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Université Lumière (Lyon 2) Département de Sciences du Langage COURS DE SYNTAXE (maîtrise) année universitaire 2003-2004 SUR CE COURS

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Université Lumière (Lyon 2)

Département de Sciences du Langage

COURS DE SYNTAXE

(maîtrise)

année universitaire 2003-2004

SUR CE COURS

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Le cours de syntaxe de maîtrise est une continuation du cours de syntaxe de licence; il reprenden grande partie le matériel du deuxième semestre de licence qui avait été présenté dans uneoptique de linguistique descriptive afin de rendre compte de la diversité des phénomènessyntaxiques relevés dans les grammaires des langues du monde. Au niveau de la maîtrise, le butdu cours est d'approfondir la compréhension de ce matériel en apprenant à manier les conceptsde base d'une certaine approche théorique. De nouveaux thèmes et de nouvelles constructions

sont aussi introduits pour continuer à illustrer la variété des langues du monde tout endémontrant le fonctionnement de cette approche théorique pour rendre compte des tendancesuniverselles et de cette variété même.

Ce cours est aussi lié au cours de Language 4 du même niveau de maîtrise (entièrement fait enanglais) dans lequel sont présentés, dans le texte, certains des principaux linguistes qui ontdéveloppé ce cadre théorique. Il s'agit principalement donc de présenter au niveau de la maîtrisele travail d'un groupe de linguistes quelquefois appelés les "West Coast functionalists" quiélabore un cadre théorique que l'un d'entre eux, T. Givón, a appelé "grammaire fonctionnelle ettypologique".

Cette approche à la syntaxe a déjà amplement fait ses preuves comme une stratégie descriptive

très productive quand il s'agit de faire face au défi de la description de langues du monde peu oupas décrites. Il semblerait aussi que cette approche au phénomène syntaxique offre une optiquetrès productive dans des contextes de thérapie orthophonique. La démonstration en sera faite parune orthophoniste qui a développé une méthode basée sur cette linguistique, linguistique àlaquelle elle avait été exposée dans ces mêmes cours, lors de ses études dans ce département deSciences du Langage de Lyon2. (Bobillier-Chaumont, I. 2000. Linguistique Fonctionnelle et 

 Handicap Mental: un espace théorique puissant au service de la remédiation des troubles dulangage. Mémoire de Maîtrise, SDL, Lyon2.).

Le matériel de ce polycopié provient de plusieurs sources:•  de chapitres d'un polycopié de maîtrise rédigé par Denis Creissels,•  d'extraits de Riegel, M, J.C. Pellat et R. Rioul 1994 Grammaire méthodique du français.

PUF.•  d'exempliers de Colette Grinevald qui rassemblent les concepts essentiels schématisés.  

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PLAN DU COURS

1. Cadre théorique: sur la grammaire fonctionnelle et typologique.Perspectives théoriques et descriptives.

2. Rôles sémantiques, pragmatiques, syntaxiques et marques morphologiques

3. Cas de variation typologique: génitif, possessif et constructionspossessives

4. Le modèle fonctionnel-typologique: une première vue de son application à l'analyse des phrases simples déclaratives affirmatives.

5. Les voix (1): Passif, moyen, réflexif 

6. Variation typologique dans l'encodage morphologique des argumentsprincipaux: ergativité et autres systèmes

7. Les voix (2) L'antipassif 

8. Les voix (3) L'applicatif 

9. La relativisation dans les langues du monde

10. La complémentation

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Liste des abréviations utilisées

dans les gloses des exemples

1S / 2S / 3S : 1ère / 2ème / 3ème personne du

singulier1P / 2P / 3P : 1ère / 2ème / 3ème personne duplurielA… : indice se référant à un agentABL : ablatif ABS : forme absolue du nomAC : marque d'aspect accompliALIÉN : marque de possession aliénableALL : allatif APPL : applicatif APSF : antipassif (AUSSI "AP")ASSERT : marque d'assertionAUX : auxiliaire

CAUS : causatif CL1, CL2, etc. : classe 1, classe 2, etc. (languesbantoues)CLAS : classificateurCONS : consécutif COP : copuleD… : indice de datif DAT : marque de la fonction datif DÉCL : déclaratif DÉF : définiDÉM : démonstratif DÉR : dérivatif DJT : en tswana, marque de forme verbale"disjointe" (qui ne peut être suivie d'aucun

complément)ERG : marque du sujet d'une contruction transitive,dans un système de type ergatif ÉVID : marque d'évidentialitéEXPL : explétif F(ÉM) : fémininFIN : en tswana, voyelle finale du verbe qui varieselon le tiroir verbalFOC : marque de focalisationFOCSUJ : morphème qui indique la focalisation dusujetFOCCOMP : morphème qui indique la focalisationd'un complémentFOCV : morphème qui indique la focalisation duverbeFUT : futurGÉN : marque de la fonction génitif GÉR : morphème de gérondif IMP : imparfaitIMPÉR : impératif INAC : marque d'aspect inaccompliINAL : marque de possession inaliénableINDÉF : indéfiniINF : morphème d'infinitif INSTR : instrumentalINTER : marque d'interrogationJONCT : joncteur

LOC : locatif M(ASC) : masculinMIR : miratif 

MODPERS : morphème cumulant une indication de

mode et une indication de personneMOY : voix moyenne ou médiopassiveNÉG : marque de négationNEU : neutreO… : indice d'objetOBJ : marque de la fonction objetOBJDÉF : morphème qui marque à la fois lafonction objet et le caractère défini de l'objetODÉF : indice d'objet définiOBJIND : objet indéterminéOBL : cas "oblique" (dans une langue comme lekurde, qui a une déclinaison à deux cas)OPT : optatif 

P… : indice se référant à un patientPART : morphème servant à former un participePAS : marque de passéPERF : perfectif PL : marque de plurielPOL : marque de politessePOS : positif (par opposition à négatif)POSTP : postpositionPOT : potentielPRÉP : prépositionPRÉS : présentPRO : pronomPSF : passif (AUSSI "PASS")RÉCIPR : réciproque

RÉFL : réfléchiREL : relativiseur, ou marque d'une forme verbalerelativeS… : indice de sujetSG : marque de singulierSUB : morphème de subordinationSUBJ : subjonctif SUBJFUT : subjonctif futurSUBJPAS : subjonctif passéSUJ : marque de la fonction sujetTAM : marque de temps-aspect-modeTOP : marque de topicalisationU/P… : indice se référant à un actant unique ou à unpatient, dans un système de type ergatif VALID : validateurVOIX : morphème de voix

—> dans les gloses des exemplesbantous, un chiffre est parfois placé àl'initiale d'un mot pour indiquer laclasse à laquelle appartient ce mot

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1 : Mise au point théorique :

sur la grammaire fonctionnelle et typologique.

Perspectives théoriques et descriptives.

(Creissels)

1. Une approche typologique et fonctionnaliste de la syntaxe

Les théories syntaxiques formelles ont tout d'abord comme objectif une description de lasyntaxe des langues totalement explicite, ce qui implique notamment la possibilité d'exploiter lesdescriptions syntaxiques formelles de manière relativement directe dans le cadre du traitementautomatique des langues. L'objectif des théories syntaxiques formelles est en outre de proposerun ensemble de principes d'organisation syntaxique qui prédisent de manière aussi précise quepossible, tout en les ramenant à un petit nombre de principes généraux, les structuressyntaxiques identifiées dans les langues qui ont fait jusqu'ici l'objet de description relativementprécises.

Pratiquement, une approche formelle de la syntaxe n'a de sens que relativement à des languessur le système desquelles existe déjà une documentation relativement abondante.

Ce cours développe une approche typologique de la syntaxe, dont la préoccupation centralen'est pas de formaliser la description de langues déjà relativement bien connues, mais de rendrecompte de la diversité de la structuration syntaxique des langues.

Le point de vue typologique implique en premier lieu:

 – un souci de privilégier l'utilisation de notions syntaxiques définies de telle façon qu'ilparaisse raisonnable de penser (dans les limites bien sûr de la documentation disponible) qu'onva pouvoir les retrouver dans toutes les langues;

 – un souci de mettre systématiquement en évidence la distinction entre des aspects de lasyntaxe qu'on peut raisonnablement considérer comme universels et d'autres dans lesquelss'observent des variations.

L'approche typologique implique aussi d'adopter, au moins jusqu'à un certain point, uneapproche fonctionnaliste de la syntaxe, c'est-à-dire une approche qui considère la structurationsyntaxique des langues comme le résultat de processus de grammaticalisation conditionnés demanière cruciale par des phénomènes discursifs dont l'importance tient à la fonctioncommunicative du langage. En effet, il s'avère impossible de définir en termes strictement

formels des notions syntaxiques universelles susceptibles de constituer la base d'une étudecomparée de la structuration syntaxique des langues, et par conséquent, dans une approchetypologique de la syntaxe, on ne peut pas éviter de se baser sur des notions dont la définitionrenvoie explicitement aux seules choses dont on soit à peu près sûr qu'elles soient en groscommunes à toutes les langues: ce dont elles permettent de parler, et la façon dont ellespermettent d'en parler dans l'interaction communicative.

Mais ceci ne signifie nullement qu'on doive considérer comme incompatibles une approchetypologique et fonctionnelle de la syntaxe et une approche formelle. La position sous-jacente àce cours est qu'il s'agit plutôt de deux approches complémentaires.

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2. Une conception lexicaliste de la syntaxe

Dans l'histoire relativement récente de la linguistique (précisément vers le milieu du 20èmesiècle) s'est développée une tendance à nier la division traditionnelle entre morphologie (étude dela structure interne des mots) et syntaxe (étude de la combinaison des mots en phrases). Cette

tendance a en particulier très fortement marqué les premières versions de la grammairetransformationnelle, et les versions suivantes de la grammaire transformationnelle, même si ellesont cessé de défendre des positions aussi radicales, ont continué jusqu'à maintenant d'en porterla trace. Mais à l'heure actuelle, presque toutes les théories syntaxiques sont revenues à uneconception "lexicaliste" de la syntaxe, qui est aussi la conception sous-jacente à ce cours.

Dans une conception strictement lexicaliste de la syntaxe, les règles de syntaxe manipulentdes mots entièrement formés et sont totalement distinctes des règles qui déterminent lescombinaisons de morphèmes dans les limites du mot. Les règles de syntaxe sont bien sûrsensibles à la structure des mots (ce dont on peut rendre compte simplement en considérant qu'àchaque mot, en liaison avec sa composition en morphèmes, sont associés un certain nombre detraits syntaxiques qui déterminent son comportement combinatoire), mais elles ne peuvent pas la

modifier.En d'autres termes, dans une conception lexicaliste de la syntaxe, les règles de combinaison

des morphèmes en mots sont une composante autonome de la structure d'une langue, et il n'estpas possible de faire appel à des règles qui incorporeraient à un mot un morphème traité commeélément autonome dans la construction de la phrase, ou qui ajouteraient à un mot la copie d'unmorphème considéré comme appartenant fondamentalement à un autre mot.

Par exemple, dans une conception lexicaliste de la syntaxe, il n'est pas possible de rendrecompte de l'accord en genre et en nombre entre un nom et un adjectif épithète en considérant quequand le syntagme se forme, l'adjectif se réduit à un lexème, et qu'une règle affecte à l'adjectif des traits de genre et de nombre identiques à ceux du nom avec lequel il se combine. Il n'est pas

non plus possible de considérer (comme le fait la grammaire transformationnelle) que lemorphème de temps qu'inclut le verbe dans une phrase comme  Les enfants chant-ai-ent 

constitue dans une première étape de la construction de la phrase un élément autonome, quiultérieurement va former un mot unique avec le lexème verbal. Nous reviendrons à la section 4sur les avantages qu'il y a à adopter un tel point de vue.

3. Une conception réaliste de la syntaxe

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L'adoption d'une conception strictement lexicaliste de la syntaxe est cohérente avec l'adoption,d'un point de vue plus général, d'une conception de la syntaxe qu'on peut qualifier de réaliste, paropposition à une conception abstraite de la syntaxe dont l'illustration la plus extrême est lagrammaire générative chomskyenne.

Défendre une conception réaliste de la syntaxe signifie adopter le principe selon lequel les

régularités dans la construction des phrases doivent se décrire par référence aux phrases tellesqu'on peut les observer, et non pas comme le résultat de la transformation de structuressyntaxiques abstraites dans lesquelles on suppose les éléments de la phrase agencésdifféremment de ce qu'il est possible d'observer. Cela signifie en particulier s'interdire d'utiliserl'hypothèse de structures syntaxiques abstraites dans lesquelles les mots pourraient être rangésdans un ordre différent de celui qu'il est possible d'observer, ou dans lesquelles des morphèmesliés apparaîtraient détachés du mot dont ils font partie dans la phrase telle qu'on peut l'observer.Cela signifie aussi s'interdire de faire appel, pour expliquer les régularités syntaxiques, à laprésence d'éléments "effacés" ou "invisibles" qui, bien que n'apparaissant pas dans les phrasestelles qu'on peut les observer, seraient susceptibles d'interagir avec les autres éléments de laphrase exactement comme pourrait le faire un mot concret.

Il est important dans cette optique de bien réfléchir sur ce que peut impliquer l'usage d'unterme plutôt que d'un autre pour décrire la construction des phrases. Par exemple, dans lesanalyses syntaxiques, il semble difficile de se passer de la notion de position laissée vide dans laconstruction d'une phrase ou d'un constituant syntaxique; il semble également difficile de ne pasopérer avec la distinction entre position canonique et position non canonique d'un mot ou d'unconstituant. Mais il est important de comprendre que ce sont là des notions qui peuvent êtrecomprises d'un strict point de vue descriptif, et qui n'impliquent pas nécessairement un traitementtransformationnel de ces phénomènes. Reconnaître qu'une position dans un schème deconstruction reste vide au lieu d'être occupée par un mot ou par un constituant n'implique pasnécessairement que le vide résulte de la suppression d'un terme d'une "structure syntaxique

sous-jacente", ou que le vide est en réalité occupé par un élément "invisible". De même, parler deconstituant syntaxique en position non canonique n'implique pas nécessairement l'hypothèsed'un déplacement du constituant à partir de la position considérée comme canonique.

Les transformationalistes ont consacré beaucoup de leurs efforts à essayer de démontrerl'impossibilité de formaliser la syntaxe (c'est-à-dire de formuler de manière totalement expliciteles règles permettant de générer toutes les phrases grammaticales et rien que les phrasesgrammaticales d'une langue) sans accepter l'idée que les phrases telles que nous pouvons lesobserver résultent de la transformation de structures syntaxiques abstraites et incluent deséléments invisibles qui participent à la construction des phrases au même titre que les motsconcrets. Mais dans le cadre d'autres théories syntaxiques formelles il a été démontré que tousles phénomènes mis en avant par les transformationalistes à l'appui de l'hypothèse de structures

syntaxiques abstraites peuvent se formaliser de façon équivalente (et souvent beaucoup plussimple) en restant dans le cadre d'une conception réaliste de la syntaxe, à condition d'élaborerune théorie suffisamment riche de la description des mots en traits syntaxiques.

4. Illustration: le traitement des phénomènes d'accord

Les phénomènes d'accord (accord sujet-verbe, accord nom-modifieur, etc.) constituent undomaine qui permet particulièrement bien de montrer la différence entre une approche"dérivationnelle", qui considère les combinaisons de mots effectivement observées comme leproduit de règles de transformation appliquées à des structures syntaxiques abstraites, et uneapproche qui s'impose de rendre directement compte des contraintes sur les combinaisons demots bien formées, sans avoir recours à des structures syntaxiques abstraites.

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Les formulations de la grammaire traditionnelle suggèrent une orientation des phénomènesd'accord, et donc un traitement des phénomènes d'accord de type dérivationnel. En effet, on nedit pas traditionnellement que le sujet et le verbe s'accordent, mais plutôt que le verbe s'accordeavec son sujet; on dit de même que l'adjectif épithète s'accorde avec le nom, etc. De tellesformulations impliquent que les traits qui donnent lieu à un accord entre deux termes d'une

construction appartiennent fondamentalement à l'un des deux termes de la construction (le sujetdans la relation sujet-verbe, le nom dans la relation nom-épithète), et que leur manifestation surl'autre terme de la construction résulte d'une règle de copie; par exemple, un syntagme "sujet +verbe" avec un accord en nombre entre le sujet et le verbe sera considéré comme ayant unestructure profonde Sujet-nb Verbe qu'une règle de copie transforme en Sujet-nb Verbe-nb –ex.(1)

(1)  français

a. ENFANT-déf-sg VENIR-fut —> ENFANT-déf-sg VENIR-fut-sg‘L'enfant viendra’

b. ENFANT-déf-pl VENIR-fut —> ENFANT-déf-pl VENIR-fut-pl‘Les enfants viendront’

Dans une approche non dérivationnelle, on rendra compte du même phénomène de la façonsuivante: chaque mot ou syntagme susceptible d'entrer dans une relation syntaxique qui donnelieu à un accord en nombre est affecté d'un trait de nombre qui peut prendre les valeurs sg

(singulier), pl (pluriel) ou rester non spécifié (pour les mots ou syntagmes dont la forme à elleseule ne permet pas de spécifier une valeur de nombre, comme par exemple en anglais le groupenominal the salmon "le(s) saumon(s)" ou la forme verbale swimmed  "nagea / nagèrent"); ceciétant, la construction d'un syntagme mettant en jeu des phénomènes d'accord se caractérise par la

contrainte que les deux termes du syntagme ne doivent pas avoir deux spécifications différentesdu même trait.

(2)  français

a. [l'enfant]sg [viendra]sg  : combinaison bien formée

b. *[l'enfant]sg [viendront]pl  : combinaison mal formée

c. *[les enfants]pl [viendra]sg  : combinaison mal formée

d. [les enfants]pl [viendront]pl  : combinaison bien formée

A première vue, l'avantage de l'approche dérivationnelle est de fournir une explication d'unphénomène que l'approche non dérivationnelle se borne à décrire. Mais la question est justementde savoir s'il est raisonnable de chercher une explication purement syntaxique au phénomène del'accord (c'est-à-dire de voir dans l'accord le résultat de la diffusion de certains traits d'un élémentde la structure de la phrase à d'autres), ou s'il ne vaut pas mieux s'orienter vers une explicationfondamentalement sémantique de l'accord: dans un syntagme donnant lieu à une relationd'accord, certaines informations sur un même référent se trouvent répétées sur les deux termesdu syntagme, ou, plus généralement, réparties entre les deux termes du syntagme. Dans cetteoptique, on dira par exemple que dans l'ex. (2), les incompatibilités constatées en (b) et (c)s'expliquent par le fait que, dans le système du français, le verbe venir  qui représente une actionet le sujet qui se réfère à l'agent de cette action doivent tous les deux porter des marques

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morphologiques qui spécifient si l'agent de l'action de venir est envisagé comme constitué d'unindividu unique ou d'un groupe d'individus.

L'inconvénient majeur d'une approche dérivationnelle de l'accord (et donc d'une théoriepurement syntaxique de l'accord) est qu'une telle explication ne marcherait vraiment bien que siles traits supposés se diffuser d'un terme A à un terme B d'une construction apparaissaient

toujours maximalement spécifiés dans la morphologie du terme A, c'est-à-dire si lesinformations que livre la morphologie du terme B en ce qui concerne le trait donnant lieu àaccord pouvaient toujours être considérées comme redondantes avec des informations présentessans ambiguïté dans la morphologie du terme A. Mais ce n'est pas toujours le cas, comme onpeut le voir à partir de l'ex. (3).

(3) anglais

a. The whale is swimming b. The whales are swimming

c. The whale swam d. The whales swam

e. The salmon is swimming f. The salmon are swimming

g. The salmon swam

Ce que nous observons dans les phrases de l'ex. (3) est que: – en (a/b), la distinction singulier / pluriel est marquée à la fois sur le sujet et sur le verbe; – en (c/d), la distinction singulier / pluriel est marquée sur le sujet, mais pas sur le verbe; – en (e/f), la distinction singulier / pluriel est marquée sur le verbe, mais pas sur le sujet; – en (g), la distinction singulier / pluriel n'est marquée, ni sur le sujet, ni sur le verbe.

Autrement dit, l'hypothèse de la diffusion du trait de nombre du sujet au verbe permet derendre compte sans difficulté des phrases (a) à (d), mais pose un problème pour les phrases (e) à(g). Pour les phrases (e) et (f), l'hypothèse d'une diffusion du trait de nombre du sujet au verbeoblige à admettre qu'il n'y a pas en anglais un nom salmon  "saumon(s)" non marqué pour lenombre, mais deux homonymes, salmon et salmon-PL, avec une marque de pluriel invisible quigouverne néanmoins l'accord du verbe. Le problème est en un certain sens encore plus graveavec la phrase (g), puisque dans ce cas, il n'y a même pas la possibilité d'observer dans le verbeune marque de nombre qui pourrait être analysée comme la manifestation indirecte d'une marquede pluriel invisible qu'on suppose portée par le nom sujet.

Observons aussi les données suivantes sur l'accord en personne entre sujet et verbe enespagnol:

(4) espagnol

a. Nosotros somos jóvenesnous être.S1P  jeunes

‘Nous, nous sommes jeunes’

b. Vosotros sois muy amablesvous être.S2P trèsaimables

‘Vous, vous êtes très aimables’

c. Ellos son muy simpáticoseux être.S3P trèssympathiques

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‘Eux, ils sont très sympathiques’

d. Somos jóvenesêtre.S1P  jeunes

‘Nous sommes jeunes’

e. Sois muy amablesêtre.S2P trèsaimables

‘Vous êtes très aimables’

f. Son muy simpáticosêtre.S3P trèssympathiques

‘Ils / elles sont très sympathiques’

Dans les phrases (a) à (c) de l'ex. (4), il n'y a aucune difficulté à parler d'accord enpersonne au sens de copie sur le verbe d'une partie de l'information livrée par le sujet. Par contre,

les phrases (d) à (f) ne comportent aucun sujet, et la seule façon de maintenir l'idée que lesmarques de personne du verbe lui sont imposées par son sujet consiste à admettre l'existenced'un sujet "invisible" ou "effacé" capable d'intervenir dans les mécanismes syntaxiquesexactement comme un mot concret.

Une difficulté supplémentaire apparaît avec les phrases (g) à (i), qui à la différence desphrases (d) à (f) comportent un sujet, mais dans lesquelles le verbe manifeste des possibilités devariation en personne indépendantes du groupe nominal en fonction de sujet. Ici encore, la seulefaçon de sauver l'idée que les marques de personne du verbe lui sont imposées par son sujetconsiste à admettre que le "véritable" sujet n'est pas celui qui se voit, mais plutôt un pronominvisible par rapport auquel le sujet apparent constitue une sorte d'apposition.

En résumé, la conception de l'accord comme copie de traits d'un terme d'une construction surun autre, qui à première vue semble fournir une explication à la fois simple et élégante duphénomène, conduit nécessairement à postuler des structures syntaxiques abstraites incluantnotamment des éléments "invisibles" dont la seule justification est précisément de permettre derendre certaines données compatibles avec une hypothèse sur le fonctionnement des mécanismessyntaxiques. En effet, si on ne décide pas d'orienter les mécanismes d'accord et qu'on considèreplutôt que les mots ou groupes de mots impliqués dans un mécanisme d'accord partagentcertains traits qui ont la particularité de renvoyer à un même référent, il n'y a plus aucunenécessité d'avoir recours à des mots ou morphèmes invisibles pour décrire les mécanismesd'accord. Par exemple, la particularité des langues qui ont un accord sujet-verbe est que certainesinformations concernant l'un des arguments du prédicat verbal apparaissent dans la morphologie

verbale même; selon les langues, il peut arriver que l'argument en question soit en outrenécessairement représenté par un mot ou groupe de mots (le sujet), et dans ce cas il est possibleque l'information présente dans la morphologie verbale apparaisse comme redondante avec desinformations spécifiées au niveau du mot ou groupe de mots en fonction de sujet, mais lessituations où ce n'est pas le cas n'ont pas à être considérées comme des situationsexceptionnelles dont l'explication nécessiterait le recours à des structures syntaxiques abstraites.

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2.

Rôles sémantiques, pragmatiques, syntaxiques et encodage syntaxique et morphologique

Voir dans le polycopié de SYNTAXE de LICENCE de Denis Creissels:

 Leçon 13: Rôles discursifs, sémantiques et syntaxiquesdes termes nominaux de l'unité phrastique

 Leçon 14: Sujet, objet, datif, obliques

 Leçon 15: Typologie des manifestations des fonctions sujet et objet 

****************************************************

 Extraits de

"Grammaire méthodique du français" M. Riegel, J.C. Pellat, R. Rioul. PUF 1994.

 pp 121-134

(Voir supplément de lecture)

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3Cas de variation typologique: génitif, possessif 

et constructions possessives

(CREISSELS)

1. Distinctions de type "aliénable / inaliénable" dans la construction du syntagmegénitival ou dans la forme des possessifs

Le syntagme génitival a été défini comme syntagme qui combine un nom tête du syntagmeavec un constituant nominal en fonction de modifieur et qui spécifie de manière minimale la

nature de la relation entre les référents des deux noms. Mais spécification minimale ne veut pasforcément dire absence totale de spécification.Il peut arriver que le syntagme génitival signifie seulement que le référent du constituant

nominal dans lesquels s'insère le génitif est un élément de la sphère personnelle du référent dugénitif, ou plus généralement que l'énonciateur considère que la relation entre les référents dugénitif et du nom qu'il détermine peut s'assimiler à la relation entre un individu et un élément desa sphère personnelle. C'est le cas extrême, dans lequel la spécification de la relation entre lesréférents se réduit à zéro. On peut l'illustrer par la construction  N1 de N2 du français standard(c'est-à-dire d'une variété de français dont une caractéristique est d'ignorer la possibilité deconstruire le syntagme génitival comme N1 à N2). Mais dans d'autres cas, la spécification de larelation sous-jacente à la construction du syntagme génitival, bien que minimale, n'est pas

totalement nulle. Autrement dit, il peut arriver que certains traits de la relation entre les référentsdu génitif et du nom qu'il détermine se manifestent dans le choix entre plusieurs constructionspossibles du syntagme génitival.

Un cas assez fréquent est que la construction du syntagme génitival soit sensible à ladistinction animé / inanimé, sans faire par contre de différence entre les trois ensemblesprototypiques de relations qui structurent la sphère personnelle, comme en français parlé –ex.(1).

(1)  français parlé 

a. la tête à Jean

b. la sœur à Jean

c. la voiture à Jean

d. le toit de / *à la maison

e. la fin de / *à l'histoire

f. le propriétaire de / *à la voiture

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Mais la situation la plus courante dans les langues qui ont plusieurs possibilités de construirele syntagme génitival ou plusieurs jeux de possessifs, qui a plus particulièrement attiré l'attentiondes linguistes, est celle de langues dans lesquelles la construction utilisée lorsque le nomdéterminé représente un objet que le référent du génitif a à sa disposition est différente de celleutilisée lorsque le nom déterminé représente une partie du corps ou un parent du référent du

génitif – à l'exception parfois d'objets qui ont une relation particulièrement intime avec lapersonne qui les utilise, au point de pouvoir être traités comme les noms de parties du corpsdans la construction du syntagme génitival. Par exemple, en bambara – ex. (2), le morphème degénitif ka doit être utilisé lorsque le nom déterminé représente un objet que le référent du génitif a à sa disposition, mais ne peut pas s'utiliser lorsqu'il représente une partie du corps ou un parentdu référent du génitif.

(2) bambara

a. Seku boloSékou bras

‘le bras de Sékou’

b. Seku dògòmusoSékou sœur+cadette

‘la sœur cadette de Sékou’

c. Seku ka muruSékou GEN couteau

‘le couteau de Sékou’

Le sikuani – ex. (3) – illustre le cas d'une langue qui ne fait pas de différence dans laconstruction proprement dite du syntagme génitival, mais dans laquelle le même type dedistinction intervient dans le choix entre deux jeux de possessifs.

(3) sikuani

a. les possessifs ta- / ne- / pe- / wa-  (possession inaliénable)

ta-ena ‘ma mère’

ne-taxu ‘ton pied’

pe-tobene ‘sa queue’

wa-ame ‘notre belle-mère (inclusif)’

b. les possessifs taha- / niha- / piha- / waha- (possession aliénable)

taha-bitsabi ‘mon arc’

niha-nawa ‘ton vêtement’

piha-hera ‘sa pirogue’

waha-bo ‘notre maison (inclusif)’

c. syntagme génitival avec marques de possession inaliénable

Kadawako pe-xünato

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Kadawako INAL3S-fils

‘le fils de Kadawako’

d. syntagme génitival avec marques de possession aliénable

sikuani piha-nakuaSikuani ALIEN3S-territoire

‘Le territoire des Sikuanis’

Dans de tels cas, on dit usuellement qu'on a affaire à une distinction selon que la possessionest de type aliénable ou de type inaliénable.

Dans l'exemple bambara et dans l'exemple sikuani, la construction "inaliénable" apparaît à lafois pour se référer à la relation entre un individu et les parties de son corps et pour se référer àla relation entre un individu et les membres de sa famille. Mais on rencontre aussi des languesqui utilisent une construction spéciale, ou des possessifs spéciaux, seulement lorsque le nomdéterminé est un terme de parenté, la relation entre un individu et les parties de son corps étant

par contre traitée de la même façon que la relation entre un individu et les objets qu'il a à sadisposition – ex. (4).

(4) tswana

a. thipa ya Kitso9couteau GEN.CL9 1Kitso

‘le couteau de Kitso’

b. thipa ya gagwe

9couteau GEN.CL9 1PRO‘son couteau’

c. tlhogo ya Kitso9tête GEN.CL9 1Kitso

‘la tête de Kitso’

d. tlhogo ya gagwe9tête GEN.CL9 1PRO

‘sa tête’

e. mma-agwe1mère-PCL1

‘sa mère’

f. mma-agwe Kitso1mère-PCL1 1Kitso

‘la mère de Kitso’

Plus généralement, il est important de ne pas perdre de vue que le sens technique que leslinguistes donnent à aliénable / inaliénable veut seulement dire que le traitement grammatical desrelations entre un individu et les objets qu'il a à sa disposition (au moins ceux avec lesquels il n'apas une relation particulièrement intime) est nécessairement différent du traitement des relationsentre un individu et les parties de son corps, ou entre un individu et les membres de sa famille.

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Cette définition ne résout pas le problème de la nature sémantique précise de cette distinction,c'est-à-dire le problème de dégager un trait sémantique ou un ensemble de traits sémantiques quipermette de prédire aussi exhaustivement que possible son fonctionnement, et rien n'assure apriori que la solution de ce problème doive être la même dans toutes les langues où on observece type de distinction.

En particulier, il serait faux de penser que l'usage technique du terme d'aliénable / inaliénableimplique que dans toutes les langues où se manifeste ce type de distinction, les emploisrespectifs des deux constructions ou des deux séries de possessifs soient toujours cohérentsavec la signification d'aliénable / inaliénable dans le langage ordinaire. En fait, le choixgrammatical pour lequel les linguistes utilisent les termes d'aliénable / inaliénable ne peut jamaisêtre prédit de manière exhaustive en se basant sur une distinction générale entre relations quipeuvent ou non se défaire sans le consentement du possesseur. Par exemple, il n'a jamais étésignalé de langue qui marque une distinction obligatoire entre mon livre au sens de "le livre que

 je possède" et mon livre au sens de "le livre dont je suis l'auteur", ce qui devrait être le cas sil'emploi technique du terme d'aliénable / inaliénable coïncidait avec son emploi dans le langageordinaire, car la relation entre un livre et son auteur est typiquement une relation qui ne peut en

aucune manière être défaite.

2. Noms "obligatoirement possédés" et noms qui changent de forme en présence d'unpossessif ou d'un modifieur génitival

Certains noms, en vertu de leur signifié, sont prédisposés à se combiner avec des génitifs oudes possessifs. Le cas extrême est celui qu'illustrent les termes de parenté, dont la définitionimplique une relation entre deux personnes. Il y a des langues (c'est notamment le cas de laplupart des langues d'Europe) dans lesquelles n'importe quel nom, même s'il a un sensrelationnel, peut au moins dans certains contextes apparaître sans modifieur génitival ni

possessif. Mais dans d'autres (par exemple en hongrois) il existe un ensemble plus ou moinsimportant de noms relationnels qui existent seulement à la forme possessive.Il y a aussi des langues où certains noms de sens relationnel doivent s'ajouter un morphème

spécial pour pouvoir apparaître sans modifieur génitival ou possessif; inversement, on trouvedans certaines langues une classe de noms qui doivent s'adjoindre un morphème spécial avant depouvoir se combiner avec un possessif ou un génitif.

Par exemple, en k'ichee', les noms combinés à un modifieur génitival présentent des préfixespossessifs qui varient en personne et nombre, et c'est le même jeu de préfixes qui s'emploie avecn'importe quel nom, avec seulement des variations de type morphophonologique (par exemple, lepréfixe de 3ème personne du singulier est u- devant consonne et r- devant voyelle). (5a) illustrele cas de noms "invariables", qui apparaissent toujours à la même forme, qu'ils soient combinés

ou non à un préfixe possessif. (5b) illustre le cas de noms "nécessairement possédés", qui nepeuvent pas s'employer sans préfixe possessif. Mais il y a aussi en k'ichee' trois sous-ensemblesde noms dont la terminaison change selon qu'ils prennent ou non un préfixe possessif:

 – noms qui en présence d'un préfixe possessif présentent des changements dans la voyelle deleur dernière syllabe – ex. (5c);

 – noms qui exigent l'adjonction d'un suffixe pour pouvoir prendre des préfixes possessifs –ex. (5d);

 – noms qui exigent l'adjonction d'un suffixe pour pouvoir apparaître sans préfixe possessif –ex. (5e).

On remarquera la difficulté à trouver une cohérence sémantique dans cette répartition desnoms du k'ichee' en plusieurs sous-ensembles selon leur comportement avec les possessifs; enparticulier, des noms de parties du corps se rencontrent dans les trois sous-ensembles (b), (d)et(e).

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(5) k'ichee'

a. wuuj ‘papier’ u-wuuj 'son papier’

poop ‘natte’ u-poop 'sa natte’

b. *xaaq u-xaaq 'sa feuille’

*kotz'ijaal u-kotz'ijaal 'sa floraison’

*aa' r-aa' 'sa jambe’

*ija'liil r-ija'liil 'son origine’

c. kinaq' ‘haricots’ u-kinaaq' 'ses haricots’

pwaq ‘argent’ u-pwaaq 'son argent’

d. b'aaq ‘os’ u-b'aq-iil 'son os’

kik' ‘sang’ u-kik'-eel 'son sang’

ib'och'  ‘veine’ r-ib'och'-iil 'sa veine’ixoq 'femme’ r-ixoq-iil 'son épouse’

e. teleb'-aaj ‘épaules’ u-teleb' 'ses épaules’

wex-aaj ‘pantalon’ u-weex 'son pantalon’

 jolom-aaj ‘tête’ u-joloom 'sa tête’

De tels phénomènes semblent particulièrement répandus dans les langues amérindiennes,mais on les trouve aussi dans certaines langues africaines. Par exemple, on a recensé en nzéma

environ 80 noms qui nécessitent l'addition d'un suffixe pour pouvoir apparaître sans modifieurgénitival ni possessif; les trois quarts de ces noms se réfèrent à des parties du corps, les autres seréfèrent à des relations de parenté ou à des relations de localisation. On peut relever dans de telscas le caractère iconique de la morphologie: la forme la plus longue du nom est aussi la pluscomplexe sémantiquement au sens où elle implique l'annulation d'un trait inhérent au signifié dunom.

3. Les phrases possessives

On qualifie couramment de "possessives" les constructions qui expriment le rattachement

d'une entité (le "possédé") à la sphère personnelle d'un individu (le "possesseur") – cf. cours delicence. Dans le syntagme génitival, la référence à ce type de relation sert à restreindre l'ensembledes référents potentiels d'un nom. Le terme de phrase possessive est utilisé ici pour désigner desphrases du type J'ai une maison, typiquement utilisées pour informer sur la présence d'uncertain type d'entité dans la sphère personnelle d'un individu connu; ce type de phrase est àdistinguer du type illustré par Cette maison est à moi, qui se réfère aussi à une relation depossession, mais qui sert typiquement à informer sur l'appartenance d'une entité préalablementidentifiée à la sphère personnelle d'un possesseur.

3.1. Phrases possessives dans lesquelles le possesseur et le possédé sont traités de la

même manière que l'agent et le patient dans les phrases dont le noyau prédicatif est unverbe d'action

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Dans certaines langues, les phrases possessives ont comme noyau prédicatif un verbe transitif (comme avoir en français) construit avec un sujet qui représente le possesseur et un objet quireprésente le possédé. Ceci peut s'expliquer en prenant en considération que la relation depossession résulte dans une partie des cas au moins d'un processus actif d'acquisition: les verbesde possession se développent en effet souvent à partir de verbes dont le sens originel se réfère à

un processus d'acquisition plus ou moins concret (saisir, obtenir, gagner) ou à son résultat(tenir, porter). Par exemple, dans les langues indo-européennes: – le verbe de possession qui s'est développé en latin (habere), issu d'une racine reconstruite

avec le sens de "saisir", est apparenté à des noms des langues de l'Inde qui signifient "bras" ou"main", ainsi qu'au le verbe tchèque chopiti "saisir";

 – le verbe de possession qui s'est développé dans les langues slaves (serbocroate: imati)provient d'une autre racine indo-européenne reconstruite avec le sens de "saisir", qui a donné parexemple en latin emo "prendre", "acheter";

 – le verbe de possession qui s'est développé dans les langues germaniques (allemand: haben)provient de la même racine indo-européenne que le verbe latin capio "prendre";

 – le verbe de possession qui s'est développé en grec (exo) provient d'une racine indo-

européenne reconstruite avec le sens de "maintenir", et est apparenté par exemple au verbeallemand siegen "vaincre";

 – le verbe de possession qui s'est développé dans les langues iraniennes (persan: dar)provient d'une autre racine indo-européenne reconstruite avec le sens de maintenir", et estapparenté par exemple au nom français frein.

Ce type d'expression de la possession n'est pas le plus commun dans les langues du monde.Toutefois, il est beaucoup moins rare que ce qui a été parfois affirmé; contrairement à ce qu'ontprétendu certains indo-européanistes, le développement de verbes de possession qui assimilentplus ou moins la relation de possesseur à possédé à une relation d'agent à patient s'observelargement en dehors de la famille indo-européenne, et il n'est pas raisonnable de faire l'hypothèse

d'une relation entre cette évolution linguistique et certains changements sociaux.Par exemple, le bambara, comme la plupart des dialectes de la langue mandingue, exprime lapossession au moyen d'une structure phrastique de type locatif, et a par ailleurs un verbe transitif sòrò qui signifie spécifiquement "obtenir", "gagner", et qu'il ne serait pas correct de considérercomme un verbe de possession – ex. (6); mais en mandinka, ce même verbe (qui a en mandinkala forme soto), tout en maintenant son sens originel d'acquisition, a acquis en plus la possibilitéd'exprimer n'importe quelle relation d'appartenance d'une entité (syntaxiquement traitée commel'objet du verbe soto) à la sphère personnelle du référent du sujet – ex. (7).

(6) bambara

a. Sin tè sa lapatte ne+pas+être serpentà

‘Le serpent n'a pas de patte’

b. Wari bè Seku boloargent êtreSékou en+possession+de

‘Sékou a de l'argent’

(bolo existe aussi comme nom, au sens de ‘main’)

c. Seku ye wari sòrò

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Sékou AC.POS argent gagner

‘Sékou a gagné de l'argent’

(7) mandinka

a. Saa mang sing sotoserpentAC.NEG patte avoir

‘Le serpent n'a pas de patte’ (étymologiquement ‘n'a pas obtenu de patte’)

b. Seeku ye kodoo sotoSékou AC.POS argent avoir/gagner

1. ‘Sékou a de l'argent’

2. ‘Sékou a gagné de l'argent’

3.2. Phrases possessives dans lesquelles le possédé est traité comme le terme localisédans des phrases qui expriment la localisation d'une entité relativement à un point de

référence spatial, ou la présence d'une entité en un lieu

Dans la plupart des langues, l'expression de la possession met en jeu des structuresphrastiques qui assimilent plus ou moins la possession à la localisation du possédé relativementà un point de référence spatial, ou à la présence du possédé en un lieu.

On peut distinguer plusieurs sous-types selon le traitement précis du possesseur, comme lemontrent les gloses des ex. (8) à (12).

(8)  finnois

Miko-llaon kirjaMikko-surêtre.S3S livre

‘Mikko a un livre’

(9) arabe

‘and-î daftarchez-moi cahier

‘J'ai un cahier’

(10) irlandais

Tá airgead ag an bhfearêtre.S3S argent près+de DEF homme

‘L'homme a de l'argent’

(11) gallois

Y mae llyfr gan Mairêtre.S3S livre avec Mair

‘Mair a un livre’

(12) letton

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BrÇlim être.S3S motociklsfrère.DAT est moto

‘Mon frère a une moto’

Dans la variante illustrée par le hongrois, le turc et le nahuatl – ex. (13) à (15), le possédé

prend un affixe possessif qui se réfère au possesseur.

(13) hongrois

János-nak van pénz-eJános-DATêtre.S3S argent-P3S

‘János a de l'argent’

(14) turc

Müdür-ün otomobil-i vardirecteur-GEN voiture-P3S être.S3S

‘Le directeur a une voiture’

(15) nahuatl

Oncatê no-pil-huÇnêtre.S3P P1S-enfant-PL

‘J'ai des enfants’

Le japonais illustre encore une autre variante de ce type, dans laquelle le possesseur est

présenté comme le topique d'une prédication existentielle – ex. (16).(16)  japonais

a. Inu-wa niwa-ni imasuchien-TOP jardin-LOCêtre

‘Le chien est dans le jardin’

b. Niwa-ni inu-ga imasu jardin-LOCchien-SUJ être

‘Il y a un chien dans le jardin’

c. Michiko-wa inu-ga imasuMichiko-TOP chien-SUJ être

‘Michiko a un chien’ (litt. ‘Quant à Michiko, il y a un chien’)

3.3. Phrases possessives dont le sens littéral est que le possesseur est accompagné dupossédé, ou pourvu du possédé

Dans ce type de phrase possessive, particulièrement commun dans les langues africaines, lepossédé apparaît généralement combiné à une adposition (ou à un affixe de cas) de senscomitatif, comme dans l'ex. swahili (17).

