle me dit : Cest Suzanne la chef parce que tout le

    monde la choisie pour quelle soit la chef. Parce quelle est gentille et aussi polie. Au

    CE2, Yoan me dit apprcier ses copains parce quils sont sympas et y sont gentils . Cdric

    mexplique que Mathieu est son meilleur copain parce que y me prte plein de trucs, y joue

    toujours avec moi .

    46 La gentillesse est donc une valeur largement reconnue entre enfants, qui se manifeste par

    une attention lautre, un soutien dans les moments difficiles et une fidlit dans le jeu. Les

    affinits qui se forment chaque jour sont bases sur ces qualits humaines. Elles se btissent

    galement sur des critres esthtiques, qui amnent au rejet de ceux qui ne sont pas apprcis.

    Jai pu rencontrer un garon qui, la maternelle, tait mis lcart par ses pairs parce quil

    tait gros, mais qui tait plus facilement accept dans les jeux de filles. La force et la vaillancefont partie des qualits recherches, parce quelles permettent de dfendre la bande contre des

    groupes adverses.

    47 Ainsi le groupe intgre-t-il les individus et les soutient-il, sil acceptent de se soumettre sa

    norme. Le leader protge le jeu des lans individualistes des enfants, mais se garde le meilleur

    rle du fait de sa domination. Lenjeu de cet apprentissage des rapports de force et des rgles

    de vie est une exprience diffrente de celle quils vivent avec les adultes. Alors que cette

    dernire situation les place dans une ingalit de statut qui les oblige se soumettre, entre pairs

    ils deviennent seuls acteurs de ce rapport de force dans une galit de statut. Ils peuvent alors

    dcouvrir lintrt constructif des rgles qui permettent laction partage (faire ensemble).

    Les rapports de sexes48 Comme les autres rgles de savoir-vivre, celles qui concernent les relations entre filles et

    garons se vivent, dans la cour, loin des adultes. Lapprentissage de la diffrence des sexes

    commence pour tout individu ds la naissance, en observant le rle qui revient chacun deux8. A lcole, les lves ont le loisir dexprimenter ce que provoque en eux la confrontation

    lautre sexe (dsir ou rejet, image de soi) et apprennent le grer socialement, travers le

    jeu. Si, la maternelle, ils partagent assez couramment leurs activits, lcole lmentaire

    lvitement est plus systmatique. Mais, tout au long de la scolarit, les rapports de sexes sont

    le centre dune dynamique sociale qui stimule le jeu.

    49 Il en rsulte une affinit plus grande entre enfants du mme sexe et un regroupement selon

    cette distinction. Mais, partir de cette donne gnrale, on nobserve pas une unit des

    comportements mais plutt deux stratgies opposes qui conduisent un apprentissage des

    rapports de sexes : lvitement et le rapprochement. Si chaque enfant change de stratgiedun moment lautre, mon observation dun mme groupe dlves de la maternelle au

    CE2 me permet de dresser deux types denfants qui privilgient chacun lun des deux

    comportements. Lvitement conduit construire un groupe entre enfants du mme sexe et

    btir son identit par opposition lautre sexe, en le rejetant ou en travaillant sen distinguer

    par des jeux typiquement fminins (la corde, llastique) ou masculins (les billes, le ballon).

    En insistant sur la diffrence entre les sexes, on soude du mme coup les relations au sein

    du groupe.

    50 Dautres enfants recherchent au contraire le rapprochement et construisent des jeux mixtes

    entre deux bandes ou, mme, forment des groupes o se retrouvent filles et garons. Leurs

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    jeux deviennent alors un espace o se vit la confrontation des sexes, celui de papa et maman

    en tant le modle idal. Ils exprimentent la complexit des relations sexues, la sduction,

    lamour, la gne. Au CE2 o les relations mixtes sont plus dlicates, les sentiments quils

    prouvent les amnent souvent nouer une relation confidentielle entre enfants de mme sexe

    afin de se soutenir dans les dmarches effectues en direction de lautre sexe. Au contraire,

    la maternelle, les rapprochements entre filles et garons sexposent aux yeux de tous et

    saffichent clairement comme relations amoureuses. Celles-ci justifient mme le jeu commun.

    Alice mexplique propos des jeux quelle partage avec les garons : Moi jai ldroit dejouer un peu avec eux parce que je suis lamoureuse de Gal.

    51 A tout ge, avoir des amoureux(euses) est valorisant et les leaders excellent souvent dans lart

    de se faire dsirer par lautre sexe, tendant ainsi leur sphre dinfluence.

