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ROMANTISME OU CLASSICISME ? L'IMAGE PATHÉTIQUE DANS LES « SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE » Danielle Dupuis P.U.F. | L'Année balzacienne 2000/1 - n° 1 pages 65 à 84 ISSN 0084-6473 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-l-annee-balzacienne-2000-1-page-65.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Dupuis Danielle, « Romantisme ou classicisme ? L'image pathétique dans les « Scènes de la vie de province » », L'Année balzacienne , 2000/1 n° 1, p. 65-84. DOI : 10.3917/balz.001.0065 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour P.U.F.. © P.U.F.. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 189.102.16.44 - 21/02/2012 21h59. © P.U.F. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 189.102.16.44 - 21/02/2012 21h59. © P.U.F.

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ROMANTISME OU CLASSICISME ? L'IMAGE PATHÉTIQUE DANS LES« SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE » Danielle Dupuis P.U.F. | L'Année balzacienne 2000/1 - n° 1pages 65 à 84

ISSN 0084-6473

Article disponible en ligne à l'adresse:

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Dupuis Danielle, « Romantisme ou classicisme ? L'image pathétique dans les « Scènes de la vie de province » »,

L'Année balzacienne , 2000/1 n° 1, p. 65-84. DOI : 10.3917/balz.001.0065

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ROMANTISME OU CLASSICISME ?L’IMAGE PATHÉTIQUE

DANS LES « SCÈNES DE LA VIEDE PROVINCE »

Si l’opinion de Lousteau à propos du « roman moderneoù tout se traduit par des images »1 comporte quelque ambi-guïté, celle de Balzac dans son article sur La Chartreuse deParme est claire puisqu’il fait de l’image, avec l’élément dra-matique, le tableau, la description et le dialogue, un facteur« indispensable »2 de la littérature moderne. Indispensable,l’image l’est encore plus au pathétique. Mise en scène despassions, qui doit être en mesure, pour reprendre les termesde Longin, « de les imposer, dans leur ingénuité, au regardd’autrui », de les faire « imaginer »3 ; « c’est ce feu qui inventeet qui fixe l’invention », disait aussi des images Alain4.Cependant, si, comme le fait remarquer Jean Starobinski5, lavaleur mimétique de la peinture (ou de la représentationthéâtrale) et sa capacité pathétique sont interdépendantes, lavérité de la représentation se jugeant en vertu de l’intensitéde l’émotion suscitée et vice versa, le texte romanesque, pouraboutir au même résultat, doit passer par le détour de la rhé-torique. Comment faire partager au lecteur des émotions

1. Illusions perdues, Pl., t. V, p. 443.2. Études sur M. Beyle, Éditions Climats, 1989, p. 23.3. Longin, Du sublime, Petite bibliothèque Rivages, 1991, p. 28.4. Balzac dans le journal intime d’Alain, Gallimard, coll. « Tel », 1999,

26 juin 1939.5. Jean Starobinski, Diderot dans l’espace des peintres, Réunion des musées

nationaux, 1991, p. 22.

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souvent hors du commun, ou tout au moins étrangères à savie quotidienne autrement que par un langage analogique ?Les mots de tous les jours sont, à l’évidence, incapables detraduire des situations, des sentiments et des émotions excep-tionnels dans leur nature et leur intensité. Lucienne Frappier-Mazur confirme d’ailleurs cela en observant que « la densitémétaphorique augmente dans les œuvres centrées sur la pein-ture des passions »6. Des passions qu’il faut faire comprendre,qu’il faut transposer dans un langage intelligible – on recon-naît là évidemment l’esthétique classique – mais qui devrontaussi, et cela est l’essence même du pathétique, nousatteindre dans nos fibres les plus sensibles. Or, nous verronsque chez Balzac la compréhension passe justement parl’impression produite issue essentiellement d’une représenta-tion imaginaire des hommes et du monde. Jean-PierreRichard, dans un chapitre de Littérature et sensation, rappelleque Stendhal, reconnaissant que le contenu d’une phrase nese limite pas à sa signification explicite mais s’achève aussibien dans le prolongement que lui donne la rêverie du lec-teur, aperçoit la nécessité « d’ajouter des mots pour aiderl’imagination à se figurer »7. Les images pathétiques chezBalzac sont aussi autant de « mots ajoutés » pour servir detremplin à une forme de rêverie poétique enrichissant le sensde l’œuvre et qui risque de faire basculer celle-ci du côté duromantisme.

Cette poésie n’a toutefois pas été perçue d’emblée par leslecteurs de La Comédie humaine. Pour certains de ses critiques,la nature des images conduit au dénigrement du style balza-cien dans sa globalité. Lanson lui reproche « une phraséologiepompeuse, ornée de métaphores boursouflées ou banales »8.Faguet déclare celles-ci « ahurissantes »9 et Sainte-Beuve parle

66 Danielle Dupuis

6. L. Frappier-Mazur, L’Expression métaphorique dans « La Comédiehumaine », Klincksieck, 1976, p. 75.

7. Jean-Pierre Richard, Littérature et sensation, Seuil, 1954, p. 100.8. Cité par Marc Blanchard, Témoignages et jugements sur Balzac, Genève,

Slatkine reprints, 1980, p. 290.9. Cité par Éric Bordas, « Balzac, “grand romancier sans être grand écri-

vain” ? Du style et des préjugés », in A. Herschberg-Pierrot (éd.), Balzac et lestyle, SEDES, 1998, p. 119.

