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CRESPI Brunna Photo: Filet d'un pêcheur à Saint-Georges. Cliché : Crespi, 2013. Paris, Juillet-Septembre 2013 Identités, migrations et transmission des savoirs des pêcheurs de l'Oyapock. Le cas d'une région transfrontalière et pluriculturelle, entre Guyane française et Brésil.

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Identités, migrations et transmission des savoirs des pêcheurs de l'Oyapock.Le cas d'une région transfrontalière et pluriculturelle, entre Guyane française et Brésil.

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CRESPI Brunna

Photo: Filet d'un pêcheur à Saint-Georges. Cliché : Crespi, 2013.

Paris,

Juillet-Septembre 2013

 Identités,  migrations  et  transmission  des  

savoirs  des  pêcheurs  de  l'Oyapock.    

Le  cas  d'une  région  transfrontalière  et  

pluriculturelle,  entre  Guyane  française  et  Brésil.  

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UNIVERSITÉ PARIS DIDEROT – PARIS 7 UFR – GÉOGRAPHIE

MASTER 2 – ENVIRONNEMENT, PAYSAGES, MILIEUX ET SOCIÉTÉS

Identités, migrations et transmission des savoirs des

pêcheurs de l'Oyapock. Le cas d'une région

transfrontalière et pluriculturelle, entre Guyane

française et Brésil.

Mémoire de recherche :

Brunna Crespi

Sous la direction de :

Catherine Sabinot (IRD) Pauline Laval (CNRS/MNHN)

Organismes d'accueil :

Institut de recherche pour le développement (UMR 228 Espace pour le développement / IRD-UR-UAG-UM2)

Observatoire Hommes Milieux (CNRS)

Responsable de stage : Josyanne Ronchail (LOCEAN)

Paris, Juillet-Septembre 2013

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« Je ne sais quel mystère flotte sur cette mer, dont les gestes lentement terrifiants semblent évoquer une âme qui s'y cache. »

H. Melville

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Remerciements

Je tiens tout d’abord, à remercier toutes les personnes avec qui je me suis entretenue durant mon

travail de terrain, notamment le président de la 'Colônia' de pêcheurs d'Oiapoque, Julio Garcia, et sa

famille, qui m'ont généreusement accueillie et sans lesquels ce travail n’aurait pas été possible. Un

grand merci à tous les interviewés, pour leur patience et pour avoir généreusement partagé leurs

connaissances, aux piroguiers pour les voyages agréables, et à Joël Rosé, pour nous avoir présentée

aux pêcheurs de Saint-Georges.

Merci à Christophe CHARRON, pour m’avoir accueilli dans son équipe à l’IRD de Cayenne et à

Cécile FONTANA pour avoir réglé mes problèmes bureaucratiques de la manière la plus généreuse.

Merci également pour leur accueil aux chercheurs et personnel de l’IRD de Cayenne, aux stagiaires,

et, en particulier, à Jérôme LEVE, pour les moments de joie et pour sa précieuse amitié.

Merci à Ricardo LIMA, pour nos nombreuses discussions, son aide sur le terrain et ses conseils avisés.

Merci aussi à toute l'équipe de OSE-Guyamapa pour les informations et conseils partagés.

J’adresse des chaleureux remerciements à Serge BAHUCHET pour m’avoir soutenue et conseillée

durant tout mon parcours professionnel depuis mon arrivée en France, pour son aide inestimable, et

pour avoir guidé mes premiers pas en ethnologie.

Je remercie également mon encadrante, Catherine SABINOT, pour la confiance, pour le dévouement,

pour les précieuses discussions et sages conseils, pour l'engagement et pour cette disposition

contagieuse. Je la remercie pour être présente dans toutes les étapes de mon travail, depuis le projet

jusqu'à la version finale !

Merci à Josyanne RONCHAIL, pour son inestimable aide et orientation durant toute cette année

universitaire. Je tiens à remercier également Marianne COHEN, coordinatrice du master, pour

l'orientation et l’attention portée aux étudiants au cours de cette année.

Je remercie également Pauline LAVAL pour son soutien et encadrement pendant tout ce stage. Je tiens

aussi à remercier toute l'équipe de l'OHM-CNRS, spécialement Damien DAVY, pour les conseils et

informations partagés, et Sandra NICOLLE, pour l’accueil chaleureux.

Je tiens à remercier, finalement, toute ma famille et amies, spécialement Arzhvaël JEUSSET et

Fernanda BOULHOUSA, qui, avec leur courage et joie de vivre, ont fait ma vie en France plus douce

et accueillante. Un grand merci mes chers et aimés amis !

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  a  

Plan 1.   INTRODUCTION  ...................................................................................................................................  4  

A.   PRESENTATION GENERALE  ..............................................................................................................  4  

I)   PRESENTATION DE L’ETUDE : OYAPOCK, UN BOUT DU MONDE MECONNU  ...........................................  4  

II)   PROBLEMATIQUE DE RECHERCHE : DES PECHERIES QUI SE COTOIENT ET ECHANGENT  .........................  5  

III)   ZONE D’ETUDE : LE FLEUVE COMME UN ESPACE MOUVANT  ...........................................................  6  

B.   METHODOLOGIE  .............................................................................................................................  9  

I) LECTURES  ..................................................................................................................................  9  

II)   ENTRETIENS EXPLORATOIRES  ....................................................................................................  10  

III)   OBSERVATION ET ENTRETIENS : LA COLLECTE DES INFORMATIONS  ...............................................  11  

IV)   MODELE D’ANALYSE DES INFORMATIONS  ..................................................................................  13  

2.   LE CADRE CONCEPTUEL ET THEORIQUE DE L’ETUDE  ..............................................................................  13  

A.   LES DYNAMIQUES DE LA PECHERIE ARTISANALE  ..............................................................................  13  

I)   ETUDE DES SOCIETES DE PECHEURS, ANTHROPOLOGIE MARITIME ET GEOGRAPHIE  .............................  13  

II)   TRANSMISSION DES SAVOIRS DANS LES SOCIETES DE PECHEURS  .....................................................  16  

III)   DISCUSSIONS AUTOUR DE LA DEFINITION DE PECHE ARTISANALE  ..................................................  19  

IV)   LES MIGRATIONS DANS LES SOCIETES DE PECHEURS  ....................................................................  21  

B.   CONTEXTE DE LA PECHERIE LOCALE  ...............................................................................................  23  

I)   LA PECHE EN GUYANE  ...............................................................................................................  23  

II)   LA PECHE EN AMAPA  ................................................................................................................  26  

III)   LA CHASSE ININTERROMPUE AU TRESOR AMAZONIEN  .................................................................  29  

IV)   L’HISTOIRE MIGRATOIRE DE NOS JOURS : LES ENJEUX DE L’EURO ET DU POISSON  ...........................  31  

V)   LES TERRITOIRES PROTEGES DANS LA ZONE  ................................................................................  33  

3.   RESULTATS ET DISCUSSION  ................................................................................................................  37  

A.   DYNAMIQUE DES MIGRATIONS ET DE TRANSMISSION DE SAVOIRS DES PECHEURS DANS LA ZONE  ...........  37  

I)   DETERMINANTS MIGRATOIRES  ....................................................................................................  37  

II)   LE PARCOURS DE VIE DES PECHEURS, LEURS PRATIQUES ET LEURS APPRENTISSAGES  ........................  44  

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  b  

III)   LES SAVOIRS, LES OUTILS ET LES TECHNIQUES DE PECHE PARTAGES  ..............................................  53  

B.   L’IDENTITE LOCALE ET LES TERRITORIALITES  ..................................................................................  58  

I)   PERCEPTIONS IDENTITAIRES, COHESION SOCIALE ET MULTICULTURALISME  ......................................  58  

II)   TERRITOIRES ET FRONTIERES IMAGINAIRES  .................................................................................  65  

4.   CONCLUSION  ....................................................................................................................................  70  

Illustrations Tables des graphiques GRAPHIQUE 1 : ANNEE DE NAISSANCE DES PECHEURS DE L'OYAPOCK ...……………………………………...…..38 GRAPHIQUE 2 : VILLE D'ORIGINE DES PECHEURS A OIAPOQUE ...……………………………….……………........39 GRAPHIQUE 3 : VILLE D'ORIGINE DES PECHEURS A SAINT-GEORGES ...……………………………………….......40 GRAPHIQUE 4 : LES ESPECES LES PLUS DEBARQUEES DANS LES PORTS DE LA REGION SELON LES PECHEURS

D'OIAPOQUE ET DE SAINT-GEORGES ...…………………………………………………………….………..52 Table des photos PHOTO 1 : PECHEUR EN TRAIN DE REPARER UN EPERVIER DANS SA BARRACA* ....................................................... 47 PHOTO 2 : LES POISSONS LES PLUS PECHES DANS LA ZONE. .................................................................................... 57 PHOTO 3 : LES POISSONS LES PLUS PECHES DANS LA ZONE. .................................................................................... 57 PHOTO 4 : QUARTIER « BEIRA RIO » DES PECHEURS A OIAPOQUE. ...…………………………………………..….61 PHOTO 5 : QUARTIER DE LA CRIQUE ONOZO, OU SONT REGROUPES LA PLUPART DES PECHEURS DE SAINT-

GEORGES. ....................................................................................................................................................... 65 Table des cartes CARTE 1 : ZONE D'ETUDE. ......................................................................................................................................... 7 CARTE 2 : TERRITOIRES PROTEGES DANS LA ZONE D'ETUDE. .................................................................................. 34 CARTE 3 : VILLES D'ORIGINE DES PECHEURS DE SAINT-GEORGES ET D'OIAPOQUE (BLEU : PEROU ; VERT : GUYANE ;

JAUNE : AMAPA ; ROSE : PARA ; ROUGE : MARANHÃO). ................................................................................. 40 CARTE 4 : LES MOUVEMENTS MIGRATOIRES DES PECHEURS VERS OIAPOQUE ET SAINT-GEORGES ET LES

PRINCIPALES ROUTES EMPRUNTEES. ............................................................................................................... 41 CARTE 5 : CARTE DE LA VILLE D'OIAPOQUE, LOCALISATION DES MAISONS DES PECHEURS (POINTS VERTS : MAISON

DES PECHEURS INTERVIEWES, ROUGE : COLONIA Z-03). ................................................................................ 60 CARTE 6 : CARTE DE LA VILLE DE SAINT-GEORGES, LOCALISATION DU QUARTIER DES PECHEURS (POINTS VERTS :

MAISONS DES PECHEURS INTERVIEWES). ........................................................................................................ 64 Table des tableaux TABLEAU 1 : LES OUTILS DE PECHE CONNUS OU UTILISES SUR L'OYAPOCK. ........................................................... 48

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Sigles et abréviations

UFPa-CFCH : Centre de Philosophie et Sciences Humaines (CFCH) de l'Université Fédérale de l'Etat

du Pará (Brésil)

UFPa-NAEA : Centre des Hautes Études Amazoniennes (NAEA) e l'Université Fédérale de l'Etat du

Pará (Brésil)

UFBA : Université Fédérale de l'Etat de Bahia (Brésil)

UNIFAP : Université Fédérale de l'Etat du Amapá (Brésil)

MPA : Ministère de Pêche et Aquiculture (Brésil)

FUNAI : Fondation nationale de l'Amérindien (Brésil)

PESCAP : Agence de Pêche de l'Etat du Amapá (Brésil)

CNRS : Centre national de la recherche scientifique (France)

CNRS-OHM : Observatoires Hommes-Milieux du Centre national de la recherche scientifique

(France)

IRD : Institut de recherche pour le développement (France)

MNHN : Muséum national d'Histoire naturelle (France)

'UMR 228 EspaceDev : Unité mixte de recherche « Espace pour le Développement » (Institut de

recherche pour le développement, Université de la Réunion, Université Antilles-Guyane, Université

Montpellier 2)

l'INRS : Institut national des recherches spatiales (Brésil)

Ifremer : Institut Français de Recherche pour l'Exploitation de la Mer (France)

CRPMEM : Comités Départementaux et Régionaux des Pêches Maritimes (France)

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Lexique définissant les principaux termes portugais employés

Ce lexique traduit et définit les termes portugais qui n'ont pas d'équivalents en français, ainsi que

certains termes spécifiques au monde de la pêche. Ces termes sont suivis d’un astérisque dans le texte.

Armateur : L'armateur est la personne qui équipe à ses frais un ou plusieurs navires marchands ou de

pêche, ce qui lui confère des responsabilités particulières, notamment en matière de sécurité maritime.

Il met à disposition un équipage, fournit en matériel, le ravitaillement, tout ce qui est nécessaire à

l'expédition maritime. Il n'est pas nécessairement le propriétaire du navire.

Barraca : Les Barracas sont des abris en bois sur pilotis sous lesquels les pêcheurs réparent les filets

et parfois constituent des maisons collectives où les pêcheurs sans famille habitent.

Cidades gêmeas (villes jumelles) : Les Cidades gêmeas sont semblables à une communauté de

communes : deux villes ou centres urbains sont fondus dans un secteur géographique proche. Sans

toutefois avoir un maire en commun, ces villes normalement ont des projets de développement

partagés.

Colônia : Les Colônias de Pêcheurs, les Fédérations de l'Etat et la Confédération Nationale des

Pêcheurs ont été reconnues par la loi nº 11.699, de 2008, comme des organismes de la classe des

travailleurs du secteur artisanal de la pêche ; elles sont équivalentes à des syndicats. La défense des

droits et les intérêts de la catégorie des pêcheurs, à l'intérieur de sa juridiction appartiennent aux

colônias, aux Fédérations de l'Etat et à la Confédération Nationale des Pêcheurs.

Defeso : Le Defeso est une mesure qui vise à protéger les organismes aquatiques pendant les phases

les plus critiques de leurs cycles de vie, comme la période de reproduction ou encore la période de plus

grande croissance. Par conséquent, la période de defeso favorise le développement durable de

l'utilisation des ressources halieutiques et interdit la pêche quand les poissons sont plus vulnérables à

la capture, quand ils sont réunis en bancs. Pendant cette période sans pêche, les pêcheurs reçoivent une

aide du gouvernement en compensation, ce qui permet de garantir la survie de leur famille.

Municipio : Au Brésil, le Município est la plus petite division politico-administrative, après les

Unidades Federativas (UF ou États). Il possède seulement deux pouvoirs : exécutif (la prefeitura,

préfecture) et législatif (câmara de vereadores, sorte de conseil municipal). Généralement, un

município est composé d'une ville et de ses dépendances rurales.

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La prière du pêcheur1

Quand le pêcheur sort pêcher, bien loin dans la mer, que Dieu l'aide à retourner.

Quand le pêcheur sort pêcher, que Dieu le protège de la pluie, de la force des vagues, du vent froid en

train de souffler.

Quand le pêcheur sort pêcher, que le filet qu’il lance rapporte des poissons à manger ou à vendre, et

s’il trouve un pauvre qui a faim, qu’il puisse l’aider.

Quand le pêcheur sort pêcher, que Dieu lui donne de la patience quand, dans les déchets de la mer,

son filet s’est déchiré.

Quand le pêcheur sort pêcher, que Dieu protège sa famille, en son absence du foyer, qui est le prix

élevé que le poisson l’oblige à payer.

Quand le pêcheur sort pêcher, qu'il y ait de l'abondance dans les eaux et des mouettes dans le ciel à

voler, qu'il y ait du vent dans la voile et des vagues qui traversent la mer, que l'espoir dans la lumière

de son regard puisse briller.

Quand le pêcheur sort pêcher, que Dieu ouvre ses yeux pour qu'il voie le poisson dans la mer et la

tendresse dans le regard de ceux qui l’aiment quand à la maison il retourne, mais surtout qu'il voie la

grâce de son Créateur et l'amour de Jésus dans la croix, là où il doit passer.

Quand le pêcheur sort pêcher, qu’il n’attrape rien, et qu’à son retour, fatigué, dans son bateau il

pleure, que chaque larme tombée soit donnée à la mer, et que demain celle-ci s’en rappelle quand le

pêcheur ressortira pour pêcher.

Et quand le pêcheur enfin ne pourra plus sortir pour pêcher, que Dieu le garde de la tempête de l'âme,

de la mélancolie, et qu'il n'enlève pas sa joie de regarder la mer et de prier quand un autre pêcheur, à

sa place, sortira pour pêcher.

C’est Dieu qui te fit pêcheur, qui fit ton âme et la mer se joindre. Tu penses que tu es maître de la

mer, mais c’est la mer qui est ton maître.

Seigneur, bénisse le pêcheur !

Marcelo Crivella

                                                                                                                         1 Prière peinte sur un de murs de la maison de la colônia* des pêcheurs d’Oiapoque.

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1. Introduction

A. Présentation générale

I) Présentation de l’étude : Oyapock, un bout du monde méconnu

« A la frontière entre la Guyane française et le Brésil, les berges du fleuve Oyapock sont le lieu de vie

de plusieurs communautés françaises et brésiliennes qui pratiquent diverses activités sur terre, sur le

fleuve et en mer. La pêche est une des importantes activités de la région et les différents groupes de

pêcheurs des deux rives se partagent les espaces terrestres et aquatiques, comme les réseaux

d'échange et de commerce nécessaires à la distribution de leurs prises. Ils échangent des biens, mais

aussi des savoirs, savoir-faire, et des représentations en matière environnementale » (Sabinot, 2013,

proposition de stage).

Loin d’être une simple frontière, un fleuve est « une artère de vie (…) qui se remonte, se descend et se

traverse », un espace mouvant que se partagent les habitants de ses deux rives. Ainsi, de sa

découverte jusqu’à la fin du XIXème siècle, le fleuve Oyapock est la voie de passage privilégiée

empruntée par des explorateurs, missionnaires, officiers et des habitants locaux pour pénétrer à

l’intérieur de la Guyane et atteindre l’Amazonie et ses mirages. Soudé autour de ses deux berges, le

bas Oyapock a longtemps donné l’image d’un bout du monde, autant pour la Guyane que pour le

Brésil. Prévu pour être achevé en 2012, un projet de pont binational sur le fleuve de l’Oyapock a été

conçu : ce pont vise à fortifier et consolider les relations internationales franco-brésiliennes sur le

plateau des Guyanes. « Arc-bouté aux deux berges », ce pont va bouleverser la vie des riverains et

relier deux univers totalement différents : le Brésil, pays considéré comme en voie de développement

et la Guyane, qui fait partie de la communauté européenne (Grenand, 2008).

Dans ce contexte, un Observatoire Homme-Milieux (Institut Ecologie et Environnement-CNRS) a été

créé pour évaluer les changements, mesurer les perturbations et les modéliser et constituer un outil

d’aide aux décisions. Depuis septembre 2012, au sein de cet observatoire, une thèse de doctorat co-

dirigée par Serge Bahuchet (MNHN) et Damien Davy (CNRS-OHM), s'intitulant « Gestion des

ressources aquatiques en contexte pluriculturel et transfrontalier. Le cas du fleuve Oyapock, entre

Brésil et Guyane française » a débuté. Cette thèse conduite par Pauline Laval porte sur les acteurs,

leurs territoires de pêche, leurs savoirs, leurs pratiques et leurs représentations en matière

environnementale.

Enfin, le programme intitulé « Ose-GuyAmapá », Observation par satellite de l’environnement

transfrontalier Guyane – Amapá, porté par l'UMR 228 EspaceDev de l'IRD et l'INRS du Brésil, en

partenariat avec d’autres instituts brésiliens et français, a vocation à développer la coopération entre la

Guyane et le Brésil, et plus particulièrement à favoriser l’intégration régionale de la Guyane dans son

environnement au travers du partage de données (spatiales notamment), de connaissance et d’expertise

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sur les milieux naturels et les sociétés, mais aussi d’échanges, de coordination et d’harmonisation des

méthodes et pratiques de la gestion intégrée des territoires (extrait de la proposition de stage de C.

Sabinot, 2013 ). Dans ce programme, une recherche spécifique se déroule sur le littoral, incluant des

travaux en sciences humaines et sociales coordonnés par des chercheurs français (IRD, CNRS-OHM,

MNHN) et brésiliens (UFPa-CFCH, UFPa-NAEA, UFBA, UNIFAP-MPA, FUNAI-PESCAP) :

« Pesca e sustentabilidade das atividades pesqueiras »2. Les travaux des chercheurs et des étudiants, y

compris la présente étude qui est élaborée, commanditée et financée par le programme OSE-

Guyamapá, permettront, entre autres, d'aboutir à la production de cartes et d’indicateurs spatialisés

pour mesurer la soutenabilité sociale, culturelle et économique de la pêche transfrontalière.

En plus de contribuer à l’élaboration de cartes et d’indicateurs spatialisés, le présent travail de

recherche explorera plus spécifiquement la question de l’identité culturelle, de la dynamique des

migrations, et des échanges des savoirs et techniques qui guident les pratiques actuelles de pêche des

sociétés qui se côtoient sur les berges de l’Oyapock ou sur l'eau. Notre étude a ainsi vocation à offrir

une meilleure compréhension du système pêche et des connaissances et outils favorisant la mise en

place d’une bonne gestion intégrée du territoire.

II) Problématique de recherche : Des pêcheries qui se côtoient et échangent

« Partager un même littoral entraîne de fait des échanges entre les communautés, allant de simples

regards échangés, à de réels enseignements d’un groupe vers l’autre. Afin d’approcher une

catégorisation de ces dynamiques nouvelles, il est nécessaire d’analyser les acteurs, les contextes et

les enjeux investis dans la transmission, en commençant par une catégorisation des communautés en

présence » (Sabinot, 2006, p.73). Pour comprendre la dynamique de pêche dans la zone de l’estuaire

de l’Oyapock, multiculturel et transfrontalier, où les pêcheries artisanales locales se côtoient,

s’observent et « s’affrontent » au quotidien, nous proposons une ethnographie des pêcheries, explorant

spécifiquement l’histoire de vie des pêcheurs (origine, métiers, histoire de migration), les pratiques de

pêche qu’ils emploient ainsi que leur attachement au lieu et à leurs origines et la construction de

territorialités.

Notre question de recherche principale est la suivante : « Comment et en quoi l’identité culturelle, la

dynamique de migration, et les échanges des savoirs et techniques guident les pratiques actuelles des

pêcheurs dans le contexte pluriculturel et transfrontalier de l’Oyapock ? ». Ainsi nous entendons

répondre à certains objectifs posés par le programme Ose-Guyamapa : expliquer les facteurs qui

entraînent le choix des pratiques actuelles de pêche, des territoires de pêche et comprendre les

représentations que les pêcheurs se font de leur environnement et de leur métier, dans le but de

mesurer la durabilité sociale, culturelle et économique de la pêche transfrontalière.

                                                                                                                         2 Pêche et développement durable des activités de pêche.

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Après les premières lectures sur le sujet d’étude et un premier terrain de recherche, quelques sous-

questions ont émergé : D’où viennent les pêcheurs ? Pourquoi ? Que savent-ils ? Quelles sont les

techniques qu’ils emploient ? D’où viennent leurs connaissances ? Quels sont les échanges entre eux ?

Y-a-t-il un lien savoir-origine dans la pêche, et si oui quel est-il ? Quelle est l’identité locale ou quelles

sont les identités locales ? Y a-t-il un sentiment d’appartenance socio-culturel ? Quelles sont les

concordances et distorsions de perception de la pêche entre les différents acteurs : pêcheurs,

armateurs*, gestionnaires, scientifiques ?

Ces sous questions, ainsi que les entretiens exploratoires, ont aidé à constituer un guide d’entretien

pour diriger les enquêtes de façon la plus ouverte possible, ainsi qu’un questionnaire systématique3. Le

guide d’entretien portait sur les histoires de vie et trajectoires du pêcheur et de sa famille, l’origine de

ses savoirs de pêche, les pratiques de pêche qu'il connait et ses représentations environnementales et

identitaires.

Après les premiers entretiens, j’ai été en mesure de proposer les hypothèses de recherche suivantes :

« Le parcours de vie du pêcheur et l’origine de ses savoirs vont orienter ses pratiques de pêche, la

nomenclature des outils, ainsi que ses perceptions identitaires (sentiment d’appartenance) ». Ou

« L’entourage culturel et environnemental actuel du pêcheur va orienter ses pratiques de pêche, la

nomenclature des outils, ainsi que ses perceptions identitaires ». Ces deux hypothèses n’étant

évidemment pas exclusives l’une de l’autre, nous tenterons d’analyser comment s’articulent les

savoirs, pratiques et représentations acquis dans chacun des lieux, particulièrement celui d’origine et

celui de destination.

III) Zone d’étude : Le fleuve comme un espace mouvant

Aujourd'hui, l'intérêt principal pour l'espace géographique frontalier entre deux pays, qui démarque

réellement et symboliquement une discontinuité politique, porte sur la manière dont il est socialement

construit et géré, et sur la façon avec laquelle il impacte les pratiques quotidiennes de chaque individu.

De toutes les frontières sud-américaines, une des seules à posséder un point de confluence avec un

pays européen est le contact établi sur l’Oyapock, entre l'Etat fédéré de l'Amapá au Brésil, et la

Guyane Française, un département-région d’outremer français (DROM) en Amérique du Sud (Silva et

al., 2011).

La Guyane, devenu territoire français en 1664 et département d’Outre-mer en 1946, fait partie de

l’ensemble géographique du plateau des cinq Guyanes, une région de l’Amérique du Sud en bordure

de l’Atlantique, entre les fleuves Orénoque et Amazone. Cette région comprend, en plus de la Guyane

française, le sud-est du Venezuela, la Guyana, le Surinam et le nord du Brésil (d’Aboville, 2007).

                                                                                                                         3 Intégré dans le guide d’entretien (annexe 1).

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Placée sur la rive droite du fleuve homonyme, le município* d’Oiapoque balise la frontière nord du

Brésil avec la Guyane française (carte 1). Sur cette frontière, Oiapoque présente des interactions avec

deux communes françaises, Saint-Georges de l'Oyapock - petit village français où la présence militaire

est importante -, avec lequel elle a des relations commerciales et sociales fortes, car ce sont des

Cidades gêmeas*, et Camopi, localisée en face du petit village d'Oiapoque appelé Vila Brasil (Silva et

al., 2011; Nascimento et al., 2008).