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(17) swahili

  Hamisi a-na watoto wawiliHamisi SCL1-avec enfantsdeux

‘Hamisi a deux enfants’ (litt. ‘est avec deux enfants’)

On peut considérer comme variantes de ce type: – les phrases possessives de structure équative ou attributive dans lesquelles le possédé est

exprimé au moyen d'un nom ou adjectif dérivé qui signifie "pourvu de N" – ex. (18) & (19);

(18) quechua (Ayacucho-Chanca)

Qollqe-yoj ka-niargent-pourvu+de être-S1S

‘J'ai de l'argent’

(19) nahuatl

Ni-cal-êS1S-maison-pourvu+de

‘J'ai une maison’

 – les phrases possessives dont le noyau prédicatif est un verbe dérivé qui signifie "avoir N",avec le nom du possesseur en fonction de sujet – ex. (20).

(20) esquimau

a. Ikinnguti-qar-puqami-avoir-S3S

‘Il a des amis'

b. Angut taanna atursinnaanngitsu-nik qimmi-qar-puqhomme celui-là qui+ne+vaut+rien-INSTR.PL chien-avoir-IS3S

‘Cet homme a des chiens qui ne valent rien’

4. La "possession externe"

4.1. Le phénomène en françaisLa comparaison entre langues met en évidence un phénomène fréquent de concurrence entre

constructions qui incluent un constituant nominal en fonction de génitif (ou un possessif) et desconstructions qui ont le même sens dénotatif, mais dans lesquelles le constituant nominal enquestion apparaît comme argument du verbe en fonction de noyau prédicatif (ou dans lesquellesau possessif correspond un indice pronominal rattaché au verbe en fonction de noyau prédicatif 

 – ex. (21).

(21) anglais / français

a. My legs are broken / J'ai les jambes cassées

b. My back is sweating a lot / Je transpire beaucoup du dos

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a. They washed his head / Ils lui ont lavé la tête

On trouve aussi des couples de constructions de sens dénotatif identique tels que dans l'unedes deux constructions, un référent apparaît seulement comme argument du verbe en fonction de

noyau prédicatif, alors que dans l'autre construction, il apparaît en plus comme génitif oupossessif – ex.(22) &(23).

(22)  français / espagnol

a. On m'a volé mon portefeuille / Me han robado la cartera  litt. ‘On m'a volé le portefeuille’

b. J'ai ma voiture en panne / Se me ha descompuesto el coche  litt. ‘La voiture m'est tombée en panne’

(23) anglais / français

I closed my eyes / J'ai fermé les yeux

Dans de tels cas, sans qu'on puisse toujours donner des règles strictes qui excluent l'une desdeux possibilités, il apparaît toutefois nettement que certaines langues tendent à préférer lesconstructions où apparaissent les génitifs ou les possessifs, alors que d'autres tendent à éviterl'emploi de génitifs ou possessifs. L'anglais est ainsi un cas typique de langue qui tend à utilisersystématiquement génitifs et possessifs, alors que les langues romanes tendent au contraire à leséviter. Dans les langues romanes, la tendance à éviter l'usage de génitifs ou possessifs est par

exemple plus forte en occitan, en espagnol ou en italien qu'en français, et c'est en roumain quecette tendance atteint son degré extrême – ex. (24).

L'important est donc d'observer que les variations d'une langue à l'autre n'ont rien d'aléatoire.Elles renvoient de manière évidente au même type de distinctions sémantiques que laconstruction du syntagme génitival dans les langues qui ont dans la construction du syntagmegénitival une distinction du type "aliénable / inaliénable": la tendance à éviter l'emploi de génitifsou possessifs est d'autant plus forte qu'on se réfère à une relation intime. En particulier, latendance à éviter l'emploi de génitifs ou possessifs est maximale dans le cas de la relation entreune personne et une partie de son corps.

4.2. "Montée du possesseur" dans la littérature

Les termes de "possession externe" (external possession) et de "montée du possesseur(possessor raising) se rencontrent couramment dans la littérature récente pour se référer à desconstructions incluant deux termes (constituants nominaux, pronoms ou indices pronominaux)avec les caractéristiques suivantes:

(a) sémantiquement, l'entité à laquelle se réfère l'un des deux termes peut être considéréecomme appartenant à la sphère personnelle de l'entité à laquelle se réfère l'autre terme;

(b) syntaxiquement, ces deux termes ne constituent pas un syntagme génitival, mais deuxtermes reliés de manière indépendante au noyau prédicatif de l'unité phrastique.

Le terme de "montée du possesseur" renvoie au traitement de ce phénomène en grammairetransformationnelle: dans la "structure profonde", le possesseur est considéré comme en

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position de génitif à l'intérieur du constituant nominal qui se réfère au possédé, et unetransformation le fait "monter" à une position d'argument du noyau prédicatif.

Les termes de "possession externe" et encore plus de "montée du possesseur" ont commeinconvénient de suggérer que la situation "normale" (qui est comme par hasard celle de l'anglais)

est la situation dans laquelle une entité qui peut être considérée comme possesseur d'une autreentité apparaît dans la phrase comme génitif (ou possessif), quel que puisse être son rôle dansl'événement ou situation auquel se réfère la phrase et quelles que puissent être ses relations avecles participants autres que le possédé. En adoptant une telle position, on oublie qu'une phrasen'est pas le reflet direct de la situation qu'elle décrit, mais plutôt le reflet d'une desconceptualisations possibles de cette situation. Chaque situation est susceptible de plusieurstypes de conceptualisation, et si les locuteurs d'une langue donnée tendent généralement àpréférer un type plutôt que les autres, il n'y a aucune justification à adopter une position quiimplique en fait de considérer que les conceptualisations qui se reflètent dans les constructionssyntaxiques de l'anglais soient plus "naturelles" que celles qui se reflètent dans les constructionssyntaxiques d'une langue romane ou d'une quelconque langue africaine ou amérindienne.

Dans le cas qui nous intéresse ici, l'important est que dans la réalité, il n'y a en fait aucunedistinction tranchée entre entités qui participent à l'événement que dénote un verbe et entités quine participent pas mais sont dans des relations de type possessif avec les participants. Bien aucontraire, de l'appartenance d'une entité A à la sphère personnelle d'un individu B découletoujours la possibilité de considérer B comme plus ou moins concerné par les événements où Aest directement impliqué. Dans de tels cas, il n'est pas correct de décider a priori de considérercomme plus "naturelle" la solution de traiter B comme génitif (laissant ainsi implicite son rôle debénéficiaire ou détrimentaire dans l'événement que dénote le verbe) ou la solution de traiter Bcomme argument du verbe (laissant ainsi implicite son statut de possesseur relativement à un

autre participant).Sémantiquement, il est important de souligner que, bien que les paires de phrases considérées

ici puissent être considérées comme dénotativement équivalentes (elles peuvent servir à décrireles mêmes situations, ou si on préfère, elles ont les mêmes conditions de vérité), ce serait uneerreur de les considérer comme totalement équivalentes. Et on peut dire que lorsque la norme dela langue exclut l'une des deux possibilités, elle perd la possibilité d'exprimer de manière simpledes nuances sémantiques qu'il est facile de mettre en évidence en observant des cas où les deuxconstructions sont possibles.

Par exemple, les phrases espagnoles (24a) & (24b) ont le même sens dénotatif "Ses yeux se

remplirent de larmes", mais les conceptualisations différentes qu'elles reflètent suggèrent desdistinctions sémantiques qui peuvent avoir leur importance dans le processus de communication.La phrase (24b) souligne la participation de la personne à laquelle se réfère l'indice de datif detroisième personne, et suggère ainsi une relation entre les larmes et un sentiment ou unesensation qu'éprouve la personne dont les yeux s'emplissent de larmes. Par contre, (24a) suggèrel'absence de participation directe de la personne représentée par le possessif. Normalement, unepersonne qui pleure le fait sous l'effet d'un sentiment ou d'une sensation, ce qui fait que la phrase(24a) est assez peu usuelle, mais elle devient parfaitement normale si par exemple on parle d'unepersonne sous anesthésie, qu'on est en train d'opérer des yeux, et dont les yeux s'emplissent delarmes de façon totalement mécanique sous l'effet de l'intervention qu'elle subit.

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(24) espagnol

a. Sus ojos se llenaron de lágrimaslitt. ‘Ses yeux se remplirent de larmes’

b. Los ojos se le llenaron de lágrimaslitt. ‘Les yeux se lui remplirent de larmes’

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4

Le modèle fonctionnel-typologique:une première vue de son application à l'analyse des

 phrases simples (déclaratives affirmatives)

(Grinevald)

1. Schémas actanciels (d'après LAZARD L'Actance. chap. IV Les classes de verbes.)

Formule purement formelle de "constructions" qui tient compte des actants obligatoires:

•  majeurs V + 1 schéma mono-actanciel

V + 2 ¨ ¨ bi-actanciel

--------

•  mineurs V + Ø schéma sans actant

V + 3 schéma tri-actanciel

1.1. Classes majeures de verbes:

•  V + 1 : Uniactanciel, INTRANSITIF (1 = "sujet")

-classe peu homogène.-cas des systèmes "actifs" (dual)-verbes dits "inaccusatifs" (avoir dormi/être mort

avoir travaillé/être arrivé)

•  V + 2 : Bi-actanciel TRANSITIF  (1 = "sujet", 2 = "objet")

-la majorité des verbes du français-prototype: verbe d'action avec agent et patient-variation sémantique des sujets

(1) exemple de transitif non prototypique; verbe VOIR: 1 = expérienceur / "sujet "

2 = patient(thème) / "objet"

un chien voit un évêquea. NOM ACCb. par/à chien (à) l'évêquec. de chien à évêqued. à chien de évêque

-sous-classe de verbes à objet direct optionnel-verbes à objet "interne" (chanter une chanson) "cognate objects"

1.2. Classes mineures de verbes

•  V + Ø/1 vide Uni-actanciel IMPERSONNEL(1 ='sujet')

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(2) Espagnol v+Ø Français v+1

a. llueve, nieve il pleut, il neigeb. hace calor/frío il fait chaud/froidc. va/anda mal ça va mal

•  Verbes "affectifs" V+2 Bi-actancielmais sujet pas marqué morphologiquement comme un sujet

(3) Espagnol 

a. me gusta el chocolate1/ACC aime le chocolat'J'aime le chocolat'

b. no le gustan las manzanasNEG 3/ACC aime:PL les pommes'il n'aime pas les pommes'

(4) Hindi  

hameN angrezi: a:ti: hai1PL:DAT anglais venant:sg:F AUX:3sg'nous connaissons l'anglais'

(5) Bengali  

aamaa-r tomaa-ke bhaalo laag-e1sg-GEN 2sg-ACC bon affecter-3sg' je t'aime bien'(lit= à moi te concernant il (impers) fait bonne impression)

(6) Persanaz in film xoS-am âmadPrép ce film agréable-moi venir:PAS:3sg'j'ai aimé ce film'

•  Verbestri-actanciels: "DITRANSITIFS" (1 = sujet, 2/3 = objet/objet indirect

ou objet1/objet2)

 (7) Anglais/Français : 2 = patient/objet, 3 = destinataire/objet indirect

I gave the book to Mary j'ai donné le livre à Marie

(8) Français/Anglais : 2 = destinataire/objet, 3 = patient/oblique

pourvoir quelqu'un de quelque choseprovide somebody with something

(9) Tarahumara : 2 et 3 = objets1 & 2

a. siríame muni go'árechef haricot manger'le chef mangea des haricots'

b. siríame muni áre muki

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chef haricot donner femme'le chef donna des haricots à la femme'

2. Les rôles sémantiques des arguments.

•  Rôles prototypiques des arguments principaux:

agent instigateur d'une actionexpérient entité qui se trouve dans un certain état psychologiquepatient entité qui subit une actionbénéficiaire entité qui tire profit d'une actioninstrument ce qui rend possible une actionlocatif lieu où se déroule un événement, lieu où est située une entitébut ce vers quoi quelque chose ou quelqu'un se déplace ou est

transférésource ce à partir de quoi quelque chose ou quelqu'un se déplace ou est

transféré3. Rôles/fonctions syntaxiques

•  Les fonctions syntaxiques

-sujet S-objet O (aussi OD, COD)-objet indirect OI (aussi COI)-oblique Obl,

•  La notion de sujet

1.  de son universalité

2.  de sa place proéminente dans une hiérarchie des fonctionsS > O > IO > obl

3.  des tests syntaxiques pour l'identifier (voir Creissels pp 222-230)cf "behavioral properties of subjects"

(10) réflexivisation

  a. Pierre parle de Marie  b. Pierre parle de lui-même  c. *lui-même parle de Pierre  d. Pierre parle d'elle  e. *Pierre parle d'elle-même

(11) anaphore  a. Pierre a aidé Paul  b. Pierre a aidé son frère (son = de Pierre)  c. *son frère a aidé Pierre (son = de Pierre)

(12) impératif 

  a. achète cette voiture!  b. wash yourself! b' lave-toi!  c. *wash you c' *te lave!

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  d. wash it! d' lave-le!  e *wash itself! e' *le lave!

(13) "gapping" : réduction  a. l'homme achète un fruit, il le lave, et il le mange  b. l'homme achète un fruit, Ø le lave, et Ø le mange

  c. *l'homme achète un fruit, il Ø lave, et il Ø mange

(14) "EQUI-NP deletion" : Infinitif   a. je veux que tu restes  b. je veux rester  c. *je veux que je reste  d. je veux que tu m'aides  e. *je veux que tu Ø aides (Ø = moi)

(15) "clitic climbing" : déplacement des pronoms clitiques  a. j'ai vu les bûcherons abattre l'arbre  b. j'ai les ai vus X abattre l'arbre

  c. j'ai vu les bûcherons l'abattre  d. *je l'ai vu les bûcherons abattre X

•  La notion d'objet direct

1. notion d'universalité moins forte2. argument parmi les compléments qui est le plus fortement 'régi' par le verbe;

  possibilité de passif.

•  La notion d'objet indirect

1. pas universelle. Correspond à une fonction syntaxique à comportementmarqué, lié à un rôle sémantique de destinataire. Existe en anglais: voirdiscussion du "dative shift" dans les"voix applicatives".

2. confusion avec la terminologie traditionnelle qui prend objet indirect pourtout complément régi par une préposition.

•  La notion d'obliques

1. fonction syntaxique de compléments régis par des prépositions, pour lagrande majorité.

2. recouvre la notion traditionnelle de 'compléments circonstanciels', mais n'ycorrespond pas complètement.

(16) a. il a parlé de trois livresa' *il en a parlé de troisb il a parlé trois heuresb' *il en a parlé troisc il a pris trois livresc' il en a pris trois

4. L'encodage des fonctions syntaxiques

• 

Les stratégies d'encodage

  1. syntaxe: ordre des constituants, si la langue a un ordre 'rigide'.

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2. morphosyntaxe:--nominale = CAS, déclinaison--verbale = indexes référentiels sur le verbe, conjugaison

•  Encodage du sujet en français

(17) a. Pierre a fini le projet  b. *a fini Pierre le projet  c. *a fini le projet Pierre

(18) a. Pierre a aidé Jean  b. *Jean a aidé Pierre (Pierre = agent)

(19) a. il me voit  b. je le vois  c. *il je voit  d. *me le vois

(20) a. nous mangeons  b. *nous mange  c. les enfants partent  d. *les enfants part

5. Les rôles pragmatiques / les fonctions discursives

•  Point de vue de l'articulation communicative de l'énoncé.Notion de thème/propos ou "topic/comment".

•  Rôles discursifs pouvant affecter l'attribution de rôles syntaxiques:

TOP 1 > TOP 2 (voir Givón!)

6. L'alignement des rôles, l'attribution des fonctions syntaxiques

•  Hiérarchie des rôles

  1. hiérarchie sémantique: agent > patient > "circonstanciel"..............

vs

2. hiérarchie discursive: TOP 1 > TOP 2

vs

3. hiérarchie syntaxique: S > O > IO > obl

•  Alignement prototypique

TOP 1 / agent / S

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TOP 2 / patient / O

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5

Les voix (1) : PASSIF (moyen, réflexif)

Voir dans le polycopié de SYNTAXE DE LICENCE de Denis Creissels:

 Leçon 18: Passif 

***********************************************************

 Extraits de

"Grammaire méthodique du français"

 M. Riegel, J.C. Pellat, R. Rioul  PUF 1994

 Le passif pp433-441

(Voir supplément de lecture)

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6

Variations typologiques dans l'encodage morphologiquedes arguments principaux:

ERGATIVITE et autres systèmes

(Creissels, version éditée)

1. Définitions

Dans une première approximation, on peut définir la notion d'ergativité comme un type

particulier de marquage et/ou d'indexation du sujet et de l'objet, dans lequel le sujet d'uneconstruction transitive a des caractéristiques qui le distinguent du sujet d'une constructionintransitive, tandis que le sujet d'une construction intransitive a des caractéristiques semblables àcelles de l'objet.

L'inconvénient de cette définition est qu'elle suppose préalablement établie une notion de sujetqui précisément peut ne pas aller de soi dans les langues où se manifeste l'ergativité. C'estpourquoi on peut préférer une définition qui se réfère aux rôles sémantiques d'agent et depatient, qui est équivalente à celle qui vient d'être évoquée pour les langues où la notion de sujetn'est pas problématique, mais qui a l'avantage de pouvoir être appliquée à la totalité des languesindépendamment des difficultés qu'il peut y avoir à établir une notion de sujet.

La justification de cette approche est que la distinction agent / patient est universellement

pertinente pour expliquer l'organisation de la construction des verbes à deux arguments: danstoutes les langues, les verbes dont le sémantisme implique un agent et un patient constituent uneclasse nombreuse et syntaxiquement homogène; les autres types de verbes à deux arguments(par exemple les verbes dont le sémantisme appelle un stimulus et un expérient) ne présententpas les mêmes caractéristiques, et les variations observées dans leur construction peuvents'expliquer par référence à un prototype constitué par les verbes qui assignent à leurs argumentsles rôles d'agent et de patient.

Dans cette perspective, la notion d'ergativité se définit en termes d'affinités ou de différencesque peuvent présenter, dans leurs caractéristiques morphosyntaxiques, des constituants de l'unitéphrastique qui représentent respectivement l'argument agent de verbes dont le sémantismeimplique la participation d'un agent et d'un patient (A), l'argument patient de verbes dont lesémantisme implique la participation d'un agent et d'un patient (P) et l'argument unique de verbestypiquement intransitifs comme tomber, courir, pleurer, dormir, etc. (U).

Dans les systèmes de type accusatif  (ainsi nommés parce que c'est dans ce type de systèmequ'on trouve typiquement des affixes casuels qui marquent l'objet, comme la désinenced'accusatif du latin), A et U ont des caractéristiques similaires en ce qui concerne le marquagedes constituants nominaux et l'indexation des constituants nominaux dans le verbe, tandis que Pprésente des caractéristiques différentes.

Dans les systèmes de type ergatif , P et U ont des caractéristiques similaires en ce quiconcerne le marquage des constituants nominaux et l'indexation des constituants nominaux dansle verbe, tandis que A présente des caractéristiques différentes.

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Selon Dixon, environ un quart des langues du monde ont des constructions de type ergatif oupartiellement ergatif, mais dans pratiquement toutes les langues qui ont des constructions de typeergatif, il existe aussi des constructions au moins partiellement accusatives. Autrement dit, lesconstructions ergatives, sans être rares, peuvent toutefois être caractérisées commetypologiquement marquées.

Il est intéressant d'observer que les constructions de type ergatif ne se rencontrent pas dansles langues qui ont SVO comme ordre de base des constituants de l'unité phrastique (c'est-à-diredans les langues où la position du verbe entre le sujet et l'objet diminue les possibilitésd'ambiguïté entre la position de sujet et la position d'objet).

2. L'ergativité dans les systèmes de marques casuelles

Dans les systèmes de type accusatif, comme par exemple en latin, A et U sont typiquement àla forme absolue (traditionnellement appelée "nominatif"), et P peut être à une forme spéciale(traditionnellement appelée "accusatif"). Dans les langues où l'ergativité se manifeste au niveaudes marques casuelles des noms, U et P sont à la forme absolue, tandis que A présente une

forme distincte (cas "ergatif") – ex. (1).

(1) basque

a. Patxi-Ø joan da U VPatxi-ABSpartir AUX.S3S

‘Patxi est parti’

b. Koldo-Ø joan da U VKoldo-ABS partir AUX.S3S

‘Koldo est parti’

c. Patxi-k Koldo-Ø ezagutu du A P VPatxi-ERGKoldo-ABS reconnaître AUX.S3S.O3S

‘Patxi a reconnu Koldo’

d. Koldo-k Patxi-Ø ezagutu du A P VKoldo-ERG Patxi-ABSreconnaître AUX.S3S.O3S

‘Koldo a reconnu Patxi’

(2) tonguien

a. Na'e lea [ 'a Tolu]U

TAM  parler ABS Tolu

‘Tolu a parlé’

b. Na'e lea ['a e talavou]U

TAM  parler ABS le garçon

‘Le garçon a parlé’

c. Na'e taamate'i ['a e talavou]P ['e Tolu]A

TAM tuer ABS le garçon ERG Tolu

‘Tolu a tué le garçon’

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d. Na'e taamate'i ['a Tolu]P ['e he talavou]ATAM tuer ABS Tolu ERG le garçon

‘Le garçon a tué Tolu’

Typologiquement, les manifestations de l'ergativité au niveau du marquage des constituants

nominaux sont plus courantes qu'au niveau de l'indexation.

3. L'ergativité dans les systèmes d'indexation

Dans les systèmes d'indexation de type accusatif U et A sont représentés par les mêmesindices, tandis que P ne donne pas lieu à indexation (comme en latin), ou bien est indexé dans leverbe de manière spéciale (comme en hongrois). Dans les systèmes d'indexation de type ergatif,U et P sont représentés par des indices identiques, différents de ceux qui peuvent représenter A .

Par exemple, le popti' – ex. (3) – a deux jeux d'indices pronominaux incorporés au verbe: le jeu traditionnellement appelé "B" s'utilise pour représenter U et P, et le jeu "A" (avec deuxvariantes conditionnées phonologiquement) pour représenter A (la fonction d'agent de transitif).

(3)  popti' (jakaltek-maya)

B(absolutif) A(ergatif)/ – C / – V

1s -hin- -hin- -w-2s -ach- -ha- -haw-1p -honh- -ku- -j-2p -hex- -he- -hay-

3s/p -Ø- -s- -y-(Le verbe en position finale prend le suffixe -i s'il est intransitif, -a/o s'il est transitif)

a. x- Ø-s- maq' najix "VSO" ou V A PTAM-B3-A3-frapper lui elle

‘Il l'a frappée’

b. x- Ø-s- maq' ix najTAM-B3-A3-frapper elle lui

‘Elle l'a frappé’

c. Ch-in-ha-kolo ("pro-drop language" = pas de pronomsTAM-B2- A2-aider  personnels indépendants non marqués)‘Tu m'aides’

d. Ch-ach-hin-maq'-a [ASP+Absolutif(P)+Ergatif(A)+VERBE(+voyelle TR]TAM-B2 - A1-frapper-TR ("objet")

‘Je te frappe’

e. Ch-ach-way-i [ASP+Absolutif(U)+VERBE(+voyelle INTR]TAM-B2-dormir-Intr ("sujet")

‘Tu dors’

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f. Ch-onh-munlayiTAM-B1P-travailler

‘Nous travaillons’

g. Ch-onh-ha-maq'a

TAM-B1P-A2 frapper‘Tu nous frappes’

h. Ch-ach-ku- maq'aTAM-B2-A1PL-frapper

‘Nous te frappons’

4. Ergatif et passif 

Les constructions ergatives présentent des caractéristiques qui à première vue peuventsuggérer de les identifier comme passives. Par exemple, en basque, l'agent est

morphologiquement marqué et le patient non marqué, exactement comme dans les constructionspassives des autres langues d'Europe. Mais la notion de passif implique la concurrence entredeux constructions de sens dénotatif identique: la construction traditionnellement appelé "active"(non marquée du point de vue discursif, et dans laquelle l'agent et le patient sont tous deux destermes syntaxiquement nucléaires de l'unité phrastique) et la construction passive(discursivement marquée, et dans laquelle l'agent apparaît comme oblique, c'est-à-dire commeterme syntaxiquement marginal), et cette définition du passif ne s'applique pas aux constructionsanalysées dans cette leçon, car dans les langues où on les rencontre:

 – ou bien ces constructions constituent la seule façon possible de construire un verbebiargumental avec un constituant nominal qui représente l'agent et un constituant nominal qui

représente le patient, et dans ce cas la notion de passif (qui implique une possibilité de choixentre deux constructions différentes) n'a aucun sens; – ou bien ces constructions doivent être reconnues comme "actives" dans la mesure où elles

sont en concurrence avec des constructions plus marquées discursivement qui confèrent à l'agentun statut syntaxique beaucoup plus clairement marginal (et qu'on peut donc identifier commepassives).

Par exemple, en basque, la construction du verbe transitif présentée dans l'exemple (1) est enconcurrence avec une autre construction dans laquelle l'agent s'il est présent est à la même forme,mais dans laquelle le verbe s'accorde seulement avec le patient – ex. (4). Ainsi, en basque,l'accord entre le verbe et ses arguments permet de voir qu'un nom au cas morphologique ergatif peut figurer également dans une construction active de type ergatif, dans laquelle il a clairement

le statut de terme syntaxique nucléaire– ex. (4a), et dans une construction passive, dans laquellele patient est tout aussi clairement l'unique terme nominal syntaxiquement nucléaire – ex. (4b).

(4) basque

a. Koldo-k egin du etxeaKoldo-ERG faire AUX.S3S.O3S maison

‘Koldo a construit la maison’

b. Koldo-k egina da etxeaKoldo-ERG faire AUX.S3S maison

‘La maison a été construite par Koldo’

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Les affinités entre passif et ergatif peuvent s'expliquer par une relation, mais il s'agit biensynchroniquement de deux notions distinctes, même s'il est parfois tentant de les confondre.

5. Ergativité "scindée"(split ergativity): coexistence de constructions accusatives et de

constructions ergatives (ou partiellement ergatives) dans une même langue

On observe dans beaucoup de langues à la fois des phrases de construction ergative (oupartiellement ergative) et des phrases de construction accusative. Deux types de conditionnementse rencontrent de manière fréquente:

 – le choix entre une construction de type ergatif et une construction de type accusatif peuttenir à la nature des constituants nominaux impliqués dans la construction; par exemple, endyirbal, les pronoms allocutifs (1ère et 2ème personne) ont des marques casuelles de typeaccusatif, alors que tous les autres noms ont des marques casuelles de type ergatif – ex.(5);

(5) dyirbal

a. yabu ‘mère (U/P)’ / yabu-ngu ‘mère (A/ergatif)’

b. nyurra ‘vous (U/A)’ / nyurra-na ‘vous (P/absolutif)’

 – le choix entre une construction de type ergatif et une construction de type accusatif peuttenir à des distinctions aspecto-temporelles marquées dans la flexion verbale; dans de tels cas, laconfiguration typique est que la construction ergative apparaît avec des formes verbales d'aspectaccompli, et la construction accusative avec des formes verbales d'aspect inaccompli.

Par exemple, en kurde (kurmandji), le nom a deux formes, absolue et "oblique", et le verbe

inclut un indice pronominal unique. L'unique argument des verbes typiquementmonoargumentaux est invariablement à la forme absolue, et le verbe s'accorde avec lui. Parcontre, les arguments de verbes typiquement biargumentaux changent de forme selon que leverbe est au présent ou au passé, et l'accord du verbe se fait avec l'agent au présent, mais avec lepatient au passé – ex. (6).

(6) kurde (kurmandji)

a. Ez Sînem-ê ibîn-immoi Sinem-OBL voir.PRES-1S

‘Je vois Sinem’

b. TuSînem-ê dibîn-î toi Sinem-OBL voir.PRES-2S

‘Tu vois Sinem’

c. Sînem min dibîn-eSinem moi.OBL voir.PRES-3S

‘Sinem me voit’

d. Sînem te dibîn-eSinem toi.OBL voir.PRES-3S

‘Sinem te voit’

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e. Min Sînem dît-Ømoi.OBL Sinem voir.PAS-3S

‘J'ai vu Sinem’

f. Te Sînem dît-Ø

toi.OBL Sinem voir.PAS-3S‘Tu as vu Sinem’

g. Sînem-ê ez dît-imSinem- OBL moi voir.PAS-1S

‘Sinem m'a vu’

h. Sînem-ê tu dît-î  Sinem- OBL toi voir.PAS-2S

‘Sinem t'a vu’

6. L'origine des constructions ergatives

A la différence de ce qui a été parfois avancé, l'ergativité n'est pas une caractéristique"primitive" des langues qui ont ce type de construction, comme le montre en particulier ledéveloppement récent de constructions ergatives dans les langues indo-européennes du groupeindo-iranien. Mais l'histoire des langues indo-iraniennes montre aussi que les constructionsergatives peuvent disparaître assez rapidement peu de temps après être apparues.

L'origine la plus probable des constructions ergatives est la réanalyse de constructionspassives.

Synchroniquement, comme nous l'avons vu à la section 4, les constructions ergatives ne sont

pas des constructions passives, car la notion de construction passive implique unecorrespondance avec une construction "active" moins marquée discursivement, tandis que lesconstructions ergatives, là où elles existent, constituent l'unique manière ou la manière la moinsmarquée de construire les phrases dont le noyau prédicatif est un verbe transitif actif. Maisdiachroniquement, l'hypothèse d'une relation entre constructions passives et constructionsergatives paraît raisonnable, et les langues indo-iraniennes fournissent des exempleshistoriquement attestés d'une telle évolution.

Dans l'histoire d'une langue, une construction passive à complément d'agent (c'est-à-dire danslaquelle l'argument agent figure avec le statut syntaxique d'oblique) peut tendre à devenir de plusen plus fréquente, et par conséquent à perdre la valeur discursive marquée qui caractérise enprincipe les constructions passives. Finalement, la construction active correspondante peut

totalement disparaître, de sorte que l'unique construction possible d'une phrase dont le noyauprédicatif est un verbe transitif est une construction qui ne peut plus être qualifiée de passive(dans la mesure où il n'y a plus de construction "active" correspondante), mais qui provienthistoriquement d'une construction passive, et dans laquelle les constituants nominaux quireprésentent l'agent et le patient maintiennent des caractéristiques morphosyntaxiquessemblables à celles qu'on observe typiquement dans les constructions passives des langues quiont une morphosyntaxe de type accusatif.

7. L'ergativité, phénomène morphosyntaxique superficiel ou indice de différencesprofondes dans l'organisation syntaxique des langues?

La possibilité d'utiliser la même notion de sujet dans les langues qui ont une constructionaccusative de la phrase transitive et dans les langues qui ont des constructions de type ergatif est

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une question controversée. Mais, au moins pour la majorité des langues qui ont desconstructions ergatives, il n'y a pas vraiment de difficulté à appliquer la notion de sujet tellequ'elle a été définie dans le cours de licence pour reconnaître une notion de sujet syntaxique quienglobe l'unique argument des verbes typiquement monoargumentaux et l'argument agent desverbes biargumentaux dont le signifié implique un agent et un patient.

En effet, dans la majorité des langues qui ont des constructions ergatives, en dépit de leurscaractéristiques morphologiques différentes, l'unique argument des verbes typiquementmonoargumentaux et l'argument agent des verbes biargumentaux dont le signifié implique unagent et un patient présentent des fonctionnements identiques dans des mécanismes comme laréflexivisation, l'impératif, la réduction de séquences d'unités phrastiques, etc. ce qui justified'utiliser pour la description de ces langues la même notion de sujet que pour la description deslangues qui ont des constructions accusatives, et de considérer que l'ergativité est seulement unefaçon particulière de marquer les fonctions syntaxiques. Dans ce sens, les constructionsergatives peuvent se caractériser comme des constructions dans lesquelles, sans que soit pourautant remise en question l'unité de la notion syntaxique de sujet, le marquage du sujet etl'indexation du sujet dépendent du trait ±transitif, et dans lesquelles les caractéristiques

morphologiques du sujet des verbes intransitifs coïncident avec celles de l'objet des verbestransitifs. On peut parler là d'ergativité "morphologique", ou "superficielle".

Toutefois, dans certaines langues qui ont des constructions ergatives, les mécanismes dont lefonctionnement permet généralement de reconnaître une fonction syntaxique "sujet" révèlentparfois plus d'affinités entre U et P qu'entre U et A. On parle alors d'ergativité "syntaxique", ou"profonde". Mais ce n'est pas un phénomène fréquent, et une explication possible est que, dansles langues qui présentent des caractéristiques d'ergativité "profonde" (et pour lesquellesl'application de la notion de sujet peut s'avérer problématique), le processus de réanalyse deconstructions passives doit être relativement récent, de sorte que la réinterprétation ducomplément d'agent d'une construction passive comme sujet d'une construction "active" de type

ergatif n'est pas tout à fait achevée.

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8. Systèmes de marquage casuel atypiques

Dans l'immense majorité des langues du monde on trouve: – soit un marquage casuel neutre du point de vue de la distinction accusatif / ergatif, dans

lequel U, A et P sont également à la forme absolue et ne sont accompagnés d'aucune adposition;

 – soit un marquage de type accusatif dans lequel U et A sont à la forme absolue et P à uneforme spéciale différente de la forme absolue; – soit un marquage de type ergatif dans lequel U et P sont à la forme absolue et A à une

forme spéciale différente de la forme absolue.Il existe toutefois quelques langues qui ont l'un des types de marquage suivant:

 – U et A à une forme spéciale (la même pour U et pour A) différente de la forme absolue, P àla forme absolue (mojave, oromo, somali, maasai);

 – U et A à une forme spéciale (la même pour U et pour A) différente de la forme absolue, P àune autre forme elle aussi différente de la forme absolue (japonais, coréen).

Ces deux types ont en commun avec le marquage de type ergatif le plus courant le fait que Aest morphologiquement à une forme qui n'est pas la forme absolue du nom, mais ils s'en

distinguent par le fait que U est à la même forme que A, et P à une forme spéciale. De ce fait ondoit considérer qu'il s'agit plutôt de variantes du type accusatif, et d'ailleurs il est beaucoup plussimple de les caractériser en se référant aux notions de sujet ou d'objet:

 – dans la variante la plus courante du marquage casuel de type accusatif, le sujet est nonmarqué et l'objet est marqué;

 – dans des langues comme le somali ou l'oromo, le sujet est marqué et l'objet est non marqué; – dans des langues comme le japonais ou le coréen, le sujet et l'objet sont également marqués.

9. Systèmes d'indexation difficiles ou impossibles à caractériser selon l'oppositionaccusatif / ergatif : Systèmes d'indexation de type "agentif"

La distinction entre morphosyntaxe de type accusatif et morphosyntaxe de type ergatif n'a desens que dans une langue où l'ensemble des verbes monoargumentaux présente un degré élevéd'homogénéité dans la façon dont est traité leur unique argument. Toutefois, il apparaît quesémantiquement, les rôles que les verbes monoargumentaux peuvent assigner à leur uniqueargument sont très variés, sans que se dégage un prototype comparable à celui que constituentpour les verbes biargumentaux les verbes qui signifient une action effectuée par un agent sur unpatient.

Dans la plupart des langues, sans atteindre forcément une homogénéité totale, le traitement del'unique argument des verbes monoargumentaux s'organise néanmoins de façon à permettre dedégager un type de traitement qui présente une très forte prédominance statistique. Mais dans

certaines langues, le marquage et l'indexation de l'unique argument des verbesmonoargumentaux présente d'un verbe à l'autre des variations telles qu'il n'est pas possible decaractériser simplement l'une des possibilités comme le traitement "normal" de l'uniqueargument des verbes monoargumentaux et de considérer les autres comme plus ou moinsexceptionnelles.

C'est notamment le cas dans les langues à indexation de type "agentif" (on parle parfois ausside "langues actives" ou de "langues duales"). La particularité de ces langues est d'avoir avec lesverbes transitifs deux jeux d'indices distincts pour A et P, tandis que l'indexation de l'uniqueargument des verbes monoargumentaux est sensible au caractère ±agentif de l'unique actant:

 – si U a le trait +agentif, il est indexé de la même façon que A; – si U a le trait -agentif, il présente les mêmes caractéristiques morphosyntaxiques que P.L'ex. (9) illustre un système d'indexation de type agentif en lakhota.

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(7) lakhota

a. ma-yá-ktéP1S-A2S-tuer

‘Tu m'as tué’

b. Ø-wa-ktéP3S-A1S-tuer

‘Je l'ai tué’

c. ni-Ø-ktéP2S-A3S-tuer

‘Il t'a tué’

d. wa-hí  A1S-arriver

‘Je suis arrivé’

e. ma-khúzeP1S-être+malade

‘Je suis malade’

f. ya-?úA2S-venir

‘Tu viens’

g. ni-háskeP2S-être+grand

‘Tu es grand’

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Les voix (2) : L'ANTIPASSIF

(adapté de Creissels)

1. Les principaux types de voix qui impliquent typiquement une réduction de lavalence du verbe

Les voix qui réduisent typiquement la valence du verbe sont particulièrement faciles àreconnaître dans les langues où les verbes en construction transitive incluent nécessairement unindice de sujet et un indice d'objet, comme par exemple en k'ichee' – ex. (1).

(1) k'ichee'

a. X-e-ki-kunaaj ri alab'oomri chuchu'iib'TAM-O3P-S3P-soigner DEF enfants DEF femmes

‘Les femmes ont soigné les enfants’

b. Aree ri alab'oomx-e-kunax k-umaal ri chuchu'iib'FOC DEF enfants TAM-S3P-soigner.PSF 3P-par DEF femmes

‘Ce sont les enfants qui ont été soignés par les femmes’

c. Aree ri chuchu'iib' x-e-kunan k-eech ri alab'oomFOC DEF femmes TAM-S3P-soigner.APSF 3P-pour DEF enfants

‘Ce sont les femmes qui ont donné des soins aux enfants’

Les formes passives – ex. (1b) – et antipassives – ex. (1c) – ont en commun d'assigner àl'unique terme nominal nucléaire qui subsiste dans leur construction (c'est-à-dire à leur sujet) unrôle sémantique exactement identique à celui que reçoit l'un des deux termes nucléaires de laconstruction du verbe transitif (objet dans le cas du passif, sujet dans le cas de l'antipassif).

1.2. Les principaux types de voix qui impliquent typiquement un élargissement de lavalence du verbe

On peut distinguer fondamentalement deux types de voix qui élargissent la valence du verbe,selon qu'il y a ou non un changement dans le rôle sémantique du sujet: – les voix causatives introduisent un argument supplémentaire qui reçoit le rôle sémantique

de causateur et qui prend le rôle syntaxique de sujet, tandis que l'argument qui se construitcomme sujet de la forme non dérivée se maintient dans la construction, mais avec une fonctionsyntaxique autre que celle de sujet – ex. (6b);

 – les voix applicatives diffèrent des voix causatives en ce qu'elles n'impliquent aucunemodification dans le rôle sémantique du sujet; elles introduisent un argument supplémentaire quigénéralement se construit comme objet – ex. (6c); l'argument supplémentaire dont la voixapplicative indique la promotion représente souvent (comme dans cet exemple) un bénéficiaire,mais ce n'est pas la seule possibilité: de manière générale, l'argument supplémentaire dont la voix

applicative marque la promotion peut recevoir des rôles sémantiques variés.

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(6) tswana

a. Lorato o apeile dijo1Lorato SCL1 avoir+cuisiné 8repas

‘Lorato a préparé le repas’

b. Mpho o apeisitse Lorato dijo1Mpho SCL1 avoir+cuisiné.CAUS 1Lorato 8repas

‘Mpho a fait préparer le repas par Lorato’

c. Lorato o apeetse Kitso dijo1Lorato SCL1 avoir+cuisiné.APPL 1Kitso8repas

‘Lorato a préparé le repas pour Kitso’

Parmi les principaux types de voix, passif, moyen et causatif ont fait l'objet d'une présentationdans le cours de licence; ce chapitre sera donc essentiellement consacrée à une présentation de la

voix antipassive et le chapitre suivant à celle de la voix applicative.

2. L'antipassif 

La notion d'antipassif s'applique à un changement de forme du verbe lié au passage d'uneconstruction transitive à une construction intransitive dans laquelle le verbe à la forme antipassivecontinue d'assigner à son sujet le même rôle que lorsqu'il est dépourvu de la morphologieantipassive, l'objet étant quant à lui d'une manière ou d'une autre "destitué": soit l'argumentreprésenté par l'objet dans la construction de base du verbe est totalement absent – ex. (7b), soitil est "récupéré" sous forme d'oblique – ex. (7c), soit il est nécessairement pris en valeur

générique et forme ainsi une sorte de composé avec le verbe – ex. (7d). Dans ce dernier cas, onparle parfois d'"antipassif d'incorporation". On notera à propos de cet exemple que le k'ichee' n'apas une seule forme d'antipassif mais deux différentes selon la fonction précise de l'antipassif.

(7) k'ichee'

a. X-Ø-ki-loq' ixiim ri ixoqiib'TAM-O3S-S3P-acheter maïs DÉF femmes

‘Les femmes ont acheté du maïs’

b. X-e-loq'-on ri ixoqiib'

TAM-S3P-acheter-APSF DEF femmes‘Les femmes ont fait des achats’

c. Aree ri ixoqiib' x-e-loq'-ow r-eech ri ixiimFOC DEF femmes TAM-S3P-acheter-APSF 3S-pour DEF maïs

‘Ce sont les femmes qui ont acheté le maïs’

d. Ri x-e-loq'-ow ixiim max-e-pe taDÉF TAM-S3P-acheter-APSF maïs NÉG TAM-S3P-venir NÉG

‘Les acheteurs de maïs ne sont pas venus’

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L'ex. (8) illustre le même phénomène d'antipassif en samoan. Il faut remarquer que, dans cettelangues l'incorporation de l'objet s'accompagne de la disparition de la marque de sujet, du faitque cette marque est réservée aux sujets des constructions transitives.

