Crépuscule des Idoles Nietzsche

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    RICBLONDEL

    NIETZSCHE

    Crpu scu l e d es i d o l es

    ANALYSE, EXPLICATION, COMMENTAIRE

    PRFACE - CHAPITRE II 1 ET 2 :LE PROBLME DE SOCRATE

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    NIETZSCHE CREPUSCULE DES IDOLES - COMMENTAIRE

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    INTRODUCTION

    I. GNRALITS

    [extraits de lIntroduction Nietzsche, Crpuscule des idoles, trad.ric Blondel, Paris, Hatier 2001, qui peut servir dintroduction la lecturede Nietzsche].

    Nietzsche se prsente comme un penseur qui veut rompre avec lesidaux anciens, philosophiques et religieux. Cependant, ses rfrences sontessentiellement issues de la Bible et de Schopenhauer. Ses attaques contre lareligion (christianisme) sont la fois pertinentes et injustes. Il les conduit

    avec la vhmence des prophtes combattant les idoles, les faux dieux. Ilmet en cause le moralisme, comme Jsus la fait.Schopenhauer considre que la ralit vritable de lhomme, cest la

    volont et non pas lesprit, la raison. La volont est une force aveugle quipousse tous les tres vers des buts, des dsirs dont ils ne peroivent pas lesens. Une fois atteints, dautres les remplacent et ainsi indfiniment. Vivre,cest vouloir, dsirer. Cette volont fait de lhomme un jouet, inconscientde ce qui le meut. Aussi pour viter de souffrir il faut sefforcer de renoncerau dsir, au monde sensible, de nier la volont. Le dsir-volont fait vivre etsouffrir.

    Nietzsche, en revanche, prtend que lhomme doit affirmer le dsir

    dans ce quil a de terrible et de douloureux. Voici laffirmation dionysiaque.Kant (que Nietzsche connat travers sa lecture de Schopenhauer)avait affirm auparavant lillgitimit des prtentions de la philosophie dansce qui est au-del de la ralit physique, sensible. Nietzsche reprend le

    projet kantien en le combinant avec celui de Schopenhauer. Nietzsche rvlequelle volont, quels dsirs, quels affects sont lorigine de la philosophie,de la morale, de la religion. Toutes ces penses reposent sur le refus de vivredans la ralit sensible : on la nie.

    Le titre, Crpuscule des idoles, est une allusion parodique auCrpuscule des dieux de Wagner, quatrime opra de la ttralogie de

    lAnneau de Nibelung(1869-1874). Cest dans la provocation, le rire quilconvient de rechercher la pense de Nietzsche, et la cohrence des images.

    Lidole (image prdominante de ce texte) est le faux dieu quelhomme a lui-mme cret quil adore, oubliant quil se soumet ainsi ses propres dsirs, ses rves voire ses dfauts.

    Le crpuscule, cest la lueur de la tombe du jour. Dans laphilosophie classique, la source de toute vrit, Dieu a toujours t prsentcomme la lumire intense du soleil au znith. Le processus de laconnaissance, de Platon Hegel, est de lordre de la vision. Pour Nietzsche,

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    cette lumire de la vrit, le Dieu-soleil, plit. Cest le dclin, en Occident,du fondement premier de toutes les valeurs. Dieu est mort .

    lexemple de Mose, Nietzsche se prsente comme le destructeurdes idoles. Quand vient le crpuscule on ne peut plus voir distinctement, ilfaut donc couter, ausculter les idoles. Il faut avoir loue fine, une seconde

    paire doreilles pour dceler ce qui est cach. Nietzsche montre alors lamaladie intrieure des idoles. Il appelle cette mthode psychologie, smiotique , symptomatologie et dun terme gnrique, la gnalogie . La gnalogie permet de remonter dun symptmemanifeste son origine corporelle cache.

    Ainsi Nietzsche propose-t-il un nouveau type danalysephilosophique. On ne dmontre plus la vrit ou la fausset, on met envidence quelle attitude, quelle physiologie exprime lnonc des idaux

    philosophiques, moraux, religieux, qui ne sont que des symptmes.On rapporte des noncs abstraits et intellectuels au corps. Les idesnont pas de sens en soi. Ce sont des jugements de valeur du corps.

    Le dcadent est celui qui na pas assez de force pour affronter laralit telle quelle est. Donc il la dcrie, la dnigre. tre faible, cest ne pasaccepter une ralit ambigu, nigmatique, changeante.

    Pour Nietzsche, corps et esprit forment un tout. Cest ce tout quicontraint adopter telle attitude vis--vis de la ralit, cest--dire, grce lamthode gnalogique : une rvaluation de toutes les valeurs[Prface, trad. ricBlondel, d. Hatier, 2001, p. 6] :

    Il y a plus didoles que de ralits dans le monde [ibid.] Elles changent de

    nom, mais elles sont ternelles. Il ne faut pas tre de son temps maisintempestifpour pouvoir sattaquer aux nouveaux aspects que prennent lesidoles. Les postulats soi-disant intouchables ne sont que symptomatiquesdune volont faible, cest--dire qui refuse la ralit sensible.

    Une des idoles rside dans la science construite par des oprations delesprit. Toute science suit un schma platonicien. La science considreque le monde sensible nest querreur et illusion et on en a fait un idal.

    Les morales quant elles reposent sur une confiance absolue enlesprit, en laffirmation des valeurs.

    tre faible, cest avoir besoin de certitudes (morales, religieuses,scientifiques, politiques, ) Les certitudes sont des idoles creuses qui ont

    une influence morbide. Elles dclinent vers le crpuscule. La philosophie estun symptme de ce que lon refuse.

    Le surhomme est celui qui a la force daccepter la ralit. Tout a unrapport avec le psychisme, linconscient et les conditions sociales etconomiques. Il faut ramener la philosophie au jour et parler de

    perspectives.

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    II. LE CRPUSCULE DES IDOLES: UNE VOIE DACCS1

    Patrick Wotling a traduit Crpuscule des idoles. Dans lintroduction cette traduction, Patrick Wotling souligne que le Crpuscule des idolesconstitue la fois une introduction la recherche entreprise par Nietzsche etun condens de sa pense2.

    Dans sa lettre du 09/09/1888 Carl Fuchs, Nietzsche prsenteCrpuscule des idolescomme une parfaite introduction densemble (sa) philosophie .De mme, Nietzsche crit Jacques Bourdeau (17/12/1888) que Crpusculedes idoles est une voie daccs privilgie lensemble de son uvre :

    Ce livre serait lintroduction la plus rapide et la plus approfondie ma philosophie. Jene crois pas quil soit possible de donner plus de substance en un espace aussi rduit . 3

    Parmi les uvres de Nietzsche, Crpuscule des idoles(1888, publien 1889) a donc pour fonction particulire la fois dintroduire et decondenser lensemble de sa rflexion, de manire la rendre accessible tous.

    Par exemple, Patrick Wotling insiste sur deux images rcurrentes : lemarteau, les idoles, et sur la psychologie.

    Crpuscule des idoles, prlude au renversement des valeurs, a poursous-titre : (ou comment on philosophe au marteau) . Nietzsche a hsitentre plusieurs formulations : Marteau des idoles , comment un

    psychologue pose des questions ou rcrations dun psychologue , loisirs dun psychologue .

    III.

    LIMAGE DE LIDOLE

    Le terme idole montre, par son renvoi Wagner (comme indiqu ci-dessus), que les dieux sont remplacs par des idoles. Crpuscule des dieux(Wagner), Crpuscule des idoles (Nietzsche), crpuscule toujours. Maiscette fin des idoles indique aussi lannonce dune nouvelle aurore, la

    promesse de la gat dun esprit libr des idoles.

    Cette image apparat chez plusieurs auteurs et en divers lieux.F. Bacon, dans leNovum organum(1620) dnonce les idoles qui font

    obstacle au savoir.

    Schopenhauer qualifiait Fichte, Schelling et Hegel de trois idoles de laphilosophie universitaire .

    Patrick Wotling, quant lui, souligne que limage de lidole suggreune modalit affective : on sy attache, on la respecte, on la vnre. Elle aune autorit imprative, elle nest pas une simple reprsentation.

    1Extraits de lIntroduction de P. Wotling au Crpuscule des idoles, d. GF Flammarion, 2005

    2Crpuscule des idoles, d. GF Flammarion, Paris 2005, p. 94

    3ibid. p. 94

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    Ainsi limage des idoles renvoie la notion de valeur, cest--direune manire de penser qui paralyse lesprit critique et qui constitue un trait

    fondamental de la ralit et du perspectivisme. Il y a ncessit pour toutvivant dorganiser son existence partir de prfrences premires, infra

    conscientes, qui dfinissent ce qui doit tre recherch, ce qui doit tre fait, ettraduisent ces choix sous forme affective, travers un rseau dattirances et

    de rpulsions 4.

    La spcificit de lutilisation nietzschenne de la notion didoletient cette identification du conditionnement de toute sa vie savoir de

    linterprtation de la ralit par une srie de valeurs fondamentales.

    Lhomme a besoin dorganiser son existence partir de rfrences

    premires, de valeurs lectives. Mais certaines valeurs, la faveur de

    lvolution historique quelles induisent, deviennent des idoles parce que,

    comme elles, elles impliquent le respect et lautorit fige qui sy rattache,et sopposent ainsi terme lintensification et mme au maintient de la vie

    humaine. Do le projet ncessaire de renversement des valeurs. Il faut,dclare Nietzsche : remettre en question la valeur de ces valeurs, il faut, pour cela, avoir connaissance des conditions et

    des circonstances dans lesquelles elles ont pouss, se sont dveloppes et dplaces .5

    Voil la nouvelle connaissance gnalogique qui nexistant pas avant et

    quon ne dsirait mme pas.Les pulsions sont luvre dans la construction des interprtations de la

    ralit auxquelles poussent les valeurs.Lidole, ainsi, dsigne une valeur en dcalage avec la ralit. De par son

    autorit usurpe, elle est hostile la ralit. Il faut rendre ses droits laralit, la vie. Paridole,dit Nietzsche, jentends tout idal. 6

    IV. LIMAGE DU MARTEAU

    Limage du marteau a plusieurs sens. Elle est synthtique.

    Cest une mtaphore de destruction : Mose dmolissant le veaudor.

    Elle voque le marteau magique de Thor dans la mythologiescandinave.

    Elle fait penser aussi au marteau des sorcires, au Mallens

    malificiarum, sorte de manuel de linquisiteur rdig par deux dominicainsen 1489 : Jacob Sprenger et Henri Krammer. Il est utilis pour combattre

    une puissance malfique.

    Nietzsche serait-il en quelque sorte un nouvel inquisiteur ?

    4Patrick Wotling, introduction la traduction de Crpuscule des idoles, d. GF Flammarion, p. 99.