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de « ces comparaisons, ces émulations insensées et à l’usagedes enfants »10. « Que de métaphores incohérentes ! Qued’analogies impossibles ! », s’exclame Armand de Pontmartindans ses Causeries littéraires11 ; et plus récemment Charles Bru-neau écrivait encore : « Il serait médiocrement intéressantd’étudier l’origine de ces images [...]. Balzac, contrairementaux classiques, recherche la métaphore neuve et tombe sou-vent dans l’étrangeté et même l’absurde. »12

Ces jugements catégoriques ne sauraient cependant résis-ter à un examen attentif du corpus spécifique des imagespathétiques. Tout d’abord, si l’on peut parler d’originalité,celle-ci ne concerne nullement les éléments comparés maisse trouve plutôt du côté des comparants. Les premiers relè-vent en effet des sources pathétiques les plus banales : la souf-france physique ou morale, la peur, la méchanceté, parfoisdes événements surnaturels, certains éléments de portraitsmais aussi grandeur d’âme et esprit de sacrifice. Ces topoïseraient donc de peu d’intérêt s’ils ne se trouvaient puissam-ment réactivés par les comparants qui les accompagnent etqui participent, ainsi que nous essaierons de le montrer, àune mise en scène de passions violentes suscitées par les inté-rêts les plus positifs dissimulés derrière les paisibles apparencesprovinciales : « [...] ce qui, dans les Scènes de la vie de privée,était un pur et noble sentiment va se transformer en sombreset douloureuses passions », pouvait-on significativement liredans l’Introduction aux Scènes de la vie de province, dès 183413.En effet, un pathétique de l’écrasement et de la douleurinhérent à la violence du désir est né et seules les images sontaptes, grâce aux référents auxquelles elles recourent, à resti-tuer un quotidien devenu terrible sous l’effet d’une énergieconvertie en déchaînements passionnels. Ces derniers, dotésd’une forte charge émotionnelle, agissant avant tout surnotre sensibilité, répondent alors aux exigences de cette

L’image pathétique dans les « Scènes de la vie de province » 67

10. Cité ibid.11. Cité par Marc Blanchard, op. cit., p. 288.12. Histoire de la langue française des origines à nos jours (t. XIII : L’Époque

romantique, Colin, 1968, p. 373-375).13. Pl., t. I, p. 1520.

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esthétique nouvelle qui consiste à « agiter, tourmenter,émouvoir »14.

Au sein des comparants, certaines catégories récurrentessont significatives. Nous nous bornerons, à titre d’exemple, àun rapide tour d’horizon de quatre d’entre elles seulement :celles des animaux, des objets, des éléments naturels et despersonnes plus ou moins illustres.

Les animaux se rangent en deux grandes catégories anti-thétiques. La première est celle des bêtes malfaisantes, dan-gereuses et souvent prédatrices. Mlle Gamard, par exemple,« se plaisait à planer, à peser sur le vicaire comme unoiseau de proie plane et pèse sur un mulot avant de le dévo-rer »15. Devant Goupil, Ursule et Savinien de Portenduère« éprouv[ent] la sensation que cause un crapaud »16. Grandetjette à sa fille « un de ces regards de tigre affamé qu’iljetait sans doute à ses tas d’or »17. Les victimes de ces bêtesinquiétantes composent évidemment un bestiaire beau-coup plus pacifique : chiens fidèles comme Chesnel, Jean-Jacques Rouget ou Mlle Cormon18, biches effrayées tellesPierrette et Eugénie Grandet19, sans compter le troupeaudes brebis, agneaux et moutons que constituent tous lesfaibles de La Comédie humaine 20. Comme l’a écrit Léon.Fran-çois Hoffmann, à propos des métaphores animales dans LePère Goriot : « Un climat est ainsi créé, climat brutal et im-pitoyable où l’intelligence devient instinct et l’égoïsmecruauté. »21

Le même univers cruel transparaît au travers de la longueliste des comparants objets. L’on y relève en effet un grouped’instruments maléfiques facteurs de douleur ou de mort. La

68 Danielle Dupuis

14. Diderot, Pensées détachées sur la peinture, in Œuvres esthétiques, Garnier,1976, p. 767.

15. Le Curé de Tours, Pl., t. IV, p. 219.16. Ursule Mirouët, Pl., t. III, p. 887.17. Eugénie Grandet, ibid., p. 1082.18. Voir Le Cabinet des Antiques, Pl., t. IV, p. 987 ; La Rabouilleuse, ibid.,

p. 396 ; La Vieille Fille, ibid., p. 933.19. Voir Pierrette, ibid., p. 110 ; Eugénie Grandet, Pl., t. III, p. 1084.20. Voir Le Curé de Tours, Pl., t. IV, p. 214 ; La Vieille Fille, ibid., p. 934 ;

Eugénie Grandet, t. III, p. 1170.21. « Les métaphores animales dans Le Père Goriot », AB 1963 , p. 95.

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vie de Pierrette se trouvait entre les deux Rogron « commepressée entre les deux lèvres d’un étau »22. L’accusation demensonge « fut comme un marteau avec lequel Sylvie allaitfrapper sans relâche sur le cœur et sur la tête de Pierrette »23.La pointe de l’épée du Commandeur se substitue dans LeCabinet des Antiques24 à la faux de la mort qui menace ail-leurs25. Parfois des substances prennent le relais des objetstranchants ou contondants dans leur œuvre destructrice, véri-tables symboles de la violence des passions, elle-même signed’une énergie sans limite. Ainsi, l’indifférence et la sottise desRogron sont comparées à des produits « corrosifs »26. Le sou-rire de Mlle Gamard est « aigrement » moqueur27. Mlle Cor-mon voit ses amies répandre « tout doucettement mille gout-tes d’absinthe sur le miel de son premier mois de mariage »28.Dans ce monde impitoyable, les individus sont déshumaniséspar toutes sortes de référents réifiants, donc effrayants. Lesbourreaux de Pierrette sont « deux mécaniques » et le visagede Sylvie devient un « horrible masque »29. L’abbé Troubertregarde sa victime « les bras croisés et immobile comme lastatue d’un tombeau »30.

Les éléments naturels constitutifs des images pathétiquessont d’abord ceux qui présentent un certain danger et l’oragepropre à inspirer la crainte voire la terreur est le plus récur-rent. L’image pourrait sembler lexicalisée mais il est évidentqu’elle se trouve revitalisée par la théorie balzacienne relativeà la volonté et au fluide vital. Les regards « foudroyants » sontvéritablement mortifères, tel celui de Mme Granson, capablede lancer « mille flammèches »31. Les paroles peuvent produirele même effet. Ainsi, Mme de La Baudraye est « foudroyée »

L’image pathétique dans les « Scènes de la vie de province » 69

22. Pierrette, Pl., t. IV, p. 98.23. Ibid., p. 118. Voir aussi La Rabouilleuse, ibid., p. 498.24. Ibid., p. 1034.25. Voir Pierrette, ibid., p. 100.26. Ibid., p. 91.27. Le Curé de Tours, ibid., p. 222.28. La Vieille Fille, ibid., p. 919.29. Pierrette, ibid., p. 45 et 136.30. Le Curé de Tours, ibid., p. 211.31. La Vieille Fille, ibid., p. 919.

