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Cet article est disponible en ligne à l’adresse : http://www.cairn.info/article.php?ID_REVUE=RFG&ID_NUMPUBLIE=RFG_157&ID_ARTICLE=RFG_157_0169 Peut-on encore croire à l’efficience des marchés financiers ? par Michel ALBOUY | Lavoisier | Revue française de gestion 2005/4 - n° 157 ISSN 0338-4551 | pages 169 à 188 Pour citer cet article : — Albouy M., Peut-on encore croire à l’efficience des marchés financiers ?, Revue française de gestion 2005/4, n° 157, p. 169-188. Distribution électronique Cairn pour Lavoisier. © Lavoisier. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

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Peut-on encore croire à l’efficience des marchés financiers ?

par Michel ALBOUY

| Lavoisier | Revue française de gestion2005/4 - n° 157ISSN 0338-4551 | pages 169 à 188

Pour citer cet article : — Albouy M., Peut-on encore croire à l’efficience des marchés financiers ?, Revue française de gestion 2005/4, n° 157, p. 169-188.

Distribution électronique Cairn pour Lavoisier.© Lavoisier. Tous droits réservés pour tous pays.La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

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Les marchés financierssont-ils efficients? Dansquelle mesure la financecomportementale remet enquestion le paradigme del’efficience des marchésfinanciers? Après un brefrappel de ce que l’onentend par efficience desmarchés et desconséquences de cettehypothèse sur la gestionfinancière des entreprises,l’auteur aborde la remiseen cause de cettehypothèse. Il traite de lamise en évidence desanomalies sur les marchéset de l’apport de la financecomportementale à cetteremise en cause avec lesphénomènes de sur etsous-réactions, les modèlesde rétroaction, le matchentre les investisseursintelligents et les autres, etenfin, des comportementsnon conformes à la théoriestandard.

Dans une revue très fouillée de la littérature surle fonctionnement et l’efficience des marchésfinanciers européens publiée en 1984,

G. Hawawini recensait plus de 280 références de tra-vaux scientifiques concernant 14 pays européens allantde l’Allemagne au Royaume-Uni1. Son travail visait àfaire connaître à la communauté internationale acadé-mique et professionnelle en finance des travaux réali-sés sur les marchés européens et qui n’étaient pas oupeu connu du fait de la barrière de la langue, de lafaible diffusion des revues dans lesquels ils étaientpubliés ou encore parce qu’ils restaient à l’état dethèses ou de working papers.La plupart de ces travaux recensés étaient fondés sur destests statistiques similaires à ceux utilisés par leschercheurs pour étudier le comportement des marchésfinanciers américains et leur efficience. À cette époque,et bien que cela soit toujours le cas (mais dans une pro-portion moindre), les marchés d’action européens étaientcaractérisés par de plus faibles montants de capitalisationet de plus faibles volumes de transaction que le NYSE

D O S S I E R

PAR MICHEL ALBOUY

Peut-on encore croire àl’efficiencedes marchés

financiers?

1. Les pays concernés étaient : Allemagne, Autriche, Belgique, Dane-mark, Finlande, France, Grèce, Italie, Hollande, Norvège, Espagne,Suisse, Suède, Royaume-Uni.

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(New York Stock Exchange). L’idée généra-lement répandue à cette époque était que, dufait de ces plus faibles capitalisations etvolumes de transaction, les marchés euro-péens devaient être inefficients, tout aumoins informationnellement. En d’autrestermes, que ces marchés devaient s’ajusterplus lentement au flux des nouvelles infor-mations pertinentes et que les prix n’inté-graient pas toute l’information disponible.D’une façon surprenante pour les non spé-cialistes, la revue exhaustive de la littératureréalisée par Hawawini montrait qu’il n’enétait rien et que les marchés financiers euro-péens se comportaient, à de rares exceptionsprès, comme leur grand frère américain :c’est-à-dire qu’ils étaient efficients2. Ainsil’hypothèse de l’efficience des marchésd’action (Efficient Market Hypothesis:EMH) était validée même sur les « petits »marchés européens.Vingt années plus tard, et suite à de nom-breux travaux empiriques toujours plussophistiqués, cette hypothèse de l’effi-cience des marchés financiers est remise enquestion par la communauté scientifiquedes financiers, tout au moins par une partied’entre elle. La remise en cause de l’EMHa été difficile à faire tant les « preuves » del’efficience avaient été accumulées et que la« croyance » était bien établie dans la com-munauté. Il faut dire que cette hypothèsed’efficience est bien commode et qu’ellerend beaucoup de services aux professeursde finance. Dans cette remise en question,l’approche de la finance comportementale ajoué un rôle non négligeable.

I. – LA THÉORIE DES MARCHÉSEFFICIENTS ET SES

CONSÉQUENCES POUR LA FINANCE

Comme le rappelle Aftalion (2004), il y aplus de 100 ans que Louis Bachelier a mon-tré dans sa Théorie de la spéculation(1900) que, sur un marché boursier, ni lesacheteurs ni les vendeurs ne peuvent réali-ser des profits systématiques et que les prixsur un tel marché suivent une marche aléa-toire. Plus tard, en 1934 Working établitqu’il n’y avait pas de corrélations entre lesvariations successives des prix sur diversmarchés et Kendall (1953) devait obtenirdes résultats similaires pour la Grande-Bre-tagne. Quelques années plus tard, Samuel-son (1965) démontra dans un article restécélèbre que des prix correctement anticipésfluctuaient de façon aléatoire. En effet, si lemarché a intégré toutes les informationsdisponibles et pertinentes, seules de nou-velles informations – non connues du mar-ché et non anticipées par construction –peuvent faire varier les cours de façon aléa-toire. Ainsi, la théorie des marchés effi-cients était née.C’est vraisemblablement à Fama (1970)que l’on doit le rayonnement de cette théo-rie dans les milieux académiques de lafinance. Selon cet auteur3, on peut distin-guer trois formes d’efficience en fonctiondes informations considérées :– l’efficience faible lorsque l’informationest représentée par l’ensemble des courspassés ;

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2. Parmi les travaux cités pour la France on retrouve les noms de professeurs bien connus : Albouy, Augros, Berto-nèche, Dalloz, Dumontier, Galesne, Hamon, Hawawini, Husson, Jacquillat, Navatte, Solnik, etc.3. Voir l’article de Hamon (2003) sur l’œuvre scientifique de cet auteur.

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– l’efficience semi-forte lorsqu’on consi-dère toutes les informations publiques dis-ponibles (chiffres comptables, annoncesd’opérations financières : dividendes,rachats d’actions, augmentations de capital,etc.) ;– l’efficience forte lorsqu’on considèrel’ensemble des informations existantes ycompris celles non rendues publiques déte-nue par les « initiés ».Selon Fama (1991), un marché est efficient(informationnellement) si une prévisionprofitable est impossible pour les acteurs dumarché. Cette définition reprend celle deJensen (1978) qui tient compte des frais detransaction et de ceux liés à l’activité deprévision.