    5Ibid., pp. 100-101

    6Ecce homo, Avant-Propos, 2.

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    Le marteau cependant (comme Nietzsche le rappelle dans la Prfacedu Crpuscule des idoles), [op. cit., p. 7] est aussi un instrument mdical.Dans ce cadre, il sert interrogeret non dtruire. Un mdecin utilise la

    percussion pour identifier des symptmes et ainsi diagnostiquer unemaladie. Nietzsche se veut mdecin de la culture.

    Linvestigation gnalogique joue sur le rseau mtaphorique delcoute. Le privilge traditionnellement accord au sens de la vue estrcus. Les signes rvlant la ralit ne sont pas donns spontanment, ilsdoivent tre provoqus. Il faut ausculter, cuisiner . Le discours-marteau

    pousse parler ce qui a quelque chose cacher et qui est susceptibledentamer sa dignit.

    Le marteau dsigne une autre activit positive. Le marteau dusculpteur impose une forme nouvelle la matire. Ainsi, on construit un

    nouveau type dhomme, le surhumain.Nietzsche [Ainsi parlait Zarathoustra, trad. Goldschmidt, d. Livrede poche, 1972, p. 109] crit :

    Mon ardente volont de cration me ramne sans cesse lhomme ; de la mme faon le marteau setrouve entran vers la pierre. [] Voici que mon marteau frappe cruellement aux murs de sa prison.Des clats de pierres senvolent

    V. LE PHILOSOPHE DIONYSOS

    La pratique artistique est lactivit suprmement affirmatrice, elle est

    la nature mme de la ralit. Le marteau sert dire oui . Il y asolidarit entre la destruction et la cration. Une nature dionysiaque nespare pas le faire ngateur du dire affirmatif7.

    La philosophie de Dionysos se substitue la prtendue recherchedsintresse de la vrit. Toute la philosophie travaille slectionner untype dhomme caractris par une hirarchie pulsionnelle, avec une formede vie spcifique. Cela a abouti, depuis Platon puis le christianisme, unevie dprime.

    Il faut reconnatre la noblesse de la matire sur laquelle le marteautravaille et le caractre divin de celui-ci. Mais il est ncessaire que deshommes soient assez levs pour donner forme lhomme en artistes8.Aussi, maintenant, dans Crpuscule des idoles, il ne sagit pas seulement dediagnostiquer mais de sengager. Cela est la forme suprme de lexistence 9.

    Ainsi le dernier chapitre de Crpuscule des idoles prsente-t-il lamorale de Dionysos. Nietzsche le philologue met en lumire la pense

    7Cf.Ecce homo, Pourquoi je suis un destin , trad. . Blondel, d. GF Flammarion, 2, p. 152

    8Cf. Par-del Bien et Mal, 62.

    9Fragments Posthumes, XI, 34 (176).

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    grecque avant la venue de Socrate. On rencontre l un homme lev par desvaleurs affirmatives. Cet homme est apte vivre et affronter la vie sans lanier, faire face ses aspects terribles. Il y a une solidarit profonde entretous les aspects de la vie.

    Avec Platon, la dcadence commence. On cherche dsesprment unrefuge dans la raison.

    La prfrence fondamentale, rgulatrice de lensemble de la viehumaine est une valeur-marteau.

    Le lien entre la philosophie de Dionysos, le marteau, lternelretour de lidentique, se rvle. La philosophie de Dionysos est le marteaudans sa fonction valuatrice et cratrice.

    Et Nietzsche dclare quil est : lultime disciple du philosophe Dionysos . Il enseigne lternel retour [dernire phrase de Crpuscule des idoles].

    [] tre soi-mmelternelle joie du devenir, joie qui comprend mme en elle lajoie dela destruction

    10

    Il faut donc rformer la vie humaine, mobiliser les nergies pourrenverser les valeurs qui sont des idoles. En particulier, il convient demontrer que la vrit nest plus la loi vritable de lactivit humaine. Lavrit relve dun choix interprtatif, dune prfrence fondamentalecaractristique du type de culture que sest donn lEurope depuis Platon savoir le primat des ides, de la logique, du discours rationnel. Ce quiorganise la vie, ce sont les prfrences et les rpulsions fondamentales.

    partir de cela se forment les activits humaines, y compris philosophiques.

    10Crpuscule des idoles, Ce que je dois aux Anciens , trad. . Blondel, d. Hatier, 5, p. 132.

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    PRFACE: COMMENTAIRE DTAILL

    I. LAPHORISME

    Le texte est constitu de trois paragraphes que lon peut considrercomme un seul aphorisme.

    Que signifie le mot aphorisme? Stricto sensu, aphorisme signifie : une expression dlimite .

    Cest quelque chose de dfini, circonscrit, partiel. Il sagit dun raccourcidexpression.

    Chez Nietzsche, ce sont des expressions trs laconiques, desmaximes.

    Un aphorisme peut donc tre trs bref.

    Par extension, on donne le nom daphorisme des textes formantparagraphes dans certaines uvres de Nietzsche. Cest le cas dans lacomposition du Gai Savoir ou de Par-del Bien et Mal, de Humain trophumainetc. o les textes sont dlimits en eux-mmes, par eux-mmes, parleur contenu et qui ne sont pas nettement relis aux paragraphes prcdentset suivants. Ils forment un tout.

    Autre caractristique ; laphorisme se termine souvent par ce quelon appelle en stylistique une pointe, cest--dire une phrase, uneexpression ou un mot provocant11. Laphorisme comporte toujours desallusions, des expressions incompltes.

    Par exemple : Nietzsche transforme la formule clbre panem etcircenses, du pain et des jeux de cirque (ce que rclamaient lesRomains, cf. Juvnal), en panem et Circen , du pain et Circ . Or,Circ voque la musique au pouvoir magique. Voici une pointe. Que nousfaut-il comprendre ? Cest une provocation la rflexion.

    Autre exemple : Quoi ? Tu cherches ? Tu voudrais te dcupler, te centupler ? Tucherches des disciples ? Cherche des zros !

    12. Nietzsche ici plaisante et fait du

    mauvais esprit. Laphorisme doit donner ruminer, provoquer toutes

    sortes de rsonances. Peut aussi tre considr comme aphorisme un ensemble de

    paragraphes qui ne suit pas un ordre logique Ce sont des sortes demonades. Ce sont des sections.

    11Cf. Crpuscule des idoles, Maximes et pointes .

    12Crpuscule des idoles, Maximes et pointes , trad. . Blondel, d. Hatier, 2001, 14, p. 9.

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    La Prface de Crpuscule des idolesconstitue une section, aphorismecomportant trois paragraphes.

    II.

    LE TEXTE

    Nous renvoyons ici le lecteur au texte original qui devra tre lu dans sonintgralit pour une bonne comprhension du propos :Crpuscule des idolesPrface, trad. Blondel, d. Hatier, 2001, pp. 6-7.de Conserver sa belle humeur quand on sest engag dans une affaire tnbreuse et extrmementexigeante, ce nest pas une mince affaire : et pourtant, quoi de plus indispensable que la bellehumeur ? Ce qui ne les empche pas dtre celles auxquelles on croit le plus ; au demeurant, notammentdans le cas de la plus clbre dentre elles, on se garde bien demployer le mot didole

    Turin, le 30 septembre 1888,le jour de lachvement du premier livrede laRvaluation de toutes les valeurs.

    Nous fragmentons ce texte dans la suite du cours, pour lexaminermorceau par morceau.

    PREMIER ALINA

    III. PREMIER POINT: LA BELLE HUMEUR

    Conserver sa belle humeur quand on sest engag dans une affaire tnbreuse et extrmementexigeante, ce nest pas une mince affaire : et pourtant, quoi de plus indispensable que la bellehumeur ? Rien ne russit lorsque fait dfaut lexubrance. Ce qui prouve la force, cest le trop-pleinde force.

    La Prface annonce lintention du livre : Crpuscule des idoleset lamthodepropose par ce texte. Nietzsche prsente son objectif.

    Limportance de lobjectif cest la belle humeur. La belle humeurpourrait tre lpigraphe de ce livre qui est un manuel global sur lensemblede la recherche de Nietzsche. Le but de la philosophie cest la belle humeur.Au lieu de combattre les passions, ce qui conduit la mauvaise conscience,au ressentiment, tous les sentiments ngatifs de la dcadence et de lamaladie morale, il faut cultiver la belle humeur.

    Voil la grande intention philosophique de Nietzsche.Cette grande intention, chez Platon, consiste dans la recherche du

    Vrai et du Bien.

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    Descartes, lui, cherche la vrit dans la science. Kant veut dfinir les

    limites de la comptence de la raison (Critique de la Raison pure).

    Spinoza cherche la batitude et se rapproche ainsi de Nietzsche. La

    belle humeur comme la batitude sont la fois de lordre de la sant ducorps et de la joie du psychisme.

    La belle humeur est une qualit que Nietzsche se donne comme

    emblme. Le but dune entreprise philosophique est donc un but pulsionnelet instinctuel. La grande santrejoint la belle humeur. La grande sant

    contrairement ce que lon pourrait penser inclut la maladie, dune faon

    positive. Atteindre la belle humeur implique daugmenter sa puissance,

    daccrotre ses forces, sa volont de puissance (bien que lexpression nefigure pas ici) forte, sa nature dionysiaque.

    Cette Prface ou avant-propos se prsente suivant le plan ci-aprs.

    Le premier alinasouligne que la belle humeur ou gat desprit

    est trs difficile conserver et accrotre dans les circonstances difficilesqui rsultent de la tcheque Nietzsche sest fixe. Cette tche consiste

    faire la gnalogie de la civilisation, den constater les valeurs etdentreprendre une transvaluation de ces valeurs.

    Ensuite Nietzsche indique quil se donne deux moyens essentielspour maintenir sa belle humeur dans les circonstances de son interrogation

    portant sur la civilisation, circonstances qui se prsentent comme un point

    dinterrogation, norme et noir. Il prsente le premier moyen savoir laguerre.

    Dans le deuxime alina, il traite du second moyen qui estlauscultation des idoles.

    Le troisime alina conclut la Prface en reprenant les deux points

    exposs dans les deux alinas prcdents. Nietzsche prconise de soffrir

    quelques dlassements, plaisirs, carts. Il sagit de conserver sa belle

    humeur mme en dclarant la guerre et en auscultant les idoles.