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par une sortie de Lousteau32. Les propos de d’Arthez « fou-droyèrent » Lucien de Rubempré et Victurnien d’Esgrignonest « foudroyé » par les reproches de Diane de Maufrigneuse33.Les éléments, dans le cadre du pathétique balzacien, de toutemanière, ne sont jamais envisagés positivement tel le « siroccodes dettes » qui menace d’abattre le jeune d’Esgrignon34 ou« les glaces de la misère » qui risquent d’avoir raisond’Athanase Granson35. Nous noterons aussi le caractère obses-sionnel du gouffre, de l’abîme, du précipice36. Enfin, les com-parants évoquant les productions de la nature, florales ouvégétales, sont marqués invariablement au sceau du dépérisse-ment et de la destruction. Pierrette fait partie de « ces jeunesgens marqués en rouge par la mort dans la foule, comme dejeunes arbres dans une forêt » et « elle est tremblante et pâlecomme une feuille de novembre près de quitter sonrameau »37. Les espérances d’Eugénie Grandet « qui pour ellecommençaient à poindre dans son cœur, fleurirent soudain, seréalisèrent et formèrent un faisceau de fleurs qu’elle vit cou-pées et gisant à terre »38. « Déplanté »39, l’abbé Birotteau nevivra plus qu’une longue agonie.

Enfin, si nous examinons une dernière catégorie de com-parants, celle des personnages, l’on observe qu’à quelquesexceptions près, deux camps antagonistes s’y dessinent. Làencore, les faibles, les doux, les innocents sont impitoyable-ment écrasés tandis que tous ceux qui savent déployer leurforce ou une forme de génie souvent tourné vers le maltriomphent. Citons quelques exemples. Les référents dési-gnant la catégorie des victimes sont multiples. On y trouve

70 Danielle Dupuis

32. La Muse du département, ibid., p. 781.33. Illusions perdues, Pl., t. V, p. 530 ; Le Cabinet des antiques, t. IV,

p. 1040.34. Le Cabinet des Antiques, loc. cit.35. La Vieille Fille, ibid., p. 839.36. Voir Illusions perdues, Pl., t. V, p. 577 ; Le Cabinet des Antiques, t. IV,

p. 984 ; Eugénie Grandet, t. III, p. 1146 ; Le Curé de Tours, t. IV, p. 234 ; LaRabouilleuse, ibid., p. 518.

37. Pierrette, ibid., p. 155 et 126.38. Eugénie Grandet, Pl., t. III, p. 1082.39. Le Curé de Tours, Pl., t. IV, p. 219.

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l’esclave40, le forçat41, l’exilé42, le Templier « recevant dans lapoitrine des coups de balancier en présence de Philippe LeBel »43, « le condamné attendant une mort ignominieuse »44,des personnages célèbres tel Marius pleurant sur les ruines deCarthage ou Socrate buvant la ciguë45, mais aussi une huma-nité plus commune mais tout autant accablée par les coups dusort comme le « fou mélancolique » ou « l’enfant qui a perdusa bonne »46, « l’écolier qui n’a pas appris ses leçons »47, lafemme tombée au fond d’un précipice48, le nageur qui saisitde façon illusoire une branche de saule49 ou la « jeune fille quise sauve de la maison paternelle pour n’y revenir que mère etdésolée »50. Dans l’autre groupe figurent les bourreaux et lessauvages, Illinois, Cherokees, Mohicans et Iroquois51 maisaussi Kalmouks52, Tartares et Sardes divers53 ; le Premier Con-sul vainqueur à Marengo54 côtoie Sixte Quint55. Ces figuresterribles que nous voyons surgir contribuent à une mise enscène véritablement tragique des passions. Ce que dit OlivierBonard des métaphores animales nous semble convenir aussiau type d’images précédemment évoquées. Leur emploi,écrit-il, « contribue à porter le langage très au-delà des bornesdu réalisme mais d’une façon si cohérente que le lecteur nes’aperçoit pas immédiatement qu’il a quitté le monde rassu-rant de ses habitudes »56 – pour un monde inhumain et tra-

L’image pathétique dans les « Scènes de la vie de province » 71

40. Voir Pierrette, ibid., p. 113 ; La Vieille Fille, ibid., p. 933.41. Voir Le Cabinet des Antiques, ibid., p. 1040 ; La Muse du département,

ibid., p. 774.42. Voir Pierrette, ibid., p. 125.43. Ibid., p. 137.44. Eugénie Grandet, Pl., t. III, p. 1152.45. Le Cabinet des Antiques, Pl., t. IV, p. 1096 ; Illusions perdues, t. V, p. 205.46. La Rabouilleuse, Pl., t. IV, p. 414 et 492.47. Eugénie Grandet, Pl., t. III, p. 1102.48. Voir La Rabouilleuse, Pl., t. IV, p. 518.49. Voir Eugénie Grandet, Pl., t. III, p. 1136.50. Le Cabinet des Antiques, Pl., t. IV, p. 1029.51. Voir Illusions perdues, Pl., t. V, p. 557 ; Pierrette, t. IV, p. 120.52. Voir Illusions perdues, Pl., t. V, p. 498.53. Voir Ursule Mirouët, Pl., t. III, p. 777 et 779.54. Voir Le Cabinet des Antiques, Pl., t. IV, p. 1056.55. Voir Le Curé de Tours, ibid., p. 202.56. Olivier Bonard, La Peinture dans la création balzacienne , Droz, 1969,

p. 40.