1. Les preuves de l’efficience des marchés

Comme nous le mentionnons dans l’intro-duction de cet article, les « preuves scienti-fiques » de l’efficience des marchés se sontaccumulées au fil du temps et sur tous lesmarchés du monde. La quantité d’étudesempiriques réalisées sur ce thème est véri-tablement impressionnante et il est hors dequestion de faire ici une revue exhaustivede la littérature. L’objet de cette section estseulement de rappeler rapidement commentla recherche en finance a procédé pour vali-der l’EMH, c’est la raison pour laquellenous ne citons aucun auteur. Les méthodo-logies utilisées pour tester l’EMH peuventse répartir en deux grands groupes : les testssur les séries temporelles de cours boursierset les études d’événements.

Les tests sur les séries temporelles

Ces tests statistiques réalisés sur des sériesde cours boursiers passés consistent à testerle caractère aléatoire des variations decours : la célèbre random walk. L’idée debase est de voir s’il est possible de « battrele marché » en utilisant des martingales ouencore des méthodes d’analyse technique,appelée également « chartisme » du fait durecours à des graphiques (ou charts), pouranticiper les évolutions des cours futurs.Bref, si l’utilisation des cours passés estd’un quelconque intérêt pour prévoir lefutur. Si tel n’est pas le cas, on dira alorsque toute l’information des prix passés estcontenue dans le cours actuel et qu’une telleanalyse est inutile. Si des tendances existentvéritablement dans l’évolution des coursboursiers, alors il doit être possible d’obser-ver des séries de hausses ou de baissesconsécutives en moyenne plus longues à ceque le hasard prédit. Toutes les études, etelles sont très nombreuses4, réalisées surdes séries temporelles de cours, montrentqu’effectivement la marche au hasard estune hypothèse qui ne peut pas être rejetée.Une autre technique consiste à voir s’il estpossible de faire des gains à partir de straté-gies utilisant la méthode des filtres. Cetteméthode consiste à définir des règlesd’achat et de vente d’actions en fonctiond’une variation donnée. Par exemple, unfiltre à 3 % consiste à vendre un titre s’il abaissé de 3% par rapport au précédentcours d’achat et à l’acheter dans le casinverse. On peut utiliser également la tech-nique des moyennes mobiles et voir si elle

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4. La multiplicité des études s’explique par l’engouement que ces recherches ont suscité dans la communauté aca-démique et également par la facilité à réaliser de telles recherches à caractère scientifique à partir de données aisé-ment accessibles.

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permet de faire des gains supérieurs à ceuxd’une stratégie passive (appelée encore buyand hold strategy). C’est ainsi qu’on seraacheteur si la courbe des cours coupe à lahausse la moyenne mobile à 50 (ou 100)jours et qu’on vendra dans le cas inverse.L’ensemble des tests réalisés sur les sériestemporelles des cours observés sur tous lesmarchés aux États-Unis, en Europe maiségalement au Japon, ont montré, comptetenu des technologies économétriques del’époque, que les variations de cours futursne dépendaient pas de leur passé. Même sicertaines études ont pu mettre en évidencedes (petits) gains systématiques liés à detelles stratégies, ces derniers apparaissentcomme étant inférieurs aux coûts de tran-sactions générés par de telles stratégies. Parailleurs, comme la plupart des tests sontréalisés sur des chroniques de cours passés,ils supposent généralement que la décisiond’achat ou de vente est instantanée et quel’ordre est immédiatement exécuté ; ce quiest dans la pratique difficile à faire. Grâce àtoutes ces très nombreuses études empi-riques, les preuves scientifiques de lamarche aléatoire des cours boursiers se sontaccumulées au fil du temps et c’est ainsique l’hypothèse d’efficience faible a pro-gressivement fait son chemin et est devenueun véritable paradigme dans la commu-nauté académique.

Les études d’événements

Un marché qui ne réagirait pas à une infor-mation publique comme par exemple l’an-nonce d’une opération de fusions et acqui-sition, d’une émission d’actions nouvelles,ou encore d’une hausse du dividende, seraità l’évidence un marché bien peu efficient.En effet, un marché est d’autant plus effi-cient qu’il intègre le plus rapidement pos-

sible les informations nouvelles et dès lorsles cours doivent s’ajuster en conséquence.Si l’ajustement prenait du temps il seraitpossible d’en profiter et ceci de façon systé-matique. Encore une fois, de très nom-breuses études d’événement ont été réali-sées sur tous les marchés financiers et surpratiquement toutes les annonces suscep-tibles d’être étudiées : annonce de résultats,de dividendes, d’acquisitions, d’émissiond’actions ou de d’obligations, de distribu-tion d’actions gratuites ou de division d’ac-tions, etc. La principale difficulté dans cegenre d’études est d’isoler l’événement duflot d’informations véhiculé sur les sociétéset de connaître la date précise où le marchéest informé. Afin d’éliminer les différentsbruits liés à des cas particuliers on va rai-sonner sur un grand nombre de titres, déga-ger une fenêtre d’observation autour de ladate d’événement et calculer la réaction dumarché à l’aide des rentabilité anormalescumulées (CAR :Cumulative AbnormalReturn).Si on note Ri,t le taux de rentabilité observédu titre i pendant la période t (un jour parexemple) et E(Ri,t) le taux de rentabilitéespéré, par exemple à l’aide du modèle demarché ou du MEDAF, la rentabilité anor-male, notée ARi,t est définie par la diffé-rence des deux taux :

ARi,t = Ri,t – E(Ri,t )

Et la rentabilité anomale cumulée du titre i(CARi) sur une période d’observation (t = 1à T) est telle que :

CARi = ^T

t = 1 ARi,t

En mesurant des rentabilités anormalescumulées sur un échantillon de titres il estdonc possible de voir ce qu’est, en

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moyenne, la réaction du marché à l’an-nonce d’un évènement.La plupart des études empiriques ont mon-tré qu’après l’annonce de l’événement, lesrentabilités anormales cumulées se stabili-saient rapidement, indiquant que lamoyenne des aléas est nulle et qu’en consé-quence il n’y a ni sur-réaction ni ajustementretardé. Ces très nombreuses études ontnaturellement contribué à renforcer l’idéeque les marchés étaient efficients. La popu-larité de la méthodologie des études d’évé-nement est devenue tellement grandequ’elle est utilisée même par des chercheurstravaillant dans d’autres domaines que lafinance (stratégie, GRH, etc.). Le paradoxedans certains travaux étant que la réactiondu marché est considérée comme variableexplicative dans des modèles ou les auteursne croient que modérément à l’efficiencedes marchés financiers !

2. Les leçons de l’efficience des marchés

La force du paradigme de l’efficience desmarchés financiers vient non seulement despreuves empiriques fournies par de très nom-breux travaux réalisés sur pratiquementtoutes les places financières existantes, maiségalement de la vision de la finance qu’ellepermet de dessiner. Avec l’EMH le mondedevient plus simple et il est possible de bâtirtoute une théorie financière notamment à par-tir d’un raisonnement d’arbitrage. C’est ainsiqu’ont pu être dérivés les célèbres proposi-tions de Modigliani et Miller sur la structurefinancière (1958) et la politique de dividende(1961) de la firme, ou encore le modèle d’op-tion de Black et Scholes (1973) pour ne citerque ces deux éminentes contributions5.