(8) samoan

a. Nafa'atau e le tama Ø le pua'aTAM vendre SUJ DEF garçon OBJ DEF porc

ERG ABS‘Le garçon a vendu le porc’

b. Nafa'atau-pua'a Ø le tamaTAM vendre-porc ABS DEF garçon

‘Le garçon a vendu des porcs’

L'incorporation de l'objet peut s'expliquer comme le résultat d'une tendance très générale desconstituants nominaux non référentiels en fonction d'objet à avoir seulement une mobilité réduitepar rapport au verbe. Cette tendance est nette par exemple en hongrois ou en turc, langues oùl'objet non référentiel est nécessairement au contact immédiat du verbe (mais maintient descaractéristiques qui obligent à le considérer comme un mot distinct).

L'antipassif modifie de la façon suivante l'alignement prototypique des rôles:

forme verbale TRANSITIVE INTRANSITIVE

rôle discursif TOP1 TOP2 devient à l'antipassif TOP déchu| | |

rôle sémantique AGENT PATIENT AGENT PATIENT| | | |

rôle syntaxique SUJET OBJET SUJET OBLIQUE ou INCORPOREou Ø

marque morphologique ERG ABS ABS

Les fonctions typiques de l'antipassif sont:

 – dans les langues où les verbes transitifs ne peuvent pas s'employer intransitivement avec unsens d'indétermination de l'objet, permettre de ne pas expliciter l'objet d'un verbe transitif;

 – dans les langues où le sujet des constructions transitives n'est pas accessible à certainesopérations syntaxiques (questionnement, focalisation, relativisation, …), permettre de contournercette interdiction en convertissant le sujet d'un verbe transitif en sujet d'une constructionintransitive sans modifier son rôle sémantique; ceci s'observe notamment dans les langues maya

 – ex.(9).

(9) k'ichee'

a. x-Ø-u-loq' ixiim ri ixoqTAM-ABS3-ERG3-acheter maïs DÉF femme

‘La femme a acheté du maïs’

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b. La aree ri ixiim x-Ø-u-loq' ri ixoq?INTER  FOC DEF maïs TAM- ABS3-ERG3 -acheter DEF femme

‘Est-ce du maïs, ce que la femme a acheté?’

c. *La aree ri ixoq x-Ø-u-loq' ri ixiim?INTER   FOC   DEFfemme TAM- ABS3-ERG3 -acheter DEF maïs

d. La aree ri ixoq x-Ø-loq'-ow r-eech ri ixiim?INTER  FOC DEF femme TAM-ABS3-acheter-AP ERG3-pour DEF maïs

‘Est-ce la femme qui a acheté le maïs?’

e. Jas x-Ø-u-loq' ri ixoq?quoi? TAM-ABS3-ERG3 -acheter DÉF femme

‘Qu'est-ce que la femme a acheté?’

f. *Jachin x-Ø-u-loq' ri ixiim?  qui? TAM-ABS3-ERG3-acheter DÉF maïs

g. Jachin x-Ø-loq'-ow r-eech ri ixiim?qui? TAM-ABS3-acheter-ANTPSF ERG3-pour DÉF maïs

‘Qui a acheté le maïs?’

3. Antipassif: le symétrique du passif?

L'antipassif est le symétrique du passif au sens où, à partir d'une construction transitive, le

passif permet d'obtenir une construction intransitive dans laquelle le sujet est destitué, tandis quel'antipassif permet d'obtenir une construction intransitive dans laquelle c'est l'objet qui estdestitué – ex. (10).

(10) esquimau

a. Nannup inuit tuqup-paiours.ERG personnes.ABS tuer-S3S.O3P

‘L'ours a tué des gens’

b. Nanuq inunnik tuqut-si-vuq

ours.ABS personnes.INSTR tuer-APSF-S3Smême traduction en français que (a)

c. Angutip nanuq taku-vaahomme.ERG ours.ABS voir-S3S.O3S

‘L'homme a vu l'ours’

d. Nanuq angummit taku-niqar-puqours.ABS homme.ABL voir-PSF-S3S

‘L'ours a été vu par l'homme’

Toutefois, il y a de nombreuses différences entre passif et antipassif qui empêchent deconsidérer ces deux mécanismes comme réellement symétriques l'un de l'autre:

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 – alors que le passif canonique combine destitution du sujet et promotion de l'objet,l'antipassif ne peut comporter aucun mécanisme de promotion;

 – alors que le passif peut s'appliquer aussi aux constructions intransitives (avec notamment lepassif impersonnel des verbes intransitifs, très répandu dans les langues du monde), il ne sauraitêtre question d'étendre aux constructions intransitives la notion d'antipassif;

 – alors que le passif modifie radicalement l'alignement prototypique des rôles sémantiques etdes rôles discursifs, l'antipassif maintient la relation privilégiée entre agent et topique; – typologiquement, le passif semble beaucoup plus répandu que l'antipassif.

4. L'antipassif, une spécialité des langues à constructions ergatives?

Contrairement à ce qui est pourtant parfois affirmé, il est facile de se convaincre de ce que lepassif se rencontre couramment aussi bien dans des langues à constructions accusatives quedans les langues à constructions ergatives. Par contre, l'antipassif n'est signalé que dans desdescriptions de langues à constructions ergatives. Il est vrai que dans les langues qui ontseulement des constructions accusatives, il n'y a le plus souvent aucun mécanisme systématique

qui permette de transformer l'objet en oblique, et l'objet peut la plupart du temps être omis, soitpar simple effacement (11a), soit par le biais d'une nominalisation du verbe (11b).

(11)  français

a. Je mange la soupeJe mange

b. J'achète des chaussuresJe fais des achats

Toutefois, il est permis de se demander si l'antipassif est réellement une spécialité des languesà constructions ergatives, et si le problème n'est pas plutôt que l'antipassif est plus "visible" dansles langues à constructions ergatives que dans les langues qui n'ont pas de telles constructions.En effet, dans une langue à constructions ergatives, un mécanisme de destitution de l'objet desverbes transitifs se remarque immédiatement du fait de son incidence sur le sujet (qui dans unelangue à constructions ergatives reçoit un traitement différent dès lors que la constructiondevient intransitive), alors que dans une langue à constructions accusatives, la destitution del'objet des verbes transitifs n'a aucune incidence sur le reste de la construction.

Un examen attentif de la question montre qu'on rencontre parfois dans des langues qui ontdes constructions de type accusatif des formes dérivées des verbes transitifs qu'il n'y a aucune

raison de ne pas identifier comme antipassives, si on considère le marquage d'une opération surla valence verbale comme crucial dans la notion d'antipassif, car il s'agit de formes dérivées quielles ont pour fonction de permettre un emploi intransitif du verbe transitif sans changementdans le rôle attribué au sujet (par exemple en wolof: màtt-e "mordre (intr.)" < màtt  "mordre (tr)",ou en soninké túlú-ndì "tresser (intr.)" < túlú "tresser (tr.)"). Il n'est pas rare non plus de trouverdans les langues à constructions accusatives des formations morphologiques dont les emploisrelèvent pour la plupart de la notion de voix moyenne, mais qui ont parfois aussi comme emploipossible de permettre des modifications de la valence des verbes transitifs très semblables àcelles qu'expriment les voix antipassives, comme dans les ex. (12) et(13).

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(12) russe

a. Sobaka kusaet Ivanachien.ABS mordre.S3S Ivan.OBJ

‘Le chien mord Ivan’

b. Beregite-s' sobaki, ona kusaet-sjagarder.IMPER-MOY chien.GEN lui mordre.S3S-MOY

‘Méfiez-vous du chien, il mord’ (litt. il se mord)

(13) espagnol

a. Agarré la mesasaisir.TAM.S1S DÉF table

‘J'ai saisi la table’

b.  Me  agarré a/de  la mesaMOY saisir.TAM.S1S à/de DEF table

‘Je me suis accroché à la table’

c. Aproveché la confusiónmettre+à+profit.TAM.S1S DEF confusion

‘J'ai mis à profit la confusion’

d.  Me  aproveché de la confusiónMOY mettre+à+profit.TAM.S1S de DEF confusion

‘J'ai profité de la confusion’

Outre le fait que l'antipassif est plus facile à reconnaître dans une langue à constructionsergatives, il faut aussi tenir compte du fait que, la notion d'antipassif n'ayant été dégagée qu'à daterelativement récente, les descriptions des langues particulières continuent souvent à décrire sansutiliser le terme d'antipassif des phénomènes qu'on pourrait considérer comme relevant de cettenotion.

On peut citer par exemple les "préfixes d'objet indéterminé" du nahuatl -tï- (objet indéterminéhumain) et -tla- (objet indéterminé non humain), qui pourraient très bien être considérés commeun exemple de voix antipassive dans une langue à constructions accusatives – ex. (14), enparticulier de voix antipassive incorporative -ex. (15):

(14) nahuatl

a. Ni-c-_na in otomitlS1S-O3S-capturer DEF Otomi

‘Je capture l'Otomi’

b. Ni-c-_naS1S-O3S-capturer

‘Je le capture (l'homme en question)’

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c. Ni-tï-_naS1S-OBJIND-capturer

‘Je fais des prisonniers’

d. Ni-c-cua in nacatlS1S-O3S-manger DÉF viande

‘Je mange la viande’

e. Ni-c-cuaS1S-O3S-manger

‘Je la mange (la chose en question)’

f. Ni-tla-cuaS1S-OBJIND-manger

‘Je mange (quelque chose)’

L'ex. nahuatl (14) illustre un phénomène d'incorporation de l'objet conditionné par le trait"non référentiel": pour exprimer ce que d'autres langues expriment au moyen de la combinaisond'un verbe transitif avec un constituant nominal interprétable comme non référentiel en fonctiond'objet, le nahuatl a la possibilité d'utiliser une base verbale intransitive (c'est-à-dire, à laquelle sepréfixent seulement des indices de sujet) formée par la juxtaposition d'un lexème nominal et d'unlexème verbal. Le mécanisme de composition "N + V —> V" s'accompagne de la disparition dusuffixe absolu (dont l'allomorphe le plus commun est -tl) qui marque en nahuatl l'emploi du nomcomme mot autonome.

(14) nahuatl

a. Ni-c-cua in nacatlS1S-O3S-manger DÉF viande

‘Je mange la viande’

b. Ni-c-cua nacatlS1S-O3S-manger viande

‘Je mange de la viande’

c. Ni-naca-cuaS1S-viande-mange

‘Je mange de la viande’

Il est intéressant d'observer en nahuatl la différence sémantique entre constituant nominal nonréférentiel en fonction d'objet – comme en (14b) – et objet incorporé – comme en (14c): l'emploid'un constituant nominal non référentiel en fonction d'objet ne signifie rien de plus que larestriction de l'action que désigne le verbe à un certain type d'objet, alors que l'emploi d'un verbecomposé implique que l'action à laquelle se réfère le verbe composé corresponde à un typesocialement reconnu d'activité. Par exemple, (14b) ne signifie rien de plus que "je suis dansl'activité de manger de la viande", tandis que (14c) peut impliquer que l'activité de manger de laviande est par exemple en relation avec une fête lors de laquelle on mange des choses spéciales,différentes de la nourriture quotidienne.

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Typologiquement, il est intéressant d'observer qu'il n'y a pas de relation nécessaire entrel'existence d'un mécanisme productif de formation de noms composés qui signifient "le faitd'effectuer sur un N l'action que signifie V" et l'existence d'un mécanisme productif d'incorporation de l'objet au verbe. Par exemple, l'anglais a une classe productive de nomscomposés du type illustré par car wash-ing  "lavage de voitures", mais n'a pas les verbes

composés correspondants. La même chose s'observe en bambara, en hongrois, etc.

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Les voix (3) : L'APPLICATIF

(Creissels)

1. L'applicatif canonique: définition et illustration

La notion d'applicatif canonique s'applique à un changement de forme du verbe lié à lapromotion d'un oblique au statut d'objet, ou à l'introduction d'un argument supplémentaire quiprend le statut d'objet, le rôle sémantique du sujet n'étant pas affecté.

Les ex. (1) et (2) illustrent la variété des significations que peuvent exprimer, en tswana, les

objets que la dérivation applicative permet d'ajouter à la construction du verbe. Dans l'ex. (1),l'applicatif tswana fait passer d'une construction intransitive à une construction transitive. Dansl'ex. (2), on passe d'une construction transitive à un objet à une construction transitive à deuxobjets; la place prise par l'objet dont la présence est validée par l'applicatif obéit à une règle selonlaquelle, dans les constructions à deux objets du tswana, l'objet qui représente un humainsuccède immédiatement au verbe. Le morphème d'applicatif est le même dans tous les cas, et lareconnaissance du rôle sémantique de l'objet dont la présence est validée par l'applicatif reposeentièrement sur le contexte.

(1) tswana

a. Kitso o bereka thataKitso SCL1 travailler beaucoup

‘Kitso travaille beaucoup’

b. Kitso o berekela banaKitso SCL1 travailler.APPL enfants

‘Kitso travaille pour les enfants’

c. Kitso o berekela tiegoKitso SCL1 travailler.APPL retard

‘Kitso travaille à cause du retard (pour rattraper le retard)’

d. Losealo lela thatabébé SCL11 pleurerbeaucoup

‘Le bébé pleure beaucoup’

e. Losealo lelela go anyabébé SCL11 pleurer.APPL INFtéter

‘Le bébé pleure pour avoir à téter’

f. Bana ba taboga thata

enfantsSCL2 courir beaucoup‘Les enfants courent beaucoup’

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g. Bana ba tabogela setlhareenfantsSCL2 courir.APPL arbre

‘Les enfants courent vers l'arbre’

(2) tswana

a. Kereka ditlhakoS1S acheter chaussures

‘J'achète des chaussures’

b. Kerekela bana ditlhakoS1S acheter.APPL enfantschaussures

‘J'achète des chaussures pour les enfants’

e. Mpho o jele dinawaMpho SCL1 avoir+mangé haricots‘Mpho a mangé les haricots’

f. Mpho o jetse Kitso dinawaMpho SCL1 avoir+mangé.APPL Kitso haricots

‘Mpho a mangé les haricots au détriment de Kitso (qui étaient pour Kitso)’

g. Magodu a bolaile monnavoleurs SCL6 avoir+tué homme

‘Les voleurs ont tué l'homme’

h. Magodu a bolaetse monna madivoleurs SCL6 avoir+tué.APPL homme argent

‘Les voleurs ont tué l'homme pour de l'argent’

i. Keleboga KitsoS1S remercier Kitso

‘Je remercie Kitso’

 j. Kelebogela Kitso madiS1S remercier.APPL Kitso argent

‘Je remercie Kitso pour l'argent’

L'ex. (3) illustre un fonctionnement semblable en tzotzil.

(3) tzotzil

a. 'a li Xune,ba y-ak' chitomTOP DÉF Xun aller S3S-donner cochon

‘Xun est allé donner le cochon’

b. 'a li Xune,ba y-ak'-be chitom li 'antzeTOP DEF Xun aller S3S-donner- APPL cochonDEF femme

‘Xun est allé donner le cochon à la femme’

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c. *'a li Xune, ba y-ak' chitom li 'antze

d. 'i-j-meltzan j-p'ej naTAM-S1S-faire un-CLAS maison

‘J'ai fait une maison’

e. 'i-j-meltzan-be j-p'ej na li XuneTAM-S1S-faire-APPL un-CLAS maison DEF Xun

‘J'ai fait une maison pour Xun’

f. *'i-j-meltzan j-p'ej na li Xune

2. Variations dans le fonctionnement de l'applicatif 

 – Dans beaucoup de cas, l'applicatif réalise la promotion d'un terme qui pourrait figurer

comme oblique auprès de la forme non applicative, mais parfois aussi (notamment dans leslangues africaines) le recours à l'applicatif est la seule solution pour faire figurer dans la phrasela mention d'un participant qui ne pourrait pas figurer comme oblique auprès d'une forme nonapplicative (par exemple en tswana, la mention d'un bénéficiaire ne peut pas se réaliser autrementqu'à travers la voix applicative).

 – L'introduction d'un argument supplémentaire avec le statut d'objet peut entraîner diversdegrés de destitution d'un objet déjà présent, mais ce n'est pas nécessaire dans les langues quiadmettent des constructions à deux objets, comme le tswana.

 – Certaines langues (comme le tswana) ont des formes applicatives susceptibles de valider laprésence d'objets aux rôles sémantiques variés, d'autres ont des formes spécialisées dans

l'introduction d'un type sémantique précis d'argument. On pourra alors selon les cas parler devoix bénéfactive, voix instrumentale. – On peut avoir des emplois de formes applicatives qui introduisent un argument

supplémentaire sans pour autant en faire un objet. – Il peut enfin arriver que la dérivation applicative ne modifie pas le nombre des compléments

ni leur statut syntaxique mais modifie leur rôle sémantique.L'ex. (4) illustre un cas d'applicatif utilisé exclusivement pour construire comme objets des

constituants nominaux qui ont le rôle sémantique d'instrument.

(4) k'ichee'

a. X-Ø-u- paxiij ri b'o'j r-uuk'ab'aj ri aliTAM-O3S-S3S-casser DEF marmite 3S-avec pierre DEF fille

‘La fille a cassé la marmite avec une pierre’ (la marmite est objet, pierre est oblique)

b. Ab'aj x-Ø-u-paxib'eej r-eech ri b'o'j ri alipierre TAM-O3S-S3S-casser.INSTR 3S-pour DEF marmite DEF fille

‘La fille a cassé la marmite avec une pierre’ ( pierre est objet, la marmite est oblique)

L'ex. (5) illustre la possibilité d'utiliser les mêmes formes applicatives du verbe tswana defaçon canonique et non canonique: en (5c), à la différence de (5b), le terme supplémentaire dontla forme applicative valide la présence n'a pas le statut d'objet, mais d'oblique.

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(5) tswana

a. Lorato o tlaa apaya motogoLorato SCL1 FUT cuire bouillie

‘Lorato cuira la bouillie’

b. Lorato o tlaa apeela bana motogoLorato SCL1 FUT  cuire.APPL enfantsbouillie

‘Lorato cuira la bouillie pour les enfants’ (applicatif canonique)

c. Lorato o tlaa apeela motogo mo pitse-ngLorato SCL1 FUT  cuire.APPL bouillie dans marmite-LOC

‘Lorato cuira la bouillie dans la marmite’ (applicatif non canonique)

L'ex. (6) illustre un autre emploi non canonique de l'applicatif tswana: ce qui change entre laphrase (a) et la phrase (b), ce n'est ni le nombre des termes nominaux de la construction, ni leur

statut syntaxique, mais le rôle sémantique assigné au complément locatif: provenance lorsque leverbe est à sa forme non dérivée, destination lorsqu'il est à la forme applicative. Il importe deremarquer qu'en tswana, la distinction entre provenance et destination n'est pas indiquée par unchangement dans la forme du locatif lui-même ou par un changement de préposition, maisuniquement par le changement dans la forme verbale.

(6) tswana

a. Ngwana o tswa mo jarate-ngenfant SCL1 sortir dans cour- LOC

‘L'enfant sort de la cour’

b. Ngwana o tswela mo jarate-ngenfant SCL1 sortir.APPL dans cour-LOC

‘L'enfant sort dans la cour’

En résumé, on peut dire que la seule chose vraiment constante dans l'emploi des formesapplicatives est une modification de la relation verbe-compléments qui n'entraîne aucuneréduction de la valence du verbe et qui ne touche pas à la relation entre le verbe et son sujet

3. Applicatif et passif 

La combinaison applicatif + passif  permet que le complément introduit dans la constructiondu verbe avec le statut d'objet ou promu au statut d'objet par la dérivation applicative soit promuau statut de sujet.

L'ex. (6) permet de constater qu'en tswana, les deux objets de la forme applicative rekela duverbe reka "acheter" (celui qui représente le patient et celui qui représente le bénéficiaire)peuvent également être promus au statut de sujet de la forme applicative-passive rekelwa.

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(6) tswana

a. Bana ba rekelwa ditlhakoenfantsSCL2 acheter.APPL.PSF chaussures

‘On achète des chaussures pour les enfants’ (litt. Les enfants sont achetés.APPL des chaussures)

b. Ditlhakodi rekelwa banachaussures SCL8 acheter.APPL.PSF enfants

‘Les chaussures sont achetées pour les enfants’

L'ex. (7a) illustre l'emploi de la forme applicative-passive du verbe tswana "manger", et (7b)explique cette construction comme le résultat de deux modifications successives de la valence duverbe "manger": l'applicatif introduit un objet-détrimentaire, promu ensuite par le passif au statutde sujet. De manière semblable, l'ex. (8a) illustre l'emploi de la forme applicative-passive duverbe tswana "être malade", et (8b) explique cette construction comme résultat de deuxmodifications successives de la valence du verbe "être malade".

(7) tswana

a. Kitso o jetswe dinawaKitso SCL1 avoir+mangé.APPL.PSF haricots

‘Kitso a eu ses haricots mangés’ (litt. Kitso a été mangé+pour les haricots)

b. A jele B = A a mangé B

+ applicatif —> A jetse C B = A a mangé B au détriment de C

+ passif —> C jetswe B ke A = C a eu B mangé par A

(8)tswana

a. Mosadi o lwalelwa ke banafemme SCL1 être+malade.APPL.PSF par enfants

‘La femme est affectée par la maladie de ses enfants’

b. A lwala = A est malade

+ applicatif —> A lwalela B = A est malade et cela affecte B(ou: la maladie de A affecte B)

+ passif —> B lwalelwa ke A = B est affecté par la maladie de A

L'ex. (9) illustrent des mécanismes similaires en nahuatl. Dans l'exemple nahuatl, ledétrimentaire du verbe "prendre" apparaît comme objet de la forme applicative en (9b), et commesujet de la forme applicative-passive en (9c):

(9) nahuatl

a. Ni-c-cui in tomin

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S1S-O3S-prendre DEF argent

‘Je prends l'argent’

b. Ni-mitz-cu_lia in tominS1S-O2S-prendre.APPL DÉF argent

‘Je te prends l'argent’

c. Ti-cu_l_lo in tominS2S-prendre.APL.PSF DEF argent

‘On te prend l'argent’ (litt. ‘Tu es pris.APPL l'argent’)

4. Systèmes "de type philippin"

Les langues parlées dans les Philippines possèdent des systèmes de variationsmorphologiques du verbe qui relèvent clairement de la voix dans la mesure où ces variations sont

liées à l'assignation d'un statut spécial à l'un des arguments du verbe, mais dont l'analyse restel'objet de controverses, du fait de particularités qui rendent délicate l'application des critèresd'analyse généralement utilisés dans l'étude des systèmes de voix:

 – il n'est pas évident que celui des termes nominaux de la phrase qui reçoit un statut spécialen liaison avec le système de voix mérite d'être reconnu comme sujet grammatical;

 – les changements de construction qui accompagnent les changements morphologiques duverbe ne semblent mettre en jeu ni réduction, ni expansion de la valence verbale.

Dans les langues en question, toute phrase à prédicat verbal comporte nécessairement unterme nominal et un seul marqué d'une certaine préposition (ou un pronom à une formespéciale). Le choix de ce terme peut varier sans que cela affecte le contenu dénotatif de la phrase,simplement la forme verbale change en fonction du rôle sémantique de l'argument qui apparaîtcombiné à la préposition en question.

Le choix de l'argument ainsi distingué semble impliquer la notion de topicalité.Syntaxiquement, son comportement particulier dans certaines opérations syntaxiques(notamment la relativisation) peut justifier de lui reconnaître le statut de sujet.

En admettant donc qu'on puisse désigner comme sujet le terme nominal de la phrase marquépar cette préposition spéciale qui apparaît nécessairement une fois et une seule dans laconstruction de chaque verbe, la façon la plus prudente de décrire les systèmes de voix de typephilippin semble être de ne pas chercher à identifier l'une des constructions possibles du verbecomme basique, et de poser que dans la construction d'une phrase:

 – l'un des arguments du verbe doit recevoir le statut de sujet;

 – l'argument sélectionné comme sujet est marqué indépendamment de son rôle sémantiquepar une préposition spéciale (ou par l'usage d'une forme spéciale, s'il s'agit d'un pronom); – la forme verbale inclut une marque qui varie selon le rôle sémantique de l'argument

sélectionné comme sujet; – les termes nominaux de la phrase autres que le sujet sont marqués d'une préposition qui est

choisie en fonction de leur rôle sémantique.L'ex. (10) illustre la construction des différentes formes de voix du verbe tagalog bili

"acheter". Il convient d'être attentif au fait que, si la morphologie verbale du tagalog encode lerôle sémantique du sujet, il n'y a par contre rien dans les formes verbales qui puisse s'identifiercomme indice pronominal représentant le sujet.

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(10) tagalog

a. B-um-ili ng damit ang babae para-sa bataacheter.VOIX PREP vêtement SUJ femmePREP enfant

‘La femme a acheté un vêtement pour l'enfant’

b. B-in-ili ng babae ang damit sa tindahanacheter.VOIX PREP femmeSUJ vêtement PREP magasin

‘Le vêtement a été acheté par la femme au magasin’

c. B-in-il-han ng babaengdamit ang tindahanacheter.VOIX PREP femme PREP vêtement SUJ magasin

Le magasin a été le lieu de l'achat du vêtement par la femme

d. I-b-in-ili ng babaeng damit ang bataacheter.VOIX PREP femmePREP vêtement SUJ enfant

L'enfant a eu un vêtement acheté par la femme

e. Ipinam-bili ng babaeng damit ang peraacheter.VOIX PREP femme PREP vêtement SUJ argent

L'argent a servi à la femme à acheter un vêtement

Il est toutefois envisageable de décrire les systèmes de type philippin en considérant commebasique la construction dans laquelle l'agent est sélectionné comme sujet, et en considérant parconséquent comme passives toutes les autres voix. Dans cette perspective, la particularité dessystèmes de type philippin serait simplement d'avoir plusieurs formations morphologiques

distinctes, spécialisés chacun dans la promotion d'un type particulier d'obliques, là où d'autreslangues auraient simplement des emplois non canoniques de formes passives. Mais cetteinterprétation n'est pas acceptée par tous les auteurs ayant travaillé sur ces langues.

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5. La «voix bénéfactive» du tsotsil (Grinevald)

11. VOIX APPLICATIVES

1. Généralités:•  Voix applicative : terme général pour plusieurs voix.•  Promotion: oblique > Obj.•  canonique : marque sur le verbe

2. Le cas du tsotsil (maya)

•  "voix bénéfactive" Obj. Ind. > Obj.•  Obligatoire

(1)a. 7i-ø-h-con-be citom li SuneASP-ABS3-ERG1-vendre- BEN cochon le Jean‘J’ai vendu un cochon à Jean’

  b.  7i-ø-h-con l i citomeASP-ABS3-ERG1-vendre le cochon‘J’ai vendu le(s) cochon(s)’

•  Arguments pour l'analyse de la voix bénéfactive en tsotsil

 Argument (1) : Index de personne (accord objet-verbe)

(2)a. Bay-ak’-ø   7unealler ERG3-donner-ABS3 ENCL‘Il est allé le donner’

  b. Ti mi c-av-ak’-b-on   7ep tak’inesi ASP-ERG2-donner-BEN-ABS1 beaucoup argent‘Si tu me donnais beaucoup d’argent'

  c. Bas-con-ø li nukul 7unealler ERG3-vendre-BS3 la peau ENCL‘Il est allé vendre la peau'

  d. Mi mu s-a-con-b-on l-a-citomeQ NEG ASP-ERG2-vendre-BEN-ABS1 le-ERG2-cochon‘Tu ne veux pas me vendre tes cochons?’

 Argument (2) : Passif (OI>O>S)

(3)a. 7i-ø-?il-at yu7un Sun li MaruceASP-ABS3-voir-PASF par Jean le Maruc‘Maruc a été vu par Jean’

  b.   7i-ø-k’opon-at yu7un Petul li cebeASP-ERG3-parler-PASF par Petul la fille*La fille a été parlée par Pierre

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‘C'est à la fille que Pierre a parlé’

  c. C-i-?ak’-b-at hun cebASP-ABS1-donner-BEN-PASF une fille*J'ai été donné une fille‘On m’a donné une fille’

 d. Mi l-a-7ak’-b-at   7a-ve7elQ ASP-BS2-donner-BEN-PASF ERG2-repas*Est-ce que tu as été donné ton repas?‘Est-ce qu'on t'a donné ton repas?’

 e. C-ø-7ak’-b-at s-lo7bolASP-ABS3-donner-BEN-PASF ERG3-fruit*Il a été donné son fruit ‘On lui a donné son fruit’

 Argument (3) : Pluriel

Un verbe transitif peut faire son accord en nombre avec un objet direct animé.

(4) a.   7a l i Sune 7i-ø-s-k’el-ik s-krem-takTOP le Jean ASP-ABS3-ERG3-regarder-3PL ERG3-enfant-PL‘Jean regardait ses enfants’

  b. S-i-s-mil-otik   7unASP-ABS1-ERG3-tuer-1PL ENCL‘Ils nous a tués’

Cependant, dans les propositions qui contiennent un objet indirect et un objet direct initial, le

verbe fait son accord en nombre avec l’objet indirect initial.  c. C-a-k-ak’-be-ik

ASP-ABS2-ERG1-donner-BEN- 2PL‘Je vous (pl) [enfants] la [la cloche] donne’

d.   7i-ø-k-ak’-be-ik li SuneASP-ABS3-ERG1-donner-BEN-3PL le Jean‘Je leur ai donné Jean’’

3. Le cas de l'anglais:

•  un applicatif pas canonique (pas prototypique)

•  "Datif Shift" : Obj. Ind. > Obj. ; facultatif ; pas de marque verbale

(4) a. I gave the book to Mary‘J’ai donné le livre à Marie’

  b."Datif Shift"

I gave Mary the book*’J’ai donné Marie le livre ‘

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  c. Passif 

The book was given to Mary‘Le livre a été donné à Mary’

  d. Datif Shift + Passif 

Mary was given the book

*’ Marie a été donnée le livre’

4. Le cas du KinyaRwanda

•  tous les Obliques >Obj. (optionnel)

(5) Promotion du Locatif 

umugore y-ooher-eje umubooyi ku-isokofemme/SUJ elle-envoyer-ASPcuisinier/OBJ LOC-marché‘La femme a envoyé le cuisinier au marché’

umugore y-ooher-eje-ho isoko umubooyifemme/SUJ elle-envoyer-ASP-LOC marché/OBJ cuisinier/OBJ‘La femme a envoyé au marché le cuisinier’

(6) Promotion de l’Instrument

umugabo ya-tem-eje igiti n-umupaangahomme/SUJ il-couper-ASP arbre/OBJ INSTR-scie

‘L’homme coupe l’arbre avec une scie’

umugabo ya-tem-ej-eesha umupaanga igitihomme/SUJ il-couper-ASP-INSTR scie/OBJ arbre/OBJ‘L’homme a utilisé la scie pour couper l’arbre

Voix applicative + Voix passive

 

APPLICATIF

OBLIQUES

PASSIF

O

(1)

(2)

(7) Passif 

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umubooyi y-ooher-ej-we ku-isokocuisinier/SUJ il-envoyer-ASP-PASF LOC-marché‘Le cuisinier a été envoyé au marché’

(8)Applicatif-Locatif + Passif 

isoko ry-ooher-ej-we-ho umubooyimarché/SUJ ça-envoyer-ASP-PASF-LOC cuisinier*Le marché a été envoyé le cuisinier'C'est au marché qu'on a envoyé le cuisinier'

(9) Applicatif-Instrument + Passif 

umupaanga wa-tem-eesh-ej-we igitiscie/SUJ ça-couper-INSTR-ASP-PASF arbre/OBJ*La scie a été coupée l'arbre‘La scie a été utilisée pour couper l’arbre’

5. Le cas du Bikol : un autre système de 'voix'

Le syntagme nominal sujet/'topic' du Bikol (Philippines) est marqué par le préfixe 'ang-. Leverbe –dans toutes les voix– prend un préfixe qui encode le rôle sémantique du syntagmenominal 'topique'.

- Le rôle pragmatique est encodé dans le SN 'topique'.- Le rôle sémantique du SN 'topique' est encodé dans le verbe.

(10) Agent-topic ('voix active')

nag-ta'o 'ang-lalake ning-libro sa-babayeAGT-donner TOP-homme PAT-livre DAT-femme'L'homme a donné le livre à la femme'

(11) Patient-topic ('voix passive-(1)')

na-ta'o kang-lalake 'ang-libro sa-babayePAT-donner AGT-homme TOP-livre DAT-femme'Le livre a été donné à la femme par l'homme'

(12) Datif-topic ('voix passive-(2)')

na-ta'o-an kang-lalake ning-libro 'ang-babayeDAT-donner-DAT AGT-homme PAT-livre TOP-femme*La femme a été donnée le livre par l'homme‘C'est à la femme que l'homme a donné le livre’

(13) Agent-topic ('voix active')

nag-putul 'ang-lalake ning-tubu gamit(-'ang)-lansetaAGT-couper TOP-homme PAT-canne DAT-couteau'L'homme a coupé la canne à sucre avec un couteau'

(14) Instrument-topic ('voix passive-(3)')

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pinag-putul kang-lalake ning-tubu ang-lansetaINSTR-couper AGT-homme PAT-canne TOP-couteau*Le couteau a été coupé la canne à sucre par l'homme'Le couteau a été utilisé par l'homme pour couper la canne à sucre'

(15) Agent-topic ('voix active')

nag-bakal 'ang-lalake ning-kanding para-sa-babayeAGT-acheter TOP-homme PAT-chèvre BEN-DAT-femme'L'homme a acheté une chèvre pour la femme'

(16) Benefactive-topic ('voix passive-(4)')

pinag-bakal-an kang-lalake ning-kanding 'ang-babayeBEN-acheter-DAT AGT-homme PAT-chèvre TOP-femme*La femme a été achetée une chèvre par l'homme'C'est à la femme que l'homme a acheté une chèvre'

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9

La relativisation dans les langues du monde

(Creissels)

1. Rappel de la définition de la relativisation et remarques générales sur la variété desstructures de relativisation dans les langues du monde

De manière générale, on s'autorise ici à parler de relativisation chaque fois qu'on a uneconstruction ayant pour fonction (même si ce n'est pas de façon exclusive) de restreindre leréférent d'un terme nominal d'une unité phrastique (la principale) en lui attribuant une propriétéconstruite à partir d'une autre unité phrastique. Par exemple, dans Je te présente [le garçon qui a

 parlé de moi à Marie], le terme entre crochets, c'est-à-dire l'objet du verbe principal présenter,est désigné comme ayant pour référent un x vérifiant les deux propriétés  x est un garçon et x a

 parlé de moi à Marie: la première de ces propriétés (le fait d'être un garçon) est le signifiantd'une unité lexicale, la deuxième est construite à partir du schème phrastique A parle de B à C .

Dans ce qui suit, on désignera comme R et R' les deux termes syntaxiques immédiatementconcernés par la relativisation: R (ou "terme relativisé") désignera le terme de la relative quis'interprète sémantiquement comme une variable, et R' désignera le terme de l'unité phrastiqueprincipale au référent duquel est attribuée la propriété qu'exprime la relative. Appliquée àl'exemple précédent, cette définition donne R a parlé de moi à Marie et Je te présente R'.

En outre, il est banal (bien que non nécessaire) que la relative accompagne un nom quiexprime une autre propriété du référent du terme R', c'est-à-dire qui délimite un domaine à

l'intérieur duquel la relative introduit une restriction. Ce nom, traditionnellement appeléantécédent, sera désigné ici comme "le nom A"

On admettra que la relativisation peut impliquer diverses modifications de l'unité phrastiquerelativisée (notamment au niveau de la forme du verbe qui en constitue le noyau prédicatif),pourvu que ces modifications ne remettent pas en question la reconnaissance d'une structure detype phrastique, notamment au niveau des compléments possibles du verbe qui constitue lenoyau prédicatif de la relative.

Le français standard illustre une structure de relativisation dans laquelle: – La relative est enchâssée dans le constituant R' de la structure phrastique principale; – Le constituant R' a pour tête lexicale le nom A.

 – La relative, dont le rôle est de restreindre le domaine délimité par le nom A, succède à cenom et présente syntaxiquement les caractéristiques d'un modifieur; – La structure interne de la relative se caractérise par le blocage de la position canonique du

terme R, au sens qu'il est impossible d'introduire du matériau morphologique dans la positioncanonique du constituant R.

 – Immédiatement à gauche de la relative se trouve un relativiseur, traditionnellement désignécomme pronom relatif, mais qui dans une partie des cas peut être analysé plutôt comme simplemarqueur de subordination; lorsque la relative est réellement introduite par un pronom relatif,celui-ci peut être accompagné d'éléments qui, dans l'unité phrastique de base, formeraient unsyntagme avec le constituant R.

L'ex. (1) explicite cette analyse pour quelques phrases françaises, en concrétisant par un trait

horizontal assorti de l'indication R la position bloquée à l'intérieur de la relative (avec entreparenthèses l'indication éventuelle d'autres éléments dont le blocage de la position R entraîne la

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disparition ou le déplacement), et en concrétisant par trois paires de crochets les troisconstituants emboîtés qui se trouvent directement impliqués dans le mécanisme de relativisation:

 – la relative; – le constituant formé par la combinaison de la relative et les éléments situés immédiatement à

sa gauche;

 – le constituant R'.

(1)  français

a. Je te présente [R' le garçonA [qui [—R a parlé de moi à Marie]]]

b. Je vais t'expliquer [R' le problèmeA [dont [Jean a parlé (de) —R à Marie]]

c. Je connais [R' la filleA [à qui [Jean a parlé de moi (à) —R]]]

d. Je connais [R' le garçonA [avec la sœur de qui [Jean sort (avec la sœur de) —R]]]

Un mécanisme de relativisation répondant à la même définition logico-sémantique se laisseidentifier sans problème majeur dans l'immense majorité des langues. Par contre, aucune descaractéristiques morphosyntaxiques de la construction du français décrite succintement ci-dessus n'est universelle, et les structures de relativisation peuvent dans certaines languesprésenter des caractéristiques très différentes de celles de la construction française:

 – la subordonnée qui exprime une propriété servant à déterminer un terme de la principalen'est pas nécessairement enchâssée dans la principale; en d'autres termes, la position R' dansl'unité phrastique principale n'est pas forcément occupée par un syntagme formé par le nom A etla relative;

 – le nom A ne forme pas nécessairement avec la relative un syntagme dans lequel la relativepeut s'analyser comme modifieur du nom A; il est possible aussi que le nom A apparaisse àl'intérieur de la relative, dans la position canonique du terme R.

Par conséquent, les distinctions fondamentales dans une typologie des structures derelativisation sont:

 – la distinction entre relatives enchâssées et relatives non enchâssées; – pour les relatives enchâssées, la distinction entre celles qui incluent le nom A (désignées

dans ce qui suit comme "circumnominales") et celles qui se construisent comme un modifieurdu nom A;

 – pour les relatives enchâssées qui se construisent comme un modifieur du nom A, ladistinction entre celles qui précèdent le nom A (relatives "prénominales") et celles qui le suivent

(relatives "postnominales").

3. Relatives postnominales

Ce type de relativisation est notamment celui que connaît le français, et il est très largementmajoritaire à l'échelle des langues du monde. On observe notamment que des relativespostnominales ne sont pas rares dans des langues où les autres modifieurs du nom sont en règlegénérale antéposés.

L'allemand illustre de manière typique cette tendance. En allemand, la majorité des modifieurss'antéposent au nom, et il existe deux stratégies de relativisation: l'une avec des relatives

antéposées (que la grammaire traditionnelle ne reconnaît pas comme relatives), dans lesquelles leverbe est à une forme participiale – ex. (2a), et une autre avec des relatives postposées, dans

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lesquelles on trouve les mêmes formes verbales qu'en phrase indépendante – ex. (2b). Mais lastratégie d'antéposition est moins productive au sens où elle permet de relativiser seulement lesujet, tandis que la stratégie de postposition permet de relativiser une plus grande variété determes syntaxiques.

(2) allemand 

a. der in diesem Büro arbeitende Mannlit. ‘le dans ce bureau travaillant homme’

—> ‘l'homme qui travaille dans ce bureau’

b. der Mann, der in diesem Büro arbeitetlit. ‘l'homme qui dans ce bureau travaille’

—> ‘l'homme qui travaille dans ce bureau’

Les variations observées à l'intérieur de ce type de relativisation – cf. cours de licence –

portent essentiellement sur les points suivants:(a) la présence éventuelle d'éléments insérés entre le nom A et la relative, et leur nature;(b) les modifications éventuelles subies par le verbe de la relative;(c) le fait que la position canonique du terme relativisé reste nécessairement vide, ou au

contraire soit traitée comme elle le serait en cas d'anaphore discursive.

4. Relatives prénominales

Comme cela a déjà été dit, les relatives postnominales sont courantes même dans des languesoù en règle générale les modifieurs du nom sont antéposés. Il y a toutefois des langues où

l'antéposition de la relative au nom A est la stratégie usuelle, ou même la seule possible, commepar exemple en japonais – ex. (3).

(3)  japonais

a. Watashi-wakinooeiga-o mimashitamoi-TOP hier film-OBJ avoir+vu

‘Hier j'ai vu un film’

b. Sono eiga-wa taihenomoshirokatta desuDEM film-TOP très intéressant être

‘Ce film était très intéressant’

c. [R' [Watashi-ga kinoo —R mita] eigaA]-wa taihenomoshirokatta desu

  moi-SUJ   hier avoir+vu film-TOP très intéressant être

‘Le film que j'ai vu hier était très intéressant’

Les stratégies mises en jeu dans ce type de relativisation sont moins variées que cellesobservées pour les relatives postnominales, et la description de relatives prénominales estgénéralement beaucoup moins problématique que la description de relatives postnominales.

