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Couverture:©Alis
©HachetteLivre,2017,pourlaprésenteédition.HachetteLivre,58rueJeanBleuzen,92170Vanves.
ISBN:978-2-01-700799-9
Mavieestuneénigmedonttonnomestlemot.VictorHugo
Prologue
Le bonheur. Voilà ce à quoi aspire chaque être en grandissant : à êtreheureux.Certainsespèrentyparvenirgrâceàl’argent,lacélébritéouencorelepouvoir… Mais selon moi, le bonheur ne peut s’obtenir que d’une seulemanière,grâceàl’amour.Notreexistenceparaîtsiinsignifianteaumilieudesquelque sept milliards d’autres vies autour de nous… Notre existence n’estqu’une sorte de pan n’appartenant pas à l’Histoire, alors pourquoi voulons-noustellementenfairequelquechosedemémorable?J’ai une théorie en réponse à cette question. Nous voulons que notre
existence laisse une trace sur terre. Les gens ont peur de l’oubli, del’indifférenceetdel’ignorance.Enréalitécettepenséeestplutôtégoïste.Nousvoulonsque lesgens se souviennentdenous,maisàquoibon?L’importantn’est-ilpasqu’ilyaitunepersonnequisesouviennedevous?Cellequifaitbattre votre cœur, qui sait vous faire rire lorsque des larmes dévalent vosjoues,cellequivousdiraquetoutvabienlorsquerienneva…En plus de dix-huit ans de vie à espérer rencontrer le bonheur, je n’avais
jamaisimaginéuneseulesecondecequiétaitsurlepointd’arriver.Maviedelycéennesolitairesansamisniviesocialeallaitchangerdutoutautout.Etcela,àcausedelui.
Chapitre1
Mia
—Maman!Jecherchecommeunefuriedansmonarmoirelarobequej’étaispourtant
certaine d’avoir préparée hier soir, mais il semblerait que les éléments sesoient ligués contremoi cematin.Mamèreme rejoint et retrouve en vingtsecondescequejecherchais.Jelaremercieetenfileaussitôtmarobe,jen’aiplusdetempsàperdre.—Tuvasêtreenretardsitunedécollespastoutdesuite,medit-ellesurun
tondésapprobateur.—Jesais,jesuisprête.Jetentevaguementdemecoifferdevantlemiroirpuisajustemarobe.C’est
une jolie robeblancheàbretelles avecungros trèfle àquatre feuilles sur lecœur.Jel’aiachetéelorsdemonvoyageenIrlandeenclassedeterminale.Untrèsbonsouvenir.Maisjen’aipasletempsdepenseràautrechose.D’autantplus que je suis aussi vive qu’un paresseux ce matin. J’ai vraiment maldormi…Degroscernessoulignentmesyeuxetjesuistoutéchevelée.Super.J’endéduisquec’estlestressquimevautcettemineterrible.Jeregardelapetitebrunequimescrutedanslemiroir,avecsesgrandsyeux
sombreset ses longscheveuxqui tombentdemanière indisciplinéedans sondos.Elleal’aireffrayée.Jelesuis.Unefoisprête,jejetteunderniercoupd’œilcirculairesurlachambredans
laquellej’aipasséleplusclairdemontempscesdix-huitdernièresannées.—Àbientôt,jemurmureenguised’aurevoiràmonrefuge.J’aitoutdemêmeunpetitpincementaucœur.Jesuisentraindequittermon
chez-moietçamerendnostalgique.C’estdanscettepiècequemessouvenirssont enfermés ; jeme revois encore y courir etm’y barricader après avoirapprisquemonpèrenousavaitabandonnés.C’est làque jemesuis réfugiéelorsqueleplusbeaugarçondemaclassem’avaittraitéedegrossedevanttoutlecollège…Maisc’estégalementiciquej’aivécucertainesdemesplusbelles
expériences. C’est donc le cœur gonflé d’émotion que je quitte cette pièce.J’attrapemesdeuxénormesvalisesetentredans l’ascenseurpendantquemamèrefermelaporte.—Chad,entre, ilyaencorede laplace, jedisàmon frèreencalantmes
valisesdansuncoin.— Avec tes grosses fesses, je ne crois pas, réplique-t-il avec un sourire
sournois.J’essaie de ne pas rire mais en vain, un immense sourire me fend le
visage…Ce qui n’aurait certainement pas été le cas il y a quelques années.Peut-êtreest-cel’euphoriedemonvoyageimminentquimerendsijoyeuse?—Ont’attendenbasmaman,jecrieenfermantlaportedel’ascenseur.Nous vivons en plein cœur de Paris, dans un magnifique immeuble
haussmannienquidonnesur la tourEiffel. J’habite iciavecmamèreetmongrandfrèreChaddepuistoujours.Monpèren’yestrestéquequelquesannéesavantdes’enaller.Cetappartementestletémoindetoutemavieetdecelledemafamille.J’ysuisprofondémentattachée.Après avoir lutté pour faire entrer mes bagages dans la voiture, nous
partons en direction de l’aéroport. J’ai les larmes aux yeux, je n’ai jamaisquittémonpaysnima familleplusd’une semaineetmevoilàen routepourNew York afin d’y faire mes études. C’est une véritable chance de pouvoirétudier dans une université si prestigieuse, mais c’est aussi le résultat deplusieursannéesdedurlabeur.Jesuisdouée…ouplusprécisémentsurdouée.Mamère l’adeviné très tôt, j’avaisdegrandesfacilitésd’apprentissageetdecompréhension.Lereversdelamédaille,cependant,s’esttrèsvitemanifesté:une insociabilité et un manque de confiance maladifs. Au cours de mascolarité, je n’ai pas réussi àme faire un seul ami, trop réservée et étrangepourmespetitscamarades.Jen’aijamaiscomprisenquoiaimerl’écolefaisaitdemoiunepersonnesidifférente,pourtantj’étaisbeletbienlemoutonnoirdutroupeau,lafilletoujoursmisedecôtéetchoisieendernierdansleséquipesdesport.Quandnousnousgaronsdans leparkingde l’aéroport, j’avoue traînerun
peudespiedsmais j’imaginequec’est parceque j’ai le trac.Non seulementj’appréhende mon arrivée seule dans cette immense ville qu’est New York,maisenplusjedétestel’avion.Çameterrifieetmerendmalade.J’ailemaldel’air,demeretdetoutcequinetouchepaslesol,àvraidire.Unefoismesbagagesenregistrés,jerejoinsmamèreetmonfrèreprèsdes
portiques de sécurité pour leur dire au revoir. Je triture nerveusement mes
ongles.— Ça va ? Tu te sens prête ? me demande ma mère avec une pointe de
nervositédanslavoix.Elle tapepresquefrénétiquementdupiedet fronce lessourcils,cequi jure
avec le contrôle qu’elle exerce d’ordinaire sur elle-même. En tant quepsychiatre,mamèreparvientaisémentàcachersesémotions.—Oui…Jesuppose.—Commentça?C’étaittonrêvedepartir!s’exclamemonfrère.—C’esttoujourslecas,maisjecroisquec’estl’avionquimefaitpeur…Ma tentativedemensongen’estpas convaincantemais jenepeuxpas leur
avouerqu’ilnes’agitpasseulementdel’avion.Ilsmediraientqu’iln’estpastrop tard pour changer d’avis et j’aurais droit à un adieu encore pluslarmoyant,ormonaviondécolledansmoinsdedixminuteset jen’aimeraispasleraterenrestantaccrochéeaucoudemafamille.— Tu vas me manquer mon bébé… me dit ma mère en me serrant
brusquementdanssesbras,laissantpoindrequelqueslarmesauxcoinsdesesyeux,àmagrandesurprise.Jesuisprisedecourtmaisjelaserrecontremoienattrapantmonfrèrepar
lecoldesontee-shirtpourlejoindreànotrecâlin.—Vousallezmemanquer,jemurmured’unevoixchargéed’émotion.—Toiaussi…répondmamèreenétouffantunsanglot.Monfrèrenepleurepas,jecroisqu’iltentedegarderunpeudedignité.Pas