Carte 1 : Zone d'étude.

Source : M.B. Hautefeuille, OHM Oyapock, 2011

Du fait de leurs positions, Oiapoque et Saint-Georges constituent des Cidades gêmeas*. Situées de

deux ou plusieurs côtés de la frontière politique, les Cidades gêmeas*, même si séparées par la limite

internationale, créent un locus d'interaction propre, perceptible seulement dans cet espace

géographique, dont les influences réciproques déterminent des comportements socioéconomiques et

culturels qui les différencient des autres villes de leurs pays respectifs. Oiapoque est représentative du

comportement économique, social, politique et culturel des communes de la Guyane Française (Silva

et al., 2011).

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.Oiapoque.

Les premiers signes de peuplement de la zone qui aujourd'hui constitue le município* d'Oiapoque, au

XIXème siècle, ont été produits à travers la présence de créoles guyanais et antillais qui ont occupé la

zone habitée par des amérindiens Wayãpi et les ont obligé à migrer dans la Montagne de Tumuc

Humac. Actuellement le município* d’Oiapoque compte 20 426 habitants et est constituée par la ville

de même nom, les villages de Vila Velha do Cassiporé et Taperebá et par le district militaire de

Clevelândia do Norte (IBGE 2010). Une grande partie des terres de la ville est occupée par des parcs

nationaux : Montagnes du Tumuc Humac et Cap Orange, et les terres amérindiennes Uaçá, Galibí et

Juminã (Nascimento et al., 2008).

. Saint-Georges.

De l’autre côté du fleuve, Saint-Georges, une commune de 2320 km² située dans l'Est guyanais, fut

fondée le 23 avril 1853 pour servir de bagne aux révolutionnaires des émeutes de 1848 et 1851 ainsi

qu'aux criminels de droit commun. Néanmoins, c'est seulement en 1946 qu'est créée la commune de

Saint-Georges de l'Oyapock : elle compte alors 1500 habitants, répartis entre Saint-Georges (600

habitants environ), Tampack (300 habitants) et une dizaine de hameaux (LaBombe sur la Gabaret,

Nouvelle Alliance, Saut Maripa, etc) (Perez et al., 2012). Son territoire est couvert de forêt

équatoriale, avec quelques savanes et marais dans sa partie nord. Elle est peu peuplée, mais confrontée

à une progression démographique spectaculaire : 2100 habitants en 2000, 3600 en 2007 et environ

6000 en 2012, dont la majeure partie est concentrée sur le chef-lieu de Saint-Georges. Très isolée du

reste de la Guyane jusqu'à une date récente (l'aérodrome date de 1968, la route de 2003), la commune

de Saint-Georges a développé depuis son origine une stratégie sociale, économique et culturelle ciblée

sur le bassin de vie de l'Oyapock (Perez et al., 2012).

. Dynamique du bassin de l’Oyapock et Cidades gêmeas*.

L’isolement de chacune des communes du réseau de transport de son pays et la forte proximité sociale

et économique des deux communes ont contribué à construire une entité particulière des Cidades

gêmeas*. La possibilité de gagner des salaires plus importants du côté français et de vendre des

produits à des prix plus avantageux ainsi que l’orpaillage, ont contribué à la forte mobilité des

brésiliens vers la Guyane, ce qui a impliqué une série de problèmes avec la police française. Par

conséquent, les secteurs économiques de la zone, comme la pêche, le tourisme et l’artisanat sont

influencés par cette position géographique frontalière, et ont besoin d’être administrés en coopération

(Silva et al., 2011).

En plus, ces « limites frontalières » n’ont pas toujours été bien délimitées comme aujourd’hui. La

délimitation de la frontière entre la Guyane et le Brésil était restée très vague depuis la création de la

colonie française : l’affirmation française était que le fleuve Amazone constituait la limite territoriale

au sud de la Guyane, tandis que celle du Brésil penchait pour l’Oyapock. Ce conflit va être nommé de

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« Contesté Franco-Brésilien ». En 1894, la découverte d’or par les orpailleurs brésiliens dans la rivière

Calçoene dans la zone contestée, vint réveiller l'intérêt de la France et du Brésil pour la possession

définitive du Territoire. La répression des Français envers les Brésiliens venus s’installer dans la zone

et la réaction des habitants d'Amapá causèrent la « guerre », qui fut résolue seulement cinq années plus

tard, par le biais d'un arbitrage international : le 1er décembre 1900, le Conseil Fédéral helvétique,

chargé d’arbitrer le différend franco-brésilien, accorda la totalité du territoire contesté au Brésil,

décision à laquelle se soumirent les deux parties, mettant ainsi fin à leurs conflits (Cardoso, 2008).

Néanmoins, le tracé de cette frontière n'a pas pris en compte les représentations des anciens habitants

de cette région, qui n'ont jamais perçu le fleuve Oyapock comme une frontière, mais, plutôt comme

une voie de circulation à l'intérieur d'un même environnement. Ainsi, les représentations d'une zone de

transit dans un même espace écologique, se sont confrontées à une zone de rupture, matérialisée par

une frontière politique, mais qui fait preuve de forts échanges et rapports frontaliers entre les deux

côtés du fleuve (Paul-Guers, 2008).

. Environnement et économie.

Le climat de la région de l’Oyapock est équatorial humide, avec des températures typiques des régions

équatoriales : maximales de 34,7° C au mois d'octobre et minimum de 17,5°C au mois de février. Le

climat est divisé en deux saisons marquantes : l’été ou saison sèche qui comprend les mois de juillet à

décembre, et l’hiver ou la saison des pluies, de janvier à juin. Le relief est peu accidenté, en général

au-dessous des 300 mètres d'altitude. Sa condition géographique permet la formation d'un ensemble

d'écosystèmes comprenant des marais et mangroves, et des forêts sempervirentes denses. Les

principales activités économiques de la zone sont, le tourisme, le commerce, l’extraction de minéraux,

la pêche, l’élevage et l’agriculture (Lima et al., 2005 ; Gallois, 2008).

B. Méthodologie

I) Lectures

Cette étape, bien que classique, a constitué une part importante du travail entrepris tout au long du

stage. Elle m’a permis de me familiariser avec mon objet d'étude comme avec les concepts et

méthodes mobilisés.

La recherche bibliographique fut d’abord orientée par deux mots-clés : « pêche artisanale » et

« Oyapock », consultés en ligne sur les bases de données Persée, Jstor, Sudoc, OCLC, Open Library,

IBGE, INSEE, ISA et Ifremer. Les bibliothèques consultées localement sont celles du Musée Kuahi

d’Oiapoque, de l’OHM-CNRS et de l’IRD à Cayenne. Les bibliographies citées par les documents

utilisés ont été également des sources importantes. Les ouvrages et articles découverts portaient

essentiellement sur des aspects généraux de la pêche dans la région comme par exemple les espèces

pêchées, la production, la flotte, le nombre de pêcheurs, la pêche illégale, l’état des ressources et les

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organismes de contrôle et surveillance de la pêche.

Ensuite, des articles qui apportaient des approches diversifiées du phénomène étudié ont été suggérés

par Serge Bahuchet et Catherine Sabinot, des chercheurs expérimentés dans la thématique. Les articles

présentaient des problématiques et des modèles d’analyse en anthropologie maritime et en géographie,

susceptibles de nourrir la présente étude. Néanmoins, peu d'études anthropologiques ont été menées

sur la thématique de la pêche dans cette région et les ouvrages actuels existants abordent surtout la

production halieutique, les outils et bateaux de pêche. Par conséquent, les ouvrages utilisés incluent

des études à l’échelle générale, nationale et régionale. Certains organismes ont étudié et publié sur

cette zone spécifique : UNIFAP, OHM- CNRS, ISA, UFAM et IRD.

Finalement, la bibliographie a été enrichie suite à une recherche personnelle dans les bibliothèques du

MNHN à Paris et sur internet. Les articles qui portaient des liens avec la question de départ et des

éléments d’analyse et d’interprétation ont été choisis. Au fur et à mesure de l’avancement de l’étude,

des critères plus précis et spécifiques se sont imposés pour le choix de la bibliographie : des

migrations vers l'Oyapock, l'historique de colonisation de la zone ainsi que des conflits, les types de

pêche à l'Etat de l’Amapá et du Pará, la création du Parc National du Cap Orange, et les conditions de

vie dans la région. Par conséquent, la recherche bibliographique a été faite pendant toute la durée de

cette étude, en étant entrecoupée par des périodes de réflexion, de débats et de discussions.

II) Entretiens exploratoires

Pour aider à préciser la problématique de la présente étude, des entretiens exploratoires ont été menés

du 19 février au 3 mars 2013. Ces entretiens ont contribué à découvrir la pertinence du sujet, à élargir

le champ d’investigation des lectures et à mettre en lumière des aspects du phénomène étudié auxquels

je n’avais pas pensé spontanément. Pour cette raison, il était essentiel que les premiers entretiens se

déroulent de manière ouverte et très souple.

Les enquêtes ethnographiques sont en général précédées par cette pré-enquête afin d'identifier les

acteurs devant être interviewés. Je me suis servie des informateurs clés à partir des premiers contacts :

c’est ce qu’on appelle des témoins privilégiés.

Durant la recherche (76 jours de terrain sur les 5 mois de stage), les contacts, discussions et entretiens

furent réguliers avec des personnes concernées, sur les. Les premiers contacts à Oiapoque ont été pris

grâce au réseau de chercheurs du Programme OSE-GuyAmapa, qui m’ont introduite auprès des

pêcheurs de la Colonia* Z - 03. D’abord, le contact avec Julio Garcia, président de la Colonia*, a été

facilité par Ricardo Lima, chercheur brésilien de l’Université Fédérale de l’Etat d’Amapá et haut-

commissaire du Ministère de la Pêche au Brésil. Puis, une réunion de présentation du projet et un «

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focus group4 » dans la Colonia* ont été faites par notre équipe, suite à deux jours de discussions avec

Voyner Ravena Cañete sociologue à l’Université Fédéral de l’Etat du Pará, Uriens Ravena Cañete,

l’étudiant de master à l’UFPA, Catherine Sabinot, ethnoécologue et anthropologue à l’IRD, et Pauline

Laval, doctorante en ethnoécologie au MNHN-CNRS. Lors de la présentation de notre étude aux

pêcheurs le 18 février, des contacts ont été pris par notre équipe pour l’étape suivante : les enquêtes.

Finalement, des entretiens ouverts ont été menés le 19 et 20 février auprès de quelques pêcheurs

présentés par Julio Garcia pour nous renseigner sur le contexte de l’activité de pêche dans la ville.

A Saint-Georges, Pauline Laval a été une intermédiaire privilégiée pour rencontrer le président de

l’Association de Pêcheurs, Joël Rosé. Comme à Oiapoque, une réunion a été préparée pour les

pêcheurs de Saint-Georges. Alors que dans la première réunion, le 28 février, il y avait uniquement

des propriétaires de bateaux, un des armateurs* participant a proposé d’appeler les pêcheurs pour une

nouvelle réunion. Or, lors de cette seconde réunion, le 2 mars, seuls des pêcheurs étaient présents et en

l’absence de leurs patrons, ils nous ont fait part des difficultés qu’ils rencontraient. Cela a été porté à la

connaissance de certains armateurs* soulevant alors des soupçons et des craintes relatifs aux objectifs

de notre recherche et nous rendant difficile pour un temps la réalisation des enquêtes.

Pour éviter ce genre d’écueils lors des entretiens individuels, j’ai établi une charte de confidentialité

(annexe 1) que j’ai présentée avant chaque entretien et fait signer à chaque personne interviewée afin

de les mettre en confiance pour la diffusion et le traitement des données.

III) Observation et entretiens : la collecte des informations

En plus des méthodes classiques de l’anthropologie, à savoir l’observation et les entretiens semi-

directifs et ouverts que j’ai construits, nous avons élaboré au sein du groupe de recherche OSE-

Guyamapa un questionnaire systématique composé de 8 questions permettant de construire et

renseigner les indicateurs socio-économiques relatifs à la durabilité des communautés de pêcheurs de

la zone.

Lors de la première partie, celle des questionnaires, le groupe de sciences humaines et sociales, dans le

volet « Littoral » du programme OSE-Guyamapa, a été mobilisé. Le but de ce questionnaire était de

décrire les différents systèmes de pêche dans la zone d'étude, ainsi que définir les indicateurs, les

guides méthodologiques pour les renseigner et leurs variables. Le méthode englobait : des focus

groups, des entretiens individuels, des cartes mentales sur des images satellites (zones où ils pêchent,

où ils estiment qu'il y a beaucoup ou peu de ressources, où il y a des conflits, etc.), des questionnaires

systématiques sur la migration et la perception de la ressource, des points GPS des maisons des

pêcheurs pour identifier les zones d'habitat et, finalement, des GPS embarqués pour connaître les

                                                                                                                         4 David L. Morgan (1997). Focus Groups As Qualitative Research.

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parcours et territoires de pêche. Des images satellites ont été utilisées pour localiser ces zones de pêche

et les représentations des pêcheurs.

Les indicateurs choisis par le groupe pour être testés étaient : le concordance/discordance entre la

perception des pêcheurs, celle des armateurs*, celle des capitaines de pêche, celle des scientifiques et

celles des gestionnaires (CRPM/Pescap), ainsi qu'entre brésiliens et français, sur les zones de pêche les

plus productives, sur les espèces les plus débarquées (production halieutique), sur la conception d'une

bonne pêche, sur la conception d'un bon pêcheur, sur l'importance des ports dans la production

halieutique, sur la législation et sur la durabilité de leurs méthodes de pêche. Néanmoins, ces questions

ne seront pas finement traitées dans ce mémoire, faute de temps et d'espace.

Pour la deuxième partie, celle des entretiens ouverts et observations sur le terrain, j'ai choisi la

méthodologie de récits de vie5 et observation ethnographique6. Les questions posées aux interviewés

englobaient leur statut actuel, le type de bateau sur lequel ils pêchent, les métiers pratiqués, les

endroits de migration, les motivations pour quitter une ville, les revenus antérieurs et actuels, les

pratiques de pêche, la nomenclature et la connaissance des différents outils de pêche, l'origine des

savoirs, la tradition dans la pêche, la perception du métier et de son identité culturelle.

Puis, pour que le champ d'analyse ne soit pas trop large et difficile à analyser, il a fallu le circonscrire :

on a délimité les unités d’observation aux pêcheurs commerciaux et inscrits dans les associations de

pêcheurs.

Pour la prise de contact on a utilisé la technique « boule de neige7 », où l’échantillon est construit

progressivement sur proposition des individus sondés. Dans ce type d’échantillon, appelé aussi

échantillon par réseau, les individus sont sélectionnés en fonction de leurs liens avec un 'noyau'

d’individus, c'est-à-dire que, à chaque personne interviewée, on propose qu'elle nous indique le

prochain informateur. Les bénéfices de cette méthode c'est qu'inspirer confiance à son interlocuteur

exige moins d'efforts lorsqu'un ami se porte, en quelque sorte, garant du chercheur par la simple action

de le recommander. Cette technique nous permet aussi d'économiser du temps en allant directement

aux personnes unités d’observation de l'étude.

La principale méthode de collecte de données étant les entretiens ouverts et l'observation

ethnographique, j'ai utilisé des éléments d'appui à l'analyse contextuelle : un guide d'entretien (annexe

2), un guide avec les photos des outils de pêche (annexe 3), des enregistrements sonores et visuels, et

un journal de terrain. À chaque terrain, une pause pour recul et analyse de données m'a aidé à repenser                                                                                                                          5 Daniel Bertaux, François de Singly (1997). Les Récits de vie : Perspectives ethnosociologiques.

6 Alex Mucchielli (1994). Les méthodes qualitatives.  

7 Kenneth D. Bailey. (1982). Methods of social research.

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l’objet d’étude.

Par rapport au nombre d'entretiens, les entretiens approfondis ne visent pas à produire des données

quantifiées et n'ont donc pas besoin d'être nombreux. Par conséquence, les entretiens de cette étude ne

sont pas représentatifs à cause de leur quantité, mais grâce à leur qualité. À Saint-Georges de

l'Oyapock, 14 pêcheurs ont été interviewés, tandis qu’à Oiapoque, à cause de la plus grande quantité

de pêcheurs, ce nombre s'est élevé à 25 interviewés. Les entretiens avaient pour durée moyenne

environ 1h30 et la plupart des pêcheurs ont été visités plus d'une fois. Le terrain s'est tenu de février à

juin 2013.

IV) Modèle d’analyse des informations

Les entretiens enregistrés lors du terrain ont été retranscrits complètement ou partiellement (sur

environ 78 heures d’entretiens enregistrés, environ 25 ont été transcrites et traduites), et l'analyse de

contenu de chacun a été fait en ciblant les éléments suivants : parcours de vie, origine des savoirs,

pratiques de pêche, nomenclature des outils, perceptions identitaires et entourage environnemental et

culturel.

Certaines données obtenues a partir de ces entretiens ont été organisées en tableaux synthétiques et

thématiques dans Microsoft® Excel 2003 et 2007 pour des analyses et représentations graphiques. J’ai

traduit et transcrit des extraits choisis d’entretiens (la langue des entretiens étant le portugais, les

traductions ont été soigneusement faites pour conserver leur sens).

Par conséquent, chaque pêcheur avait une fiche d'analyse qui me permettait d'analyser l'ensemble des

informations et de croiser les données. De plus, un journal de terrain, des photos et des points

géoréférencés ont été produits. Le journal de terrain m’a permis d’analyser le contexte des entretiens et

les sens cachés des discours ; les photos et le géoréférencement des maisons des pêcheurs m’ont

permis une analyse de la cohésion sociale et identitaire ; enfin le géoréférencement de quelques

parcours de pêche (par GPS embarqué) m’ont rendu possible de mieux comprendre les territoires de

pêche et les conflits entrainés.

2. Le cadre conceptuel et théorique de l’étude

A. Les dynamiques de la pêcherie artisanale

I) Etude des sociétés de pêcheurs, anthropologie maritime et géographie

« Comment et pourquoi devient-on marin, pêcheur ? Devenir marin pêcheur est un processus social,

historique, puisqu'il n'y a pas de déterminisme ; la présence de la mer et de ressources marines ne

transforment pas les gens en pêcheur, en marin. Des conditions techniques, sociales, économiques

doivent être réunies pour que des habitants des terres deviennent marins, pêcheurs » (Geistdoerfer,

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2007, p.29).

L’étude pluridisciplinaire des pratiques techniques, sociales, économiques, religieuses et symboliques

de ces sociétés qui exploitent les ressources halieutiques est appelé anthropologie maritime, une

branche de l’anthropologie sociale (Breton, 1981 ; Fernandez, 1991 ; Geistdoerfer, 2007). La

variabilité des milieux marins, la diversité des formes de renouvellement de leurs ressources

exploitables et le caractère aléatoire de ces dernières, sont au fondement des problèmes autour

desquels l’anthropologie maritime s’est constituée (Fernandez, 1991 ; Geistdoerfer, 2000). Ces

instabilités et variabilités sont telles, que pour devenir marins - pêcheurs, les communautés côtières,

considérées comme des « sociétés à risques », ont dû inventer des systèmes techniques et socio-

économiques différents de ceux que leurs cousins terriens ont mis en place pour occuper et exploiter

un milieu stable et en partie contrôlable (Geistdoerfer, 2007). De ce fait, les sociétés côtières font

preuve d’une grande adaptabilité sociale, économique et environnementale et leur organisation sociale

et culturelle est très diversifiée. Au nombre des facteurs de cette variabilité des cultures littorales, nous

pouvons évoquer : la représentation de la mer et ses ressources, les pratiques de pêche, le mode

d’organisation socio-économique, la place accordée à la pêche dans l’économie de subsistance et le

mode d’intégration de ces activités (Geistdoerfer, 2000).

Selon Geistdoerfer (2007), David (1998), Sabinot (2008) et Bahuchet (1996), pour connaître le

système de pêche dans un certain lieu et à un certain moment, il faut connaître et analyser ce

qu'aujourd'hui sont les éléments de base de la pêche : les pratiques d'identification, d'occupation,

d'appropriation, d'exploitation, de transformation et de répartition des milieux marins et littoraux, ainsi

que ses espèces marines végétales et animales.

Puisque la mer n'appartient qu'à l’État riverain, les pêcheurs se la sont appropriés socialement, en

construisant des systèmes de « possession maritime », à travers laquelle sont définis les droits d'accès

aux ressources halieutiques : ils peuvent, de forme intentionnelle ou pas, réglementer l'accès aux

ressources de la mer, en contrôlant les outils de pêche, ou en empêchant l’entrée des pêcheurs

étrangers sur leur territoire de pêche (Diegues, 2004b). Selon Cordell (2000), les systèmes de

possession des territoires marins sont basés sur des valeurs culturelles en rapport avec la construction

et affirmation de l'identité sociale, ainsi qu'un sentiment d'appartenance à un territoire. L'appropriation

sociale de la mer se produit à l'intérieur des limites de la territorialité, à travers laquelle les pêcheurs «

marquent » des secteurs qu’ils utilisent dans la pêche, certains de forme communautaire (David,

2003). A travers la notion du territoire, un groupe social garantit à ses membres le contrôle ou l'accès

aux ressources naturelles (Godelier, 1984). Mais si les pêcheurs, par l'usage, se sont appropriés la mer

pour accéder aux « richesses », c'est bien à cause de sa valeur économique et sociale, accordée en

partie par ceux qui contrôlent l'accès à la mer et à ses ressources. Le libre accès aux ressources est

alors très restreint, et cela principalement du fait que ces ressources sont commercialisées et

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appropriées par ceux qui les achètent pour les transformer et les revendre (Geistdoerfer, 2007).

La territorialité marine dépend non seulement de l’environnement à exploiter, mais aussi des relations

sociales établies entre ceux qui l'utilisent. Pour beaucoup de communautés de pêcheurs, la mer

présente des signes de possession, généralement dans des zones productives découvertes et gardées

secrètes. Ces marques peuvent être physiques et protégées par la « loi du respect », ou invisibles,

comme les zones productives dans des plateaux continentaux. Pour les membres des communautés de

pêcheurs artisanaux, le territoire marin est plus large et plus fluide que le territoire terrestre, puisque

leur connaissances approfondies reposent sur le premier (Diegues, 2004b). Ces connaissances sont

extrêmement importantes pour une bonne navigation, pour l'utilisation appropriée d'instruments de

pêche et pour l'identification des espèces de poisson (Marques, 2001 apud Diegues, 2004b).

Espace et territorialité sont alors des catégories définies dans les activités de pêche, en indiquant les

divers domaines de la vie : eau, terre et air, auxquels les pêcheurs attribuent des significations. Malgré

l'indivisibilité, l'espace marin, marqué par des éléments symboliques, n'est pas homogène ou

indifférencié ; il existe des points de pêche, des itinéraires et des chemins, influencés par la culture et

par des phénomènes naturels, comme les cycles des marées et des lunes et la reproduction des

poissons (Maldonado, 2000 apud Diegues, 2004b).

Par conséquent, pour les pêcheurs artisanaux, la mer n'est pas seulement un espace physique, mais

aussi le résultat de pratiques culturelles, dans lesquelles les groupes de pêcheurs artisanaux se

reproduisent matériellement et symboliquement. Les ressources exploitées sont mobiles et établir et

maintenir des limites n'est pas une tâche facile. Pourtant, les savoirs traditionnels rendent possible la

division de la mer en zones où la pêche est pratiquée sans nuire aux droits d'autres pêcheurs et gardés

par la loi du respect, même si leur mise en place ne se fait pas sans conflits. Le « respect » des zones

de pêche est à la base de la possession traditionnelle des espaces maritimes, et il fonctionne tant

qu'opèrent la structure sociale et les valeurs qui le sous-tendent. De nos jours, la désorganisation

sociale qui marque plusieurs communautés de pêcheurs cause l'abandon de ces pratiques. Dans

d'autres cas, néanmoins, cette possession maritime fonctionne encore et peut jouer un rôle important

dans la conservation des ressources marines (Diegues, 2004b ; Cunha, 2005).

Autrement, avec le récent développement du tourisme côtier, la mer acquiert une nouvelle valeur

sociale et économique, ce qui provoque des graves conflits d'usages : les animaux marins devenant des

espèces protégés, les pêcheurs, dont les relations avec la mer et les animaux marins ne sont pas

conformes à cette nouvelle idolâtrie, sont vus comme des prédateurs, exploiteurs et tueurs. Également,

la valeur symbolique et culturelle des produits marins a évolué d'hier à aujourd'hui et, par conséquent,

leur consommation et les modes de consommation. Néanmoins, les caractéristiques naturelles ne

correspondent plus aux logiques des modes d'exploitation mise en place par les communautés

maritimes : la valeur sociale des produits marins étant donnée par les consommateurs et,

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principalement, par les distributeurs, les modes d'exploitation sont imposés aux pêcheurs. De ce fait

les pratiques des pêcheurs sont structurées autour de l'obligation, pour pouvoir survivre, de

transformer des ressources aléatoires, incontrôlables et instables, en un produit qui puisse participer à

une économie de marché dite « libérale » (Diegues, 2005 ; Geistdoerfer, 2007).

II) Transmission des savoirs dans les sociétés de pêcheurs

« Pêcher n'est pas simplement une succession de gestes appris, mémorisés et reproduits par imitation,

c'est également la mise en application d'une pratique et d'une expérience. Cette combinaison de

savoir-faire et de savoir empirique est la connaissance approfondie du milieu marin qui s'acquiert par

l'usage répété des engins de pêche » (Escallier, 2003, p.40).