Enfin, l’EMH est bien utile à tous leschercheurs qui veulent étudier les « réac-tions » du marché à l’annonce d’opérationsgrâce à la méthodologie largement éprou-vée des « études d’événement ». À noterque cette méthodologie est non seulementutilisée pour étudier l’impact d’opérationsfinancières comme les fusions-acquisitions,les augmentations de capital, l’émission dedettes, le versement de dividendes, le rachatd’actions, etc. mais également pour desdécisions comme le remplacement des diri-geants, l’annonce d’un plan de licencie-ment, etc. C’est bien parce que les marchéssont supposés efficients qu’on va pouvoirattribuer un contenu informationnel à l’an-nonce qui est faite.Dans leur ouvrage, qui est devenu une véri-table référence pour tous les professeurs etétudiants en finance, Richard Brealey etStewart Myers (1981), présentent en sixleçons les implications de l’efficience desmarchés pour les gestionnaires financiers.

Les marchés n’ont pas de mémoire

L’efficience de forme faible nous enseigneque les cours passés et leurs variations necontiennent aucune information sur lescours futurs. En d’autres termes que l’ana-lyse des cours passés ne permet pas de pré-voir le futur. Pourtant, on peut observer queles gérants de portefeuille et les dirigeantsd’entreprises ne se comportent pas toujoursde la sorte. Par exemple, ils rechignent àémettre des actions lorsque les cours ontbien baissé ; ils ont tendance à attendre unrebond sur la base des cours anciens. Acontrario, on observe que les émissions detitres ont tendance à se faire dans des

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5. Nous pourrions naturellement citer bien d’autres contributions reposant sur le célèbre raisonnement d’arbitrage.

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périodes de marchés « hauts », comme si onpouvait profiter aussi facilement d’une« surévaluation ».

Vous pouvez faire confiance au cours de Bourse

Sur un marché financier efficient les inves-tisseurs peuvent faire confiance au marchépour évaluer correctement les actions dessociétés dans la mesure où toute l’informa-tion disponible est intégrée dans les cours.Cela signifie que, sur longue période, iln’est pas possible pour un gérant de porte-feuille de faire des performances ajustéespour le risque systématiquement supé-rieures au marché. De même, le travaild’analyse financière et d’évaluation ne peutêtre qu’un exercice coûteux qui ne produitaucun bénéfice. Tout au plus, comme l’ontmontré Grossman et Stiglitz (1980), lesrevenus de ce travail ne peuvent au plus quecouvrir les frais engagés.

Il n’existe pas d’illusions financières

Selon l’EMH, seuls les cash-flows futurscomptent pour évaluer l’entreprise : lesinvestisseurs ne sont pas dupes des manipu-lations comptables visant à « gérer » lerésultat. Cette conséquence devrait réjouirtous ceux qui craignent d’être les victimesde telles manipulations comptables. Demême, certaines opérations financièrescomme les rachats d’actions ou les distribu-tions d’actions gratuites ne sont pas suscep-tibles de créer de la valeur.

Faites vous-même vos arbitrages ou votrediversification

Sur un marché efficient, il n’existe pas deprime de rentabilité pour des montages queles investisseurs peuvent faire eux-même.Par exemple, le fait qu’une firme soit diver-

sifiée ne peut pas lui permettre d’offrir unemeilleure rentabilité (ou valorisation) que sielle ne l’était pas dans la mesure où lesinvestisseurs peuvent très bien dupliquercette diversification eux-même. Ainsi, laprime à la diversification n’existerait pas etcela explique pourquoi le marché préfèredes firmes « pures » (c’est-à-dire opérantsur un secteur d’activité bien défini). Le rai-sonnement est identique pour la prime àl’endettement ou l’effet de levier enabsence d’avantage fiscal alloué à unesource de financement (généralement ladette à travers la déductibilité des fraisfinanciers).

Les actions sont de parfaits substitutsentre elles

Puisque tous les investisseurs bénéficientdes mêmes informations et que seul lecouple rentabilité-risque compte, personnene voudra d’une action qui aurait une primede risque inférieure à celle des autres titres(et inversement). Son prix s’ajustera doncen fonction de cette prime et non par équi-librage d’une offre et d’une demande. Cettedemande (très) élastique pour les titres faitque la vente de blocs importants d’actionsne doit pas entraîner de baisse de valeur surun tel marché ; tout au moins tant que l’onpeut convaincre les autres investisseurs quecette vente n’est pas motivée par une infor-mation privée.

Apprenez à déchiffrer les données du marché

Si les marchés intègrent toute l’informationdisponible, les cours de Bourse et d’unefaçon générale toutes les données produitespar les marchés (taux d’intérêts, taux dechange, options, futures, etc.) peuvent nousdonner des indications précieuses sur le

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futur des entreprises ou des pays. En fait, cesont les meilleurs indicateurs pour asseoirune décision. Ainsi, l’évolution du coursdes actions et des obligations nous ren-seigne autant (et même mieux) que lesinformations comptables sur l’avenir del’entreprise dans la mesure où d’une part, lavaleur de marché a intégré ces donnéescomptables et que d’autre part, le marchéva prendre en compte d’autres variablesexternes à l’entreprise (évolution des tauxd’intérêt, taux de change, prix des matièrespremières, etc.).

II. – LA REMISE EN CAUSE DEL’EFFICIENCE DES MARCHÉS

FINANCIERS

La remise en cause du paradigme de l’effi-cience des marchés financiers s’est nourriede la mise en évidence de phénomènesconstituants des « anomalies » par rapportaux préceptes de la théorie et d’une contesta-tion plus radicale des hypothèses de compor-tement des investisseurs et de leur rationa-lité. C’est à partir du début des années 1980que des résultats empiriques ont commencéà jeter un doute sur l’hypothèse d’efficiencedes marchés (EMH). Ces observations ontété qualifiées d’anomalies dans la mesure oùles chercheurs avaient du mal à expliquerleur existence. Ces anomalies ont contribué àébranler chez certains chercheurs laconfiance dans l’EMH. L’attaque la plusradicale se trouve aujourd’hui chez lestenants de la finance comportementale.

1. La mise en évidence des anomalies

Il existe aujourd’hui un très grand nombrede travaux empiriques qui ont mis en évi-dence des anomalies par rapport aux ensei-gnements de la théorie de l’efficience des

marchés financiers. Faire une revue exhaus-tive de ces recherches dépasse le cadre decet article. C’est la raison pour laquellenous nous en tiendrons qu’à une liste limi-tée de ces anomalies ; l’objectif étant demontrer que la théorie de l’efficience n’apas été épargnée par les chercheurs enfinance et que ceux-ci n’ont eu de cesse detraquer les écarts entre l’EMH et les don-nées du marché.