moi. Une voix désincarnée nous annonce que les derniers passagers àdestinationdeNewYorksontattendus.Jemelibèredel’emprisedemamèreetrejoins mon avion sans regarder en arrière. Je suis la dernière à monter àbord.Je me réveille en sursaut lorsqu’une hôtesse me demande d’attacher ma
ceinturepourl’atterrissageetmetsquelquessecondesàmerappeleroùjesuis.Quandjeréalisequejesuisàplusieursmilliersdekilomètresdechezmoi,jeressenscommeuncoupàlapoitrine.Jemeredresselecœurlourd.Après m’être fait écraser les pieds à maintes reprises, bousculer et
réprimanderpar lespassagerspressés, jesorsde l’appareiletvaisrécupérermesbagages.Jecommencelescoursdemain,maisilesttroptardpourquejepuissem’installer dansma chambre étudiante, je vais donc dormir à l’hôtel
cettenuit.J’aihâtederencontrer lafilleavecqui jevaispartagermachambresurle
campus,j’espèrequeçaneserapasunefumeuse,unefilledugenreàramenerun garçon différent chaque soir ou encore une qui passe son temps à parlerfortautéléphone…Jecroisquejememontelatête, jesuissûrequ’elleserasympa.L’avantage à New York, c’est qu’il y a des taxis partout. J’en dégote un
presquetoutdesuite,enlevantsimplementlamainsurleborddutrottoir.Lechauffeur, un vieuxmonsieur,m’aide à faire tenirmes deux valises dans lecoffreenjurantdanssabarbeàcausedeladifficultédelatâche.L’uneabritemes vêtements, l’autre contient une partie de mes livres et mes produits debeauté.Par produits debeauté, je veuxdire troussede toiletteminimaliste etcrème hydratante. Ah, et du mascara aussi, mon unique maquillage. Je suisplutôtdugenreàpassercinqminutesdanslasalledebains,justeletempsdemedoucheretdemeredonneruneapparencehumaine.Pendant le trajet, j’appellemamèrepour la rassureret luidireque jesuis
bien arrivée, mais elle passe son temps à ravaler ses sanglots en silence,pensantquejenem’aperçoisderien.C’estlapremièrefoisquej’entendsmamère craquer et pleurer, elle d’habitude si implacable qu’elle peut paraîtrefroide.Lorsque j’arrive enfin, je paie le chauffeur qui m’aide à reprendre mes
bagages puis je le regarde s’en aller, immobile dans le parking de l’hôtel,ayant franchementdumal à réaliser que je l’ai fait. Je suis ici, àNewYork,prêteà intégrersagrandeuniversitéafindedevenirmédecin.Quedemanderde plus ?Moi, la petite Parisienne que personne ne regardait, celle qui s’esttoujourssentierejetéeetmisérable,jesuissurlepointdepassermapremièrenuitàNewYorkCity,etdedébuterlerestedemavie.À peine installée dans ma chambre, en dépit de ma longue sieste dans
l’avion,jesombrerapidementdansunsommeilpaisible.
*
« Bonjour New York ! Il est six heures et une belle journée ensoleillées’apprêteàcommencer,surtoutprévoyezlacrèmesolaire…»J’abatsmamainsurleréveilengrognant;décidément,lematin,cen’estpas
pourmoi.Jepréfèredeloinlesbonnesgrassesmatinéesaulitavecpourseuls
compagnons un livre, les rayons du soleil qui filtrent entre les volets et lamusiquedemoniPoddanslesoreilles.Pourtant,lorsquejeréalisequejevaisme rendre pour la première fois à l’université, une vague d’excitation mesubmergeetmedonnelaforcedesauterdulitpourmeruerdanslasalledebains.Une fois fraîche et bien réveillée, j’enfile une petite robe bleu ciel, des
Conversede lamêmecouleuretmavesteen jeanfavorite,puismeprécipitehorsde la chambrepournepasarriver en retard, fâcheusehabitudeque j’aidepuistoujours.Lesoleilillumineàmerveillelapièceetj’enprofitepourmeregarder une dernière fois dans le miroir surplombant la jolie coiffeusebaroque, en espérantqu’ilmedonne l’air plusbelle.Pourtant, la filleque jevoisestlamêmequedansl’obscurité,toujourstropquelquechose:troppetite,tropnaïve,tropcoincée,trop…tout.—Miroir,monbeaumiroir,dis-moiquiestlaplusbelle?— Sûrement pas toi, abrutie ! je réponds avec une voix masculine en
pouffantcommeladernièredesidiotes.Avec un soupir résigné, je quitte enfin la chambre pour me rendre au
campusuniversitaire.Jemerongelesonglesbienplusquederaisonpendantletrajetentaxi.Dans
quelquesminutes,lasuitedemesétudesetdemaviesocialevasedéterminer.Jepourraistoutaussibientombersurunesupercolocatairequenepasréussirà m’adapter. Bon, je dramatise peut-être légèrement mais je n’ai jamaissupporté la nervosité, et elle est en cemoment à son paroxysme. Il faudraitréellementquej’arrêtedetoujoursenvisagerlepire.Le campus est pour lemoins impressionnant. Je l’avais déjà vu en photo
mais ilestbienplus imposantetplusbeauenvrai.J’ai l’impressionquetoutest plus grand ici. Les Américains voient les choses en grand. Je tentefébrilementdemefrayeruncheminàtraverslafouled’étudiantsquitraverselapelouseetentredansl’établissement.L’angoissecroîtenmoiàmesurequeje m’approche de ma chambre, et le couloir dans lequel j’avance sembledémesurément s’allonger. J’ai imaginé un millier de scénarios de marencontreavecmacolocataireetaucunn’estparvenuàcalmerlesbattementsdemoncœur.Jenepeuxm’empêcherdemeposerdestonnesdequestions.Etsiellenem’aimaitpas?Etsielleétaitinvivableetimpolie?Jenepourraispasfinirl’annéedanscesconditions.Lorsquejefrappeàlaporte,mesangoissess’évanouissent. C’est une grande blonde magnifique qui m’ouvre, un largesouriresursonvisageangélique,etelleréussitàfairetairetoutesmescraintes.
Chapitre2
Mia
—Raviedeterencontrer.Jem’appelleAmber.— Moi c’est Mia, enchantée, je réponds en souriant, dans un accent
américainirréprochable.Mon père est américain, natif de Californie, et il voulait que ses enfants
sachentparlercourammentl’anglais.Àlamaisonnousparlionsdoncsouventanglais,cequifaitqu’aujourd’huionnepourraitpasfaireladifférenceentreunAméricainpuresoucheetmonfrèreetmoi.J’entredanslachambreavecmesdeuxvalises,parcourantdesyeuxlapetite
pièceexiguëquivameservirdechez-moipourlesannéesàvenir…etjesenslaclaustrophobie s’emparerdemoi. Jene suispas trèsexigeante, j’aimêmel’habitudedemecontenterdupeuqu’onmedonne,enrevanchejenemevoispasdutoutvivreicipendantplusieursannées.—C’estpassupergrandmaisj’espèrequetuvast’yplaire,etpuistuasde
lachance:jeneronflepastrop,plaisanteAmber,lesmainssurleshanchesetleregardavenant.J’ignoresic’estmavenuequilametdesibonnehumeuroubiensielleest
tout le temps comme ça, mais mes pensées s’envolent à mesure que je lacontemple.C’estfoucommeelleestbelle.Elleadequoifilerdescomplexesavecsachevelureblondecoupéeenuncarréindisciplinéetseslonguesjambesdemannequin.Sonvisageangéliqueirradieet,pouruneraisonquej’ignore,jesensqu’onvabiens’entendre.— Si tu ne ronfles pas, je devrais survivre, je réponds sur le même ton
tandisqu’elleritfranchement.Alorseuh…Qu’est-ce-quetuétudies?Jem’efforcedefairelaconversationafindevaincrematimidité,quiestla