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gique, ajouterons-nous. Ces images agissant directement surnotre sensibilité et « dramatis[ant] les trivialités les plus hum-bles »57 abolissent la distance critique que nous pourrions avoiren face des procédés somme toute assez mesquins d’uneMlle Gamard par exemple. Grâce à l’image pathétique, le lec-teur peut non seulement comprendre mais ressentir les consé-quences psychologiques et affectives que de telles menées ontsur Birotteau. De ridicule, le personnage devient sympa-thique. Or, cette mutation est essentiellement rendue pos-sible, à notre avis, par l’image pathétique qui ouvre la voie àce « plaisir de la commisération » dont Diderot dit qu’ « ilélargit notre âme »58. Nous sommes donc ici loin de la com-préhension née d’une analyse lucide et quelque peu distantedes passions relevant du classicisme. Celle-ci au contraire esttotalement intériorisée et se fait par le biais d’une participationémotionnelle souvent proche de l’identification avec lesvictimes.

Il nous faut maintenant aborder la question de l’origina-lité, voire de l’ « excentricité » des images balzaciennes quiseraient le signe d’un romantisme effréné. Nous observeronsen premier lieu que, comme tout écrivain désireux d’êtrecompris de ses lecteurs, Balzac puise dans un fonds culturelcommun lorsqu’il use de la référence littéraire. Marius assisdevant les ruines de Carthage ou Socrate buvant la ciguë sontpresque des lieux communs de la littérature antique.L’allusion au « serpent sous les fleurs » dans La Rabouilleuse59

renvoie bien sûr à la mésaventure d’Eurydice que l’on peutlire dans la quatrième Géorgique comme chez Ovide60.Lorsque Chesnel s’adresse au jeune d’Esgrignon dans un dis-cours semblable à celui de Dédale à Icare, l’on pense encoreaux Métamorphoses61. Mais les choix balzaciens en matière decomparants peuvent aussi renvoyer à une relative actualité lit-téraire. Lorsque dans Ursule Mirouët nous lisons : « Ce fut

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57. Ibid.58. Cité par Wladydlaw Folierski, Entre classicisme et romantisme, Cham-

pion, 1969, p. 308.59. Pl., t. IV, p. 281.60. Virgile, v. 457-461 ; Ovide, Métamorphoses, éd. « GF », p. 253.61. Voir ibid., p. 209.

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l’atroce réveil des morts apprenant qu’il n’y a pas de Dieu, lechef-d’œuvre de cet étrange génie appelé Jean-Paul », il s’agitd’un renvoi au Songe de Jean-Paul Richter, dont Mme deStaël avait donné une traduction partielle dans De l’Alle-magne 62. Mme de La Baudraye vit une situation semblable à« la tragédie du Dernier jour d’un condamné » lorsqu’elle se dit :« Demain nous nous quitterons. »63 Philippe Bridau, misérableet inquiétant, a « une tête presque semblable à celle que se faitFrédérick Lemaître au dernier acte de La Vie d’un joueur »64.Les Sauvages et Indiens féroces auxquels sont comparées lesperverses Sylvie Rogron et Sophie Gamard et même Dianede Maufrigneuse, sortent tout droit de Fenimore Cooper quivenait d’être traduit. Ailleurs, de grands classiques sont mis àcontribution. Le « dernier trou de l’Enfer » auquel Chesnel sedit acculé est certainement issu de La Divine Comédie. La géo-graphie de l’enfer y est effectivement constituée de neuf cer-cles divisés eux-mêmes en zones et fosses où agissent les oura-gans, les flammes, les ours et les serpents et au milieu duquelgît Lucifer65. Victurnien d’Esgrignon, « à travers ses dernièresjouissances [...] sentait la pointe de l’épée du Commandeur.Au milieu de ses soupers, il entendait, comme Don Juan, lebruit sourd de la Statue qui montait les escaliers ». Il est vraiqu’ici l’allusion au personnage de Molière passe par le relaisde Mozart et de « l’immortel finale » de son opéra66. Le ser-mon De la brièveté de la vie est évoqué lorsque nous lisons quele bonheur d’Eugénie Grandet « amassé comme les cloussemés sur la muraille, suivant la sublime expression de Bos-suet, ne devait pas un jour lui remplir le creux de la main »67.L’apparition quasi spectrale d’Agathe Bridau désespérée estcalquée sur la célèbre scène de lady Macbeth68. Enfin, « Pier-rette était Cendrillon, Bathilde était la fée »69…

L’image pathétique dans les « Scènes de la vie de province » 73

62. Pl., t. III, p. 938 et n. 1.63. La Muse du département, Pl., t. IV, p. 775.64. La Rabouilleuse, ibid., p. 472.65. Le Cabinet des Antiques, ibid., p. 1044 ; La Divine Comédie, Enfer,

chant XXXIV.66. Le Cabinet des Antiques, Pl., t. IV, p. 1034.67. Eugénie Grandet, Pl., t. III, p. 1146 et n. 1.68. La Rabouilleuse, Pl., t. IV, p. 356.69. Pierrette, ibid., p. 125.

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Les référents artistiques relèvent aussi d’une certaine noto-riété. Lorsque Balzac mentionne « les Saintes Femmes baisantle front du Christ en le mettant dans son suaire »70, l’on hésiteà mentionner une source d’interprétation précise puisque lesujet a été traité par de nombreux artistes, parmi lesquels onpeut citer Fra Angelico, Raphaël ou le Titien, sans compterles mises au tombeau relevant de la statuaire. L’œuvre deRaphaël semble tout de même constituer une référence privi-légiée. Ainsi, d’Esgrignon voit passer sur des brumes grises« semblables à ces figures que Raphaël a mises sur des fondsnoirs, les images des voluptés auxquelles il lui fallait direadieu », tandis que Chesnel se dresse « majestueusementcomme un des prophètes peints par Raphaël au Vatican »71.Mais parfois le style général d’une époque ou d’une école suf-fit à faire surgir l’image. L’humilité et les sacrifices consentisde Mlle d’Esgrignon, par exemple, entraînent la comparaisonavec les statues de saintes « droites, minces, élancées, que lesmerveilleux artistes des cathédrales ont mises dans quelquesangles, au pied desquelles l’humidité permet au liseron decroître et de les couronner par un beau jour d’une bellecloche bleue ». Un peu plus loin, le même personnage estidentifié aux « figures effilées et sévères que seuls les peintresallemands ont su rendre »72.