La théorie classique de l'apprentissage, créé par John Broadus Watson, a une tendance à placer

l’apprenti comme une « boîte vide » qui possède une capacité fixe de garder des connaissances ; c'est

un acte de dépôt d'une matière inerte et prédéfinie dans un contenant vide prêt à recevoir et à

mémoriser. Ce schéma normatif de l'acquisition de compétences réduit le novice à un simple imitateur

de techniques. La situation éducateur/éduqué est une situation inégale et à sens unique où il n’y a ni

créativité, ni transformation, ni un vrai savoir (Freire, 2005). Or, Ingold (1993) explique que le novice

devient expérimenté pas seulement eu travers des connaissances acquises, mais grâce au temps qu’il

leur consacre : les connaissances vont être utiles si elles sont utilisées. Cette théorie dialogique de la

pratique offre une vision alternative de l’apprentissage, une rupture radicale avec la tradition

cartésienne de séparer les idées et le monde réel, de l'étude et du faire, des experts et de l’initiant, de la

connaissance et de la pratique, dont on n’internalise pas passivement les manuscrits mentaux de

l'environnement culturel, mais plutôt la personne entière dans l'action, agissant dans les contextes de

cette activité (Lave et al., 1991 ; Ingold, 1993).

Les études de la composition et des modes de transmission du patrimoine marin, ainsi que de sa

transformation actuelle, permettent de révéler l'une des références indispensables à la vie des

communautés de pêcheurs : la structure du modèle de ce système d'appropriation des ressources

marines et le statut social et économique du pêcheur, caractérisé par la « flexibilité ». Les conditions

sociales et économiques de l'apprentissage de l'exploitation maritime permettent une meilleure

compréhension de l'évolution des processus, des stratégies et de l'organisation des pêcheurs, ainsi que

de quelques aspects de ce qu'on appelle habituellement 'la crise de la pêche' qui se développe

actuellement dans plusieurs pays (Geistdoerfer, 2007).

Selon Escallier (2003), la connaissance approfondie de l’espace marin va être construite à partir de

différents processus d'appropriation, dont la mise en place relève également d'un lent apprentissage au

moyen duquel s'acquiert le savoir. Fréquemment, le processus d'apprentissage est informel et les

instructions verbales sont rares : les processus de transmission des savoirs sont tellement subtils que

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les apprentis ne se rendent pas compte du processus et il est très commun que, en cherchant à savoir

comment quelqu'un a appris une telle pratique, la réponse soit : « J'ai appris tout seul » (Diegues,

2004b).

Cet espace marin, aux structures occultes, immatérielles et intériorisées, va devenir un élément de

patrimoine plus important qu'une embarcation, un bateau de pêche artisanale ayant rarement plus de

vingt ans de vie. Ce patrimoine immatériel, entre nature et histoire du groupe, constitué des

connaissances des outils d'accès aux ressources, des fonds marins et des lieux de pêche découverts,

exploités et gardés secrets, procure aux pêcheurs un sentiment d'identité et de continuité. Ainsi, un

pêcheur qui transmet à ses descendants son seul véritable patrimoine va transmettre non pas des

images, mais plutôt des données. L’ensemble de ces informations transmises sera l’objet d’une

nouvelle interprétation, l’imaginaire de l’un ne pouvant pas être hérité par l’autre (Escallier, 2007a).

L'un des fondements de la constitution du métier de pêcheur est donc le mode de transmission de ces

techniques : chaque communauté a des règles sociales d'appropriation des zones de pêche, qui

diffèrent aussi selon les espèces pêchées (sédentaires ou migratrices) et selon les engins utilisés (fixes

ou mobiles). Ces règles vont dicter l'organisation sociale du travail des différentes activités en mer et à

terre (Geistdoerfer, 2007). Or, Berkes (1999) soutient que les systèmes traditionnels de gestion des

ressources sont transmis de génération en génération, bien que de manière à s'adapter au contexte

contemporain, vu que les pratiques traditionnelles évoluent pour répondre aux pressions modernes

(Diegues, 2004a ; Ramires et al., 2007).

Jadis, les générations de pêcheurs se succédaient les unes aux autres et rares étaient ceux dont le

parcours s'éloignait du modèle considéré comme traditionnel de transmission de savoirs. Néanmoins,

actuellement, en raison de l'abandon du métier par les jeunes, les anciens n'exercent plus leur activité

de formateur et pour ne pas interrompre la transmission de ce « capital cognitif » qui permet aux

communautés de pêcheurs de se perpétuer et de se transformer, d'autres voies sont empruntées. Dans

la pêche artisanale, et par tradition, le rôle du formateur revient au patron de pêche : qu’il soit étranger

ou membre de la famille de l’apprenti-pêcheur, il possède un rôle indispensable dans la transmission

du savoir (Diegues, 2005 ; Escallier, 2003).

De façon générale, l'évolution d'un état d'apprentissage à l'autre va répondre à des conditions

généralement variables : selon l'époque, le type de pêche, l'équipage, et la personnalité du maître, ce

'plan d'apprentissage' est plus ou moins proche de la réalité. Concisément, on peut dire que la

génération des anciens a connu ce mode d'apprentissage en trois temps : phase d'observation, de

participation et d'exécution, même si, en pratique, ces stages d'apprentissage ne sont pas si visiblement

dissemblables les uns des autres. Néanmoins, dans le cas où l'apprenti a pour maître un membre de sa

famille, en général son père, son oncle, ou son grand-père, on observe que l'âge qui détermine le

passage d'une phase à l'autre n'est pas un critère retenu : le fils embarque avec le père « dès qu'il est en

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âge de travailler », cet âge variant selon les époques ou les besoins économiques (Escallier, 2003).

Lors de la phase d'observation, l'apprenti va mémoriser la succession de gestes et le comportement du

maître, lequel recourt rarement à la parole pour compléter l'information : la technique de pêche va être

montrée mais rarement expliquée. Cette méthode d'enseignement laisse à l'apprenti la liberté de

développer son sens d'analyse et de déduction. L'apprenti a, en conséquence, un rôle à jouer dans son

propre apprentissage : l'apport du savoir transmis est inférieur à celui du savoir acquis (Martinelli,

1996 ; Escallier, 2003).

A partir de la deuxième étape de l'apprentissage, l'apprenti progresse pour atteindre le niveau de

connaissance nécessaire à son indépendance et à sa reconnaissance par le groupe, jusqu'à qu'il soit

autorisé à passer à la troisième phase: l'exécution. Nous pouvons rappeler ici la notion de « enskilment

» et « seasickness » soulevé par une étude faite par Pálsson (1994), auprès de pêcheurs islandais. En

parlant de «seasickness », les Islandais identifient implicitement les relations entre la connaissance et

la pratique : le concept rappelle non seulement l'état corporel de nausée parfois provoqué par le

manque de connaissances pratiques du jeune pêcheur, mais il est également employé comme

métaphore pour exprimer le fait « d'obtenir des pieds marins », qui seule peut être réussie à partir de «

l'enskilment », ou l’immersion dans le monde pratique. L'enskilment est une entreprise nécessairement

collective, faisant participer les personnes entières, les relations sociales, et les pratiques de la

communauté. Pálsson (1994) explique que les novices commencent habituellement leur « voyage » à

la marge de la communauté, écœuré par leur statut de débutant, puis, lors qu'ils deviennent de plus en

plus impliqués dans l'activité et bien informés au sujet des activités des autres, ils se déplacent vers le

centre et commencent à être « à l'aise », avec leur propre corps et avec la société.

Néanmoins, l'importance de la connaissance produite et transmise verbalement par les pêcheurs

artisanaux et leur rôle dans les programmes de gestion halieutique a reçu une attention spéciale de

chercheurs de plusieurs régions du monde. Ces connaissances et pratiques associése, selon Ruddle

(2000) apud Diegues (2004a), guident et soutiennent le fonctionnement des systèmes de gestion

communautaire et sont à la base des décisions et des stratégies de pêche des pêcheurs artisanaux : les

connaissances étant empiriques et pratiques, elles combinent des informations sur le comportement

des poissons, taxonomies et classements d'espèces et habitats, en assurant des captures réglementées,

et, plusieurs fois, un développement durable, à long terme, des activités de pêche. La connaissance

traditionnelle fournit aussi une base d'informations cruciales pour la gestion des ressources

halieutiques locales, en particulier dans les pays tropicaux où les données biologiques sont rarement

disponibles, et donne forme aux identités culturelles de chaque société.

La problématique de l'identité culturelle, en tant que sujet complexe, donne prise à des théorisations

diverses et ouvre des perspectives de recherche qui touchent un domaine très vaste. Le débat sur les

identités a été alimenté depuis les années soixante par des études menées dans toutes les parties du

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monde. Pourtant, on n'a pas encore dégagé une théorie générale de l'identité culturelle, car des

confrontations théoriques persistent entre les chercheurs (Barth, 1995).

Dans cette étude, l'identité culturelle est vue comme une forme d'identité collective caractéristique

d'un groupe social qui partage les mêmes attitudes, en faisant que les personnes se sentent plus proches

et semblables. Elle est responsable de l'identification et de la différenciation des diverses personnes

d'une société comparée à diverses échelles. Dans la perception individuelle ou collective de l'identité,

la culture exerce un rôle principal pour délimiter les diverses personnalités, les normes de conduite et

encore les caractéristiques propres de chaque groupe humain. Les groupes humains perçoivent et

segmentent tout ce qui les entoure à partir de la nomenclature, la catégorisation et la classification des

espèces vivantes, c'est-à-dire, le langage. L'objet prend sens pour une personne à partir du moment où

il est reconnu et classé. Cette manière de voir le monde, c'est-à-dire, la cosmogonie, est intimement

liée à l’identité du groupe et des individus, car elle va permettre de définir la place de l’homme dans le

monde qui l’entoure, et son étude peut nous permettre d’accéder au monde, et à la vision qu’en ont les

individus (Godelier, 1984 ; Finkielkraut, 1987 ; Barth, 1995)

III) Discussions autour de la définition de pêche artisanale

Une grande partie du poisson de bonne qualité qui arrive à la table du Brésilien est le fruit du travail

des pêcheurs artisanaux. Ces derniers réalisent 60% de la pêche nationale, avec une production

supérieure à 500 mille tonnes par an. Cette pêche contribue à la création et au maintien d'emplois dans

les communautés du littoral et aussi dans celles localisées sur les rives des fleuves et des lacs, comme

dans la ville d’Oiapoque. Ce sont des milliers de Brésiliens, plus de 600 mille, qui entretiennent leurs

familles et produisent des revenus pour le pays, en travaillant à la capture des poissons et des fruits de

la mer, au traitement et à la commercialisation du poisson (MPA, 2011 apud Silva et al., 2011).

Selon le Ministère de la Pêche et l’Aquaculture (MPA), la pêche artisanale, qui est prédominante dans

la région d’Oiapoque, a une grande valeur culturelle pour le Brésil : elle a permis la naissance et la

préservation jusqu'à aujourd'hui de diverses traditions, comme des fêtes typiques, des rituels, des

techniques et des arts de pêche, outre des légendes du folklore brésilien. L'activité est à l'origine de

communautés qui symbolisent toute la diversité et la richesse culturelle du peuple brésilien, comme les

Caiçaras8 (Rio de Janeiro, São Paulo et Paraná), les Açoréens9 (Santa Catarina), les Jangadeiros10

(Région Nord-est) et les Ribeirinhos11 (Région Amazonienne) (Silva et al., 2011).

                                                                                                                         8 Mot d'origine tupi qui se rapporte aux habitants des zones littorales.

9 Les premiers portugais qui sont arrivés à Santa Catarina et ont construit les premières localités.

10 Pêcheurs qui utilisent un bateau traditionnel appelé jangada.

11 Ensemble des habitants des berges de l’Amazone dont l’économie est basée sur la pêche et l’agriculture dans

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Néanmoins, l’hétérogénéité et la complexité des pêches artisanales rendent difficile une définition

générale. Seule la difficulté de séparer la pêche des autres activités des communautés littorales, ainsi

que l’implication des familles et des communautés, et non des seuls pêcheurs dans la pêche, font

l’objet d’un consensus. Si la vigueur et l’aptitude des pêches artisanales à traverser des situations de

crise sont relevées, les difficultés de ces communautés littorales dont le niveau de vie est fréquemment

bas sont grandes : les pêcheurs sont souvent considérés comme des « marginaux » dans de nombreux

pays, notamment ceux du sud, avec un faible niveau de représentation politique et de scolarisation

(Durand et al., 1991).

De nombreux rapports reposent sur les insuccès répétés des projets de développement dus à de

multiples causes, parmi lesquelles les approches trop réductrices des administrations et agences de

développement. La rivalité et les antagonismes industriels, en mer et sur le plan politique, sont

investigués par plusieurs auteurs, qui montrent que l’efficience des pêches artisanales est réelle, et

généralement mésestimée. Les pêches artisanales évoluent vite et s’adaptent étonnamment bien à des

situations de crise en dépit des difficultés dans lesquelles elles s’exercent. L’un des traits majeurs des

apports est l’importance et l’adaptabilité des modes « traditionnels » de gestion des pêches

artisanales : les auteurs insistent sur l’absence quasi-totale d’ « accès libre » à la ressource et invitent à

l’étude approfondie des « droits d’usage traditionnels » (Durand et al., 1991 ; Blanchard et al., 2010).

Contrairement aux opinions prépondérantes dans les années soixante, non seulement la pêche

artisanale ne décroît pas au profit des formes industrielles, mais de plus, elle se développe, renouvelle

ses équipages, transforme ses embarcations et ses engins de pêche, et saisit les opportunités qui

découlent de l’évolution des marchés. Si la carence de données est habituellement déplorée, plusieurs

apports procurent l’utilisation d’indicateurs et l’usage de sources peu employées, surtout de sources

orales. Enfin, le besoin d’approches multidisciplinaires dans la recherche comme dans la création des

politiques et programmes pour les pêches artisanales est unanimement mis en avant.

De même, il y a plusieurs définitions qui essayent de classer la pêche artisanale, entre autres, celle de

la Superintendance pour le Développement de la Pêche, qui a comme critère distinctif le tonnage brut

de jaugeage des bateaux (TBA) : appartiennent à la pêche artisanale les bateaux inférieurs à 20 TBA,

comme décrit dans SUDEPE (1986) apud Cavalcante (2011).

Pour Diegues (1973), les pêcheurs artisanaux sont ceux qui, dans la capture et le débarquement de

toute classe d'espèces aquatiques, travaillent seuls ou utilisent de la main d'œuvre familiale ou non

salariée, en exploitant les milieux écologiques situés à proximité des côtes. Par conséquent, en général,

le bateau et l'équipement utilisés possèdent peu d'autonomie. Diegues prend donc en compte

l’équipement à bord et la forme de rémunération entre les membres de l’équipage comme éléments                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                            un but d’autoconsommation.  

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clés pour définir l'activité de pêche artisanale.

La définition selon la Loi 11.959/2009 est que la pêche artisanale est pratiquée directement par un

pêcheur professionnel, de forme indépendante ou dans un régime d'économie familiale, avec des

moyens de production propre ou moyennant un contrat de partenariat, en pouvant utiliser des bateaux

de petite taille. Conformément à cette loi, qui réglemente les activités de pêche dans tout le territoire

national brésilien, sont considérés comme activités de pêche artisanale : les travaux de confection et de

réparations d'outils et d’engins de pêche, les réparations réalisées dans des bateaux de petite taille, et le

traitement du produit de la pêche artisanale.

Encore selon la loi nº 11.959 du 29 juin 2009, les pêcheurs sont partagés selon les catégories suivantes

: pêcheur professionnel (classé comme artisanal ou industriel), apprenti de pêche, armateur* de pêche,

aquiculteur, et entrepreneur qui commercialise des organismes aquatiques vivants.

De même, selon la loi de l'Etat nº 0142 de 1993, qui institue la politique de pêche dans le territoire de

l'État de l'Amapá, on entend par pêche artisanale un secteur de production et un mode de vie, dans

lequel les pêcheurs ont les caractéristiques suivantes : ils sont indépendants et participent à la capture,

seuls ou en partenariat, détenteurs de leurs moyens de production, utilisent des technologies non

prédatrices qui permettent une pêche rationnelle et sélective, et dont le revenu découle en quasi-totalité

de la pêche, malgré quelques activités complémentaires saisonnières.

Finalement, selon Silva et al. (2011), on entend par pêche artisanale la modalité de pêche réalisée à

l'exemple de la petite production marchande. Il s'agit d'une pêche réalisée avec des technologies de bas

pouvoir prédateur, prise en charge par des producteurs indépendants, en employant une main d’œuvre

familiale ou du groupe de voisinage.

Dans cette étude, la définition de pêche artisanale prise en compte repose surtout sur la proposition de

Diegues (1973), puisque c'est la définition la plus utilisée et adéquat pour des études anthropologiques

auprès des communautés de pêcheurs au Brésil.

IV) Les migrations dans les sociétés de pêcheurs

« L’analyse des processus de migration conduit à distinguer migrations de populations et migrations

de pêche, stratégies migratoires et stratégies de pêche. On observe des spécialisations ethniques

(‘pêcheurs nomades’), des modes particuliers d’organisation en aval, avec un rôle plus ou moins

important des familles dans la mise en œuvre de l’activité en migration. Ces pêcheurs migrants

entretiennent des relations parfois, mais non toujours, conflictuelles avec les communautés du lieu de

migration » (Durand et al., 1991, p. 22).

Un très grand nombre de communautés de pêcheurs à travers le monde effectue des migrations. Ces

migrations peuvent être temporaires ou durables, limitées dans l’espace ou de grande ampleur, seules

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ou accompagnées (Durand et al., 1991).

Quand le poisson manque ou que la pêche cesse de compenser économiquement dans une telle zone,

bien souvent, le pêcheur doit choisir entre l'abandon de l'activité ou l'émigration (Souto, 2003). La

question de la mobilité dans la pêche est complexe : comparativement d'autres marchés de travail, le

secteur de la pêche a des caractéristiques spécifiques c'est une activité extractiviste12 et aléatoire

d'exploration des ressources halieutiques. Ces facteurs de production en cause, notamment le travail,

entre la mer et le capital c'est évident que ce dernier a sa mobilité réduite pour ne pas pouvoir

déménager la production à d'autres lieux où les conditions soient plus favorables. D'autre part, au

contraire de la terre, le facteur de la mobilité des ressources halieutiques crée des prédispositions pour

une mobilité plus grande du facteur travail et pour une mobilité relativement restreinte du facteur

capital, qui s'ajoute au risque de la garantie de retour de l'investissement (Oliveira, 2011).

Les ressources halieutiques sont mobiles, en créant des moyens de production et des relations sociales

différentes de l'activité agricole ou d'autres activités transformatrices. A cause de cette mobilité, tant

l’emploi que le capital doivent s’adapter à ces conditions : les deux doivent 'se déplacer'

géographiquement (Oliveira, 2011).

Les raisons qui expliquent les mouvements migratoires des communautés de pêcheurs, comme la

recherche de meilleures conditions de vie que celles de leur lieu d'origine, sont, dans l'essence,

similaires à celles des autres communautés. Les communautés de pêcheurs se distinguent par l’origine

de leur revenu qui provient essentiellement du milieu aquatique, par le partage d’un même territoire de

pêche, et par une présence et une accessibilité changeantes dans l'espace et dans le temps. À cette

motivation primordiale s'ajoutent d'autres en rapport avec l'industrialisation de la pêche, notamment

dans la période de développement de l'industrie de transformation des ressources halieutiques (Souto,

2003).

Toutefois, les déterminants de ces migrations sont bien diverses : si les mouvements de la ressource

peuvent expliquer les déplacements de pêcheurs, il fut reconnu que cette cause était très partielle. Les

raisons extérieures à la ressource qui sont aussi à l’origine de ces migrations sont les difficultés de

commercialisation des produits de la pêche, l’absence de possibilité d’accéder à la terre (pression

foncière), la pression démographique et l’inconvertibilité de la monnaie de la zone d’origine des

pêcheurs (Durand et al., 1991).

Dans le cadre particulier de cette étude, pour évaluer le « degré » de migration, des informations sur

l'acte de migrer du pêcheur ont été analysées. Nous avons alors défini trois types de migration. Nous

                                                                                                                         12 Le terme extrativisme, en général est utilisé pour désigner toute activité de prélèvement de produits naturels, soit d'origine minérale (extraction de minéraux), animal (peaux, viande, huiles), ou végétal (bois, feuilles, fruit).

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parlerons de migration complète lorsque le pêcheur a migré avec sa famille ou a constitué une famille

dans la ville d'accueil, qu’il possède des biens immobiliers dans cette ville, qu’il n’a pas laissé des

biens immobiliers ou des moyens de production dans son village d'origine. Une migration partielle

sera une migration caractérisée par le fait que le pêcheur a laissé des moyens de production ou des

biens immobiliers dans le village d'origine. Et, finalement, une migration temporaire sera constituée

lorsque le pêcheur n'a pas de racines dans la ville d'accueil, comme une famille, des moyens de

production ou des immeubles à lui-même.

B. Contexte de la pêcherie locale

I) La pêche en Guyane

La pêche dans l’Outre-mer français est une activité traditionnelle essentielle pour l’équilibre

économique et social, ainsi que pour l’aménagement du territoire, en apportant à la France 97 % de sa

zone économique exclusive (ZEE), même si elle ne représente que 17 % de la superficie de la France

entière, où habitent 2 500 000 personnes, soit 4% de la population. Néanmoins, le Conseil économique

et social ne peut que souligner le décalage qui existe entre l’importance de la ZEE française et la faible

activité de pêche au départ des collectivités ultra-marines. Selon d’Aboville (2007, p.I-25), « la pêche,

pratiquée dans un objectif de développement durable, est une chance pour l’Outre-mer français et

pour la France, par la création de richesses et d’emplois qu’elle offre. Elle permet également

d’affirmer la présence française dans sa zone économique ».

Dans l'Outre-mer, la pêche est souvent vivrière et artisanale, avec un potentiel de développement pour

répondre à la demande locale de produits de la mer, ainsi qu’à l’exportation, particulièrement vers

l’Union européenne, qui importe environ 60 % de son poisson. Pourtant, la production halieutique en

Outre-mer reste méconnue, peu encadrée et peu contrôlée. Cela est dû au fait que la plupart de la

production est destinée à l’autoconsommation ou écoulée dans des circuits de commercialisation qui

ne sont pas organisés. Par conséquent, le suivi statistique fait par des organismes de contrôle ne

correspond pas aux chiffres déclarés par les pêcheurs (d’Aboville, 2007 ; AFD, 2011).

Selon l’accord établi entre les États membres de l’Union européenne au sommet de Johannesburg, en

2002, la pêche doit être une activité durable, permettant aux stocks de poissons de se reproduire dans

des conditions telles que leur niveau de productivité reste le plus élevé possible. Une gestion plus

rationnelle de la ressource halieutique présume alors une bonne connaissance de son fonctionnement,

notamment des ses prélèvements, ce qui n’est pas le cas dans l'Outre-mer français, en raison de la part

très importante de la petite pêche vivrière et de l’absence d'un marché organisé (FAO, 1995 ;

d’Aboville, 2007).

La Guyane, le plus vaste des DOM, est située à plus de 7 000 km de la métropole, possède 83 534 km2

et une façade maritime de 350 km. Sa zone économique exclusive (ZEE) s'étend à 130 000 km2 et sa

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situation près de l’Équateur lui confère un climat équatorial humide. À l’exception de la bande

littorale, formée de savanes, la Guyane est couvert à 90 % de forêt tropicale dense. Le plateau

continental est très riche en crevettes et poissons et pourtant, ce potentiel halieutique est

insuffisamment exploité : il y a plus de 200 espèces répertoriées par l'Ifremer dans la côte guyanaise

qui ne sont pas ou très peu pêchées par ses habitants, même si la pêche représente la troisième activité

économique de la Guyane après l’industrie spatiale et l’extraction de l’or, et sa production totale

s’élève à 6 100 tonnes représentant une valeur de 20 millions d’euros (Knockaert, 1991 ; d’Aboville,

2007).

La Guyane possède environ 140 navires de pêche : 51 chalutiers crevettiers et plus de 90 navires de

pêche artisanale, en employant environ 500 marins actifs, dont la plupart sont des migrants originaires

essentiellement de la Guyana, du Suriname et du Brésil. Cependant, la pêche guyanaise présente, de

prime abord, les aspects d’une filière en difficulté : les pêcheurs sont mal organisés à cause de

l’étroitesse du marché, de la forte économie parallèle illégale et de la faible capacité d’achat des

mareyeurs locaux. En plus, la Guyane connaît actuellement une agressive pêche illégale qui, depuis

plusieurs années, s'est fortement accrue dans le département, menaçant la pérennité de la ressource

halieutique et tout un secteur économique qui demeure dynamique et porteur d'avenir (d’Aboville,

2007 ; Le Monde, 2013).

Ce problème est intimement lié à la situation géographique du pays, car ces « incursions » sont

principalement le fait de pêcheurs qui viennent des pays voisins, le Brésil et le Suriname. Selon Levrel

(2012), une flottille illégale étrangère de plus de 200 bateaux, originaire pour 60 % du Brésil et pour le

reste surtout du Surinam, aurait pêché entre 4 000 et 8 000 tonnes de poissons par an en 2010 et 2011,

soit plus que la pêche côtière locale qui ne dépasse pas 3 000 tonnes par an avec une centaine de

bateaux sous licence. En ajoutant les prises des années 2010, 2011 et 2012, les autorités ont cependant

saisi quelque 100 tonnes de poissons pêchés illégalement, dont 52 tonnes en 2012 (Le Monde, 2013).

Néanmoins, la Guyane possède plusieurs organismes de contrôle et surveillance de la pêche qui

surveillent la côte par la navigation en mer et par l'observation aérienne : la Marine nationale possède

deux patrouilleurs P400 et deux vedettes. L’armée met à disposition deux hélicoptères et un avion

pour l'observation aérienne ; les douanes françaises possèdent également une vedette. D’autre part

l'Ifremer a mis en place un dispositif d'observation qui permet d’appréhender l’intégralité de l’activité

de la flotte nationale et de comprendre le fonctionnement de l’ensemble du 'système Pêche' : le «

Système d’Information Halieutique » (Levrel, 2012).