On constate tout d'abord que les relatives prénominales se caractérisent la plupart du tempspar des formes verbales spéciales, ou du moins par des formes différentes de celles quiapparaissent en phrase assertive indépendante, alors que dans les relatives postnominales, il estcommun de trouver les mêmes formes verbales qu'en phrase assertive indépendante. L'allemand,

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qui a des relatives prénominales avec le verbe à la forme participiale à côté de relativespostnominales à formes verbales finies, illustre cette tendance – ex. (2) ci-dessus.

Ce recours à des formes verbales spéciales dans les relatives prénominales s'accompagneparfois d'un marquage casuel du sujet (lorsque le terme relativisé n'est pas le sujet) différent decelui qu'on observe en phrase indépendante. Par exemple en turc, le sujet des relatives est au

génitif (et non pas au nominatif), tandis que le verbe est à une forme participiale, avec desmarques de personne et de nombre identiques aux suffixes possessifs des noms – ex. (4).

(4) turc

a.   Baba-m adam-› gördüpère-1SG homme-OBJDEF voir.TAM.S3S

‘Mon père a vu l'homme’

b.   [baba-m-›n — gör-dü_-ü] adampère-1SG-GEN voir-PART-3SG homme

‘l'homme que mon père a vu’ (litt. ‘l'homme vu de mon père')

Dans le cas des relatives prénominales, il est parfois difficile de faire la distinction entremarqueurs de subordination intégrés au mot verbal et marqueurs de subordination insérés entrela relative et le nom A, car ce type de relative se trouve surtout dans des langues qui placentsystématiquement le verbe à la fin de l'unité phrastique. Ce qui est sûr, c'est qu'il est assez rare detrouver dans ces constructions des cas indiscutables de relativiseurs non intégrés au mot verbalet dont la place est à définir par rapport à la marge droite de la relative. On peut toutefois citer lecas du morphème de en chinois – ex. (5).

(5) chinois

a. zhong shuiguo de nongrencultiver fruit REL paysan

‘les paysans qui cultivent des fruits’

b. woxiexin de maobimoi écrire lettre SUB pinceau

‘le pinceau avec lequel j'écris le courrier’

Dans les relatives prénominales, à la différence des relatives postnominales, on ne trouve que

très rarement utilisée la stratégie consistant à avoir dans la position canonique du terme R unpronom (ou indice pronominal) identique à un pronom qui marquerait une anaphore discursiveet dont la présence ne peut pas être imputée à une règle obligatoire d'accord. De tellesconstructions sont signalées en chinois – ex. (6), mais elles semblent poser un problèmed'acceptabilité aux locuteurs. La même chose a été observée en coréen.

(6) chinois

a. wosong geita yi ben xiaoshuo de renmoi donner à lui un CLAS roman REL personne

‘la personne à qui j'ai donné un roman’

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b. ni qing ta he jiu de jiaoshoutoi inviterlui boire alcool REL professeur

‘le professeur que tu as invité à boire un verre’

Enfin, dans les constructions avec des relatives prénominales, il n'apparaît jamais de

relativiseur comparable aux pronoms relatifs que l'on trouve dans les relatives postnominales.En résumé, on peut dire que les relatives prénominales présentent beaucoup moins de variétéque les relatives postnominales, et que la construction typique dans le cas des relativesprénominales est celle qu'illustrent les relatives participiales de l'allemand – ex. (2a), avec unemarque de subordination intégrée au verbe qui constitue le noyau prédicatif de la relative maissans aucun matériau morphologique, ni dans la position R, ni entre la relative et le nom A.

5. Relatives circumnominales

Dans ce type de relatives: – la relative occupe la position canonique du terme R' de la principale;

 – le nom A occupe la position canonique du terme R de la relative.L'ex. yuma (7) illustre la façon dont peuvent s'intégrer selon cette stratégie une relative et une

principale construites toutes deux selon le schème SOV: la position R' dans la principale, qui estdans cet exemple la position de sujet, est occupée par un constituant  John-ts vii uutap qui al'apparence d'une phrase indépendante signifiant "John a lancé une pierre", et qui pourtant ne seréfère pas au contenu propositionnel "le fait que John ait ou non lancé une pierre", mais à uneentité identifiée comme appartenant à la fois à l'ensemble des pierres et à l'ensemble des x quivérifient la propriété "John a lancé x": "pierre que John a lancée". La présence du démonstratif in et de la marque de sujet ts marquent sans ambigüité la nominalisation de cette unité phrastiqueet son insertion en position de sujet de la principale, mais rien dans sa structure interne n'indique

qu'elle ne doit pas s'interpréter comme "le fait que John a lancé une pierre", mais comme "lapierre que John a lancée".

(7)  yuma

[R' [John-ts [R viiA] uutap]-in-ts] ava-nya tav-sh  John-SUJ pierre lancer-DEM-SUJ maison-DEM toucher-EVID

‘La pierre que John a lancée a touché la maison’

Ces relatives circumnominales enchâssées dans l'unité phrastique principale présentent un casintéressant d'ambiguïté syntaxique. Ce sont des unités phrastiques construites exactement

comme des unités phrastiques qui signifient des contenus propositionnels, avec le nom A dans laposition canonique du terme R, mais qui néanmoins s'interprètent exactement comme lacombinaison d'un nom et d'une relative dans les langues qui traitent les relatives commemodifieurs du nom.

Dans la structure interne de telles relatives, rien ne signale le mécanisme de relativisation, etselon les contextes, il est d'ailleurs possible que la même unité phrastique enchâssée s'interprèteaussi bien comme une complétive qui se réfère au même contenu propositionnel que la phraseindépendante correspondante que comme une relative qui inclut le nom qu'elle détermine – ex.(8). En outre, il est possible que des relatives de ce type incluent plusieurs noms susceptiblesd'être interprétés comme occupant la position du terme relativisé. L'ex. wappo (8) illustre aussicette possibilité, puisque deux interprétations de la phrase (8c) sont possibles, selon qu'onconsidère que le nom qui occupe la position du terme relativisé est "homme" ou "poisson".

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(8) wappo

a. Cek’ew ?ew t’un-tahDEM homme poisson acheter-TAM

‘Cet homme a acheté du poisson’

b. ?ah [cek’ew ?ew t’un-tah]hatiskhi?moi DEM homme poisson acheter-TAM savoir

‘Je sais que cet homme a acheté du poisson’

c. ?ah [cek’ew ?ew t’un-tah]hak’‰e?moi DEM homme poisson acheter-TAM aimer

(1) ‘J'aime l'homme qui a acheté le poisson’

(2) ‘J'aime le poisson que l'homme a acheté’

Dans la littérature sur la typologie de la relativisation, on cite souvent pour illustrer ce type de

construction un exemple bambara (tiré d'un article de C. Bird) qui semble contredire plusieursgénéralisations que l'on est tenté de faire à propos de ce type de relatives. Mais en réalité, cetexemple est erroné. Les cas sûrs de langues ayant des relatives circumnominales enchâsséesdans la principale autorisent sans restriction les généralisations suivantes:

(a) Ce type de construction se rencontre essentiellement (sinon exclusivement) dans deslangues dans lesquelles le verbe occupe une position fixe en fin d'unité phrastique.  (b) Toutes les langues qui ont des relatives circumnominales ont aussi des relativesprénominales.

(c) Dans les relatives circumnominales, on ne rencontre jamais de marque signalantexplicitement la position du terme R ou le statut particulier du nom occupant cette position.

(d) Les relatives circumnominales ne sont utilisées que pour relativiser des positionssyntaxiques situées vers le sommet de la hiérarchie d'accessibilité à la relativisation que nousexaminerons à la section 7.

(e) Dans les relatives circumnominales, la subordination de la relative est souvent marquée auniveau du verbe, mais il arrive aussi que rien ne signale explicitement la subordination de larelative.

6. Relatives détachées de la principale

Le bambara est un exemple typique de langue où on trouve des phrases qui, si on s'en tientaux définitions posées ici, mettent indiscutablement en jeu un mécanisme de relativisation dans

lequel il n'y a aucune difficulté à reconnaître deux unités phrastiques avec le statut respectif deprincipale et de subordonnée relative, sans toutefois que la relative soit enchâssée dans laprincipale. De telles constructions, désignées comme "constructions corrélatives" par les auteursqui refusent d'appliquer le terme de relative à des unités phrastiques non enchâssées, ont étédécrites aussi pour le hindi par exemple. En réalité, elles sont loin d'être rares dans les languesindo-européennes, mais leur existence est quelque peu masquée par une tradition descriptive quiles traite comme marginales par rapport au type "canonique" que sont les relativespostnominales.

Les auteurs qui se basent sur l'absence d'enchâssement pour refuser de reconnaître dessubordonnées relatives dans ce type de construction insistent sur le fait que les constructionscorrélatives ont l'apparence d'une juxtaposition de deux phrases indépendantes. Toutefois, si onaccepte l'idée que la subordination est fondamentalement une affaire de hiérarchisation desfonctionnements énonciatifs, il n'y a aucune difficulté à identifier dans les "constructions

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corrélatives" une principale et une subordonnée, et fonctionnellement, il n'y a aucune différenceentre ces constructions et les constructions à relatives enchâssées.

En bambara, la relative est généralement antéposée à la principale. Il existe aussi uneconstruction, beaucoup moins fréquente, dans laquelle la relative est postposée à la principale,mais nous la laisserons de côté. Il n'y a pas de différence importante entre ces deux

constructions.En bambara, la relative se reconnaît à la présence d'un morphème min qui n'apparaît dansaucun autre type d'unité phrastique, et qui peut occuper à lui seul la position canonique du termeR, ou l'occuper en combinaison avec le nom A; on peut désigner ce morphème commerelativiseur, à condition toutefois de ne pas oublier que sa position à l'intérieur de la relative ledistingue des relativiseurs qui, dans les relatives postnominales, occupent une position fixe à lamarge gauche de la relative.

Ainsi, l'introduction de min en différentes positions dans une unité phrastique indique sansambiguïté possible que l'énonciateur n'utilise pas cette unité phrastique pour se référer à uncontenu propositionnel, mais pour viser un référent qui appartient à la fois à l'ensemble desréférents potentiels du nom qui forme un syntagme avec min et à l'ensemble des entités qui

vérifient la propriété qu'on peut formuler en posant une variable dans la position qu'occupe lesyntagme "nom A + min" – ex. (9):

 – en (9b), le référent visé est un référent potentiel de muso "femme" qui vérifie la propriété  x

 ye fulakè ka misi ye tu kònò "x a vu la vache du Peul dans le bois"; – en (9c), le référent visé est un référent potentiel de  fulakè  "Peul" qui vérifie la propriété

muso ye x ka misi ye tu kònò "la femme a vu la vache de x dans le bois"; – en (9d), le référent visé est un référent potentiel de misi  "vache" qui vérifie la propriété

muso ye fulakè ka x ye tu kònò "la femme a vu le/la x du Peul dans le bois"; – en (9e), le référent visé est un référent potentiel de tu "bois" qui vérifie la propriété muso ye

 fulakè ka misi ye x kònò "la femme a vu la vache du Peul à l'endroit x".

(9) bambara

a. Musoye Fulakè ka misi ye tu kònòfemmeAC.POS Peul GENvache voir bois dans

‘La femme a vu la vache du Peul dans le bois’

b. muso min ye Fulakè ka misi ye tu kònòfemmeREL AC.POS Peul GEN vache voir bois dans

‘la femme qui a vu la vache du Peul dans le bois’

c. muso ye Fulakè min ka misi ye tu kònòfemmeAC.POS Peul REL GEN vache voir bois dans

‘le Peul dont la vache a été vue par la femme dans le bois’

d. muso ye Fulakè ka misi min ye tu kònòfemmeAC.POS Peul GEN vache REL voir bois dans

‘la vache du Peul qui a été vue par la femme dans le bois’

e. muso ye Fulakè ka misi ye tu min kònòfemmeAC.POS Peul GEN vache voir bois REL dans

‘le bois dans lequel la femme a vu la vache du Peul’

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En ce qui concerne leur relation à la principale, les relatives du bambara ainsi formées secomportent exactement comme les constituants nominaux qui précèdent une unité phrastiquedans une construction disloquée avec reprise pronominale du terme détaché à gauche: ellesexplicitent en effet le référent d'un pronom qui occupe la position canonique du terme R' dans laprincipale, et qui est identique aux pronoms utilisés en phrase indépendante pour marquer une

anaphore discursive. Dans les ex. (10c-f), la relative et la principale sont présentées sur deuxlignes distinctes pour souligner l'absence d'enchâssement.

(10) bambara

a. Musoye Fulakè ka misi ye tu kònòfemmeAC.POS Peul GEN vache voir bois dans

‘La femme a vu la vache du Peul dans le bois’

b. O bè min?PRO êtreoù?

‘Où est-il/elle?’

c. Musomin ye Fulakè ka misi ye tu kònòfemmeREL AC.POS Peul GEN vache voir bois dans

o bè min?PRO êtreoù?

‘Où est la femme qui a vu la vache du Peul dans le bois?’

d. Musoye Fulakè min ka misi ye tu kònòfemmeAC.POS Peul REL GEN vache voir bois dans

o bè min?PRO êtreoù?

‘Où est le Peul dont la vache a été vue par la femme dans le bois?’

e. Musoye Fulakè ka misi min ye tu kònòfemmeAC.POS Peul GEN vache REL voir bois dans

o bè min?PRO êtreoù?

‘Où est la vache du Peul qui a été vue par la femme dans le bois?’

f. Musoye Fulakè ka misi ye tu min kònòfemmeAC.POS Peul GEN vache voir bois REL dans

o bè min?PRO êtreoù?

‘Où est le bois dans lequel la femme a vu la vache du Peul?’

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7. Variations dans la possibilité de relativiser différents types de fonctions syntaxiques

Dans la description des mécanismes morphosyntaxiques de la relativisation dans les langues,il est important d'examiner dans quelle mesure les différentes fonctions syntaxiques que peuventoccuper les constituants nominaux sont accessibles à la relativisation, car il y a sur ce point des

différences importantes entre les langues.Du point de vue typologique, il a été proposé une hiérarchie universelle d'accessibilité à la

relativisation. La signification de cette hiérarchie est que, si dans une langue une fonctionsyntaxique est accessible à la relativisation, toutes les fonctions situées au-dessus dans cettehiérarchie doivent aussi être accessibles; et si dans une langue, une fonction syntaxique ne seprête pas à la relativisation, les fonctions situées plus bas dans la hiérarchie ne doivent pas nonplus s'y prêter. En négligeant quelques détails qui restent peu clairs, on peut au moins considérerles généralisations suivantes comme relativement sûres:

(a) Les termes nominaux directement liés au noyau prédicatif de la relative sont plusaccessibles à la relativisation que les génitifs. Beaucoup de langues autorisent la relativisation de

n'importe quel terme nominal directement lié au noyau prédicatif de la relative mais interdisent larelativisation de positions génitivales (dans de telles langues, on pourra par exemple construirel'équivalent exact de le garçon dont j'ai parlé à Marie, mais pas de le garçon dont j'ai montré la

 photo à Marie).(b) Les termes nominaux directement liées au noyau prédicatif de la relative sont plus

accessibles à la relativisation que les termes nominaux qui appartiennent à une unité phrastiqueenchâssée dans la relative. Par exemple, le français accepte au moins sous certaines conditionsdes relativisations comme le garçon avec qui Jean croit que Marie est sortie, mais beaucoup delangues interdisent de type de relativisation.

(c) Parmi les termes nominaux directement liés au noyau prédicatif de la relative, les obliquessont moins accessibles à la relativisation que l'objet, et l'objet est moins accessible à larelativisation que le sujet. Nous verrons un peu plus loin que le malgache illustre le cas extrêmeoù seule la position sujet est accessible à la relativisation. Beaucoup d'autres langues autorisentla relativisation des positions sujet et objet mais interdisent la relativisation des obliques.

(d) Les sujets de constructions intransitives sont plus accessibles à la relativisation que lessujets de constructions transitives: dans un certain nombre de langues à marquage casuel ou àaccord verbal de type ergatif (notamment dans beaucoup de langues de la famille maya), le sujetd'un verbe transitif ne peut pas être relativisé tel quel; il ne peut l'être que par le biais d'unereformulation à la voix antipassive, qui maintient le sujet dans son statut de sujet mais fait passerl'objet de la construction transitive au statut d'oblique.

Ceci conduit à envisager les deux questions suivantes:(a) l'existence possible de corrélations entre la présence dans une langue de restrictions plus

ou moins fortes sur l'inventaire des fonctions syntaxiques relativisables et la présence demécanismes de voix plus ou moins productifs;

(b) l'existence possible de corrélations entre les restrictions sur la nature des fonctionssyntaxiques relativisables et l'utilisation de telle ou telle stratégie de relativisation.  A propos du point (a), on peut a priori penser que des restrictions très fortes à la relativisationne sont envisageables que dans des langues offrant la possibilité de reformulersystématiquement les phrases de façon à faire apparaître un terme nominal quelconque dans uneposition se prêtant à la relativisation, et les observations semblent confirmer cette hypothèse.

Un cas extrême, illustré par le malgache, est celui de langues où n'est accessible à larelativisation que la position de sujet du verbe qui constitue le noyau prédicatif de la relative. Or

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cette restriction est compensée en malgache par un système de voix permettant de convertir ensujet n'importe quel terme nominal de l'unité phrastique. Par exemple, il est impossible de rendrelittéralement en malgache "les vêtements que la femme lave" ou "le savon avec lequel Rasoa faitla lessive". La seule possibilité est d'avoir recours à des formes dérivées du verbe laver dont lesujet représente le patient ou l'instrument de l'action, ce qui donne quelque chose comme "les

vêtements qui sont lavés par la femme" ou "le savon qui sert à Rasoa pour faire la lessive" – ex.(11).

(11) malgache

a. Manasa ny lambany vehivavylaver DEF linge DEF femme

‘La femme lave le linge’

b. ny vehivavy (izay)manasa ny lamba—DEF femme (REL) laver DEF linge

‘la femme qui lave le linge’

c. *ny lamba(izay)manasa — nyvehivavy  DEF linge (REL) laver DEF femme

‘le linge que la femme lave’

d. Sasan' ny vehivavynylambalavé+par DEF femme DEF linge

‘Le linge est lavé par la femme’

e. ny lamba(izay) sasan'ny vehivavy —DEF linge (REL) lavé+par DEF femme

‘le linge que la femme lave’

f. Manasa lambaamin' nysavony Rasoalaver linge avec DEF savon Rasoa

‘Rasoa lave du linge avec le savon’

g. Anasan' dRasoa lambany savonyservir+à+laver+à Rasoa linge DEF savon

‘Le savon sert à Rasoa à laver du linge’

h. ny savony (izay)anasan' dRasoa lamba—DEF savon (REL) servir+à+laver+à Rasoa linge

‘le savon avec lequel Rasoa lave du linge’

Le cas de langues où le sujet et l'objet du verbe en fonction de noyau prédicatif de la relativesont les seuls termes accessibles à la relativisation est assez commun parmi les langues bantoues,et on peut mettre ceci en relation avec l'existence dans ces langues d'une voix applicative quipermet de transformer divers types d'obliques en objets.

A propos du point (b), il est intéressant d'observer que les cas extrêmes de langues où toutes

les fonctions syntaxiques semblent également accessibles à la relativisation, sans contrainte surle degré d'enchâssement de la position relativisée, se rencontrent exclusivement parmi mes

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langues qui utilisent systématiquement, ou bien des relatives détachées du type décrit à la section5 (bambara, etc.), ou bien des relatives postnominales sans pronoms relatifs mais avec despronoms ordinaires occupant la position canonique du terme relativisé (tswana, etc.). L'utilisationde relatives enchâssées prénominales semble impliquer des restrictions relativement fortes, et lesrestrictions sont encore plus fortes dans le cas des relatives enchâssées circumnominales.

Il est intéressant d'observer aussi que dans les langues à relatives postnominales danslesquelles plusieurs stratégies sont en concurrence en ce qui concerne le traitement précis de laposition R (ce qui est extrêmement commun, surtout si on prend en considération les usagesfamiliers plus ou moins censurés par les grammairiens normatifs), la stratégie des "pronomsrésomptifs" consistant à traiter le terme R de la même façon que s'il était l'objet d'une anaphorediscursive est d'autant plus utilisée que la fonction R se situe vers le bas de la hiérarchied'accessibilité. En particulier, une situation courante est celle de langues qui n'ont recours à cettestratégie que dans le cas où R n'est pas le sujet ou l'objet direct du verbe qui constitue le noyauprédicatif de la relative.

De manière analogue, on constate que dans les relatives postnominales, les pronoms relatifssont d'autant plus utilisés que la position considérée se situe vers le bas de la hiérarchie

d'accessibilité. Toutefois, l'inventaire des fonctions relativisables au moyen de pronoms relatifsn'atteint jamais ce que l'on peut observer avec la stratégie consistant à placer un pronom ordinairedans la position canonique du terme R

Les ex. (12) à (14) illustrent le fait que la stratégie qui assimile le terme R à un terme donnantlieu à une anaphore discursive permet la relativisation de termes dont la relativisation estgénéralement impossible dans les langues qui n'utilisent pas librement cette stratégie. Onpourrait aisément trouver des exemples analogues en occitan, en tswana, etc.

(12) gallois

'r het y gwn y dyn a' i gadewoddDEF chapeau queconnaître.S1S DEF homme quelui laisser.S3S

ar y fordsur DEF table

litt. ‘le chapeau que je connais l'homme qu'il l'a laissé sur la table’

(13) arabe égyptien

al-rajul allathi hua waibna-hu thahabu ille New YorkDEF-homme JONCTlui et fils-3MS aller.S3P à New York

litt. ‘l'homme que lui et son fils sont allés à New York’

(14) hébreu moderne

ha-pshaim she ha-mishtara lo yodat mi bitsea otamDEF-crimes queDEF-police NEG savoir.S3S  qui commettre.S3S eux

litt. ‘les crimes que la police ne sait pas qui les a commis’

8. Langues où les constructions relatives constituent seulement un cas particulier d'unestructure de subordination ayant une valeur plus générale

Le warlpiri (langue australienne) est cité, dans la littérature sur la typologie des relatives,comme un exemple de langue qui n'a pas à proprement parler de construction syntaxiquerelevant intrinsèquement de la relativisation. Dans cette langue, la signification considérée

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comme caractéristique des structures de relativisation apparaît seulement comme un effet de sensque peut produire dans certaines condition une structure qui a une valeur de subordination plusgénérale.

Le warlpiri a un subordinateur kuja  dont la valeur de base semble être d'exprimer lasimultanéité (c'est-à-dire un signifié du même type que celui des affixes qui, dans les langues

européennes, s'ajoutent à des bases verbales pour donner les formes communément appeléesgérondifs). Ce subordinateur correspond sans ambiguïté à quand   lorsqu'il introduit unesubordonnée qui ne comporte aucune position vide qui puisse s'identifier à l'un des termesnominaux de la principale, comme dans l'ex. (15a). Par contre, lorsque la subordonnée introduitepar kuja comporte une position vide pouvant être identifiée à un terme nominal de la principale,comme dans l'ex. (15b), deux interprétations sont possibles: la subordonnée peut être comprisecomme représentant un événement simultané à celui que représente la principale, ou bien commesignifiant une propriété qui sert pour déterminer un terme de la principale.

(15) warlpiri

a. Ngarrkangku ka marlu luwarnihomme.SUJ AUX kangouroutire+sur

kuja ka wardapi palkamani karntangkukuja  AUX goanna attrape femme.SUJ

‘L'homme tire sur le kangourou tandis que la femme attrape le goanna’

b. Ngarrkangku ka marlu luwarnihomme.SUJ AUX kangouroutire+sur

kuja ka marna ngarnikuja  AUX herbe manger

(1) ‘L'homme tire sur le kangourou pendant que celui-ci broute de l'herbe’

(2) ‘L'homme tire sur le kangourou qui broute de l'herbe’

Mais cette situation n'est pas aussi "exotique" qu'on pourrait le penser à première vue, car iln'est pas difficile de trouver des cas semblables d'ambiguïté jusque dans les langues qui de l'avisgénéral ont des relatives. En particulier, dans les langues d'Europe, il est fréquent que des unitésphrastiques avec un gérondif en fonction de noyau prédicatif puissent s'interpréter, ou bien

comme des relatives qui déterminent le nom auquel elles succèdent, ou bien comme équivalentesà des subordonnées circonstancielles. Par exemple, en anglais, une unité phrastique avec le verbeau gérondif placée au début d'une phrase complexe s'interprète nécessairement commesubordonnée non relative (de type circonstanciel), mais il y a une possibilité d'ambiguïté si elleest placée à la fin de la phrase complexe – ex. (16)

(16) anglais

a. Chasing the thief, the policeman broke a leg‘En poursuivant le voleur, le policier s'est cassé la jambe’

b. We found the man smoking a havana(1) ‘Nous avons trouvé l'homme alors qu'il fumait un havane’

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(2) ‘Nous avons trouvé celui parmi les hommes qui fumait un havane’

En espagnol, l'ex. (17) illustre un cas où c'est seulement l'intonation qui peut faire ladistinction entre subordonnée relative et subordonnée non relative de type circonstanciel.

(17) espagnol

a. Pása-me la salque está cerca de tí  passe.IMPER-D1SDEF sel que être.S3S près de toi

‘Passe-moi le sel qui est près de toi’

b. Pása-me la sal, que está cerca de tí  passe.IMPER-D1SDEF sel que être.S3S près de toi

litt. ‘Passe-moi le sel, qu'il est près de toi’ (c'est-à-dire ‘… puisqu'il est près de toi’)

Le français aussi permet d'observer des possibilités d'ambiguté entre subordonnées relatives

et subordonnées non relatives équivalentes à un modifieur génitival, cette ambiguïté s'expliquantpar l'utilisation de que pour introduire certaines relatives et par l'incompatibilité de que avec lapréposition de – ex. (18).

(18)  français

C'est la preuve que je cherchais(1) ‘Parmi les preuves possibles, c'est celle que cherchais’ (relative)

(2) ‘C'est la preuve du fait que je cherchais’ (complétive)

En résumé, cela n'a pas de sens de chercher à faire une dichotomie entre langues "avecrelatives" et langues "sans relatives". Toutes les langues ont des constructions dans lesquellesune unité phrastique peut s'interpréter comme l'expression d'une propriété qui sert à préciser leréférent d'un terme nominal d'une autre unité phrastique. Ce qui varie effectivement d'une langueà l'autre, c'est le degré de spécialisation des constructions syntaxiques impliquées dansl'expression de la relativisation. Dans beaucoup de langues, des constructions spécialisées dansl'expression de la relativisation coexistent avec des constructions qui ont une valeur plus généralede subordination mais qui dans certaines conditions peuvent s'interpréter comme l'expressiond'un mécanisme de relativisation. Les langues parfois citées comme langues "sans relatives"doivent plutôt être considérées comme le cas limite de langues qui n'ont pas de constructionsspécialisées dans l'expression de la relativisation: ces langues connaissent le mécanisme de

relativisation, mais l'expriment toujours dans le cadre de constructions qui ont une valeur pluslarge de subordination et qui nécessitent certaines conditions pour pouvoir s'interpréter commel'expression d'une relativisation.

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10

La complémentation

 Extraits de

"Grammaire méthodique du français" M. Riegel, J.C. Pellat, R. Rioul. PUF 1994.

Chapitre XIV  Les complétives pp491-499

(Voir supplément de lecture)

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Université Lumière (Lyon 2)Département de Sciences du Langage

SUPPLEMENT DU COURS DE SYNTAXE DE MAITRISE

 REVISIONS DU 

COURS DE SYNTAXEde licence

parDenis Creissels

2ème partie

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Chapitres à revoir pour le cours de maîtrise

13. Rôles discursifs, sémantiques et syntaxiquesdes termes nominaux de l'unité phrastique

14. Sujet, objet, datif, obliques

15. Typologie des manifestations des fonctions sujet

  et objet

***********

18. Passif et causatif 

************

22. La phrase complexe (remarques générales)

23. La relativisation

24. La complémentation

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Liste des abréviations utilisées dans les gloses des exemples

1S / 2S / 3S : 1ère / 2ème / 3ème personne dusingulier1P / 2P / 3P : 1ère / 2ème / 3ème personne duplurielA… : indice se référant à un agentABL : ablatif ABS : forme absolue du nomAC : marque d'aspect accompliALIÉN : marque de possession aliénableALL : allatif APPL : applicatif APSF : antipassif ASSERT : marque d'assertionAUX : auxiliaireCAUS : causatif CL1, CL2, etc. : classe 1, classe 2, etc. (langues

bantoues)CLAS : classificateurCONS : consécutif COP : copuleD… : indice de datif DAT : marque de la fonction datif DÉCL : déclaratif DÉF : définiDÉM : démonstratif DÉR : dérivatif DJT : en tswana, marque de forme verbale"disjointe" (qui ne peut être suivie d'aucuncomplément)ERG : marque du sujet d'une cosntruction transitive,dans un système de type ergatif ÉVID : marque d'évidentialitéEXPL : explétif F(ÉM) : fémininFIN : en tswana, voyelle finale du verbe qui varieselon le tiroir verbalFOC : marque de focalisationFOCSUJ : morphème qui indique la focalisation dusujetFOCCOMP : morphème qui indique la focalisationd'un complémentFOCV : morphème qui indique la focalisation duverbe

FUT : futurGÉN : marque de la fonction génitif GÉR : morphème de gérondif IMP : imparfaitIMPÉR : impératif INAC : marque d'aspect inaccompliINAL : marque de possession inaliénableINDÉF : indéfiniINF : morphème d'infinitif INSTR : instrumentalINTER : marque d'interrogationJONCT : joncteur

LOC : locatif 

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1

Leçon 13

Rôles discursifs, sémantiques et syntaxiquesdes termes nominaux de l'unité phrastique

1. Rôles discursifs

1.1. Definition

A partir d'un même ensemble de constituants nominaux et d'un même verbe en fonction denoyau prédicatif, le système des langues permet de construire des phrases de sens dénotatif identique (qui ont la même valeur de vérité quelle que soit la situation de référence envisagée),mais qui présentent différemment l'information qu'elles apportent, et qui par conséquent ne sontpas compatibles avec les mêmes contextes discursifs. Par exemple, en espagnol, les phrases (1a)et (1b) ont le même sens dénotatif, mais la considération de mini-dialogues comme ceux des ex.(1c-f) permet de constater qu'elles ne peuvent pas s'utiliser de manière équivalente dans descontextes discursifs qui imposent un type précis de présentation de l'information.

(1) espagnol

a. Consuelo preparó la sangríaConsuelo préparer.TAM.S3S DEF sangría

‘Consuelo a préparé la sangría’

b. La sangría la preparó ConsueloDEF sangríaO3S préparer.TAM.S3S Consuelo

même sens dénotatif que (1a)

c. A ¿Qué hizo Consuelo?  quoi?faire.TAM.S3S Consuelo‘Qu'est-ce que Consuelo a fait?’

B Consuelo preparó la sangría / *La sangría la preparó Consuelo

d. A ¿Preparó Consuelo los bocadillos? préparer.TAM.S3S Consuelo DEF.PL sandwichs

‘Consuelo a préparé les sandwichs?’B No, Consuelo preparó la sangría / *La sangría la preparó Consuelo

e. A ¿Preparó Paquita la sangría?  préparer.TAM.S3S Paquita DEF sangría‘Paquita a préparé la sangría?’

B No, la sangría la preparó Consuelo

f. A ¿Quién preparó la sangría?  qui? préparer.TAM.S3S DEF sangría‘Qui a préparé la sangría?’

B La sangría la preparó Consuelo

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2

1.2. Topique, topicalité, topicalisation

Le topique est le point de départ de l'énonciation, ce à partir de quoi l'énonciateur développeun commentaire. Deux types de facteurs peuvent conditionner le choix d'un topique:

 – le contexte : des éléments déjà connus s'utilisent plus naturellement comme topiques quedes éléments inconnus, et par exemple, en réponse à des questions dans lesquelles figurent despronoms ou adverbes interrogatifs, le topique dépend totalement de la question posée (parexemple, la réponse à la question de l'ex. (1f) peut se construire en prenant la sangría commetopique, mais dans le même contexte discursif, il serait incorrect de prendre comme topique lenom de la personne qui a préparé la sangría);

 – les propriétés de topicalité  que possèdent intrinsèquement les noms, ou qui découlent deleur rôle sémantique dans la phrase: les humains (trait intrinsèque), ou les agents (trait quidépend du rôle joué par le référent du nom dans l'événement auquel se réfère le verbe) s'utilisentplus naturellement comme topiques que les non humains, ou les patients).

Le terme de topicalisation se réfère à des constructions dont la fonction est de signaler

explicitement un constituant qui joue le rôle discursif de topique. Par exemple, la construction dela phrase espagnole La sangría la preparó Consuelo implique une organisation discursive danslaquelle la sangría joue le rôle de topique.

Les procédés de topicalisation varient d'une langue à une autre (cf. leçon 19), et lesconstructions topicalisantes ne s'utilisent pas avec la même fréquence dans toutes les langues.

Il est important de ne pas confondre les notions de topique, déjà mentionné  et connu. Lesnotions de topique, de référent déjà mentionné et de référent connu ont entre elles des affinitésévidentes, mais ne coïncident pas: le choix d'un topique est fondamentalement une décision del'énonciateur, et le caractère ±connu, ±mentionné des constituants nominaux de la phrase sontseulement des facteurs qui peuvent influencer cette décision; en particulier:

 – l'utilisation d'un nom propre implique la référence à une personne connue à la fois del'énonciateur et de l'allocutaire, mais les noms propres ne fonctionnent pas forcément commetopiques;

 – il est parfaitement possible de construire une phrase en prenant comme topique unconstituant nominal qui ne se réfère pas à des personnes, des choses ou des faits connus ou déjàmentionnés, comme par exemple ce qui est surprenant   dans la deuxième phrase du mini-dialogue (2).

(2)  français

A Tu sais que Jean vient de s'acheter une voiture?

B Oui, et ce qui est surprenant, c'est qu'il n'a même pas le permis

1.3. Focus, focalisation

Le focus est un élément de la phrase présenté comme particulièrement chargé d'une valeurinformative. La notion de focus est particulièrement évidente dans la réponse à des questions quiincluent pronoms ou adverbes interrogatifs: dans un tel contexte, le focus ne peut être que leconstituant qui correspond à l'interrogatif – ex. (3a); un autre type de contexte utile pour mettreen évidence la notion de focus est le contexte de rectification – ex. (3b).

(3) espagnol

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3

a. A ¿Quién te ha prestado ese libro?  qui D2S AUX.S3S prêté DEM livre

‘Qui t'a prêté ce livre?’

B Ese libro melo ha prestado JuanDEM livre D1S O3S AUX.S3S prêté Juan

‘C'est Juan qui m'a prêté ce livre’

b. A Me acaban de decir que Juan ha aprobadoD1S finir.S3P de dire que Juan AUX.S3S réussi

‘On vient de me dire que Juan a réussi’

B No, los que han aprobado son Pedro y Antonionon DEF.PL queAUX.S3P réussi être.S3P Pedro et Antonio

‘Non, ceux qui ont réussi sont Pedro et Antonio’

Le terme de focalisation se réfère à des constructions dont la fonction est de signalerexplicitement un constituant qui joue le rôle discursif de focus. Par exemple, la construction dela phrase  Ese libro me lo ha prestado Juan, avec le sujet en position finale, implique uneorganisation discursive dans laquelle Juan  joue le rôle de focus.

Encore plus que les procédés de topicalisation, les procédés de focalisation varient d'unelangue à une autre (cf. leçon 19), et les constructions focalisantes ne s'utilisent pas dans toutesles langues avec la même fréquence.

2. Rôles sémantiques

2.1. Rôles sémantiques particuliers et types de rôles sémantiques

Le terme de rôle sémantique se réfère à ce qu'implique le verbe quant au rôle que joue l'entitéreprésentée par un constituant nominal dans le procès signifié par le lexème verbal. Par exemple,le verbe frapper représente un événement qui implique au moins deux participants, le frappeur etle frappé, et la construction de la phrase permet de savoir que la personne désignée comme  Jean

est le frappeur en (4a) et le frappé en (4b), tandis que la personne désignée comme Paul est lefrappé en (4a) et le frappeur en (4b).

(4)  français

a. Jean a frappé Paul

b. Paul a frappé Jean

Le problème est de répartir en un nombre limité de types les rôles particuliers que chaqueverbe assigne aux constituants nominaux avec lesquels il se construit. Par exemple, le verbeenfoncer dans une phrase comme Le policier a enfoncé la porte  assigne à son sujet et à sonobjet les rôles d'"enfonceur" et "enfoncé", et on admet aisément d'identifier le rôle de "frappeur"et le rôle d'"enfonceur" comme deux cas particuliers d'un même super-rôle "agent", et d'identifierde même le rôle de "frappé" et le rôle d'"enfoncé" comme deux cas particuliers d'un mêmesuper-rôle "patient". Mais les choses sont loin d'être toujours aussi évidentes.

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Par exemple, à première vue, les notions d'agent et de patient qui viennent d'être évoquées àpropos des verbes frapper et enfoncer semblent convenir pour caractériser les rôles que le verbemanger assigne à son sujet et à son objet. Mais à y regarder de plus près, on peut voir que lesnotions d'agent et de patient impliquent typiquement un changement qui affecte le patient, etseulement le patient; or dans le cas de manger, les deux protagonistes changent d'état (la

personne qui mange passse de l'état de faim à l'état de satiété). En d'autres termes, à la différencedu sujet de frapper ou d'enfoncer, le sujet de manger ne représente pas un agent prototypique.L'important ici est qu'il ne s'agit pas seulement de nuances de sens, mais de distinctions quipeuvent s'avérer pertinentes pour expliquer certains phénomènes linguistiques. Par exemple, enespagnol, il est usuel d'utiliser comerse litt. "se manger" comme synonyme de comer  "manger",alors qu'il n'y a pas la même possibilité de synonymie entre golpear  "frapper" et la formepronominale golpearse.

On est confronté ici à un problème classique de catégorisation: il ne semble en effet paspossible d'établir une liste de types de rôles sémantiques qui permette de classer sans difficultéles rôles que chaque verbe particulier assigne aux constituants nominaux qui représentent sesarguments. Chaque fois qu'on croit avoir établi une liste de types de rôles suffisante pour rendre

compte de tous les phénomènes grammaticaux conditionnés par des différences de rôlesémantique, une étude plus fouillée fait apparaître des phénomènes qui obligent à introduire desdistinctions supplémentaires.

Par exemple, le rôle de "force" (distinct à la fois du rôle d'"agent" et du rôle d'"instrument" –cf. section 2.2) figure rarement dans les listes de types de rôles sémantiques qu'on peut trouverdans la littérature, mais la reconnaissance de ce type de rôle est nécessaire pour expliquer leconditionnement de la construction russe qu'illustre l'ex. (5).

(5) russe

a. Stenurazbilo molniejmur.OBJ détruire.PAS.NEU foudre.INSTR

‘Le mur a été détruit par la foudre’

b. *Stenu razbilo ljud'mi  mur.OBJ détruire.PAS.NEU gens.INSTR

c. *Dver' otkrylo kljuc&om  porte.OBJ ouvrir.PAS.NEU clef.INSTR

La seule façon de résoudre ce problème sans allonger indéfiniment la liste des types de rôles

sémantiques est d'admettre que des super-rôles (ou macro-rôles) sémantiques comme "agent","patient", etc. sont des prototypes, et que les rôles précis qu'assigne chaque verbe ne s'identifientpas forcément de façon simple à l'un des prototypes.

2.2. Les principaux types de rôles sémantiques

Il n'y a aucun consensus sur l'inventaire des types de rôles sémantiques utiles pour expliquerles phénomènes syntaxiques, et en outre plusieurs types de rôles (même parmi les plusimportants) posent de délicats problèmes de terminologie.

Examinons d'abord quelques termes qui peuvent s'utiliser sans risque d'ambigüité pour seréférer à des types de rôles sémantiques communément reconnus dans la littérature:

 – un agent  prototypique est un être animé qui exerce de manière consciente et volontaire une

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action qui provoque chez un patient un changement d'état – ex. (6a); – un patient  prototypique subit un changement d'état sous l'effet d'une cause extérieure (agent

ou force) – ex.(6b); – une force est une entité non animée qui affecte de manière inconsciente et involontaire un

patient – ex. (6c);

 – un expérient  est un être animé qui éprouve une sensation ou un sentiment – ex. (6d); – un stimulus est ce qui est à l'origine d'un sentiment ou sensation éprouvé par un être animé – ex. (6e);

 – un destinataire est un être animé vers lequel quelque chose ou quelqu'un se déplace ou estdéplacé – ex. (6f);

 – un bénéficiaire est un être animé qui tire profit d'une action qui ne l'affecte pas directement – ex. (6g);

 – un instrument  est un objet grâce auquel un agent effectue une action – ex. (6h); – une localisation est un lieu où se déroule un événement, ou un lieu où est située une entité –

ex. (6i); – une destination  est un lieu vers lequel quelque chose ou quelqu'un se déplace ou est

transféré – ex. (6j); – une provenance est un lieu à partir duquel quelque chose ou quelqu'un se déplace ou est

transféré – ex.(6k).