conséquenced’unmanquedeconfiance.J’aitoujoursététrèsrepliéesurmoi-même,j’évitaismêmelesmiroirspournepascroisermonreflet,quejen’aijamais aimé. Le pire, c’est que je manque aussi de confiance sur le planpsychologique. Je me suis toujours sentie inférieure aux autres, moins
intéressante, moins importante, malgré mes capacités intellectuelles. Alorscettefillesijolieetsisûred’ellem’impressionneetmedonnedufilàretordredanscettelutteacharnéecontremoninsociabilité.—Jesuisenpremièreannéedemédecine.Jedevaispartagerunechambre
avec l’une de mes amies mais elle a finalement emménagé avec son petitcopain,alorsmevoilà!Ettoi?—Mêmechose,jemelanceenmédecine.TuviensdeNewYork?J’imagine
quenon,autrementtunelogeraispasdanslecampus,si?—Bonnedéduction,pourtantjesuisnew-yorkaisemaismesparentshabitent
àl’autreboutdelavilledoncc’estbeaucoupplussimplepourmoidevivreici.Jesuisunpeudugenrefeignasse.—Ohjevois,jedisenriant.Onestdeuxdanscecas!—Ettoi,d’oùtuviens?—DeParis.Elleal’airtrèsétonnée.—Paris…commeleParisdeFrance?—Oui,celui-làmême,àmoinsqu’onnel’aitdéplacé!jerépondsenriant
deplusbelle.—Waouh!Ehbienjepeuxtedirequetun’aspasdutoutl’accentfrançais,
jepensaismêmequetuétaisaméricaine.—Jelesuisducôtédemonpère,ilvientdeCalifornie.—Touts’explique!Bonje te laisse t’installer, jevaisfaireuntour.Onse
voitencourstoutàl’heure.Je luioffremonplusbeausourire tandisqu’ellequitte lachambre.Jesuis
plutôt satisfaite de cette première rencontre, Amber a l’air tout simplementgénialeetj’appréciedéjàlepeuquej’aivud’elle.Lavisiten’estpas longuecarnousn’avonsqu’uneseulepièce, la sallede
bainset lacantineétantdessallescommunes. Jemecontentedoncde rangermes affaires dans l’armoire qui m’est attribuée en imaginant à quoi varessembler ma vie ici. Une chose est sûre : je vais me concentrer sur mesétudes sans me laisser distraire par quoi que ce soit, et surtout pas par lesgarçons.Mon premier cours ne commence que dans une demi-heure, j’ai donc le
tempsd’allercherchermesclefsdanslebureauduresponsabledeschambres,qui se situe à l’autre bout du couloir. Je croise une dizaine d’étudiantsmais
aucunnemejetteunregard,j’ail’impressiond’êtretransparenteetjepréfèregarderlesyeuxrivéssurlesol.Unefoisaubureau,jen’aiqu’àmeprésenteretàdonnerunepreuvedemonidentitépourrécupérermesclefs.Encheminversmonpremiercours, jedécided’appelermamèrepour lui
faire part de mes premières impressions. Notre appel est ponctué de « Jet’aime»,de«Tumemanques»etsurtoutde«Faisbienattentionàtoietachèteune bombe lacrymogène avant la fin de la journée ». Je crois que cettesoudainedistancegéographiqueestdifficileàsupporterpourmamère.Lorsquej’entredansl’amphithéâtre,ilestdéjàbondéalorsquelecoursn’a
pascommencé.Ilvasansdoutefalloirquej’apprenneàarriverenavance,cequi représente pour moi un sacré défi. En montant les marches, j’aperçoisAmberavecquij’échangeunsignedemain.Malheureusement,iln’yapasdeplace libre autour d’elle et je m’assieds donc à côté d’un garçon que je neconnaispas.Réflexionfaite,c’estplutôtnormalétantdonnéquejeneconnaispersonne.Le cours se déroule très bien, le professeur est amusant et explique avec
beaucoup de clarté, si bien que j’ai le temps de tout comprendre et de toutnoter.C’est tellement passionnant que je ne vois pas le temps passer jusqu’àl’heure du déjeuner. Je rangemes affaires dansmon sac à dos et sors de lasalleaumomentoùAmbermerejoint,accompagnéed’une jolierousseavecdestachesderousseur.— Mia, je te présente Katy. Katy, voici Mia, c’est ma nouvelle coloc !
s’exclame-t-elleavecunsourireespiègle.JesourispolimentensaluantKaty.—Ons’apprêtaitàallermangeravecquelquescopains,tuveuxvenir?Çate
permettrad’élargir toncercled’amis,meproposeAmberavecunclind’œilcomplice.Cette fille est une perle. Je la remercie timidement et la suis hors du
bâtiment.Nous nous mêlons à des groupes d’étudiants éparpillés autour d’une
immensefontainesurunevastepelousevertequiappelleauxpique-niquesetauxroulades.Noussommesautoutdébutdumoisdeseptembreetlachaleurestivalesefaitencoresentir.C’estlemeilleurmomentdel’année,lorsquel’étés’efface lentementdevant un automnepressédeprendre saplace.Nousnousjoignons à un groupe constitué de deux garçons et d’une fille, déjà installésdansl’herbe.Jesensleursregardspesersurmoilorsquejem’assieds,cequifait grimper la température de mes joues et leur donne cette teinte rouge
coquelicotquejeconnaisbien.—Lesgars,voiciMia,manouvellecolocetamie !Soyezgentils,ellene
connaîtpersonneici,avertitAmbertandisquejebaisselatête,gênée.Aprèsunlégerblanc,l’undesgarçonsseprésente:—Jem’appelleAndrew,ravideterencontrerMia,dit-ilchaleureusementen
metendantlamain,quejeserreententantdefairebonnefigure.Andrewestunbeaujeunehommed’environdeuxansdeplusquemoi,quia
degrandsyeuxbleuocéanetdescheveuxchâtainclairquiluidonnentunairjuvénilevraimentmignon.L’autre,Sam,estunbrunà lamusculatureunpeutrop développée pour que ça paraisse naturelmais qui a l’air plutôt sympa,mêmes’ilm’aquasimentbroyélesdoigtsenmeserrantlamain.Quant àMandy, je devine au regard froid et dédaigneux qu’elleme lance
qu’ellenem’appréciepas.Ellenefaitaucungestemontrantqu’ellearemarquémaprésenceetcontinueàchuchoteràl’oreilledeSam,sonpetitcopain,enluiagrippant le bras comme s’il était une bouée de sauvetage. Je comprendsrapidement qu’elle est en train de marquer son territoire, et j’aimerais larassurer en lui disant que ça n’est pas du toutmongenre de flirter avecdesgarçonsdéjàencouple.Deflirter toutcourtd’ailleurs.C’estsansdoutepourçaquejen’aijamaiseudecopain.Aprèslesprésentations,jetâchedemefairediscrèteetresteprèsd’Amber
tandis qu’elle discute avec ses amis. J’avoue que j’ai été plutôt refroidie parl’accueil de Mandy, je ne comprends pas pourquoi elle a réagi de cettemanière.Jen’aipourtantriend’unemenace,jenesuisqu’unepetiteFrançaiseassez banale alors qu’eux ressemblent à ces ados qu’on voit dans les filmsaméricainscommeHighSchoolMusical.D’accord,j’aitoujourseuunevisionidéaliséedesAméricains.J’avaisl’impressionqu’ilsétaientmieuxquelerestedumonde,plusbeaux,plusriches,plusintelligents…Aujourd’hui,entouréedecespersonnes,jemedisquejen’avaispascomplètementtort.J’ailasensationd’êtreunetachedansleurdécorparfaitetcen’estquelepremierjour.—ÇavaMia?C’estAndrewqui s’estécartédu restedugroupeet se tientàcôtédemoi,
l’airdécontractéetamical.— Oui, très bien, merci. C’est vraiment magnifique ici, je murmure en
regardantautourdemoi.—C’est vrai, on ade la chance.Amber adit que tuvenaisdeParis, c’est
génial. J’y suis allé à plusieurs reprises avec ma famille, c’est une ville
merveilleuse.—Eneffet,jerépondsavecunpincementaucœurenpensantàmamaison.