La pêche artisanale couvre en totalité les besoins en consommation de la population locale et exporte

plus de 1 800 tonnes de poissons chaque année. La production transformée est de l’ordre de 50 %, soit

1 200 tonnes environ. Toutefois, le marché d’intérêt régional, installé en 2003, voit transiter seulement

400 tonnes environ, en faisant de la concurrence avec le marché parallèle informel. L'expansion de ce

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marché régional requiert la recherche de nouvelles opportunités, notamment vers l’Europe, et la

régularisation des petits navires aux normes européennes (contrôle des apports et sanitaires)

(d’Aboville, 2007 ; Blanchard et al., 2011).

A Saint-Georges, la situation de la pêche n’est pas meilleure : en plus des problèmes listés ci-dessus

comme des freins au développement de l’activité, les pêcheurs doivent lutter contre l'absence d'usine à

glace, les problèmes liés à la conservation du poisson, et le malaise causé par la manque d'espace sur

les petits bateaux de pêche qui les empêche de dormir confortablement.

La flotte artisanale en Guyane est composée principalement de canots créoles, qui sont des pirogues de

mer de sept mètres de long environ, avec deux hommes à bord. Il existe aussi, en plus petit nombre,

des canots créoles améliorés et des tapouilles de douze mètres de long et qui peuvent sortir en mer de

quatre à cinq jours. Selon la Direction de la Mer, il y avait 168 navires immatriculés en 2011 sur

lesquels, d’après le CRPMEM, 92 seulement étaient opérationnels. Ce type de pêche emploie environ

350 marins, dont au moins 85% sont de nationalité étrangère, notamment des Brésiliens (AFD, 2011).

En effet, il y a très peu de pêcheurs ou de « patrons » guyanais qui embarquent : les « fils de la terre13

» sont, la plupart, de simples armateurs* de la pêche artisanale et non des pêcheurs. Souvent, la pêche

est utilisée par les migrants comme un simple moyen d’accéder à un contrat de travail en Guyane. Par

conséquent, cette activité est souvent abandonnée à la suite d'une bonne opportunité de travail

rencontrée (AFD, 2011 ; Blanchard et al., 2011).

Même si le métier de pêcheur est dur et dangereux, et les conditions de travail et de vie sont difficiles,

ces travailleurs, à l'exception des pêcheurs industriels des TAAF (terres australes et antarctiques

françaises), ne sont pas compensés par des rémunérations attractives. Toutefois, la pêche vivrière, plus

présente en Outre-mer qu’ailleurs, contribue à apporter un complément de ressources aux pêcheurs,

qui souvent n’exercent pas que des activités de pêche : la pêche joue alors un rôle de régulation sociale

(d’Aboville, 2007).

Par rapport aux outils de pêche en Guyane, nous pouvons trouver : pour la pêche au vivaneau exercée

par des tapouilles vénézuéliennes, la ligne à main, la palangrotte et des casiers ; pour la pêche aux

poissons blancs côtiers, exercée par des navires de moins de 12 mètres, le filet maillant dérivant de

2500 m maximum (maille de 80 mm) ; et pour la pêche à la crevette, exercée par des chalutiers

congélateurs, des chaluts (AFD, 2011). Le maillage est un élément fondamental pour la sélectivité des

poissons du filet : selon d’Aboville (2007), « des panneaux de mailles différentes sont utilisés pour

laisser échapper les poissons trop petits ou certaines espèces de poissons pêchées accessoirement

avec les espèces ciblées ». Dans la pêche artisanale, les matériels utilisés sont des filets maillants

                                                                                                                         13 Individus nés en Guyane.

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dérivants de 2 500 m maximum et de maille de 80 mm. Dans cette zone il existe aussi la pêche à la

palangre, dont l’opération de mise à l’eau, connu sous le nom de filage, est une démarche très

dangereuse (d’Aboville, 2007 ; Blanchard et al., 2011).

Les espèces de poissons ciblées par les pêches estuarienne et côtière en Guyane sont très diversifiées :

la loubine (Centropomus spp), le mérou (Epinephelus itajara), l’acoupa (Cynoscion spp) et le

mâchoiron blanc (Arius spp). Sur le plateau continental il y a encore l’espadon, le vivaneau et les

crevettes roses ou sauvages. Néanmoins, de nombreuses espèces de poissons, dont certaines pourraient

être davantage valorisées, restent encore mal connues et inexploitées (d’Aboville, 2007 ; Blanchard et

al., 2011).

II) La pêche en Amapá

Considérée comme une des activités principales de la région, la pêche artisanale amazonienne est

remarquable par rapport aux autres régions brésiliennes, tant en mer qu’en eau douce, à cause de la

richesse en espèces exploitées, de la quantité capturée et de la dépendance des populations

traditionnelles par rapport à cette activité. Cette pêche, développée par des peuples amérindiens, est

essentielle pour l'alimentation de la population locale et comme source de revenu, à travers la

commercialisation du poisson dans les marchés régionaux et l'exportation vers le sud du pays et vers

l'extérieur, en comptabilisant environ 400.000 tonnes annuelles (Isaac et al., 1996 apud Lima, 2011 ;

Ruffino, 2004 apud Silva et al., 2011). Néanmoins, le poisson débarqué dans la région Amazonienne

vient de deux types de pêche : industrielle et artisanale, bien que cette dernière soit majoritaire,

correspondant à plus de 90% de toutes les captures effectuées sur la côte de l'État (Barthem et al.,

1987 apud Lima, 2011). Cette pêche régionale, très hétérogène, emploie une diversité de méthodes de

pêche et une main d'œuvre plutôt familiale, en étant majoritairement de subsistance (Lima, 2008 apud

Lima, 2011).

La côte de l'Etat d'Amapá, étendue sur 698 km, est baignée par l'océan Atlantique et représente 10,4%

de tout le littoral brésilien. En plus, elle présente une grande biodiversité et une grande quantité de

poissons, de fleuve et de mer. Par conséquent, la pêche dans le bassin de l’Oyapock présente des

spécificités et caractéristiques distinctes de celle d'autres régions (Silva et al., 2011). La ville

d'Oiapoque, localisée dans l'extrémité nord de l'État de l'Amapá - Brésil, a un grand potentiel

halieutique, lequel exerce un rôle important dans le contexte socioéconomique de la ville, même si,

aujourd'hui, l'activité de pêche est ralentie par la manque d’investissements et l’accès difficile aux

financements auprès des banques comme aux aides auprès du gouvernement (Silva et al., 2011 ;

Cavalcante, 2011). En plus, sa flotte de pêche est traditionnellement de petite taille et avec peu

d'autonomie : cela restreint donc les pêcheurs à la pêche fluviale et côtière, cette dernière étant la plus

significative (Cavalcante, 2011).

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Néanmoins, dans cette zone, les bateaux d'Oiapoque ne sont pas les seuls à pêcher. D'une façon

générale, des bateaux de pêche issus des Etats de l'Amapá, du Ceará, du Maranhão et, principalement,

du Pará sont actifs entre l'embouchure du fleuve Amazone et l'embouchure du fleuve Oyapock, jusqu'à

la frontière avec la Guyane Française (ESTATPESCA, 2006 apud Lima, 2011).

D'après Cardoso (2003) apud Lima (2011), les flottes originaires de l'État du Pará ont un plus grand

pouvoir de pêche et débarquent leur poisson prioritairement dans l'État du Pará et du Maranhão, ou,

avec une moindre fréquence, dans les ports de Santana et de Calçoene. Par conséquent, une bonne

partie de la production de la zone n'est ni comptabilisée dans ses ports ni surveillée, ce qui contribue à

une sous-estimation de la production dans l'État de l'Amapá (Haimovici et al.,2002 apud Lima, 2011).

Selon Barthem (2003) apud Lima (2011), la localisation des ports de l'État du Pará, proches des zones

de pêche et le facile accès aux autres régions du pays par la route, fait que ces ports soient choisis en

priorité pour le débarquement des poissons. En plus, dès les années 60, le gouvernement Fédéral

stimule, sous forme de financements et d’exemption d'impôts, l'accroissement et l'équipement de la

flotte de pêche et des industries de traitement de poisson de la région (Britto et al., 1975 apud Lima,

2011).

D’après Cervigon et al. (1992) apud Lima (2011,) les espèces fréquentes dans la région sont des

poissons de la famille des Siluridés : mâchoiron coco (Bagres bagre), mâchoiron jaune

(Hexanematichthys parkeri), mâchoiron blanc (Arius proops), mâchoiron grondé (Arius grandicassis),

mâchoiron petite gueule (Arius rugispinis) ; des Sciaenidés tels l’acoupa rouge (Cynoscion acoupa),

l’acoupa rivière (Plagioscion spp), l’acoupa aiguille (Cynoscion virescens), l’acoupa chasseur

(Macrodon ancylodon), l’acoupa cheval (Micropogonias furnieri), des Carcharhinidés (requins), et des

mulets (Mugil spp). Dans la ville d'Oiapoque, l'espèce la plus capturée est l’acoupa aiguille

(Cynoscion virescens), avec un pourcentage de 28.07% du total capturé, suivie par l'acoupa rouge,

avec un pourcentage de 22.8%, et par le mâchoiron blanc, avec un pourcentage de 18.39%. L'acoupa

rivière, le mâchoiron coco et les autres espèces moins nombreuses représentent un pourcentage de

13.29%, 9,79%, et 3,16%, respectivement (Cavalcante, 2011).

Concernant le lieu de résidence, la plupart des pêcheurs habitent en ville, à Oiapoque : des 198 fiches

de cadastre qui ont été analysées par Cavalcante (2011), 167 pêcheurs habitaient la ville d'Oiapoque,

12 pêcheurs habitaient le village Taparabú (localisé sur la rive droite du fleuve Oyapock, entre la ville

d'Oiapoque et l'embouchure du fleuve), 4 pêcheurs habitaient dans le village Tapereba-Cassiporé, 4

autres à Vila Vitória, 2 au Sitio Paraiso, 2 à Vila Santo Antônio, 1 seul pêcheur habitait à Vila Velha

do Cassiporé et 1 autre à Clevelândia do Norte. Néanmoins, ces communautés traditionnelles qui se

forment dans des villages et des sites sur les rives du fleuve, souffrent d'un processus de

transformation ces dernières années, comme à Tapereba, qui au cours des dernières années a connu un

exode agricole douloureux suite à la création du Parc National du Cap Orange en 1980 : ce village

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étant inséré dans le parc, les pêcheurs traditionnels ont été expulsés (Cavalcante, 2011).

Des études développées par le CEDRS (2008) dans l'État de l'Amapá confirment un exode agricole et

une décadence socioéconomique des communautés de pêcheurs littorales. Au cours des 15 dernières

années, subissant l’impact de la pêche industrielle des Etats voisins, beaucoup de pêcheurs ont

abandonné leur métier et migré dans les grandes villes. Ils forment des populations faiblement

accompagnées par l'État (Cavalcante, 2011). Tantôt à Oiapoque comme à Saint-Georges, aujourd’hui

les pêcheurs vivent dans de petites unités sociales constituées par des groupes domestiques, où ils

forment « le quartier des pêcheurs », en conservant des savoirs et savoir-faire propres (Furtado, 2006).

Selon Silva et al. (2011), en Amazonie, « les aspects de la relation des pêcheurs avec le territoire vont

au-delà de la signification de subsistance, de travail et d'organisation sociale : elle incorpore aussi la

connaissance profonde de l'environnement, la classification et la nomenclature des ressources

naturelles ». Néanmoins, la croissance de la pêche industrielle et l'exploitation halieutique, avec

l’emploi des nouvelles techniques de pêche, a intensifié la pression environnementale et contribué à

l'avènement des conflits pour l'accès aux zones de pêche, lesquelles deviennent non assurées aux

communautés locales, comme on l'a constaté à Oiapoque.

Comme dans d'autres parties du monde, au Brésil, l'accès à l'espace maritime est libre : même si la

pêche est réglementée, les bateaux brésiliens légalisés peuvent pêcher dans toute la côte du pays.

Pendant les années 60, quand s'est implantée l'industrie de la pêche, l'accès libre aux ressources

aquatiques est devenu un des présupposés basiques pour le fonctionnement des sociétés de pêche

(Diegues, 1983). La flotte subventionnée des grands bateaux de pêche a envahi les secteurs

traditionnellement occupés par la pêche artisanale, en désorganisant ainsi les systèmes traditionnels de

prélèvement des ressources halieutiques. Selon Diegues (2004b), les gestionnaires de la pêche ont

« simplement ignoré » les systèmes traditionnels de gestion existants, en partie invisibles pour ceux

qui sont en dehors du système, et ont imposé des lois bénéfiques exclusivement pour l'inefficace

industrie de la pêche

Pour l’année 2013, Julio Garcia nous informe que la Colonia de pêcheurs Z 03 d'Oiapoque qu’il

préside compte 369 personnes, dont 44 armateurs*, 63 femmes, 262 hommes actifs dans la pêche, et

86 nouveaux arrivants. Dans la Colonia sont aussi enregistrés 180 bateaux et pirogues, qui ne sont pas

tous à jour au regard de la documentation exigée par la Marine Brésilienne. Cette condition

d'irrégularité empêche le pêcheur d’accéder aux aides du gouvernement qui leur sont destinées,

notamment pour la période du defeso*, pendant laquelle les pêcheurs de l'Etat du Amapá reçoivent une

aide à cause d'une interdiction de pêcher, du 15 novembre au 15 mars, les espèces suivantes14 : aracu

(Schizodon spp.), (Leporinus spp.), (Prochilodus nigricans), tambaqui (Colossoma macropomum),                                                                                                                          14 Dans ce paragraphe les noms vernaculaires sont en portugais du Brésil.

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pirapitinga (Piaractus brachypomus), pacu (Myleus pacu.), pacu ferro (Mylossoma spp.), matrinchã/

jatuarana (Brycon cephalus), branquinha (Curimata amazonica, C. inorata, C. tamaz, C. cyprnoides),

curupeté (Utiaritichthys senuaebragai), cumaru (Myleus rhomboidalis), trairão (Hoplias lacerdae),

traíra (Hoplias malabaricus), jeju (Hoplerythrinus unitaeniatus), anujá (Parauchenipterus galeatus),

tamoatá (Holphosternum litoralle), apaiari (Astronotus ocellatus), aruanã (Osteoglossum bicirrhosum)

et tarpão (Megalops atlanticus) ; et du 1 novembre au 31 mars le gorijuba (Sciades parkeri) (MPA,

2013).

Selon le Conseil Pastoral de la Pêche, dans le Pará, Etat voisin de l'Amapá, environ 80.000 pêcheurs

sont enregistrés dans les 71 Colonias de Pêche de la Fédération des Pêcheurs. Néanmoins, ces

pêcheurs, dont les bateaux de pêche sont les plus nombreux sur la zone, s’élèvent à 100.000 si on

ajoute les pêcheurs non-enregistrés (Furtado, 2006). En plus, les subventions des institutions

gouvernementales de l'Etat du Pará permettent à ses bateaux, plus grands que ceux de l'Etat de

l'Amapá, de parcourir la grande distance entre les deux Etats et de réaliser un profit considérable. Or,

l'Etat du Pará n'a pas les mêmes interdictions et lois, et pourtant ses bateaux pêchent sur la côte de

l'Amapá sans être contrôlés ni imposés, tout en causant des conflits et des problèmes

environnementaux comme la surexploitation des ressources halieutiques, malgré les nombreux

organismes de contrôle et de surveillance de la pêche dans la zone, comme l'IBAMA, l'ICMBio, la

Marine Nationale, la Police de Clevelandia do Norte et la Pescap (Silva et al., 2011).

III) La chasse ininterrompue au trésor Amazonien

La rencontre et la coexistence des sociétés de différentes ethnies et origines dans l'histoire de longue

durée de l'Amazonie ont produit une société mélangée culturellement, au sein de laquelle des

expériences, des valeurs et des pratiques dans le quotidien du travail ont été partagées, tout comme les

comportements et représentations relatifs aux ressources environnementales. La présence des

Amérindiens dans la production halieutique et dans l'appropriation et l'usage des écosystèmes, dans

l'histoire de la pêche en Amazonie et jusqu’à présent, est toujours marquante (Furtado, 2006).

Néanmoins, le peuplement amérindien qui a habité la région de l’Oyapock dans la période

précolombienne et postcoloniale reste encore mal connu. Ils sont probablement liés à des migrations

successives de différents groupes repoussés vers l’Oyapock à différentes époques, à la suite de

tensions politiques diverses ou pour d'autres motifs qui nous échappent. Ils sont probablement venus

de l’est de l’Amapá et de l’Amazonie ou du centre de la Guyane française, des Guyanes hollandaise et

anglaise, et de l’Orénoque (Kuahí, 2013).

Les histoires écrites par des voyageurs à partir du XVIIème siècle décrivent cette région comme une

zone de fort échange entre des populations distinctes : au cours des derniers siècles, des migrations,

des fusions de différents groupes, des guerres ou des alliances, ont contribué à la construction de

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frontières floues et mouvantes entre les groupes, des frontières en constante redéfinition.

Actuellement, en raison des politiques amérindiennes du gouvernement du Brésil, de la Guyane

Française et du Surinam, qui ont mis en place des dénominations ethniques distinctes à chaque groupe

amérindien de la région, ces frontières sont devenues plus figées (Gallois et al., 2003).

Les Galibi Marworno, appelés de cette façon à partir de 1980 avec l'intention de se différencier des

Galibi d'Oiapoque, groupe qu’ils n’identifient pas comme de même origine, sont descendants de

peuples Caribe et Arawak. Les Palikur, groupe dont les premiers registres de présence dans la région

sont très anciens, ont été appelés de diverses formes au long des siècles : Parikura, Pariucur,

Paricurene, Paricour, Pariucour et Palicours. Les Karipuna sont un groupe assez hétérogène

aujourd’hui : même si les premières familles qui sont arrivées dans la région du fleuve Curipi, à la fin

du XIXème siècle, s’étaient elles-mêmes nommées Karipuna, d’autres familles de diverses origines ont

intégré ce groupe durant la première moitié du XXème siècle. Les Galibi d’Oiapoque, groupe

descendant des Kali'na de la région du fleuve Mana, sur le littoral de la Guyane Française, ont migré

au Brésil en 1950 : au fur et à mesure qu’ils se sont établis dans le bas Oyapock, ils sont devenus «

Galibi d'Oiapoque » (Gallois et al., 2003). Enfin, les Waiãpi se sont installés récemment, au début du

XIXèmè siècle : ils se seraient installés du côté français, fuyant l'expansion des Portugais qui

capturaient des Amérindiens pour les soumettre à l'esclavage. Avant la persécution des Portugais, ils

occupaient probablement une bande continue de terres entre le haut du fleuve Iratapuru, dans le centre

de l'Amapá, et la marge gauche du fleuve Oyapock, en Guyane Française (Gallois et al., 2003).

Les Amérindiens sont donc présents depuis longtemps dans le bassin de l’Oyapock mais ils ne sont

pas les seuls groupes à s’y être établis pour une longue ou moyenne durée. En effet, pendant plus de

trois siècles les commerçants et colons européens, principalement anglais, français et hollandais

venaient commercer ou s’installer sur l’Oyapock, attirés par la nature exubérante et par la richesse en

or (le Mythe de « l’Eldorado15 »). Les Anglais ont été, d’après les sources historiques connues, les

premiers européens qui sont arrivés dans la zone en 1604 : ils essayent de fonder une colonie sur la

rive gauche de l’Oyapock. En 1607, les Français tentent également d’établir une colonie sur

l’Oyapock, en vain. Les Hollandais sont les plus actifs : entre 1623 et 1625, Jesse de Forest reconnaît

l’Oyapock au nom de la Dutch West India Company. Puis, en mai 1625, des Hollandais fuyant devant

les Portugais installent un fort sur la rive gauche de l’Oyapock. Ils sont chassés par les Amérindiens

(Reis, 1949).

A partir de 1677, avec la prise du fort hollandais de l’Oyapock, les Français occupent la région du

Bas-Oyapock avec plus de succès, même si les pirates (en particulier hollandais et anglais) et les

Amérindiens freinent leurs projets (Reis, 1949). Durant le XVIIIème et XIXème siècle, les Français                                                                                                                          15 L'Eldorado (de l'espagnol el dorado : « le doré ») est une contrée mythique d'Amérique du Sud supposée regorger d'or.

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s’installent dans le Bas-Oyapock, et malgré la construction du fort Saint-Louis en 1725, la création de

la mission jésuite en 1727 se déroule dans un climat d’insécurité. La construction du fort n’empêche

pas, en effet, les incursions portugaise et anglaise. En 1726, les Portugais tentent de s’établir à la

Montagne d’Argent, mais ils sont repoussés. Puis en 1744 un corsaire anglais, Siméon Potter,

s’empare du fort Saint-Louis et met en fuite les Amérindiens, alliés des Français (Kuahí, 2013).

Les Français s’installent une nouvelle fois dans le fort et, en 1776, fondent la Compagnie de la Guyane

française, concessionnaire du Bas-Oyapock, de l’Ouanary et de l’Approuague, laquelle fait faillite en

1783 et renaît sous le nom de « Compagnie de la traite de la gomme du Sénégal ». Dans les années

1790 les habitations16 de la compagnie comptent plus de trois cents esclaves noirs.

En 1848 l’abolition de l’esclavage va bouleverser l’économie de plantation en Guyane, en même

temps que la ville de Saint-Georges est créée en tant que bagne, qui ne durera que jusqu’à 1865. Puis

en 1887, la première ruée vers l’or cause une arrivé massive de migrants à Saint-Georges. Au même

moment, les Saramaka, peuple bushinengue du Surinam, arrivent dans la zone et se spécialisent dans

la navigation (Perez et Archambeau, 2012).

A partir de 1920 le gouvernement brésilien décide de peupler la région proche de la ville de

Martinique (ancien nom d’Oiapoque), en y implantant des colons venus du sud. Le municipio*

d’Oiapoque est créé en 1945, mais l’État fédéré d’Amapá n’est séparé du Pará qu’en 1988. À partir de

1992 sont constituées les Réserves Amérindiennes Galibi, Juminã et Uaça sur le municipio*

d’Oiapoque, ce qui va engendrer de nouvelles migrations d’Amérindiens vers ces terres. Depuis, la

Guyane a également accueilli des réfugiés politiques Hmongs du Laos, des migrants chinois, indiens,

javanais, haïtiens, surinamais et cela fait une décennie que la migration des Brésiliens vers la Guyane

s’intensifie, le point de passage étant justement situé au niveau de la frontière fluviale de l’Oyapock.

IV) L’histoire migratoire de nos jours : les enjeux de l’euro et du poisson

En servant encore aujourd'hui de point de passage d’orpailleurs et de clandestins pour la Guyane

française, Oiapoque a acquis le statut de ville « libérale », avec beaucoup d'activités illégales. Dû à son

isolement géographique, le bassin de l’Oyapock s'est constitué comme une terre pour des pionniers,

des aventuriers et des fugitifs (Hazeu et al., 2012).

Les mouvements pendulaires de Brésiliens vers Cayenne et de Guyanais vers l'Amapá, datent des

années soixante. Mais si d’un côté les Brésiliens, pour la plupart originaires des Etats du Maranhão, du

Pará et de l’Amapá, se dirigent vers la Guyane française toujours à la recherche de travail et dans

l'espoir d'accéder à un revenu et une vie meilleurs, permis par une monnaie plus forte. Quant aux

Français, ils arrivent à Oiapoque à la recherche de divertissement et de marchandises, dont les prix

                                                                                                                         16 En Guyane « habitation » désigne une plantation esclavagiste.

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sont favorisés par le taux de change (Nascimento et al., 2008).

Des nombreux migrants brésiliens passent des mois dans la ville d’Oiapoque. Ensuite, quelques-uns

réussissent à passer du côté français ou s'en vont vers une autre destination, tandis que d'autres restent

dans la ville et commencent à constituer une identité locale (Silva et al., 2006).

Selon Piantoni (2011, p. 26), « migrer par choix ou par contrainte, constitue le dessein d’une ou

plusieurs vies », dont les représentations, le désir d’ailleurs et l’aspiration d’élévation sociale et

économique, sont souvent une projection des prétentions des anciens de la famille. Mais si le départ

est conditionné par des déterminants multiples (individuel et collectif) à toutes les échelles (locale,

régionale, internationale), le parcours est simplement construit au gré d’itinéraires eux-mêmes

construits par le biais des réseaux sociaux de solidarité, de subordinations et de concurrences, qui ne

dégagent une cohérence qu’à posteriori.

Ayant eu recours à l’immigration dès sa construction territoriale, liée aux faits de la colonisation, du

processus postérieur de décolonisation, et finalement par le besoin de main d’œuvre, la Guyane

française illustre parfaitement les dynamiques migratoires à l’échelle mondiale durant une longue

période de temps : si les déplacements des populations du XVIIIème au XIXème siècle, qui ont construit

une société multiculturelle, avec une identité sociale originale, étaient lents et irréversibles, aujourd'hui

les migrations sont accélérées et réversibles. Cependant, si la Guyane est actuellement une zone

fortement attractive pour les migrants issus des alentours, cette situation ne date que du milieu des

années 1960 (Arouck, 2000 ; Piantoni, 2011).