Balzac sait aussi choisir les comparants de ses imagespathétiques parmi des symboles universels ou des mythesconnus. Ainsi, le pitoyable Jean-Jacques Rouget est affligéd’une figure chevaline et il n’est pas inintéressant de considé-rer le lien qui le rend totalement soumis à la Rabouilleusesous l’angle de ce symbole possible de l’impétuosité du désir73.La duchesse de Maufrigneuse faisant une scène à Victurniend’Esgrignon « lançait trois flèches dans un mot : elle humiliait,elle piquait, elle blessait à elle seule comme dix Sauvagessavent blesser quand ils veulent faire souffrir leur ennemi lié àun poteau ». Nous avons précédemment signalé l’emprunt à

74 Danielle Dupuis

70. Le Cabinet des Antiques, ibid., p. 1043.71. Le Cabinet des Antiques, ibid., p. 1040 et 1058.72. Ibid., p. 1029 et 1090.73. Voir La Rabouilleuse , ibid., p. 417, et l’article « Cheval » du Dictionnaire

des symboles, Laffont, « Bouquins », 1989.

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Fenimore Cooper. Il faut aussi songer que symboliquement« la flèche est comme identifiée à l’archer ; par elle, il se pro-jette et se jette sur sa proie. Ainsi, dans l’Antiquité, la flèched’un dieu ne manque-t-elle jamais son but. Celles d’Apollon,de Diane, de l’Amour, étaient réputées pour atteindre tou-jours leur cible en plein cœur » ; la belle duchesse ne se pré-nomme-t-elle pas Diane ? Mais ironiquement, les flèchesdécochées ne sont plus que celles du mépris74. Dans Illusionsperdues, Lucien de Rubempré écrit à Mme de Bargeton qui l’aabandonné et il la compare à une femme qui, abusant de laconfiance d’un enfant, « le conduit au bord d’une merimmense, le fait entrer par un sourire dans un frêle esquif, etle lance seul, sans secours, à travers les orages »75. L’on doit,bien sûr, dans un tel cas faire la part de l’artifice et del’exercice d’école mais, lorsqu’on connaît la destinée quiensuite sera celle du personnage, on peut voir dans cetteimage de la barque comme un curieux signe prémonitoireplacé au début du récit pour nous avertir de la tournure queva prendre l’intrigue. Bachelard, associant effectivement labarque au cercueil, mais aussi à la mythologie de la barque desmorts, écrit :

« […] la barque des morts éveille une conscience de la faute,comme le naufrage suggère l’idée d’un châtiment, la barque deCharon va toujours aux enfers. Il n’y a pas de nautonnier du bon-heur. La barque de Charon serait ainsi un symbole qui restera atta-ché à l’indestructible malheur des hommes. »76

Prenons un dernier exemple : le masque peut symbolique-ment être considéré comme l’extériorisation de tendancesdémoniaques, comme la manifestation de l’aspect inférieur del’individu77. Le comparant est alors particulièrement bienadapté à Sylvie Rogron qui présente à Pierrette « un horriblemasque plein de haine et grimaçant de fureur »78.

L’image pathétique dans les « Scènes de la vie de province » 75

74. Le Cabinet des Antiques, Pl., t. IV, p. 1040, et article « Flèche » dumême Dictionnaire.

75. Illusions perdues, Pl., t. V, p. 290.76. Cité à l’article « Barque » du Dictionnaire des symboles, op. cit.77. Voir l’article « Masque » du même Dictionnaire.78. Pierrette, Pl., t. IV, p. 136.

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Les critiques ont aussi mis en cause l’étrangeté des imagesbalzaciennes. Certaines d’entre elles sont certes surprenantes etde tonalité romantique si l’on admet avec Victor Hugo que,« pour faire vrai, il faut peindre un état d’âme véritable maisqu’[il] faut aussi l’exprimer avec des mots et des tournures quine soient pas empruntés à des âges révolus et imités d’une litté-rature caduque »79. Ainsi, dans La Vieille Fille, Athanase Gran-son fait partie de ces jeunes gens dont le génie est méconnu etqui « ont subi ces avortements inconnus où le frai du génieencombre une grève aride »80. La distance sémantique entrecomparé et comparant rend l’assimilation insolite. Il en va demême dans Illusions perdues, où l’écrivain est dit porter « en soncœur un monstre qui, semblable au tænia dans l’estomac, ydévore les sentiments à mesure qu’ils y éclosent »81. Curieuse-ment dans La Muse du département, un corps se tord « sous ladouleur comme une corde de harpe jetée au feu »82. Lesnotions classiques de goût et de bienséance s’effacent ici devantun nouveau critère qui est celui de l’impression à produire, del’émotion à faire partager au lecteur justifiant l’audace del’image. Celle-ci n’étant plus investie du rôle qu’elle avait dansla littérature classique : faire comprendre, transposer dans unlangage plus intelligible les sentiments, les émotions et les pas-sions, il en jaillit alors parfois, selon l’expression d’Henri Peyre,« une beauté plus étrange, plus rêveuse »83. Cependant, dansbien des cas, une fois la première impression d’étrangetédépassée, la nature du comparant trouve sa justification. Nouslisons, par exemple, que Lucien de Rubempré « qui ne sesavait pas entre l’infamie des bagnes et les palmes du génie, pla-nait sur le Sinaï des prophètes sans voir, au bas, la mer Morte,l’horrible suaire de Gomorrhe »84. L’image peut sembler artifi-ciellement complexe, mais un lecteur attentif en décoderaaisément le dernier terme qui, dès le début de l’œuvre, scelle,en quelque sorte, la destinée du protagoniste destiné, à la fin

76 Danielle Dupuis

79. Odes et ballades, préface de 1826.80. La Vieille Fille, Pl., t. IV, p. 841.81. Pl., t. V, p. 544.82. Pl., t. IV, p. 692.83. Henri Peyre, Qu’est-ce que le classicisme ?, Nizet, 1965, p. 165.84. Pl., t. V, p. 175.