(6)  français

a. Le chien a mordu l'enfant

b. Le chien a mordu l'enfantLe vent a cassé la branche

c. Le vent a cassé la branche

d. Les enfants aiment les bonbonsJean aime Marie

e. Les enfants aiment les bonbonsJean aime Marie

f. J'ai remis au directeur le rapport qu'il m'avait demandé

g. J'ai acheté des cadeaux pour les enfants

h. J'ai enfoncé le clou avec un marteau

i. Les enfants jouent dans la cour

 j. Je vais à la piscine tous les jours

k. Je viens du marché

Mais, dans la discussion de phénomènes grammaticaux conditionnés par des différences derôle sémantique, il est souvent indispensable de se référer aux types de rôles suivants, qui

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malheureusement ne correspondent à aucun terme d'usage courant: – "entité qui se trouve dans un état" (parfois désigné comme thème, notamment dans les

travaux plus ou moins inspirés de la grammaire générative, mais l'utilisation de ce terme pour seréférer à un rôle sémantique peut générer des confusions, compte tenu du fait qu'on l'utilisetraditionnellement comme plus ou moins équivalent à topique) – ex. (7);

(7)  français

a. Le livre est sur la table

b. l'enfant dort

  – "entité qui subit un processus dont la cause est inconnue, indirecte ou non mentionnée" –ex. (8); ce type de rôle est souvent confondu avec celui de patient, mais sa reconnaissancecomme type distinct est en particulier cruciale pour l'étude de la voix moyenne – cf. leçon 17;

(8)  français

a. La terre tremble

b. Le verre s'est cassé en tombant

c. La porte s'est ouverte

  – "être animé qui contrôle un état, une position" – ex. (9);

(9)  français

a. C'est moi qui garde l'argent?

b. L'armée ennemie occupe le pays

 – "entité dont l'existence est le résultat de l'action ou du processus auquel se réfère le verbe" –ex. (10);

(10)  français

a. Les mineurs ont creusé une galerie

b. Les pins secrètent de la résine

3. Rôles syntaxiques des constituants nominaux de l'unité phrastique

3.1. Definition

Le terme de rôle syntaxique renvoie, en ce qui concerne les constituants nominaux de l'unitéphrastique, à des notions comme sujet, objet direct, etc.

Nous venons de voir que chaque verbe détermine les rôles sémantiques possibles pour lesconstituants nominaux avec lesquels il se combine pour former une unité phrastique. Mais la

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possibilité de reconnaître le rôle sémantique attribué à chaque constituant nominal de l'unitéphrastique implique au moins dans une partie des cas que, syntaxiquement, chacun desconstituants nominaux qui forment la construction d'un verbe présente aussi des propriétésformelles qui le distinguent des autres.

Les contrastes formels entre constituants nominaux appartenant à la construction d'un même

verbe peuvent mettre en jeu: – les propriétés de position des constituants nominaux par rapport au verbe – ex. (11);

(11)  français

a. Marie a préparé le repas

b. *Le repas a préparé Marie

 – la présence d'affixes casuels ou d'adpositions – ex. (12);

(12)  français

a. Jean pense à son projet

b. *A Jean pense son projet

 – les phénomènes d'accord entre le verbe et certains termes nominaux qui font partie de saconstruction – ex. (13);

(13)  français

a. L'enfant a mangé le gâteau

b. Les enfants ont mangé le gâteau

c. *L'enfant ont mangé les gâteaux

 – des différences de comportement dans des mécanismes discursifs variés, notammentl'anaphorisation (ou renvoi à un référent précédemment introduit dans le discours – ex. (14).

(14)  français

a. Le chien poursuit le chat

b. (le chien …) Il-poursuit le chat

c. (le chat …) Le chien le-poursuit

La discussion de la possibilité de réduire les contrastes entre les constituants nominauxsusceptibles d'entrer dans la construction de chaque verbe à un nombre limité de types universelsde rôles syntaxiques (sujet, objet, …) sera abordée à la leçon 14. Ici on se limite à présenter desobservations qui montrent la nécessité d'introduire dans la description des langues une notion derôle syntaxique indépendante à la fois de la notion de rôle discursif et de la notion de rôle

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8

sémantique.

3.2. Absence de correspondance simple et directe entre les propriétésmorphosyntaxiques des termes nominaux de la phrase et les rôles sémantiques assignés

à leurs référents

Nous venons de voir à la section 3.1 que les constituants nominaux qui entrent dans laconstruction d'un même verbe manifestent généralement des différences de comportementmorphosyntaxique en relation avec des différences de rôle sémantique. Mais ceci n'implique pasqu'il soit possible d'identifier de manière simple chaque type de rôle syntaxique qui existe dansune langue à un type précis de rôle semantique. Et effectivement, on constate qu'un même rôlesyntaxique peut selon le verbe renvoyer à des rôles sémantiques différents: dans toutes lesphrases de l'ex. (15), le constituant souligné est syntaxiquement en fonction de sujet, maissémantiquement, c'est seulement dans la phrase (a) qu'on peut le caractériser comme agent.

(15)  français

a. Marie a préparé le repas

b. Marie a subi une opération des yeux

c. Marie est tombée amoureuse de Jean

d. Marie est dans le jardin

e. Marie ressemble beaucoup à sa mère

f. Marie a les yeux bleus

Il est même possible que selon le contexte un même verbe assigne des rôles sémantiquesdifférents à son sujet: dans l'ex. (16), le sujet du verbe attraper reçoit le rôle sémantique d'agenten (a), mais pas en (b).

(16)  français

a. Le chat a attrapé une souris

b. L'enfant a attrapé une bonne grippe

La question de savoir si inversement un même rôle sémantique peut correspondre à des rôlessyntaxiques différents ou non est par contre une question controversée; un certain nombre dethéoriciens soutiennent que les différences de comportement syntaxique sont toujoursrévélatrices de différences dans la façon de conceptualiser les événements ou les situations dontparlent les énoncés. Ce qui reste toutefois indiscutable, c'est que pour décrire une même situationde référence, il est possible d'utiliser des phrases qui diffèrent dans le traitement syntaxique desconstituants nominaux qui se réfèrent aux participants à un événement – ex.(17).

(17)  français

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a. Le chien a fait peur à l'enfant / L'enfant a eu peur du chien

b. Jean a vendu sa voiture à Paul / Paul a acheté la voiture de Jean

3.3. Absence de correspondance simple et directe entre les propriétés

morphosyntaxiques des termes nominaux de la phrase et leurs rôles discursifs

Il n'y a pas non plus de correspondance simple et directe entre rôles discursifs et phénomènesmorphosyntaxiques. Par exemple, la définition traditionnelle du sujet dans la description deslangues romanes suggère la possibilité d'identifier la notion syntaxique de "nom dont certainesvariations peuvent être mises en relation avec des variations de la terminaison verbale" et lanotion discursive de "la personne ou la chose dont on parle" (ou topique). Mais on peutreprendre ici – ex. (18a) – une des phrases de l'ex. (1) dans laquelle le rôle syntaxique de sujet etle rôle discursif de topique sont assumés par deux constituants différents: la comparaison avec(18b) montre que dans cette phrase, le sujet défini comme le nom dont certaines variations sontcorrélées avec des variations de la terminaison verbale n'est pas du point de vue discursif le

topique, mais le focus.

(18) espagnol

a. La sangría la preparó ConsueloDEF sangríaO3S préparer.TAM.S3S Consuelo

‘La sangría, c'est Consuelo qui l'a préparée’

b. La sangría la preparé yoDEF sangríaO3S préparer.TAM.S1S moi

‘La sangría, c'est moi qui l'ai préparée’

Une situation semblable s'observe dans l'ex. (19): l'accord en nombre avec le verbe montreque l'interrogatif a les propriétés morphosyntaxiques requises pour être reconnu comme sujet,mais du point de vue discursif, il y a incompatibilité entre le sens intrinsèque de l'interrogatif (que signifie la recherche d'une information inconnue de l'énonciateur) et la notion même detopique.

(19) espagnol

a. ¿Quién vino?

  qui venir.TAM.S3S‘Qui est venu?’

b. ¿Quiénes vinieron?  qui.PL venir.TAM.S3P

‘Quelles personnes sont venues?’

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11

Leçon 14

Sujet, objet (direct), datif et obliques

1. Introduction

Chaque langue a son propre système de contrastes formels entre les constituants nominauxqui entrent avec des rôles sémantiques variés dans la construction d'un même verbe. Comme celaa déjà été indiqué à la leçon 13, ce système de constrastes met en jeu des caractéristiquesmorphosyntaxiques (variables d'une langue à l'autre) dont certaines peuvent être mises enévidence de manière relativement directe:

 – position des constituants nominaux relativement au verbe; – utilisation de formes des noms variables selon leur rôle dans la construction du verbe, ou

combinaison des constituants nominaux avec des adpositions (pré- ou postpositions); – mécanismes d'accord entre le verbe et certains constituants nominaux.Mais la notion de fonction syntaxique des termes nominaux de l'unité phrastique ne se limite

pas à ce type de caractéristiques: elle met en jeu aussi des différences de comportement moinsimmédiatement évidentes dans le cadre de divers types de mécanismes discursifs, et, commenous allons le voir, cet aspect de la question est crucial dans une discussion de la possibilité dereconnaître des types universels de rôles syntaxiques.

2. La notion de sujet en syntaxe générale

2.1. Impossibilité de fonder une notion universelle de sujet sur des critères

morphosyntaxiques simples et évidents

L'universalité de la notion de sujet est une question controversée. Le problème est que, detous les critères morphologiques immédiatement observables traditionnellement utilisés pourreconnaître le sujet dans des langues particulières (position dans l'unité phrastique, cas"nominatif", accord du verbe avec le sujet et seulement avec le sujet, nécessité de la présence dusujet ou d'un indice qui le représente), aucun n'est universel:

 – c'est seulement dans certaines langues que le constituant sujet est distinct dans sa formemême de tous les autres termes nominaux de l'unité phrastique;

 – comme nous le verrons à la leçon 15, il y a des langues (par exemple le hongrois) danslesquelles la position des constituants nominaux relativement au verbe dépend exclusivement de

leur fonction discursive; – en ce qui concerne la nécessité de la présence du sujet ou d'un indice qui le représente, les

observations sur les types de phrases minimales attestés à travers les langues montrent que cecritère est utilisable dans certaines langues seulement.

En effet, avec les verbes qui sémantiquement peuvent être considérés comme verbes à unargument (comme par exemple courir, tomber, mourir, etc.), on peut dégager d'une langue àl'autre cinq types minimaux de phrases assertives indépendantes minimales, selon que le systèmede la langue impose ou non la présence d'un constituant nominal ou d'un indice pronominalreprésentant l'unique argument du verbe:

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 – type A: il n'y a aucun indice pronominal qui se réfère à l'argument, mais celui-ci doitnécessairement représenté par un constituant nominal (qui peut éventuellement être un pronom,mais un pronom qui n'est pas morphologiquement lié au verbe)1 – ex. (1);

(1) suédois

a. Flicka-n tal-ar ‘La fille parle’

fille-DEF parler-PRES

b. Flick-or-na tal-ar ‘Les filles parlent’

fille-PL-DEF parler-PRES

c. Jag tal-ar ‘Je parle’

d. Du tal-ar ‘Tu parles’

e. *Tal-ar (le verbe seul ne constitue pas une phrase complète)

 – type B: l'argument est nécessairement représenté par un indice pronominal mais ne doit pasnécessairement apparaître sous forme de constituant nominal – ex. (2);

(2) espagnol

a. Juan vin-oJuan venir-3S

‘Juan est venu’

b. Vin-evenir-1S

‘Je suis venu’

c. Vin-istevenir-2S

‘Tu es venu’

d. Vin-ovenir-3S

‘Il est venu’

 – type C: l'argument est obligatoirement représenté, soit par un indice pronominal (morphèmelié), soit sous forme de constituant nominal, mais pas par les deux à la fois – ex.(3).

 1 On acceptera sans démonstration que les pronoms sujets du suédois, à la différnece des pronoms conjoints dufrançais, ne sont pas morphologiquement liés au verbe, mais en toute rigueur, il faudrait pour en donner la preuved'autres données que les phrases minimales citées à l'ex. (24).

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(3) anyi  

a.   kuakuÚ dafîÚ kuakuÚ fiteÚKouakou dormir Kouakou sortir‘Kouakou dort’ ‘Kouakou dort’

b.  O-dafîÚ o-fiteÚ3S-dormir 3S-sortir

‘Il dort’ ‘Il sort’

c.   bE-dafîÚ be-fiteÚ3P-dormir 3P-sortir

‘Ils dorment’ ‘Ils sortent’

(le fait que la voyelle du morphème qui représente l'unique argument en (b) et (c) varie selon une

règle d'harmonie vocalique prouve la dépendance morphologique de ce morphème)

 – type D: l'argument doit nécessairement être représenté à la fois par un indice pronominal etun constituant nominal – ex. (4);

(4) allemand 

a. Ich geh-emoi aller-1S

‘Je vais’

b. *Geh-e

c. Du geh-sttoi aller-2S

‘Tu vas’

d. *Geh-st

 – type E: il n'y a aucun indice pronominal se référant à l'argument, et celui-ci n'est pas nonplus nécessairement représenté par un constituant nominal – ex. (5).

(5)  japonais

a. Reikoo-wa iki-mash-itaReiko-TOP partir-POL-TAM

‘Reiko est partie’

b. Watashi-waiki-mash-itamoi-TOP partir-POL-TAM

‘Je suis parti’

c. Anata-wa iki-mash-ita

toi-TOP partir-POL-TAM‘Tu es parti’

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d. Iki-mash-itapartir-POL-TAM

selon le contexte, peut s'interpréter comme ‘Je suis parti’, ‘Tu es parti’, ‘Il est parti’, etc.

Donc, il n'existe aucune possibilité de caractériser universellement comme "sujet" l'uniqueargument de tels verbes en s'appuyant sur le critère de nécessité de l'expression du sujet (qui estmis en défaut de manière particulièrement nette dans le type E) ou sur le critère d'accord duverbe avec le sujet.

Avec les verbes à deux arguments, on peut a priori prévoir pour chaque argument les 5possibilités énumérées ci-dessus, ce qui donne théoriquement 25 configurations possibles.Toutes ne sont pas attestées et il serait difficile de dire exactement lesquelles le sont, mais parmiles possibilités attestées, il y en a qui donnent des arguments supplémentaires contre l'idée de lieruniversellement la notion du sujet aux critères de l'expression nécessaire du sujet ou de l'accorddu verbe avec le sujet. Par exemple, parmi les langues qui au niveau des verbes à un argumentont une indexation obligatoire du l'unique argument par un morphème lié, il y en a qui présentent

exactement le même phénomène avec les deux arguments des verbes à deux arguments – (6), cequi rend inutilisable le critère de l'accord pour décider de reconnaître l'un des deux argumentscomme sujet.

(6) k'ichee'

a. X-e'-u-chap ka'iib'kuuk ri tz'i'TAM-3P-3S-attraper deux écureuil DEF chien

‘Le chien a attrapé deux écureuils’

b. X-Ø-ki-chap jun kuuk ri ak'alaab'TAM-3S-3P-attraper un écureuil DEF enfant.PL

‘Les enfants ont attrapé un écureuil’

c. X-in-ki-chapoTAM-1S-3P-attraper

‘Ils m'ont attrapé’

d. X-e-nu-chapoTAM-3P-1S-attraper

‘Je les ai attrapés’

2.2. Arguments en faveur de l'universalité de la notion de sujet

Il existe toutefois des arguments solides en faveur de l'universalité de la notion de sujet: danstoutes les langues dont la syntaxe est relativement bien connue, il existe des mécanismessyntaxico-discursifs dont le fonctionnement implique une hiérarchie syntaxique des termesnominaux qui font partie de la construction d'un même verbe. On doit donc pouvoir dégageruniversellement dans les langues une notion de sujet comme terme nominal de l'unité phrastiqueauquel s'attache un maximum de propriétés qui vont dans le sens d'un statut hiérarchiquementsupérieur.

Parmi les principaux mécanismes qui (selon les langues) permettent d'établir une hiérarchiesyntaxique des constituants nominaux de l'unité phrastique (et qui par conséquent peuvent servir

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à justifier l'introduction de la notion de sujet dans la description des langues) on peut mentionnerles suivants:

 – la réflexivisation, c'est-à-dire la possibilité d'interpréter certains pronoms comme coréférentsd'un autre terme nominal de la même phrase; l'ex. (7) montre par exemple qu'en français, lui-

même est acceptable en position de sujet, mais ne peut pas dans ce cas s'interpréter comme

coréférent d'un autre terme de l'unité phrastique, alors que c'est cette interprétation qui est usuellesi ce pronom occupe une position autre que sujet; l'ex. (8) montre que un "adjectif possessif"inclus dans le groupe sujet ne peut pas tirer sa référence d'un autre terme nominal de la mêmeunité phrastique.

(7)  français

a. Jean parle de Marie

b. Jeani parle de lui-mêmei

c. *Lui-mêmei parle de Jeani

d. Comment tu sais que Jeani va se marier? – Lui-mêmei me l'a dit

(8)  français

a. Jeani a aidé soni/j frère

b. Soni frère a aidé Jean j  / *Soni frère a aidé Jeani

c. Quand soni frère a eu des problèmes, Jean

i l'a aidé

 – l'impératif: beaucoup de langues ont des formes verbales spéciales qui syntaxiquement secaractérisent par l'impossibilité de se construire avec un sujet (alors que rien n'est modifié dansle reste de leur construction), et qui signifient que l'allocutaire doit s'identifier au rôle sémantiqueque les autres formes du même verbe assignent à leur sujet; par exemple, à partir d'un schèmeprédicatif comme A achète B à C, l'impératif achète B à C! constitue une mise en demeure devalider tu A achètes B à C ; rien d'équivalent n'existe pour les arguments autres que le sujet.

 – la réduction de séquences d'unités phrastiques qui représentent une successiond'événements (consécutivisation): l'ex. (9) montre qu'en français, dans une séquence d'unitésphrastiques qui représentent des événements successifs, on a un traitement différent des indices

pronominaux préfixés au verbe selon que ces unités phrastiques ont en commun le terme sujetou un terme complément.

(9)  français

a. L'homme achète un fruit, il le lave et il le mange

b. L'homme achète un fruit, Ø le lave et Ø le mange

c. *L'homme achète un fruit, il Ø lave et il Ø mange

 – les propriétés syntaxiques des formes verbales dépendantes: l'ex. (10) montre qu'en

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français, formellement, le verbe à l'infinitif n'a pas de sujet, mais peut dans certainesconstructions transmettre à un argument d'un autre verbe le rôle sémantique qu'il assignehabituellement à son sujet; il n'existe aucune forme du verbe qui permettrait de faire sur lescompléments des manipulations comparables à celles que l'infinitif autorise sur le sujet;

(10)  français:

a. Jean croit [— avoir compris] = Jeani croit qu'ili a compris

b. Jean veut que Marie parte (= Jean souhaite le départ de Marie)Jean veut [— partir] (= Jean souhaite son propre départ)

c. Jean semble [— avoir compris] = Il semble que Jean ait compris

 – la relativisation: le mécanisme de relativisation implique la manipulation d'un des termesnominaux de l'unité phrastique relativisée (c'est-à-dire utilisée pour exprimer une propriété qui

précise le référent de l'"antécédent"); les langues ont très souvent des restrictions quant auxtermes nominaux susceptibles de subir cette manipulation, et le cas extrême, illustré ici par lemalgache – ex. (11), est celui où l'unique terme de l'unité phrastique susceptible d'être manipulédans le mécanisme de relativisation est le sujet.

(11) malgache

a. Manasa ny lambany vehivavylaver DEF linge DEF femme

‘La femme lave le linge’

b. ny vehivavy (izay)manasa ny lamba—DEF femme (REL) laver DEF linge

‘la femme qui lave le linge’

c. *ny lamba(izay)manasa — nyvehivavy  DEF linge (REL) laver DEF femme

‘le linge que la femme lave’

d. Sasan' ny vehivavy ny lambalavé+par DEF femme DEF linge

‘Le linge est lavé par la femme’

e. ny lamba(izay) sasan'ny vehivavy —DEF linge (REL) lavé+par DEF femme

‘le linge que la femme lave’

f. Manasa lambaamin' nysavony Rasoalaver linge avec DEF savon Rasoa

‘Rasoa lave du linge avec le savon’

g. Anasan' dRasoa lambany savonyservir+à+laver+à Rasoa linge DEF savon

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‘Le savon sert à Rasoa à laver du linge’

h. ny savony (izay) anasan' dRasoa lamba—DEF savon (REL) servir+à+laver+à Rasoa linge

‘le savon avec lequel Rasoa lave du linge’

3. La notion d'objet (direct)

Comme dans le cas du sujet, de tous les critères relativement évidents qui peuvent servir àreconnaître l'objet dans des langues particulières (position relativement au verbe, cas "accusatif",mécanisme particulier d'accord entre le verbe et l'objet), aucun n'est universel; mais l'observationde mécanismes qui de manière générale mettent en jeu un degré variable de solidarité entre leverbe et les différents termes nominaux de l'unité phrastique autres que le sujet permet deproposer un type universel de fonction syntaxique qui précise et généralise la notion d'objetdirect de la grammaire traditionnelle des langues d'Europe.

La difficulté est que la notion de solidarité entre le verbe et les termes nominaux de l'unité

phrastique autres que le sujet (pour lesquels on reprend ici le terme traditionnel de compléments – cf. toutefois section 5) renvoie fondamentalement à la distinction entre des compléments quireprésentent des arguments du verbe et des compléments sémantiquement autonomes du verbe,alors que cette distinction est relativement indépendante des caractéristiques formelles descompléments. Par exemple, en français, les mêmes prépositions introduisent tantôt descompléments qui représentent des arguments du verbe (ou "compléments essentiels") – ex.(12a), tantôt des compléments sémantiquement autonomes (ou "compléments non essentiels") –ex. (12b).

(12)  français

a. Je compte sur toi

b. Le chat marche sur le toit

Le propre du terme de l'unité phrastique communément désigné comme "objet direct" est qu'ils'agit d'un type formel de complément qu'on peut caractériser comme solidaire du verbe dansl'absolu, c'est-à-dire indépendamment du verbe particulier considéré, alors que les autres typesformels de compléments (par exemple en français les compléments ayant la forme sur + CN )fonctionnent généralement comme compléments solidaires (ou "essentiels") avec certains verbesseulement.

Autrement dit, dans une perspective typologique, on peut se baser sur une définitionuniverselle de l'objet comme type formel de complément qui, indépendamment du verbe

 particulier qu'il accompagne, présente dans la langue en question un maximum de propriétésdont le détail peut varier d'une langue à l'autre mais qui, prises globalement, mettent en évidenceun fort degré de solidarité avec le verbe. En français, cette définition s'applique aux complémentsqui correspondent aux clitiques le/la/les (les COD de la grammaire scolaire).

La propriété la plus générale des compléments solidaires est l'impossibilité de les dissocier duverbe en cas d'anaphore impliquant le verbe – ex. (13); il s'agit toutefois d'un critère délicat àmanier, car le verbe faire  communément utilisé pour reprendre les autres verbes garde sespropriétés syntaxiques et sémantiques de lexème verbal, et de ce fait le mécanisme d'anaphore nepeut pas fonctionner pour les verbes de manière aussi nette que pour les noms.

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(13)  français

a. Jean a écrit une lettre sur cette tableJean a écrit une lettre, et il l'a fait sur cette table

b. Jean compte sur ses amis*Jean compte, et il le fait sur ses amis

c. Jean a écrit une lettre ce matin / Jean a écrit ce matin une lettre de dix pagesJean a écrit une lettre, et il l'a fait ce matin*Jean a écrit ce matin, et il l'a fait une lettre de dix pages

Parmi les autres manifestations possibles (variables selon les langues) de la notion de degréde solidarité entre le verbe et ses compléments, on peut citer les suivantes:

 – la suppression d'un complément solidaire du verbe peut être impossible, ou impliquer uneréorganisation des rôles sémantiques; par exemple en bambara – ex. (14), l'absence de l'objet

(qui dans cette langue se reconnaît à sa position fixe entre le marqueur aspecto-modal et leverbe) implique systématiquement un changement de rôle du sujet (c'est-à-dire du constituantnominal placé à gauche du marqueur aspecto-modal);

(14) bambara

a. N bè sogo dunmoi INAC viande manger

‘Je mange la viande’

b. N b'a dunmoi INAC-O3S manger

‘Je la mange’

c. *N bè dun(ne pourrait se comprendre que comme ‘Je suis comestible’ ou ‘On me mange’)

d. Sogo bè dunviande INAC manger

‘La viande, ça se mange’

e. N bè domuni kèmoi INAC action+de+manger faire

‘Je mange’

 – dans beaucoup de langues, les compléments fortement solidaires du verbe occupent uneposition fixe au contact immédiat du verbe, ce qui implique notamment l'impossibilité d'insérerdes adverbes ou des compléments "circonstanciels" – ex. (15);

(15) tswana

a. Keitse Kitso sentle / *Ke itse sentle KitsoS1S connaître Kitso bien

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‘Je connais bien Kitso’

b. Kedumedisa Kitso malatsi otlhe / *Ke dumedisa malatsi otlhe KitsoS1S saluer Kitso jours tous

‘Je salue toutous les jours Kitso’

 – certains types de compléments peuvent se distinguer des autres par l'existence d'indicesrattachés au verbe qui peuvent les représenter ("désinences personnelles" ou "pronomsclitiques"), et dans certaines langues, comme en k'ichee' (cf. ex. (6) ci-dessus), l'objet peut sedéfinir comme le seul type de complément qui partage avec le sujet la propriété d'être représentédans la forme verbale par un indice pronominal;

 – dans pas mal de langues, l'objet est le seul type de complément pour lequel existe unepossibilité systématique de promotion au statut de sujet de formes verbales passives.

Une différence importante entre sujet et objet est que dans certaines langues, il y a lapossibilité de construire un même verbe avec deux ou même trois compléments auxquels sontassignés des rôles sémantiques distincts, mais qui présentent de manière identique ou presque

les caractéristiques morphosyntaxiques permettant de les identifier comme objets. Par exemple,en tswana, dans la construction  A fa B C   "A donne C à B", le complément B qui représente ledestinataire et le complément C qui représente le patient ne se distinguent pas par l'utilisation deformes casuelles spéciales ou par la présence d'adpositions (à la différence du français où ledestinataire apparaît combiné à la préposition à), ils peuvent être représentés par les mêmesindices affixés au verbe (à la différence du français, qui utilise les clitiques le/la/les pour lepatient et lui/leur pour le destinataire), et ils peuvent également se construire comme sujet de laforme passive du verbe "donner" (à la différence du français, où seul le terme qui représente lepatient a cette propriété). On peut parler là de construction à deux objets.

4. Datif et obliques

Le datif est un type formel de complément distinct de l'objet (direct) mais qui partage avec luile fait de manifester avec le verbe (bien qu'à un moindre degré) un fort degré de solidatitéindépendamment du verbe particulier considéré. Autrement dit, le datif partage avec l'objet le faitd'avoir le statut de complément essentiel quel que soit le verbe particulier qu'il accompagne, et sedistingue de l'objet par le fait qu'il possède moins de propriétés qui vont dans le sens d'une fortesolidarité avec le verbe. En français, cette définition s'applique aux compléments quicorrespondent aux clitiques lui/leur (le "complément d'attribution" dans la grammaire scolairetraditionnelle du français).

On peut enfin désigner comme oblique tout terme nominal de la construction d'un verbe qui

n'est reconnaissable, ni comme sujet, ni comme objet, ni comme datif. Il s'agit d'une notionessentiellement négative, et on ne doit donc pas s'attendre à ce que les obliques manifestent unequelconque homogénéité dans leurs propriétés grammaticales.

En particulier, comme nous l'avons vu à la section 3, les obliques peuvent avoir un degré desolidarité variable avec le verbe. Tous les objets (directs) et datifs sont des complémentsessentiels, mais la réciproque n'est pas vraie: un oblique peut parfois être un complémentessentiel, mais c'est une question de lexicologie, pas de syntaxe.

La fonction syntaxique "datif" ne semble pas universelle. En particulier, le datif commefonction syntaxique peut ne pas exister dans les langues qui ont des constructions à deux outrois objets (cf. section 4).

Dans les langues où il existe, le datif représente typiquement des destinataires. Dans leslangues où la fonction syntaxique "datif" au sens défini ci-dessus n'existe pas, le destinaire peut

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être traité syntaxiquement comme objet (c'est en particulier le cas dans les langues qui font unusage systématique de constructions à deux objets) ou comme oblique (par exemple, enbambara, il n'y a pas de constructions à deux objets, et les compléments qui représentent desdestinataires ne semblent pas avoir des propriétés syntaxiques qui permettent de les distinguerdes obliques).

5. Remarques terminologiques

5.1. A propos du terme de complément

Dans ce cours, on a utilisé le terme de complément du verbe, dans l'analyse des relations entrele verbe et les termes nominaux de l'unité phrastique, au sens qu'il a traditionnellement engrammaire française, c'est-à-dire pour désigner indifféremment tous les termes nominaux del'unité phrastique autres que le sujet. Dans beaucoup de travaux récents, le terme de complémentdu verbe est réservé à des termes de l'unité phrastique dans une relation de rection forte avec leverbe (les mêmes qui, d'une terminologie à l'autre, peuvent être désignés par des termes comme

"régimes" ou "compléments essentiels"), et on parle d'"adjoints" pour les complémentsfaiblement régis (ou non essentiels). Un premier inconvénient avec cette terminologie est qu'ellesuppose résolue la question particulièrement délicate (et qui reste toujours largement ouverte)des critères permettant de distinguer, parmi les termes nominaux d'une phrase, ceux qui sontdans une relation de rection forte avec le verbe. Un deuxième inconvénient est qu'elle rendmalaisée la description des mécanismes syntaxiques qui fonctionnent sans tenir compte du degréprécis de rection exercé par le verbe sur les termes nominaux de sa construction. Ce sont lesraisons pour laquelle on a préféré retenir ici le sens traditionnel du terme de complément (auquelil est toujours possible, si on le juge utile, d'ajouter les qualificatifs "essentiel" ou "fortementrégi"), et insister sur l'établissement de la distinction objet / datif / obliques.

5.2. Obliques et compléments circonstanciels

Ce qui est appelé ici oblique est désigné en grammaire traditionnelle comme "complémentcirconstanciel". Le terme d'oblique a l'avantage d'éviter les confusions qui peuvent découler del'étiquetage d'une fonction syntaxique au moyen d'un terme dont la motivation sémantique esttrop évidente.

3. Datif et complément d'objet indirect

Traditionnellement, "datif" ne se réfère pas à une fonction syntaxique, mais à une marque

morphologique. Le terme le plus usuel pour désigner ce qui est appelé ici datif est "objetindirect", mais ce terme est évité ici à cause des confusions qui peuvent notamment découler dufait que d'un auteur à l'autre, on le trouve avec des valeurs assez différentes:

 – "objet indirect" est parfois utilisé pour désigner tout complément autre que l'objet direct quipartage avec lui la propriété d'être fortement solidaire du verbe. Cet usage, qu'on trouvenotamment dans la Grammaire méthodique du français de Riegel & al., revient en fait à utiliser"complément d'objet" avec le sens donné ici à "complément essentiel".

 – l'"objet indirect" des grammaires scolaires du français est une notion peu cohérente, quimélange des critères formels et sémantiques, et dont la pertinence syntaxique est à peu prèsnulle: en prenant COI avec la valeur que donnent à ce terme la plupart des grammaires françaisesrécentes, il n'est pas possible de dégager une propriété qui serait commune au COD et au COI, etqui en même temps les distinguerait de tous les autres types de compléments.

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En outre, "direct / indirect" a l'inconvénient de suggérer une distinction purementmorphologique (absence ou présence d'une adposition servant à relier le complément au verbe);or selon les langues, le datif n'est pas forcément relié au verbe par l'intermédiaire d'uneadposition, et il peut arriver que l'objet "direct" se construise avec une adposition.

6. La hiérarchie des fonctions syntaxiques

La notion de hiérarchie des fonctions syntaxiques, déjà évoquée à propos de la notion desujet, repose sur l'observation du fait que les termes nominaux de la phrase sont diversementaccessibles à un certain nombre de mécanismes syntaxiques.

La hiérarchie suivante résume les définitions des types essentiels de fonctions syntaxiques.

S > O > D > Xsujet objet datif obliques

(direct)

7. L'alignement des rôles

Le terme d'alignement est utilisé ici pour parler de la correspondance entre rôles syntaxiques,sémantiques et discursifs.

Comme nous l'avons vu à la leçon 13, l'alignement des rôles varie selon le verbe qui constituele noyau prédicatif de l'unité phrastique et peut aussi varier en fonction des contextes discursifs,et un même verbe peut se rencontrer dans des constructions où les rôles peuvent êtrediversement alignés, mais il semble raisonnable d'admettre que les correspondances suivantesconstituent l'alignement prototypique, ou "non marqué".

rôle discursif TOP1 TOP2| |rôle sémantique AGENT PATIENT

| |rôle syntaxique SUJET OBJET

Ce qui justifie le caractère privilégié des correspondances agent-sujet et patient-objet est quedans toutes les langues, les verbes dont le sens implique clairement un participant agent et unparticipant patient constituent un sous-ensemble de l'ensemble des verbes à la foisnumériquement important et syntaxiquement homogène: sauf en cas de construction passive, ilsassignent à leur sujet le rôle d'agent et à leur objet le rôle de patient. Aucune autre classe

sémantique de verbes ne présente au niveau des langues du monde une telle homogénéité. Onpeut donc considérer que les phrases dans lesquelles un verbe d'action se combine avec un sujet-agent et un objet-patient constituent un prototype, et que l'alignement variable des rôlessémantiques et des rôles syntaxiques pour les autres types sémantiques de verbes reflète deshésitations quant à la possibilité d'assimiler plus ou moins à agent ou à patient les rôlessémantiques qu'assignent les verbes représentant des procès auxquels les notions d'agent et depatient ne s'appliquent pas de manière évidente.

Par exemple, selon les langues on observe des tendances variables dans le traitement desverbes qui impliquent sémantiquement un stimulus et un expérient: dans la phrase française(16a), l'expérient est traité syntaxiquement comme un agent (ce qui peut se justifier par le faitqu'agent et expérient partagent le trait "animé"), et le stimulus est traité exactement commepourrait l'être un patient; dans la phrase espagnole (16b), l'expérient est traité comme un

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destinataire et le stimulus est traité comme un agent, à ceci près que l'ordre des constituants n'estpas celui qu'on trouve usuellement dans les phrases mettant en jeu un agent et un destinataire;dans la phrase bambara (16c), l'expérient apparaît syntaxiquement comme oblique et le stimuluscomme sujet, tandis que dans la phrase latine (16d) il n'y a pas de sujet, et l'expérient apparaitsyntaxiquement comme objet.

(16)  français (a) / bambara (b) / espagnol (c) / latin (d)

a. Jean aime le chocolatS O

b. A Juan le gusta el chocolateà Juan D3S plaire.S3S DEF chocolatD S‘Juan aime le chocolat’ (litt. ‘A Juan lui plaît le chocolat’)

c. Ntomiji ka di Fanta ye jus+de+tamarin POS être+agréable Fanta pourS X‘Fanta aime le jus de tamarin’ (litt. ‘Le jus de tamarin est agréable pour Fanta’)

d. Senectutis suæ eum pænitetvieillesse.GEN sa.GENlui.OBJ regretter.S3S

X O‘Il regrette sa vieillesse’ (litt. ‘De sa vieillesse ça le chagrine’)

Quant à la différence de topicalité entre sujet et objet dans l'alignement prototypique, il estpossible de la considérer comme une simple conséquence de la relation privilégiée entre sujet etagent d'une part, objet et patient d'autre part. En effet, nous avons vu à la leçon 13 qu'abstractionfaite d'un contexte discursif particulier, les agents ont une prédisposition intrinsèque à assumerla fonction de topique.

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Leçon 15

Typologie des manifestationsdes fonctions sujet et objet

1. Rangement linéaire des constituants de l'unité phrastique

1.1. Problèmes d'analyse découlant de l'existence de constructions disloquées

Les variations que connaissent les langues dans le rangement linaire des constituants del'unité phrastique ne peuvent pas être décrites correctement si on ne fait pas la distinction entrepermutation de constituants à l'intérieur de l'unité phrastique et "dislocation". Les constructionsdisloquées, dans lesquelles l'intonation marque le détachement d'un constituant à la margegauche ou à la marge droite de l'unité phrastique, constituent un procédé fréquent detopicalisation. Dans une étude de l'ordre des constituants de l'unité phrastique, les constituantsdétachés dans une construction disloquée ne doivent pas être pris en compte, mais il n'est pastoujours facile de faire la distinction entre constituants détachés dans une construction disloquéeet constituants occupant simplement la position initiale ou la position finale dans l'unitéphrastique, surtout dans les langues où les constructions disloquées ont dans le discours unefréquence élevée; en effet, il peut historiquement se produire des processus de réanalyse, uneconstruction originellement disloquée et discursivement marquée se réinterprétant comme lafaçon non marquée de construire une unité phrastique.

La question se pose notamment en français, à propos des phrases dans lesquelles sontprésents à la fois un constituant nominal et un clitique sujet représentant ce constituant: en

français parlé, la construction où un clitique sujet reprend un constituant nominal qui le précèdetend à perdre sa valeur de construction disloquée exprimant la topicalisation du sujet pourdevenir la construction ordinaire de l'unité phrastique (cf. leçon 19, section 1.6.).

1.2. Langues à rangement linéaire rigide (langues "configurationnelles")

Le bambara illustre sous sa forme extrême le cas de langues où l'ordre des constituants del'unité phrastique (qui est en bambara SOVX) ne tolère aucune variation, quelle que puisse être lanature des constituants et/ou les manipulations discursives auxquelles est soumise l'unitéphrastique. On remarquera notamment qu'en bambara, la focalisation ne modifie pas lerangement des constituants, et les interrogatifs occupent toujours la place qu'occupe le

constituant correspondant dans la phrase assertive – ex. (1).

(1) bambara

a. Seku ye buru tigè muru laSeku AC.POS pain couper couteau avec

‘Sékou a coupé le pain avec un couteau’

b. Seku de ye buru tigè ‘C'est Sékou qui a coupé le pain’

Seku ye buru de tigè ‘C'est le pain que Sékou a coupé’

Seku ye buru tigè muru de la ‘C'est avec un couteau que Sékou a coupé le pain’

(de = marqueur de focus)

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c. Jòn ye buru tigè? ‘Qui a coupé le pain?’

Seku ye mun tigè? ‘Qu'est-ce que Sékou a coupé?’

Seku ye buru tigè mun na? ‘Avec quoi Sékou a-t-il coupé le pain?’

1.3. Langues où le rangement linéaire est totalement disponible pour exprimer desvariations d'articulation discursive (langues "non configurationnelles")

Dans les langues "non configurationnelles", l'ordre des constituants n'est pas "libre" (commele sous-entend à tort la terminologie traditionnelle): la différence avec les languesconfiguationnelles est que dans ces langues, les fonctions syntaxiques ne restreignent pas lesvariations de l'ordre des constituants, qui est totalement disponible pour exprimer, en liaison avecl'intonation, des variations d'articulation discursive.

Le hongrois – ex. (2) – fournit une illustration typique de cette situation. La seule contrainteabsolue concernant l'ordre des constituants dans cette langue est relative à l'expression du focus,en liaison avec l'intonation: la focalisation du verbe implique un accent fort (indiqué en (2) par

une apostrophe) sur la première syllabe du verbe, mais si le focus porte sur un terme autre que leverbe, ce terme doit, quel que soit son statut syntaxique, se placer immédiatement devant le verbepour constituer avec lui un seul groupe accentuel dont la première syllabe est fortementaccentuée.

(2) hongrois

a. 'Jön a villamos arriver.S3S DEF tram

‘Le tram arrive’ (arrive est le focus)

b. A 'villamos jönDEF tram arriver.S3S

‘C'est le tram (pas l'autobus) qui arrive’

c. Jóska'levele-t kapottJóska lettre- OBJrecevoir.TAM.S3S

‘Jóska a reçu du courrier’ (courrier est le focus)

c. 'Jóska kapott levele-t  Jóskarecevoir.TAM.S3S lettre-OBJ

‘C'est Jóska qui a reçu du courrier’

c. 'Kapott levele-t Jóska recevoir.TAM.S3S lettre-OBJ Jóska

‘Il a bien reçu du courrier, Jóska’

1.4. Langues où l'ordre des constituants n'est, ni totalement rigide, ni totalementdisponible pour exprimer des variations d'articulation discursive

La plupart des langues ne sont, ni aussi clairement configurationnelles que le bambara, niaussi clairement non configurationnelles que le hongrois, et tous les intermédiaires peuventexister entre le type configurationnel extrême et le type non configurationnel extrême:

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 – le français est assez proche du type configurationnel extrême, mais il y a tout de même enfrançais des possibilités limitées de modifier l'ordre sujet-verbe qu'une langue comme lebambara ignore totalement;

 – l'espagnol présente des possibilités de permutation des constituants qui sont nettement plusimportantes que celles du français (par exemple, le français n'a pas la possibilité d'exprimer la

focalisation du sujet en le déplaçant simplement à la finale de l'unité phrastique, sans aucuneautre modification de la construction, comme peut le faire l'espagnol), mais les possibilités depermuter en espagnol les constituants de l'unité phrastique, bien que relativement importantes,restent toutefois plus limitées que celles du russe ou du hongrois.

1.5. L'ordre de base et ses variations dans les langues du monde

Plus une langue s'écarte du type configurationnel extrême, plus il est difficile de dégager un"ordre de base" minimalement marqué du point de vue discursif et par rapport auquel les autresordres possibles peuvent être décrits comme des variantes marquées impliquant des conditionsdiscursives particulières.

La plupart des études typologiques sur l'ordre des constituants de l'unité phrastique prennentessentiellement en considération des phrases assertives indépendantes constituées d'un verbe etde deux constituants nominaux en fonction de sujet et d'objet. Dans ce cadre on peut dire que,parmi les 6 rangements théoriquement possibles:

 – SVO (langues romanes, langues bantoues, etc.) et SOV (turc, japonais, quechua, etc.) sontde très loin les rangements les mieux attestés comme ordre de base dans les langues du monde;

 – OSV et OVS sont extrêment rares comme ordres de base: seules quelques languesamazoniennes ont été reconnues comme ayant pour ordre de base OSV ou OVS;

 – VSO et VOS occupent une position intermédiaire.Ceci suggère la hiérarchie suivante en ce qui concerne la prédisposition à apparaître en

première position dans l'ordre de base: S > V > O.On notera toutefois que l'intérêt de cette façon d'aborder la typologie de l'ordre des mots a étémis en doute. Le problème est que dans le discours spontané, les unités phrastiques danslesquelles sujet et objet sont simultanément présents sous forme de constituants nominauxcanoniques ont une fréquence relativement basse: le plus souvent, au moins l'un des deuxapparaît comme pronom ou indice pronominal. Dans une étude typologique de l'ordre desconstituants, la conclusion qu'on peut tirer de cette observation est qu'il pourrait être préférablede considérer séparément la position du sujet dans les constructions qui ne comportent pas deconstituant nominal canonique en fonction d'objet et la position de l'objet dans les constructionsoù le sujet est représenté par un pronom ou par un indice pronominal.