Ainsi, la Guyane est confrontée à une immigration proportionnellement importante, comparable à celle

des pays à revenu national brut élevé (Europe, Amérique du Nord) : environ 37% de la population

totale est constituée d'étrangers, tout en sachant que 63% de ces immigrants sont en situation

irrégulière. Les représentations que les migrants se font du mode de vie des Guyanais, qu’il rapproche

de ceux des pays riches, comme l'accès à l’éducation, à la santé, aux minima sociaux et à la stabilité

politique, rendent la région très attractive. Cependant, la Guyane se caractérise par des indices

attribués aux pays pauvres, comparable à ceux des Etats dont sont originaires ses immigrés (Piantoni,

2011). Or, les migrants légaux qui arrivent en Guyane ont accès aux services d’éducation et de santé

en toute gratuité ; services qui ne sont pas disponibles ou de très mauvaise qualité dans leur pays

d’origine.

Encore selon Piantoni (2011, p. 26), « la dynamique des relations sociales, les rapports à l’altérité et

les échanges économiques entre les habitants de la Guyane vont reposer sur la confrontation entre

deux systèmes que ne porte aucune logique ancrée dans la réalité : l’un issu des pays à PIB par

habitant les plus élevés de la planète (Europe) et l’autre issu des plus pauvres (notamment Suriname

et Brésil). Elle produit non pas un développement partagé, mais une société inégalitaire dont la

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condition migratoire est un révélateur ».

Parmi les nationalités étrangères recensées en Guyane depuis les années 1980, environ 80% sont des

Haïtiens, des Brésiliens et des Surinamais, dont le projet d’émigration constitue suivent une garantie

de sécurité et de survie économique. Au Brésil, la mobilité entre les Etats fédéraux du bassin

amazonien, dont les modèles économiques extractivistes impliquent une mobilité important de la

population rurale, est fortement liée aux flux migratoires vers la Guyane, même si plus faible que la

migration entre Etats : l’attractivité du système monétaire, les opportunités de travail dans le secteur

primaire et secondaire, et l’orpaillage, font de la Guyane une destination de migration rêvée (Pinto,

2008 ; Piantoni, 2011 ; Soares et al., 2011).

Néanmoins, ces migrations, notamment de clandestins, se font dans un contexte de pauvreté, d’accès

réduit à la ressource, de sous-emploi et d’économie informelle, dont les conséquences socio-

économiques négatives sont infligées tantôt aux immigrants comme au pays d'accueil : on y voit une

exclusion et une marginalisation des immigrants, ainsi qu'une dégradation de la moyenne salariale

dans les espaces d'immigration illégale et une sous-traitance du travail (Piantoni, 2011 ; Soares et al.,

2011).

En plus de ces migrations, se surajoutent les vagues migratoires provoquées par la création des sites

environnementaux protégés et des réserves amérindiennes dans tout l’Etat d’Amapá. A Oiapoque, ces

vagues furent causées par le Parc National du Cap Orange et par les terres amérindiennes Juminã,

Galibi et Uaçá.

V) Les territoires protégés dans la zone

Toute la région du bas Oyapock, y compris le bassin du fleuve Uaçá et leurs affluents, est une zone de

frontières dans plusieurs sens : frontières entre des zones fluviales et maritimes, entre zone littoral et

intérieur des terres entre marais et forêt, entre chaleur équatoriale et brise des moussons océaniques,

des frontières entre des nations, des villes et des zones de protection environnementale. C’est le cas de

la ville d'Oiapoque, où le Parc National du Cap Orange et les terres amérindiennes Juminã, Galibi et

Uaçá forment une zone continue de sites protégés, en les séparant du reste du territoire (carte 2).

Ces sites protégés concernent un territoire exceptionnellement vaste et riche pour la pêche : ils

forment, ensemble, des « berceaux de reproduction » des espèces et des refuges pour les poissons, et

sont très accessibles pour les pêcheurs d'Oiapoque (dû à leur proximité de la ville). Néanmoins, ils ont

une réglementation spécifique en matière de pêche, ce qui conduit à des conflits fréquents entre

pêcheurs de la zone et gestionnaires publics, et restreint énormément le territoire destiné à la pêche

légale.

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Carte 2 : Territoires protégés dans la zone d'étude.

Les terres amérindiennes de l’Etat, délimitées et homologuées par décret présidentiel depuis octobre

2002, représentent 8,6% de tout le territoire, soit 140 276 km² et hébergent plusieurs ethnies comme

les Galibi d’Oiapoque, les Karipuna, les Palikur, les Waiãpi et les Galibi Marworno. Dans ces terres

amérindiennes, l'accès est réservé aux peuples amérindiens (ISA, 2013).

L’intérêt des sites amérindiens au Brésil résulte du fait de que ce sont des territoires qui « permettent

la reproduction des modes de vie amérindiens qui, étant liées à la diversité inhérente des forêts

tropicales, sont généralement bénéfiques pour la maintenance des forêts et pou l’équilibre des

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écosystèmes qui fournissent à toute l’humanité des services environnementaux fondamentaux » (ISA,

2013).

La réserve Galibi, homologuée depuis 1982, possède une surface de 6.689 hectares et héberge 130

habitants, des ethnies Galibi d’Oiapoque et Karipuna. La réserve de l’Uaçá, la plus grande et plus

importante d’Oiapoque, possède un territoire de 470.164 hectares où vivent 4.462 habitants, des

ethnies Palikur, Galibi Marworno et Karipuna. Enfin, la réserve de Juminã, avec 41.601 hectares,

abrite 61 habitants, des ethnies Galibi Marworno et Karipuna (ISA, 2013).

A côté des réserves amérindiennes, localisées à l'extrémité nord de l'Etat de l'Amapá, à la frontière

avec la Guyane Française, le Parc National du Cap Orange (PNCO) a été créé par le Gouvernement

Fédéral de Brésil, par le décret nº 84.913 du 15 juillet 1980. Le parc est constitué d’un territoire de

619.000 hectares, comprenant une partie des villes de Calçoene et d'Oiapoque (les villages de Cunani

et de Tapereba). Il possède encore une bande de mer d'environ 200 km d'extension et 10 km (6 milles)

de largeur, placée entre les villes d'Oiapoque et de Calçoene, où la pêche est restreinte (IBAMA,

2007).

Le PNCO est la plus grande zone marine de protection intégrale au Brésil, et assure l'intégrité d'un des

plus importants et fragiles écosystèmes de la planète : les mangroves (Silva et al., 2011). La mangrove

est un écosystème de marais maritime ne se développant que dans la zone de balancement des marées

des côtes basses des régions tropicales. On trouve aussi des marais à mangroves à l'embouchure de

certains fleuves, comme dans le cas du Cassiporé. Ces milieux particuliers, en règle générale,

procurent des ressources importantes (forestières et halieutiques) pour les populations vivant sur ces

côtes, vu qu’ils sont parmi les écosystèmes les plus productifs en biomasse de notre planète. Pour cette

raison, les mangroves du PNCO sont des berceaux de reproduction et de croissance de diverses

espèces de crustacés et de poissons (IBAMA, 2007).

Néanmoins, dans les zones qui entourent le PNCO et à l'intérieur du parc lui même, il y a une grande

pression de la pêche industrielle de navires originaires de l’Etat du Pará (Belém, Bragança et Vigia),

de bateaux originaires de l’Etat du Amapá et, dans une moindre mesure, de bateaux d'autres États

fédérés de Brésil (Silva et al., 2011).

En plus, les deux Parcs Nationaux de l'Amapá, le Cap Orange et le Tumuc Humac, qui sont des zones

de protection intégrale de l’environnement, exercent une forte pression sur les activités économiques

d'Oiapoque par les restrictions d'utilisation du territoire qu'ils imposent. Ceci a produit des conflits

directs avec les acteurs du bois et de la pêche, notamment en ce qui concerne les zones de pêche des

anciens habitants du PNCO (Silva et al., 2011).

L'ICMBio (2011), responsable du contrôle et de la surveillance dans le PNCO, indique que l’institut

vit une situation complexe par rapport à l'application de la législation environnementale. En tant

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  36  

qu'institution responsable de la gestion des zones protégées, il lui revient de faire valoir les

dispositions de la Loi 9.985, du 18 juillet 2000 instituées par le SNUC17. Dans sa mission

institutionnelle de protection de la nature, la restriction de la chasse et de la pêche, de la capture de

chéloniens, la coupe du bois et les interdictions d'incendies de forêt, ont modifié fortement les activités

des communautés d’Oiapoque, surtout des villages de Vila Velha do Cassiporé et de Tapereba. Ce qui

donne lieu à une situation de conflit entre cette agence, chargée de l'application de la législation, et une

partie de la population locale, liée à l'activité de pêche (Silva et al., 2011).

Selon Júlio Garcia, le président de la Côlonia des pêcheurs d'Oiapoque, la législation

environnementale et les interdictions de la pêche dans la zone du PNCO ont nui significativement au

secteur halieutique. Ceci car les bateaux des pêcheurs d'Oiapoque sont de petite taille, ce qui les

empêche de naviguer au delà de la limite du Parc, située à 200 milles des côtes (Silva et al., 2011).

Cependant, le manque de conditions techniques de l'ICMBio pour surveiller systématiquement la zone

côtière d’Oiapoque (vedettes, combustible, personnel) empêche un contrôle efficace (Silva et al.,

2011).

Pour traiter une partie du problème créé entre l'institution et les pêcheurs, l'ICMBio a établi un quota

quotidien pour les bateaux d'Oiapoque, principalement dans l'embouchure du fleuve Cassiporé, où il

existe une quantité significative de poissons (Silva et al., 2011). Par conséquent, la pêche dans la zone

du parc est temporairement autorisée pour les pêcheurs d'Oiapoque, grâce à un terme d'engagement

signé en 2007 entre l’IBAMA et la Colônia* CPO-Z3 (CEDRS, 2008). Cet accord permet qu’une

quantité de bateaux enregistrés dans la Colônia* CPO-Z3 soient autorisée à pêcher dans la zone du

parc : seulement 20 bateaux sont autorisés à pêcher en même temps, et ne peuvent le faire que pendant

10 jours. C'est-à-dire que tous les 10 jours, la pêche est permise à un maximum de 20 bateaux.

L'établissement des sites protégés sur des territoires appartenant aux communautés littorales touche

négativement le mode de vie des pêcheurs artisanaux. Beaucoup de ces sites dans les régions côtières

étaient et sont encore habités par des pêcheurs artisanaux, qui ont développé des formes spécifiques

d'appropriation des ressources de la mer. Fréquemment, les forêts associées aux écosystèmes littoraux

sont conservées non parce qu'elles ont été incluses dans des parcs nationaux, mais surtout parce

qu'elles étaient habitées par ces communautés, considérées comme traditionnelles. Pourtant, la

législation brésilienne prévoit l'expulsion de ces pêcheurs artisanaux de leurs territoires ancestraux au

profit de la préservation (Diegues, 2004b).

                                                                                                                         17 Le Système National d'Unités de Conservation (SNUC) est l'ensemble d'unités de conservation (UC) fédérales, de l'Etat et municipales.

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3. Résultats et Discussion

A. Dynamique des migrations et de transmission de savoirs des pêcheurs dans la zone

I) Déterminants migratoires

Plus que dans tout autre moment dans l'histoire, le monde actuel semble être en convulsion. Des

nouveaux modèles de production et des changements dans le marché ont impacté de façon définitive

les relations de travail. En même temps, différentes façons d’envisager la vie émergent de manière

vigoureuse. Encore dans cette perspective de changements, les migrations de travail, d'une façon

générale, augmentent significativement au début du XXIème siècle, comme vu par Piantoni (2011).

C'est le cas de notre petite zone d'étude, l'Oyapock.

Les pêcheurs de la zone sont venus en cherchant soit une vie meilleure (santé, éducation et bons

revenus), comme c’est le cas pour la plupart des pêcheurs interviewés à Saint-Georges et à Oiapoque,

soit une zone meilleure pour la pêche. Certains ont également subi des migrations forcées comme dans

le cas des pêcheurs originaires de Cassiporé, expulsés de leurs terres à cause de la création d'un parc.

L'imaginaire de l'Eldorado est présent jusqu'à nos jours : si l'image d'une source qui régurgite de l'or a

été démystifiée il y a longtemps, on garde toujours l'impression d'une terre préservée, pleine de

ressources naturelles et riche d'opportunités, due a sa localisation frontalière avec la Guyane.

Néanmoins, le profil des pêcheurs immigrés dans cette zone sont très variables : ils sont arrivés à

différentes époques, et ils se distinguent par leur âge, leurs origines et leurs métiers, comme constaté

aussi par Cavalcante (2011).

Aussi bien à Oiapoque qu’à Saint-Georges, la plupart des pêcheurs interviewés sont nés entre 1970 et

1980, constituant une population dont la moyenne d’âge se situe autour de 40 ans (graphique 1). Ces

migrants sont arrivés principalement dans les années 90. Néanmoins, il y a eu plusieurs vagues de

migrations à différentes époques, qui avaient différentes origines : les pêcheurs venus dans les années

80 et 90 ont accompli des migrations complètes ou partielles, tandis qu'à partir de 2000 ce sont plutôt

des migrations temporaires dans notre échantillon18. À Saint-Georges il y a une variable

supplémentaire : les anciennes migrations, correspondent à ceux qui sont aujourd'hui des propriétaires

armateurs*, tandis que les migrations récentes correspondent aux marins pêcheurs, pour ceux qui sont

en situation régulière dans le territoire, et aux réparateurs de filets, pour ceux qui attendent leurs titres

de séjour.

                                                                                                                         18 Voir page 22

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Graphique 1 : Année de naissance des pêcheurs de l'Oyapock.

. L’origine des pêcheurs.

Intéressons-nous maintenant à l'origine des pêcheurs installés sur le bassin du Bas-Oyapock : d'où

viennent-ils ? Peut-on isoler des foyers de migration ? Les enquêtes menées à Oiapoque révèlent que,

parmi les 25 pêcheurs interviewés, 11 viennent de la zone du Cassiporé (les villes situés dans le Parc

du Cap Orange), dont 8 de Taperebá et 3 de Vila Velha ; 8 de l'Etat du Pará, et plus précisément des

villes de Vigia, Taituba, île de Marajó, Santarem Novo, Belém et Ourem ; 2 sont originaires de

l'intérieur de l'Etat d’Amapá, réparties entres les villes de Ferreira Gomes et Calçoene ; et, finalement,

1 unique pêcheur de l'Etat du Maranhão, de la ville de Corurupu (graphique 2). Ces données sont en

accord avec l’étude faite par Cavalcante (2011).

Néanmoins, les données concernant les pêcheurs interviewés à Oiapoque et à Saint-Georges seront

traitées et analysées ensembles dans la plupart des résultats et discussion de ce mémoire, dû au fait que

la plupart d’entre eux ont les mêmes origines et parcours. En plus, Oiapoque et Saint-Georges, étant

des cidades gêmeas*, ont des caractéristiques socio-culturelles indissociables et fortement liées au

contexte global de la zone, une ville étant fortement dépendante de l’autre.

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Graphique 2 : Ville d'origine des pêcheurs à Oiapoque.

À Saint-Georges, l’origine des pêcheurs est plus diversifiée : parmi les 14 pêcheurs interviewés, 5

viennent du Pará, et plus précisément des villes de Vigia, Belém, Santa Isabel, Bragança et Muaná, 4

viennent de l'intérieur de l'Etat d’Amapa, dont 1 de Taparabu, 2 de Bailique et 1 du municipio

d'Amapá, 2 de l'Etat du Maranhão, des villes de Candido Mendes et Carutapera , 1 vient de la région

du Cassiporé, l'autre de Cayenne et, finalement , il y avait 1 Péruvien originaire d'Iquitos (graphique

3). Ces villes d’origine ont une caractéristique en commun : elles sont toutes des villes littorales ou

fluviales, où la pêche est une activité socio-économique importante, même si, actuellement, la

production diminue fortement en raison de la diminution de la ressource, qui contraint les pêcheurs à

migrer de plus en plus vers de nouvelles zones de pêche. Dans la carte 3 on peut voir les villes

d’origine des pêcheurs de Saint Georges et d’Oiapoque.

Ce cadre de migrations, comme dit ci-dessus, est une conséquence du contexte national de répartition

des ressources halieutiques : l'augmentation de la crise dans le secteur de pêche s'aggrave

considérablement chaque année avec l'effondrement et la surexploitation d'espèces marines, ce qui

touche directement les populations de pêcheurs qui dépendent de ces ressources pour leur survie,

sécurité alimentaire et réduction de la pauvreté. La destruction d'écosystèmes qui ont une haute

productivité est une conséquence qui a accompagné le déroulement du projet de modernisation du

secteur de pêche au nord-est et nord du Brésil, en contribuant à la réduction du poisson situé près de la

côte, notamment dans l'Etat du Pará, du Maranhão et du Ceará. Par conséquent, les pêcheurs de cette

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zone ont une tendance à se déplacer vers les zones encore productives les plus proches : l'Amapá.

Graphique 3 : Ville d'origine des pêcheurs à Saint-Georges.

Carte 3 : Villes d'origine des pêcheurs de Saint-Georges et d'Oiapoque (bleu : Pérou ; vert : Guyane ; jaune : Amapá ; rose : Pará ; rouge : Maranhão).

Voici comment un pêcheur explique les raisons des migrations vers l’Oyapock :

« À partir du Cassiporé, la pêche est meilleure... à Belém c'est devenu difficile... c'est pourquoi les

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pêcheurs viennent tous ici maintenant... pour pêcher et amener le poisson d'ici... » (Pêcheur 5,

homme de 36 ans, Oiapoque)

. Les parcours migratoires.

Par conséquent, on observe que, de la même manière que pour leur ville d'origine, le parcours

migratoire des pêcheurs qui habitent aujourd'hui dans le bassin de l'Oyapock ne s'éloigne pas trop de

cette région considérée comme « Nord » du Brésil. Les routes empruntées par les migrants passent de

l'Etat du Pará directement vers l’Oyapock, ou à travers plusieurs migrations qui suivent la même

direction (carte 4). Parmi les diverses villes habitées par les pêcheurs on peut distinguer parmi les plus

citées, de la plus lointaine à la plus proche : Vigia, Belém, Macapa, Bailique, Calçoene et Taperebá,

soit des zones connues pour leur rapport important avec la pêche. Le temps passé dans chaque ville

dépend du projet de migration de chaque pêcheur, mais aussi de situations extrêmes qui nécessitent

une migration telles qu’une rupture familiale, une perte ou une offre d’emploi, un conflit et des

menaces de mort.

Carte 4 : Les mouvements migratoires des pêcheurs vers Oiapoque et Saint-Georges et les principales routes empruntées19.

                                                                                                                         19 Distances approximatives calculées à partir de Google Earth entre les villes : Bragança – Belém = 250 km ; Belém – Macapa = 450 km; Belém – Cassiporé = 800 km ; Macapa – Oiapoque = 700 km; Cassiporé – Oiapoque = 160 km.

Cassiporé  Oiapoque  

Saint-­‐Georges  

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Source du fond de la carte : Google Maps.

Les pêcheurs ont une grande mobilité, comme constaté par Diegues (1983) et Furtado (2006),

notamment quand ils n'ont pas de famille, puisque leur activité extractiviste dépend d'une ressource

aléatoire et mouvante dans le temps et dans l’espace. Par conséquent, il n'est pas rare de trouver des

pêcheurs qui suivent le poisson directement, en n'ayant pas de maison fixe à terre : leur maison devient

le bateau sur lequel ils passeront des mois sans retourner à la terre. Dans la région de l'Oyapock, cette

caractéristique se retrouve dans une partie de la population, notamment à Saint-Georges (2 pêcheurs

sur les 25 interviewés à Oiapoque et 3 sur les 14 interviewés à Saint-Georges) :

« Bon bah, je n'ai habité qu’à Vigia, mais j'ai travaillé à Abaetetuba, Castanhal, Bragança,

Ananindeua, Vizeua, Carutapera... » (Pêcheur 25, homme d’environ 40 ans, Saint-Georges)

À la suite de ces aventures, le pêcheur reste généralement dans la région où le bateau est passé et qui

lui a semblé la plus propice à son installation : comme les bateaux pêchent là où il y a le plus de

ressources halieutiques, les pêcheurs finissent par débarquer et s’installer dans cette zone à cause de la

proximité et de la facilité d'accès à la ressource.

Voici comment quelques pêcheurs expliquent leur arrivée dans la zone :

« Je n'avais jamais pensé venir ici, je suis venu par hasard... ça a été à travers mon oncle qui est

venu pêcher ici et puis travailler, et qui m'a dit que c'était bien le travail ici, plus pratique... donc

je suis venu... » (Pêcheur 12, homme de 27 ans, Saint-Georges)

« On venait de Calçoene pour pêcher ici, alors que c'est loin... ici la pêche est plus proche, 5 ou 6

heures et on est là ! Mais à Calçoene ça prend 24 heures... donc, à mon arrivée ici, j'ai commencé

à me faire des amis, il y avait des gens que je connaissais déjà, des gens qui ont grandi avec moi et

sont venus travailler ici dans la pêche aussi, et ils me disaient de rester, de laisser mon ancien

bateau... alors je suis resté... » (Pêcheur 26, homme de 54 ans, Saint-Georges)

« Ils nous ont amené ici, alors je suis arrivé pour travailler et je ne connaissais même pas l'euro...

il correspondait à 3,80 reais... j'ai fait une voyage et j'ai reçu 80 euros... puis quand je suis allé

faire le change, j'avais plein d'argent !!!! Je me suis dit 'ici c'est trop bien !!!' et je suis resté. Ça

fait déjà 7 ans, alors qu'on venait passer que 3 mois... » (Pêcheur 25, homme d’environ 40 ans,

Saint-Georges)

« Ici sur l'Oyapock c'est l'unique zone où la pêche est encore rentable... et c'est aussi plus proche

pour aller pêcher... » (Pêcheur 14, homme de 46 ans, Oiapoque)

Néanmoins, cette condition n'est vraie que si les ressources restent disponibles : à partir du moment où

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la ressource s'est épuisée, le pêcheur reprend sa route. On peut confirmer cette situation à partir des

discours suivants :

« Je suis bien à Oiapoque... je ne pense pas partir pour le moment, mais on ne sait jamais... quand

il n'y aura plus de poisson ici, on devra trouver là où il y en a ! Pour le moment c'est bien...

pendant qu'il y a des poissons, on sera là ! » (Pêcheur 9, homme de 63 ans, Oiapoque)

« Les pêcheurs sont comme ça... ils ne passent jamais trop de temps dans un endroit... là où il y a

des poissons, il va ! Pêcher est un jeu, c'est de la production ! Et c'est plus facile de changer de

ville que de métier... » (Pêcheur 7, homme de 39 ans, Oiapoque)

. Les changements de métier et la recherche d’une vie meilleure.

Hormis les pêcheurs qui suivent le poisson, et pour qui la pêche est vue comme le but de migration

(pour chercher les meilleurs endroits de pêche), on a encore, en plus petit nombre, des pêcheurs pour

qui la pêche est utilisée comme un outil pour réussir leur migration. Ils ont quitté leur ville d'origine en

cherchant une vie meilleure et se sont lancés dans la pêche en considérant que c’était l'activité la plus

rentable et accessible de la nouvelle zone, ou qui leur permettrait de réussir leur intégration dans la

nouvelle société (d’autant que les migrants n’ont pas accès à la terre).

Voici comment les pêcheurs expliquent leur changement de métier :

« C'est parce que la personne travaille dans un autre métier, mais quand elle arrive dans une

nouvelle zone où ce métier n'existe pas, elle va apprendre le métier de l'endroit migré... » (Pêcheur

13, homme de 46 ans, Saint-Georges)

« C'est parce que dans ce quartier que j’habitais ils faisaient juste la pêche... » (Pêcheur 25,

homme d’environ 40 ans, Saint-Georges)

« Bon bah, ici la pêche était la principale activité, alors j'ai commencé à pêcher... » (Pêcheur 11,

homme de 39 ans, Oiapoque)

Une autre raison de migration dans la zone fréquemment évoquée, notamment pour ceux de Saint-

Georges, est la recherche de meilleures conditions de vie :

« Depuis qu'on est arrivé ici, on a bien aimé car c'est mieux pour survivre qu'au Brésil... car là-bas

il n'y a pas d’aides... ici, principalement pour la santé, on a l'assurance à 100% et des aides du

gouvernement... c'est très bien... » (Pêcheur 13, homme de 46 ans, Saint-Georges)

« Quand la famille est née là-bas, les enfants reçoivent de l'argent de l'Etat... je crois que c'est

pour ça qu'ils déménagent... car si c'était juste à cause de la pêche, ils seraient pas restés... »

(Pêcheur 3, homme de 41 ans, Oiapoque)

« Bon bah, c'est avantageux par rapport à l'euro... moins de poissons reçoit un valeur plus grande

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qu'au Brésil... » (Pêcheur 10, homme de 55 ans, Oiapoque)

« Au Brésil l'école n'est que dans la période du matin, alors on ne peut pas contrôler les enfants...

ici c'est facile car l'école dure toute la journée » (Pêcheur 27, homme de 35 ans, Saint-Georges)

Ainsi, l’accès aux soins, à des revenus plus importants mais aussi la prise en charge des enfants sur

l’ensemble de la journée en Guyane sont des raisons souvent mises en avant par les pêcheurs. Ces

raisons ne sont pas en lien direct avec l’activité de pêche et la maîtrise d’un métier, tout comme cette

dernière raison de migration qui elle ne relève pas d’une motivation voulue. En effet, dans les années

90, la ville d'Oiapoque a connu une grosse vague de migration, composée par la population

traditionnelle du Cassiporé, qui s'est faite expulser, déposséder arbitrairement de sa terre, par

l'imposition d'un parc naturel : le Cap Orange. Dans ce cas on peut parler de foyer de migration, car,

après que les chefs de famille aient migré à Oiapoque pour le travail, le reste de leur famille les a

progressivement rejoints.