Tuesaussienmédecine?—Non,jefaisdesétudesdedroitpourdeveniravocat.Mesparentslesont
etmesgrands-parentsl’ontétéavanteux…Disonsquejeperpétuelatradition.—Maisçateplaîtaumoins?Ilmeditqueoui,maisques’ils’écoutaitilsedirigeraitdavantageversles
sciences. Je trouve ça dommage de s’engager dans unmétier non pas poursuivre un rêve,mais à cause d’une tradition familiale.Bien quemes parentssoientmédecins,jefaiscesétudespourmoietmoiseuleparcequec’estcequej’aitoujoursrêvédefaire.Nousdiscutonsencoreunmomentjusqu’àcequejeréalisequelescoursreprennentdansmoinsdecinqminutesetquejem’étaispromisd’arriverenavance.—Amber,jecroisqu’ondevraityaller,c’estpresquel’heure.—Ahouic’estvrai !Onnevoudraitpasarriveren retarddès lepremier
jourhein!s’exclame-t-elleavecunclind’œil.—Cefutunplaisir,Mia,meditgentimentAndrewenselevant.—Leplaisirestpartagé.Àbientôt!jelancetandisqu’Amberm’entraîne.—Alors,qu’est-cequetupensesd’eux?medemande-t-elletandisquenous
passonslaportedubâtiment.Tuasl’airdebient’entendreavecAndrew…Ellemedonneuncoupdecoudeenmeregardantdemanièresuggestive,ce
quimesurprendsansmedéplaire.Jesupposequ’icic’estnormald’êtreaussifamilier,mêmesil’onneseconnaîtquedepuisquelquesheures.—Cen’estpascequetucrois,jel’appréciemaisiln’yariendeplus.Jene
suispastrès…garçons.—Oh,jevois…Tuaimeslesfilles?—Non,en fait jen’ai jamaiseudepetitamiet jenecomptepasenavoir
avantlafindemesétudes.Monpremierpetitcopainseramonmarietlepèredemesenfants.C’estun
rêvequi n’est peut-être que le fantasmed’une fille trop romantiquemais j’ycrois, en dépit de tout ce que la vie nous démontre. Visiblement stupéfaite,Ambers’arrêteenpleinmilieuducouloir.—Commentça,jamais?— Je pense que l’occasion ne s’est simplement pas présentée…Mais de
toutefaçonjeneveuxpasdedistraction,jedoismeconcentrersurmesétudes.Amberseremetlentementenmarche.Trèslentement.—Tuveuxdirequ’aucungarçonnet’adraguéeoudemandédesortiravec
lui?—Est-cequec’estunproblème?jedemandeenriant.—Ehbien…Tuasdix-huitans,c’estça?Jehochelatête.—Àtonâgeetavec tonphysiquederêve,c’estétonnantque tun’aiespas
connuça.—Monphysiquederêve?Maisbiensûr!Jerisfranchementpourlapremièrefoisdepuismonarrivée,amuséeparses
propos absurdes. Elle doit plaisanter, je n’ai rien de spécial, je suissimplement…banale.—Tuasungrosproblèmed’estimedetoi,Mia!Tunevoispaslamanière
dontlesgarçonsteregardent?Ilstereluquenttous!—Jepensequec’estplutôttoiqu’ilsregardent…Ellesoupireet lèvelesyeuxauciel.Jeregardeautourdemoietmerends
compte qu’Amber a raison, seulement je ne crois pas en être la cause. Oualors,jedoisavoiruntrucquicloche,peut-êtreunecoiffureaffreuse.Jepasseunemaindansmescheveuxpourtenterdesauverlesmeubles.—Tunet’enrendspascompte,pasvrai?—Dequoi?— Que tu es magnifique ! s’exclame-t-elle. Et naturelle, ce qui n’est pas
donnéàtoutlemonde.—MerciAmber,maisjecroisquetudevraisconsulterunophtalmologue.—Mia,tuesexaspérante.NousnousplaçonscôteàcôteàtouslescoursquisuiventetAmbernecesse
derâlerparcequejerefused’admettrequejesuis–selonelle–canon,etellecroitquejel’écoutealorsquejemeconcentresurlesproposdesprofesseurs.Elleestadorablemaisjen’aimepasparlerdemonphysique,jenel’aijamaisapprécié et ce n’est pas aujourd’hui que je vais commencer. À la fin de lajournée, je luidemandedeme fairevisiter le campusavantde rentrer.C’esttellementgrandetimpressionnant,jen’arrivetoujourspasàcroirequejevisici,àNewYork,moiquin’aiconnuqueParisdepuismonenfance.Quitterma
villemerendtoutdemêmenostalgiqueetrienquelefaitd’ypensermepincelecœur.Aussitôt rentrées, j’aiàpeine le tempsdem’asseoirsurmonlitqu’Amber
estdéjàentraindetroquersonjeanpourunejupecintréenoire,unechemiseàmanchescourtesetunecravate.—Tuvasoù?jedemandeenretirantmeschaussures.—Jevaistravailler,souffle-t-elleavecunemineépuisée.Jenecomprendspasbien.Jecroyaisquesonpèreétaitunhommepolitique
très riche…C’est en tout cas ce qu’ellem’a dit tout à l’heure pendant notrebalade.Etaussiqu’elleestfilleuniqueets’esttoujourssentieunpeuseule.Ellem’aégalementditqu’ellesentaitquenousdeviendrions trèsprochescarelleaimemapersonnalité. Jemedemandebiencequipeut l’attirerchezmoi : jesuistimideetjepassemontempslenezplongédansleslivres.—Monpèreabeauêtrepleinauxas, jeveux luiprouverque jepeuxme
débrouillersanslui,medit-elleavecdétermination.—Tunecroispasquetavieseraitplussimpleavecsonaide?Jedisçamais,enréalité,jepensequejeréagiraiscommeelle.J’aitoujours
ététrèsindépendante,j’avaismêmetrouvéunjobd’étédansunelibrairiealorsquejen’enavaispasbesoin.Mamèreestpsychiatreetmonpèreneurologue,j’ai donc toujours vécudans l’aisance.Pourtant, je n’aimeni la personnalitédes gens riches ni leur manière de se comporter comme si le monde leurappartenait.Lafamilledemamèreétaitissuedumilieuouvrieretmesgrands-parentsétaientdestravailleursacharnés,d’oùlapersévérancedemamèreafindedevenirmédecin.Etc’estcequ’ellenousainculqué:nejamaisoublierd’oùonvient.EtmêmesielleaproposédemelouerunappartementàNewYork,j’aidéclinésaproposition,désireusedefaire l’expériencede lavéritablevieétudiante.Etjeneleregrettepascarj’airencontréAmber.—Non, jeneveuxrienrecevoirde lui,merépond-elle.Nousn’avonspas
unetrèsbonnerelationpère-fille.Enfait,jen’appréciepassesvaleursmoralesnisamanièredepenser,cequejeluiaifaitcomprendreenrefusantsonargent.J’admirecettefille,soncaractèreetsapersonnalitéfontd’elleunepersonne
entière et digne de confiance.Elle est tout ce que j’aurais voulu être : belle,effrontée et drôle. J’ai moi aussi mes qualités, mais en regardant Amber jen’arriveplusàmerappelerlesquelles.—Oùest-cequetutravailles?—DansunendroitsympasurBroadway,quifaitrestaurantlejouretbarla
nuit,jesuisserveuse.Cen’estpasextraordinairemaisçamepermetdegagnermavie.—Tucroisquejepourraisytravailleraussi?J’ignoresiçapeutsemblerimpolidedemanderçaalorsqu’onseconnaîtà
peine, mais ma mère dit toujours que sans culot, on rate des milliersd’occasionsenordanslavie.Alorsjetentemachance.— Oui, pourquoi pas ! Il faudrait que j’en parle à Terrence, c’est le
propriétaireetunamidelafamille.Tun’asqu’àveniravecmoicesoiretonluidemanderas’ilauneplacepourtoi.AmberpossèdeunemagnifiqueAudiR8noireflambantneuvedanslaquelle
j’oseàpeinemonter.—C’estçatavoiture?jedemande,stupéfaite.—Ilsembleraitqueoui,répond-elleenriantetens’installant.Allezmonte,
onestàlabourre!Je prends une grande inspiration et ferme brièvement les yeux en ouvrant
maportière,pastrèsàl’aise.—Détends-toi,Mia, ce n’est qu’une voiture. Chère et tape-à-l’œil, certes,
maisilfallaitbienquejeprofitedel’argentdemonpèreavantdemebarrerdechezmoi,non?Sarépliquealeméritedemedétendre,unsouriresedessinemêmesurmes
lèvrescrispées.Jelaregardetandisqu’ellemefaitunclind’œilpuisprofitedupanoramanew-yorkaisquidéfilederrière lavitre.C’est si différentdeParisque je dévore le paysage des yeux. Tout ressemble exactement aux filmsaméricains, la ville vivante et lumineuse, la foule condensée qui se déplacedans la même direction et au même rythme, tel un banc de poissons dansl’océan,etsurtoutlestaxisjaunesquisemblentplusnombreuxencorequelesvoitures.— Tu as ton permis de conduire ? m’interrompt Amber dans ma
contemplation.—Oui,maisjen’aipasdevoitureici.— Je ne pense pas que ce soit nécessaire tu sais, NewYork est très bien
desservie.—C’estvrai,maisj’aimel’idéedenedépendrequedemoi-même,tuvois?