Les effets saisonniers et l’effet petite firme

En 1981, Banz publiait un article mettant enévidence un « effet petite firme » : les tauxde rentabilité observés sur les petites capi-talisations étaient en moyenne supérieurs àceux des grandes. Cette observation consti-tuait de toute évidence une anomalie parrapport à l’EMH. Mais est-il possible deprofiter de cet effet? Si l’on tient comptedes coûts de transaction liés aux opérationsd’achat-vente d’actions peu liquides, ilsemble que la réponse soit négative. Dureste, tous ceux qui ont voulu exploiter réel-lement cet effet petite firme, n’ont pasgagné systématiquement plus que le mar-ché ajusté pour le risque.De nombreux chercheurs ont mis en évi-dence des effets saisonniers dans les taux derentabilité des actions. C’est ainsi queFrench (1980), Gibbons et Hess (1981) onttrouvé des différences statistiquementsignificatives entre les rentabilités des joursde la semaine. Selon ces auteurs, l’effetweek-end se traduirait par des taux de ren-tabilité moyens négatifs le lundi et positifsen fin de semaine. Ainsi, un investisseur quiachèterait des actions à la clôture du lundiet les revendraient le vendredi à la clôturepourrait gagner systématiquement de l’ar-gent. Cependant, il apparaît que cette straté-

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gie (observée sur le passé) ne permet pas decouvrir les coûts de transaction.Un autre effet saisonnier a été constaté àl’échelle de l’année. Il s’agit de l’effet jan-vier. Selon cet effet, les rentabilités obte-nues en janvier seraient plus élevées quecelles des autres mois de l’année ; plus par-ticulièrement pour les petites capitalisa-tions. Diverses explications, plus ou moinsconvaincantes, ont été avancées pour expli-quer ce phénomène. Mais la question essen-tielle est toujours la même: aurait-il étépossible de profiter de cet effet pour fairesystématiquement des profits anormaux?Outre le fait que cet effet a eu tendance às’atténuer avec le temps (du fait de l’ap-prentissage du marché?), il semble que, làencore, la réponse soit négative comptetenu des coûts de transaction et de lamoindre liquidité des titres concernés.

L’impact de l’incorporation d’un titre dans les indices

Chacun peut constater l’importance que lesgrands indices (S&P 500, Dow Jones, CAC40, etc.) ont pris pour les investisseurs. Cetattrait pour les indices a été renforcé par lagestion dite indicielle, c’est-à-dire le faitqu’un gérant cherche à reproduire la per-formance d’un indice. Il n’est donc pasétonnant de constater que lorsqu’un titrefait son entrée dans un indice (ou en sort)son cours bénéficie d’une hausse (baisse).Selon Schleifer (1986) cette hausse peutatteindre 3 % et ce constat se trouve encontradiction avec l’hypothèse d’efficiencedes marchés qui nous enseigne que lesactions sont de parfaits substituts entreelles. Et puis comment justifier sur la basedes fondamentaux d’une entreprise que savaleur augmente avec son incorporationdans un indice?

Les introductions en Bourse

Les introductions en Bourse (Initial PublicOfferingsou IPO) constituent également unterrain riche pour observer des anomalies.En effet, de nombreuses études, ont mis enévidence le fait que les sociétés introduitespour la première fois sont généralementsous-évaluées. Selon Ibbotson (1975), cephénomène se traduit par des taux de renta-bilité à court terme statistiquement supé-rieurs au marché. Il serait donc possible des’enrichir en achetant systématiquementdes titres nouvellement introduits. Parcontre, il semblerait qu’à long terme (5 ans)les actions des IPO sous-performent parrapport au marché. Ce double phénomèneest difficilement explicable par l’EMH. Làencore, de nombreuses explications ont étéfournies pour justifier une sous-évaluation àl’introduction : volonté des dirigeants deréussir l’opération en affichant un prixattractif, engouement systématique desinvestisseurs pour ces opérations, etc.

L’excès de volatilité

Shiller (1981, 1984) a été l’un des premiersà s’intéresser à l’excès de volatilité desmarchés. Pour démontrer sa proposition il acherché à voir si les variations de divi-dendes – principale variable censée expli-quer la valeur des actions dans la théorietraditionnelle – pouvaient expliquer lesfluctuations des cours des actions. Pour celail a étudié la relation entre la variance desprix de marché et la variance de la valeurfondamentale des actions. La valeur fonda-mentale est calculée à partir de la chroniquedes dividendes passés en utilisant le célèbremodèle de Gordon-Shapiro. Shiller montreainsi que la volatilité des prix de marché esten fait très largement supérieure à celle dela valeur fondamentale, ce qui montrerait

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l’excessive volatilité des marchés et leurcomportement irrationnel. Cette excès devolatilité des cours par rapport à la valeurfondamentale a relancé la controverse surl’efficience des marchés et leur rationalité.Comme Albouy et Dumontier (1992) lefont remarquer, l’argumentation de Shillerest cependant contestable et insuffisantepour prouver l’inefficience et l’irrationalitédu marché. Au-delà des critiques d’ordrestatistique, l’intuition fondamentale qui jus-tifie la plus grande régularité de la courbedes prix calculés est qu’elle représente lavaleur actuelle des dividendes connus ex-post tandis que les cours représentent lavaleur actuelle des dividendes anticipés.Ainsi, une modification du dividende cou-rant implique une révision de toute la sériedes dividendes anticipés et donc un impactimportant sur les cours observés. Il en estde même pour une révision du taux d’ac-tualisation. En revanche, la courbe des prixcalculés utilisant, par construction, laconnaissance parfaite des dividendes ex-post n’intègre aucune révision des antici-pations ce qui a nécessairement pour consé-quences une volatilité moins forte des prix.

2. L’apport de la financecomportementale

Dans les années 1990, les discussionsscientifiques sur l’efficience des marchéss’éloignèrent des analyses économétriquessur les séries temporelles des cours, desdividendes et des bénéfices pour se concen-trer sur le développement de modèles utili-sant des variables psychologiques en rela-tion avec les marchés financiers. Confortéepar la mise en évidence de nombreuses ano-malies, la finance comportementale com-mençait à acquérir sa reconnaissance aca-démique. À partir de 1991, Richard Thaler

et Robert Shiller entreprirent une série deconférences sur la finance comportementaleet de nombreux séminaires suivirent. Desouvrages réunissant les travaux menés dansce domaine commencèrent à être publiéscomme celui de Shleifer (2000), ceux deShefrin (2000, 2001) et ceux de Thaler(1993, 2003).Suivant l’argumentation développée parShiller (2002) il est possible de montrerl’apport de la finance comportementalepour comprendre le fonctionnement desmarchés à l’aide de deux axes derecherches : les modèles de feedbacket lesobstacles à l’argent intelligent ou smartmoney. Mais avant de discuter ces argu-ments il convient de présenter ce qui estconsidéré comme étant au cœur du compor-tement irrationnel des acteurs du marché, àsavoir leurs sur et sous-réactions.