Selon les pêcheurs, notamment les plus âgés, le gouvernement fédéral a créé le parc sans toutefois

considérer ou chercher à étudier le mode de vie de ses habitants, les problèmes sociaux et

déséquilibres environnementaux qu’ils auraient pu causer lors de cette création :

« Le gouvernement fédéral a transformé plusieurs régions du Brésil en parcs naturels, sans avoir

des connaissances techniques... et donc ils ont porté préjudice aux habitants de ces endroits... il

avait tout là-bas, des écoles, des dispensaires... et le gouvernement a tout retiré ! Pour nous

obliger à venir à la ville ! Et pourquoi faire ? Ils n'ont rien à faire ici... ils n'ont de quoi se nourrir,

ils n'ont pas de condition de maintenir le fils dans l'école... l'Ibama a expulsé les gens sans même

donner des compensations ou des alternatives pour qu'on puisse survivre... Aujourd'hui je vois des

gens qui ont déménagé de la campagne à la ville... ils sont tous dans la drogue, dans la

prostitution... » (Pêcheur 10, homme de 55 ans, Oiapoque)

« Je suis d'accord qu'on doit préserver l'environnement, et moi, j'aide... mais ils se sont oublié les

'hommes de la forêt'... alors que c'était nous qui protégions tout ça... » (Pêcheur 37, homme

d’environ 50 ans, Oiapoque)

II) Le parcours de vie des pêcheurs, leurs pratiques et leurs apprentissages

L’Amazonie est souvent imaginée par les Brésiliens et les étrangers comme une étendue de forêt dense

dépeuplée et victime de dévastation. Néanmoins, à l'intérieur de cet environnement il y a des

communautés qui vivent d’activités extractivistes, de pêche, d’agriculture, qui dépendent de la forêt

pour vivre et survivent sans la détruire. Des forêts, elles extraient des fibres végétales pour l’artisanat,

de l'alimentation, des remèdes naturels, des huiles diverses, du caoutchouc, sans gaspiller ou causer

des dommages irréversibles au fonctionnement de l'écosystème. C’est cela qu'on appelle des «

communautés traditionnelles » au Brésil.

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. Les rapports familiaux dans la pêche.

Sur l'Oyapock, même si la pêche est une activité majoritairement masculine, dans toutes les familles

interviewées l'activité de pêche se développe avec une participation élevée des femmes et des enfants

en âge de travailler, normalement à partir de 7 ans. Cette norme est en conformation avec la définition

sociologique du mot « subsistance », lequel est utilisé par plusieurs chercheurs de la zone pour définir

la pêche locale20 et qui est fréquemment utilisé pour décrire le modèle minimum d'activité physique et

d'efficacité productive qui peut garantir la survie de sociétés organisées autour des noyaux familiaux,

soit les communautés traditionnelles.

L'ampleur de l'engagement familial dans l'activité de pêche affirme son importance dans le contexte

socio-économique et culturel des communautés traditionnelles de l'Amazonie, en rendant possible le

transfert continu des connaissances empiriques des expérimentés vers les plus jeunes de la

communauté, comme constaté aussi par Diegues (1983 et 2004b) dans d’autres communautés.

La durée de chaque sortie de pêche, en moyenne de 10 jours pour Saint-Georges et de 15 jours pour

Oiapoque, subit une légère variation saisonnière, en ayant comme facteur prédominant la fluctuation

du niveau du fleuve, qui provoque des modifications significatives dans l'environnement et dans le

comportement des ressources explorées. À la saison sèche (de juillet à décembre), les sorties de pêche

sont plus longues, contrairement aux revenus comparativement limités de la pêche réalisées à la saison

des pluies (de janvier à juin). Ce cadre est dû au fait de que, pendant la saison sèche les poissons sont

concentrés en bancs, ce qui facilite la capture et rend la pêche plus productive, tandis que pendant la

saison des pluies la navigation devient difficile à cause des intempéries. En coïncidant avec cette

période de pluies, le defeso* interdit la pêche pendant quelques mois aux endroits les plus accessibles,

situés dans le périmètre du Cap Orange. Ainsi, la pêche dans l’embouchure du fleuve Oyapock, cité

comme l'endroit le moins riche en poissons et de moindre intérêt pour la pêche dans la zone, se

pratique avec plus d'intensité à cette époque. Ces données sont en conformation avec ceux trouvés par

Cavalcante (2011) et Gallois (2008).

En plus, généralement la saison sèche coïncide avec le moment de plus grande dépense de travail dans

l'agriculture, quand il devient nécessaire de préparer la terre, de semer et de planter ce qui devra être

récolté avant la montée des eaux vers le mois de février. Par conséquent, la pluriactivité21 et

l'engagement familial dans la stratégie de travail des communautés traditionnelles deviennent un

                                                                                                                         20 Voir page 26.

21 Le mot pluriactivité est employé dans cette étude lorsqu'une même personne cumule plusieurs activités simultanément. La pluriactivité se définit comme une pratique sociale, liée à la recherche de moyens alternatifs et complémentaires (pourvoyeurs de denrées ou de revenus monétaires) pour garantir la reproduction des communautés traditionnelles; avec l’apport économique, sociale et culturelle de la pluriactivité, les familles de cette étude, qui habitent dans l'espace agricole, s'intègrent dans d'autres activités, outre la pêche.

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besoin primordial. C'est le cas des interviewés d’Oiapoque et de Saint-Georges, notamment pour les

familles originaires de Cassiporé, dont 23 des 39 interviewés ont répondu avoir d’autres activités

s’ajoutant à celle de la pêche durant au moins une période de la vie. La plupart du temps, la pêche

reste l'activité générant la majeure partie de leur revenu et constitue l'unique métier qu’ils ont pratiqué

toute leur vie.

. L’acquisition des savoirs et savoir-faire du métier de pêcheur.

Des 25 interviewés à Oiapoque, 17 pêcheurs avaient une certaine tradition dans la pêche. C'est-à-dire

que le métier avait été choisi collectivement par la famille en tant que stratégie sociale de survie depuis

longtemps, et que, par conséquent, les pêcheurs ont eu accès à des savoirs et savoir-faire traditionnels

en pêchant, pratiquant l’activité de prélèvement de la ressource, le plus souvent avec leur propre père.

À Saint-Georges ce nombre se réduit à cinq des 14 pêcheurs interviewés. À cette situation se rajoute

aussi le fait que, à Saint-Georges, la stratégie de migration est, au départ, plutôt individuelle et

temporaire - même si après, avec la constitution d'une famille, cette migration devient partielle ou

même complète. Ainsi, ces pêcheurs ayant appris en pratiquant avec un proche ont commencé leur

métier dès qu'ils avaient un âge suffisant pour monter en bateau, soit entre 12 et 15 ans pour la plupart

d'entre eux. Ces données sont en accord avec celles suggérées par Escallier (2003) lors de son étude

sur l’apprentissage dans une communauté de pêcheurs au Portugal.

Deux typologies d'apprentissage existent donc pour les pêcheurs de la région : une résultant de

l’immersion directe dans le monde pratique pour ceux qui ont une certaine tradition dans la pêche ; et

une permise par un long parcours d'observation une fois adulte pour ceux qui n'ont pas été instruits par

un membre de la famille et qui n'avaient pas de connaissances préalables du métier. Ces données sont

en accord avec les résultats de Diegues (2005) et Escallier (2003).

Bien que les pêcheurs de l'Oyapock soient aujourd'hui spécialisés dans la pêche, ils participent

toujours à une économie d'échange, généralement réservée aux communautés traditionnelles, dont la

pluriactivité est un attribut22. Ces échanges sont faites avec l'armateur*, qui finance la sortie de pêche

et, en contrepartie, demande que le poisson lui soit vendu en priorité (et au prix qu’il fixe) ; mais aussi

avec des Amérindiens qui habitent les réserves dans le territoire et qui échangent de la farine de

manioc contre du poisson, notamment pendant la saison des pluies, où pêcher devient difficile.

. Les techniques de pêche et les adaptations.

Sur l'Oyapock les techniques de pêche sont aussi bien spécialisées : la plupart des pêcheurs

interviewés utilisent le filet maillant dérivant pour la pêche commerciale, même si, pour la petite pêche

vivrière, qui se pratique généralement sur le fleuve, ils utilisent des petits outils comme la palangre,

l’épervier et la ligne à main (photo 1).                                                                                                                          22 Voir page 44  

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  47  

Photo 1 : Pêcheur en train de réparer un épervier dans sa barraca*.

Cliché : Crespi, 2013.

Le tableau 1 présente les différents outils que les pêcheurs emploient actuellement, ceux qu’ils ont eu

l’occasion d’utiliser auparavant et ceux dont ils connaissent l’existence mais n’utilisent pas, ainsi que

leurs différentes nomenclatures et leur description.

Ce tableau met en évidence le fait que certains outils ont plusieurs noms. Néanmoins, les motivations

de ces différentes appellations, dont les variables sont nombreuses et incontrôlables, n'étaient pas assez

claires pour que je puisse inférer une typologie pour la nomenclature.

Voici un exemple de la confusion causée par les pêcheurs essayant de m’expliquer l’origine de chaque

mot :

« Pour la palangre... bon... 'escorador' c’est pour ceux qui viennent du Cassiporé, 'filame' c’est

pour ceux de Vigia, et les anciens l’appellent 'espinhel'... » (Pêcheur 1, homme de 19 ans,

Oiapoque)

« La palangre ?! Non, ‘espinhel’ c'est pour ceux qui viennent du Pará, comme moi... ici dans la

région c'est plutôt 'trapo'... » (Pêcheur 2, homme de 30 ans, Oiapoque)

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  48  

« La palangre a plusieurs noms car il y a un qui est le nom technique, 'espinhel', et l'autre le nom

populaire, 'trapo'...ici dans la région ils l’appellent aussi 'escorador'... » (Pêcheur 6, homme de 26

ans, Oiapoque)

Tableau 1 : Les outils de pêche connus ou utilisés sur l'Oyapock.

Outil Endroits d’utilisation

Nomenclature fréquente

D'autres nomenclatures

Description23

Palangre Cassiporé, petits

villages du Pará et

du Amapá ; utilisé

par quelques

pêcheurs à

Oiapoque

Espinhel Anzol, linha,

escorador,

tiradeira, filame,

pargueira.

La palangre est une longue ligne (ligne principale) sur laquelle sont fixées à certains intervalles des lignes lestées, relativement plus courtes et plus fines (avançons) munies d'hameçons appâtés. Selon le type de pêche, il y a de grandes différences dans les paramètres de l'engin - par exemple, l'épaisseur et le matériau de la ligne principale et des lignes lestées, ou l'espace entre les hameçons - et dans les types d'hameçons et d'appâts.

Filets

maillant

dérivants, fil

en plastique

Oiapoque, Saint

Georges

Bubuia Espera, escora,

arrasto, deriva,

bubuiadeira,

redada.

Maintenus près de la surface, ou à une certaine distance en dessous de celle-ci, grâce à de nombreux flotteurs, ces filets dérivent librement avec le courant, isolément ou, le plus souvent, avec le bateau auquel ils sont amarrés.

Filets

maillant

dérivants, fil

en nylon

Vigia, Belém ;

utilisé par quelques

pêcheurs à

Oiapoque

Arrastão Rede grossa,

malhadeira,

profundada.

Idem

Filets

maillant calés

Utilisé par quelques

pêcheurs au

Cassiporé

Escorada Apoitada Le poisson se maille ou s'emmêle dans la nappe posée auprès du fond.

Filets

tournants

Vigia, Belém Cortina Borqueio, arrastão,

camaroeiro, cerco,

rede de circulo.

Le filet tournant capture le poisson en l’encerclant à la fois sur les côtés et par en dessous, ce qui l’empêche en eaux profondes, de s’échapper en plongeant vers le bas. A part quelques exceptions, c’est un filet de surface dont la ralingue supérieure est soutenue par de nombreux flotteurs. Selon le type, il comporte ou non une coulisse qui assure sa fermeture par le bas.

                                                                                                                         23 Les définitions sont tirées de Claude Nedelec (1982). Définition et classification des catégories d’engins de pêche.

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Filets-pièges

fixes

Vigia, Belém, petits

villages du Pará

Curral Curral de rede,

curral de coraçao,

estacada, cacuri.

Ce sont habituellement des filets de grandes dimensions, ancrés ou fixés sur des pieux, ouverts à la surface et munis de divers dispositifs de rabattement et de retenue du poisson. Ils sont pour la plupart divisés en compartiments fermés à leur base par une nappe de filet.

Filets

maillant fixes

Vigia, Belém, petits

villages du Pará et,

anciennement, sur

toute la côte du

Amapá

Estacada Zangaria, cortina,

curral, escora.

Employés essentiellement dans les eaux côtières, ces filets sont montés sur des perches ou pieux plantés au fond. Les poissons sont démaillés à marée basse. A marée descendante, ces filets peuvent éventuellement laisser passer librement les poissons non maillés au dessous de leur ralingue inférieure.

Filets

soulevés

manœuvrés

d’un bateau

Cayenne Barco

camaroeiro

Arrastão, pescaria

industrial,

pargueiro.

Les poissons, attirés ou non par la lumière ou par un appât sont capturés par ces filets formés d'une poche de forme parallélépipédique, à ouverture tournée vers le haut. Après avoir été submergés à la profondeur voulue, les filets sont virés hors de l'eau, mécaniquement, à bord.

Eperviers Dans toutes les

villes

Tarrafa Lance, pesca de

praia.

Ces filets, lancés du rivage ou d'une embarcation, capturent les poissons en retombant et en se refermant sur eux. Leur emploi est généralement limité aux eaux peu profondes.

Chaluts et

dragues

Belém, Vigia,

Cayenne

Puçal Arrastão Les chaluts et les dragues sont des filets en forme de poches, que l'on traîne à travers l'eau pour qu'ils capturent sur leur passage différentes espèces cibles. Pendant l'opération, l'entrée du chalut doit être maintenue ouverte.

Barrages Belém, Vigia Curral Curral de espia,

cachimbo,

estacada, cacuri,

fuzaca, zangaria.

Fabriqués en matériaux divers (pieux, branchages, roseaux, filets, etc.) ces engins sont habituellement installés dans la zone de balancement des marées. Ils sont à distinguer des filets maillant fixes (voir 7.4.0) qui, à marée descendante, peuvent éventuellement laisser passer librement les poissons non maillés au-dessous de leur ralingue inférieure.

Cannes Dans toutes les

villes

Caniço Vara Le poisson est attiré par un appât naturel ou artificiel (leurre), placé sur un hameçon fixé à l'extrémité d'un avançon, et où il vient se prendre.

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Verveux Belém, Vigia Puçal Matapi, fuzaca. Utilisés normalement en eau peu profonde, ces pièges sont constitués par des poches de capture, de forme cylindrique ou conique, montées sur des cercles ou autres structures rigides, entièrement recouvertes de filet, et complétées par des ailes ou guideaux qui rabattent les poissons vers l'ouverture des poches. Les verveux, fixés sur le fond par des ancres, lests ou piquets, peuvent être employés isolément ou groupés.

Lignes à main Dans toutes les villes

Linha de mão Boinha Généralement en mono-filament, elles portent un ou plusieurs hameçons appâtés pour la pêche en surface, en pleine eau ou avec un lest près du fond.

Nasses ou

Casiers

Dans toutes les

villes

Matapi Muzua, puça,

munduru.

Ces pièges, destinés à la capture des poissons ou crustacés, sont en forme de cages ou de paniers fabriqués avec des matériaux divers (bois, osier, tiges métalliques, grillage, etc.) et comportant une ou plusieurs ouvertures ou goulets d'entrée. Munis ou non d'appâts, ils sont mouillés en général sur le fond, isolément ou en filière, reliés par des filins ('orins') à des bouées indiquant leur position à la surface.

Sennes de

plage

Belém, Vigia Arrastão Puçal Ce grand filet avec une poche centrale est mouillé d'une embarcation en partant du rivage pour y revenir après avoir éventuellement contourné un banc de poissons. La senne est ensuite tirée à la plage.

Le contexte environnemental et culturel local joue un rôle important dans le choix des techniques de

pêche : la présence de la mer ou du fleuve, la présence ou non de plages de sable, les préférences

alimentaires locales ainsi que le biotope influençant la présence de certaines espèces de poisson, et par

conséquent l'outil pour l'attraper, sont les principales variables qui déterminent ce choix. Les histoires

de vie, les expériences de pêche et les parcours de migration vécus vont finalement avoir une place

secondaire dans le choix de techniques de la pêche commerciale, même si elles sont importantes pour

la petite pêche vivrière, ainsi que pour les savoirs et savoir-faire accumulés. En revanche, les histoires

de vie et connaissances vont jouer un rôle important lors du positionnement du pêcheur dans le bateau

: les capitaines sont les plus expérimentés dans la pêche, détenteurs des savoirs sur la navigation, sur

les endroits de pêche, sur les techniques employées et les espèces ciblées, tandis que les autres

composeront l'équipage.

Dans les extraits suivants, les pêcheurs m’expliquent leurs difficultés pour utiliser un outil de pêche

alors que l’environnement ou le poisson (taille ou espèce) ne sont pas adéquats :

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« Ici c'est difficile de pêcher avec l'épervier... là bas c'était bien, on pêchait toujours avec

l'épervier... la ligne à la main on pêchait aussi, mais elle n'attrapait pas la même quantité de

poisson qu'on prend ici... » (Pêcheur 2, homme de 30 ans, Oiapoque)

« C'est que de poissons grands qu'on prend avec la palangre... ce n'est pas comme le filet

qu'attrape tous les types de poisson... la palangre est bien car on prend le machoiron blanc et

jaune... toutes les poissons grands on les prend avec la palangre... et aujourd'hui, avec le filet, c'est

trop rare... » (Pêcheur 11, homme de 39 ans, Oiapoque)

« Il y en avait quelques uns qui faisaient des barrages à Vigia [Etat du Pará], mais là-bas c'est pas

bien pour ça, car on s'enlise trop... il y a trop de boue... » (Pêcheur 8, homme de 62 ans, Oiapoque)

Les conditions économiques du pêcheur sont aussi un facteur limitant évoqué par les interviewés pour

le choix des outils de pêche :

« Le barrage, c'est ce qu'on utilisait au Pará, il attrape tout... c'est parce que les gens là-bas

n'avaient pas les moyens d'avoir un bateau, alors ils utilisaient ça... » (Pêcheur 1, homme de 19

ans, Oiapoque)

Les préférences alimentaires locales jouent aussi un rôle important dans le choix des espèces de

poisson attrapées et, par conséquent, dans l’outil utilisé. Selon les interviewés, tant à Oiapoque qu’à

Saint-Georges, les espèces les plus débarquées sont la courbine, le machoiron blanc et l’acoupa rivière

(graphique 4). Dans l’extrait suivant le pêcheur évoque cette condition pour expliquer le choix des

espèces ciblées dans la région :

« Quand on est arrivé ici à Oiapoque, l'acoupa rivière on s'en fichait... on le libérait car il y en

avait même trop... il ne se vendait pas et tout le monde l'attrapait... on était même tristes quand on

pêchait que ça car c'était du travail pour rien !! Alors qu'aujourd'hui les gens demandent à Dieu de

trouver un banc d'acoupa rivière... » (Pêcheur 21, homme de 58 ans, Oiapoque)

D’autre part, depuis la période d'industrialisation et de modernisation qui a suivi la deuxième guerre

mondiale, les flottes de pêche à l’échelle internationale ont amélioré leur technologie et ont des

systèmes de capture du poisson très efficaces, comme observé par Blanchard et al. (2010). Du fait de

cette importante modernisation des flottes, le petit « pêcheur de plage », cesse de capturer le poisson

de façon artisanale et s’embarque de plus en plus sur de grands bateaux : il cesse ainsi de produire lui-

même son alimentation (et de vivre en autosubsistance) et devient salarié de la mer.

Cette trajectoire a rendu possible l'augmentation du pouvoir de capture de la pêche, ce qui a contribué

à la baisse des grands stocks de ressources halieutiques. À partir du moment où un bateau à moteur

peut amener un petit pêcheur bien plus loin qu’une petite pirogue, le créneau exploité et l'espace

s'élargissent, et demandent plus de connaissances techniques et du milieu naturel. Et au fur et à mesure

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que certaines espèces deviennent valorisées commercialement, leur temps de capture, pendant un cycle

annuel, peut augmenter énormément, et, de même, engendrer une surexploitation.

Graphique 4 : Les espèces les plus débarquées dans les ports de la région selon les pêcheurs d'Oiapoque et de Saint-Georges.

 

En questionnant les pêcheurs sur leur conception d’une bonne pêche, la plupart répondent sans hésiter

que c’est le fait de ramener une grande quantité de poissons. A l’inverse, la question concernant leur

conception de ce qu’est un bon pêcheur entraîne une grande diversité de réponses : connaissances et

savoir-faire, dévouement, attention au matériel et quantité de poisson amené, font partie des qualités

requises.

Parallèlement au fait que les gros bateaux de pêche se sont modernisés et équipés de technologies très

performantes, les savoirs et savoir-faire des pêcheurs ont dû s’adapter. La connaissance traditionnelle

et secrète, transmise de génération en génération se voit pour certains remplacée par une connaissance

du fonctionnement d’outils modernes tels les GPS qui servent désormais à se situer dans l’espace,

notamment les limites de la frontière, et repérer les bonnes zones de pêche, soit des points enregistrés

par le pêcheur lors d’une précédente sortie de pêche.

Diverses pêcheries pratiquées de forme traditionnelle dans des petites communautés de pêche au long

des côtes de toute la planète, qui utilisaient des outils de pêche artisanale, considérés comme durables

vis à vis des systèmes productifs locaux, ont été substitués par des pêcheries motorisées, mono-

spécifiques et, dans de nombreux cas, de moyenne à grande taille, comme les bateaux industriels.

Toutefois, même si l’identité collective de la catégorie, réglée dans la tradition d'accès aux ressources

halieutiques, est en reconstruction, dû aux changements globaux dans l’activité de pêche, les pêcheurs

de l’Oyapock se considèrent toujours comme des « petits pêcheurs artisanaux », par souci de

distinction avec les « grands pêcheurs industriels du Pará ».

Dans la mesure où de nouvelles valeurs sont établies, que la concurrence est installée à cause des

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réseaux du marché, que de nouvelles formes de partage sont instituées, qu'un secteur industriel

s’établit et s'est concrétisé, se perd le contrôle sur le processus de travail. Gagner de l'argent,

augmenter la production, étendre sa zone de pêche à travers l'achat d'un bateau motorisé, lutter pour un

prix juste auprès des intermédiaires, lutter pour une mer moins polluée et avec moins d'espèces

surexploitées, entre autres, deviennent des éléments qui peuplent, inévitablement, les représentations

mentales des petits pêcheurs du Brésil et de beaucoup d'autres pays dans les jours actuels.

III) Les savoirs, les outils et les techniques de pêche partagés

. Les conséquences de la pêche industrielle.

Même si désormais la flotte de pêche commerciale de l'Oyapock est motorisée, elle se limite aux

abords de la côte : rarement un bateau ose pêcher au-delà de 5 miles des côtes, dans la zone que les

pêcheurs appellent « mato sumido » (la brousse disparue ; c’est-à-dire, suffisamment loin pour qu’ils

ne puissent plus voir la côte). Ceci se doit, en partie, à la moindre dimension des bateaux, mais

principalement à la prolifération des bateaux industriels originaires du Pará sur la côte de l'Amapá, qui

utilisent des filets maillants dérivants et des filets tournants, ce qui signifie de la concurrence pour

l’accès aux ressources et des risques de dommages pour les outils de pêche, et pour les bateaux de

l'Oyapock, de plus petite taille. Par conséquent, pour éviter une confrontation directe et

potentiellement violente, ceux-ci explorent les zones les plus proches de la côte, où ils trouvent une

moindre productivité, comme l’on peut constater dans les extraits suivants :

« Cette région ici loin de la côte il y a plein de poissons, mais on ne peut pas pêcher à cause des

grands bateaux... les filets tournants ne nous laissent pas pêcher là-bas... » (Pêcheur 2, homme de

30 ans, Oiapoque)

« Les poissons qu'on a ici... ils [les bateaux du Para] pêchent tout !!! Alors que c'est une grand

quantité... nous, on pêche au milieu d'entre ces bateaux... alors le peu qu'y reste de poisson on

amène pour nous... si nous, on pêche 1 tonne, eux, ils pêchent 10, 20, même 30 tonnes... leur

bateau est bien grand, le matériel aussi... » (Pêcheur 3, homme de 41 ans, Oiapoque)

En plus, cette flotte industrielle, en agissant avec des techniques prédatrices pour les basses

profondeurs proches de la côte de l'Oyapock ont causé la diminution du poisson pour les pêcheurs

artisanaux, dont les moyens de production, comme déjà vu, ne permettent pas un déplacement

suffisamment plus grand, ce qui entraîne des conflits de territoires entre les petits pêcheurs artisanaux

pour l'appropriation de ces espaces et du poisson. Dans le discours suivant, le pêcheur m’explique que

le changement récent d’outil de pêche a causé une chute de la disponibilité de la ressource :

« Le quantité de poissons a beaucoup changé, car dans l'époque de la palangre il n'y avait pas le

danger de finir avec le stock de poisson... car la pêche avec la palangre est plus faible et la prise

de poisson est contrôlé... avec le filet non, le filet attrape tout !!! Ici, maintenant, on utilise que le

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filet... » (Pêcheur 3, homme de 41 ans, Oiapoque)

D’après les pêcheurs les plus âgés d'Oiapoque, il a y eu un abandon de la réciprocité sociale de la part

des pêcheurs, comme le don de poissons à titre d'aide à des voisins ou parents, qui étaient courante

auparavant. Ils considèrent aussi qu’anciennement les eaux étaient beaucoup plus poissonneuses.

Selon ces anciens, à cause des conflits avec les pêcheurs industriels et des cadres flous de la part des

institutions qui réglementent la pêche, des pêcheurs artisanaux en viennent à développer des formes de

pêche considérées comme prédatrices, où les pêcheurs ne respectent pas le temps de defeso* des

espèces cibles. Ces données sont en toute concordance avec les études de Lima (2011), Cavalcante

(2011) et Pinto (2008) dans la zone.

. Le changement régional des techniques de pêche.