    Nietzsche prcise que certaines idoles sont ternelles savoir lesidaux de la morale, suprieurs du point de vue ontologique la ralit

    sensible. Ces idaux sont des idoles (ces deux mots sont quasimentquivalents dans lcriture nietzschenne) et tout le monde y croit. Lidal

    (lidole), la plus rpute, cest Dieu. Lidole reprsente le rien, le vide.Comme idole Dieu est mort, Dieu est une idole vide. Si lon se garde

    demployer le mot idole propos de Dieu, ce nest pas seulement parce que

    cest un blasphme, mais cest galement parce que lon ne veut pas

    admettre lvidence. Lidole-Dieu ne contient rien. Cest une figure dunihilisme.

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    3.1 LA BELLE HUMEUR

    La belle humeur est le terme cl qui symbolise et couronne toutelentreprise de Nietzsche : conserver sa belle humeur. Il convient davoir

    des forces et daller vers la belle humeur. La belle humeur est une notioncentrale pour dfinir le sens de lentreprise de Nietzsche. On peut

    rapprocher cette dmarche de Spinoza qui a pour vise la batitude, la joie,par laction.

    La belle humeur signifie srnit, gat desprit. Ce nest pas une joie

    exalte. Cest une sorte dattitude de rjouissance lgard de la ralit.Il sagit dune humeur bonne, joyeuse. La belle humeur nest pas entame

    par la mort, la maladie, les catastrophes, le malheur.

    Conserver

    sa belle humeur, cest faire jouer les instincts, lespulsions, les affects dune faon affirmative, cest--dire dionysiaque, en

    dpit du caractre destructeur, nigmatique, angoissant, tragique, de la

    ralit.

    Nietzsche, esthte ou mlomane voire artiste, ne parle jamais de belle

    humeur propos de Wagner.Pourtant, ds Humain trop humain (1878), dans la deuxime partie

    du Voyageur et son ombre, Nietzsche parle de la belle humeur propos dela musique. Et il le fera jusqu ses derniers crits, par exemple dansEcce

    homo. Il dit que la musique est de belle humeur, telle celle de Bizet par

    exemple, loppos des compositions de Wagner. La musique doit exprimerla belle humeur. La musique de Mozart en est lillustration exemplaire.

    Mozart nest ni lger, ni gracieux, ni superficiel au sens gnral du terme. Il

    est superficiel par profondeur , dfinition que Nietzsche donne de lauthentique

    profondeur dans le Gai SavoiretNietzsche contre Wagner.

    Mozart compose avec en toile de fond la ralit du mal, de la

    destruction, de la mort. Mozart, souffreteux, meurt jeune et dans la misre.

    Cependant sa musique nargue ce que la vie a datroce, de menaant. Son

    opra, Dom Juan, souvre comme le souligne Schopenhauer sur unaccord en mineur, un accord dissonant qui donne tout de suite le ton :

    lhistoire de Don Juan est une sale affaire ! Elle commence par le meurtredu Commandeur. Lensemble se droule sous le signe de la mort. Le finale

    est la mort de Don Juan, prcipit aux Enfers.

    Tout aussi caractristique est son opra Cosi fan tutte. Cette comdie

    de murs, lgre, optimiste nen a que lapparence. Son titre, Les femmes

    sont toutes pareilles, transmet un message, elles font toutes la mme chose.

    Mozart reprsente les rencontres et les jeux amoureux avec un parfait

    cynisme. Lhistoire est la suivante. Deux jeunes femmes jurent fidlit

    leurs amants qui partent prtendument larme. Ds quils se sont

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    loigns, elles tombent amoureuses de deux inconnus, leurs amants revenusdguiss. la faveur de ce stratagme, les couples forms au dpart servlent mal assortis et se reforment avec lchange des deux amants. Cestune tragdie cynique de lamour, prsent ici comme nayant aucun sens.

    La belle humeur est donc symbolise par la musique de Mozart, auxaccents de gat, dexultation dbordante, de plaisir de vivre. Cetteallgresse chante au-dessus du dsespoir et de langoisse. Chez Mozart,langoisse est toujours surmonte. La belle humeur surmonte lhorreur dela vie et de son corollaire, la mort.

    On est devant un point dinterrogation noir, devant la manifestationdu nant, des tnbres. La vrit recle lhorreur tragique. Il ny a que lenant des valeurs, rien qui vaille, aucune valeur qui tienne.

    3.2 UNE AFFAIRE TNBREUSE

    Cest le nihilisme. Le nihilisme signifie que Dieu, fondement detoutes les valeurs, est mort. Le couronnement de la morale occidentale(socratique, platonicienne, chrtienne) nest rien. Il ny a aucune valeur.Toutes les valeurs qui fondent la morale sont vaines. La vie na pas de sens.Cette affirmation concerne la ralit. Il ny a ni vrit ni bien ni justice.Les idaux platono-chrtiens ne recouvrent que laspiration de faibles. Onmasque ainsi la ralit qui fait peur et qui angoisse. La ralit est menaante,comme le montre la tragdie. On cherche se protger en btissant desidaux, que rien ne justifie. Le montrer, cest cela l affaire tnbreuse etextrmement exigeante .

    Tnbreux renvoie ce qui est sinistre et nencourage pas prouver la belle humeur. Cette affaire est galement exigeante. En effetcest une tche crasante de dnoncer le mensonge de lidalisme qui veutmasquer le nant des idaux face une ralit atroce et tragique. La ralitest la fois effrayante, douteuse, nigmatique, quivoque, suspecte.

    Donc conserver sa belle humeur , dans cette situation, tant engag danscette tnbreuse affaire, ce nest pas un tout petit tour de force, cest delordre de lart suprme, de lart de vivre. Vivre devant la catastrophe quereprsente le nihilisme, leffondrement des valeurs, de leur fondementontologique, transcendant et navoir pas dangoisse, de dsespoir, derancune, de ressentiment, ce nest pas une mince affaire .

    Vivre lorsquil ny a ni vrai ni bien ni progrs ni avenir, vivre sanstre affect ngativement, vivre toute son existence devant la catastropheque reprsente le nihilisme leffondrement de toutes les valeurs , cela

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    rclame un grand courage. Le nihilisme est une dclaration de principegnrale sur lentreprise de vivre. Tout ltre humain est concern.

    Ce nest pas une mince affaire que de vivre sans dsespoir, sanschercher se drober, sans se dsoler de ce que la vie nait pas de sens. Pour

    Nietzsche, les sages ont fui en quelque sorte tout cela soit en fabriquant desidoles, des idaux, soit en sombrant dans le dsespoir. Nietzsche citeSocrate13 Vivre cela signifie une longue maladie .Le plus simple est de mourir au

    plus tt. Si lon ne meurt pas rapidement, on mdite alors sur la mort et lonsy prpare en ayant une attitude ngative face la vie, cest--dire en nianttout ce qui est de lordre du sensible, cause de nos souffrances.

    Ainsi, les plus grands sages, devant le tragique de la vie sont tombsdans le pessimisme, le dsespoir, le dcouragement. Ils ont alors choisi

    lidalisme pour se protger du nihilisme.

    La belle humeur donne un sens la vie. Elle valorise tout ce qui peuttre fait dans la ralit. Elle est la valeur ultime de la vie, de la rflexion

    philosophique, de la pense, de toute activit. La valeur ultime, ce nest pasla paix de lme, la rsignation, la soumission au destin ; ce nest pas lavrit, le bien, ni le devoir kantien. La belle humeur est une certainemanire de caractriser laffirmation de la ralit que Nietzsche appelle ledionysiaque.

    3.3 LEXUBRANCE

    Rien ne russit lorsque fait dfaut lexubrance. Ce qui prouve la force, cest le trop-plein deforce.

    Nietzsche, dans ces deux phrases nigmatiques, rflchit sur lexcs.En effet, le problme de lhomme nest pas de se maintenir un mmeniveau. Ce nest pas non plus de sadapter son environnement comme lesoutient lidologie dinspiration darwinienne : sadapter, cest se soumettreaux lois du rel et de lvolution, pour se conserver ; la loi de la slectionnaturelle a pouvoir de vie et de mort.

    Pour Nietzsche, cela nest pas satisfaisant. Cest le faible qui suit uneloi extrieure lui. Le fort, lui, est actif, il sempare de la ralit, il ladomine, il la transforme, lui impose sa volont au lieu de sadapter, en yemployant toute sa force. Pour caractriser cette force Nietzsche utilise leverbe crer . Crer, cest produire quelque chose de plus que ce qui estdonn et le dominer. Face une ralit problmatique et effrayante, il nesagit pas de courber le dos pour se conserver mais bien de crer, de

    13 Op. cit., Le problme de Socrate , chap. 2, p. 15.

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    lemporter. Il faut acqurir plus de puissance, avoir une volont depuissance. Vouloir plus de puissance, Nietzsche appelle cette actionlaffirmation, do limportance de la croissance, de la fcondit et delexubrance.

    Lexubrance, cest le trop-plein de force. La belle humeur estexubrance. La belle humeur ne fait pas donnant-donnant avec la ralit, cenest pas un quilibre avec ce que nous devons affronter.

    Lexubrance, cest un surplus de force ncessaire la satisfactiondes pulsions en gnral ou la prise de pouvoir dune pulsion principale surles autres pulsions, la ralit.

    Il ne suffit donc pas de sadapter. Il faut vouloir plus de puissance, la

    croissance.Dans le 2 de LAntchrist, Nietzsche rpond quelquesinterrogations. Quest-ce qui est bon ? Tout ce qui lve en lhomme le sentiment de la puissance, la volont de

    puissance, la puissance mme. 14

    La volont de puissance, cest celle daugmenter, de crotre, pour lesaffects, et pour ltre humain de vouloir plus.

    Nietzsche dans ce mme paragraphe qui se prsente comme unesorte de petit catchisme , poursuit : Quest-ce qui est mauvais ? Tout ce qui provient de la faiblesse. Quest-ce que le bonheur ? Lesentiment que la force crot, quune rsistance est surmonte. 15

    En choisissant les verbes crotre et surmonter , Nietzscheindique quil ne sagit pas de sadapter. Au contraire, le principe mme de lavie cest la croissance, la volont de puissance. Les affects, les pulsions, lescentres de la volont veulent le dpassement. Vivre, ce nest pas seconserver en ltat, cest se dpasser. Le psychisme ne vise pas la paixmais la volont de puissance de tous ses instincts.

    Toutes les pulsions sont structures par la volont de saccrotre afinde dominer les autres affects. Cette augmentation de la force des pulsions,

    Nietzsche lappelle le bonheur, la belle humeur. Le bonheur nest pas une

    paix, une absence de tensions, une neutralisation des conflits. Ce bonheur-lnest quune faiblesse : un renoncement. On sadapte alors pour viser unepaix qui est absence de contradictions. Voil en quoi consiste la faiblesse.

    Dans lalina suivant, Nietzsche y insiste :Non pas la satisfaction, mais davantage de puissance ; non pas la paix en elle-mme, mais laguerre ; non pas la vertu mais ltoffe (vertu dans le style de la Renaissance, la virt, la vertu exemptede moraline).