Les sur et les sous-réactions des marchés

Un des premiers articles consacré aux ano-malies de rentabilité des actions à longterme des actions est celui de DeBondt etThaler (1985). À la question posée dans letitre de leur article « les marchés sur-réagissent-ils? », ils répondent par l’affir-mative. À l’appui de leur démonstration, ilsmontrent qu’en classant sur des périodes detrois à cinq ans les actions cotées sur leNYSE selon leurs performances, lesgagnants sur le passé ont tendance à deve-nir les perdants sur le futur et vice versa.Pour battre le marché à long terme il suffi-rait donc d’acheter les titres ayant sous-performé et de vendre ceux qui ont sur-per-formé.Selon DeBondt et Thaler ce phénomèneserait dû à la sur-réaction des investis-seurs. En formant leurs anticipations, ilsattribueraient trop d’importance aux per-

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formances passées des sociétés et pasassez au fait que les performances tendentà se retourner. Cette sur-réaction à l’infor-mation passée serait conforme aux prédic-tions de la théorie de la décision compor-tementale (Behavioral decision theory) deKahneman et Tversky (1982). D. Kahne-man, psychologue de formation et prixNobel d’économie, a démontré que lesindividus se comportent systématiquementde manière moins classique que les finan-ciers classiques ne le pensent. Comme lesouligne J. Stiglitz, un autre prix Nobeld’économie, « ses travaux montrent nonseulement que les individus agissent par-fois différemment des prédictions théo-riques économiques standard, mais égale-ment qu’ils le font régulièrement,systématiquement, et d’une manière quipeut être comprise et interprétée au traversd’hypothèses différentes qui entrent encompétition avec celles utilisées par leséconomistes traditionnels ».Dans la même veine, Lakonish, Shleifer etVishny (1994) montrent l’intérêt d’une stra-tégie contraire à l’évolution du marché ense fondant sur l’étude des ratios comme lebénéfice par action sur cours (BPA/P), lecash-flow/capitalisation boursière, et leratio de la valeur comptable de la firme sursa valeur de marché. Ils préconisent d’ache-ter les valeurs ayant des ratios élevés (doncdes valeurs « sous-évaluées »), de lesconserver pendant cinq années et de lesvendre lorsque ces ratios deviennentfaibles. Ainsi la stratégie consistant à ache-ter des titres délaissés (value stock) dégage-rait de meilleures performance à long termeque celle consistant à acheter les titres à lamode (glamour stock). Les raisons de cettestratégie gagnante s’expliqueraient, selonLakonish, Shleifer et Vishny, par le fait que

les investisseurs auraient tendance à sures-timer, à partir des bonnes performancespassées, les performances futures desfirmes glamourpar rapport à celles qui sontdélaissées.Mais d’autres travaux ont également mon-tré qu’à court terme, les marchés avaienttendance à prolonger les tendances. Ainsi,Jegadeesh et Titman (1993) montrent avecune méthodologie très sophistiquée, utili-sant également des portefeuilles degagnants et de perdants constitués sur despériodes de seulement six mois, que desrentabilités anormales apparaissent. Eneffet, pendant les sept premiers mois sui-vants la constitution des portefeuilles, lesrentabilités des portefeuilles de winnerssont supérieures à celles des loosers, puiscurieusement le phénomène s’inverse. Ilserait donc possible d’extrapoler le rende-ment des actions dans la mesure où cellesqui ont offert la meilleure performance sursix mois continueraient à offrir des taux derentabilité supérieurs dans les sept moissuivants.Pour les tenants de la finance comporte-mentale, ces résultats tendent à accréditer lathèse de l’inefficience des marchés finan-ciers et leur incapacité à attribuer une« vraie » valeur aux actions. En effet, sur unmarché efficient, les investisseurs ne peu-vent pas se tromper systématiquement etdans le même sens. Or, le fait que les inves-tisseurs attribuent un poids trop importantau passé peut être source de sur ou de sous-réactions.

Les modèles de rétroaction (feedback)

Qui n’a pas été tenté d’acheter des actionslorsque les cours montent afin de profiter dela hausse? Quand les prix montent, enri-chissant ceux qui ont acheté, la rumeur se

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répand par les médias, le « bouche àoreille » fonctionne et d’autres investis-seurs se mettent à acheter entretenant ainsila hausse. Un feedbackpositif se met alorsen place. L’important à ce stade n’est plusde savoir si l’action est à son juste prix – savaleur fondamentale – mais d’anticiper ceque les autres vont faire. La hausse entre-tient alors la hausse et le marché se décon-necte de la réalité économique. Afin de jus-tifier les prix atteints, comme lors de labulle des valeurs technologiques en 2000,les zélateurs6 parlent alors de « nouvelleère » ou de nouveaux modèles d’évaluation.C’est ainsi que les justifications les plussophistiquées (par exemple les modèlesd’options appliquées aux valeurs internet)comme les plus simples (par exemple lavaleur d’un abonné potentiel pour un éva-luer une entreprise de télécommunication)sont avancées. Le marché ayant raison, ildoit bien exister une raison à la hausse. Si lefeedback n’est pas interrompu il va se for-mer une « bulle » spéculative. La haussedes cours, entretenue seulement par desanticipations sur les prix futurs, arrive tôtou tard à un niveau insoutenable et la bulleexplose.Cette théorie du feedbackest très vieille,même si elle est peu citée dans les manuelsde finance. La spéculation sur les tulipesdans les années 1630 en Hollande est unexemple célèbre de ce mécanisme de feed-back. Curieusement, il semble que jusqu’àune époque récente, ce phénomène n’ait pasreçu toute l’attention qu’il méritait de lapart des chercheurs. Pourtant l’existence dufeedbackest supportée par des expériences

psychologiques. Shiller cite ainsi les tra-vaux d’Andreassen et Kraus (1988) quimontrent que lorsqu’on montre desséquences historiques de cours à des per-sonnes invitées à négocier sur des marchéssimulés, elles tendent à se comportercomme si elles extrapolaient les variationsde cours passées quand les chroniques decours font apparaître une tendance.Daniel, Hirschleifer et Subramanyam(1998) montrent comment le principe dubiais de « self attribution » peut renforcer lemécanisme du feedback. Le biais de selfattribution est un comportement humainqui consiste pour un individu à attribuer àsa propre compétence les événementsfuturs qui confirment les décisions prises età attribuer à la mauvaise chance les événe-ments qui les infirment. C’est ainsi que pen-dant l’euphorie des valeurs internet en1998-2000, la hausse entretenait la hausseet que les zélateurs expliquaient à qui vou-laient le croire qu’on était entré dans une« nouvelle économie » et que les modèlesclassiques d’évaluation n’étaient plus d’ac-tualité. La hausse des cours et l’enrichisse-ment spectaculaire des premiers investis-seurs leur donnaient raison. Lesinvestisseurs intelligents (smart money),n’arrivaient plus à se faire entendre et ced’autant plus que beaucoup d’entre euxn’avaient pas pris le train de hausse et queleurs mauvaises performances ne plaidaientpas en leur faveur.L’éclatement de la bulle des valeurs techno-logiques et la chute des cours qui s’en suivitaprès 2000 est bien évidement un épisodefort intéressant pour les tenants de l’école

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6. Les expressions de zealots(zélateurs) et de smart money(argent intelligent) reviennent souvent dans les textesde R. Shiller.