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d’Illusions perdues, à succomber au pouvoir de séduction deVautrin. Plus loin, nous apprenons que de Marsay examinantle jeune homme « laissa retomber son lorgnon si singulière-ment qu’il semblait à Lucien que ce fût le couteau de la guillo-tine »85. Outre sa connotation tragique qui semble laisser présa-ger la fin de Splendeurs et misères des courtisanes, l’évocation de laguillotine s’explique aussi par une plongée dans la subjectivitédu personnage qui, de dépit d’avoir été abandonné parMme de Bargeton et ses amis, ensuite « se fit Fouquier-Tinville pour se donner la jouissance d’envoyer Mme d’Espardà l’échafaud [et] aurait voulu pouvoir faire subir à de Marsayun de ces supplices raffinés qu’ont inventés les sauvages »86.L’association d’idées est ici parfaitement cohérente.

Quant à la prétendue « boursouflure » des comparaisonsou des métaphores, elle doit être, elle aussi, relativisée. Cer-tains comparants paraissent, au premier abord, inadéquats.L’on peut sourire de voir – nous avons cité cette image – levieux notaire Chesnel « palpitant comme une jeune fille quise sauve de la maison paternelle pour n’y revenir que mère etdésolée »87. Les images évoquant Mlle d’Esgrignon « victimedes désirs offerts en holocauste sur l’autel domestique avecune joie constante » ou semblable à Marius sur les ruines deCarthage88 sont quelque peu grandiloquentes. Il en va demême de la comparaison de Lucien avec la colombe duDéluge, ou avec le Christ couronné d’épines89. Mais juste-ment, cette inadéquation est un puissant facteur d’une déri-sion caractéristique du pathétique balzacien. D’ailleurs il peutarriver que cette dérision soit prise en charge par un person-nage. Il y a sans doute beaucoup d’ironie dans l’image forcéeemployée par Rastignac parlant à Ève Séchard de Lucien :« Votre frère est un aiglon que les premiers rayons de la gloireet du luxe ont aveuglé. Quand un aigle tombe, qui peutsavoir au fond de quel précipice il s’arrêtera ? »90

L’image pathétique dans les « Scènes de la vie de province » 77

85. Ibid., p. 287.86. Ibid.87. Le Cabinet des Antiques, Pl., t. IV, p. 1029.88. Voir ibid., p. 1096.89. Voir Illusions perdues, Pl., t. V, p. 129 et 224.90. Ibid., p. 547.

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Les remarques qui précèdent ont montré l’importance ducomparant dans la constitution du pathétique balzacien,pathétique de la crainte, de la terreur, de l’horreur parfoismais aussi de la pitié et de la compassion. Celle-ci apparaîtd’autant mieux lorsque l’on essaie de déterminer la morpho-logie exacte de l’image dans ce domaine. Qu’il s’agisse d’unemétaphore, ou, comme c’est majoritairement le cas, d’unecomparaison, l’on remarque un fait constant, à savoir quel’image trouve sa motivation dans l’extension de son élémentcomparant à l’aide d’une proposition subordonnée relativeou, un peu moins souvent, de l’autre forme de caractérisationque constitue l’adjectif épithète ou le participe adjectivéaccompagné d’éventuels compléments.

Cependant le substantif comparant ne suffit pas à lui seulà expliciter le rapport établi. Une jeune fille semblable à unoiseau, un notaire identifié au premier Consul, un pauvrehomme à un papillon seraient des expressions incompréhen-sibles si elles n’étaient accompagnées de l’extension porteusedes sèmes justifiant le rapprochement : rareté engendrant lemalheur : « Cette jeune fille qui, semblable à ces oiseaux vic-times du haut prix auquel on les met et qu’ils ignorent, setrouvait traquée »91 ; audace dans une situation désespérée :« Semblable au premier consul qui, vaincu, dans les champsde Marengo jusqu’à cinq heures du soir, à six heures obtintla victoire par l’attaque désespérée de Desaix et la terriblecharge de Kellermann, Chesnel aperçut des éléments detriomphe au milieu des ruines »92 ; ou inconscience devant ledanger :

« Dans ces sortes d’occasion, pour conserver son sang-froid, unhomme doit être constitué comme ce forçat qui, après avoir volépendant toute la nuit les médailles d’or de la Bibliothèque royale,vient au matin prier son honnête homme de frère de les fondre,s’entend dire : que faut-il faire ? et lui répond : fais-moi du café. »93

Cette extension est sémantiquement indispensable, lapreuve en est que dans le cas du prolongement du comparé

78 Danielle Dupuis

91. Eugénie Grandet, Pl., t. III, p. 1052.92. Le Cabinet des Antiques, Pl., t. IV, p. 1057.93. Ibid., p. 1040.

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par une relative, celle-ci n’est jamais explicative mais toujoursdéterminative.

Dans un certain nombre de cas, toutefois, l’on notera quesi l’extension du substantif comparant n’est pas absolumentindispensable, elle contribue grandement à souligner ce qui,en lui, est facteur de pathétique. Ainsi, la détresse de Rougetest non seulement celle d’un être innocent, celle d’un enfant,mais qui plus est, celle d’un enfant malheureux « qui a perdusa bonne »94. La méchanceté de Mlle Gamard à l’égard deBirotteau est celle d’un rapace mais l’espèce de délectationsadique de la vieille fille est soulignée par la suite de la phrasecar nous apprenons qu’elle « se plaisait à planer, à peser sur levicaire comme un oiseau de proie plane et pèse sur un mulotavant de le dévorer » ; et la douleur de sa victime trouve uneformulation superlative dans le prolongement de l’image sui-vante : « […] le pauvre vicaire [...] se tourmentait autantqu’un condamné à mort dans le cabanon de Bicêtre quand il yattend le résultat de son pourvoi en cassation. »95 L’amourinsensé de Dinah de La Baudraye pour Lousteau trouve uneexpression beaucoup plus intense dans le développement de lamétaphore qui l’évoque : « Ce fut à tout moment la goutted’eau saumâtre trouvée dans le désert bue avec plus de délicesque le voyageur n’en éprouvait à savourer les meilleurs vins àla table d’un prince. »96 Enfin, le dévouement de Chesnel qui« mourut comme un vieux chien fidèle qui a reçu les défensesd’un marcassin dans le ventre »97 prend grâce à l’extension dela comparaison la dimension d’un sacrifice. Grâce à ce type deprocédé, le pathétique né du drame domestique se trouvealors haussé au niveau des grandes émotions tragiques.