    14LAntchrist, trad. . Blondel, d. GF Flammarion, Paris 1996, 2, p. 46

    15Ibid.

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    Les faibles et les rats doivent prir : premier principe de notrephilanthropie. Et on doit mme encore

    les y aider. 16

    Ltoffe, cest une certaine forme de force, cest une capacit, uneaptitude. Avoir de ltoffe, cest avoir beaucoup de ressources

    extrieures. Nietzsche cite le mot italien de virt. Il fait allusion Machiavel pour qui la virtu reprsente la fois la force, le courage, lavaillance. En latin virtus exprime aussi le courage viril de saffirmer, lavertu exempte de moraline . La moraline est un produit toxique. La vertu, donc,sans un poison moral qui lui serait subrepticement mlang.

    Rien ne russit sans exubrance. Pour atteindre la fcondit, il fautune profusion de forces. Cette surabondance, ce trop-plein, cette d-mesure,cet excs, Nietzsche lappelle parfois Grce.

    IV. DEUXIME POINT: RVALUATIONDES VALEURS

    Une rvaluation de toutes les valeurs, ce point dinterrogation si noir, si norme quil fait delombre celui-l mme qui le pose, une tche aussi fatale oblige sans cesse se prcipiter ausoleil, se dfaire dun srieux devenu pesant, trop pesant. Pour cela, tout moyen est bon, tout heur est un bonheur.

    4.1 LA RVALUATION DES VALEURS

    Il sagit ici, selon lexpression allemande Umwertung aller Werte, de

    rvaluer en retournant la rvaluation. Il faut changer dvaluation enbouleversant lorientationdes valeurs. Cest comme dmnager, changerde logis ou bien encore changer de vtement. Cela peut galement prendrele sens de renverser en bouleversant : on met le bien la place du maldans lchelle tablie par la civilisation occidentale. Il sagit donc dunetransvaluation des valeurs. Cette transvaluation permet une rupture, unnouveau dpart.

    Cest toute la profondeur abyssale de la ralit pulsionnelle delexistence humaine qui est ici concerne. Elle concerne la vie. Depuis

    presque trois millnaires, depuis Socrate, nous vivons selon un certain

    systme de valeurs et il seffondre. Il nen reste plus rien, le nihilismeapparat avec la mort de Dieu, de nos certitudes et de nos repres ; nos

    points dappuis seffondrent.

    Dans le Gai Savoir[ 125] Nietzsche traite de la mort de Dieu et delinsens17.

    16Ibid.

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    Nietzsche montre que si lon ne fait que des amnagements, que si

    lon escamote Dieu purement et simplement (attitude des libres penseurs,des athes), cela ne suffit pas. David Strauss [Premire intempestive] en est

    un exemple. En effet, cela na aucune efficacit de rejeter Dieu, de seproclamer athe, si on continue agir comme un croyant, quelle que soit la

    nature de ce qui remplace Dieu. On peut lui substituer des impratifsmoraux (Kant) et garder la croyance en limmortalit de lme. Dieu est

    mort, encore faut-il traquer ses ombres, comme lindique le 108 du GaiSavoir. Que sont donc encore ces glises si ce ne sont pas les tombeaux et les caveaux deDieu ?

    18

    Aussi la rvaluation de toutes les valeurs est-elle une affaire

    srieuse et norme. Cest un enjeu absolument radical et vital : on ne

    rvalue pas tout simplement. Il ne sagit pas de faire un tri slectif entre les

    valeurs, den laisser tomber certaines et den garder dautres. En effet, la

    plupart des valeurs qui gouvernent le monde moderne ne sont que denouvelles formes didaux anciens. Ainsi les idoles persistent-elles.

    Nietzsche, quant lui, ne se contente pas de pourchasser le

    christianisme, le platonisme, le socratisme, la morale occidentale. Il traqueles idaux anciens qui ont rapparu sous la forme de ce quil appelle les

    ides modernes. Il est ladversaire des ersatz, ces substituts de valeurs quisuccdent Dieu. Ici, il nutilise pas lexpression dides modernes mais il

    parle didoles temporaires. Il sen prend elles en tant qu intempestif,

    cest--dire en dehors du temps.Il sagit donc dune rvolution radicale. Le nihilisme doit tre total :

    sans repres, sans point de rfrence. Non seulement il faut supprimer Dieu

    mais aussi les idaux politiques (que Nietzsche appelle dans son vocable le

    socialisme ), les idaux moraux, esthtiques, etc. Nietzsche pourchasse

    dans tous les domaines et jusquau bout les ides modernes.

    Un philosophe doit tre en dehors de son temps. Il ne le serait pas siltait adapt, il est un intempestif avant tout, ni la page, encore moins

    la mode. Il est ct, questionneur critique des solutions et des questionsqui les engendrent. Lexpression considrations intempestives signifie

    considrations dmodes, ringardes. Nietzsche ne se laisse passurprendre par les ides modernes. Il conteste lidologie esthtique ou

    politique que rpandent certains romanciers modernes comme Zola, les

    Goncourt, Eliot, George Sand, etc. ou encore les utilitaristes.

    17 Le Gai Savoir, trad. P. Wotling, d. GF Flammarion, Paris 2000, troisime livre,Le dment, 125,

    pp. 176 178.18

    Op. cit., p. 178.

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    4.2 CE POINT DINTERROGATION SI NOIR, SI NORME

    Lintempestivit signifie la radicalit du nihilisme de Nietzsche quitransvalue toutes les valeurs. Cela constitue un point dinterrogation noir etnorme. Cest lobscurit, on ne voit plus rien19. Sil ny a plus de soleil,nous drivons, nous flottons, il ny a plus haut ni bas. Il ny a plus ni vrai nifaux, ni bien ni mal. Il ne peut donc y avoir mme de rvolution. Onntablira jamais de socit sans classe, une dmocratie. Les ides de

    progrs, dhomme napparaissent plus. Seul subsiste un pointdinterrogation, norme. norme signifie, en allemand, monstrueux.Socrate, par exemple, est considr comme un monstre. Cette grandeurdmesure fait horreur.

    Ce point dinterrogation fait de lombre celui-l mme qui le pose . Cette

    contestation de toutes les valeurs nest pas un jeu intellectuel. Celui qui laconduit dune manire nihiliste (rvaluation) se conteste lui-mme, sonexistence tout entire. Cest une tche aussi fatale(qui) oblige se prcipiter au soleil .

    Nietzsche, plong dans lombre ce point noir si sombre prouvelurgence de retrouver la lumire se prcipiter au soleil .Cest une allusion Platon, au mythe de la caverne20. Chez Platon, la lumire dlivre desillusions des ombres, elle est source de vie. Le soleil fait apercevoir la vritdes Ides. Pour Nietzsche, la lumire est le soleil qui claire la ralitsensible, et il dispense aussi de la chaleur la vie, il est source dnergie duvivant qui sest donn une tche aussi fatale .

    Le jeu dombre entre la lumire et lobscurit est particulirementprgnant puisquil apparat dans le titre mme Crpuscule (des idoles). Lecrpuscule, cest la tombe de la nuit, on ne voit plus rien. Nietzschecherche une nouvelle aurore, et la lente apparition du soleil : Le monde vrai, inaccessible, indmontrable, impossible promettre, mais du seul fait quon le

    pense, consolation, obligation, impratif.(Le soleil antique dans le fond, mais traversant la brume et le scepticisme ; lide devenue sublime,

    blme, nordique, knigsbergienne.) 21

    Et le soleil va se lever22. 5 : [] (Grand jour ; petit-djeuner ; retour du bon sens et de la belle humeur ; le

    rouge de la honte au front de Platon ; tapage du diable chez les esprits libres.)

    19 Cf. le 125 du Gai Savoir : ce dment qui, dans la clart de midi alluma une lanterne , op. cit.

    p. 176 et p. 177.20

    RpubliqueVII, dbut : 514a sq.21

    Crpuscule des idoles, Comment le monde vrai a fini par devenir fable , 3, trad. . Blondel,d. Hatier, p. 30.22

    Ibid. 5 et 6.

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    6 : [](Midi ; moment de lombre la plus courte ; fin de la plus grande erreur ; znithde lhumanit ; INCIPIT ZARATHUSTRA.)

    23

    Midi, cest lheure o il y a le moins dabstractions, didaux, didesplatoniciennes, de raisons abstraites, o il y a le moins didalisme. Le soleil

    dsigne ici les nouvelles valeurs auxquelles on cherche parvenir.

    Pour linstant, ce qui est donn, cest le crpuscule des idoles, desidaux. On approche de la nuit, il ny a pas de repre, de visions, decertitude. Il ny a aucune illumination. Nietzsche fait allusion Platon, maisaussi la philosophie des Lumires.

    4.3 SE PRCIPITER AU SOLEIL ET SE DFAIRE DUN SRIEUX DEVENU TROPPESANT

    Il sagit ici de se dbarrasser de lombre des idoles et de leur poids. Pour cela, tout moyen est bon, tout heur est un bonheur.

    24. Rien dautre ne

    compte que cette libert. La belle humeur doit tre atteinte. La rvaluationdes valeurs doit se produire dans le sens de la belle humeur. La bellehumeur est de lordre des affects. La belle humeur ne relve pas delintellect, de lentendement pur, de lesprit. Ce nest pas un tat du

    psychisme mais du corps et du cur. Et, pour arriver la belle humeur, touthasard est bon. Le bon hasard est la forme la plus innocente de la ralitfavorable.

    Il ne sagit pas de logique, deffort. Le bonheur nest pas un acquisrsultant dune application laborieuse pour accder la paix de lme. Laralit est innocente. Elle propose des instants de hasard heureux quiconstituent le bonheur.

    23 Ibid. p. 31.

    24 Prface, op. cit. p. 6.

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    V.TROISIME POINT: LA GUERRE

    5.1 LA GUERRE

    Et dabord la guerre. La guerre a toujours t le grand expdient avis des esprits trop enfermsdans leur fort intrieur, devenus trop profonds ; la blessure mme peut donner encore la force de segurir. Une maxime, dont je tairai lorigine la curiosit des cuistres, est depuis longtemps madevise :Increscunt animi, virescit volnere virtus.

    La maxime signifie : La blessure fortifie lme et revigore lecourage 25

    Le premier moyen pour acqurir la belle humeur est,

    paradoxalement, la guerre. Cette affirmation est sens multiples.