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comportementale. Shiller (2002) fait ainsiremarquer à partir des indices de confianceproduits par la Yale School of Managementque le pourcentage d’investisseurs anticipantune hausse du marché au cours de l’annéesuivante, et un rebond suite à une baisse,avait considérablement augmenté sur lapériode 1989-2001. Ainsi en avril 2000, l’in-dice de confiance des investisseurs indivi-duels était de 76,4 et en juillet 2001 il était à90,0. Au début de 2002, environ 90 % desinvestisseurs individuels anticipaient unehausse du marché pour les 12 mois à venir…Comme pour la bulle spéculative des tulipesen Hollande dans les années 1630, Shiller

fait remarquer que les gens au moment de labulle internet parlaient d’une nouvelle éco-nomie qui allait propulser les cours toujourshaut. Ainsi les médias expliquaient à cetteépoque que la valorisation des entreprises decette nouvelle économie ne pouvait se faireavec les outils traditionnels de la finance etjustifiaient ainsi les cours « exubérants » desstart-up. La figure 1 représente l’évolutionde l’indice de confiance des investisseurspour l’année à venir publié par l’universitéde Yale. La figure 2 représente l’indice deconfiance dans l’évaluation du marché. Cesgraphiques nous renseignent sur l’état d’es-prit des investisseurs.

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Figure 1INDICE DE CONFIANCE DES INVESTISSEURS À UN AN

Note : Le One-year confidence index mesure le pourcentage de la population qui anticipe une progression du Dowdans l’année à venir.Source : Yale School of Management Stock Market Confidence Indexes http://icf.som.yale.edu/confidence.index)

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Comme le montre le graphique 2, laconfiance dans l’évaluation du marché adécliné de 1989 à 1999, aussi bien pour lesinstitutionnels que pour les investisseursindividuels. Cette baisse tendancielle s’estrenversée après le sommet atteint par le mar-ché en 2000 et la confiance est rapidementrevenue au niveau des années 1990. À lasuite de l’attentat du 11 septembre et de l’af-faire Enron, la confiance dans l’évaluationdu marché a évoluée différemment entre lesdeux groupes d’investisseurs (institutionnelset individuels). Depuis le plus bas du marchéen octobre 2002 la confiance a déclinée pour

les investisseurs individuels et augmentéepour les institutionnels.Le mécanisme du feedbackserait, selon lestenants de l’efficience des marchés, contra-dictoire avec la marche aléatoire des coursboursiers. Tel n’est pas l’avis de Shiller(2002) qui estime que la marche aléatoiredes cours journaliers n’est pas incompatibleavec un comportement qui consiste à suivreles tendances sur longue période. Les inves-tisseurs pris dans un tel mécanisme de feed-back positif pouvant très bien achetermême si le cours du jour a baissé sur celuide la veille.

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Figure 2INDICE DE CONFIANCE DANS L’ÉVALUATION DU MARCHÉ

Valuation confidence index : mesure le pourcentage de la population qui pense que le marché n’est pas trop haut.Source : Yale School of Management Stock Market Confidence Indexes (http://icf.som.yale.edu/confidence.index)

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Le match entre les investisseursintelligents et les autres

L’idée que tousles intervenants sur les mar-chés soient des individus rationnels, cher-chant à maximiser leur couple rentabilité-risque à l’aide de modèles d’optimisationstochastique ou autres est naturellementune vision insoutenable de la réalité desmarchés. Même si on peut penser qu’ilexiste des investisseurs intelligents etrationnels (smart money), il est difficile-ment contestable que tous ne le sont pas. Laquestion est alors qui des investisseursintelligents (ou sophistiqués) et des autres(supposés ordinaires et irrationnels) va fairela loi sur le marché et donc les prix? Lathéorie financière, jusqu’à présent, expli-quait que du fait de l’efficience des marchésles investisseurs irrationnels étaientcondamnés à disparaître. En effet, ces inter-venants agissant de façon trop optimiste (oupessimiste) achètent (ou vendent) quand lesinvestisseurs intelligents font l’inverse.Comme normalement la vraie valeur estcelle attribuée par la smart moneyles investisseurs ordinaires vont perdre. Àterme, ils doivent disparaître et sont rem-placés par de nouveaux intervenants égale-ment ordinaires.Le problème c’est que ce mécanisme ver-tueux7 peut très bien ne pas fonctionner et iln’est pas certain que l’action de la smartmoneyfasse converger les cours des actionsvers leur valeur fondamentale. Il est parexemple possible que l’action des investis-seurs sophistiqués amplifie au contraire leseffets des investisseurs ordinaires obéissantà un mécanisme de feedbackpositif comme

De Long, Shleifer, Summers et Waldman(1990) le montrent. L’idée est que les inves-tisseurs intelligents peuvent acheter enamont des autres en anticipant la haussequ’ils vont entraîner. Ainsi, même l’actiondes investisseurs sophistiqués est de natureà pouvoir amplifier les variations de cours.Un autre aspect du match entre les investis-seurs intelligents et les autres est le fait quela smart moneypeut être mise hors jeu :seuls les zealots(zélateurs) participent alorsau marché, avec toutes les conséquencesqui peuvent s’ensuivre en matière de valo-risation. C’est notamment le cas lorsque lesinvestisseurs intelligents ne peuvent vendrede titres car ils n’en possèdent plus et qu’illeur est impossible de vendre à découvert.Dans cette situation, même si les investis-seurs intelligents estiment que les courssont ridiculement hauts, ils ne sont plus enmesure de ramener le marché vers la raisonen vendant comme il est d’usage. Les prixne dépendent plus alors que des zélateurscensés être irrationnels dans leur apprécia-tion de la valeur des actions sur lesquellesils se sont focalisés. L’histoire récente desvaleurs internet illustre bien ce phénomènependant les années 1998-2000. Lamont etThaler (2003) citent le cas de la vente dePalm par 3Com qui se situe presque ausommet de la bulle. En mars 2000, 3Com,une société de service informatique, a intro-duit en Bourse sa filiale Palm, un produc-teur d’ordinateurs de poche, en mettant surle marché 5 % des titres. 3Com annonça aumême moment sa volonté de vendre la tota-lité ultérieurement. Le prix que le marchéattribua aux 5 % d’actions Palm introduites

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7. Il est intéressant de noter ici le caractère darwinien du processus de sélection des intervenants sur le marché: seulsles meilleurs survivent.