Etpuisriennevaudrajamaisl’incroyablesensationd’écouterdelamusiqueàfond en conduisant sa propre voiture, je déclare tandis qu’elle hoche la tête
avecenthousiasme.—Tuasbienraison.Jesuisvraimentheureusedet’avoirrencontrée,Mia,
medit-elleenmeregardantdesesbeauxyeuxbleusauxrefletssincères.—MoiaussiAmber.Nousnousgaronsquelquesminutesplustarddevantlafaçaded’unimmense
restaurant lumineux déjà bondé alors qu’il n’est que 18 h 30. Lorsque nousentrons,jemesensimmédiatementmalàl’aise.Lesgensnesontpassurleurtrente-et-unmaismarobebleuedefillettefaittachedansledécor.L’endroitestdiviséendeuxparties:d’uncôtélebaràcocktailetdel’autrelerestaurant.Lagrande salle du restaurant, surplombée par un immense lustre en cristal,comporteunescènecentralesurlaquelleestplacéungrandpianoàqueuesousun léger projecteur. La lumière du bar est plus tamisée et changeante, il y acomme une sorte d’énergie qui l’anime. J’imagine que tous les jeunes yviennentdèslanuittombéepourfairelafêteetsesaouler…On peut aisément distinguer les personnes qui viennent au restaurant de
celles qui vont au bar.Celles du restaurant appartiennent à la génération au-dessusetsontplushabillées.Laseulechosequelesdeuxuniverspartagentestladouceetcaptivantemélodiedupiano.Jenelaconnaispasmaisjel’adore.—Lepianisteestlàjusqu’à23heures,expliqueAmber,ensuitelerestaurant
fermeetlafêtepeutcommencer,avecdelamusiqueunpeupluscool.Je me perds dans la contemplation des lieux et me contente de hocher
silencieusement la tête.Amber saluequelques-unsde sescollèguesalorsquenoustraversonslagrandesallepournousrendreaubar.— Terrence est là ? demande-t-elle à un jeune homme qui secoue
machinalementunshaker.—J’aicruentendremonnom?intervientunevoixd’hommederrièrenous,
mefaisantsursauter.Ungrandmonsieurd’unequarantained’annéesauxcheveuxpoivreetselet
aucharmeévidentnousfait face.Sonregardbleuclairest froidetduret lesridesauxcoinsdesesyeuxsecreusentàmesurequ’ilmescrutesansuneoncedesympathie.— Terry, arrête de la regarder comme ça, elle va croire que tu es fou !
s’exclameAmbertandisque«Terry»éclatederire,quesonairs’adoucit…etquemoncœurrecommenceàbattre.— Il adore faire cette tête quand il rencontre quelqu’un pour la première
fois,m’expliqueAmberenlevantlesyeuxauciel.
—Jeplaisantais,gamine!Jefaisçapourimpressionnermaisjesuisdouxcommeunagneau,promis!Illèvelamaindroiteetm’adresseunclind’œilrassurantquimeredonnele
sourire,car j’ai l’impressiondevoirmonpèreet soncomportementparfoisenfantin.—Trêvedeplaisanterie!Terry,voiciMia,c’estmonamie.Ellechercheun
boulotetjevoulaissavoirsituavaisquelquechosepourelle.—Hum…C’estpossible…Tuasdéjàtravaillé?—Biensûr,j’aifaitdubaby-sitting,vendudeslivresdansunelibrairie…Ils rient tous les deux et je ne sais plus oùmemettre. Qu’est-ce que j’ai
encoredit?—Jevoulaisdireentantqueserveuse.Oh.Oui,logique.MonQIsupérieurmesembleparfoisbieninutile.—Non,jamais,jemarmonneàprésentgênée.Ilsouritchaleureusementetj’essaiedel’imiterpourparaîtremoinscoincée.—Trèsbien,alorsj’imaginequetupourraisseconderMarcaubar.—Vousvoulezdirequevousm’offrezunjob?jedemandeavecunevoix
tropaiguë,sanssavoirsijedoisycroireous’ils’agitd’uneautreplaisanterie.Inutile de préciser qu’en France un boulot ne s’obtient pas si aisément. Je
supposequejedoistoutcelaàAmberetàsarelationavecTerrence.Moiquiaitoujoursétécontrelepistoncarjetrouvaisçainjuste,jedoisadmettrequeçam’arrangeplutôtbienaujourd’hui.—Tu peux remercierAmber, je ne fais ça que parce que tu es son amie,
préciseTerrenceavecunsourireàmacolocataire.JeremerciecettedernièreduregardpuisreportemonattentionsurTerrence
quim’adresseunedernièrerecommandation:— En revanche ce n’est qu’un essai. Si tu provoques des catastrophes, je
seraiobligédeterenvoyer.Je hoche la tête avec conviction, prête à tout donner pour satisfaire mon
nouveauboss.—Mercibeaucoup,monsieur.—Tum’appellesencoreunefoismonsieurettuprendslaporte,compris?Jecroisbienquetoutlesangdemonvisagevientderefluerversmespieds,
tandisqueTerrenceexplosederire.Moi,parcontre,jenerispas.Pasdutout.
— Terry tu n’es pas drôle, elle va fuir si tu continues avec tes blaguesvaseuses,intervientAmber.—Très bien, j’arrête, j’arrête. Je vais dire àMarc de t’initier rapidement
avant le service. Tu travailleras de 18 h 30 à 1 h 00 tous les jours sauf ledimancheetlelundi,qu’endis-tu?Jeterminetardmaisjenepeuxpasmepermettrederefuser,jehochedonc
latêteavecunsourirereconnaissant,prêteàmemettreauboulot.—MercidufondducœurAmber,tueslameilleure,jemurmureenenlaçant
monamie.—C’estnormal,Mia,jesuiscertainequetuauraisfaitlamêmechosepour
moi.Elleaparfaitementraison,jepensemêmequej’auraisétécapablededonner
maplacepourqu’ellepuisseenavoirune.C’estquelquechosequemamèremereprochetrèssouvent:manaïvetéetmagénérositéparfoisexagéréesquipeuventmejouerdesalestoursdanslavie.Déjàenfant,lorsquejevoyaisuncamarade de classe qui n’avait pas de goûter, j’accourais telle une justicièrepourluidonnerlemien…Avantderéaliserquejem’étaisbienfaitavoircarilenavaitdéjàun.Cegenredechosesm’estarrivéunnombre incalculabledefois, pour la simple raison que j’ai toujours fait passer tout lemonde avantmoi,àmonpropredétriment.—Jeterevaudraiça,promis,dis-jeàAmber.Ellemefaitunclind’œilcomplicepuistournelestalonspourprendreson
service,melaissantseuleprèsdubar.—TudoisêtreMia?Je me retourne pour faire face au garçon qui secouait le shaker à notre
arrivée.Ildoitêtrelégèrementplusâgéquemoimaissescheveuxblondsquiseteintentderouge,debleupuisdevertenfonctiondel’éclairagedubarluidonnentunpetitairjuvénileparticulièrementattachant.—Oui,c’estbienmoi.—Super,bienvenueparminous,me lance-t-ilavecunsourireéclatant.Ce
soir jevais juste temontrer lesboissonsbasiquesetquelquesalcoolsque tudoisconnaître,situécoutesbienetquetunemequittespasdesyeux,toutirabien.Pourcejobtuasbesoindedeuxqualités:efficacitéetrapidité.Rapide,ça,jepeuxlefaire.Maisentermesd’efficacité,jepréfèrenepasme
prononcer. En général, au début, tout va pour le mieux. Les ennuiscommencentlorsquejedeviensnerveusecequi,soyonsclairs,arrivebientrop
souvent.Ilpeutalorsseproduiretoutessortesdemalheursàlafoisridiculesetgênants.Ilnemerestequ’àprierpourquetoutsedéroulebiencesoir.La soiréedéfile très rapidement. Jepasse les premièresheures à observer
Marcetassimilerlesnomsdeboissonsetdecocktails.J’ignoresic’estàcausedema crainte de décevoir Terrencemais je parviens à tout enregistrer sansproblème. Au bout d’un certain temps, je peux même commencer à servirquelquesclientssansl’aidedeMarc.Cedernierm’aditàmonarrivéequ’ilmefaudraitdutempspoursavoirfairedescocktails,pourtantjecroisquejenemedébrouillepastropmal.—Tuesdouéemaparole!s’exclame-t-ilensouriant.Ondiraitquetuasfait
çatoutetavie.Jeris,enfinplusdétendue,toutensecouantunshakerremplid’alcoolsque
jenegoûteraiprobablementjamais.Laseulefoisoùj’aiessayé,magorgemebrûlaittellementquejemesuisjurédenejamaisréitérerl’expérience.Plutôtironiquepourunefillequivadevoirenservirdurantdessoiréesentières.Jeclignedesyeuxet ilestdéjàplusde23heures.Lerestaurantestvideet