Cependant, outre les différentes valeurs signalées précé-demment, il nous semble qu’il ne faut pas négliger la dimen-sion poétique acquise par l’image pathétique balzacienne dufait de son extension. La faillite des amours de Lousteau et deMme de La Baudraye acquiert une tonalité élégiaque dans le

L’image pathétique dans les « Scènes de la vie de province » 79

94. La Rabouilleuse, ibid., p. 492.95. Le Curé de Tours, ibid., p. 211 et 229.96. La Muse du département, ibid., p. 774.97. Le Cabinet des Antiques, ibid., p. 1094.

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développement suivant : « La satiété de Lousteau [...] s’étaittraduite en mille petites choses qui sont comme des grains desable jetés aux vitres du pavillon magique où l’on rêve quandon aime. »98 Une impression identique renforcée par le lati-nisme final ressort de ce passage concernant le jeune Gran-son : « Cet aigle enfermé dans une cage et s’y trouvant sanspâture, allait mourir de faim après avoir contemplé d’un œilardent les campagnes de l’air et les Alpes où plane le génie. »99

Même échappée poétique dans Pierrette où nous lisons : « Elledormit comme dorment les persécutés, d’un sommeil embellipar les anges, ce sommeil aux atmosphères d’or et d’outremer,pleines d’arabesques divines entrevues et rendues parRaphaël. »100 Poésie de l’horrible enfin, lorsque s’ébauchefugacement une espèce de récit secondaire de coloration fré-nétique, dans Le Cabinet des Antiques où il nous est dit que« Chesnel fut insensé comme un homme qui verrait brûler samaison, et à travers une fenêtre, flamber le berceau de sesenfants et leurs cheveux siffler en se consumant »101. L’on nepeut manquer ici de songer à ce que dit Bachelard : « Cesimages “excessives” que nous ne savons pas former nous-mêmes, mais que nous pouvons, nous lecteurs, recevoir sin-cèrement du poète, ne seraient-elles pas [...] des “drogues”virtuelles qui nous procurent des germes de rêverie ? »102

Il faut encore dire combien la cohérence du texte setrouve renforcée par les occurrences multipliées d’une imagede même type qui peut d’ailleurs être modulée de bien desmanières. Dans Le Cabinet des Antiques, par exemple, l’imagede la sainte apparaît sur le mode mineur, dès le début del’œuvre, avec l’évocation de la jeune épouse du marquisétendue sur son lit de mort « comme une sainte ». Elle trouvetoute son ampleur avec l’assimilation de Mlle Armande, tan-tôt aux saintes dont les statuettes ornent les cathédrales, tantôtaux Saintes Femmes « bais[ant] le front du Christ en le met-tant dans son suaire ». Une variation discrète sur le même

80 Danielle Dupuis

98. La Muse du département, ibid., p. 774.99. La Vieille Fille , ibid., p. 839.

100. Ibid. , p. 129.101. Ibid. , p. 1094.102. La Poétique de l’espace, PUF, 1984, p. 148-149.

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thème figure aussi dans le discours de Chesnel à Mme duCroisier quand il s’exclame : « Que dirait votre oncle, ce saintqui nous écoute ? »103 Parfois, l’entrelacement des images,pour être subtil, n’en est pas moins cohérent. Ainsi, l’abbéBirotteau subit de la part de Mlle Gamard « un martyre into-lérable ». Effectivement, « son cœur était serré comme dansun étau »104. Il « devait succomber comme un agneau sous lepremier coup du boucher »105 et il est encore comparé aumulot traqué par un oiseau de proie106. Dès lors, on peut voirdans la phrase où il est dit que Mme de Listomère comprendles menées de Troubert « dévorant Chapeloud et persécutantChapeloud dans son ami »107, la reprise implicite et synthé-tique de ces deux types d’images (le martyr et la bête traquéeou sacrifiée) appliquées au malheureux curé. De même,la métaphore finale évoquant la pauvre victime est celled’un squelette : « Ce n’était plus que le squelette de Birot-teau [...] »108, lisons-nous. Mais c’est là l’aboutissement de toutun faisceau d’images concordantes ayant en commun le sèmede la mort. Certes, dire que « le chagrin décomposait entière-ment son visage » relève sans doute de la lexicalisation, aupremier abord, mais l’idée originelle se trouve réactivéepar l’assimilation faite par Mlle de Villenoix de Saint-Symphorien, où se trouve exilé l’abbé en disgrâce, à « unvéritable sépulcre »109. Si nous remontons le fil du texte,nous retiendrons cette remarque du narrateur : « […] sa vien’était déjà plus qu’une agonie. »110 Nous avons vu précédem-ment le vicaire comparé à un condamné à mort. Mulot etagneau sont voués au même sort. Dans cette perspective,l’on peut considérer comme emblématique l’évocation déjàcitée de Troubert, au début du texte, observant son ennemi« les bras croisés et immobile comme la statue d’un tom-

L’image pathétique dans les « Scènes de la vie de province » 81

103. Pl., t. IV, successivement p. 968, 1029, 1056, 1090.104. Le Curé de Tours, ibid., p. 210.105. Ibid., p. 219.106. Voir ibid., p. 211.107. Ibid., p. 234.108. Ibid., p. 243.109. Ibid., p. 242.110. Ibid., p. 235.

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beau »111. D’ailleurs, curieuse coïncidence, le lit de Birotteau,du temps de sa félicité, n’était-il pas « un lit en tombeau »112 ?

Les images pathétiques, enfin, tissent entre les œuvres desliens qui en assurent la profonde unité. La répartition des com-parants en différentes catégories suffisamment représentéespour être significatives l’avait laissé supposer au début de cetteétude. Nous nous bornerons donc à signaler ici quelquesimages reparaissantes. Celle du « sauvage » apparente les vieillesfilles, Sylvie Rogron et Sophie Gamard, au machiavélique duCroisier et à l’aristocratique Diane de Maufrigneuse et montreque sous le vernis social les pulsions instinctives demeurentintactes113. Le bourreau reste une référence constante significa-tive des relations entre individus, de Pierrette à Ursule Mirouët enpassant par Le Curé de Tours et Illusions perdues. Rappelons-nous la scène terrible où les yeux de la jeune pensionnaire desRogron « lançaient à son bourreau ce regard du Templierrecevant dans la poitrine des coups de balancier en présence dePhilippe Le Bel »114. Birotteau et Ursule Mirouët sont les« martyrs » de leurs persécuteurs respectifs, Mlle Gamard etGoupil115, mais Lucien de Rubempré s’avoue aussi être lebourreau de sa sœur et de son beau-frère et la métaphore estencore développée un peu plus loin lorsqu’il est précisé que leprêtre qui l’avait assisté lors de son retour à Angoulême « n’eutplus de pitié pour le bourreau, pour Lucien, il frémit en devi-nant tous les supplices subis par les victimes »116.