La pêche au Brésil a connu de grands changements à partir de la deuxième guerre mondiale : des petits

filets fabriqués à partir du coton et d'autres outils de pêche comme la palangre, l'épervier et les nasses

ont été substitués par de grands filets de nylon, matière qui offre une plus grande résistance et améliore

le pouvoir de pêche. L'utilisation du filet maillant dérivant s’est répandue dans les pêcheries du Brésil

à partir des années 50, avec l'emploi du fil synthétique dans sa confection. Mais sur l'Oyapock les

premières utilisations ne datent pas d’il y a longtemps : environ 10 ans selon les pêcheurs.

Voici comment les pêcheurs m’expliquent le changement de technique de pêche dans la zone :

« Non, le filet de nylon est plus lourd... il va jusqu'au fond... c'est les gens du Pará qui

l’utilisent... » (Pêcheur 1, homme de 19 ans, Oiapoque)

« Bon, le filet doit être venu en accompagnant les gens, probablement... en fait, c'était les gens du

Pará qui ont amené ces filets ici... alors nous, on a juste suivi... car sinon ça ne marcherait pas...

on peut pas travailler avec palangre et filet dans un même endroit... » (Pêcheur 3, homme de 41

ans, Oiapoque)

En même temps, les récits des pêcheurs qui ont migré vers l'Oyapock montrent qu’ils ont abandonné

leurs techniques de pêche en arrivant dans la région, et ont adopté le filet maillant dérivant. La plupart

des interviewés, lorsque je leur ai demandé les raisons de ce changement, ont expliqué qu'ils étaient

obligés à cause des autres pêcheurs : à cause du nombre élevé de pêcheurs et du petit espace de pêche

(à cause des zones interdites de pêche qui entourent l'Oyapock), l'utilisation d’outils différents

causerait selon eux une casse du matériel importante, surtout des palangres. En plus, pour les pêcheurs

interviewés, c'est mal vu dans la région d'être 'en retard' avec la technologie de pêche.

« Pendant l'été c'est plus facile pour la palangre, car la mer est calme et on peut aller plus loin de

la côte... car dans cette zone où on travaille avec des filets, il n'y a plus de quoi travailler avec la

palangre... alors, on l'aime bien mais c'est impossible de travailler... si on met une palangre au

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milieu des filets on va avoir que des dégâts... on perdra tout !! » (Pêcheur 3, homme de 41 ans,

Oiapoque)

« Les gens ont changé parce que tout le monde est passé au filet... alors on n'avait pas de quoi

travailler avec la palangre... aujourd'hui tout le monde utilise que le filet, c'est impossible d'utiliser

la palangre, car le filet détruit tout... alors on aurait des dégâts car le filet bouge et la palangre est

ancrée. Nous avons changé pour le filet en 2000, on était un des derniers à le faire... jusqu'à 2005

on pêchait encore avec cette technique... » (Pêcheur 9, homme de 63 ans, Oiapoque)

Néanmoins, quand on les questionne sur un possible changement de techniques selon leurs envies, les

pêcheurs reviennent tout de suite à l'utilisation de la palangre, fait observé aussi par Cavalcante

(2011). La distinction entre ces deux modalités de pêche est importante pour les pêcheurs par des

raisons financières et d'acceptabilité écologique. Les palangres sont relativement bon marché, faciles à

utiliser, et ont un moindre impact sur le fond des écosystèmes aquatiques. Néanmoins, les filets

maillant dérivants sont considérés par les pêcheurs comme plus efficaces dans la capture du poisson et

moins dangereux (la palangre étant dangereuse pour eux à cause du processus de filage24).

Les extraits suivants mettent en évidence les contraintes qui obligent le pêcheur à changer ses

méthodes et son envie de retourner à ses anciennes pratiques, comment l’on constate dans la plupart

des récits des pêcheurs de la zone :

« Bon bah, s’ils arrêtaient de pêcher avec le filet je crois qu'on retournerait pêcher avec la

palangre, mais ça c'est si tout le monde avait ce discernement... la palangre, elle ne finit pas avec

plein d’espèces de poissons... elle prend que quelques unes, et le filet non, il attrape plein

d’espèces !! » (Pêcheur 9, homme de 63 ans, Oiapoque)

« Ici dans l'Etat de l'Amapá je suis sûr que 80% des pêcheurs aujourd'hui, qui habitent ici,

aimeraient retourner à utiliser la palangre, mas ils ne le font pas car le Pará ne les laisse pas

faire !!! Le Pará est trop grand, il vient avec plein d'équipements et des filets et montent sur les

autres petits, qui pourtant sont la majorité... » (Pêcheur 37, homme d’environ 50 ans, Oiapoque)

« C'est moins de travail pour maintenir l'équipement… un équipement comme celui-ci il y a trop de

travail pour réparer, le filet... pas la palangre ! Avec la palangre on a moins de dégâts, il est plus

durable, moins cher... le filet est trop cher... si on le lance et on ne sait pas qu'est-ce qu'il y a au

fond de la mer, ça peut être des pierres, des morceaux de bois, alors on va déchirer le filet... »

(Pêcheur 10, homme de 55 ans, Oiapoque)

« De toute façon, c'est trop dangereux de travailler avec la palangre car si on fait pas attention il

[le hameçon] peut s'enfiler dans une partie du corps, amener la personne au fond et la noyer... »

                                                                                                                         24 Voir page 25

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(Pêcheur 12, homme de 27 ans, Saint-Georges)

Une autre évolution de techniques qui a aussi été beaucoup mentionnée, lors de l'analyse des discours

des pêcheurs interviewés, était le changement du mode de conservation du poisson : le sel25 a été

remplacé depuis quelques années par la glace, avec l'arrivée de la flotte industrielle dans la zone, avec

la croissante demande de poisson frais et, surtout, avec l’arrivée de l’électricité. Selon les pêcheurs, la

technique du salage ne permettait pas de conserver de grandes quantités de poissons, ce qui avait pour

effet de limiter les quantités pêchées et de conserver les ressources halieutiques.

Par conséquent, dans le cas de l'Oyapock, la migration peut être un facteur de disparition et d’érosion

de techniques traditionnelles26, lorsque les pêcheurs artisanaux arrivant sont obligés d’abandonner

leurs pratiques pour adopter celles de la zone d'immigration, qui de leur côté sont dictées par les plus

forts : les bateaux de plus grande taille. Ceux-ci viennent de l’extérieur et ne changent pas leurs

pratiques pour autant.

Le discours suivant montre que le pêcheur primo-arrivant a préféré tout recommencer dans la pêche,

plutôt que d’avoir des divergences par rapport aux pratiques locales :

« Non, j'ai trouvé difficile, je suis arrivé, là je n'avais pas la base de la pêche ici... j'ai perdu

presque tout ce que j'avais pour recommencer de rien… là ce que j'ai fait c'est que j'ai acheté un

filet avec mon beau-frère pour venir pour ici, mais lors que j'arrive ici, mon filet n'était pas bon et

je ne savais pas le rythme du filet pour ici encore… » (Pêcheur 2, homme de 30 ans, Oiapoque)

. Les espèces ciblés et le débarquement.

Les poissons le plus pêchés dans la zone, attrapés à partir de ces filets maillants dérivants sont :

courbine (Cynoscion virescens), machoiron blanc et poissons chat (Arius spp.), acoupa rivière

(Plagioscion squamosissimus), acoupa rouge (Cynoscion acoupa), zungaro/dourada

(Brachyplatystoma rousseauxii), sardine (Pellona flavipinnis), torche (Brachyplatystoma

filamentosum), poucici (Brachyplatystoma vaillantii), apaiari (Astronotus ocellatus), loubine

(Centropomus spp), parassi (Mugil spp.), machoiran jaune (Hexanemachthys parkeri) et machoiron

coco (Bagres spp.) (photo 2 et 3). Ces données sont différentes de celles rencontrées par Cavalcante

(2011).

                                                                                                                         25 Le salage est toujours pratiqué pour certaines espèces, comme le mâchoiron blanc.

26 Ici le mot ‘traditionnelles’ est employé pour exclure les pratiques de la pêche industrielle.

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  57  

Photo 2 : Les poissons les plus pêchés dans la zone.

Clichés : Crespi, 2013.

Photo 3 : Les poissons les plus pêchés dans la zone.

Clichés : Crespi, 2013.

Toujours selon les pêcheurs interviewés, la pêche artisanale est importante pour le município* et son

déclin causerait de graves problèmes : même si la région d'étude a d'autres activités économiques,

comme le commerce et le tourisme, c'est la pêche qui apporte le plus de revenus à la ville, comment on

peut le constater dans le discours ci-dessous.

« C'est la pêche qui maintient économiquement la ville d'Oiapoque aujourd'hui, là, si la pêche

s’arrête, fini le marché, fini la ville d'Oiapoque… » (Pêcheur 8, homme de 62 ans, Oiapoque)

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Selon la perception des pêcheurs de l’Oyapock, même si les bateaux originaires du Pará débarquent

leur poisson préférentiellement à Calçoene, le port d’Oiapoque reste le plus productif de l’Amapá, et

arriverait directement derrière le port de Belém, au Pará. Le port de Cayenne est considéré comme très

peu productif à cause du plus petit nombre de pêcheurs, tandis que celui de Saint-Georges parfois n’est

même pas considéré comme un port de débarquement par certains pêcheurs d’Oiapoque.

Comme expliqué précédemment, les pêcheurs d’Oiapoque et de Saint-Georges ont beaucoup de

caractéristiques communes et, par conséquent, ils doivent être traités comme une seule communauté.

En effet, la majorité des pêcheurs est âgée de 40 ans, ceux-ci étant nés entre 1970 et 1980. De plus,

une grande partie des pêcheurs est originaire de l’Etat du Para (le type de migration prédominant dans

les années 1980 et 1990 est la migration complète ou partielle, tandis que le type de migration

principal à partir des années 2000 est plutôt temporaire). En outre, les raisons de leur migration sont

identiques : la crise de la pêche causée par la dégradation des ressources halieutiques, la recherche

d’une vie meilleure et, pour les ressortissants de Cassiporé, l’expulsion de leur terres. Finalement, les

pêcheurs cherchent toujours à migrer au « nord », connu comme une zone propice à la pêche et à

l’accession à une vie meilleure, et dans la plupart des cas, les interviewés ont choisi d’exercer le métier

de pêcheur car c’était l’activité la plus rentable et accessible.

La pêche dans la zone de l’Oyapock a plusieurs caractéristiques singulières. Tout d’abord, cette

activité majoritairement masculine, qui implique toutefois une participation importante des femmes et

des enfants, fait toujours partie d’une économie d’échange et d’un contexte de pluriactivité, ce qui

nous renvoie vers l’idée d’activité de subsistance. Même si ce cadre est vrai pour les deux côtés du

fleuve, il est plus visible à Oiapoque, à cause du contraste entre pêcheurs artisanaux et grands bateaux

industriels. Par ailleurs, la tradition dans la pêche est une caractéristique présente à Oiapoque, mais pas

à Saint-Georges (dans le cadre de la pêche professionnelle), où les pêcheurs ont fait un choix

personnel de métier plutôt qu’adopter une stratégie sociale de survie de leur famille.

Finalement, les outils de pêche sont les mêmes des deux côtés du fleuve, avec quelques différences de

matériel et de nomenclature, cette dernière causée par les différentes histoires de vie de chaque

pêcheur. Le choix de ces outils a été influencé par la culture et l’environnement des pêcheurs, les

bateaux du Para ayant prédominé sur ce premier par leur forte présence dans la zone. Toutefois, les

préférences alimentaires détermineront les poissons ciblés prioritairement.

B. L’identité locale et les territorialités

I) Perceptions identitaires, cohésion sociale et multiculturalisme

Actuellement, c'est possible d'affirmer qu'un processus de migration résulte toujours d’une forme de «

perte de racines » d'une personne insérée dans un processus qui implique un déplacement physique,

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social et culturel de l'être humain. Le mouvement de migration est l'acte de l'être humain se déplaçant

d’un espace à l’autre. L’espace est un élément vécu, perçu, connu, qui a du sens, pour les groupes

sociaux qui l’habitent, et en cela c’est un élément de leur identité qu’ils partagent, qu’ils ont en

commun. C’est la borne de référence pour étudier la signification des mouvements migratoires.

Construire socialement des espaces c'est délimiter des territoires, élaborer des différences, des

contrastes et reconnaître des altérités : chaque groupe social a une dynamique spatiale et temporelle

pour pouvoir exister en tant que « tout articulé ». L'espace, comme expliqué par Piantoni (2011) se

montre non seulement comme un élément visible, mais comme un environnement qui est en même

temps éternel et transitoire, réel et imaginaire, collectif et individualisé : il exprime une ou plusieurs

visions de monde.

L'Oyapock, territoire composé de différentes ethnies et de migrants de différentes origines, possède

une configuration marquée par la coexistence de diverses cultures, en créant un cohabitation

controversée et, quelquefois, litigieuse. Dans ce contexte, comme expliqué par Cordell (2000) et  

Godelier (1984), les territorialités des groupes ethniques sont incorporées dans les représentations et

symbologies enracinés dans la mémoire collective, qui fournit un élément concret d'appréhension du

sentiment identitaire collectif et individuel : le territoire.

. Les quartiers identitaires et leurs discours.

Migrer et sortir de la communauté natale où l’on a grandi, et soudain être sur un sol inconnu, même si

entouré de parents, travailler dans un territoire où le travail obtenu n'est pas inséré dans un contexte

amical de relations de parenté et d’amitié, individualise un acte qui avant était collectif. Le migrant

commence à se percevoir comme un être individualisé, en vendant sa force de travail qui, maintenant,

appartient seulement à lui et non à son groupe domestique d’origine. Les relations personnelles

connues sont suspendues, figées dans le passé, ou quasi-réduites à des échanges monétaires si le

migrant envoie de l’argent à sa famille. La personne est submergée dans un monde de nouvelles

relations et réalités, et, pour ne pas perdre les bornes de référence qui signalent l'identité de ces

migrants, il n'est pas rare qu'ils finissent pour se regrouper dans des quartiers et villages identitaires,

comme l’explique aussi Piantoni (2011).

« Jusqu'à que tu t'adaptes, la famille n'est pas habituée à cet endroit... c'est facile de sortir pêcher,

mais s'adapter dans une autre zone c'est difficile... pour quiconque, je pense... c'est pas seulement

arriver, aimer et voilà... c'est difficile... » (Pêcheur 2, homme de 30 ans, Oiapoque)

L’analyse de la carte de la ville d'Oiapoque (carte 5), montre que les pêcheurs se regroupent en

quartiers, et met en évidence une relation entre la localisation actuelle de la maison et l’origine du

pêcheur, ce qui suggère qu’il y a une cohésion sociale entre ces pêcheurs immigrés. Par conséquent il

n'est pas rare de trouver des habitants d'un même quartier avec un discours identitaire semblable.

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Le quartier « Beira Rio » (la baie du fleuve), aussi appelé « Olaria » (quartier de la poterie), localisé

au nord-est de la ville, face au fleuve, est habité par les pêcheurs originaires de Cassiporé. Les maisons

sont construites en bois, amenés, pour la plupart, des anciennes maisons de Cassiporé : les pêcheurs

ont démonté leur maison et transporté le matériel jusqu’à Oiapoque en bateau ; et le toit est fait en

tôles d’aluminium, matériel facile à employer et bon marché (photo 4). Ce quartier, point principal de

rassemblement des pêcheurs de Cassiporé, est construit sur une zone insalubre au dessus des

mangroves, dû au fait qu’aucune terre ne leur a été donnée à leur arrivée. Les habitants de ces quartiers

ont généralement des petits bateaux, de 1 à 4 tonnes, à l'exception d'un unique pêcheur, qui a deux

bateaux, un de 7 et l'autre de 12 tonnes. Ce sont des personnes qui ont migré à Oiapoque expulsées de

leurs terres, et qui étaient auparavant considérés comme des communautés traditionnelles, au sens de

la loi brésilienne.

Carte 5 : Carte de la ville d'Oiapoque, localisation des maisons des pêcheurs (points verts : maison des pêcheurs interviewés, rouge : Colônia Z-03).

Les pêcheurs de « Olaria » ou « Beira Rio » m’ont fréquemment fait part de leur mécontentement

suite à leur expulsion du Cassiporé, où la zone de pêche était tranquille, avec moins de pêcheurs, et où

les poissons étaient abondants. Selon eux, leur expulsion du Cassiporé, le « criadouro » (berceau) des

poissons, a été la cause de la diminution de l'offre de poissons dans les eaux de la région. Avec la

présence de ces communautés sur la rivière Cassiporé, la zone n’était pas fréquentée par les pêcheurs

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non-riverains et sauvegardée par la « loi du respect » qui existe entre pêcheurs. En plus, avec leurs

connaissances traditionnelles, leurs petits outils et leur mode de pêche de subsistance, les stocks de

poissons étaient protégés de la surexploitation et pouvaient se reproduire normalement. Après leur

expulsion, ces zones sont devenues vides, en laissant l'espace ouvert et sans surveillance pour les

pêcheurs externes, ce qui a causé une surexploitation des ressources halieutiques et le non-respect du

temps de reproduction du poisson.

Photo 4 : Quartier « Beira Rio » des pêcheurs à Oiapoque.

Cliché : Crespi, 2013.

Voici les perceptions des pêcheurs de la zone par rapport à la durabilité des pratiques de pêche,

notamment celles utilisées par les bateaux du Pará, de l’état des ressources actuelles et des raisons de

cette situation :

« Alors les gens de Belém venaient pour tout détruire... ici on n’avait plus de poisson, tandis qu'au

Pará la pêche est déjà trop modifiée... » (Pêcheur 6, homme de 26 ans, Oiapoque)

« Avant on passait une semaine, aujourd'hui on est presque à deux semaines... car avant il n'y avait

pas beaucoup de pêcheurs et aujourd'hui il y en a trop ! » (Pêcheur 11, homme de 39 ans,

Oiapoque)

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« Dans cette zone où le poisson manque, c'est à cause des bateaux du Pará... ici les bateaux sont

petits, ils ne sont pas comme ceux du Pará... » (Pêcheur 3, homme de 41 ans, Oiapoque)

« Le gens d'ici n'utilisaient pas ce filet... c'était que les gens du Pará... mais ils ont tout envahi... »

(Pêcheur 1, homme de 19 ans, Oiapoque)

« Il y a tout qui est en train de disparaître, c'est général... le zungaro, le torche, le poucici, le

mâchoiran jaune... avant c'était des poissons qu'on attrapait toujours, maintenant il n'y en a

plus... » (Pêcheur 3, homme de 41 ans, Oiapoque)

« Pourquoi il y avait beaucoup des poissons ici ? Car c'est où ils mangent... ils naissent et

grandissent ici... c'est juste pour ça qu'il y a encore de poisson ! Ces bateaux venus du Pará sont

tous de politiciens riches... là dedans il y a même de l'internet !!!! » (Pêcheur 11, homme de 39 ans,

Oiapoque)

« Je pense qu'il devrait y avoir des limites pour les bateaux, en taille et quantité par personne... car

il y a des gens qui en ont plusieurs !! Ce sont 10 bateaux avec 50 petits qui pêchent pour lui... alors

c'est trop de filets pour une même personne !!!! » (Pêcheur 9, homme de 63 ans, Oiapoque)

« On a besoin de la marine ici, partout sur la côte, pour que plus tard on n'aie pas besoin d'aller

pêcher à Cayenne... et pourquoi ils vont avoir [du poisson] là-bas ? Car la surveillance marche !!!

Il n'y a pas des bateaux illégaux... comme le Pará fait ici !! Nous, en Amapá, on n’arrive pas à

surexploiter la ressource tous seules... c'est le Pará... » (Pêcheur 10, homme de 55 ans, Oiapoque)

Derrière le quartier « Olaria » ou « Beira Rio », on a une autre zone d'occupation récente, « Nova

Esperança », où habitent des pêcheurs originaires du Pará. La plupart d'entre eux ne possèdent pas de

bateaux, et travaillent généralement pour des patrons-armateurs* sur des bateaux de 4 à 6 tonnes.

Leurs maisons sont aussi faites en bois, mais d'origine d'Oipoque (acheté dans les scieries), et les toits

en aluminium. Selon leurs discours, la pêche ne connaît pas de grands problèmes, malgré le grand

nombre de pêcheurs qui a augmenté ces dernières années dans la zone. Selon ces pêcheurs, il n’y avait

pas vraiment de pêcheurs à Oiapoque avant leur arrivée : la plupart sont venus du Pará à cause du

déclin des ressources dans cette région. Le véritable souci pour eux c'est le manque d'espace pour que

tous puissent pêcher car la zone de pêche est petite :

«  Les fils de la terre ici [originaires d’Oiapoque] qui pêchent sont très peu... 80% des pêcheurs

sont originaires du Maranhão, Pará... des Etats voisins d’ici... mais la plupart vient du Pará ! »

(Pêcheur 7, homme de 39 ans, Oiapoque)

« Quelques bateaux du Pará viennent pêcher ici dans la zone mais ils sont peu, la plupart pêchent

loin de la côte... » (Pêcheur 17, homme de 34 ans, Oiapoque)

« C'est juste parce qu'il y a trop de bateaux... ça a augmenté beaucoup... quand je suis arrivé il y a

8 ans, il y avait 10 bateaux... maintenant il y en a 200 !! » (Pêcheur 23, homme de 31 ans,

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Oiapoque)

Encore dans la rue Getulio Vargas, où se trouve le siège de la Colonia* de pêcheurs, plus au centre de

la ville, on a des familles arrivées à Oiapoque il y a longtemps, venues à la recherche d'une vie

meilleure. Leurs maisons sont souvent faites en briques. Néanmoins ils sont un peut dispersés, sans

avoir une forte cohésion sociale et un discours environnemental en commun.

Finalement, il y a encore les quartiers « Planalto » (plateau) et « Infraero » (entreprise brésilienne

d'infrastructure aéroportuaire), où habitent des pêcheurs de originaires de Vigia (Pará), qui ne sont pas

pleinement intégrés dans la présente étude, car ils sont éloignés du centre-ville et ne sont pas inscrits à

la Colonia*.

À Saint-Georges, on peut observer la même dynamique qu'à Oiapoque : les pêcheurs sont regroupés

dans le quartier de la « Crique Onozo27 », un quartier de style palafitte, c’est-à-dire de maisons et voies

de circulations sur pilotis, sur les berges du fleuve (carte 6). Cette disposition permet un accès direct

au fleuve (photo 5).

. La perception de soi et d’autrui.

Le détail qui s'ajoute, contrairement à la situation des pêcheurs à Oiapoque, selon les pêcheurs, c'est la

question des préjugés que les Brésiliens subissent de la part des habitants de la Guyane, et qui les

contraint à se regrouper dans ce quartier où la plupart des gens sont originaires du Brésil, même si le

caractère individualiste est beaucoup plus marquant qu’à Oiapoque. Néanmoins, plus que les préjugés,

c’est surtout le fait de ne pas avoir de permis de séjour qui contraint certains Brésiliens de Saint-

Georges à se regrouper dans le quartier de la « Crique Onozo », isolé et peu accessible à la police. De

cette condition vient alors la mauvaise réputation de ce quartier d’habitat « spontané », proche du

bidonville (pas d’urbanisation, pas de réseau électrique, pas d’alimentation en eau ni d’évacuation des

eaux usées, quasiment pas de traitement des déchets, accès piéton et pirogue uniquement, inondation

par les marées quotidiennement, présence élevée de moustiques (d’après les habitants de ce quartier

eux-mêmes).

Voici le récit d’un pêcheur qui raconte le caractère individualiste entre les migrants et les conflits qui

marquent la zone :

« Même les Brésiliens, qui ont des papiers... ils trouvaient ça amusant, disaient que la police

devrait nous emprisonner car on était des clandestins... mais ils ont oublié qu'un jour c'était eux à

notre place...ils n'aiment pas que d'autres Brésiliens arrivent ici, mais ils sont dépendants de nous !

Ici il n'y a personne qui pêche, Guyanais ou Français... c'est que les Brésiliens !! Ils veulent le

poisson mais ne vont pas pêcher... alors qu'ils nous dénigrent... pour eux les femmes brésiliennes

                                                                                                                         27 En créole guyanais une crique désigne une petite rivière.

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sont des putes et les hommes sont des voleurs... » (Pêcheur 25, homme d’environ 40 ans, Saint-

Georges)

Néanmoins, les pêcheurs d'une manière générale, quelle que ce soit leur origine, ont une perception de

leur métier comme étant un travail non reconnu et non valorisé, choisi plutôt à cause d’un manque

d’opportunité et d'éducation, même pour ceux issus de familles de pêcheurs et ceux qui sont rentrés

dans la pêche car c'était le mouvement le plus dynamique à leur époque.

Carte 6 : Carte de la ville de Saint-Georges, localisation du quartier des pêcheurs (points verts : maisons des pêcheurs interviewés).

Si les pêcheurs se rassemblent autour de leur identité et de leur origine, cette image peu valorisée,

voire dénigrée, de leur métier, les éloigne les uns des autres, ce qui déstabilise leur classe en tant que

mouvement social et affaiblit leurs luttes.

Les extraits suivants montrent la perception que les pêcheurs ont de leur métier et les difficultés qu’ils

affrontent au quotidien :

« Être pêcheur est amusant, c'est bon d’aller pêcher... mais il y a trop de difficultés... la pluie, le

soleil... il y a des fois qu'on n’attrape rien... » (Pêcheur 2, homme de 30 ans, Oiapoque)

« Je suis devenu pêcheur par nécessité, j'ai fait peu d'études, alors on ne peut pas être grand chose

avec ça... » (Pêcheur 7, homme de 39 ans, Oiapoque)

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« La pêche c'est pour ceux qui n'ont pas étudié... qui ne fait pas d'études doit faire un métier qui

n'exige pas trop d'études, et la pêche n'exige rien... » (Pêcheur 8, homme de 62 ans, Oiapoque)

« La plupart des pêcheurs le deviennent pour ne pas avoir d'autres options, mais un peu de fierté

vient avec les années de travail... » (Pêcheur 6, homme de 26 ans, Oiapoque)

Photo 5 : Quartier de la Crique Onozo, où sont regroupés la plupart des pêcheurs de Saint-Georges.