1.6. Corrélations typologiques

Il existe des corrélations plus ou moins fortes entre l'ordre des constituants de l'unitéphrastique et l'ordre des termes d'autres constructions. En particulier:

 – les langues qui ont l'ordre de base VO construisent généralement le constituant nominalselon l'ordre nom + modifieurs, et utilisent généralement des prépositions;

 – les langues qui ont l'ordre de base OV construisent généralement le constituant nominalselon l'ordre modifieurs + nom, et utilisent généralement des postpositions.

2. Marquage des constituants sujet et objet

2.1. Remarques générales sur les marques du statut syntaxique des noms

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La forme absolue (ou forme extra-syntaxique, ou forme syntaxiquement non marquée) desnoms est celle qui apparaît dans une fonction de pure désignation (par exemple lorsqu'on écrit lenom d'une personne sur une carte d'identité, ou le nom d'une ville sur un panneau routier, ou lenom des marchandises dans les rayons d'un supermarché, etc.). Selon les positions qu'il occupe,

le nom intégré à une phrase peut présenter une forme identique à sa forme absolue, ous'accompagner d'une marque morphologique de son insertion à une position syntaxique (marquecasuelle ou adposition).

D'une langue à l'autre, on observe les variations suivantes: – Les marques du statut syntaxique des constituants nominaux ne présentent pas toujours le

même degré d'intégration (cf. leçon 9) – Le plus souvent, les marques de l'insertion du nom à un contexte syntaxique (affixes

casuels ou adpositions) s'ajoutent à la forme absolue, mais il peut arriver que l'insertion du nomà un contexte syntaxique mette en jeu une modification de la forme absolue. L'ex. (3) montrequ'en russe, l'insertion du nom de la ville de Moscou dans certains contextes syntaxiquess'accompagne d'une modification de la terminaison qu'il présente à la forme absolue.

(3) russe

a. Moskv-aMoscou-ABS

(forme absolue du nom de ville Moscou)

b. Ja ljublju Moskv-umoi aimer.S1S Moscou-OBJ

‘J'aime Moscou’

c. On rabotaet v Moskv-elui travailler.S3S à Moscou-LOC

‘Il travaille à Moscou’

 – Il y a selon les langues un éventail plus ou moins large de positions syntaxiques danslesquels les noms ne s'accompagnent d'aucune marque morphologique de leur fonctionsyntaxique. L'ex. (4) illustre le contraste entre le japonais, qui tend à marquer systématiquementle statut syntaxique des noms, et le tswana, où une unité phrastique peut comporter jusqu'à 4termes nominaux dépourvus de marque morphologique de leur insertion syntaxique.

(4)  japonais (a) / tswana (b)

a. Taroo-ga Michiko-ni hon-okashimashitaTaroo-SUJMichiko-DAT livre-OBJ avoir+prêté

‘Taroo a prêté un livre à Michiko’

b.   Lorato o noseditse Dimpho losea maši

Lorato SCL1 avoir+fait+boire+pour Dimpho bébé lait

‘Lorato a fait boire le lait au bébé pour Dimpho’

En relation avec la notion de forme absolue du nom qui vient d'être définie, il convient desouligner ici, dans une perspective typologique, l'ambigüité du terme de "nominatif" de la

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grammaire des langues classiques. En latin et dans les autres langues indo-européennes qui ontle même type de flexion nominale, le nominatif est à la fois la forme absolue du nom et la formedu nom en fonction de sujet. Cette coïncidence entre forme absolue (syntaxiquement nonmarquée) des noms et forme des noms en position de sujet est typologiquement banale, mais ellen'est pas universelle, et le terme de nominatif peut ainsi prêter à confusion si on l'applique à une

langue comme le japonais, où les noms en fonction de sujet présentent une marque ga qui estabsente lorsque le nom s'utilise comme pure désignation. C'est pour éviter cette ambigüité que leterme de nominatif n'est pas retenu dans ce cours: par exemple le "cas nominatif" du latin seradésigné comme forme absolue du nom (ou cas absolutif), et le morphème ga du japonais ne serapas désigné comme morphème de nominatif, mais comme marque de la fonction sujet.

2.2. Différenciation morphologique entre sujet et objet

Deux configurations sont particulièrement bien attestées dans les langues du monde: – pas de différenciation morphologique entre sujet et objet, qui sont tous deux à la forme

absolue (français, mais aussi par exemple la quasi-totalité des langues africaines rattachées à la

famille Niger-Congo, les langues maya, etc.); – sujet à la forme absolue, objet à une forme spéciale (couramment désignée comme

"accusatif") ou combiné à une adposition : latin, russe, hongrois, turc, quechua, etc.Une troisième configuration relativement bien attestée (cf. section 4) est celle où le sujet des

constructions intransitives et l'objet sont également à la forme absolue, tandis que le sujet desconstructions transitives est à une forme spéciale (couramment désignée comme "ergatif").

Leux configurations suivantes sont beaucoup moins fréquentes mais sont néammoinsindiscutablement attestées par quelques langues:

 – objet à la forme absolue, sujet à une forme spéciale, aussi bien dans les constructionstransitives que dans les constructions intransitives: mojave, oromo, somali, maasai;

 – sujet et objet avec chacun une forme spéciale distincte de la forme absolue: japonais – ex.(4a) ci-dessus, coréen.

2.3. Marquage différentiel de l'objet

Dans les constructions transitives de beaucoup de langues, le sujet est toujours à la formeabsolue, tandis que l'objet peut selon sa nature rester à la forme absolue ou prendre une formespéciale (ou se combiner à une adposition). Selon les langues, les traits qui peuvent conditionnerle marquage de l'objet peuvent être:  – ±défini (objet indéfini non marqué, objet défini marqué) – ex. (5);

(5) turc

a. Kiz çoban gördüfille berger voir.TAM.S3S

‘La fille a vu un berger’

b. Çoban kizgördüberger fille voir.TAM.S3S

‘Le berger a vu une fille’

c. Kiz çoban-i gördüfille berger-OBJDEF voir.TAM.S3S

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‘La fille a vu le berger’

d. Çoban kiz-i gördüberger fille-OBJDEF voir.TAM.S3S

‘Le berger a vu la fille’

 – ±humain ou ±animé (objet non humain ou non animé non marqué, objet humain ou animémarqué); en espagnol – ex. (6), l'emploi de la préposition a come marque de l'objet présentedans le détail quelques complications, mais il est indiscutable que le critère essentiel est lecaractère ±humain du référent de l'objet; en russe – ex. (7), selon le type morphologique auquelappartiennent les noms, il peut arriver que leur marquage en fonction d'objet dépende du trait±humain;

(6) espagnol

a. Encontré a la chica que buscaba

trouver.TAM.S3S à DEF fille que chercher.TAM.S3S

‘J'ai trouvé la fille que je cherchais’

b. Encontré la cartera que buscabatrouver.TAM.S3S DEF portefeuille quechercher.TAM.S3S

‘J'ai trouvé le portefeuille que je cherchais’

(7) russe

a.   Čelovek vidit dom

homme voir.S3S maison‘L'homme voit la maison’

b.   Čelovek vidit volk-a

homme voir.S3S loup-OBJ

‘L'homme voit le loup’

c.   Volk vidit   čelovek-a

loup voir.S3S homme-OBJ

‘Le loup voit l'homme’

 – pronom / nom (noms non marqués, pronoms marqués) – ex. (8);

(8) anglais

a. John called Mary / Mary called John

b. He called her / She called him

3. Indexation du sujet et/ou de l'objet dans le mot verbal (ou à la périphérie immédiatedu mot verbal)

3.1. Configurations possibles

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Dans la plupart des langues, un ou plusieurs indices pronominaux se rattachent au verbe, soitde manière générale, soit sous certaines conditions.

Lorsque le verbe inclut un indice de sujet unique, il s'agit généralement d'un indice de sujet.C'est notamment le cas du latin – cf. leçon 3, ex. (19) – et des autres langues indo-européennes

anciennes, où cet indice pronominal, situé à la finale du mot verbal, est désigné traditionnellementcomme la "désinence personnelle" du verbe. Le cas de langues où les formes verbales transitivesprésentent un unique indice pronominal représentant l'objet (et non pas le sujet) est relativementrare; cette configuration se rencontre toutefois dans les constructions transitives de type ergatif (par exemple en kurde du nord).

Le cas de langues où le mot verbal peut intégrer (en fonction de la valence du verbe) deuxindices pronominaux représentant respectivement le sujet et l'objet est extrêmement répandu. Onpeut citer le hongrois, les langues maya, le nahuatl, beaucoup de langues bantoues.

Il y a enfin des langues où le mot verbal peut intégrer des indices de datif, ou même (commeen français, avec les indices  y et en) des indices qui ne se limitent pas à représenter lesconstituants nucléaires de l'unité phrastique.

3.2. Variations dans les conditions d'apparition des indices pronominaux attachés aumot verbal

La présence d'un indice pronominal peut résulter d'une simple condition morphologique debonne formation des formes verbales: dans beaucoup de langues, les formes verbales aptes àfonctionner comme noyau prédicatif de phrases assertives incluent nécessairement un indice desujet; mais la présence d'un indice pronominal peut aussi dépendre du fait qu'un constituantcoréférent de l'indice soit ou non présent, ou encore de certaines caractéristiques du référent quireprésente l'indice (et notamment de son statut discursif).

Ce phénomène s'observe parfois avec les indices de sujet. Par exemple, dans l'ensemble deslangues romanes, les indices de sujet intégrés à la terminaison verbale (les "désinencespersonnelles" du verbe) sont un élément absolument obligatoire du mot verbal, mais quelqueslangues romanes (français, francoprovençal et piémontais) on aussi des indices de sujet préfixésau verbe, qui ne sont obligatoires qu'aux deux premières personnes; à la troisième personne, ilsne sont obligatoires que si l'unité phrastique n'inclut pas de constituant sujet – ex.(9).

(9)  français

a. je-travaille / moi je-travaille / *moi travaille

b. tu-travailles / toi tu-travailles / *toi travailles

c. il-travaille / Jean travaille

Ce type de fonctionnement est toutefois particulièrement commun en ce qui concerne lesindices d'objet, qui dans les langues du monde n'ont pas le statut d'élément obligatoire desformes verbales avec la même fréquence que les indices de sujet: la présence des indices d'objetest très souvent conditionnée par des traits comme ±topique – ex. (10) – ou ±défini – ex. (11) et(12). On remarque qu'en hongrois, l'objet est marqué de manière indépendante comme défini,alors qu'en swahili, seule l'indexation marque la distinction entre objet défini et objet indéfini.

(10) tswana

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a. Kebonye Kitso ko toropongS1S avoir+vu Kitso PREP ville.LOC

‘J'ai vu Kitso en ville’

b. Kitso ke m-monye ko toropongKitso S1S OCL1-avoir+vu PREP ville.LOC

‘Kitso, je l'ai vu en ville’

c. Kego rata thataS1S O2S aimer beaucoup

‘Je t'aime beaucoup’

d. Kerata wenaS1S aimer toi

‘C'est toi que j'aime’ (litt. ‘J'aime toi’)

(11) swahili

a. Ni-li-soma kitabuS1S-TAM-lire 7livre

J'ai lu un livre

b. Ni-li-ki-soma kitabuS1S-TAM-OCL7-lire 7livre

J'ai lu le livre

c. Ni-li-ku-onaS1S-TAM-O2S-voir

Je t'ai vu

d. *Ni-li-ona wewe  S1S-TAM-voir toi

(12) hongrois

a. Olvas-ok egy könyve-t

lire-S1S un livre-OBJ‘Je lis un livre’

b. Olvas-om a könyve-tlire-S1S.ODEFDEF livre-OBJ

‘Je lis le livre’

Comme cela a déjà été expliqué à la leçon 3, les variations dans le conditionnement de laprésence des indices pronominaux ont une explication diachronique: historiquement, les indicespronominaux liés au verbe résultent de la "satellisation" d'anciens pronoms personnels. A unstade peu avancé de ce processus, les indices pronominaux servent à représenter des topiques ets'utilisent donc essentiellement en l'absence du constituant correspondant, mais ensuite, la

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présence des indices pronominaux tend à devenir de plus en plus fréquente, et peut finir pardevenir obligatoire obligatoire, d'abord en relation avec des constituants nominaux qui présententindépendamment de leur statut discursif certaines caractéristiques sémantiques, et ensuite demanière absolue.

3.3. Variations dans l'intégration morphologique des indices pronominaux au motverbal

Les indices pronominaux "jeunes" (qui dans l'histoire de la langue ont perdu le statut deforme libre pour s'agglutiner au verbe à une date relativement récente) se caractérisent par unfaible degré d'intégration morphologique. C'est généralement le cas des indices d'objet et de datif des langues romanes (communément désignés comme pronoms clitiques), dont le statut actuels'est établi au cours du passage du latin aux langues romanes modernes. Par contre, les indicespronominaux anciens, comme par exemple les désinences verbales des langues romanes (dontles ancêtres en indo-européen étaient déjà des morphèmes liés), tendent à présenter un degréélevé d'interaction morphophonologique avec le reste du mot verbal. Dans l'ex. (12), on peut voir

que la seule segmentation évidente dans les formes du verbe "prendre" de l'espagnol est celle quisépare un radical tom-  d'une terminaison: souvent, il totalement impossible d'isoler dans laterminaison un segment qui serait le support de la valeur de temps-aspect-mode et un autre quiserait l'indice de sujet, et les quelques possiblités de segmentation que l'on entrevoit ne sont passuffisamment généralisables pour présenter réellement un intérêt dans une descriptionsynchronique.

(12) espagnol

a. tom-o ‘je prends’ tom-é ‘je pris’

b. tom-as ‘tu prends’ tom-aste ‘tu pris’

c. tom-a ‘il/elle prend’ tom-ó ‘il/elle prit’

d. tom-amos ‘nous prenons’ tom-amos ‘nous prîmes’

e. tom-áis ‘vous prenez’ tom-asteis ‘vous prîtes’

f. tom-an ‘ils/elles prennent’ tom-aron ‘ils/elles prirent’

Enfin, lorsque le verbe incorpore plusieurs indices pronominaux, ils peut arriver qu'ilsfusionnent entre eux. Un cas extrême est celui du hongrois: dans les désinences verbales quimarquent en hongrois la présence d'un objet de 3ème personne défini, il s'avère impossible deséparer l'indice de sujet et l'indice d'objet comme deux segments distincts – ex. (13).

(13) hongrois

a. ír-ok ‘j'écris’ ír-om ‘je l'écris, je les écris’

b. ír-sz ‘tu écris’ ír-od ‘tu l'écris, tu les écris’

c. ír ‘il/elle écrit’ ír-ja ‘il/elle l'écrit, il/elle les écrit’

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d. ír-unk ‘nous écrivons’ ír-juk ‘nous l'écrivons, nous les écrivons’

e. ír-tok ‘vous écrivez’ ír-játok ‘vous l'écrivez, vous les écrivez’

f. ír-nak ‘ils/elles écrivent’  ír-ják ‘ils/elles l'écrivent, ils/elles les écrivent’

3.4. Les distinctions exprimées dans les variations des indices pronominaux intégrésou agglutinés au mot verbal

Le cas de paradigmes d'indices pronominaux présentant exactement six formes différentesrésultant du croisement des distinctions singulier / pluriel et 1ère personne / 2ème personne /3ème personne est particulièrement répandu à l'échelle des langues du monde – ex. (15) et (16).

(15) turc

a. gülüyor-um ‘je ris’

b. gülüyor-sun ‘tu ris’

c. gülüyor-Ø ‘il/elle rit’

d. gülüyor-uz ‘nous rions’

e. gülüyor-sunuz ‘vous riez’

f. gülüyor-lar ‘ils/elles rient’

(16) géorgien

a. v-ts‘er-Ø ‘j'écris’

b. Ø-ts‘er-Ø ‘tu écris’

c. Ø-ts‘er-s ‘il/elle écrit’

d. v-ts‘er-t ‘nous écrivons’

e. Ø-ts‘er-t ‘vous écrivez’

f. Ø-ts‘er-en ‘ils/elles écrivent’

Le hausa – ex. (17) – illustre le cas de paradigmes d'indices pronominaux dont lastructuration met en jeu des distinctions supplémentaires.

(17) hausa

a. naa-zoo ‘je suis venu(e)’

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b. kaa-zoo ‘tu es venu’

c. kin-zoo ‘tu es venue’

d. yaa-zoo ‘il est venu’

e. taa-zoo ‘elle est venue’

f. mun-zoo ‘nous sommes venu(e)s’

g. kun-zoo ‘vous êtes venu(e)s’

h. sun-zoo ‘ils/elles sont venu(e)s’

Mais il est possible de rencontrer aussi des paradigmes d'indices pronominaux rattachés auverbe avec moins de distinctions. Par exemple, le verbe russe au passé inclut des indices de sujet

qui se réfèrent au nombre et au genre du sujet, mais qui n'expriment aucune distinction depersonne – ex. (18).

(18) russe

a. (ja / ty / on) pisal-Ø ‘j'ai écrit (masc)’ / ‘tu as écrit (masc)’ / ‘il a écrit’

b. (ja / ty / ona) pisal-a ‘j'ai écrit (fém)’ / ‘tu as écrit (fém)’ / ‘elle a écrit’

c. (my / vy / oni) pisal-i ‘nous avons écrit’ / ‘vous avez écrit’ / ‘ils/elles ont écrit’

4. La notion de construction ergative

La question de l'ergativité sera développée dans une leçon du cours de maîtrise. En premièreapproximation, on peut se limiter à une définition selon laquelle une organisation de l'unitéphrastique "de type accusatif" (ainsi désignée parce que c'est dans ce type d'organisation quepeuvent apparaître les désinences casuelles traditionnellement appelées désinences d'accusatif)est une organisation dans laquelle, au niveau du marquage des constituants nominaux et/ou auniveau de l'indexation, le sujet d'une construction intransitive Si et le sujet d'une constructiontransitive St ont les mêmes caractéristiques, l'objet O ayant des caractéristiques différentes.

Une organisation "de type ergatif" est une organisation dans laquelle, au niveau du marquage

des constituants nominaux et/ou au niveau de l'indexation, Si  et O ont les mêmescaractéristiques, St ayant des caractéristiques différentes.Selon Dixon, environ un quart des langues du monde présentent à des degrés divers des

caractéristiques ergatives.Le latin fournit une illustration prototypique d'une morphosyntaxe de type accusatif, aussi

bien au niveau du marquage des constituants nominaux qu'au niveau de l'indexation. Le basque – ex. (19) & (20) – illustre quant à lui de façon prototypique la notion de morphosyntaxe detype ergatif, aussi bien au niveau du marquage casuel qu'au niveau de l'indexation.

(19) basque

a. Patxi-Ø joan da

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Patxi-ABSpartir AUX.S3S

‘Patxi est parti’

b. Koldo-Ø joan daKoldo-ABS partir AUX.S3S

‘Koldo est parti’

c. Patxi-k Koldo-Ø ezagutu duPatxi-ERGKoldo-ABS reconnaître AUX.S3S.O3S

‘Patxi a reconnu Koldo’

d. Koldo-k Patxi-Ø ezagutu duKoldo-ERG Patxi-ABSreconnaître AUX.S3S.O3S

‘Koldo a reconnu Patxi’

(20) basque

a. variations de l'indice représentant S t :

ezagutu du-t ‘je l'ai reconnu(e)’

ezagutu du-zu ‘tu l'as reconnu(e)’

ezagutu du-Ø ‘il/elle l'a reconnu(e)’

b. variations de l'indice représentant S i:

 joan naiz ‘je suis parti(e)’

 joan zara ‘tu es parti(e)’

 joan da ‘il/elle est parti(e)’

c. variations de l'indice représentant O:

ezagutu nau ‘il/elle m'a reconnu(e)’

ezagutu zaitu ‘il/elle t'a reconnu(e)’

ezagutu du ‘il/elle l'a reconnu(e)’

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Leçon 18

Passif 

1. Le passif 

1.1. La notion de passif canonique

Des travaux sur le passif se dégage clairement une notion de  passif canonique défini commemodification morphologique du verbe liée à la "destitution" de l'argument traité comme sujet2

dans la construction de base et à la "promotion" de l'argument traité comme objet3  dans laconstruction de base du verbe, traditionnellement désignée comme active. Ceci veut dire qu'aupassif, l'argument qui serait traité comme sujet des formes dites actives peut, soit disparaîtretotalement de la construction du verbe, soit se maintenir avec le statut d'oblique, tandis quel'argument qui serait traité comme objet des formes dites actives prend au passif le statut desujet. Les phrases (b) des ex. (1) à (3) illustrent cette notion.

(1) tswana

a. Ketlaa kwala lokwaloS1S FUT écrire 11lettre

‘J'écrirai une lettre’

b. Lokwalolo tlaa kwalwa

11lettre SCL11 FUT écrire.PSF‘La lettre sera écrite’

(2)  peul

a. Aali hocc-ii sawrunduAliramasser-ACC bâton DEF

‘Ali a ramassé le bâton’

b. Sawru ndu hocc-aamabâton DEF ramasser-ACC.PSF

‘Le bâton a été ramassé’

 2 Dans ce qui suit, on utilisera par abréviation l'expression "destitution du sujet" pour signifier qu'en liaison avecune modification morphologique au niveau du verbe, l'argument qui en l'absence de cette modificationmorphologique serait sélectionné comme sujet syntaxique n'a plus ce statut, soit qu'il disparaisse complètementde la construction, soit qu'il soit "récupéré" avec un statut syntaxique autre que sujet.3  Dans ce qui suit, on utilisera par abréviation l'expression "promotion de l'objet" pour signifier qu'en liaisonavec une modification morphologique au niveau du verbe, le sujet représente l'argument qui en l'absence de cettemodification morphologique serait sélectionné comme objet syntaxique.

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(3) k'ichee'

a. X-e-ki-kunaaj ri alab'oomri chuchu'iib'ACC-O3PL-S3PL-soigner DEF enfants DEF femmes

‘Les femmes ont soigné les enfants’

b. Aree ri alab'oomx-e-kunax k-umaal ri chuchu'iib'FOC  DEF enfants ACC-S3PL-soigner.PSF 3PL-par DEF femmes

‘Ce sont les enfants qui ont été soignés par les femmes’

Ce qui n'apparaît pas directement dans ces exemples, mais qui est essentiel pour validerl'utilisation de la notion de passif dans la description d'une langue (et notamment pour tracer unedistinction entre passif et moyen), c'est que les formes verbales que comportent les phrases (b)des exemples ci-dessus assignent sans ambigüité à leur sujet un rôle sémantique exactementidentique à celui que les formes verbales des phrases (a) assignent à leur objet: à la différencedu moyen, le passif n'implique aucun remodelage des rôles sémantiques assignés par le verbe àses arguments, mais simplement une réorganisation syntaxique des rôles que le verbe à la formedite "active" assigne à son sujet et à son objet. En (3b), le fait qu'il y ait simplement manipulationsyntaxique de rôles sémantiques qui ne subissent en eux-mêmes aucune modification est renduévident par la présence du "complément d'agent", qui récupère le rôle que la forme active dumême verbe assigne à son sujet. En (1b) et (2b), en l'absence de "complément d'agent", ce quiprouve que ces formes verbales du tswana ou du peul signifient bien (en dehors de touteconsidération sur la situation de référence) que le référent du sujet subit l'action d'un agent, et nesignifient pas seulement que le sujet est le siège d'un processus, c'est que dans ces deux langues,les formes passives qui apparaissent dans ces phrases sont morphologiquement distinctes deformes moyennes dont l'utilisation aurait pour effet de présenter le référent du sujet comme

comme le siège d'un processus plus ou moins spontané, ou en tout cas d'occulter l'éventuelleintervention d'une force extérieure dans le processus que subit le référent du sujet – ex. (4).

(4) tswana

a. Lokwalolo tlaa kwalwa11lettre SCL11 FUT écrire.PSF

‘La lettre sera écrite’

b. Lokwalolo tlaa kwalega motlhofo11lettre SCL11 FUT écrire.DEC facilement

‘La lettre s'écrira facilement’

Il faut toutefois souligner ici que la possibilité d'introduction d'un complément d'agent ne doitpas être considérée comme décisive pour reconnaitre une construction comme passive. En effet,le peul est un cas typique de langue qui fait une distinction stricte, et marquée dans la totalité duparadigme verbal, entre formes passives et formes moyennes (seules les premières attribuant àleur sujet exactement le même rôle que celui que la forme transitive correspondante assigne àson objet), et pourtant c'est une langue dont les constructions passives ne peuvent jamaiscomporter un terme récupérant le rôle que la forme active du même verbe assigne à son sujet.

1.2. La "récupération" du sujet destitué dans les constructions passives

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On observe d'une langue à l'autre des degrés très variables de destitution de l'argument quereprésente le sujet de la forme non passive, et qui cesse au passif d'être un terme syntaxiquenucléaire:

 – le sujet destitué peut réapparaître au passif avec le statut de datif, comme dans l'ex. (5);

(5)  japonais

a. Ozeino hito-ga kono shimbun-o yomubeaucoup personne-SUJ DEM  journal-OBJ lire

‘Beaucoup de gens lisent ce journal’

b. Kono shinbun-waozeino hito-ni yom-areruDEM  journal-TOP beaucoup personne-DAT lire-PSF

‘Ce journal est lu par beaucoup de gens’

 – il peut réapparaître au passif avec le statut d'oblique (le "complément d'agent" de la

grammaire traditionnelle), comme dans l'ex. (3b) ci-dessus; – mais dans certaines langues, il est totalement impossible de "récupérer" dans la phrase

passive le sujet de la phrase non passive; c'est notamment le cas en peul.Dans les langues qui ont des constructions passives sans possibilité de récupération du sujet

destitué comme datif ou oblique, on observe souvent l'utilisation de séquences de deux unitésphrastiques du type illustré par l'ex.(6) pour exprimer une signification analogue.

(6) nahuatl

a. Ni-tlazòtla-lo

S1S-aimer-PSF‘Je suis aimé’

b. Ni- tlazòtla-lo, nēch-tlazòtla in no-tàtzinS1S-aimer-PSF O1S-aimer DEF P1S-père

‘Je suis aimé de mon père’ (litt. Je suis aimé (et) mon père m'aime)

Le tswana – ex. (7) – a une construction passive à complément d'agent qui résulte clairementde la réanalyse d'une telle séquence: la préposition qui permet la récupération du sujet dans laconstruction passive se rencontre seulement dans cette construction et a la même forme que lemot prédicatif "c'est" (et l'observation des variations de ces deux mots dans les langues voisines

montre qu'il ne s'agit pas d'une coïncidence accidentelle). Mais le fonctionnement de la négationmontre que, dans une description synchronique, il ne serait pas correct de continuer à analyser(7c) comme un enchaînement de deux unités phrastiques; ke en (7c) doit s'analyser comme unepréposition dont le lien avec ke "c'est" est seulement de nature étymologique.

(7) tswana

a. Kemapodisic'est 6policier

‘Ce sont des/les policiers’

b. Mapodisi a beditse lekau

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6policier SCL6 avoir+frappé 5garçon

‘Les policiers ont frappé le garçon’

c. Lekau le beditswe ke mapodisi5garçon SCL5 avoir+frappé.PSF par 6policier

‘Le garçon a été frappé par les policiers’

d. Lekau ga le a bediwa ke mapodisi5garçon NEG SCL5 TAM frapper.PSF par 6policier

‘Le garçon n'a pas été frappé par les policiers’

1.3. Passif et aspect

Il y a des langues (comme le tswana) avec des formes passives dont le fonctionnementaspectuel est totalement identique à celui des formes non passives auxquelles ellescorrespondent morphologiquement. Mais dans certaines langues, notamment parmi celles qui

ont un passif de type analytique, on observe une possibilité d'ambigüité entre des formespassives exprimant des valeurs aspectuelles identiques à celles qu'expriment les formes nonpassives correspondantes et des formes de valeur aspectuelle résultative (formes qui attribuent àleur sujet l'état dans lequel peut se trouver un patient comme résultat de l'action d'un agent). L'ex.(8) montre qu'une telle ambigüité existe en français, alors qu'en espagnol, les formes résultativesse distinguent clairement par l'usage d'une copule différente.

(8)  français / espagnol

a. La porte est ouverteLa puerta está abierta

b. La porte est ouverte par le conciergeLa puerta es abierta por el portero

Cette question est probablement à mettre en relation avec l'origine historique desconstructions passives: les passifs analytiques, qui présentent typiquement des particularitésdans leur fonctionnement aspectuel, proviennent de la combinaison d'une copule avec une formeverbale non finie de sens résultatif. Par contre, l'observation des emplois passifs de formesoriginellement moyennes (comme les "formes pronominales" de l'espagnol ou du russe) permetde conclure que les formes passives qui ont leur origine dans l'extension des emplois de formes

originellement moyennes n'ont pas de propriétés aspectuelles particulières.

1.4. Restrictions sur l'emploi de constructions passives

Dans les langues qui ont un passif, il y a très généralement des restrictions plus ou moinsfortes sur son utilisation. En particulier, dans de nombreuses langues appartenant aux famillesgénétiques les plus diverses, les formes verbales passives exigent un sujet humain. On peutconsidérer que cette restriction a pour effet de limiter l'écart entre l'alignement des rôles dans laconstruction passive et l'alignement prototypique sujet-agent; en effet, un agent est forcémenthumain, et un humain est en quelque sorte prédisposé au rôle d'agent.

1.5. Passif et articulation discursive de l'énoncé

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La fonction discursive du passif est particulièrement apparente dans les langues qui imposentde fortes restrictions quant au statut discursif du sujet. Par exemple en tswana, un nom sujets'interprète normalement comme défini, et il est impossible de mettre en position de sujet un motnégatif ou interrogatif. La conséquence est que les constructions passives sont très largement

utilisées en tswana pour ne pas avoir à mettre en position de sujet un constituant que son rôlesémantique prédispose au statut de sujet mais qui ne remplit pas les conditions requises par lesystème du tswana pour assumer cette fonction – ex. (9).

(9) tswana

a. Noga e lomile ngwana9serpent SCL9 avoir+mordu 1enfant

‘Le serpent a mordu l'enfant / un enfant’ / *Un serpent a mordu l'enfant

b. Ngwana o lomilwe ke noga1enfant SCL1 avoir+mordu.PSF par 9serpent‘L'enfant a été mordu par le serpent / un serpent’ / *Un enfant a été mordu par le serpent

c. Kitso o thusitse Mpho1Kitso SCL1 avoir+aidé1Mpho

‘Kitso a aidé Mpho’

d. Kitso ga a a thusa Mpho1Kitso NEG SCL1 TAM aider 1Mpho

‘Kitso n'a pas aidé Mpho’

e. Mpho o thusitswe ke Kitso1Mpho SCL1 avoir+aidé.PSF par 1Kitso

‘Mpho a été aidé par Kitso’

f. Mpho ga a a thusiwa ke Kitso1Mpho NEG SCL1 TAM aider.PSF par 1Kitso

‘Mpho n'a pas été aidé par Kitso’

g. *Mang o thusitse Mpho?  qui? SCL1 avoir+aidé 1Mpho

h. Mpho o thusitswe ke mang?1Mpho SCL1 avoir+aidé.PSF par qui?

‘Qui a aidé Mpho?’ (litt. ‘Mpho a été aidé par qui?’)

i. *Ope ga a a thusa Mpho  personneNEG SCL1 TAM aider 1Mpho

 j. *Ope o thusitse Mpho  personneSCL1 avoir+aidé1Mpho

k. Mpho ga a a thusiwa ke ope

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1Mpho NEG SCL1 TAM aider.PSF par personne

‘Personne n'a aidé Mpho’ (litt. ‘Mpho n'a été aidé par personne’)

1.6. Passif oblique, passif impersonnel, voix oblique et voix impersonnelle

Une fois identifiée dans une langue une construction répondant à la définition du passif canonique, on observe que dans quantité de langues, les formes qui satisfont à cette définitiondans une partie de leurs emplois ont aussi des emplois qui diffèrent du passif canonique, soit parla promotion d'un oblique au statut de sujet, soit par l'absence totale de sujet grammatical. Unefaçon de tenir compte de ceci consisterait à élargir la notion de passif de façon à pouvoirappliquer ce terme à toute formation morphologique régulièrement liée à un mécanismesyntaxique de destitution du sujet. Une telle décision risquerait toutefois d'être mal compriseet/ou difficilement acceptée, car, s'il va de soi de reconnaître des emplois non canoniques depassifs identifiables comme tels du fait de leur aptitude à entrer dans des constructionsrépondant à la définition du passif canonique, il n'est par contre pas usuel dans la description des

langues d'étiqueter comme "passives" des formations morphologiques qui impliquent unedestitution du sujet n'allant jamais de pair avec la promotion de l'objet. C'est pourquoi on s'entiendra ici aux définitions suivantes:

 – une formation morphologique au niveau du verbe est identifiée comme voix passive si elleencode un mécanisme de destitution du sujet susceptible de s'accompagner de la promotion del'objet des verbes transitifs;

 – on parlera de "passif canonique" lorsqu'une formation morphologique reconnue commevoix passive selon la définition précédente se trouve employée dans les constructions quipermettent de l'identifier comme telle– cf. ex. (1) à (3) ci-dessus;

 – on parlera de "passif oblique" lorsqu'une forme qui se prête par ailleurs à l'emploi passif 

canonique se trouve dans une construction où la destitution du sujet s'accompagne de lapromotion d'un oblique – ex.(10b);

(10) anglais

a. Somebody has slept in this bed

b. This bed has been slept in

 – on parlera de "passif impersonnel" lorsqu'une forme qui se prête par ailleurs à l'emploipassif canonique ne s'accompagne d'aucune promotion; l'ex. (11c) illustre le passif impersonnelde verbes transitifs, et les ex. (12b-c) illustrent le passif impersonnel de verbes intransitifs.

(11) tswana

a. Maburu a rekile dikgomo6AfrikanerSCL6 avoir+acheté 10bœuf 

‘Les Afrikaners ont acheté des bœufs’

b. Dikgomo di rekilwe (ke Maburu)10bœuf  SCL10 avoir+acheté.PSF par 6Afrikaner

‘Les bœufs ont été achetés (par des Afrikaners)’ (passif canonique)

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c. Go rekilwe dikgomoEXPL avoir+acheté.PSF 10bœuf 

‘Des bœufs ont été achetés’ (litt. Il a été acheté des bœufs)  (passif impersonnel)

(12) allemand 

a. Die Kinder schlafenDEF.PL enfantsdormir.S3P

‘Les enfants dorment’

b. Es wird von den Kindern geschlafenEXPL être.S3S par DEF.PL enfants dormi

‘Les enfants dorment’ (litt. C'est dormi par les enfants)

c. Es wird geschlafenEXPL être.S3S dormi

‘On dort’, ‘Ça dort’ (litt. C'est dormi)

 – on désignera comme "voix oblique" une formation morphologique qui signale unedestitution de sujet s'accompagnant toujours de la promotion d'un oblique; on peut illustrer cettenotion par les formes verbales du malgache traditionnellement désignées comme voix relative ouvoix circonstancielle – ex. (13);

(13) malgache

a. Manasa ny lambaRasoalaver DEF linge Rasoa

‘Rasoa lave le linge’

b. Sasan -dRasoa nylambalavé+par -Rasoa DEF linge‘Le linge est lavé par Rasoa’ (voix passive)

c. Manasa lambaamin' nysavony Rasoalaver linge avec DEF savon Rasoa

‘Rasoa lave du linge avec le savon’

d. Anasan -dRasoa lambany savonyservir+à+laver+à -Rasoa linge DEF savon

‘Le savon est utilisé par Rasoa à laver du linge’ (voix oblique)

 – on désignera comme "voix impersonnelle" une formation morphologique signalant unedestitution du sujet qui laisse toujours inchangé le reste de la construction du verbe – cf. à cesujet 1.8.

L'utilisation des mêmes formes verbales à la fois dans des constructions répondant à ladéfinition du passif canonique et dans des constructions où la destitution du sujet ne

s'accompagne d'aucun mécanisme de promotion semble notamment un phénomène extrêmement

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commun dans les langues du monde. Dans ce cas, les grammaires descriptives identifientgénéralement un passif impersonnel. Là où il y a par contre un problème, c'est lorsqu'on a dansune langue des formes verbales particulières dont l'emploi peut aller de pair, soit avec unedestitution du sujet accompagnée de la promotion d'un oblique, soit avec une destitution du sujetnon accompagnée de la promotion d'un quelconque autre terme, mais qu'on ne rencontre jamais

dans des constructions répondant à la définition du passif canonique. On a en effet proposé iciles termes de "voix oblique" et "voix impersonnelle", mais il n'y a dans la pratique desdescriptions de langues aucun terme consacré qui permette immédiatement de reconnaître laprésence de formes qui, même si elles ne se prêtent pas à des constructions du type passif canonique, partagent avec le passif la propriété d'encoder un mécanisme de destitution du sujet.

1.7. Autres cas d'emplois non canoniques de formes passives

On peut trouver des formes passives dont le sujet ne correspond à aucun argument de laforme non passive correspondante, comme dans le "passif d'adversité" du japonais, constructiondans laquelle le sujet de la forme passive représente une personne affectée à son détriment par

l'événement auquel se réfère le verbe; l'ex. (14a) illustre le passif canonique du japonais; parcontre, le sujet des constructions passives (14b-d) ne pourrait pas se construire commecomplément de la forme non passive du même verbe, et en japonais, la seule possibilité del'introduire dans la construction non passive serait d'en faire un génitif dans des constructionsdont l'équivalent français littéral serait Le père de l'enfant est mort , Ziroo a volé le portefeuille

de Taroo, Reiko a frappé le visage de Taroo

(14)  japonais

a. Kodomo-wa otoosan-ni yobaremashita

enfant-TOP père-DAT appeler.PSF.TAM‘L'enfant a été appelé par son père’

b. Kodomo-wa otoosan-ni shinaremashitaenfant-TOP père-DAT mourir.PSF.TAM

‘L'enfant a subi la mort de son père’ (litt. ‘L'enfant a été mort par son père’)

c. Taroo-wa Ziroo-ni saihu-o nusumaremashitaTaroo-TOPZiroo-DATportefeuille-OBJ voler.PSF.TAM

‘Taroo s'est fait voler son portefeuille par Ziroo’ (litt. ‘Taroo a été volé le portefeuille par Ziroo’)

d. Taroo-ga Reiko-ni kao-o tatakaretaTaroo- SUJ Reiko-DAT visage-OBJ frapper.PSF.TAM

‘Taroo a été frappé au visage par Reiko (litt. ‘Taroo a été frappé le visage par Reiko’)

1.8. Exemples de problèmes d'analyse autour des notions de voix passive et voiximpersonnelle

L'ex. (15c) illustre une construction des verbes transitifs du russe qui s'apparente au passif impersonnel par la destitution du sujet et sa récupération sous forme d'oblique ainsi que parl'absence de promotion de l'objet, mais qui en diffère par le fait que le verbe ne prend pas uneforme spéciale – simplement, il cesse de marquer l'accord avec un sujet.

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(15) russe

a. Molnija razbila stenufoudre.ABS.FEM.SG détruire.PAS.FEM.SG mur.OBJ.FEM.SG

‘La foudre a détruit le mur’

b. Stena byla razbita molniejmur.ABS.FEM.SG être.PAS.FEM.SG détruit.FEM.SG foudre.INSTR.FEM.SG

‘Le mur a été détruit par la foudre’ (passif canonique)

c. Stenu razbilo molniejmur-OBJ.FEM.SGdétruire.PAS.NEU.SG foudre.INSTR.FEM.SG

‘Le mur a été détruit par la foudre’ (litt. ‘Ça a détruit le mur par la foudre’)

On rencontre aussi parfois des constructions traditionnellement caractérisées commeconstructions "à sujet indéterminé" dont on peut se demander s'il ne conviendrait pas mieux de

les analyser en termes de voix impersonnelle. Ceci s'applique notamment aux constructionsfrançaises où on a une valeur d'indétermination. On  est couramment analysé comme pronomsujet clitique, mais dans l'emploi qu'illustre l'ex. (16) il manifeste une inertie discursivedifficilement compatible avec la notion même de pronom: à la différence de quelqu'un, dont il està première vue synonyme, on  n'introduit pas dans le discours un référent susceptible d'êtreultérieurement repris; on peut donc se demander si, au moins dans ce type d'emploi, on ne seraitpas à reconnaître comme marque d'une voix impersonnelle plutôt que comme pronom (ou indicepronominal) sujet de sens indéterminé.

(16)  français

a. Quelqu'un t'a appeléOn t'a appelé

b. Quelqu'uni a demandé que tu lei rappelles*Oni a demandé que tu lei rappelles

c. Quelqu'uni a oublié soni parapluie*Oni a oublié soni parapluie

1.9. Passif, moyen et médiopassif 

Il a déjà été mentionné à la leçon précédente que dans beaucoup de langues, une mêmeformation morphologique peut se rencontrer à la fois dans des constructions impliquant uneopération sur la valence verbale répondant à la notion de passif (réarrangement syntaxique derôles sémantiques qui en eux-mêmes ne subissent aucune modification) et dans desconstructions impliquant une opération sur la valence verbale répondant à la notion de moyen(remodelage du rôle sémantique du sujet). Pour traiter sans contradiction de telles situations, ilimporte d'accepter l'idée que le fait de pouvoir rencontrer une forme verbale dans uneconstruction identifiable comme passive ne signifie pas nécessairement que cette forme puisseêtre identifiée dans l'absolu comme passive.