ses lumièressontéteintes, lepianisteestpartidepuisunmomentet lesilences’estinstallédanslagrandesalleséparéedubarparunimmenserideau.Delamusique surgit soudain des enceintes,me faisant sursauter, et je plaquemesmains sur mes oreilles le temps de m’habituer au fort volume sonore. Desjeunesentrentpetitàpetitdanslebar,quisetrouveêtreunclubtrèsfréquenté.Lapièceestorganiséeencerclesconcentriquesdontlecentreestlebar,et lapistededanseestentouréedepetitscanapésetdetablesbasses.Jenesaisplusoùdonnerdelatête.Jemesensdésorientéeetunpeusecouéeparlamusiquequi bat jusque dans ma poitrine, malmenant mes tympans peu habitués à cegenredeviolenceauditive.Jeparviensàmereprendremaisjedoisrapidementaccélérer le rythme à cause de la soudaine affluence.Marc et moi sommesseuls face à des dizaines de jeunes assoiffés et je me demande comment ilfaisaitavantquejen’arrive.Lasoiréeprometd’êtretrès,trèslongue.L’heure de quitter mon service sonne enfin. J’ai l’impression d’être là
depuisunsiècleetdemi,mespiedssonttoutendolorisetj’aiterriblementfaim.Mais à part ça, la soirée s’est passée à merveille, Marc ne cessait de mecomplimenteretdem’encourager.Amberetmoin’avonspaseul’occasiondenousparlermaisdetempsàautrenouséchangionsdessignesdelamainetdessourires.Elleétaitfabuleusecesoir,elleavaitchangédetenueenmêmetemps
quedeservice,revêtantunemini-jupeencuirnoireetundébardeurquilaissaitvoir son nombril. Une tenue que jamais, au grand jamais, je n’aurais oséporter.—Alors, comment s’est passé ton premier service ?me demandeAmber
tandisquejeramassemavesteenjean.—Jecroisquejevaism’endormirdebout, jedéclare leplussérieusement
dumondeenbâillant.—Tuvast’habituer,net’inquiètepas!Jemeursdefaim,tuviens?—Oùça?—Terrence laisse à son personnel des plats dumenu chaque soir dans la
cuisine.NousnousdirigeonsverslescuisineslorsquenouscroisonsTerrence.—Ah, vous êtes là !Marcm’a dit que ça s’était très bien passé. Il paraît
même que tu es douée. Félicitations, tu es dorénavant membre de l’équipe,m’annoncechaleureusementmonnouveauboss.J’auraiquelquespapiersà tefairesigneretnousdevronsparlerdetonsalairemaisçaattendrademain.—Oui,biensûr,etencoremercipourtoutmons…Terrence,jemerattrape
dejustesseensouriant.—C’estunplaisirdet’avoiravecnous,Mia.Bonjedoisyaller,mafemme
détestemon travail à causedemeshoraires,mêmesi j’aibeau lui expliquerque c’est grâce à celui-ci qu’elle a pu s’acheter une Ferrari ! déclare-t-il enriant.Amber,tupasseraslebonjouràtesparentsdemapart,s’ilteplaît,bienqueçafassedeslustresquejenelesaipasvus.— Ton père connaît Terrence depuis longtemps ? je demande à Amber
tandisquenousnousdirigeonsverslescuisines.—Oui,depuis le lycée.Malheureusement,monpèrea toujours faitpasser
sontravailavantsafamilleetsesamis…—Oh,jevois.Oui,jevoistoutàfaitquelgenred’hommesonpèredoitêtre.Certainement
un mégalo sans valeurs morales ni éthique, prêt à tout pour réussir. Voilàpourquoij’aiungrosproblèmeaveclesgensdecetteclassesociale.Amber etmoi dégustons ensuite lesmeilleures noix de Saint-Jacques que
j’aie jamais mangées et finissons par rentrer chez nous. Chez nous… C’esttellement étranged’appeler ainsi cette chambrealorsque jen’yaipasséquequelquesminutesdepuiscematin.
Aprèsm’êtredouchéeetbrossélesdents,jem’allongedansmonlit,étirantmoncorpstoutendoloriparmafollesoirée.Toutvabeaucoupplusvitequejenel’imaginaisavantd’arriverici.Enuneseulejournéej’airéussiàobtenirunemploietàmefaireuneamie.C’estbeaucoupplusqueceque j’aiaccomplijusqu’ici. Je pense que le temps sera notre meilleur allié ces prochainessemaines,Amberetmoiapprendronsànousconnaîtredavantageetlà,enfin,jenousconsidéreraicommedevraiesamies.Justeaumomentoùjecommenceàimagineràquoipourrabienressemblermavieici,lafatiguemerattrapeetjesombredansunsommeilsansrêves.
Chapitre3
Mia
Jemeréveilleavecunemigraineatroceetdevineimmédiatementquec’estdûaumanquedesommeiletàlamusiquetoutelasoirée.J’aitellementdemalà réaliser tout ce qui vient de se passer en l’espace de vingt-quatre petitesheuresquejepourraiscroirequejel’airêvé.Toutcelaestsidifférentdelavietranquille et monotone que je menais à Paris, pourtant je me prends àl’apprécier bien plus que demesure. C’est vrai, je vais pouvoir prendre unnouveau départ avec une nouvelle Mia toute neuve et des amis parfaits. Jedeviendraiunetoutautrepersonne,peut-êtremoinsréservéeetplusaffirmée,plus expérimentée aussi, quel que soit le domaine. Je veux tout redémarrer,j’enaibesoin.Je sursaute lorsquemon téléphone sonne, me coupant dans ma réflexion.
C’est un message d’Amber qui me dit qu’elle m’attend à la cafétéria ducampus.Jesuislégèrementenretard,pournepaschanger.Aprèsavoiravalédeux ibuprofènes, je me prépare en vitesse puis rejoins mon amie à lacafétéria.—Tudevraisprendreuncafébiennoirpourfairedisparaîtretamigraine,
ça marche ! me conseille Amber en me voyant masser mes tempes pouratténuerladouleur.Je n’en doute pas, seulement rien que l’odeur du café me provoque des
nausées.Jedétesteprofondémentcetteboissonécœurante,préférantengénérallethé.Jegrimaceenl’expliquantàAmber.—Tun’aimespaslecafé!s’écrit-elleavecuneexpressiond’horreur.Jene
peuxpascommencermajournéesansenboireun.Impossible.Je ris devant son expression de pure stupeur, puis j’opte pour un thé au
jasmin et unmuffin auxmyrtilles que j’avale sur le pouce, avant d’aller encours.Lamatinéepasseplutôtvite.Nousdéjeunonsavec le restedugroupeet je
discutebeaucoupavecAndrew.Cegarçonestvraimentdouxetgentil, jeme
demande pourquoi il n’a toujours pas trouvé l’élue de son cœur.Et puis, nenous voilons pas la face, avec son mètre quatre-vingt, ses yeux bleusmagnifiques et son sourire lumineux, il a de quoi briser des cœurs.Mais jevoistrèsbienquecen’estpassongenre,loindelà.Leproblèmec’estqu’ilesttrop parfait, justement. Etmême si je ne devrais pasme plaindre de ça, j’aiquelquesdifficultésàlecernerréellement.Je les connais un peumieux et,mis à partMandy, ils sont tous adorables
avecmoi.Jenesaispasquelestsonproblèmemaisellecommenceàm’agaceravec les remarques déplacées qu’elle m’envoie subtilement. J’ai droit à despiquessurmonpaysd’origine,puis sur lesFrançais,et jemedemandesi leproblèmevientdemoioudelaFrance.Peut-êtreest-ellecommeçaavectoutlemonde…Jel’ignore.En tout cas, elle ne parvient pas à gâchermon émerveillement pourNew
York,nilebonheurquej’éprouveàmetrouverici.J’ysuis,j’yreste.—Mia, jecroisque tudevraismettrequelquechosedeplus…sexy, lance
Amberderrièremoi.Nous nous préparons pour aller travailler et je porte une petite robe
bordeaux qui arrive juste au-dessus des genoux avec mes sempiternellesConversenoires. Jenevoispaspourquoi jedevrais avoir l’air plus sexy,nicommentm’yprendre,d’ailleurs.—Pourquoi?Tun’aimespasmatenue?Jedéfiesonregarddans lemiroir. Ilesthorsdequestionque jemerende
surmon lieu de travail dans une tenuequi laisse voir les trois quarts demapeau.—Ohsi,tarobeestparfaite…pourunpique-niquedanslesprés,rétorque-
t-elleenlevantunsourcilparfaitementépilé.Tiens,essaieça.Elle fouilledans sapenderie etme lanceunvêtement. Il s’agit d’une robe
noiremoulanteavecuncolcarréetunefentesur lecôtéqui laisseentrevoirune cuisse. Je dois avouer qu’elle est magnifique mais je n’oserais jamaisporterquelquechosed’aussioséenpublic.—Allez,netraînepas!Mets-la!Je pousse un soupir de résignation et change de robe. Je suis tout à fait
consciente de me retrouver en sous-vêtements devant Amber mais,étrangement,jeneressensaucunegêne.Cettefillearéussiàs’immiscerdansmavieendeuxjoursetjel’appréciedéjàassezpourneplusavoirderéserve
lorsquejesuisavecelle.—Waouh.Amberplaceunemaindevantsabouche,l’airréellementstupéfaiteetmême
admirative.—Jecroisquec’estunpeutropcourt…jemarmonneentirantsurlebasde
larobepourrecouvrirmescuisses.—Tuesparfaite,Mia. Jenesaispascomment tu faispournepas levoir.