Cliché : Crespi, 2013.

II) Territoires et frontières imaginaires

Au Brésil, la possession maritime et l'appropriation sociale des ressources de la mer a commencé à

recevoir l'attention des chercheurs il y a peu de temps. Une des raisons est que la zone côtière, ainsi

que l'Amazonie, excepté les secteurs déjà urbanisés, ont auparavant été traités comme des espaces

vides, pourtant habités par des populations traditionnelles, socialement invisibles jusqu'à récemment.

Actuellement, ces populations se sont rendues socialement plus visibles, à partir du moment qu'elles

ont commencé à s'organiser et résister aux expulsions de leurs zones côtières par la pêche industrielle,

comme vu aussi par Diegues (1973) dans d’autres communautés du Brésil.

. De la « loi du respect » à la « tragédie des communs ».

Comme il a été démontré précédemment, le respect des zones de pêche est une pratique de base de la

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territorialité traditionnelle des espaces marins et fonctionne tant qu'opèrent la structure sociale et les

valeurs auxquelles elles sont sous-jacentes. Actuellement, la désorganisation sociale qui marque

plusieurs communautés de pêcheurs, incluant ceux de l'Oyapock, cause l'abandon de ces pratiques.

Il est reconnu dans la littérature que le développement durable est menacé quand certaines valeurs et

pratiques sont détruites, comme indiqué par Feeny et al., (1990). Dans ce sens, dans le bassin de

l'Oyapock, la confrontation entre la pêche artisanale et la pêche industrielle, et plus spécifiquement, la

confrontation de la catégorie « embarqué et patron » de la pêche industrielle et de la catégorie «

pêcheur et capitaine » de la pêche artisanale, a entraîné non seulement le dégât des relations

conviviales des échanges entre riverains et étrangers, mais aussi des problèmes au niveau écologique

et économique, représentés par les ressources environnementaux menacées.

Par conséquent, la loi du respect, qui auparavant existait dans cette zone, n'est aujourd'hui plus valable

car les pêcheurs de l'Oyapock ne sont plus considérés comme les uniques possesseurs du territoire : dû

à la vague de migrations qu’a subi le territoire, la communauté de pêcheurs de l'Oyapock est vue

comme non-traditionnelle et composé par plusieurs groupes de pêcheurs, originaires chacun d'une

zone différente. Il ne compose plus une entité unifiée.

Voici la perception de quelques répondants par rapport à la constitution de la communauté de pêcheurs

dans la zone :

« Les pêcheurs d'ici sont tous originaires du Pará, car l'Oyapock ne travaillait pas avec la pêche,

juste avec l'orpaillage... c’est après qu'ils sont arrivés que les gens d'ici ont vu qui la pêche

rapportait de l'argent et ont commencé à pêcher aussi... maintenant les gens du Pará sont venus

avec leur bateaux pour s'installer ici... » (Pêcheur 25, homme d’environ 40 ans, Saint-Georges)

De la 'loi du respect', qui évoquait la notion d'utilisation collective du territoire, à la 'tragédie des

communs', qu’affronte aujourd'hui l'Oyapock, l’intelligence collective est devenue un individualisme

centré où la territorialité identitaire et socio-économique n'a pas sa place. Chaque individu démontre

un intérêt personnel à utiliser la ressource commune de façon à maximiser son usage individuel, tout

en distribuant entre chaque utilisateur les coûts d'exploitation, et cela ne permet pas une gestion

durable de la ressource acceptable par la société.

. Les zones les plus productives en poisson.

En même temps, un autre enjeu territorial est en place : de l'autre côté du fleuve, la Guyane française

est à plein puissance avec ses eaux abondantes en poisson - du moins c'est ce qui ressort de

l’imaginaire des pêcheurs du côté brésilien. Si les Brésiliens rappellent toujours que tout le poisson

d’Oyapock est né et a grandi sur la zone de protection environnementale de Cassiporé, ils n'oublient

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pas non plus l'ancien conflit du « Contesté28 » entre l'Amapá et la Guyane.

« Non, à Cayenne le port est bien productif... il y a beaucoup de poisson... car ici on a la

mangrove... et l'eau, elle court vers là-bas, donc la nourriture du poisson va vers là-bas aussi, et le

poisson suit la nourriture, vous me comprenez ?! Tout ça qui sort d'ici, car ici on a des plages pas

de sable mais de boue, et le poisson vient pour se reproduire et pour manger... alors tout ça qui va

vers là-bas est nôtre ! Car la nourriture vient d'ici... mais c'est parce que l'eau court vers là-bas !

Et alors tout le temps il y a des Brésiliens qui sont emprisonnés au côté français, car ils sont allés

chercher notre poisson... » (Pêcheur 11, homme de 39 ans, Oiapoque)

Selon l’imaginaire des pêcheurs de la zone, la région le plus productive est localisée du côté français.

Même pour les interviewés résidant à Oiapoque qui n’ont jamais été dans la zone française, la région

est connue pour sa richesse en poissons. Cette information est connue grâce à l’observation de certains

pêcheurs qui s’est propagée rapidement aux autres. A la question portant sur la zone la plus productive

de la région, 50% des pêcheurs d’Oiapoque ont signalé qu’il s’agissait de l’embouchure du fleuve

Approuague, situé au nord-ouest de l’Oyapock, près de la commune de Régina, suivie par la région du

Cap Orange.

. La frontière politique et imaginaire.

Seulement quinze minutes de bateau séparent Oiapoque de Saint-Georges (le fleuve se traverse en

deux minutes avec les embarcations motorisées). La traversée se fait dans des petits pirogues appelées

« catraias » qui traversent et descendent le fleuve Oyapock, en partant de la ville de même nom,

localisée au point le plus extrême de l'Amapá, et en arrivant à Saint Georges de l'Oyapock, en Guyane

Française. Le trajet n'est en général ni surveillé, ni contrôlé.

« Ils m'expulsaient aujourd'hui, demain je retournais... c'est juste tu prends le bateau et on est là

encore... » (Pêcheur 25, homme d’environ 40 ans, Saint-Georges)

Les frontières n'étant pas exactement démarquées et visibles, les pêcheurs de l'Oyapock, ainsi que les

habitants, ne voient pas les limites entre les deux pays. Il n'est pas rare d’entendre un pêcheur à

Oiapoque dire que « les pêcheurs de là-bas ce sont les mêmes qu'ici » ou alors les pêcheurs de Saint

Georges dire « là-bas à Cayenne, en France, c'est comme ça ». D’un certain point de vue, la zone

Saint-George/Oiapoque est donc bien considérée par les pêcheurs comme étant un seul territoire, où

les deux côtés du fleuve sont dépendants l'un de l'autre. En plus, le fait qu’il n’y ait pas de fabrique de

glace à Saint-Georges, ni un grand port de débarquement et que les pêcheurs de Saint-Georges soient

obligés de passer du côté brésilien pour acheter de la glace ou vendre leur excédent de poisson,

augmente l'image d'un tout dépendant et uni, où le fleuve est plutôt un facteur de rassemblement des

gens qu’une frontière politique.                                                                                                                          28 Voir page 8

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Voici la perception des pêcheurs par rapport à l’activité de pêche sur la rive française, la continuité du

territoire et les justifications pour légitimer leurs intrusions :

« Là-bas il y a plein de poissons... mais personne ne pêche ! Ils sont feignants... Ceux qui pêchent

sont les Brésiliens... » (Pêcheur 7, homme de 39 ans, Oiapoque)

« On était déjà à 3 milles nautiques dans les eaux françaises... mais c'est difficile car on n’a pas de

GPS29... on voit pas de marques [de frontière] dans l'eau... » (Pêcheur 11, homme de 39 ans,

Oiapoque)

« Ici, comme j'avais dit, n'y avait pas de pêcheur ! C’est après qu'on soit arrivé et qu’on ait

commencé à pêcher qu'ils sont apparus... les pêcheurs d'ici étaient les mêmes [personnes] qu’à

Oiapoque... ils habitaient ici, mais pêchaient là-bas... c'était comme ça ! » (Pêcheur 13, homme de

46 ans, Saint-Georges)

On voit souvant aussi un discours qui montre que les pêcheurs ne font pas tout à fait une distinction

entre la Guyane et le Brésil :

« Je ne suis jamais allé en Guyane... juste à Saint-Georges... » (Pêcheur 17, homme de 34 ans,

Oiapoque)

Ici, le pêcheur se sert de l'ancien conflit du « Contesté » entre l'Amapá et la Guyane pour expliquer

que Saint-Georges est en fait un territoire brésilien, et que, par conséquence, il a le droit d’être sur ce

territoire :

« Ici, c’est un département français... la France est venue et a pris ce morceau du territoire

brésilien comme dette, mais c'était jusqu'à Regina... mais après ils ont tout pris ! » (Pêcheur 25,

homme d’environ 40 ans, Saint-Georges)

La frontière est évoquée seulement lorsque les pêcheurs parlent d’environnement, pour expliquer la

diminution dans les stocks de poisson. Toutefois, ce langage est symbolique, car il n'y a pas vraiment

de frontières pour eux. Cette différenciation est utilisée en tant que territorialité, pour protéger leur

zone de pêche. C’est-à-dire que les discours des pêcheurs changent lorsqu’on leur demande qui est

responsable des problèmes environnementaux et comment les résoudre : la réponse est souvent que les

« gens d’ailleurs » sont le problème et que les « frontières » entre pays doivent être respectées pour

qu’il n’y ait pas une diminution des ressources halieutiques et une crise dans l’activité de pêche. Par

conséquent, dans les discours, le territoire guyanais frontalier n’est plus perçu comme un territoire

presque brésilien, mais comme un territoire tout à fait français.

« On ne pêche pas là-bas car on ne peut pas. Mais on n'est pas intéressé non plus car il y a moins

                                                                                                                         29 Dans les GPS plus actuels la frontière politique Guyane-Amapa est visible sur les cartes.

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de poisson et trop de bateaux... ici c'est meilleur, il y a plus de poisson et moins de bateaux... c'est

pour ça que les Brésiliens traversent pour pêcher ici du côté français... » (Pêcheur 12, homme de

27 ans, Saint-Georges)

De la même façon, les pêcheurs d'Oiapoque se servent de l'origine traditionnelle des pêcheurs et de la

petite taille du bateau pour défendre leur droit à la pêche, en disant que le territoire de pêche devrait

être pour la pêche artisanale et pour les pêcheurs qui habitent depuis longtemps dans la région.

« Ils pouvaient libérer la pêche juste pour nous qui habitons ici... car il y a très peu de pêcheurs, il

n'y aurait pas des problèmes car notre filet est petit ! Ceux du Pará sont énormes et ils prennent

tout notre espace ! Si c'était juste les pêcheurs d'ici le poisson ne serait pas en diminution... »

(Pêcheur 9, homme de 63 ans, Oiapoque)

Selon les résultats et analyses présentées dans ce chapitre, on peut distinguer les pêcheurs expulsés du

Cassiporé comme une sous-communauté singulière dans la zone : ces pêcheurs, réunis dans le quartier

« Olaria » à Oiapoque, ont une cohésion sociale forte, mise en évidence par la composition de foyers

de migrations, et une territorialité marquée, liée à leur présence dans la région et à leur exercice de la

pêche (tradition du métier) depuis longtemps. Ainsi, ils voient plus de changements dans la

disponibilité des ressources. Ces pêcheurs ont fait des migrations complètes ou partielles dans la zone,

et, par conséquent, une diminution des ressources halieutiques pourrait leur être néfaste. Selon eux,

l’abandon des pratiques traditionnelles de pêche et de certains outils causerait une surexploitation de la

ressource.

Les pêcheurs du Para, disséminés dans la ville d’Oiapoque et dans le quartier pêcheur de Saint-

Georges, ont pour la plupart migré de manière temporaire et récente. Sans toutefois former des noyaux

identitaires, ils partagent certaines caractéristiques : ce sont des pêcheurs qui suivent le poisson et qui,

par conséquent, ne perçoivent pas la diminution du poisson dans la zone comme un problème.

Malgré les différences de ces deux sous-communautés, leur discours sur le métier de pêcheur est le

même : leur travail n’est ni valorisé ni reconnu.

Pour ces pêcheurs, basés à Oiapoque, comme à Saint-Georges, les frontières politiques entre les deux

pays (Guyane et Brésil) sont invisibles. En effet, la dépendance entre les deux côtés (glace, ports de

débarquement, etc.), les échanges économiques (tourisme, marchandises, etc.), l’influence d’un côté et

de l’autre sur la production halieutique (embouchure du fleuve Approuague et du Cassiporé) et la

migration des membres de la famille d’un côté à l’autre à la recherche d’une vie meilleure, sont des

aspects qui lient irréversiblement les deux rives de la zone St-Georges/Oiapoque.

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  70  

4. Conclusion

Toutes les activités objectives et concrètes des êtres humains sont constamment retravaillées par

l'univers symbolique, qui exhibe une capacité infinie à créer des diversités. Cette dialectique30 entre les

formes objectives et subjectives de vie est génératrice de la dynamique sociale et du devenir

historique31, tous les deux responsables de l'établissement de modes de vie. Dans le bassin de

l’Oyapock, zone aux limites floues et mouvantes pour ses habitants, les pêcheurs s'échangent des

représentations et des incertitudes, dans un environnement abondant d'activités illicites et temporaires,

en reconstruisant des identités culturelles et des territorialités, qui, de leur côté, vont se répercuter sur

le mode de vie et les conflits engagés entre les pêcheurs de la zone. Cette communauté partageant des

caractéristiques communes doit être traitée de façon conjointe.

Du fait que la communauté de pêcheurs constituée sur l'Oyapock soit dans un contexte pluriculturel et

transfrontalier, on a pu constater que l'entourage culturel et environnemental avait beaucoup plus

d’influence sur le choix des techniques de pêche que les origines, les histoires de vie, les parcours

empruntés ou les métiers pratiqués par les différents pêcheurs. Néanmoins, le parcours de vie du

pêcheur et l’origine de ses savoirs ne sont pas des informations perdues : elles permettent d'orienter la

nomenclature des outils, ainsi que les perceptions identitaires et le sentiment d'appartenance à un

groupe social. Elles jouent également un rôle important lors du positionnement du pêcheur dans le

bateau. Par conséquent, la migration ressort comme un facteur d'innovation sociale et technique, même

si cela se reflète dans la disparition et l’érosion de quelques pratiques traditionnelles, car, quand le

pêcheur migre, il amène ses propres connaissances, ses expériences pratiques et techniques, et les

adapte à la nouvelle zone. L’abandon de certains outils et de pratiques traditionnelles de pêche sur

l'Oyapock, ainsi que celui de valeurs et de pratiques sociales, comme la « loi du respect », causerait

une surexploitation de la ressource, dans le sens où l'intelligence collective deviendrait une « tragédie

des communs ».

Les résultats des changements dans le tissu relationnel des pêcheurs de l'Oyapock, sujets aux facteurs

de pression sur la gestion des ressources environnementales présentées dans cette étude, dépendent du

rythme ou des agents stimulateurs de ces changements. Ces changements peuvent impliquer (ou non)

un caractère néfaste au quotidien des populations, en causant des dégâts, quelquefois irréversibles au

tissu relationnel communautaire et en fomentant le processus migrateur campagne-ville. Par

conséquent, l'exclusion sociale s'élargit et la mémoire de cet univers partagé de références et de

pratiques communautaires formatrices des identités et de la territorialité des pêcheurs artisanaux se

                                                                                                                         30 Méthode de raisonnement qui consiste à analyser la réalité en mettant en évidence les contradictions de celle-ci et à chercher à les dépasser.

31 L'enchaînement ou la marche des événements.

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  71  

perd.

Migrer, pour ces communautés de pêcheurs, est une stratégie fondamentale de reproduction de groupe.

Les pêcheurs peuvent migrer pour toujours ou réaliser des migrations temporaires qui durent quelques

jours, semaines ou mois voire plusieurs années, suivant la stratégie adoptée par le groupe et de

l'histoire tracée par la personne migrante. Néanmoins, l'acte de migrer, même s'il implique toujours le

groupe social, est pour la personne quelque chose d'unique, un changement d'itinéraire, une

déconstruction dans sa direction à une reconstruction interminable devant le nouveau, l'avenir.

Toutefois, le paradoxe entre migration et reproduction du groupe social établit un vide dans

l'imaginaire local sur l'avenir des personnes qui sortent de leur village. Ainsi, la migration comme

stratégie de maintien du patrimoine pêcheur, se transforme aussi dans un « rêve collectif ». On

constate que l'imaginaire de chaque personne ayant migré vers l'Oyapock sur son projet migrateur

et/ou d'autrui, interagissent avec la réalité quotidienne, au moyen de la transmission verbale des

histoires et mythes, en créant la base dans laquelle s'établit le territoire circulatoire : l'espace subjectif

qui lie l'Oyapock à la modernité.

Bien que cette étude réponde à ses problématiques de départ, plusieurs pistes mériteraient d’être

approfondies. Pour mieux comprendre les dynamiques de migration et de transmission des savoirs

dans la pêche, une étude détaillée de chaque village d’origine serait nécessaire. De plus, pendant les

recherches de Ose-Guyamapa, une lacune a été trouvée à propos des aspects juridiques de l'activité de

pêche à l'Oyapock (tant du côté français que du côté brésilien). Toutefois, des études sont actuellement

menées par des juristes pour palier ce problème.

En outre, cette étude a soulevé le besoin de créer une Réserve Extractiviste pour les pêcheurs

artisanaux originaires de Cassiporé, car les résultats montrent qu'ils composent des communautés

traditionnelles dans le sens de la loi brésilienne. Par ailleurs, lors de la création du parc Cap Orange,

ces pêcheurs ont été expulsés sans qu'une alternative de survie leur soit proposée, ce qui les a obligés a

changer leur mode de vie et leurs pratiques traditionnelles.

Finalement, à cause de l'isolement géographique de Saint-Georges et Oiapoque par rapport aux centres

économiques régionaux et de la forte proximité sociale et économique de ces deux communes, qui a

contribué à construire une entité particulière interdépendante de Cidades gêmeas* et dont l'existence a

été confirmée par cette étude, nous pouvons soulever la nécessité d'une administration conjointe et

d'un effort de la part des deux pays pour mettre en place une politique de développement commune.

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Annexes

ANNEXE 1 : CHARTE DE CONFIDENTIALITE EN PORTUGAIS PROPOSEE AUX PECHEURS…………………….…...….78 ANNEXE 2 : GUIDE D'ENTRETIEN………………………………………………………………..………………....79 ANNEXE 3 : GUIDE DES OUTILS DE PECHE…………………………………………………………...…………….81

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Annexe 1 : Charte de confidentialité en portugais proposée aux pêcheurs

1

__________________________________ Pesquisador responsável pela coleta

TERMO DE CONSENTIMENTO LIVRE E ESCLARECIDO (Obrigatório para Pesquisa com Seres Humanos – Resolução nº 196 de 10.10.1996 - CNS)

NOME DO(A) INFORMANTE:

ENDEREÇO:

LOCALIDADE/SETOR:

MUNICIPIO:

RESPONSÁVEIS PELA PESQUISA:

Brunna Crespi Pauline Laval Catherine Sabinot

01

TITULO DO PROJETO: Dinamicas de migração e identidades locais de pescadores em um contexto

transfronteiriço: o caso de Saint-Georges e de Oiapoque.

Autorizado por:

EXPLICAÇÕES DA PESQUISA

02 Este estudo visa conhecer a história de vida dos pescadores da região entre fronteiras Brasil - Guiana Francesa. !

03 Serão feitas conversas gravadas com todos aqueles que trabalham ou trabalharam com a pesca na Colonia Z3 e em

Saint-Georges.

04 Os resultados deste estudo serão úteis para conhecer as mudanças pelas quais a atividade pesqueira vem

passando, e principalmente, para conhecer o perfil dos pescadores da região e poder dialogar com

gestionarios e autoridades publicas.

05 Asseguramos que as informações coletadas não serão divulgadas com identificação dos informantes.

06 A participação das pessoas no estudo é de caráter voluntário, ficando assegurado que as mesmas poderão desistir

dessa participação a qualquer tempo.

AFIRMAÇÕES DO(A) INFORMANTE OU RESPONSÁVEL

07 Fui esclarecido(a) sobre os objetivos da pesquisa, os procedimentos e outros assuntos?

SIM NÃO

08 Fui esclarecido(a) sobre a segurança de que minha identidade será preservada, mantendo-se todas as informações

em caráter confidencial? SIM NÃO

CONSENTIMENTO PÓS-INFORMADO

Declaro que, após ter sido convenientemente esclarecido(a) deste estudo conforme definido nos itens 1 a 08, consinto em

participar, na qualidade de informante, do Projeto de Pesquisa referido no item 1.

LOCAL: Nº Carteira de Identidade:

DATA: ASSINATURA DO INFORMANTE OU TESTEMUNHA:

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Annexe 2 : Guide d'entretien

N° d’entretien :

Nom de l’enquêteur :

Nom et prénom de l’enquêté :

Statut de l'enquêté :

Lieu :

Date :

1- Pourriez-vous me raconter quand et où vous êtes né ?

2- Combien de frères et sœurs avez-vous? Où ils sont ?

* Explorer les histoires de vie et trajectoires.

3- Quelle était la profession de vos parents ? Et de vos grands-parents ? Où ils sont nés ? Quelle l’origine ethnique ?

* Explorer les similitudes et les différences entre les générations des parents, des grands-parents et la vie actuelle de l’interviewé.

* Explorer d’où vient les savoirs.

4- Avez-vous etudié? Où?

* Conduire jusqu’au mariage, en explorant le mémoire sur les ressources naturelles/ pêche (qu’est-ce que change à chaque endroit ? Spp., techniques, etc.).

* Explorer les endroits par lesquels l’interviewé est passé, l’année, les raisons pour suivre ou changer sa trajectoire, et qui ou qu’est-ce qu’il a amené avec lui.

5- Avez-vous continué à travailler avec la pêche, agriculture, extraction ?

* Explorer les raisons pour la permanence ou le changement d’activité.

6- Pensez-vous en quitter cet endroit un jour? Pensez-vous en déménager/retourner en Guyane/Brésil ?

7- Avez-vous déjà été renvoyé à la frontière? Si oui, où ?

8- Comment fonctionne la pêche à l’autre côté ? Vous connaissez quelque pêcheur de là-bas ?

* Explorer les échanges entre les deux côtés.

9- Quels sont les engins de pêche que vous utilisez et connaissez ? Depuis quand utilisez-vous cet engin ? Pourquoi avez-vous l’adopté ? Comptez-vous l’en changer prochainement ?

* Montrer le catalogue des engins de pêche.

10- Quels sont les avantages et inconvénients des techniques que vous utilisez et ceux des techniques utilisés de l’autre côté ?

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11- a) Quelles sont les espèces les plus débarquées ?

* Si la personne n’a pas cité les espèces contrôlées par l’Ifremer, demander des renseignements sur les espèces suivantes (Pescada amarela/Acoupa rouge, Pescada branca/Acoupa rivière, Uritinga/Machoiron blanc, Corvina/Courbine).

b) Les classer de la plus débarquée à la moins débarquée.

12- Quelles sont les zones de pêche plus et moins productives ?

*Dessiner sur une carte (général ou/et par spp.).

13- Qu’est-ce qu’une bonne pêche ?

*Durée, quantités, espèces

14- Qu’est-ce qu’un bon pêcheur ?

*Pour être un bon pêcheur il est nécessaire d’avoir de l’expérience (combien d’années) ? Etre un bon capitaine ? Avoir un bon matériel/équipement ? Avoir un bon revenu ? Payer beaucoup de taxes ? Pêcher de gros poissons ? Pêcher certaines espèces ? Etc.

15- a) Quel est le port de pêche le plus productif ?

b) Quels sont les ports qui produisent le plus ? Les ports de Guyane ou ceux d’Amapá ?

c) Classer les ports de pêche par ordre d’importance, du plus productif au moins productif.

16- a) Quelle est la législation de la pêche ici ?

b) Quels sont les aspects de la législation qui influencent le plus votre activité, votre vie ?

* Limitation d’accès à certaines zones de pêche (frontières...), protection de certaines espèces, limitation de techniques de pêche, ensemble des contrôles de l’activité...

c) Y-a-t-il des périodes d’interdiction de pêche dans cette région ?

* Explorer périodes, situation des spp. capturés.

d) Que faites-vous pendant ces périodes d’interdiction ? Comment c’était au temps de vos parents ?

17- La quantité de poissons que vous pêchez actuellement correspond à la même quantité qu’on pêchait au temps de vos parents ? Pour quelles raisons ?

* Explorer les perceptions des différences, des permanences ou des changements des stocks de poissons et leurs raisons.

18- Considérez-vous que votre effort de pêche soit compatible avec la pérennité des stocks de poissons ? Quelles mesures pensez-vous qu’il faudrait prendre pour que vos enfants puissent continuer à pêcher dans la zone ?

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Annexe 3 : Guide des outils de pêche (Les illustrations sont tirées de Claude Nedelec (1982) ; Définition et classification des catégories d’engins de pêche)

1- Filet maillant dérivant

2- Filets maillants calés

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3- Filet maillant fixe

4- Palangres

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5- Filets tournants

6- Sennes de plage

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7- Chaluts de fond à panneaux

8- Chaluts jumeaux

9- Dragues

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10- Filets soulevés manœuvrés d’un bateau

11- Eperviers

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12- Filets soulevés manœuvrés d’un rivage

13- Filets-pièges fixes

14- Nasses ou casiers

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15- Verveux

16- Barrages

17- Lignes à la main et avec cannes