L’image des individus réifiés court aussi tout au long denotre corpus. « Rogron et Sylvie, ces deux mécaniques subrep-ticement baptisées », « ces deux natures filandreuses etsèches »117, sont inquiétantes d’insensibilité. Grandet, « hommede bronze »118, ne vaut pas mieux. Quant aux habitués du Cabi-

82 Danielle Dupuis

111. Ibid. , p. 210.112. Ibid. , p. 190.113. Le Cabinet des Antiques, ibid., p. 986 et 1040 ; Pierrette, ibid., p. 125.114. Ibid. , p. 137.115. Voir Le Curé de Tours, ibid., p. 210 et 234 ; et Ursule Mirouët, t. III,

p. 946.116. Illusions perdues, Pl., t. V, p. 557 et 642.117. Pierrette, Pl., t. IV, p. 45.118. Eugénie Grandet, Pl., t. III, p. 1162.

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net des antiques, leurs figures « qui ressemblaient aux têtes descasse-noisettes sculptés en Allemagne » et leur allure de« momies » desséchées et noires119 disent moins l’inhumanitédes sentiments, cette fois, que l’inadaptation sociale, Balzacopérant ici une variation sur le sème constitutif de ces compa-raisons réifiantes. L’idée est la même en ce qui concerne levieux marquis assimilé à « un antique morceau de granitmoussu, droit dans un abîme alpestre »120, préfigurant la dégéné-rescence de sa race et de sa maison. La même image appliquéeau baron du Guénic dans Béatrix apparente d’ailleurs deux per-sonnages de la même trempe. Enfin, dans les Scènes de la vie deprovince, combien de jeunes filles en fleurs, dont la poésie, nousl’avons vu, se résoudra en une irrémédiable flétrissure !

Pivot du pathétique balzacien, l’image, par les comparantsauxquels elle recourt, reproduit les rapports de forces quisous-tendent La Comédie humaine ; ces rapports sont évidem-ment conflictuels, le drame naissant de passions « tout aussiviolentes que si elles étaient excitées par de grands intérêts »121.La puissance du désir et de l’énergie qui les engendrent nepeut être traduite qu’en termes de terreur et de cruauté. Issuedu quotidien souvent le plus trivial, la tragédie n’en est pasmoins intense et si, maintes fois, les faits considérés objective-ment peuvent paraître dérisoires, leur retentissement psycho-logique et affectif – sur les victimes notamment – est terrible.Cette terreur communicative qui donne aux émotions néesdes Scènes de la vie de province l’envergure des grandes émotionstragiques, le pathétique balzacien cherche à l’exprimer aumoyen d’images où, au sein d’un environnement hostile,évoluent un bestiaire et une humanité redoutables. Ces ima-ges constituent une véritable représentation des passions, uneespèce de théâtre né du discours narratif, théâtre de la cruautéoù, comme dans celui prôné par Artaud, « quand nous nouscroyons arrivés au paroxysme de l’horreur, du sang, des loisbafouées, de la poésie enfin que sacre la révolte, nous sommesobligés d’aller encore plus loin dans un vertige que rien ne

L’image pathétique dans les « Scènes de la vie de province » 83

119. Le Cabinet des Antiques, Pl., t. IV, p. 976.120. Ibid., p. 985.121. Le Curé de Tours, ibid., p. 200.

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peut arrêter »122. Nous sommes donc loin d’une esthétiqueclassique de la convenance et en voulant bouleverser, en don-nant, comme le souhaitait Mme de Staël, « la traduction natu-relle d’affections vives et profondes »123, Balzac obéit davan-tage à une démarche romantique. Comme l’écrivait PierreMoreau, « le génie extrême du Romantique cherche [savérité] hors des voies communes ; son sentiment propre, sonmoi – ce que ce moi possède de plus personnel, l’imagination,la sensibilité – s’exprimera sous sa forme originale, dans lestyle créé qui en fait jaillir la provocante nouveauté »124. Cettedémarche est toutefois canalisée dans ses excès possibles car ilassure toujours l’intelligibilité de ses images pathétiques enpuisant dans un fonds culturel symbolique ou mythique uni-versel. Il y appose cependant la marque spécifique de son stylepar une motivation qui prend effet dans l’extension gramma-ticale de l’élément comparant. Ce phénomène stylistiquenécessaire à la compréhension de l’image, débouche aussisouvent sur une authentique poésie élégiaque s’efforçantd’atteindre, selon les termes de Victor Hugo, « ce qu’il y ad’intime dans tout »125. Enfin, les réseaux de métaphores ou decomparaisons récurrents assurent la cohésion d’une œuvretout en lui donnant sa tonalité spécifique. S’adressant au cœur,à la sensibilité du lecteur, l’image pathétique balzacienne estdonc, dans ses intentions, profondément romantique mais,contrairement à ce qu’ont pu prétendre ses détracteurs, Balzacne se laisse jamais emporter par une imagination débridée, lesimpératifs de la structure et de la signification de l’œuvredemeurant primordiaux. Sollicitant également et harmonieu-sement la faculté de sentir et celle de comprendre, les imagespathétiques balzaciennes accréditent finalement le propos deValéry126 affirmant qu’ « un romantique qui a appris son artdevient un classique ».

Danielle DUPUIS.

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122. Antonin Artaud, Le Théâtre et son double, Gallimard, 1966, p. 40.123. De l’Allemagne, IIe Partie, chap. IX.124. Le Classicisme des romantiques, Plon, 1932, p. 18.125. Odes et ballades, préfaces de juin et décembre 1822.126. Littérature, Gallimard, 1930, p. 105-106.

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