    52 En grandissant, le tabou de la mixit suppose que lon trouve des justifications plus anodines

    pour jouer ensemble. A la maternelle, certains jeux sy prtaient plus que dautres, comme

    celui de papa et maman o la mise en scne permet de se laisser aller des rapprochements

    oss. Au CE2, le jeu de chat, plus pudique, est facilement mixte parce quil est construit sur un

    modle proche de lactivit de base entre garons et filles, celle qui consiste embter ceux ou

    celles de lautre sexe, les attaquer, les attraper. Ces pratiques dpassent largement les cours

    dcole de mon terrain, puisque je les ai retrouves dans les travaux de sociologues franais et

    amricains (Rayou 1999, Zaidman 1996 et Thorne 1992), en littrature et dans les souvenirsdamis. Elles runissent parfois une vingtaine denfants forms en grandes quipes, et oscillent

    entre bagarres, jeux et pratiques de sduction. Dans une cour dcole maternelle, des enfants

    jouent sur une structure ludique formant une petite maison avec toboggan. Un garon sadresse

    aux filles : Laissez passer les garons sinon ils attaquent ! Lune delles rpond : Viens

    nous attaquer ! Elle mexplique ensuite quils attaquent parce quils aiment les filles .

    53 Au CE2, Mathieu me dcrit les jeux mixtes : On joue chat, lquilibre sur le mur.

    Comment vous jouez chat ? Y a une quipe de gars, une quipe de filles. Comment a

    commence ? On demande, si y veulent pas quon les touche, on dit touche et y veulent

    bien comme a. Ces activits constituent une technique dapproche plus ou moins dvoile

    et sont des moments o se vivent autant la rencontre avec lautre sexe que la construction

    de la diffrence. Yoan, au CE2, me dit : On joue emmerder les filles ; des fois on les

    chope, paf ! Des ptits coups de poing, parce que les filles cest faible. Dans la mme classe,

    Anthony me raconte : Les filles de la classe de lautre CE2, on les embte parce quy nous

    embtent. Y viennent et y disent : Hou ! les garons vous tes nuls, vous savez mme pas

    faire lquilibre !

    54 A partir de lensemble de ces changes et confrontations, il sopre une reprsentation de

    lautre et, par opposition, une image de soi qui vient complter, contredire ou affiner la

    construction des genres insre dans le processus ducatif. Non seulement les relations entre

    pairs leur permettent dtre acteurs de cette diffrenciation sociale des sexes, mais elles leur

    donnent par le jeu loccasion den tester les limites et les enjeux. Elles amnent aussi bien

    entretenir les strotypes, comme celui de filles faibles et peureuses, qu les bousculer par

    limportance donne au savoir : de par leur matrise du jeu de lquilibre lie une plus grande

    pratique, les filles exercent leur pouvoir sur les garons. Elles peuvent choisir de garder leur

    avantage pour mieux les exclure ou accepter de les initier tout en gardant une supriorit

    technique. Anthony, qui se plaignait, dans la citation prcdente, du rejet des filles dautres

    classes de CE2, exprime assez bien ce rapport de force amical qui lunit aux filles de sa classe,

    confirm par Aurlia : On joue avec les filles apprendre faire lquilibre. Je demande

    Aurlia si elles jouent avec les garons : Oui, des fois y nous regardent faire lquilibre.

    55 Mais dans certaines figures comme le saute-mouton, les garons retrouvent lavantage. La

    diffrenciation sociale des sexes, donnant penser aux enfants quils doivent sopposer comme

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    deux camps ennemis, prend des formes plus sereines dans ces jeux de gymnastique partags,

    qui proposent une trve dans leur conflit et permettent la rencontre.

    Quel lien avec laction ducative des adultes ?

    56 La question de lapprentissage du point de vue de lenfant nest pas en premier lieu une

    question denrichissement personnel, ni mme celle dune transmission dun savoir par un

    camarade. Elle se pose plutt dans les termes dun rapport au collectif parce que lie au

    processus dintgration dun pair parmi les siens. Cette intgration suppose lappropriation

    dun patrimoine ludique, lment central dune identit enfantine telle quelle apparat dans

    une cour dcole.

    57 La motivation dun enfant apprendre est dabord la participation au jeu collectif. Sil

    recherche de manire visible le plaisir ludique, il ne latteint quaprs avoir trouv sa place

    dans le groupe. Il passe alors du statut de spectateur du jeu celui dacteur, de dtenteur

    dune richesse, et devient son tour possesseur dun pouvoir sur ceux qui ne savent pas. Dans

    les jeux de comptition comme celui de la corde sauter, lenfant cherche dvelopper ses

    comptences dans un esprit de concurrence avec ses camarades, afin de se faire une place

    honorable parmi eux. Au-del du jeu, son incorporation dans le groupe est ncessaire sa

    reconnaissance sociale. Elle lui donne un statut de chefou de membre dune bande qui est

    son premier espace de vie entre copains lcole, au sein duquel il se met en valeur, trouve desallis et se fait sanctionner pour un mauvais comportement par un Chsuis plus ta copine/

    ton copain qui lexclut temporairement. Grce cette appartenance au groupe, il nest pas

    seul face tous dans la cour, il obtient protection et reconnaissance.