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sur le marché fut tellement élevé que lavaleur des 95 % restant était supérieure à lacapitalisation totale de 3Com. Ainsi, lavaleur des actifs de 3Com, autres que ceuxde la filiale Palm, était négative. Puisqu’auterme de l’opération (la vente totale desactions Palm) le pire était que la valeur de3Com soit nulle, il était clair qu’il fallaitacheter des actions 3Com et vendre àdécouvert Palm. Mais le taux d’intérêt cor-respondant à l’emprunt d’actions Palmatteint 35 % en juillet 2000, limitant ainsil’avantage procuré par l’exploitation de lamauvaise évaluation du marché (mispri-cing). Même les investisseurs qui savaientque les actions Palm baisseraient considéra-blement ultérieurement ne pouvaient tirerprofit de cette connaissance. Les options devente (put) sur Palm devinrent tellementcoûteuses que la relation d’arbitrage bienconnue entre le prix des options et desactions ne tenait plus. Pendant cettepériode, les zealotseurent le contrôle descours de Palm.Selon Lamont et Thaler (2003) deuxconclusions peuvent être tirées de cetteétude clinique sur Palm. Premièrement, laloi du prix unique est violée. Deuxiè-mement, cette situation n’a pas donné lieu àdes opportunités d’arbitrages du fait ducoût élevé des ventes à découvert. End’autres termes, l’hypothèse de la non exis-tence du « repas gratuit » (free lunch) sur unmarché efficient subsiste, mais pas celle dujuste prix : le marché peut se tromper dansson évaluation.L’exemple de Palm est naturellement un casextrême d’anomalie. Il illustre néanmoinsbien cette idée que le marché puisse êtregouverné, à un moment donné, par desinvestisseurs irrationnels. Comme parailleurs la notion de valeur fondamentale

d’une action est difficile à mesurer, si enmême temps les possibilités d’arbitragesont limitées (par exemple par des restric-tions sur les ventes à découvert), on peutcomprendre comment le marché peut attri-buer des valeurs déconnectées de la réalité(mispricing) du fait du comportement desinvestisseurs irrationnels et/ou trop opti-mistes. Parmi les questions, que cette étudeclinique soulève, se trouve la généralisationdu phénomène observé : dans quelle mesurele cas de Palm (et de quelques autresvaleurs internet) est représentatif de lagrande majorité des sociétés cotées? Peut-on à partir de quelques cas emblématiquesrejeter l’hypothèse d’efficience des mar-chés?

Des comportements d’investisseurs non conformes à la théorie

Depuis plusieurs années, les chercheurs sesont penchés sur les comportements desinvestisseurs qui apparaissent comme nonconformes, ou déviants, par rapport à ceque la théorie préconise (voir notammentBarberis et Thaler (2002) et Daniel, Hir-schleifer et Teoh (2002) pour une revue dela littérature). C’est ainsi que de nombreuxcomportements non conformes ont été misen évidence, jetant ainsi un doute sur lacapacité du marché à bien fonctionner.Nous nous limitons volontairement à troiscomportements que chacun peut observeren regardant autour de soi et à une étuderécente.– La difficulté à réaliser ses pertes (disposi-tion effect) : ce comportement se traduit parune tendance relativement répandue chezles investisseurs à repousser leurs ventes detitres sur lesquels ils ont perdu dans l’espoirqu’ils récupéreront leurs pertes dans lefutur. Cet effet de disposition peut s’expli-

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quer par la théorie des perspectives déve-loppée par Kahneman et Tversky (1979) surles fonctions d’utilité qui devraient êtredéfinies non par rapport au niveau absolu derichesse mais par rapport aux pertes et auxgains (les variations potentielles derichesse).– Des portefeuilles insuffisamment diversi-fiés: selon French et Poterba (1991) lesinvestisseurs, en général, concentrent leursportefeuilles sur les actions des entreprisesde leur pays au lieu de diversifier internatio-nalement leurs avoirs. Cet effet de préfé-rence domestique (home biais puzzle),même s’il peut s’expliquer par un accès plusfacile à l’information, montre que les inves-tisseurs ont tendance à investir davantagedans les sociétés qu’ils connaissent et qu’ilsne cherchent pas à maximiser le spectre deleurs possibilités d’investissement et à béné-ficier des avantages de la diversificationinternationale que peut leur offrir les mar-chés financiers. Ce biais est également pré-sent dans les plans d’épargne en actions desemployés qui ont tendance à surpondérer lestitres de leur entreprise. Cependant, des tra-vaux montrent que plus le montant desavoirs détenus est élevé et plus la diversifi-cation internationale est utilisée.– Des investisseurs frénétiques : avec lapossibilité pour chaque internaute de selivrer à des achats et des ventes d’actions enligne, on a pu constater l’apparition denombreux day traders. Odean (1999) aainsi trouvé un taux de rotation moyenmensuel des portefeuilles de 6,5 % pour unéchantillon d’investisseurs en ligne. Selonses calculs les transactions de ces clients necouvrent pas les coûts de transaction et enmoyenne ils font moins bien que le marché.Bien que cette observation va plutôt dans lesens de l’hypothèse de l’efficience, on peut

légitimement se demander pourquoi onobserve de tels comportements ? Dansquelle mesure leur comportement fréné-tique n’est pas susceptible de peser sur lacapacité du marché à évaluer correctementles titres? On rejoint ici les questions sou-levées avec la smart money.– Des gérants habiles : Baker, Litov, Wach-ter et Wurgler (2004) ont testé la capacitédes gérants de fonds à sélectionner les titresen comparant leurs portefeuilles et leurstransactions avant la publication des résul-tats des sociétés avec les rentabilités réali-sées au moment de ces événements. Selonleurs auteurs cette approche éviterait le pro-blème du test de l’hypothèse jointe que l’onrencontre dans les études des performancesà long terme des fonds d’investissement.Les résultats obtenus confirmeraient l’hy-pothèse d’une gestion « habile » de la partdes gérants. En moyenne, les actions queles gérants achètent avant l’annonce desrésultats affichent une meilleure rentabilitéque ceux qu’ils vendent. De plus, le phéno-mène serait persistant dans le temps et lesfonds qui fonctionneraient mieux seraientceux qui ont des objectifs de croissance,une taille importante, une rotation élevée etutiliseraient des stimulants financiers(incentives) pour motiver les managers.