Écoute,sij’étaislesbienne,jetesauteraisdessus.J’éclatederire,amuséeparsesproposdélirants.—Tuesvraimentfolle!Maismerci,c’estgentil.—Justeunpeudemaquillageettuserasprête.—Alors là, non ! jem’écrie en secouant la tête. J’ai déjà acceptépour la
robe,maispourlemaquillagec’estNON.—Allez…S’ilteplaît!Jeteprometsdefairequelquechosedenaturel.Elle met ses mains devant son visage comme pour prier et m’offre une
expression digne duChat potté de Shrek. Je sais qu’elle n’abandonnera pas,voilàpourquoijefinisparcéder.—Trèsbien.Mais je tepréviens, jeneveuxpas ressembler àunevoiture
volée.Elle pousse un cri de victoire en affichant un sourire de triomphe
horripilant.Dixminutesaprès,Amberenafiniavecmoi.Lorsquejemeregardedansle
miroir,jenemevoispas.Jevoisunetoutautrejeunefemmequial’airde…Eh bien d’être belle. C’est étrange, mais j’ai l’impression qu’il s’agit d’undéguisement,d’unrôlequejevaisemprunterletempsd’unesoirée.—Tu.Es.Magnifique,ditAmberenaccentuantchaquemot.—Merci…Bon, allons-y avant que je change d’avis etme débarrasse de
toutça,jemarmonneavecunpetitsourireencoin.C’est incroyablecommeune simple robeetunpeudemaquillagepeuvent
changer unepersonne. Jeme sens davantage femmeque jeune étudiante toutjuste sortie de l’adolescence.Néanmoins, cette nouvelle apparence comportesesinconvénients.Toutaulongdelasoiréej’aidroitauxremarquesdelagentmasculine,quejen’appréciepasforcément.Encoreunefois,lasoiréepasseenunéclair,lesclientsarriventparvagues
et les commandes s’accumulent.Au bout de deux heures, je retire les talonsqu’Amberm’aprêtés.Ilsnesontpastrèshautsmaisj’ail’habitudedemarcheravecdestennisetladifférencesefaitdouloureusementsentir.Àlafindemonservice,Terrencedemandeàmevoirpourparlerdemon
salaire,quiestplusqueraisonnable,etpoursignermoncontrat.Terrenceestungrandbavard,sibienqu’Amberetmoinerentronsqu’après2h30.Jemelèveà6h30.Lanuitvaêtretrèscourte.
*
Lasemaineafiléenuninstant.Jen’aifaitqu’allerencoursettravailleraubar, appelant de temps à autre mamère et mon frère pour leur donner desnouvelles.Mamantravailletoujoursd’arrache-piedàl’hôpitaletChadpoursuitsonécolede football. Il souhaitedevenir footballeurprofessionnel et je suiscertainequ’ilyparviendra,ilréussittoutcequ’ilentreprend.Nousavonsunerelation très complice et ses taquineries me manquent bien plus que je nel’aurais imaginé. Il a deux ans de plus que moi mais j’ai toujours eul’impression d’être l’aînée. Au vu de mon sérieux légendaire et de soncomportementenfantin,onpourraitconfondrenosâges.C’estpeut-êtrepourcetteraisonquemamanmeditsouventquejen’ai jamaiseud’adolescenceàproprementparler.Mamaturitéprécocem’aenlevéledroitd’êtreuneenfantnormale.Samedimatin,Amberdécrètequ’il est impératifqu’onaillem’acheterdes
vêtements pour le boulot. Je lui ai emprunté ses affaires toute la semaine et,mêmesielleditqueçaneladérangepas,jenepeuxpasfaireçaconstamment.Leproblème,c’estquej’aihorreurdefairelesboutiques.Jemesuistoujoursdébrouillée pour y échapper et çamarchait avecmamère,mais j’ai commel’impressionquemonamievaêtrepluscoriace.L’avantage,c’estqueçamepermetdevisiterenfinNewYork.NousfaisonsplusieursmagasinsetAmberrâleparcequejetraînelespattesetquejesuisdemauvaisehumeur,endépitdeseffortsmonumentauxquejefournispourparaîtreplusenthousiaste.Après avoir acheté de quoi me vêtir pour les trois prochaines années au
moins,j’aisuppliéAmberdefaireunepause.Jeneregrettepasmesachats,cestenuessonttoutesaussijoliesquedécentesetj’aigagnéunpeudeconfianceenmoidepuislasemainedernière.Etc’estgrâceàAmber.Nousmangeonsdansunpetitrestaurantchinoisàmidietparlonsdetoutun
tasdechoses.Jecroisquemamèreseraitfièredemoisiellemevoyait,jesuis
moinsréservéeetplusépanouie,et j’aienfinacceptédedépenserdel’argentpourme faire plaisir. Je dois admettre que j’ai eu un pincement au cœur envoyant le montant exorbitant de mes achats en passant en caisse mais je neregretterien.Jerentresaineetsauvedecetteviréeshopping.—Demain,jefaislagrassematinée,jedéclarelorsquenousarrivonschez
nous.Jelaissetombermessacsàmespiedspuism’affaledetoutmonlongsurle
lit,àmoitiééveillée.— Tu travailles pour Terrence depuis combien de temps ? je réussis à
demanderenarticulantdifficilement,assomméeparlafatigue.—Oh,quelquechosecommedeuxans.Monpèreetmoiétionsenconflit,
commed’habitude,etjerefusaisqu’ilmefinancequoiquecesoit.J’aitoutdesuitepenséàTerry,c’estunvieilamidelafamilleetilpossèdeplusieursclubsdecegenreauxÉtats-Unis.Ilm’aaussitôtembauchéeetdepuisj’ysuisrestée,raconteAmberenrangeantsesaffairesdanssonarmoire.—Ilestvraimentsympa…—Ouais,ilestcool.Tut’endorsouquoi?demande-t-elleenriant.—Tucroisquej’ailetempsdefaireunesiesteavantd’allerbosser?—Biensûr,jeteréveilleversdix-septheurespourquetuaiesletempsdete
préparer.Tuasàpeuprèsquatreheures.—Merci…EtjesensMorphéemekidnapper.