    La guerre signifie tout dabord le fond de la ralit des choses.Nietzsche fait allusion la guerre de Troie. La ralit des choses estinluctablement conflictuelle. La guerre est une lutte, un sport, une rivalittelle quvoque par Homre. Cela renvoie lagn grec, au concours delutte, de joute (oratoire mais surtout physique). La guerre est uncheminement vers la matrise de soi, un exercice dexubrance, lacquisitiondun surplus de force. La guerre, cest un vnement qui demande de sesurpasser. Dans la guerre agnale, de rivalit, le but nest pas tant de vaincreque de saffronter pour se surmonter soi-mme en montrant sa supriorit

    sur ladversaire.

    Le guerre signifie ainsi le principe de toute chose.Hraclite a dclar : la guerre est le pre de toute chose. (en grec,

    guerre est masculin). Les choses sont en conflit, il faut admettre que laralit est ainsi conflictuelle.

    La ralit est fondamentalement conflictuelle en nous et en dehors denous. Ainsi, dans le psychisme, il y a une guerre permanente entre lesaffects. Entre les individus, cest galement la guerre. Lamour, dans saralit ultime, cest la guerre absolue entre les sexes [cf. Ecce homo, Pourquoi je suis si sage , 7]

    La guerre est donc une faon de se surmonter, datteindre la bellehumeur, dutiliser son agressivit pour aller plus loin.

    La guerre est mene contre le nihilisme et contre la morale, quidfend des idaux qui ne sont rien.

    25Aulu-Gelle,Nuits Attiques, 18, 11, 4.

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    Nietzsche se fonde donc sur la guerre comme moyen, le grand expdientavis , pour atteindre la belle humeur, la conserver, pour se dpasser soi-mme en attaquant ladversaire.

    Les textes de Nietzsche ne sont pas des dmonstrations, ce sontsurtout des pamphlets, des textes polmiques. La Gnalogie de la morale,

    par exemple, a comme sous-titre : Pamphlet , ou texte polmique . Ilsagit dattaques, de luttes. Ce thme du combat se trouve galement dans Maximes et pointes qui ouvre Crpuscule des idoles(en particulier 8).Dans ce mme ouvrage Raids dun intempestif est une attaque au cas parcas des symboles concrtiss par des crivains depuis Snque jusquZola en passant par Renan, Sainte-Beuve, G. Eliot, George Sand, Rousseau,etc. , des titres duvres par exemple Limitation de Jsus-Christ oudes thmes, tout ce qui constitue Mes intolrances , comme lexplicite le

    sous-titre

    26

    . Nous avons l une srie de moqueries, dinvectives, dattaquesplus ou moins personnelles et parfois des coups bas.

    On peut citer, par exemple, Renan [ 2]. Renan, libre penseur, taitcroyant, professeur dhbreu au Collge de France. Napolon III la destitude sa chaire cause de ses prises de positions peu orthodoxes ( Jsus, cethomme incomparable) et modernistes. Renan, sil a jet son habitecclsiastique, a cependant gard une mentalit chrtienne. Il parle delvangile des humbles, du progrs par la science. Nietzsche crit sonsujet :

    [] quoi bon tout esprit libre, toute modernit, toute ironie et toute souplesse de torcol

    (oiseau cou flexible, image de la servilit) si lon est rest, par toutes ses tripes,chrtien, catholique et mme prtre ! Linventivit de Renan, linstar dun jsuite et dunconfesseur, tient la sduction ; lintelligence tale chez lui le large sourire papelard du calotin

    comme tous les prtres, il ne devient dangereux qu partir du moment o il aime. 27

    Le pamphlet de Nietzsche stend tous les domaines : lgosme, lamorale de la dcadence, les mdecins, le suicide, la libert, les idesdmocratiques, la modernit, la question ouvrire, etc.

    Ces raids montrent bien que la guerre a toujours t le grand expdient avis desesprits trop enferms dans leur fort intrieur, devenus trop profonds .

    La guerre est donc une faon dextrioriser la violence que lonporte en soi. Au lieu de se torturer soi-mme, il vaut mieux extrioriser sonagressivit. Il ny a pas de pires ennemis que les hommes renferms. Il ny a

    pas plus mauvais, violent et criminel que lagressivit rentre du faible.Nietzsche combat pour lextriorisation de lintimit, de lintriorit, delagressivit. Nietzsche exprime ses regrets quand il considre Pascal,lhomme bless, tortur, dtruit par le christianisme, et les chrtiens en

    26Op. cit. pp. 68 123.

    27Ibid. p. 69.

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    gnral victimes de la discipline qui leur est impose et qui soppose

    lextriorisation de lagressivit.

    5.2 LA BLESSURE

    Mais la blessure peut donner la force de gurir.

    Dans Maximes et pointes , Nietzsche crit :

    Appris lcole de guerre de la vie. Ce qui ne me tue pas me rend plus fort. 28. En

    surmontant les obstacles, on se surmonte soi-mme, on gagne en puissance.

    La blessure peut avoir un double effet :

    ou bienla blessure provoque une fermeture sur soi-mme, on se

    lamente alors sur son sort, sur la mchancet du monde, on dplore toutesles atteintes que lon subit ;

    ou bien on surmonte ses souffrances (et cest ce que Nietzscheclame) et on dbouche sur la belle humeur, lexubrance, le surplus de

    force, la volont dacqurir encore plus de puissance.

    Se gurir, cest surmonter la maladie. Il vaut mieux tre capable de

    dpasser la maladie que ne pas tre malade. Il y a plus de sant dans

    laffrontement dune maladie, dune blessure, que dans la simple sant olhomme est indemne de coups, dattaques microbiennes, ce qui nest

    presque jamais le cas et tient du mythede la sant.La blessure fortifie lme et revigore le courage dit la maxime cite par Aulu-

    Gelle et reprise par Nietzsche. On devient plus viril, plus fort grce une

    blessure. Les esprits saccroissent, deviennent plus vigoureux. Le courage

    refleurit, on devient plus viril.

    La blessure, cest ce qui suscite une rsistance dans tous les

    domaines. Nietzsche sintresse surtout au plan mdical, physiologique,corporel. Il fait allusion la vaccination dont on parlait beaucoup son

    poque, en voquant les agents pathognes, les causes des maladies. Lavaccination a pour but, en inoculant une infime quantit de microbes

    (bactries, virus, etc.), de stimuler les dfenses immunitaires qui seront ainsiplus aptes rsister une attaque massive du mme microbe. Louis Pasteur,

    cette poque (1881), exprimentait des vaccins.

    Nietzsche joue sur le tableau moral et le tableau psychique. Recevoir

    un coup, cest loccasion de devenir plus fort. Se faire injecter un microbe,

    cest une faon de dvelopper son immunit. On ne peut pas sparer santet maladie, sain et malsain, fort et faible.Le fort, cest celui qui surmonte

    la maladie et non pas celui qui nen a jamais t atteint.

    28Op. cit. 8, p. 9.

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    Nietzsche cultive aussi lide de la grande sant dont il est question en

    particulier dans le Gai Savoir.

    On retrouve ce thme de la maladie surmonter ou de tomber dans ladcadence (pas dautre alternative), chez Thomas Mann, grand admirateur

    de Nietzsche. Son romanLa montagne magique(1924) est une rflexion sur

    le rle de la maladie dans lexistence humaine. Ce thme est dj prsent

    dans un de ses prcdents ouvragesMort Venise(1912).

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    DEUXIME ALINA

    Un autre traitement, que je trouve plus souhaitable encore en certains cas, consiste ausculter lesidoles Il y a plus didoles que de ralits dans le monde : cest ma manire moi de regarder lemonde dun mauvais il , cest aussi ma faon dtre une oreillemalveillante Lui poser,comme a, des questions avec mon marteau et entendre ventuellement en rponse ce fameux soncreux qui signale des entrailles ballonnes quelles dlices pour qui possde une seconde pairedoreilles, pour moi, vieux psychologue et attrapeurs de rats, qui contrains parler tout hautcelamme qui voudrait bien rester coi

    VI. PREMIER POINT: AUSCULTER

    6.1 LAUSCULTATION DES IDOLES

    Au dpart, il convient de souligner deux mots.Le nom traitement a un sens mdical, ainsi que le verbe ausculter . Il

    sagit de trouver une faon dorganiser son corps, sa sant, sa belle humeur.La belle humeur nest pas simplement un phnomne psychique ou spirituel,cest un tat du corps, un tat de force. On est donc dans le domainemdical.

    Ausculter les idolesrenvoie au crpuscule.En auscultant, Nietzsche se pose en mdecin. Lauscultation se

    pratique en deux gestes mdicaux : frapper avec un marteauet entendrele son qui en rsulte.

    Laennec (1781-1826) avait invent le stthoscope pour couter larespiration lintrieur des poumons en vue de dtecter dventuelles

    pathologies respiratoires, en particulier la tuberculose. Les signes sonoresindiquent le mal interne.

    Lauscultation est une perception sonore, depuis lextrieur, dessignes sonores des maladies des poumons, des phnomnes dedysfonctionnement respiratoire. Le stthoscope est une sorte damplificateur

    de bruits provoqus par linspiration et lexpiration. Il y a toute une gammede signes sonores qui vont du son mat au son clair, des sibilances auxencombrements.

    La mthode de la percussion, invente en 1840 par un mdecinallemand, permet lexamen interne des tissus et du corps humain. On ne secantonne pas seulement aux poumons. Le marteau de percussion, qui testeles rflexes, sert appliquer cette mthode de la percussion.

    Grce la percussion, le mdecin peut couter le son que rend lecorps, lendroit o il frappe, que ce soit un organe creux, une partie du

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    NIETZSCHE CREPUSCULE DES IDOLES - COMMENTAIRE

    squelette ou un tissu musculaire. Les bruitsentendus sont des symptmes.Cette mthode de dtection fait partie de la nosographie, cest--dire de ladescription des maladies.

    Mais il y a davantage : en coutant un bruit qui devient un sonsignificatif, on entre dans le domaine physique et matriel de lamusique.

    Dans le troisime alina de cette Prface, Nietzsche parle de lamusique. Il crit : en ce qui concerne lauscultation des idoles, ce ne sont pas cette fois desidoles temporaires, mais des idoles ternellesquon touche ici du marteau comme on le fait avec undiapason .

    Le diapason donne le la fondamental qui permet daccorder lesinstruments dun orchestre entre eux. Le la est un talon de mesure.

    Dans le domaine mdical, on coute, en quelque sorte, la musique ducorps. Le corps est un instrument sonore comme la caisse de rsonance duninstrument de musique. La nature du bruit quil rend lors de lauscultationdnonce la matire dont il est fait. Les sons renseignent le mdecin sur ltatdu corps. Il y a des sons creux, caverneux, des sons graves ou aigus, dessons sifflants ou halets. La matit est la caractristique sonore dun corps

    plein.