CONCLUSION: LES LIMITES DE LA CONTESTATION DE LATHÉORIE DE L’EFFICIENCE

Aucune théorie ne peut rendre compte entotalité de la réalité observée, surtoutlorsque celle-ci est constituée de milliers,voire de millions, de données comme lescours de Bourse ; données que chacun peutdisséquer et analyser sur le passé, surtoutgrâce à la puissance de calcul des ordina-

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teurs et des tests statistiques. La théorie del’efficience n’échappe pas à cette règle. Àforce d’étudier dans tous les sens les varia-tions de cours et de traquer les écarts avecla théorie, il n’est pas étonnant que des« anomalies » aient été mises en évidence.Ces résultats sont à mettre au crédit de lacommunauté des chercheurs en finance quiloin de se contenter des nombreux résultatsen faveur de l’EMH, ont cherché à mettreen question la théorie dominante.Suite aux nombreuses « anomalies » obser-vées sur les marchés financiers concernantl’EMH, un certain nombre de chercheursregroupés dans le courant de la financecomportementale ont suggéré qu’il étaittemps d’abandonner le paradigme de l’in-vestisseur rationnel qui fonde la théorie del’efficience.Les « comportementalistes » (behavio-ristes) soutiennent l’idée que les correc-tions de prix des actions et les cycles bour-siers reflètent les biais systématiques dansle traitement des informations par lesinvestisseurs. Ces derniers sont supposésdonner trop d’importance à l’informationactuelle comme l’annonce des résultats oudes dividendes et pas assez aux perspec-tives à long terme des entreprises. End’autres termes, les investisseurs seraientmyopes, les cours de Bourse ne refléte-raient pas la vraie valeur des entreprises eten conséquence le marché serait un proces-sus inefficient d’allocation des ressourcesdans l’économie. Comme on peut s’enrendre compte, la remise en cause del’EMH n’est pas sans conséquences. Mais,c’est une chose de constater des anomalieset c’en est une autre de proposer une théo-rie alternative qui permette de mieux« expliquer » le fonctionnement des mar-chés et de dériver des règles de gestion.

Faut-il donc « jeter le bébé avec l’eau dubain » ou en d’autres termes : peut-onencore croire à l’efficience des marchésfinanciers? La question essentielle, à nosyeux, est de savoir si la théorie de l’effi-cience explique raisonnablement le fonc-tionnement des marchés financiers et sid’autres explications, ou modèles, permet-tent d’avoir une meilleure représentation dumonde. Selon Fama (1998), même si la lit-térature scientifique en finance semblemettre en évidence des anomalies enmatière de taux de rentabilité à long terme,ces résultats ne remettent pas en cause l’ef-ficience des marchés et ne permettent pasde rejeter cette hypothèse. C’est ainsi que lefait que l’on puisse constater aussi bien dessur-réactions que des sous-réactions dumarché est un argument en faveur de l’effi-cience selon ce professeur émérite. Parailleurs, selon Fama, les preuves scienti-fiques contre l’EMH en provenance desétudes sur les taux de rentabilité à longterme sont fragiles. Il semblerait que lesanomalies soient essentiellement dues à desillusions méthodologiques.Contrairement à ce que l’on pourraitcroire, la remise en cause de l’EMH par lespartisans de la finance comportementalen’a pas soulevé de difficultés majeures, etd’une certaine façon ce sont les tenants del’efficience qui apparaissent aujourd’huisur la défensive. Il semble qu’après avoirépousé la cause de l’efficience des mar-chés, les chercheurs se sont détournés dece paradigme et ont mis leur expertise auservice de l’hypothèse opposée. D’unecertaine façon, cette critique de l’EMHarrange bien tous ceux qui font professionde gagner de l’argent sur les marchés, degérer des portefeuilles pour autrui ou deconseiller leurs clients en matière d’inves-

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tissement. L’idée que des marchés effi-cients éliminent les gains faciles liés à desstratégies d’investissement (par exemple :moyennes mobiles, chartisme, etc.) ou àdes arbitrages plus ou moins sophistiqués,n’est jamais très populaire chez les profes-sionnels et même chez les étudiants enfinance. En effet, si les prix intègrent cor-rectement toute l’information disponible,alors pourquoi faire des analyses finan-cières approfondies ? Pourquoi chercher àévaluer par des méthodes plus ou moinssophistiquées la « vraie » valeur de l’en-treprise ? Si l’on ajoute à cela la méfiancepopulaire envers les marchés et leur fonc-tionnement incompréhensible on com-prend l’engouement pour cette nouvelleavenue de recherche.De notre point de vue, et même si l’ap-proche développée en finance comporte-mentale apporte des éclairages intéressantssur les limites de l’EMH, la théorie de l’ef-ficience reste, malgré tout, un solide repère.L’argument en faveur de l’hypothèse desmarchés financiers qui nous semble le plusfort reste néanmoins le fait que les gérantsprofessionnels n’arrivent pas à battre systé-matiquementle marché malgré tous lesmoyens d’analyses statistiques mis enœuvre. Encore récemment, une étude surles performances de gérants français mon-trait que les Sicav et les fonds communs deplacement investis en actions internatio-nales réalisaient dans leur ensemble desperformances inférieures à celles de leursindices de référence. Le journal Les Echos(du 22 avril 2005) titrait : « Les gérants sontà la peine » et expliquait que d’un mois surl’autre la donne s’était inversée : « Alorsqu’en février 2005 les fonds investis enactions internationales collaient à la ten-dance de l’indice MSCI World, au 31 mars

2005 ceux-ci décrochent de leur indice pourne plus afficher un gain de 3,2 %. De soncôté, l’indice des actions mondiales pro-gresse de 5 % sur un an ». Ainsi le corol-laire de l’efficience, à savoir qu’il estimpossible de battre systématiquement lemarché semble encore tenir et c’est vrai-semblablement l’argument le plus fort enfaveur de l’hypothèse de l’efficience desmarchés. Certes des « anomalies » ont étémises en évidence, mais outre le fait queces anomalies tendent à disparaître avec letemps, il semble bien qu’il soit impossibled’en tirer profit une fois pris en compte,notamment, les frais de transactions affé-rents à de telles stratégies.La finance comportementale est-elle labonne réponse à la question de l’efficiencedes marchés ? Oui et non serions nous ten-tés de répondre. Oui, parce qu’elle a per-mis de remettre en question un des fonde-ments de la théorie financière moderne etque ce questionnement ne peut que renfor-cer nos programmes de recherches. Il estun fait qu’un certain nombre de travauxréalisés par les tenants de ce courant depensée tendent à interpeller, voire àremettre en cause, l’EMH. Non, dans lamesure où la finance comportementale nepermet pas de construire en l’état actuelune modélisation des prix des actifs finan-ciers. Comme dans tous les modèles scien-tifiques, l’efficience des marchés (l’hypo-thèse que les prix reflètent toutel’information disponible) est bien entenduune représentation partielle de la réalité.Mais cette hypothèse permet de construireune théorie et de dériver des règles de ges-tion. Qu’en est-il de l’hypothèse d’ineffi-cience des marchés ? Selon la démarchescientifique l’EMH ne peut être remplacéeque par un meilleur modèle permettant

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d’expliquer la formation des cours ; cemodèle devant être lui-même soumis àl’épreuve des tests empiriques.Pour conclure cet article (et non le débatsur l’efficience des marchés que nousespérons nourri à l’avenir) supposons quenous ayons à choisir entre les deux propo-sitions suivantes opposées : 1) les marchés

financiers sont parfaitement efficients, 2) les marchés financiers sont totalementinefficients. Quelle serait notre réponse ?Aucune bien sûr, car aucune de ces deuxpropositions n’est véritablement soute-nable. Mais nous rajouterions immédiate-ment que la vérité est certainement plusproche de la première que de la seconde…

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BIBLIOGRAPHIE

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