Par exemple, dans la phrase latine (17b) et dans la phrase peule (18b), on peut également

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parler de constructions passives canoniques, dans la mesure où la promotion de l'argument traitécomme objet en (17a) ou (18a) s'accompagne d'une modification morphologique du verbe. Maisil y a un problème à désigner la forme verbale qui apparaît en (17b) comme passive, car en latin

 – ex. (17c-e), les mêmes formes du verbe apparaissent dans des constructions où il n'est paspossible d'analyser le sujet en termes de promotion de l'objet d'une construction active. Par

contre en peul, en dépit de l'impossibilité d'introduire dans la construction un complémentd'agent, il n'y a aucun problème à désigner comme passive la forme verbale qui apparait en(18b); en effet, comme l'illustre la comparaison avec (18c), le peul fait une distinction stricte etqui traverse la totalité du paradigme verbal entre des formes passives (dont le sujet est toujourssémantiquement identifiable à l'objet d'une construction active correspondante) et des formesmoyennes (aptes à exprimer des valeurs qui ne relèvent pas de la notion de passif, mais qui enlatin pouvaient parfois s'exprimer par des formes identiques à celles rencontrées dans lesconstructions passives).

(17) latin

a. Magisterpueros laudatmaître.SG garçon.OBJ.PL féliciter.S3S

‘Le maître félicite les garçons’

b. Pueri a magistro laudanturgarçon.PL par maître.ABL.SG être+félicité.S3P

‘Les garçons sont félicités par le maître’

c. Pueri exercebantur

garçon.PL s'exercer.TAM.S3P‘Les garçons s'exerçaient’

d. Copulantur dexterasse+serrer.S3P main+droite.OBJ.PL

‘Ils se serrent la main’

e. Lætanturse+réjouir.S3P

‘Ils se réjouissent’

(18)  peul

a. O   mooºt-ii   ºeS3S rassembler-ACC O3S

‘Il les a rassemblés’

b. ‘Be   mooºt-aamaS3P rassembler-ACC.PSF

‘Ils ont été rassemblés’ (passif)

c. ‘Be mooºt-iimaS3P rassembler-ACC.MOY

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‘Ils se sont rassemblés’ (moyen)

Du point de vue terminologique, il serait utile dans la perspective d'une descriptionsynchronique de généraliser l'usage d'un terme comme médiopassif pour étiqueter les formesverbales (très communes dans les langues du monde) aptes à figurer également dans des

constructions relevant de la notion de moyen et dans des constructions relevant de la notion depassif. Selon cette terminologie, les formes "passives" du latin seraient plutôt des formesmédiopassives, et un examen critique des grammaires descriptives révèle qu'on peut en direautant d'un nombre considérable de langues dans lesquelles on identifie traditionnellementcomme passives des formes qui sont en réalité médio-passives (c'est notamment le cas du "get-passive" de l'anglais).

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Leçon 22

La phrase complexe(remarques générales)

1. La distinction entre phrase simple et phrase complexe

Une phrase simple peut se définir comme un énoncé dont la construction ne met en jeu aucunmécanisme d'intégration de structures phrastiques. Mais cette définition de la phrase simple n'estpas toujours évidente à appliquer. Seuls sont indiscutablement à reconnaître comme phrasescomplexes les énoncés dont deux fragments coïncident totalement avec deux phrases simplesattestées indépendamment l'une de l'autre – ex. (1).

(1)  français

a. Jean part demain

b. Je te préviendrai

c. Si [Jean part demain], [je te préviendrai]

Mais si on se limite à reconnaître comme constituants phrastiques à l'intérieur de phrasescomplexes des groupes de mots susceptibles de former à eux seuls une phrase indépendante, onse condamne à décrire de façon très compliquée des énoncés tels que ceux de l'ex. (2). En effet,

dans de tels énoncés, on ne peut pas découper deux fragments qui auraient chacun la possibilitéde fonctionner comme phrase indépendante et qui seraient reliés par une conjonction. Mais lespossibilités de développement du constituant de partir demain peuvent se résumer en posant quece constituant a une structure interne identique à celle d'une phrase simple, à ceci près que partir

ne peut pas être précédé d'un constituant nominal identifiable au sujet des phrases assertivessimples où figure ce même verbe. En effet, les possibilités d'adjonction de compléments (enprenant ce terme à son sens le plus large, incluant notamment toutes sortes d'unités courammentdésignées comme adverbes) sont exactement les mêmes. On simplifiera donc grandement ladescription de tels énoncés en admettant que des structures phrastiques impliquées dans unprocessus d'intégration peuvent subir des remaniements par rapport à ce que serait leurréalisation comme phrase simple, pourvu que ces remaniements n'affectent pas la relation entre le

noyau prédicatif verbal et ses compléments.

(2)  français

a. Jean regrette [de partir demain]

b. J'ai suggéré à Jean [de partir demain]

  L'important ici est d'observer la différence entre les constituants mis entre crochets dans lesex. (3b) et (3c): en (3b), l'infinitif conquérir se construit avec un objet direct, exactement commea conquis dans la phrase simple (3a), tandis que conquête en (3c) se construit avec un génitif, cequi est une propriété syntaxique typiquement nominale. Ceci permet de conclure que conquérir

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la ville  en (3b) est une unité phrastique qui fonctionne comme constituant d'une phrasecomplexe, tandis que la conquête de la ville en (3c) est un constituant nominal qui a pour tête unnom dérivé de verbe.

(3)  français

a. L'armée a conquis la ville

b. [Conquérir la ville] était le premier objectif de l'armée ennemie

c. [La conquête de la ville] a couté la vie à de nombreux soldats

Cet exemple résume le principe adopté actuellement par la plupart des spécialistes de syntaxe: – un mot dans lequel il est possible de reconnaître un lexème verbal doit s'analyser comme

noyau d'une unité phrastique chaque fois qu'il se construit avec des compléments nominaux etdes adverbes exactement comme s'il était en fonction de noyau prédicatif d'une phrase simple,

même s'il est morphologiquement différent des formes verbales rencontrées en fonction denoyau prédicatif de phrases simples, et même s'il a des propriétés différentes quant à lapossibilité de se construire avec un sujet;

 – par contre, un mot dans lequel il est possible de reconnaître un lexème verbal ne doit pass'analyser comme noyau prédicatif d'une unité phrastique, mais plutôt comme nom dérivé deverbe en fonction de tête d'un constituant nominal, s'il est impossible de le combiner avec tousles compléments ou adverbes qui peuvent accompagner un verbe en fonction de noyau prédicatif d'une phrase simple, et s'il se combine avec les modifieurs qui accompagnent par ailleurs lesnoms prototypiques.

Nous avons vu à la leçon 10, section 2 qu'il est généralemetn possible dans les langues de

reconnaître des formes verbales dépendantes (souvent désignées comme "formes verbales nonfinies") qui se distinguent: – des formes verbales indépendantes (ou formes verbales "finies"), par leur incapacité à

fonctionner comme noyau prédicatif de phrases simples indépendantes; – des noms dérivés de verbe (comme conquête, appel, assassinat, patinage, enregistrement ,

etc.), par la structure interne des constituants dont elles forment le noyau: les noms dérivés deverbes fonctionnent comme noyaux de constituants dont la structure interne est identique à lastructure de constituants dont le noyau est un nom non dérivé de verbe, alors que les constituantsdont le noyau est une forme verbale non finie ont une structure interne de type phrastique.

Par rapport au principe qui vient d'être énoncé, on notera que la grammaire traditionnelle aune conception relativement restrictive de la notion de phrase complexe, et refuse souvent le

statut de "proposition" à des constituants qui, selon les principes d'analyse adopté ici, sont àreconnaître comme constituants phrastiques d'une structure phrastique complexe.

Inversement, les premières versions de la grammaire transformationnelle de Chomsky ontabusé de la notion de constituant phrastique. En effet, dans les premières versions de lagrammaire transformationnelle, toutes sortes de constituants étaient analysés comme le résultatde la transformation de constructions phrastiques que l'on considérait comme leur "structureprofonde":

 – un constituant nominal comme l'arrestation du voleur était considéré comme le résultat dela transformation de le fait qu'on a arrêté le voleur;

 – un constituant nominal comme la maison de Jean était considéré comme le résultat de latransformation de la maison que Jean a;

 – un constituant nominal comme la grande maison était considéré comme le résultat de la

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transformation de la maison qui est grande.

2. Coordination et subordination d'unités phrastiques

D'une manière ou d'une autre, presque tous les grammairiens reconnaissent les mêmes types

fondamentaux de constructions phrastiques complexes, mais diffèrent beaucoup dans la manièrede les présenter et dans la terminologie utilisée pour les désigner. La présentation qui suits'efforce de réutiliser chaque fois que possible la terminologie traditionnelle, mais aussi de faireressortir les points où il convient de critiquer la présentation traditionnelle des mécanismes deconstruction de phrases complexes.

La grammaire traditionnelle présente comme fondamentale la distinction entre coordination depropositions et subordination de propositions. Cette distinction fournit effectivement une baseutile pour l'étude de la phrase complexe, mais elle demande à être précisée, car la grammairetraditionnelle n'explique pas clairement la distinction entre coordination et subordination: lagrammaire traditionnelle tend en effet à confondre la question de l'analyse de la relationsyntaxique que la construction d'une phrase complexe instaure entre les unités phrastiques

qu'elle intègre et la question de l'inventaire des "conjonctions" qui "servent à relier" les unitésphrastiques intégrées en une construction phrastique complexe.

La façon la plus générale de définir la distinction entre coordination et subordination d'unitésphrastiques consiste à poser que:

 – dans une subordination d'unités phrastiques il est possible de mettre en évidence unerelation hiérarchique entre une structure phrastique principale, qui présente des possibilités demodulation énonciative (assertion / interrogation / exhortation) équivalentes à celles d'une phrasesimple indépendante, et une structure phrastique subordonnée, dont les possibilités demodulation énonciative sont bloquées, et qui dans certains aspects de son fonctionnement peutplus ou moins s'assimiler à un constituant de la structure phrastique principale;

 – par contre, il n'y a pas de relation hiérarchique entre deux unités phrastiques coordonnées:elles manifestent dans leurs possibilités de modulation énonciative le même degré de liberté oude blocage, et aucune des deux ne manifeste de comportement qui permette de l'assimiler à unconsituant de l'autre.

Par exemple, dans la phrase conditionnelle (4a), il n'y a pas de différence évidente entre l'unitéphrastique dont le noyau prédicatif est venir  (protase) et celle dont le noyau prédicatif est

 prévenir  (apodose): dans les deux cas, le verbe est à une forme apte à constituer le noyauprédicatif d'une phrase assertive indépendante. Mais les phrases (4b) et (4c) illustrent lapossibilité de faire varier la valeur énonciative de l'apodose, possibilité que n'a pas la protase, cequi met en évidence une relation de subordination.

(4)  français

a. Si Jean vient me voir, je te préviendrai

b. Si Jean vient me voir, profites-en pour venir lui parler

c. Si Jean vient me voir, est-ce que tu veux que je te prévienne?

  Le fonctionnement de la négation fournit souvent un critère utile pour montrer la possibilitéd'assimiler une unité phrastique subordonnée à un constituant de l'unité phrastique principale.

Par exemple, à première vue, il n'y a pas de différence évidente entre la construction desphrases (5a) et (5b); seule semble changer la conjonction qui relie  Il mange à Il a faim; et du

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point de vue du sens, ces deux phrases impliquent également la vérité de Il mange et de Il a faim,et présentent également  Il a faim comme la cause de  Il mange. Mais l'introduction d'unenégation dans la première unité phrastique fait apparaître une différence de construction, puisque(5c) peut s'interpréter comme "c'est bien le cas qu'il mange, mais la cause n'est pas qu'il ait faim",alors qu'une telle interprétation est exclue pour (5d), dont la seule interprétation possible serait

"il ne mange pas, et la cause en est qu'il a faim".

(5)  français

a. Il mange parce qu'il a faim

b. Il mange car il a faim

c. Il ne mange pas parce qu'il a faim (mais simplement par gourmandise)

d. *Il ne mange pas car il a faim

L'important ici est que, en français, une propriété caractéristique des constituants nominauxou prépositionnels qui suivent un verbe avec lequel ils forment un syntagme est d'être sous laportée d'une négation exprimée au niveau du verbe – ex. (6).

(6)  français

a. Il ne parle pas(seule interprétation possible: ce n'est pas le cas qu'il parle)

b. Il ne parle pas français(il se peut qu'il parle, mais dans une autre langue que le français)

c. Il ne parle pas français avec moi(il se peut qu'il parle français, mais avec d'autres personnes que moi)

Par conséquent, le fait que parce qu'il a faim soit sous la portée de la négation de manger en(5c) permet d'assimiler  parce qu'il a faim  à un complément de manger; par contre,l'impossibilité de (5d) permet de conclure à l'absence de relation de subordination dans laconstruction de la phrase (5b). Cette analyse est confirmée notamment par le fait que parce qu'il

a faim se laisse focaliser exactement comme un constituant nominal, comme le montre (7), où

nous constatons encore une fois l'impossibilité de substituer car à parce que.

(7)  français

a. C'est seulement parce qu'il a faim qu'il mange

b. *C'est seulement car il a faim qu'il mange

Dans le même ordre d'idées, il est intéressant de reprendre le cas des subordonnées en si dansles phrases conditionnelles du français. Ces subordonnées sont ordinairement détachées àgauche de la principale, on peut donc difficilement parler d'enchâssement, et le critère de lanégation est ici inopérant. Toutefois, outre une hiérarchisation évidente de la relation qui apparaît

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au niveau des fonctionnements énonciatifs (cf. ex. (4) ci-dessus), la possibilité de focaliser lessubordonnées en si dans la construction clivée prouve l'existence d'une dépendance par rapport àla principale qui permet de les assimiler à un constituant extraposé – ex. (8).

(8)  français

a. S'il fait le premier pas, j'accepterai de lui pardonner

b. C'est seulement [s'il fait le premier pas] que j'accepterai de lui pardonner

3. Observations sur la coordination d'unités phrastiques

Il faut tout d'abord noter que la définition de la coordination d'unités phrastiques formulée àla section 2 est une définition négative (absence de manifestations d'une hiérarchie entre lesunités phrastiques qui se combinent pour donner une phrase complexe). Par conséquent, on peutprévoir que cette notion englobe une variété de types d'enchaînements d'unités phrastiques sans

autre trait commun que l'impossiblité d'être décrits en termes de subordination.La notion de coordination d'unités phrastiques pose aussi le problème de la délimitation du

domaine de la syntaxe: jusqu'à quel point l'étude des coordinations d'unités phrastiquesappartient-elle bien au domaine de la syntaxe, et non pas à celui de la "grammaire de texte"? Ence qui concerne le statut théorique de la coordination d'unités phrastiques, il importe d'observerque la linguistique moderne tend à abandonner la notion traditionnelle de conjonction decoordination et à utiliser plutôt une notion de "connecteur discursif" qui englobe, à côté d'unepartie des emplois des traditionnelles conjonctions de coordination, un certain nombre de motsou groupes de mots traditionnellement désignés comme "adverbes" ou "locutions adverbiales",comme par exemple par conséquent , toutefois, effectivement , etc.

Un aspect essentiel de la question est l'utilisation du même terme de coordination pour décriredes relations entre unités phrastiques et des relations entre constituants de l'unité phrastique.Pour la grammaire traditionnelle, il est évident qu'il s'agit du même phénomène, du fait que lesmêmes "conjonctions de coordination" peuvent servir pour relier des unités phrastiques ou desconstituants de l'unité phrastique – ex. (9).

(9)  français

a. Jean a joué du piano et Marie a chantéReste assis ou je vais me fâcherJ'ai voulu t'aider mais je m'y suis mal pris

b. J'ai rencontré Jean et MarieSi tu as faim ou soif, n'hésite pas à te servirIl est intelligent mais antipathique

Toutefois de telles observations ne constituent pas une preuve décisive de la nécessitéd'analyser (9a) et (9b) comme l'illustration de deux variétés d'un même phénomène de"coordination". En effet, comme nous le verrons plus en détail à la section 5, il est nécessaired'admettre qu'un même élément de relation puisse intervenir dans des types différents deconstructions.

Les observations importantes sont ici les suivantes: – D'abord, l'utilisation des mêmes "conjonctions" pour "coordonner" à la fois des unités

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phrastiques et des constituants d'unités phrastiques n'a rien d'universel. Par exemple, lesmorphèmes des langues africaines qui servent pour relier des constituants nominaux avec lemême sens que et ne peuvent pas s'utiliser pour relier des unités phrastiques, et ne sont pasréellement des morphèmes de coordination – cf. leçon 9, section 6.

 – Ensuite, dans les langues qui utilisent les mêmes "conjonctions" pour "coordonner" des

unités phrastiques ou des constituants de l'unité phrastique, il est impossible de fairecorrespondre systématiquement ces deux types d'emploi, comme avaient essayé de le faire lespremières versions de la grammaire transformationnelle, systématisant un idée implicite dans letraitement traditionnel de la coordination: dans les années 60-70, les transformationalistes, sebasant sur des phrases du type illustré par l'ex. (10a), proposaient d'expliquer la coordination deconstituants comme le résultat de transformations qui réduisent des "structures profondes" danslesquelles figurent seulement des coordinations d'unités phrastiques; mais il n'est pas difficile devoir qu'il y a beaucoup de cas de coordination de constituants qui ne peuvent pas se ramener demanière simple à une explication en termes de réduction d'une coordination d'unités phrastiques

 – ex. (10b-f).

(10)  français

a. J'ai vu Jean et (j'ai vu) Paul

b. Jean et Paul vont s'associer? Jean va s'associer et Paul va s'associer

c. Jean et Paul ont épousé deux sœurs? Jean a épousé deux sœurs et Paul a épousé deux sœurs

d. Jean et Paul sont d'accord? Jean est d'accord et Paul est d'accord

e. Jean et Paul n'ont pas les mêmes qualités

f. Jean et Paul travaillent ensemble

4. Le classement des subordonnées

4.1. La notion de relativisation

Les subordonnées relatives ne se distinguent pas toujours à première vue des autres types desubordonnées – ex. (11a-b), mais il est toujours possible de mettre en évidence des différencesde construction qui résultent de ce que les relatives, à la différence des autres types desubordonnées, n'expriment pas un contenu propositionnel (c'est-à-dire quelque chose qui puisseêtre asserté positivement ou négativement), mais une propriété (c'est-à-dire quelque chose quipermet de diviser un ensemble d'entités en deux sous-ensembles, celui des entités qui possèdentla propriété en question et celui des entités qui ne la possèdent pas).

Par exemple, dans l'ex. (11a), la subordonnée se réfère au fait qu'une personne nomméeMarie chante, ce qui peut être vrai ou faux, selon la situation de référence. En (11b) par contre, lasubordonnée signifie la propriété "Marie chante x". En elle-même, cette propriété ne peut pas secaractériser comme vraie ou fausse relativement à une situation de référence: elle peut devenirune assertion vraie ou fausse seulement si on substitue à la variable x le nom d'une chanson

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particulière. Dans cet exemple, la propriété exprimée par la relative sert à déterminer le référentde l'objet du verbe connaître; en combinant le nom chanson et la relative que Marie chante,l'énonciateur indique qu'il vise un référent qui appartient à l'intersection de deux ensembles:l'ensemble des entités x qui vérifient la propriété "x est une chanson" et l'ensemble des entités xqui vérifient la propriété "Marie chante x". Le traitement spécial de la position d'objet dans la

relative (position occupée par la variable x dans une représentation logique) se traduit par le"blocage" de cette position – ex. (11d); en effet, on n'observe rien de tel avec la subordonnée nonrelative de la phrase (11a), comme le montre (11c).

(11)  français

a. Je crois [que Marie chante]

b. Je ne connais pas la chanson [que Marie chante]

c. Je crois [que Marie chante une chanson d'Edith Piaf]

d. *Je ne connais pas la chanson [que Marie chante une chanson d'Edith Piaf]

4.2. Subordonnées complétives et subordonnées circonstancielles

Les subordonnées non relatives (c'est-à-dire les subordonnées qui signifient des contenuspropositionnels) peuvent se subdiviser en deux types, les complétives et les circonstancielles(parfois appelées aussi "adverbiales").

Les subordonnées complétives forment avec un élément de la principale (verbe, nom, adjectif ou adposition) une construction dans laquelle la subordonnée "complète" le mot avec lequel elle

se combine (c'est-à-dire sature une valence de ce mot comme pourrait le faire un complémentnominal) – ex. (12).

(12)  français

a. Jean dit [que Paul a parlé avec Marie]

b. J'ai la certitude [que Paul a parlé avec Marie]

c. Je suis sûr [qu'il va faire beau]

d. Je suis venu pour [que tu me donnes des explications]

Les subordonnées circonstancielles manifestent elles aussi des comportements qui permettentde les assimiler à des constituants de la principale, mais ne peuvent pas s'analyser commesaturant une valence de l'un des éléments de la principale: leur statut dans la construction de laprincipale est comparable à celui des constituants nominaux en fonction d'obliques – ex. (13).

(13)  français

a. [Comme il a plu], le sol est humide

b. Je le retrouverai [même si je dois parcourir le monde entier]

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A propos de la distinction entre complétives et circonstancielles, il faut souligner desdivergences possibles dans l'analyse de certaines subordonnées, en liaison avec l'utilisation de lanotion de "locution conjonctive". Par exemple, dans la présentation de l'ex. (12d), on a pris enconsidération la possibilité de dissocier la préposition pour et la conjonction de subordination

que, et par conséquent d'analyser que tu me donnes des explications comme subordonnéecomplétive équivalente à un constituant nominal régi par la préposition pour, mais  pour que esttraditionnellement analysé comme une "locution conjonctive" (c'est-à-dire comme un groupe demots fonctionnellement équivalent à une conjonction) qui introduit une subordonnéecirconstancielle.

5. Problèmes d'analyse des morphèmes qui se combinent avec des unités phrastiquesdont ils marquent l'intégration à une structure phrastique complexe

Selon les langues, les marques morphologiques de l'intégration des unités phrastiques à desstructures phrastiques complexes peuvent apparaître au niveau de la morphologie verbale ou

prendre la forme de mots (ou clitiques) qui se placent à la marge de l'unité phrastique. Le casd'éléments de relation antéposés à l'unité phrastique (traditionnellement désignés commeconjonctions) est particulièrement commun dans les langues d'Europe, et la grammairetraditionnelle tend à réduire l'étude de la formation des phrases complexes à l'identification deséléments de relation qui se placent à la marge gauche de l'unité phrastique pour marquer sonintégration à une structure phrastique complexe. Il est donc important de souligner que lapolyvalence de ces éléments de relation est un phénomène extrêmement commun, qui est à lasource de difficultés dans l'utilisation des termes disponibles pour caractériser leurfonctionnement.

Par exemple, un certain nombre d'auteurs s'inspirant de la terminologie anglaise utilisent le

terme de complémenteur pour désigner spécifiquement les morphèmes qui marquent lessubordonnées complétives.4  Selon cette terminologie, il est correct de dire que si   dans laconstruction illustrée par la phrase (14a) fonctionne comme complémenteur, puisque l'unitéphrastique qu'il introduit équivaut à un constituant nominal représentant un argument du verbesavoir, mais il serait incorrect de dire dans l'absolu, sans autre précision, que si   est uncomplémenteur, puisque ce même morphème peut aussi introduire des subordonnéescirconstancielles – ex. (14b). Il est important de noter ici qu'on ne peut pas régler cette questionen parlant d'une homonymie accidentelle entre deux éléments de relation différents, étant donnéque la même coïncidence s'observe dans de nombreuses langues un peu partout dans le monde –ex. (15).

(14)  français

a. Je ne sais pas [si Jean est déjà arrivé]

b. [Si Jean est déjà arrivé], il faut aller le saluer

 4 Pour éviter toute confusion, il est important de garder à l'esprit que le même terme se trouve en grammairegénérative pour désigner un élément fonctionnel abstrait, visible ou invisible (et dont les conjonctions sontseulement une concrétisation possible) qui est selon cette théorie présent dans toute unité phrastique.

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(15) bambara

a. Seku tè a dòn ko Fanta furu-laSékou INAC.NEG ceci savoir que Fanta se+marier-AC.POS

‘Sékou ne sait pas que Fanta s'est mariée’

b. Seku tè a dòn ni Fanta furu-laSékou INAC.NEG ceci savoir si Fanta se+marier-AC.POS

‘Sékou ne sait pas si Fanta s'est mariée’

c. Ni i ye Seku ye,a fo n yesi toi AC.POS Sékou voir lui saluer moi pour

‘Si tu vois Sékou, salue-le pour moi’

On peut aussi citer l'exemple de parce que, qui mérite pleinement le nom de conjonction desubordination dans la construction qu'illustre l'ex. (16a), mais qui en (16b) a un fonctionnement

de connecteur discursif.

(16)  français

a. Le sol est mouillé parce qu'il a plu(= je dis que le sol est mouillé, et que le fait qu'il ait plu en est la cause)

b. Il a plu, parce que le sol est mouillé(= je dis qu'il a plu, et ce qui me permet de le dire, c'est que le sol est mouillé)

Le morphème que du français présente un cas extrême de polyvalence. Il peut marquer dessubordonnées relatives – ex. (17a), des subordonnées complétives – ex. (17b), dessubordonnées circonstancielles – ex. (17c-e), et peut même introduire des unités phrastiquesindépendantes – ex. (17f). Par conséquent, il est possible de dire selon les cas que que

FONCTIONNE COMME complémenteur, ou comme relativiseur, ou comme introducteur desubordonnées circonstancielles, ou comme marque de la valeur énonciative d'une phraseindépendante, mais il n'est pas possible de caractériser dans l'absolu que comme appartenant àun type précis d'éléments de relation. La seule chose qui reste constante dans les emplois de que

illustrés par l'ex. (17) est que que introduit une unité phrastique, et que la combinaison de que etdu mode verbal (indicatif / subjonctif) détermine les possibilités d'insérer l'unité phrastique enquestion, ou bien dans une construction phrastique complexe – ex. (17a-e), ou bien directement

dans le discours – ex. (17f).

(17)  français

a. Je ne connais pas l'homme [que tu viens de saluer]

b. Je ne savais pas [que tu avais une nouvelle voiture]

c. Approche-toi, [qu'on puisse te voir]

d. Arrête de faire du bruit, [que tu vas réveiller le bébé]

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e. Qu'est-ce qui t'arrive, [que tu trembles comme ça]?

f. Qu'il entre immédiatement!

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Leçon 23

 La relativisation

1. La relative comme structure phrastique exprimant une propriété typiquementutilisée pour restreindre l'ensemble des référents potentiels de son antécédent

La signification de la plupart des noms communs peut s'analyser en première approximationcomme une propriété permettant de reconnaître, dans chaque situation de référence possible,l'ensemble des référents potentiels du nom en question (cet ensemble peut bien sûr être vide).Par exemple, garçon peut a priori être utilisé pour se référer à tout individu présent dans unesituation de référence qui vérifie la propriété être un garçon.

Parmi les modifieurs qui peuvent s'ajouter à un nom pour former un constituant nominal,certains ont pour effet de restreindre la signification du nom, c'est-à-dire d'indiquer que leréférent de l'expression nominale appartient à un sous-ensemble de l'ensemble des référentspotentiels du nom qui en est la tête. On peut parler de modifieurs à valeur restrictive. Parexemple, le référent de voiture rapide est désigné comme appartenant à un sous-ensemble del'ensemble des référents potentiels de voiture.

Dans les cas simples, on peut décrire cette opération de restriction comme le résultat de laconjonction de deux propriétés: le référent de l'expression nominale est désigné comme vérifiantà la fois la propriété qu'exprime le nom qui en est la tête et la propriété qu'exprime le modifieur.Par exemple, en désignant un référent comme voiture rouge, on précise que parmi les élémentsde la situation de référence, il appartient au sous-ensemble des x vérifiant la conjonction desdeux propriétés être une voiture et être rouge: {x | voiture(x) & rouge(x)}, ou, ce qui revient au

même, à l'intersection de l'ensemble des x vérifiant la propriété être une voiture et de l'ensembledes x vérifiant la propriété être rouge: {x | voiture(x)} ¥ {x | rouge(x)}.C'est notamment à une analyse de ce type que se prêtent généralement les expressions

nominales comportant un nom (traditionnellement désigné comme l'antécédent) et une relative (lapossibilité d'employer les relatives en valeur non restrictive, qui n'existe d'ailleurs pas dans toutesles langues, peut être tenue comme un phénomène secondaire; on en dira quelques mots plusloin).

Dans les phrases de l'ex. (1), les crochets délimitent des constituants nominaux qui résultentde la combinaison d'un nom avec un modifieur dans lequel on peut reconnaître une structure detype phrastique, et cette combinaison signifie que le référent du constituant entre crochets Nappartient à un ensemble caractérisé par une conjonction de propriétés, ou à l'intersection de

deux ensembles, de la façon indiquée à la suite de chaque phrase.

(1)  français

a. Je vais te montrer [le garçon qui a parlé de moi à Marie]Je vais te montrer Nle référent de N appartient à {x | x est un garçon & x a parlé de moi à Marie}(ou si on veut, à {x | x est un garçon} ¥ {x | x a parlé de moi à Marie})

b. [Le projet dont tu as parlé à Marie] me paraît intéressantN me paraît intéressantle référent de N appartient à {x | x est un projet} ¥ {x | tu as parlé de x à Marie}

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(ou si on veut, à {x | x est un projet & tu as parlé de x à Marie})

c. [Le responsable à qui j'ai parlé de ton projet] souhaite te rencontrerN souhaite te rencontrerle référent de N appartient à {x | x est un responsable & j'ai parlé de ton projet à x}

(ou si on veut à {x | x est un responsable} ¥ {x | j'ai parlé de ton projet à x})

Les constituants nominaux analysés en (1) incluent donc des modifieurs exprimant despropriétés différentes, mais qui toutes sont construites à partir d'un même schème phrastique;comme cela est indiqué en (2), à partir du même schème phrastique, on pourrait aussi construiredes phrases assertives – ex. (2a), mais dans la relativisation, le schème phrastique est utilisé pourconstruire une propriété.

(2)  français

a. phrases assertives Jean a parlé de moi à Marie

Jean m'a parlé de ses projetsetc.

b. propriété 1 x a parlé de moi à Marie(il peut y avoir des gens dont on peut dire "ils ont parlé de moi

à Marie", et d'autres dont on ne peut pas dire la même chose)

c. propriété 2 Jean a parlé de x à Marie(il peut y avoir des gens ou des choses dont on peut dire "Jean a

parlé de ces gens – ou de ces choses – à Marie", et d'autres dont

on ne peut pas dire la même chose)

d. propriété 3 Jean a parlé de moi à x(il peut y avoir des gens dont on peut dire "Jean leur a parlé de

moi", et d'autres dont on ne peut pas dire la même chose)

Ainsi, la relativisation implique une opération logique de construction d'une propriété enutilisant un schème phrastique exactement comme pour construire une phrase assertive, mais enfaisant figurer une variable à la place de l'un des termes nominaux. Le terme nominal laissé"ouvert" dans le schème phrastique relativisé (le terme qui apparaît comme une variable dans lareprésentation logique) s'appelle terme relativisé :

 – dans le garçon qui a parlé de moi à Marie, le terme relativisé est le sujet du verbe parler; – dans le projet dont tu as parlé à Marie, le terme relativisé est le complément du verbe

 parler introduit par la préposition de; – dans le responsable à qui j'ai parlé de ton projet , le terme relativisé est le complément du

verbe parler introduit par la préposition à.Dans les exemples examinés jusqu'ici, les termes relativisés étaient tous directement liés au

noyau prédicatif de la structure phrastique à laquelle s'applique l'opération de relativisation. Maisil est aussi possible de relativiser des positions nominales à l'intérieur d'un constituant nominal(notamment des positions de génitif) ou à l'intérieur de subordonnées enchâssées dans lastructure relativisée: dans l'ex. (3), le terme relativisé est le génitif enchâssé dans le constituantnominal sujet du verbe sortir, et en (4), le noyau prédicatif de l'unité phrastique relativisée régitune complétive équivalente à un constituant nominal objet, et le terme relativisé est en fonction de

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complément à l'intérieur de cette subordonnée.

(3)  français

Je ne connais pas [le garçon dont la sœur sort avec Jean]

Je ne connais pas Nle référent de N appartient à {x | x est un garçon & la sœur de x sort avec Jean}(ou si on veut, à {x | x est un garçon} ¥ {x | la sœur de x sort avec Jean})

(4)  français

Je ne suis pas au courant [du projet dont tu dis que Jean t'a parlé]Je ne suis pas au courant de Nle référent de N appartient à {x | x est un projet} ¥  {x | tu dis que Jean t'a parlédex} (ou si on veut, à {x | x est un projet & tu dis que Jean t'a parlé dex})

En français, le syntagme formé par un nom et une relative qui restreint le signifié de ce nomse construit avec la relative postposée au nom. On peut parler de "relatives postnominales" pourdistinguer ce type de construction d'autres types moins courants mais qui se rencontrent aussidans les langues du monde (cf. cours de maîtrise).

2. Relatives restrictives, relatives explicatives et relatives narratives

Dans la section 1 on a considéré seulement des relatives restrictives, c'est-à-dire des relativesutilisées dans des constructions où la propriété qu'elles expriment sert à restreindre l'ensembledes référents potentiels du nom avec lequel elles se combinent. Mais des unités phrastiques de

structure identique ou très semblable à celle des relatives restrictives se rencontrent dans desconstructions où elles ajoutent un commentaire à propos du référent du nom sans modifier sonextension (relatives explicatives) – ex. (5a), ainsi que dans des constructions où elles se réfèrentà un évenement lié temporellement à celui auquel réfère l'unité phrastique à laquelle appartientleur antécédent (relatives narratives) – ex. (5b).

(5)  français

a. Mes étudiants, qui s'étaient bien préparés, ont tous été reçus

b. J'ai salué Jean, qui a fait semblant de ne pas me voir

Les relatives restrictives, explicatives et narratives ont en commun de signifier une propriétéconstruite selon la démarche explicitée à la section 1. Elles diffèrent dans l'utilisation que faitl'énonciateur de la propriété ainsi construite.

Du point de vue typologique, l'important est d'observer que toutes les langues ont desconstructions fonctionnellement équivalentes aux relatives restrictives du français, et que parcontre, la possibilité d'utiliser des constructions identiques ou semblables avec des valeurs dutype illustré à l'ex. (5) n'existe pas dans toutes les langues, ce qui justifie de considérer commeprototypiques les relatives restrictives.

3. Premières observations sur les unités phrastiques relativisées: la notion de "trousyntaxique" (gap)

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Les manifestations morphosyntaxiques du traitement sémantico-logique que subissent lesunités phrastiques relativisées varient d'une langue à l'autre.

En français et dans bien d'autres langues, la relativisation met en jeu un phénomène qui mériteune attention particulière, car il s'agit de quelque chose qui ne se laisse pas constater de manière

immédiate, et que seules des manipulations peuvent mettre en évidence.En comparant les relatives enchâssées dans les phrases analysées à la section 1 avec desunités phrastiques indépendantes, on observe l'impossibilité d'introduire dans la relative, à saforme canonique et dans sa position canonique, l'un des termes nominaux de l'unité phrastiqueindépendante correspondante – ex. (6).

(6)  français

a. Je vais te montrer [le garçon [qui d'après Paul a parlé de moi à Marie]]D'après Paul Jean a parlé de moi à Marie*Je vais te montrer [le garçon [qui d'après Paul Jean a parlé de moi à Marie]]

b. [Le projet [dont tu as parlé à Marie]] me paraît intéressantTu as parlé de Jean à Marie*[Le projet [dont tu as parlé de Jean à Marie]]me paraît intéressant

c. [Le responsable [à qui j'ai parlé de ton projet]] souhaite te rencontrerJ'ai parlé de ton projet à Jean

*[Le responsable [à qui j'ai parlé de ton projet à Jean] souhaite te rencontrer

En tentant ainsi d'introduire dans une relative, dans leur position canonique, divers termes

nominaux qui pourraient être introduits dans la phrase indépendante correspondante, on met enévidence l'existence d'un "trou syntaxique" dans une position qui coïncide avec la position oùapparaît la variable x dans une représentation logique ou qui inclut cette position. En (7), le traithorizontal concrétise ce trou syntaxique, et les parenthèses signalent des éléments en relationavec le terme relativisé qui eux aussi disparaissent de leur position canonique dans l'unitéphrastique relativisée.

(7)  français

a. Je vais te montrer [le garçon [qui d'après Paul — a parlé de moi à Marie]](la relative signifie la propriété "x a parlé de moi à Marie")

b. [Le projet [dont tu as parlé (de) — à Marie]] me paraît intéressant(la relative signifie la propriété "tu as parlé de x à Marie")

c. [Le responsable [à qui j'ai parlé de ton projet (à) —]] souhaite te rencontrer(la relative signifie la propriété "j'ai parlé de ton projet à x")

—> L'utilisation de la notion de trou syntaxique est quelque peu problématique dans le cas de larelativisation du sujet, car en considérant seulement des phrases qui commencent par le sujet (cequi est en français la situation la plus courante), on pourrait tout aussi bien argumenter que qui

occupe tout simplement la position de sujet du verbe de la relative. C'est pour cela qu'on a prissoin ici d'illustrer la relativisation du sujet par un exemple dans lequel le sujet n'est pas le

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premier constituant de la phrase: il est clair dans ce cas que qui ne peut pas se substituer ausujet. En anticipant sur ce qui suit, notons aussi que seule l'hypothèse d'un trou syntaxique dansla construction qu'illustre l'ex. (7a) est cohérente avec l'analyse des relativiseurs du français quisera proposée à la section 6.

Mais la relativisation de l'un des termes nominaux de l'unité phrastique relativisée ne semanifeste pas seulement de façon négative, par un trou syntaxique dans la position canonique duterme relativisé: elle se manifeste aussi positivement par la présence à la marge gauche de larelative d'un élément (traditionnellement appelé selon les cas pronom relatif ou adverbe relatif)dont les variations sont corrélées à la nature de la position relativisée: qui en (7a), dont  en (7b), à

qui en (7c). Pour éviter de nous prononcer prématurément sur la nature exacte de cet élément,nous le désignerons ici simplement comme relativiseur.

On remarque notamment que, lorsque le trou syntaxique à l'intérieur de la relative s'étend àune préposition, ou bien le relativiseur prend une forme spéciale, ou bien il est accompagné de lapréposition en question. Il est intéressant de comparer ceci avec des constructions de l'anglaisdans lesquelles, lorsque le relativiseur est that , les prépositions se maintiennent dans leur

position canonique malgré le trou syntaxique que fait apparaître la relativisation de leurcomplément nominal – ex. (8c).

(8) anglais

a. propriété: you can rely on x

b. a person [on whom you can rely (on) —]

c. a person [that  you can rely on —]

Il est intéressant aussi d'observer la relativisation des positions génitivales illustrée par l'ex.(9): lorsque la position relativisée est une position de génitif à l'intérieur d'un groupeprépositionnel, c'est ce groupe tout entier (avec le relativiseur en position de génitif) qui apparaîtnon pas à sa position canonique dans la relative, mais à la marge gauche de la relative.

(9)  français

a. propriété: Marie travaille avec la sœur de x

b. le garçon avec la sœur de qui Marie travaille

c. le garçon [[avec la sœur de qui] [Marie travaille (avec la sœur de) —]]]

4. Relatives sans antécédent

On peut considérer comme particulièrement banal l'emploi des relatives comme modifieurd'un nom (désigné traditionnellement comme "antécédent" de la relative) qui délimite undomaine à l'intérieur duquel la propriété exprimée par la relative délimite un sous-domaine, maisil peut arriver aussi qu'aucun nom n'explicite le domaine auquel est rapportée la propriétéqu'exprime la relative. Dans certains cas, l'absence d'antécédent peut être motivée par uneanaphore discursive – ex. (10a), mais il peut se produire aussi que l'absence d'antécédent nes'explique pas par une anaphore, et que le domaine dans lequel la relative introduit une restriction

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soit tout simplement à interpréter comme l'ensemble de tous les référents potentiels pourlesquels la propriété qu'exprime la relative a un sens – ex. (10b).

(10)  français

a. Ce film est plus intéressant que [celui que j'ai vu hier](le référent de [celui que j'ai vu hier] s'interprète comme appartenant à l'intersectionde {x|x est un film} et de {x | j'ai vu x hier})

b. Ce film a passionné [ceux qui l'ont regardé](le référent de [ceux qui l'ont regardé] s'interprète comme {x | x a regardé ce film})

En français, on peut considérer que celui / celle / ceux / celles  fonctionne dans cesconstructions comme substitut d'antécédent. Mais il existe aussi des relatives sans antécédentdans lesquelles la séquence relativiseur + relative forme à elle seule un constituant nominal –ex.(11).

(11)  français

a. [Qui veut voyager loin] ménage sa monture

b. Invite [qui tu veux]

L'analyse de ces constructions, peu productives en français actuel, est rendue délicate par lefait qu'elles ne peuvent vraiment s'expliquer qu'en référence à un état ancien de la langue et nepeuvent pas être systématiquement reliées, dans une stricte description synchronique, aux

constructions utilisées en présence d'un antécédent. En effet, en français, la "relative substantive"conserve le souvenir de l'emploi de qui dans la relativisation de l'objet, emploi qui en règlegénérale a disparu du français contemporain – ex.(12).

(12)  français

a. Invite [qui tu veux (inviter) –]

b. Invite [les gens [que tu veux (inviter) –]]]

5. Relatives dans lesquelles un pronom résomptif occupe la position canonique du

terme relativisé

Les mécanismes de relativisation du français font généralement apparaître un "trousyntaxique" dans la position canonique du terme relativisé (ou dans une position qui inclut laposition canonique du terme relativisé). Mais une autre stratégie est possible, dans laquelle, sansque cela puisse s'expliquer par un phénomène d'indexation obligatoire du terme en question, leterme relativisé est traité exactement comme il le serait dans une phrase indépendante où il seraitdans une relation d'anaphore discursive avec l'antécédent – ex. (13). On désigne généralementcomme "pronoms résomptifs" les pronoms ou indices pronominaux qui occupent dans unerelative la position canonique du terme relativisé et dont la présence n'est pas imputable à unphénomène obligatoire d'indexation.