    58 Lapprentissage des rgles sociales se fait par lintermdiaire du groupe dont lutilit est

    apprhende quotidiennement, puisquil permet chacun dexister dans le groupe et dtre

    reprsent lextrieur de celui-ci.

    59 Limportance des apprentissages culturels et sociaux entre enfants nous oblige largir notre

    point de vue sur lattitude des enfants face au savoir quils reoivent des adultes, parents

    et enseignants. On dcouvre, en effet, que les enfants sont loin dtre de simples rcepteurs

    dun savoir et dun ordre qui leur viennent du dehors et quil leur faudrait respecter. Laction

    ducative des adultes sinsre dans un contexte actif o les enfants ont eux aussi linitiative delinstauration dune morale et dun contrle social qui se mettent en place dans le jeu. Il nous

    reste leur laisser les moyens de sapproprier davantage le savoir propos par les adultes.

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    Notes

    1 Ce terrain a fait lobjet de plusieurs publications (1995, 2000, 2001a et b). Il a t men dans quatre

    coles maternelles auprs des enfants de moyenne et grande sections, et dans une cole lmentaire

    auprs des lves de CP et CE2 afin de suivre un mme groupe de la maternelle au CE2. Les coles (trois

    urbaines, une rurale) ont t choisies dans des milieux sociaux htrognes.

    2 Jean Baucomont dfinit la formulette comme un terme gnrique employ depuis une cinquantaine

    dannes par les folkloristes pour dsigner les petits pomes oraux traditionnels, le plus souvent rims

    et assonancs, toujours rythms et mlodiques, utiliss communment par les enfants au cours de leurs

    jeux (Baucomont et al. 1961 : 7).

    3 En voici leur dfinition : Par culture de pairs, nous voulons dire un ensemble dactivits oudoccupations habituelles, de valeurs, artefacts et de relations que les enfants produisent et partagent

    pendant leurs interactions entre pairs (1990 : 197, notre traduction).

    4 Parmi les publications sinscrivant dans cette dmarche et posant les bases dun nouveau courant de

    recherche sur lenfance, on notera les ouvrages collectifs suivants : Sutton-Smith et al. 1995 ; Sirota

    1998 et 1999 ; Saadi-Mokrane 2000.

    5 Le plouf-plouf consiste dsigner par limination celui qui, dans le jeu qui suit, sera par exemple

    le chat. Le geste qui pointe un un chaque pied des participants est accompagn dune formulette ou

    chansonnette.

    6 Selon lauteur, pour des raisons mystrieuses, il sagit dun jeu saisonnier commenant ds la rentre

    scolaire et sachevant irrmdiablement Nol (Augustins 2000 : 101).

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    7 En 1883, lAmricain William Wells Newell consacrait dj, dans son ouvrage, un chapitre

    linventivit des enfants et un autre leur conservatisme. Sur le sujet, voir galement Sutton-Smith et

    al. 1995.

    8 Voir notamment S. Lallemand (1997 : 51).

    Pour citer cet article

    Rfrence lectroniqueJulie Delalande, Culture enfantine et rgles de vie. , Terrain [En ligne], 40 | 2003, mis en ligne le

    12 septembre 2008. URL : http://terrain.revues.org/index1555.html

    Delalande J., 2003, Culture enfantine et rgles de vie. Jeux et enjeux de la cour de

    rcration , Terrain, n 40, pp. 99-114.

    propos de l'auteur

    Julie Delalande

    Universit Rennes 2 Haute Bretagne, Laboratoire danalyse du dveloppement, des espaces et des

    changements sociaux - [email protected]

    Droits d'auteur

    Terrain

    Rsum / Abstract

    Apprendre est une ncessit pour devenir un adulte comptent. Au jour le jour, chaque

    enfant doit acqurir et matriser un savoir enfantin pour sintgrer au groupe de ses pairs.

    Lobservation de cours de rcration, lcole maternelle et lmentaire, laisse apparatre une

    culture enfantine, ensemble de savoirs et savoir-faire, qui sapprend au sein du groupe dgegrce une complicit permettant linitiation.Cet apprentissage de savoirs ludiques et de rgles

    entre pairs est vcu dans une galit de statut, loin de toute intention ducative, fournissant aux

    enfants loccasion de sapproprier les enjeux sociaux et culturels propres toute vie collective.

    Mots cls : apprentissage,culture enfantine,cours de rcration,savoirs ludiques

    Childrens culture and the rules of life: Learning the rules on the school playground

    Learning is necessary in order to become a competent adult. From day to day, each child has to

    acquire and control knowledge so as to become part of the peer group. Observing playgrounds

    in kindergartens and primary schools gives us a glimpse of a childrens culture, a set of

    knowledge and know-how learned within the age-group via an initiation based on mutual

    understanding. The experience of learning play and rules among age-mates is grounded in an

    equality of status, far from any intention to educate. It provides children with the opportunity

    to appropriate what is socially and culturally important for participation in a group.

    Keywords : France,learning,childrens culture,playground,knowledge of playIndex thmatique :enfance, culture

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