    Nietzsche ici se pose en mdecin pour ausculter les idoles (lesidaux). Il les examine comme on procde dans un milieu physique. Lesidaux sont donc rfrs au corps qui en est lorigine. Il y a un rapport qui

    peut tre symbolis par lauscultation.Cela concerne donc les idaux, mais aussi la musique, par exemple

    celle de Wagner. La musique de Wagner est une musique de malade, faitepour des malades. Cette musique signale la lassitude, la dcadence, lebesoin dextase, de narcotique.

    6.2 IL Y A PLUS DIDOLES QUE DE RALITS DANS LE MONDE

    Nietzsche signifie par l que ce qui domine le monde, cest

    lidalisme. La domination de lidal est gnrale, universelle et, ce titre,catastrophique. On est gouvern par une sorte de maladie. On vit dides

    beaucoup plus que de ralits. On est dans le refus de la ralit, et doncnihiliste. Le monde nihiliste a substitu les idaux la ralit. La moraledomine partout.

    Les idoles sont auscultes pour quelles rpondent aux questions. Onpose des questions pour susciter des rponses. Les idoles sont muettes, quesont-elles, do viennent-elles ? Le jeu des questions-rponses est conduitcomme une analyse gnalogique. Si on interroge les idoles, on peut

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    entendre leur message et lexpliciter. Le questionnement porte alors sur ceque les idoles disent ou ne disent pas, sur ce quelles cachent, jusqu lescontraindre leur faire dire ce quelles voudraient taire.

    On a donc une interrogation sur ce qui et cach : cest une enqutegnalogique, un questionnement sur lorigine. On remonte depuis lesnoncs idaux audibles et vidents jusqu lorigine cache, jusquaux

    pulsions du corps qui sy expriment. La mtaphore musicale et mdicale delauscultation revient passer de lvident au cach, dun premier plan unarrire-plan qui est celui du corps des affects, des pulsions , qui est figur

    par le fameux son creux qui signale des entrailles ballonnes .Lauscultation est lexploration de ce qui est cach. Le mdecin, legnalogiste, le psychologue savent ce quil en est de laffectif, des

    pulsions, des intrts, de la volont de puissance qui sont lorigine des

    idaux.La domination de la morale est un mauvais signe. Cela signifie quil

    y a plus didal que de ralit dans lexistence humaine. Aussi Nietzschedit-il quil a sa manire lui de regarder le monde dun mauvais il ,quilest une oreillemalveillante .

    La mtaphore de lauscultation montre quil existe une manire defaire parler ce qui est cach. La philosophie platonicienne et occidentalesont bases sur le sens de la vision, le visuel et la visibilit, on privilgie icile sens de loue: laudition, lauscultation.

    La mtaphorique de la vision a plusieurs notions. Lvidence, ce qui

    est vident, cest ce que lon voit. La contemplation, la thoriaqui vient duverbe grec , driv de , voir. Les oprations de lespritrenvoient aussi la vision : on parle dintuition. Le verbe latin intuerisignifie regarder attentivement. Les lumires, en philosophie, cest la miseau jour de ce qui tait dans lobscurit intrieure. On fait voir, on met envidence. Or cet acte est superficiel : on ne voit que ce qui est prsent. Leregard se perd dans lobscurit de lintrieur. Laudition (qui fait parlerlintrieur) doit donc complter le regard (qui ne voit que ce quon luimontre) par exemple les grands sages quon dcouvre chancelants.

    Loue est la facult qui se substitue la vision puisquon ne peut pasvoir le dedans. On entend ce qui est loign, cach, ce qui se travestit ou se

    masque. Il faut deviner lobjet que lon cherche saisir car il est distant,opaque, mystrieux.

    6.3 REGARDER LE MONDE DUN MAUVAIS IL, TRE UNE OREILLEMALVEILLANTE

    Regarder le monde dun mauvais il , cest le considrer dun airsouponneux. On se mfie du monde. Nietzsche suspecte le monde en tant

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    quensemble didaux. Il est lhomme du soupon, de la mfiance. Il jette un

    regard critique sur les idaux de son temps, sur la morale occidentale.

    Il est une oreillemalveillante . Derrire le vacarme immdiat, il entend

    autre chose qui est la rvlation dun arrire-son. Il y a une diffrencefondamentale entre lobjet prsent, connu, vu et le mme objet distance,

    cach, entendu. La dmarche du psychologue, du gnalogiste, consiste faire remonter ce qui est dans les profondeurs. La gnalogie est la

    recherche de ce qui est cach, quon ne peut connatre avec certitude. Cest

    le dvoilement de ce qui nest pas donn voir. La gnalogie, en gnral,

    est la remonte dune ligne qui descend du pre. La paternit nest pas une

    vidence, elle est prsume. La gnalogie est une faon de rendre

    connaissable ce qui ne lest pas par le moyen de la vue.

    On est en prsence dun texte crypt, de mme que le rve dlivre uncontenu latent cach derrire le manifeste. On coute ce que lon pourrait

    appeler les arrire-sons que masque la mlodie. Il faut donc possder uneseconde paire doreilles comme Nietzsche lcrit plus bas. Le psychologue

    Nietzsche est aussi mlomane, il dgage, sous les sons rcurrents du phrasmlodique, les sons moins percutants qui le soutiennent. Limage du

    diapason renvoie aux harmoniques.

    Les harmoniques sont les sons engendrs par dautres sons. Uneharmonique est un son qui rsulte daccord de plusieurs notes mises

    ensemble. Il est diffrent des notes joues successivement. Lharmonie est

    la relation entre la mlodie et les accords. Laccord est un son compositersultant de lmission simultane de plusieurs sons situs des hauteurs

    diffrentes.

    Nietzsche, donc, le psychologue, lattrapeur de rats, comme il se

    prsentera plus loin, cherche saisir quelque chose qui est la fois donn et

    cach. Il rsonne en son ensemble si on le provoque. Il y a plusieurs niveaux

    daudition, dont un plus fin qui correspond la seconde paire doreilles.

    Cette coute ressemble celle du psychanalyste. Le psychanalysteentend ce que dit le patient mais aussi ce qui snonce dune faon crypte

    derrire ses paroles.

    6.4 QUESTIONNER AVEC UN MARTEAU

    Que signifie la mtaphore du marteau ? Nietzsche souligne ici le

    terme de marteau (en italique dans le texte). Il lui donne une importance

    particulire puisquil apparat dans le sous-titre de Crpuscule des idoles :

    (ou comment on philosophe avec un marteau) .

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    Le marteau ne sert pas exclusivement dtruire, casser. Ici, cest lemdecin Nietzsche qui parle de lusage mdical de cet instrument. Lemarteau sert poser des questions. Il utilise symboliquement la percussiondes idoles pour interroger le corps sur son tat. Poser des questions avec lemarteau, cest frapper pour entendre en rponse le son particulier qumet lecorps. Le marteau est un marteau dauscultation.

    Le terme ausculter signifie couter, surprendre, couter par surprise,de faon ruse. On surprend les idoles, on leur fait dire ce quelles nont paslintention de dire. On surprend ce qui ne se dit pas spontanment. Il faut

    poser des questions par lintermdiaire du marteau pour entendre ventuellementen rponse ce fameux son creux . Les idoles parlent, elles font parler le corps, ellessont les symptmes rvlateurs de ltat de ce qui est une dfinitionmtaphorique plurivoque de la gnalogie. Le corps que lon interroge

    sexprime dune faon cache, travestie, ngative dans les idoles quilfaonne. Do limportance de linterrogation des idoles pour connatre lespulsions, les affects. Lhomme sabrite derrire le grand vacarme desidaux, le boum boum [Bum Bum en allemand] de la morale comme ledcrit Nietzsche dans le Gai Savoir[ 359] etNietzsche contre Wagner. Lamorale fait grand bruit. Ce flonflon moralisateur masque une activit

    beaucoup plus discrte et silencieuse correspondant au dysfonctionnementdu corps que la gnalogie doit rvler.

    Le jeu des questions-rponses voque le dialogue socratique. PourSocrate, cet change de questions et de rponses est la dfinition de la

    pense (Thtte). Cest un entretien de lme avec elle-mme. Nietzsche,lui, pose des questions qui apportent des rponses dordre physiologique etpas simplement intellectuel, idaliste.

    La psychanalyse questionne peu ou pas, mais entend un discoursderrire celui qui est prononc. Elle interprte mme les silences. Unecoute subtile rvle un sens cohrent une expression verbale qui ne lest

    pas forcment. De l limage de lattrapeur de rats, celui qui fait sortir cesanimaux de leur cachette.

    6.5 LE SON CREUX QUI SIGNALE DES ENTRAILLES BALLONNES

    La mtaphore gastro-entrologique est frquente chez Nietzsche. Ilfaut prendre, avaler, ventuellement rejeter mais surtout ne pas garder troplongtemps. Il ne faut pas sattarder dans une constipation. Nietzsche en

    profite pour critiquer les Allemands qui avalent tout sans discernement.Cest aussi la panphagie, cultive de nos jours par les mdias.

    Nietzsche veut interroger les entrailles, ce qui est dedans. Lesentrailles ballonnes sont un symptme de larophagie ou de la

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    malnutrition (on a le ventre en peau de tambour). Elles signalent donc une

    pathologie de lensemble du fonctionnement physiologique du corps. Quand

    le marteau rend un son creux, on est malade. La maladie est rvle par levide, le nant, le rien. La rponse est donc le nihilisme.

    On peut en conclure alors que :

    les idoles ont un corps malade ; plus le corps est vide, plus les idaux sont creux et plus ils sont

    bruyants ;

    les sons ont une signification mdicale mais aussi musicale. Les

    sons les plus forts sont les sons produits par une matire creuse qui fait

    fonction de caisse de rsonance (par exemple le tambour). Le corps est

    comme un instrument de musique. Ce qui vaut pour les instruments de

    musique vaut aussi pour les idaux.

    quelles dlices pour qui possde une seconde paire doreilles, . Cest une

    anacoluthe, une rupture de construction. La phrase est interrompue.

    Nietzsche souligne ainsi la satisfaction de celui qui coute et qui dcouvre

    plein de renseignements. Avoir rponse ses questions : cest un dlice.Cest le plaisir du professionnel de lcoute, du gnalogiste, du mdecin,

    qui ne sen laissent pas conter.

    Cest un dlice pour qui possde une seconde paire doreilles. Cetteexpression courante en allemand, dsigne quelquun qui sait dtecter ce qui

    est implicite, le non-dit dune phrase, la qualit dun silence. En gnral,

    plus on bavarde, plus on cherche dissimuler ce quon ne veut pas dire.Ici, il sagit dcouter les idoles (les idaux) qui se trouvent en

    arrire-plan, en arrire-son, et pour cela, il faut une deuxime paire

    doreilles. Cette ncessit est renforce par laccumulation des termes

    oreille, coute, auscultation, marteau, question, rponse.