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(13) tswana

a. Leburu le rekiseditse monna dikgomo5AfrikanerSCL5 avoir+vendu 1homme 10vache

‘L'Afrikaner a vendu des vaches à l'homme’

b. Leburu le mo rekiseditse dikgomo5AfrikanerSCL5 OCL1 avoir+vendu 10vache

‘L'Afrikaner lui a vendu des vaches’

c. monna yo [Leburu le mo  rekiseditse-ng dikgomo]1homme 1JONCT 5Afrikaner SCL5 OCL1 avoir+vendu-REL 10vache

‘l'homme à qui l'Afrikaner a vendu des vaches’

d. Kebonye dikgomotsa monna kwa nokeng

S1S avoir+vu 10vache 10GEN1homme à 9rivière.LOC‘J'ai vu les vaches de l'homme au bord de la rivière’

e. Kebonye dikgomotsa gagwe kwa nokengS1S avoir+vu 10vache 10GEN1PRO à 9rivière.LOC

‘J'ai vu ses vaches au bord de la rivière’

f. monna yo [ke bonye-ng dikgomotsa gagwe kwa nokeng]1homme 1JONCT S1S avoir+vu-REL 10vache 10GEN  1PRO à 9rivière.LOC

‘l'homme dont j'ai vu les vaches au bord de la rivière’

g. Kitso o tsamaile le monna1Kitso SCL1 être+parti avec 1homme

‘Kitso est parti avec l'homme’

h. Kitso o tsamaile le ene1Kitso SCL1 être+parti avec 1PRO

‘Kitso est parti avec lui’

i. monna yo [Kitso o tsamaile-ng le ene]]

1homme 1JONCT 1Kitso SCL1 être+parti-REL avec 1PRO

‘l'homme avec qui Kitso est parti’

Bien qu'occultée par les descriptions traditionnelles, cette stratégie de relativisation n'est pasinconnue du français. D'abord, le français parlé fait un large usage de pronoms résomptifs dansles relatives introduites par le relativiseur que – ex. (14a), et même en français standard, il existedes constructions qui combinent le relativiseur dont  avec la présence d'un pronom résomptif –ex. (14b).

(14)  français

a. Jean vient d'acheter une voiture [que quand tu la vois, tu te demandes comment elle

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peut encore rouler](la propriété signifiée par la relative est "quand tu vois x, tu te demandes comment xpeut encore rouler")

b. Je vais vous donner un argument [dont je suis sûr qu'il n'a pas encore été avancé]

(la propriété signifiée par la relative est "je suis sûr que x n'a pas encore été avancé")

6. L'analyse des relativiseurs qui introduisent les relatives postnominales

L'analyse précise des relativiseurs qui apparaissent à la marge gauche des relativespostnominales est dans beaucoup de langues, et notamment en français, une questionparticulièrement délicate.

La grammaire traditionnelle désigne systématiquement comme "pronoms relatifs" ou"adverbes relatifs" les éléments qui occupent cette position, en ajoutant simplement parfois qu'àla fonction pronominale de ces unités s'ajoute une fonction de marque de subordination. Mais leterme même de pronom relatif implique de considérer que le relativiseur est une unité de nature

nominale qui à la fois occupe la fonction du terme relativisé et se place dans une position noncanonique. Par conséquent, ce terme ne devrait être utilisé que lorsqu'il existe des arguments àl'appui d'une telle analyse. Or il est facile de voir que la présence de pronoms relatifs dans lesstructures de relativisation n'est pas une nécessité absolue.

Tout d'abord, nous venons de voir qu'il existe des structures de relativisation dans lesquellesl'antécédent est repris par un pronom qui est tout simplement un pronom ordinaire à sa positionhabituelle, et non pas un pronom spécial occupant une position non canonique. Il sembledifficile de trouver une justification théorique à l'identification comme "pronom relatif" d'unrelativiseur qui introduit un relative à pronom résomptif, car cela voudrait dire que pour la mêmefonction syntaxique, on aurait simultanément un pronom en position canonique et un pronom

occupant une position spéciale.Ensuite, la construction anglaise illustrée par l'ex. (15) montre que des structures derelativisation ne mettant en jeu ni pronom ni relativiseur sont parfaitement possibles: dans cetteconstruction, il n'y a rien à la marge gauche de la relative qui "compense" d'une manière ou d'uneautre le trou syntaxique.

(15) anglais

a. the man [we met — yesterday]

b. the book [I read — last week]

c. the day [we went to Paris —]

d. the place [we stayed —]

e. the reason [I went there —]

f. the man [I spoke to —]

En fait, les relativiseurs qui apparaissent souvent à la marge gauche des relativespostnominales ne méritent de manière certaine d'être considérés comme des pronoms occupantla fonction du terme relativisé que lorsque les conditions suivantes sont remplies:

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 – la position canonique du terme relativisé n'est pas occupée par un pronom ordinaire; – le relativiseur change de forme selon la fonction syntaxique du terme relativisé, ou peut faire

partie d'un syntagme dans lequel il apparaît combiné avec des éléments (prépositions parexemple) qui vont avec le terme relativisé et qui donc peuvent être considérés eux aussi comme"extraits" de leur position canonique dans la relative – ex. (16).

(16)  français

a. J'ai parlé avec x

b. le garçon [[avec qui] [j'ai parlé (avec) —]

c. J'ai parlé avec le frère de x

d. le garçon [[avec le frère de qui] [j'ai parlé (avec le frère de) —]

On peut aussi rencontrer, à la marge gauche des relatives postnominales, deux types derelativiseurs qu'il est abusif de désigner comme "pronoms relatifs":

 – les relativiseurs peuvent être des mots qui présentent des variations de forme gouvernéespar l'antécédent, mais qui ne varient pas selon la nature de la position relativisée, et qui jamais neforment syntagme avec un quelconque élément "extrait" de sa position canonique dans larelative; c'est notamment le cas du mot glosé JONCT (joncteur) dans l'ex. (13) ci-dessus:historiquement, c'est un ancien démonstratif qui a perdu dans cette construction son sensdéictique pour devenir un simple mot de liaison entre l'antécédent et la relative; comme lesdémonstratifs dont il est issu, il s'accorde en classe avec le nom auquel il succède, mais il ne varie

 jamais selon la nature de la position relativisée et n'apparaît jamais combiné avec un élément

extrait de la relative; en outre, il serait difficile de l'analyser comme pronom occupant la fonctiondu terme relativisé, dans la mesure où cette fonction est déjà occupée en tswana par un pronomordinaire en position canonique.

 – les relativiseurs peuvent enfin être des mots totalement invariables, qui généralement serencontrent aussi en fonction de complémenteur, et qui par conséquent doivent s'analyser commede simples marques de subordination de la relative.

L'ex. (17) illustre le cas d'une langue (l'occitan) qui n'a pas d'autre possibilité que d'utilisercomme relativiseur un morphème utilisé par ailleurs comme complémenteur; ce morphème esttotalement invariable et ne forme jamais syntagme avec des éléments extraits de la relative.

(17) occitan

a. l'òme que parlal'homme que parler.S3S

‘l'homme qui parle’

b. l'òme que  vesil'homme que voir.S1S

‘l'homme que je vois’

c. l'òme que  parlil'homme que parler.S1S

‘l'homme dont je parle’

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d. l'òme que  li ai parlatl'homme que D3S AUX.S1S parlé

‘l'homme à qui j'ai parlé’

e. lo jorn que  venguèrile jour que venir.TAM.S1S

‘le jour où je suis venu’

f. l'endrech que nasquèril'endroit que naître.TAM.S1S

‘l'endroit où je suis né’

g. un bòsc que vos i mostrarai losarbres que butan aquí  un bois que D2P là montrer.TAM.S1S les arbres quepousser.S3P ici

‘un bois où je vous montrerai les arbres qui poussent ici’

h. un peis que  jamai aviá pas vist son parieuun poisson quejamais AUX.TAM.S3S NEG vu sonpareil

‘un poisson dont il n'avait jamais vu le pareil’

Ce qui peut compliquer l'analyse des relativiseurs, c'est essentiellement la possibilité queplusieurs stratégies de relativisation soient en concurrence dans une même langue. Par exemple,l'anglais a une possibilité de relativisation sans aucun matériau morphologique – ex. (15) ci-dessus), mais a aussi deux autres possibilités:

 – l'anglais peut utiliser comme relativiseur that  – ex. (18), qui peut s'analyser comme simple

marque de subordination, car il ne varie pas, ne forme jamais de syntagme avec des élémentsextraits de la relative, et est attesté par ailleurs comme complémenteur; – l'anglais peut utiliser comme relativiseurs les mots en wh- – ex. (19), qui sont par contre

clairement de nature pronominale, comme le montrent leurs possibilités de variation et leuraptitude à former des syntagmes avec des éléments extraits de la relative.

(18) anglais

a. the man [that  [we met — yesterday]]

b. the book [that  [I read — last week]]

c. the day [that  [we went to Paris —]]

d. the place [that  [we stayed —]]

e. the reason [that  [I went there —]]

f. the man [that  [I spoke to —]

g. *the man [to that  [I spoke (to) —]

(19) anglais

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a. the man [whom [we met — yesterday]]

b. the book [which [I read — last week]]

c. the day [when [we went to Paris —]]

d. the place [where [we stayed —]]

e. the reason [why [I went there —]]

f. the man [whom [I spoke to —]

g. the man [to whom [I spoke (to) —]

Il faut aussi envisager la possibilité de cumuler un pronom relatif et un relativiseur de nature

non pronominale – ex. (20).

(20) moyen anglais

a. this book [of which that  [I make mencioun]]litt. ‘ce livre duquel que j'ai fait mention’

b. a doghter [which that  [called was Sophie]]litt. ‘une fille laquelle qu'était appelée Sophie’

Comme cela a déjà été rappelé, la grammaire française traditionnelle désigne uniformémentcomme "pronoms relatifs" les relativiseurs qui, que et dont , et des données comme (21) semblentà première vue appuyer une telle analyse.

(21)  français

a. l'homme [qui [— m'a parlé de toi]]

b. l'homme [que [j'ai vu — hier]]

c. l'homme [à qui [j'ai parlé — hier]]

d. l'homme [dont / de qui [je t'ai parlé —]]

e. l'homme [avec qui [je suis venu —]]

Mais on doit d'abord remarquer une différence importante entre qui dans la relativisation ducomplément d'une préposition et qui dans la relativisation du sujet: le qui qui apparaît dans larelativisation du complément d'une préposition (comme d'ailleurs le qui interrogatif) implique letrait +humain (ce qui est un indice de sa nature pronominale), alors que ce n'est pas le cas du qui

de la relativisation du sujet. Quant au relativiseur que, non seulement il est lui aussi insensible autrait ±humain, mais en outre il s'emploie en français non standard pour la relativisation de toutessortes de positions syntaxiques (et pas seulement de l'objet) – ex. (22a) à (22c), et son emploi

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peut aller de pair avec la présence d'un pronom résomptif – ex. (22d).

(22)  français non standard 

a. J'aime pas la façon que tu me parles

b. J'ai été voir le film que tu m'avais parlé

c. Marie est partie le jour que Jean est arrivé

d. C'est un film que tous les gens qui l'ont vu en disent le plus grand bien

Par ailleurs, il existe en français des relatives introduites par lequel, qui présente quant à luiles variations qu'on peut attendre d'un véritable pronom. Or l'ex. (23) montre que, lorsque laposition relativisée est celle du sujet ou de l'objet direct, il est impossible de remplacer qui / que

par lequel. Cette impossibilité est inexplicable dans le cadre de l'analyse traditionnelle, mais elle a

une explication évidente si on admet que le français n'a en réalité recours à des pronoms relatifsque lorsque la position relativisée est autre que celle du sujet ou de l'objet direct, et parconséquent que les relativiseurs qui et que qui apparaissent dans la relativisation du sujet et del'objet ne sont pas de nature pronominale.

(23)  français

a. *l'homme [lequel [— m'a parlé de toi]]

b. *l'homme [lequel [j'ai vu — hier]]

c. l'homme [auquel [j'ai parlé — hier]]

d. l'homme [duquel [je t'ai parlé —]]

e. l'homme [avec lequel [je suis venu —]]

Une analyse possible est donc qu'en français standard, la relativisation fonctionne de façondifférente selon la nature de la position relativisée – cf. (24).

(24) antécédent

l'hommel'hommel'hommel'hommel'homme

pronom

relatif

——

de quià qui

avec qui

conjonction

de subord.

quique———

relative

— m'a parlé de toi j'ai vu — hier je t'ai parlé — j'ai parlé — hier je suis venu —

Cette analyse n'est toutefois possible que si on accepte l'idée qu'il faut distinguer en françaisdeux morphèmes qui là où la grammaire traditionnelle voit indistinctement un pronom relatif:

 – qui remplaçable par lequel est véritablement un pronom relatif, – qui   non remplaçable par lequel   est une variante combinatoire du morphème de

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subordination que qui assume par ailleurs la fonction de complémenteur.De façon précise, cette analyse se base sur la possibilité de formuler la règle suivante: le

morphème que a pour variante qui  lorsqu'il introduit une unité phrastique ne comportant niconstituant nominal sujet, ni clitique sujet.

Un argument très fort en faveur de cette analyse est qu'il y a d'autres données du français qui

ne peuvent s'analyser simplement qu'en admettant l'existence d'un allomorphe qui du morphèmede subordination que. En effet, dans des interrogations partielles où la question porte sur le sujetd'une complétive, on voit apparaître deux qui  – ex. (25a); or la comparaison avec desinterrogations partielles où le terme sur lequel porte la question occupe d'autres fonctions àl'intérieur de la complétive montre clairement que le premier qui  est le pronom interrogatif "extrait" de la complétive, alors que le deuxième qui apparaît dans une position où on attendrait apriori le complémenteur que – ex. (25b-d); et ici aussi, cette apparition d'un qui  difficilementexplicable si on n'accepte pas que qui puisse être allomorphe de la conjonction que va de pairavec un trou syntaxique en fonction de sujet.

(25)  français

a. Qui crois-tu [qui est venu me voir]?

b. Qui crois-tu [que j'ai rencontré là-bas]?

c. Avec qui crois-tu [que Jean est parti]?

d. Où crois-tu [que j'ai rencontré Jean]?

Cette hypothèse d'une homonymie entre un qui pronom et un qui allomorphe du morphème

de subordination que explique en outre le contraste qu'il y a en français parlé entre le i du quianalysé ici comme pronom (qui est invariablement maintenu dans la prononciation) et le i du qui

allomorphe de que (qui peut être réduit à une semi-voyelle ou même complètement élidé).On peut encore citer comme argument en faveur de cette analyse l'existence de la construction

qu'illustre l'ex. (26) dans des variétés non standard de français. Cette construction ne peut pass'analyser dans le cadre de l'analyse traditionnelle de la relativisation, car elle oblige à admettre lapossibilité de cumuler deux types d'unités considérés traditionnellement comme caractéristiquesde deux types différents de subordonnées: pronom relatif et conjonction de subordination. Ellemet en défaut aussi l'analyse souvent proposée selon laquelle les pronoms relatifs représententl'amalgame d'un pronom et d'une marque de subordination, puisqu'elle comporte clairement unmorphème de subordination (que) extérieur au pronom relatif.

(26)  français non standard 

a. l'homme [avec qui que [je suis venu —]]

b. l'homme [à qui que [j'ai parlé —]]

6. Pronoms relatifs et pronoms interrogatifs

Dans de nombreuses langues (français, anglais, etc.) il y a des affinités évidentes entrerelativisation et interrogation: les inventaires de pronoms interrogatifs et de pronoms relatifs serecoupent largement, pronoms interrogatifs et pronoms relatifs occupent une position

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comparable en début d'unité phrastique, et dans les usages non standard qui utilisent desinterrogatives comme par exemple Avec qui que t'es venu?, les interrogatifs peuvent être suivisd'une "conjonction de subordination" de la même façon que les pronoms relatifs de l'ex. (26).

L'explication de ces ressemblances est à chercher dans le fait que les relatives peuvent êtreissues diachroniquement d'une réinterprétation de subordonnées ayant initialement le statut

d'interrogatives indirectes. On observe en effet que dans certains contextes, une interrogativeindirecte et une relative sont également possibles, sans que le sens global de la phrase en soitaffecté – ex. (27).

(27)  français: interrogatives indirectes (a) / relatives (b)

a. Il m'a demandé [quel jour je comptais partir]Indique-lui [quel train il doit prendre]

b. Il m'a demandé [le jour où je comptais partir]Indique-lui [le train qu'il doit prendre]

A partir de telles synonymies, on conçoit bien que des verbes susceptibles d'introduireindifféremment des interrogatives indirectes ou des relatives peuvent constituer un contexte danslequel se développe la réinterprétation de constructions initialement interrogatives commeconstructions exprimant la relativisation. On observe d'ailleurs qu'un tel processus estactuellement à l'œuvre en français: dans certains usages non standard (et dans le langage desenfants), on trouve en effet utilisées avec une valeur clairement relative des unités phrastiquesintroduites par qu'est-ce que, dont il ne fait aucun doute que leur valeur originelle estinterrogative – ex. (28).

(28)  français standard (a) / non standard (b)

a. Je t'ai apporté [ce que tu m'a demandé]C'est [ce que je t'ai dit]

b. Je t'ai apporté [qu'est-ce que tu m'as demandé]C'est [qu'est-ce que je t'ai dit]

7. Formes verbales dépendantes et relativisation

Dans les exemples analysés jusqu'ici, les relatives avaient généralement pour noyau prédicatif 

une forme verbale capable de fonctionner aussi comme noyau prédicatif de phrasesindépendantes. C'est là la situation la plus commune dans les langues qui ont des relativespostnominales. Toutefois, la définition de la relativisation laisse ouverte la possibilité demécanismes de relativisation mettant en jeu l'utilisation de formes verbales non finies, eteffectivement, on peut notamment en français rencontrer des constructions auxquelles s'appliqueentièrement la définition de la relativisation, mais dans lesquelles l'unité phrastique qu'ilconviendrait de reconnaître comme relative si on appliquait de manière systématique lesdéfinitions générales a pour noyau prédicatif un infinitif ou un participe. En (29a), le constituantentre crochets a la structure d'une unité phrastique ayant pour noyau prédicatif le verbe savoir,avec un trou syntaxique dans la position du sujet, ce qui sémantiquement correspond à laconstruction de la propriété "x sait intéresser ses lecteurs", exactement comme en (29b), oùfigure une relative avec pour noyau prédicatif une forme d'indicatif du même verbe.

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(29)  français

a. un écrivain [— sachant intéresser ses lecteurs]

b. un écrivain [qui [— sait intéresser ses lecteurs]

En français, ce type de relativisation (que la grammaire traditionnelle ne reconnaît pas commetel) est beaucoup moins productif que celui qui utilise des formes verbales finies, mais le tswana

 – cf. ex. (13) ci-dessus – est un exemple de langue à relatives postnominales qui utiliseexclusivement des formes verbales spéciales pour la construction des relatives.

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Leçon 24

La complémentation

1. Subordonnées complétives et constituants nominaux

Les complétives sont des subordonnées non relatives qui forment avec un élément de laprincipale (qui peut être un verbe, un nom, un adjectif ou une adposition) une construction danslaquelle la subordonnée sature une valence de cet élément de manière analogue à ce que pourraitfaire un constituant nominal.

Dans les cas simples, le statut syntaxique des complétives se traduit par la possibilité de lesfaire commuter purement et simplement avec des constituants nominaux qui fonctionnent demanière similaire quant à la saturation d'une valence de leur régisseur. La situation du françaisprésentant sur ce point quelques complications, ce sont des exemples espagnols qui vont servir àillustrer la possibilité de commutation entre des constituants nominaux et des complétives régiespar un verbe – ex. (1), un nom – ex. (2), un adjectif – ex. (3) – ou une préposition – ex.(4).

(1) espagnol

a. Me gusta [la cocina mejicana]D1S plaire.S3S DEF cuisinemexicaine

‘J'aime la cuisine mexicaine’

b. Me gusta [que estéis contentos]

D1S plaire.S3S queêtre.TAM.S2P contents‘J'aime que vous soyez contents’

c. Insistió [en el tema]insister.TAM.S3S dans DEF thème

‘Il a insisté sur le thème’

d. Insistió [en que teníamos que volver]insister.TAM.S3S dans queavoir.TAM.S1P que revenir

‘Il a insisté sur le fait que nous devions revenir’

e. No le di importancia [a esa crítica]NEG D3S donner.TAM.S1S importance à DEM critique

‘Je n'ai pas accordé d'importance à cette critique’

f. No le di importancia [a que no mellamaran]NEG D3S donner.TAM.S1S importance à queNEG O1S appeler.TAM.S3P

‘Je n'ai pas accordé d'importance à ce qu'on ne me convoque pas’

(2) espagnol

a. No considero la posibilidad [de un fracaso]NEG envisager.S1S DEF possibilté de un échec

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‘Je n'envisage pas la possibilité d'un échec’

b. No considero la posibilidad [de que Juan se niegueNEG envisager.S1S DEF possibilté de queJuan MOY refuser.TAM.S3S

 a ayudar-me]

 à aider-O1S‘Je n'envisage pas la possibilité que Juan se refuse à m'aider’

c. Tengo la duda [de eso]avoir.S1S DEF doute de DEM

‘Je doute de cela’

d. Tengo la duda [desi habrán conseguido llegar]avoir.S1S DEF doute de si AUX.TAM.S3P réussi arriver

‘Je doute qu'ils aient réussi à arriver’

(3) espagnol

a. Estoyseguro [de mi decisión]être.S1S sûr de P1S décision

‘Je suis sûr de ma décision’

b. Estoy seguro [de que todavía no ha llegado]être.S1S sûr de que encore NEG AUX.S3S arrivé

‘Je suis sûr qu'il n'est pas encore arrivé’

(4) espagnol

a. He venido para [eso]AUX.S1S venu pour DEM

‘Je suis venu pour cela’

b. He venido para [que meinforméis]AUX.S1S venu pour que O1S informer.TAM.S2P

‘Je suis venu pour que vous m'informiez’

Mais l'équivalence entre complétives et constituants nominaux est loin d'être toujours aussi

parfaite.D'abord, il peut arriver que des complétives soient régies par un mot qui ne peut pas êtrecomplété de manière équivalente par un complément nominal – ex. (5).

(5) français

a. Il semble que le temps change

b. *Il semble N

c. *N semble

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Mais surtout, dans les détails de leur comportement, les complétives diffèrent souvent plus oumoins des constituants nominaux auxquels elles sont équivalentes du point de vue de lasaturation d'une valence du mot qui les régit.

Par exemple, en français et dans bien d'autres langues, l'utilisation de complétives commesujet est soumise à de fortes restrictions, et souvent, une complétive équivalente à un constituant

nominal sujet en termes de saturation de la valence du verbe doit se placer en positionpostverbale dans une construction impersonnelle – ex. (6).

(6)  français

a. [Cette hypothèse est possible] / *Il est possible [cette hypothèse]

b. ?[Que Jean vienne] est possible / Il est possible [que Jean vienne]

En français aussi, le complémenteur que est incompatible avec certaines prépositions, unepossibilité étant que la préposition disparaisse lorsqu'on fait commuter le nom avec une

complétive introduite par que – ex. (7).

(7)  français

a. Je me réjouis [de cette nouvelle]

b. Je me réjouis [que vous soyez venus]

c. *Je me réjouis [de que vous soyez venus]

On peut aussi mentionner en français l'impossibilité de focaliser les complétives en fonctiond'objet au moyen de la construction clivée qui permet de focaliser les constituants nominaux quioccupent la même fonction – ex. (8).

(8)  français

a. Je veux [ce livre]

b. C'est [ce livre] que je veux

c. Je veux [que tu m'aides]

d. *C'est [que tu m'aides] que je veux

En tswana, il n'est pas possible d'insérer des adverbes entre le verbe et un constituant nominalobjet, alors que les mêmes adverbes s'insèrent entre le verbe et une complétive équivalente à unnom objet – ex. (9)

(9) tswana

a. Keitse Kitso sentleS1S connaître Kitso bien

‘Je connais bien Kitso’

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b. *Ke itse sentleKitso  S1S connaître bien Kitso

c. Ke itse sentlegore Kitso o batla go nyala Lorato

S1S savoir bien queKitso SCL1 vouloir INFépouser Lorato‘Je sais bien que Kitso veut épouser Lorato’

On peut observer les trois tendances générales suivantes quant aux différences decomportement entre complétives et constituants nominaux:

 – les complétives tendent à occuper la dernière position dans les constructions dont elles fontpartie;

 – de toutes les positions syntaxiques qui accueillent des constituants nominaux, la position desujet manifeste des restrictions particulièrement fortes quant à la possibilité d'accueillir descomplétives;

 – on observe souvent des complétives construites obligatoirement de manière identique à des

constituants nominaux détachés dans une construction disloquée, sans qu'il soit par contrepossible de les placer à l'intérieur de l'unité phrastique dans la position canonique du constituantnominal auquel elles sont équivalentes.

L'ex. bambara (10) illustre cette dernière tendance: en bambara, les constituants nominaux enfonction d'objet précèdent le verbe, mais les complétives équivalentes à des constituantsnominaux objets succèdent à la principale, et le pronom a , qui doit s'analyser commereprésentant la complétive, occupe dans la principale la position canonique de l'objet.

(10) bambara

a. Seku ye [tiyèn] fò Adama yeSékou AC.POS vérité direAdamaà

‘Sékou a dit la vérité à Adama’

b. Seku y' [a] fò Adama yeSékou AC.POS ceci direAdama à

‘Sékou a dit ceci à Adama’

c. Seku y' [a]i fò Adama ye [ko Fanta furula]iSékou AC.POS ceci direAdama à que Fanta se+marier.AC.POS

‘Sékou a dit à Adama que Fanta s'était mariée’

litt. ‘Sékou a dit ceci à Adama, que Fanta s'était mariée’

2. Complémentation sans marques morphologiques

Tous les exemples de la section 1 concernaient des complétives identiques à des unitésphrastiques indépendantes mais marquées comme complétives par la présence d'uncomplémenteur. Il se peut aussi (cf. section 4) que le mécanisme de complémentation soitmarqué par l'utilisation d'une forme verbale dépendante. Mais il est important d'admettre qu'uneunité phrastique puisse aussi fonctionner comme complétive sans qu'apparaisse nécessairementune quelconque marque morphologique de son statut de complétive.

Par exemple, la phrase anglaise (11a) a l'apparence d'une simple juxtaposition de deux unitésphrastiques, mais l'observation de son fonctionnement permet de voir que you've found the right 

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solution équivaut à un constituant nominal objet de think   "penser", exactement comme si lecomplémenteur that  était présent. En particulier, you've found the right solution  est sous laportée d'une négation exprimée morphologiquement au niveau du verbe think  "penser": (11b) nesignifie pas "(a) je ne pense pas et (b) tu as trouvé la bonne solution", mais "je pense, et ce que jepense est que tu n'as pas trouvé la bonne solution"; ceci ne devrait pas être possible s'il s'agissait

réellement d'un enchaînement de deux unités phrastiques indépendantes.

(11) anglais

a. I think you've found the right solution

b. I don't think you've found the right solution

Des exemples semblables peuvent se rencontrer notamment dans beaucoup de langues avec letype particulier de complétives que sont les interrogatives indirectes, aussi bien du type demandede précision – ex. (12) – que du type question oui / non – ex. (13).

(12)  français

a. Je ne sais pas [quelle note je vais avoir]

b. Je me demande [combien il peut gagner]

(13)  finnois

a. Tulee-ko hän?

venir.S3S-INTER lui‘Est-ce qu'il vient?’

b. En tiedä, [tulee-ko hän]NEG.S1S savoir venir.S3S-INTER lui

‘Je ne sais pas s'il vient’ (litt. ‘Je ne sais pas est-ce qu'il vient’)

3. L'origine des complémenteurs

3.1. Complémenteurs et démonstratifs

Beaucoup de langues ont des complémenteurs identiques à un démonstratif, comme enanglais that  – ex. (14a-b). De telles coïncidences résultent de la réanalyse d'un enchaînement dedeux unités phrastiques qui ne comportait aucune marque de subordination, mais dans lequel lapremière unité phrastique incluait un démonstratif se référant cataphoriquement au contenu de ladeuxième unité phrastique – ex. (14c); en effet, si dans un tel enchaînement le démonstratif apparaît régulièrement à la jonction des deux unités phrastiques, il peut se réinterpréter commecomplémenteur de la manière indiquée en (14d).

(14) anglais

a. I know that

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b. I know that John went to Italy

c. I know that: John went to Italy

d. [I know [that]i]: [John went to Italy]i —> [I know [that [John went to Italy]]

3.2. Complémenteurs et introducteurs de discours

Le français est une langue dans laquelle tous les verbes de parole peuvent s'utiliser de deuxmanières pour citer des paroles prononcées par le référent du sujet (ou qui explicitent unepensée attribuée au référent du sujet):

 – au "discours direct", ils prennent comme complément une unité phrastique qui n'est pasmarquée par un complémenteur, et qui reproduit sans aucun changement les paroles prononcéespar le référent du sujet – ex. (15a);

 – au "discours indirect", ils prennent comme complément une unité phrastique marquée parun complémenteur et qui reproduit avec certains changements dans les déictiques les paroles

prononcées par le référent du sujet – ex. (15b).En plus de cela, les verbes de parole du français peuvent comme les autres verbes se

construire avec des compléments nominaux – ex. (15c).

(15)  français

a. Le président a dit / avoué …: «J'ai des problèmes»

b. Le président a dit / avoué … qu'il avait des problèmes

c. Le président a dit / avoué … la véritéMais beaucoup de langues organisent différemment l'ensemble des verbes de parole, avec un

verbe unique (ou parfois un prédicatif non verbal) spécialisé de manière exclusive commeintroducteur de discours:

 – le verbe ou prédicatif non verbal spécialisé comme introducteur de discours se combinedirectement avec une unité phrastique qui reproduit les paroles attribuées au référent du sujet;

 – le verbe ou prédicatif non verbal spécialisé comme introducteur de discours ne peut pas seconstruire avec des compléments nominaux se référant à des paroles attribuées au référent dusujet;

 – les autres verbes de parole peuvent prendre des compléments nominaux, mais ne peuvent

pas se construire directement avec des compléments phrastiques: avec les autres verbes de paroleou de pensée, un complément phrastique est nécessairement introduit par le verbe (ou prédicatif non verbal) introducteur de discours, qui fait alors office de complémenteur.

Par exemple, en tswana, le verbe (irrégulier) re  "dire" fonctionne comme introducteur dediscours, et son infinitif gore fonctionne comme complémenteur avec les autres verbes de parole

 – ex. (16).

(16) tswana

a. Kitso o tsileKitso SCL1 être+venu

‘Kitso est venu’

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b. Lorato o rile Kitso o tsileLorato SCL1 avoir+dit Kitso SCL1 être+venu

‘Lorato a dit que Kitso est venu’

c. Lorato o re boleletse gore Kitso o tsileLorato SCL1 O1P avoir+raconté direKitso SCL1 être+venu

‘Lorato nous a raconté que Kitso était venu’

d. Lorato o re boleletse sephiriLorato SCL1 O1P avoir+raconté secret

‘Lorato nous a raconté un secret’

e. *Lorato o rile gore Kitso o tsile

f. *Lorato o re boleletse Kitso o tsile

g. *Lorato o rile sephiri

En quechua, niy "dire" fonctionne de manière très semblable à la fois comme introducteur dediscours et comme complémenteur pour les autres verbes de parole – ex. (17).

(17) quechua

a. «Hakuña» ni-nku  allons-y dire-S3P

‘Ils disent: «Allons-y!»’

b. «Hakuña» ni-spa qaya-nku  allons-y dire-GER crier- S3P

‘Ils crient: «Allons-y!»’ (litt. ‘Ils crient en disant …’)

Et dans les langues qui organisent ainsi l'ensemble des verbes de parole, il est fréquent quel'usage de l'introducteur de discours comme complémenteur s'étende à des complétives autresque celles qui se réfèrent à des paroles attribuées au référent du sujet d'un verbe de parole, et quel'introducteur de discours se transforme ainsi en un complémenteur qui a une relationétymologique avec "dire", mais qui n'implique plus nécessairement le sens de "dire"; c'est

notamment le cas de gore en tswana – ex. (18).

(18) tswana

a. Lorato o lorile gore Kitso o suleLorato SCL1 avoir+rêvédireKitso SCL1 être+mort

‘Lorato a rêvé que Kitso était mort’

b. Lorato o butse kgorogore re tseneLorato SCL1 avoir+ouvert porte dire S1P entrer.TAM

‘Lorato a ouvert la porte pour que nous entrions’

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4. Complétives dont le verbe est à une forme dépendante

4.1. La concurrence entre formes indépendantes et formes dépendantes du verbe dans laconstruction des complétives

L'ex. (19) illustre des constructions du français dans lesquelles on peut faire commuter entreelles complétives dont le verbe est à une forme indépendante et complétives dont le verbe est àune forme dépendante.

(18)  français

a. Je préfère [que tu restes avec moi] / [rester à la maison]

b. Je ne veux pas [que tu recommences] / [te revoir ici]

c. Il est sorti sans [que personne s'en rende compte] / [faire de bruit]

d. Je suis sûr [que tu vas être content] / [d'obtenir ce que je veux]

On observe souvent une relation de complémentarité, dans laquelle la complétive dont le verbeest à une forme indépendante s'utilisant seulement si elle a un sujet différent de celui de laprincipale, tandis que la complétive dont le verbe est à une forme dépendante n'a pas de sujetapparent et s'interprète comme si elle avait un sujet identique à celui de la principale, comme dansl'ex. (20).

(20)  français

a. Je veux que tu écoutes ce disque

b. *Je veux que j'écoute ce disque

c. Je veux écouter ce disque

Mais cette complémentarité est loin de constituer une règle générale, et l'impossibilitéd'utiliser des complétives dont le verbe est à une forme indépendante avec un sujet identique à unterme de la principale (sujet ou autre) doit être considérée comme une propriété lexicale du verbequi régit la complétive, car les complétives à forme verbale indépendante avec un sujet identique à

celui de la principale sont souvent possibles – ex. (21), et même parfois obligatoires – ex. (22).

(21)  français

a. Je lui ai promis d'aller le voir

b. Je lui ai promis que j'irais le voir

(22)  français

a. J'ai observé que je supporte mal le froid

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b. *J'ai observé supporter mal le froid

4.2. Complétives à forme verbale dépendante et complémenteurs

Dans beaucoup de langues, il est banal que les complétives dont le verbe est à une forme

indépendante soient introduites par des complémenteurs et que les complétives à forme verbaledépendante soient dépourvues de complémenteur. On peut voir là une tendance à lacomplémentarité entre deux façons de marquer la subordination. Mais cette complémentarité n'arien de nécessaire. Nous savons qu'il existe des complétives à forme verbale indépendantedépourvues de complémenteur, et inversement il existe aussi des complétives à forme verbaledépendante introduites par un complémenteur. Ce type de situation est relativement facile àidentifier lorsque le même complémenteur, comme dans l'ex. (23a), fonctionne aussi avec desdes complétives dont le verbe est à une forme indépendante – (23b).

(23) espagnol

a. No sé si [ir a casa]NEG savoir.S1Ssi aller à maison

‘Je ne sais pas s'il vaut mieux que j'aille à la maison’ (lit. ‘Je ne sais pas si aller à la maison’)

a. No sé si [Juan ha llegado]NEG savoir.S1Ssi Juan AUX.S3S arrivé

‘Je ne sais pas si Juan est arrivé’

Il y a par contre un problème d'analyse avec les complétives à forme verbale dépendantecombinées à des adpositions. En effet, il est possible qu'une adposition combinée avec une

complétive à forme verbale dépendante ait son statut ordinaire d'adposition, le critère étant lemaintien de l'adposition lorsqu'on substitue un constituant nominal à la complétive, comme dansl'ex. (24); mais, lorsque l'adposition combinée à une complétive à forme verbale dépendantedisparaît en cas de substitution d'un constituant nominal à la complétive, comme dans l'ex. (25),l'analyse qui s'impose est qu'elle fonctionne comme complémenteur.

(24)  français

a. Jean a peur de ne pas être à la hauteur

b. Jean a peur de tous les chiens

(25)  français

a. Jean a fini de rédiger son mémoire

b. Jean a fini son travail

4.3. Complétives infinitivales avec "montée" du sujet de l'infinitif 

Le verbe sembler  illustre un cas de construction infinitivale qui concerne notamment lesverbes que les descriptions du français désignent souvent comme "semi-auxiliaires". Dans cesconstructions, l'infinitif régi n'a pas de sujet apparent, mais le verbe régisseur n'a par lui-même

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aucune propriété de sélection relativement à son sujet: dans les constructions sembler + Inf , lessujets acceptables sont exactement les mêmes que dans les constructions dont le noyauprédicatif est le verbe qui apparaît là à l'infinitif. On remarque notamment que sembler + Inf 

admet une construction impersonnelle exactement dans les mêmes conditions que le verbe quiest là à l'infinitif – ex. (26). Autrement dit, syntaxiquement, tout se passe comme si sembler

s'ajoutait à la construction du verbe qu'il régit sans rien y changer. Par référence à l'explicationtransformationnelle de ce phénomène, inspirée par la possibilité de paraphrase " Il semble que +complétive à verbe fini" (cf. 26c), on parle souvent de construction "à montée du sujet".

(26)  français

a. Jean se préoccupe de sa santéJean semble se préoccuper de sa santé

b. Il pleutIl semble pleuvoir

c. (explication transformationnelle de la construction de sembler)

Ø semble [Jean se préoccuper de sa santé]—> Jean semble [Ø se préoccuper de sa santé]

4.4. Complétives infinitivales dans lesquelles un argument du verbe régisseur"contrôle" l'infinitif 

Le verbe souhaiter illustre un type différent de construction infinitive. Dans la constructionsouhaiter + V 

inf , le verbe souhaiter  a un fonctionnement prédicatif normal: l'impossibilité de

procéder à la même analyse que dans le cas précédent découle notamment de l'impossibilité decombiner souhaiter  avec un autre verbe dont les propriétés de sélection du sujet seraientincompatibles avec celles de souhaiter – cf. (27).

(27)  français

a. Jean souhaite épouser Marie

b. *Il souhaite pleuvoir

L'important ici est de voir que, si le verbe régisseur a clairement son propre sujet auquel ilassigne un rôle sémantique, il serait insuffisant de se limiter à constater l'absence de constituanten fonction de sujet du verbe à l'infinitif. Intuitivement, le sujet de souhaiter  cumule un rôlesémantique que lui assigne souhaiter  et un rôle que lui assigne le verbe à l'infinitif.Formellement, la relation entre le sujet explicite de souhaiter et le sujet sous-entendu du verbe àl'infinitif se concrétise par exemple en français lorsque l'infinitif est dans une construction quiexige la forme pronominale, comme par exemple s'entendre avec qq'un  au sens de se mettre

d'accord avec qq'un – ex. (28): dans la construction  A souhaite s'entendre avec B, A (sujet desouhaiter) contrôle les variations du clitique se exactement comme le sujet de s'entendre dans laconstruction A s'entend avec B).

(28)  français

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a. Je me suis entendu avec Jean pour partager le travail*Je t'ai entendu avec Jean pour partager le travail

b. Je souhaite m'entendre avec Jean pour partager le travail

*Je souhaite t'entendre avec Jean pour partager le travail

On dit généralement dans de tels cas que l'infinitif est contrôlé par le sujet du verbe régisseur.Il existe aussi avec d'autres verbes des constructions analogues, mais avec contrôle de l'infinitif par l'objet du verbe régisseur – ex. (29a) ou par le complément datif du verbe régisseur – ex.(29b).

(29)  français

a. Marie a supplié Paul de s'entendre avec JeanMarie m'a supplié de m'entendre avec Jean(l'infinitif est contrôlé par l'objet de supplier)

b. Marie a conseillé à Paul de s'entendre avec JeanMarie m'a conseillé de m'entendre avec Jean(l'infinitif est contrôlé par le complément datif de conseiller)

4.4. Un problème d'analyse

On trouve en français notamment des constructions infinitivales dans lesquelles unconstituant nominal sémantiquement identifiable au sujet de l'infinitif apparaît immédiatement à

gauche de l'infinitif, c'est-à-dire dans une position qui à première vue suggère d'analyser ceconstituant comme le sujet syntaxique de l'infinitif – ex. (30a). Dans ce cas, on propose souvent(notamment en grammaire traditionnelle) l'analyse explicitée en (30b), qui revient à dire quel'infinitif et le nom qui le précèdent forment à l'intérieur de la phrase matrice un constituantdésigné comme proposition infinitive, et cette proposition infinitive est analysée comme saturantla valence objet du verbe voir. Mais cette analyse, même si elle peut paraître évidente à unexamen superficiel, et même si elle peut être valable pour des constructions d'autres languessuperficiellement semblables, se heurte dans le cas de cet exemple français au moins à de trèssérieuses objections: d'une part la séquence  Jean embrasser Marie ne satisfait pas aux testsqu'on peut invoquer pour justifier de reconnaître un fragment d'énoncé comme constituantsyntaxique, et d'autre part Jean présente très clairement, notamment dans la pronominalisation,

les propriétés que l'on attend de l'objet de voir – cf. (30c).A partir du moment où on dispose de la notion de "contrôle" au sens de mécanisme par

lequel un infinitif régi assigne à un argument de son régisseur le rôle qu'il assigne normalementà son sujet, il est donc préférable de considérer, comme cela est explicité en (30e), quesyntaxiquement Jean est l'objet de voir, et non pas le sujet de embrasser, et qu'on a uneconstruction dans laquelle le verbe voir a deux compléments: un complément nominal ayant lestatut d'objet et un complément phrastique de type infinitival contrôlé par l'objet.

(30)  français

a. J'ai vu Jean embrasser Marie

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b. J'ai vu [Jean embrasser Marie]

c. Jean, je l'ai vu embrasser Marie

d. J'ai vu [Jean] [embrasser Marie]