    On retrouvera cette mtaphore de loreille chez un disciple de Freud,

    Theodor Reik (1888-1969) dont un des livres sintitule : Listening with thethird Ear, couter avec la troisime oreille(1948). Le psychanalyste entendce qui se dit un deuxime niveau. Une coute subtile permet decomprendre certaines expressions apparemment dpourvues de sens.

    Nous recherchons donc ce qui sentend du corps, de linconscient desaffects dansles idaux (les idoles). Quelles sont les structures affectives qui

    sexpriment dans les affirmations morales ? Freud cherche quel type de sur-

    moi il faut pour parler ainsi. Quest-ce que le surmoi dit que le moi a laiss

    passer en premire coute ? La gnalogie a une mthode similaire, une

    lecture sous forme dcoute.

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    Lanalyse gnalogique va des idoles (intellectuelles) au fond

    pulsionnel (corporel). Cette mthode fait apparatre un fond pulsionnel qui

    se cache dans les idoles et ne veut pas dvoiler son contenu. Les idoles sontdonc des masques, des travestissements, un embellissement aussi, une

    transfiguration, un dguisement qui transforme lignoble en idal, le refusen proclamation transcende. Toute la salet cache, les idoles la

    transforment en beaut extrieure, en beaux sentiments, en parolesronflantes, en boum-boum (Bum Bum) de la vertu. Aussi lopration

    gnalogique doit-elle employer la contrainte pour remettre tout cela en

    conformit avec la ralit.

    Des analogies (anachroniques mais instinctives) stablissent avec

    lopration psychanalytique. Freud ne cesse de rpter que le patient ne veut

    pas gurir. Son souci principal, cest de laisser cach et confin au silence ce

    qui est la source de ses difficults psychiques et de ses souffrances. Lerefoul, cest ce qui a t repouss dedans, dans le non-dit. Les manuvres

    pour maintenir le refoulement sappellent les mcanismes de dfense. Larsistance, cest la mauvaise volont de la nvrose pour empcher ce qui se

    cache de sortir au jour. Linconscient refuse de sexprimer. La rticenceconsiste cacher ce que lon devrait dire, cest un silence volontaire,

    acharn, mme si cette attitude est inconsciente.

    Nietzsche le psychologue emploie ce mme type de vocabulaire : lacontrainte, la ncessit. Il faut pousser quelque chose sortir et se dire

    tout haut, ne pas rester coi, silencieux, tranquille immobile. Il y a au-

    dedans de toute chose une grande violence, un remue-mnage, cest commeune chaudire bouillonnante, dit Freud. (Cette dernire notation est une

    allusion aux sorcires de Macbeth). Cette violence est interne. Il faut se

    mfier, dit Nietzsche, des gens qui ne disent rien face une offense alors

    quil faudrait rtorquer. Ce sont des dyspeptiques (en dautres termes, ils

    sont atteints de troubles de la digestion, rfrence gastro-entrologique

    chre Nietzsche). Leur silence est forc. Il est le symptme dune violence

    contenue.

    Ainsi, de nombreux textes de Nietzsche dcrivent-il que, si lon

    fouille sous cette paix extrieure, apparente, on dcouvre les rats, lebouillonnement de la violence, la guerre entre les pulsions et la recherche

    effrne de la puissance.

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    TROISIME ALINA

    Cet crit, lui aussi comme en tmoigne son titre est dabord un dlassement, un coin de soleil, un

    cart de psychologue qui veut soffrir quelque loisir. Cest peut-tre aussi une nouvelle guerre. Et ony auscultera de nouvelles idoles Ce petit crit est une grande dclaration de guerre ; et en ce quiconcerne lauscultation des idoles, ce ne sont pas cette fois des idoles temporaires, mais des idolesternellesquon touche ici du marteau comme on le fait avec un diapason, il nen est pas de plusantiques, de plus convaincues, de plus boursoufles Pas non plus de plus creuses Ce qui ne lesempche pas dtre celles auxquelles on croit le plus ; au demeurant, notamment dans le cas de la plusclbre dentre elles, on se garde bien demployer le mot didole

    Turin, le 30 septembre 1888,le jour de lachvement du premier livrede laRvaluation de toutes les valeurs.

    VII. PRSENTATION

    Derrire ou par-dessus le discours de Nietzsche, il y a un texte o unensemble de polmiques saffrontent. Un certain nombre de termes oudlments sont en lutte, en rapport plurivoque ou conflictuel les unsavec les autres. Nous avons l un texte polysmique et contrast qui veuttre limage de la guerre dont il est question, linstar de lentreprise de

    Nietzsche, de sa recherche des pulsions par la mthode gnalogique.

    Ce texte est un condens de ce quentreprend Nietzsche et montre lamanire dont il va sy prendre. Il sagit de trouver ce projet travers le jeumme de la polysmie. Le texte peut tre un texte philosophique, mme silnutilise pas des raisonnements de type kantien par exemple.

    7.1 LE DLASSEMENT PAR LA CRITIQUE DES GRANDS IDAUX

    Le texte conserve le thme de la belle humeur. Il est aussi undlassement. Le titre est dabord un jeu de mots. Wagner avait compos un

    drame intitul Crpuscule des dieux. Nietzsche substitue idoles dieux. noter : les deux titres ne comportent pas darticle. Ce jeu de motscontribue au dlassement. On parodie un monde divin. Nietzsche prsenteson livre comme un opra-bouffe. Le style de Nietzsche fait penser celuidOffenbach. La musique comme la littrature prennent un aspect comique.Or il est question des dieux et de la guerre. On peut effectivement voquerla sanglante et titanesque guerre de Troie sous la seule figure de la belleHlne.

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    Ce contraste burlesque entre le divin et le trop humain a tous lesaspects de la satire. Il juxtapose le plan thologique, pique, et le plan

    prosaque. Cest un trait de la musique de lpoque de Nietzsche dtresatirique. Dans ce genre, Offenbach excelle. En littrature, ce contraste

    prend dj son origine chez Homre, en particulier dans lIliade qui seprsente comme le texte originel faisant intervenir les dieux. Dans lIliade,les dieux sinterposent dans les actions des hommes. Ces dieux ont eux-mmes leurs histoires de famille et leurs aventures amoureuses.Lexpression rire homrique (que lon emploie encore de nos jours)voque les dbats amoureux dAphrodite et dArs. Le mari dAphrodite,Hphastos le boiteux, jette sur les amants pris en flagrant dlit un filetmtallique dont ils ne peuvent schapper. Hphastos convoque alors lesautres dieux qui clatent de rire devant ce spectacle.

    Mais dans ce passage, derrire le comique, il y a le divin wagnrien.Ne nous y trompons pas, la satire est toujours l. Si Nietzsche a remplac lemot dieux par celui didoles, ce nest pas pour ne pas plagier Wagnermais bien pour le piger. Crpuscule des idolesest aussi le crpuscule desidoles allemandes, germaniques, occidentales, les idoles de lpoque de

    Nietzsche, celles de Wagner, avec lantismitisme et le nazisme en toile defond. Nietzsche fait la critique du monde divin qui a disparu maintenant.Les personnages wagnriens sont des dieux apocryphes. Le dieu Baal estaussi une ide moderne. Nietzsche construit un dlassement sous la formedune critique caustique, sarcastique, il tourne en drision les grands idauxde lOccident.

    La critique de Nietzsche porte donc sur ces grands idaux quiconstituent la morale, incarne dans la mtaphysique dualiste de lOccidentqui spare le spirituel du corporel cest--dire le sensible, le physiologique.

    Cette critique est un dlassement dans la mesure o on va se moquerdu monde des dieux et des idaux. Cest un moyen de conserver la bellehumeur, bien que cette ngation du divin soit une affaire difficile, sinistre,tnbreuse, un point dinterrogation sur le nant et le nihilisme.

    Le son creux en rponse lauscultation avec le marteau signale queles idoles. Les idoles sont pleines de rien. Elles sont des expressions dunihilisme.

    7.2 LE TEXTE EST COMPARABLE UN COIN DE SOLEIL

    propos du texte Crpuscule des idoles, Nietzsche dclare quil y al un coin de soleil . Ce livre offre au lecteur un endroit o le soleil luit, o il

    peut trouver un refuge clair, chaleureux et o lon peut musarderOn y trouve une oasis de paix, au milieu de lentreprise de Nietzsche

    qui consiste oprer la transvaluation de toutes les valeurs, transvaluation

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    qui est un point noir, si norme , une tche fatale. Cest pourquoi on est obligde se prcipiter au soleil, pour se dfaire dun srieux devenu trop pesant .

    Nietzsche ajoute que ce dlassement est galement un cart depsychologue qui veut soffrir quelque loisir . On se met en marge, on fait un bond surle ct, on fait une halte dans un coin. On sarrte dans son activit poursoffrir quelque loisir. Le loisir consiste trouver quelque plaisir au milieudun travail, dune tche difficile.

    Cet crit est une sorte de pause au soleil, de srnit, de bellehumeur, de repos, de distraction. Nanmoins il a comme toile de fond larponse une question que Nietzsche considre comme une tche srieuse

    puisquil la dcrit comme pesante, noire, tnbreuse, sinistre.

    Ce divertissement rside pour partie dans la plaisanterie. On parle dechoses srieuses sous forme plaisante. Mais la plaisanterie est caustique.Cest une critique. On peut la rapprocher de celle de Platon lorsque cedernier parle de lopinion, illustre par le mythe de la caverne. Il sagit eneffet de quitter lobscurit de la caverne pour aller vers la lumire du soleil.Cette dmarche de Nietzsche voque aussi celle de Kant dans la Critique dela Raison pureo les prtentions de la raison sont mises lpreuve.

    La critique de Nietzsche prend la forme dune agression comique,cest une nouvelle guerre.

    7.3 CET CRIT EST UNE NOUVELLE DCLARATION DE GUERRE

    Utiliser le mot guerre est une faon dexprimer ce quil veut mieuxne pas prendre sur soi, ne pas taire. Il faut contraindre parler tout haut celamme qui voudrait bien rester coi .

    Dans le premier paragraphe de cette prface, Nietzsche a prcis quela guerre a toujours t le grand expdient avis , bien choisi, des esprits tropenferms dans leur for intrieur . Ici, la nouvelle guerreconsiste dire tout hautquelque chose dindcent, de scandaleux. Cest une agression sous la formedune plaisanterie apparente.

    Donc, le fait de sexprimer ouvertement est un dlassement, un coinde soleil, un moment de loisir lcart. Ce nest pas seulement uneopration intellectuelle. Cest une opration qui met en jeu ltre sensible :corps, physiologie, nature de lcrivain, du philosophe, du psychologue, dugnalogiste. Quand le psychologue dit quil va se dlasser, soffrir un peude soleil, se mettre lcart, prendre quelque loisir, il ne sagit passimplement dune attitude spculative mais aussi dune certaine attitude, ducomportement concret dun homme bien rel. Cest un corps qui se

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    repose au soleil, qui veut sloigner de ce qui est si noir, et qui veut voirplus clair dans son interrogation.

    Le psychologue mobilise pour ce faire ses donnes physiologiques,ltat de ses affects. Cest ncessaire pour celui dont le but est latransvaluation des valeurs. Le psychologue va prendre plaisir cetteopration. Il va se diriger vers la belle humeur au sens physiologique duterme. Cela est reprsent par ces moments simples de la vie courante olon soffre quelques petits avantages.

    7.4 DES IDOLES TERNELLESSONT TOUCHES PAR LE MARTEAU-DIAPASON

    Les idoles, ici, ne sont pas seulement les idoles de lpoque.

    Lattitude de Nietzsche est intempestive. Cela signifie quon peut tre deplain-pied dans son temps sans pour autant tre la page, la mode, neconsidrer que lactuel. On est donc dphas par rapport lensemble de lacivilisation de son poque. Nietzsche est un intempestif non seulement face ce qui se vit alentour mais galement vis--vis de la civilisation engnral. Les idoles de son poque ne sont que des mtamorphoses didoles

    plus anciennes qui, de ce fait, sont ternelles puisquelles se perptuent dansle temps.

    Idoles ternellesest un oxymore, une alliance de mots contradictoires.Lidole, la diffrence dun Dieu, nest pas, par dfinition, ternelle. On

    change didole selon lengouement du moment. Nietzsche dclare ici que lesidaux qui se piquent dternit sont quand mme des idoles. Et elles seveulent ternelles.

    Il ne sagit pas seulement des idoles reconnues comme telles :largent, le sexe, le pouvoir, etc. mais de celles qui les sous-tendent et dontles idoles ordinaires ne sont que des aspects phmres. Ce sont donc lesidoles fondatrices de la civilisation et, en tant que telles, intouchables : leBien, le Mal, Dieu Si lon sattaque ces idoles cela signifie que lonconsidre que la plus haute idole, Dieu, nexiste pas. Crpuscule des idolesest un inventaire bas sur le fait que Dieu est mort. Aussi, puisque les idoles

    provenaient de sa lumire, ou vrit, maintenant, on ny voit plus clair. Toutsassombrit, cest le crpuscule, la descente de la luminosit jusquaunihilisme qui est une obscurit gnrale. Il ny a plus de soleil. Aussi

    Nietzsche recherche-t-il une nouvelle aurore. Crpuscule des idoles, cestune faon de dire : Dieu est mort .

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    7.5 LE MARTEAU UTILS COMME UN DIAPASON

    Lanalyse gnalogique est compare au travail du marteau, lauscultation par le marteaudu mdecin. Et lon touche ici du marteau commeon le fait avec un diapason . Nietzsche opre un glissement mtaphorique.

    Toucher avec un marteau, cest faire rsonner un corps. Par exemple,les marteaux qui frappent les cordes du piano produisent une rsonance.Donc le marteau de percussion du mdecin peut tre considr comme uninstrument de musique. Le clavier du piano actionne de petits marteaux quifrappent les cordes. Cette technique est une invention qui date de 1815-1820. Beethoven auteur, entre autres, de sonates pour piano moderne , aintitul la 29esonate (lune des plus importantes de celles quil a composes la fin) HammerKlavier-Sonate sonate pour piano marteaux . Ce

    dispositif procure un registre de sons plus tendu vers les graves et vers lesaigus. Nietzsche connat assez bien le piano, pour lequel il a mme composquelques morceaux.

    Si donc on touche les idoles avec un marteau, elles rendent un son,de la mme manire quun instrument de musique.

    Le diapason est appel en allemand la fourchette sons . Cettepice de mtal ressemble une lyre. Cest une tige mtallique termine parune lame en forme de U. Pour le faire vibrer, il faut le frapper sur unesurface dure. Selon les conventions internationales, il donne alors le la

    fondamental, frquence 440 Hz.Nietzsche signifie par ces comparaisons que lon peut faire mettreun son ce qui est apparemment muet. Il sagit donc de bien couter. Legnalogiste attrapeur de rats est donc un homme dcoute et un musicien.Lattrapeur de rats de Hameln joue de la flte. Nietzsche dclare que lesidoles ont quelque chose dire, quon peut leur faire mettre des sons. Ellessont aussi bavardes quun instrument de musique. Il y a ainsi un nouveautype danalyse pour ce qui est rest jusqu prsent inaudible, inou au sens

    propre du terme.

    7.6 DIEU, TERNELLE IDOLE, EST MORT

    Les idoles auxquelles on croit le plus sont les plus antiques : ce sontles idoles ternelles. Elles sont les plus convaincantes, mais reposent sur lemensonge sacr, lintime conviction, la foi. Ces idoles sont aussi les plusboursoufles, comparables aux entrailles ballonnes. Elles sont aussi lesplus creuses. Quand il sagit dun corps humain, la frappe du marteau rendun son dautant plus fort que le corps est plus creux, cest--dire quil faitcaisse de rsonance (par analogie musicale). Quand on ausculte un corps, onen saisit ltat intrieur. Lorsque lon coute le chant dun instrument, on en

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    saisit la tonalit et ce quelle exprime : la mlancolie, la joie, etc. Les sonssont rvlateurs du corps. Selon la matire dont est fait linstrument demusique, le son est diffrent (par exemple, le hautbois, le violoncelle, lecor) On peut donc remonter du son au corps, la matire qui la produit.En musique, cela sappelle la couleur dun instrument, sa sonorit. On passede quelque chose dimpalpable, le son, une matire physique. Cette imagemontre que lon peut atteindre le rel partir de lidel.

    Enfin, les idoles qui rendent un son creux ne contiennent rien. Il nya rien, cest lexpression mme du nihilisme. Cela nempche pas que cesoient celles auxquelles on croit le plus . Cest en particulier le cas de Dieu. Etcest par rapport cette idole clbre que sont dtermines toutes les autres.

    7.7 LA DATATION DU TEXTE DE LA PRFACE: TURIN 30-09-1888

    Nietzsche aime bien dater. Il prend plaisir aussi annoncer, de faonpublicitaire, ses textes venir, ici la Rvaluation de toutes les valeurs. Ilna pas prvu comme sa sur le prtendra dcrire un ouvrage intitul

    La Volont de Puissance. Par contre, il prvoyait une uvre globale etfinale quil na pas acheve. Seul le premier tome,LAntchristest rdig.

    Le livre apothose de la pense de Nietzsche devait donc sintitulerRvaluation de toutes les valeurs.

    8. LENQUTE GNALOGIQUE

    8.1 PRSENTATION

    La Prface de Crpuscule des idoles prsente un expos de lamthode gnalogiqueet interprtative. Le travail gnalogique, lcoute,nest pas un savoir, un corps de doctrine, mais une enqute. Elle porte surquelque chose de cach quelle tente de mettre au jour et quensuite elle

    interprte.Lanalyse gnalogique est donc une analyse interprtative. Celasignifie que :

    la gnalogie est une opration analogue une lecture philologique ; le corps est porteur du sens du texte ; lidole, lidal sont le rsultat dun rapport de forces physiologique ; il ny a pas de vrit originaire.

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    8.1.1 La gnalogie comme mthode de lecture

    La mthode gnalogique est une mthode analogue celle delapprentissage de la lecture. Cest une opration de dchiffrage. Il faut

    remonter (pour employer anachroniquement le vocabulaire des linguistes)des signes, des signifiants au signifi. Lire, cest interprter. On part de

    certains signes concrets : les traces diverses, les lettres, les mots, les phrases,

    vers leur sens abstrait.

    8.1.2 Le texte et le sens du texte

    Le sens du texte est une abstraction. Le sens du texte est port par le

    corps. Pour Nietzsche, remonter du signifiant au signifi qui nest jamaisparfaitement vident, cest effectuer une description mdicale du corps.

    Si on remonte de lidole, de lidal au corps, cela signifie que lesidaux ont rapport la physiologie, ltude du fonctionnement du corps et,

    en particulier limportance de lalimentation.

    Si on remonte des idaux, des reprsentations des concepts, des

    systmes aucorps, on peut suivre Nietzsche quand il dit : Je sais comment on rfute des Allemands non pasavec des arguments, mais avec de la

    rhubarbe .La rhubarbe a des proprits laxatives. Cest un propos cynique de

    Nietzsche (parce quil lapplique aux Allemands), mais surtout il parle de

    ce qui est naturel sans fausse honte, comme un diagnostic mdical,

    mdecynique (mot cr par Nietzsche). On remonte donc de lidole au

    corps, la physiologie. On est dans le matrialisme. Il ny a de savoir quedu corps. Le corps correspond aux pulsions, aux affects, la volont de

    puissance. Les pulsions sont galement, les unes avec les autres, dans unrapport dinterprtation. Lidal est une interprtation de ce qui est dj

    une interprtationet ainsi de suite Le texte renvoie un corps que lonpourrait appeler textuel, un texte corporel, un texte des pulsions.

    Il ny a pas dorigine radicale. On ne remonte pas un fait donn. On

    remonte quelque chose qui est dit, quelque chose qui est donc dj

    interprt. Nietzsche laffirme dans cette phrase : Il ny a pas de faits, il ny a que

    des interprtations . La gnalogie nest pas une mdecine o lon remonterait

    des symptmes ltat du corps dune manire univoque. Il ne dit pas

    quun idal est une forme de pense qui sexplique purement et simplement

    par le relchement ou le blocage des intestins. Si Nietzsche le dit parfois,

    cest par moquerie et pour souligner que le rapport de lidal avec le corps

    est sous-estim et que ce rapport est moins univoquement causal ou

    matrialiste quinterprtatif.

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    8.1.3 Lidal comme rapport de forces

    Linterprtation renvoie un texte qui renvoie lui-mme dune faonproblmatique quelque chose avec quoi lidole (lidal) a un rapportpluriel, plurivoque, plurismique.

    Lidal est donc la rsultante dun rapport de forces. Linterprtation,cest lensemble des conjectures que lon peut faire, hasardeuses, partirdes exprimentations, des hypothses que lon peut mettre sur les rapportsdun idal avec une constellation de forces. Il y a un tat pluriel des forces.Cest un chaos en quilibre momentan et nouveau en dsquilibre.

    Le corps nest pas une matire inerte. Le corps est analogue untexte dans la mesure o les forces sont entre elles dans un rapportchangeant, multiple, pluriel. Dominant et domin sinversent. Les rapportsde forces se font et se dfont, stablissent, se dtruisent. Une seule et

    mme reprsentation a plusieurs significations. Linterprtation estplurielle.