C’est Paradise de Magic ! qui me tire de mon sommeil, la sonnerie
personnaliséequej’utilisepourmonfrère.—Allô,jegrommelle,lavoixpâteuse.—Deuxchoses:soittuviensdeteréveiller,soittuaslagueuledebois,ce
quim’étonneraisvachementétantdonnéquetuvomisàlaseuleévocationdumot«alcool».—Bonjouràtoiaussi,grandfrère.—SalutAim,jeteréveille?Monfrèrem’appelleAimdepuisqu’onestgossesparcequenotrepèrenous
avaitditunefoisquemonprénomécritàl’enverssignifiait«objectif»,cequi
mepousseraitàêtreambitieuse.J’admetsquec’estunraisonnementplutôttirépar les cheveuxmais jeme suis attachée à ce surnom, peut-être aussi parcequ’ilmerappellelapériodeoùnotrepèreétaitencorelà.—C’estsiévidentqueça?—Oui.Je t’appelaispouravoirde tesnouvellesetpour t’annoncerque je
viendraiterendrevisitedanspastrèslongtemps.—Vraiment?Ohc’estsuper!Mamanettoimemanqueztellement.—TunousmanquesaussiAim,maismamannepourrapasveniràcausede
sontravail.Jenesaispasquandjeviendraiexactement,probablementdèsquej’auraidesvacances.—D’accord,j’espèrequeceserapourbientôt.—Oui,normalement.Alorscommentçasepasselà-bas?—C’estvraimentsuper.J’aipassémamatinéeàfairedushopping, tusais
combien je déteste ça !Mon travail au bar se passe super bien etAmber estvraimenttropsympa,elleestmagnifiqueenplus,j’aihâtequetularencontreset…—Eh là,on secalme.Tuparles tropvite, jen’ai riencompris,mecoupe
monfrèreenriant.—Désolée…C’est justeque ça fait bizarredeneplus te voir, je soupire,
soudainementredescenduedemonétatd’excitation.—Je sais,maison sevoitbientôt,d’accord? Je suisdésoléeAim jevais
devoir te laisser, jedoismangeravantde reprendre lesentraînements.Onserappelleplustardpourdiscuterdetoutça.—OK,jet’aimeChad.—Jet’aimepetitesœur.Jeraccrocheetdéposemontéléphoneprèsdemoi,légèrementbouleversée
par cette conversation et lemanque que j’éprouve pourmon frère. Je croisqu’unedouchem’aideraàmesentirmieux.Lorsque je remonte dans la chambre une vingtaine de minutes plus tard,
Amberestassisesurlelit,autéléphone.—Nequittepas,dit-elleenbouchantlemicrodesonportable.Oùétais-tu?
Jen’aipasarrêtédet’appeler.—Relax!J’étaissousladouche,jesuisprêteàdécoller.Elle reprend sa discussion tandis que je tente de coiffer ma chevelure
indisciplinée. Je n’ai pas lavé mes cheveux afin d’éviter d’attraper froid enallant au travail, jeme contente donc de les peigner et de les lâcher en unecascadebruneetonduléedansmondos.S’ilyabienquelquechosequej’aimechezmoi,cesontmescheveuxetmacouleurdepeau.J’aide longscheveuxbruns aux reflets dorés et une peau couleur caramel, grâce aux originesitaliennesdemamère.Jem’inspecteencoreun instantdans lemiroir avec,pourune fois,unœil
pastropsévèreenversmonreflet.Matenueestplutôtcorrecte,jeporteunjeanslim clair usé avec un débardeur blanc etmes Converse blanches. J’ai beauaimer les tenues que j’ai achetées avecAmber, jeme sens bien plus à l’aisedansunstyledécontractéetdavantage…moi.—Mêmehabilléesimplement, tuescanon,mecomplimenteAmber tandis
quenoussortonsdelarésidence.—Merci,Amber…jerépondsenlevantlesyeuxauciel,amusée.Peut-être que si elle continue àme complimenter de la sorte, je finirai un
jourparlacroire.Leservicedébutedelamêmemanièrequed’habitude:j’arriveà18h30et
je commenceàpréparer les consommationsqu’Amberet les autres serveursapportent aux clients du restaurant. C’est devenu une habitude et j’ail’impression d’être ici depuis des années. Tout le monde est vraimentsympathiqueet jepassebeaucoupde tempsavecMarcpuisquenoussommestouslesdeuxaubar,maisnousn’avonspasvraimentl’occasiondediscuter.Entoutcas,jemesensàmaplaceetdansmonélément,pourunefois.Néanmoins,j’aicommel’impressionquequelquechoseestdifférentcesoir…Ilmanquequelquechose.Lepianiste,biensûr.Commentai-jefaitpournepasleremarquerplustôt.Il
n’yapersonneaupiano,sibienquelagrandesalleestsilencieusealorsquelerestaurantcommenceàseremplir.J’aperçoissoudainTerrencesedirigerversnousenparlantautéléphonemaisjeneparvienspasàcomprendrecequ’ildit.Auboutdequelquesminutes,ils’approcheetsepenchepar-dessuslebar:—Est-cequevoussavezoùestPaul?—Non,répondMarc,pastrèsconcerné.Jecomprendsaussitôtqu’ils’agitdupianiste.Terrencesoupire,visiblementangoissé.—Ilnes’estpasprésentécetaprès-midietilnerépondpasautéléphone.
—Vousn’avezaucunremplaçant?jedemandeavechésitation.—Non, Paul est très talentueux et il n’est pas du genre à disparaître sans
donnersignedevie,alorsjen’aipasprévuderemplaçant.Il a l’airhorsde lui et je le comprends. J’espèrequecePaul aunebonne
raisond’êtreabsentetqu’ilneluiestpasarrivémalheur.Enattendant,jen’aijamaisvuTerrencedansunétatpareil,cethommequiexercesonmétieravectantdecontrôleetderigueursemblevulnérableetdésespéré.Ondiraitqu’onvientdeluiannoncerlapirenouvelledesavie.—Jepeuxpeut-êtrelefaire…?Quoi?Quivientdedireça?Oh, c’est moi. Quand est-ce que je vais enfin apprendre à utiliser mon
cerveauavantdeparler?—Quoi?Terrencea l’air pour lemoins surpris et j’ai réussi à capter l’attentionde
Marc qui fait déborder un verre de bière. Mais c’est trop tard pour fairemachinearrière,lesmotssontsortisetcommeondit:foutupourfoutu.—Je,euh…Jepeuxleremplacer.—Tusais jouer?medemandeTerrenceavecune lueurd’espoirdans les
yeux.Jepensequejenemeseraispasproposéesij’étaisincapabled’alignerdeux
notessurunclavier,Terrence.—Biensûr,jejouedepuisaussilongtempsquejem’ensouviens.Il nedit rienpendant uneminute puis regarde la salle qui commence à se
remplirainsiquelesvisagesdéçusdeshabituésquiontremarquél’absencedepianiste.—OK.Mais j’espèreque tu sais ceque tu fais.Pasde catastrophe.S’il te
plaît.Ilessaiedeparaîtreautoritaire,mais jevois l’inquiétudeet l’appréhension
sursonvisage,etc’estprécisémentàcet instantquejecommenceàressentircettefameusebouledansleventre,cellequitémoigned’uneanxiétésansnom.—Est-ce-quePauladespartitionsiciou…—Non,jenecroispas.—C’est pasgrave, je vaismedébrouiller sans, je balbutie en essayant de
montrerleplusd’assurancepossibledansmonsourire.
Je sais que j’ai échoué lorsque je vois la panique dans ses yeux. Sans enrajouter,jemedirigeverslecentredelasalleàprésentremplie.Desdizainesdepairesd’yeuxsontbraquéessurmoietjemegiflementalementpournepasavoirmis une robe plus appropriée,mais par-dessus tout pour ne pas avoirfermémagrandebouchequiatendanceàs’ouvrirsansmonautorisation.Jem’assiedssurletabouretetj’aperçoisAmberprèsdubar,laboucheetles
yeuxgrandsouvertsdestupeur.Marespirationestrapideetsaccadéelorsqueje fais glissermesmains sur le clavier, sous les regards pleins d’attente quipèsentsurmoi.Jecroisbienquec’estlapremièrefoisdemaviequejenemesens pas confiante devant un piano, mon instrument, celui qui m’a toujoursdonné de l’assurance et pour lequel j’ai un don. Pourtant me voilà ce soir,l’espacenoué,leslèvressèchesetlesmainstremblantesfaceàtouscesgens.Ilnemefautqu’unesecondepourchoisirlemorceauquejeveuxjoueretje
mefélicited’avoirlamémoireassezsouplepourenavoirretenudesdizaines.L’ironie, c’est que j’arrive aisément à les mémoriser mais que je ne mesouviensjamaisdutitreouducompositeur.Lapièceestàprésentsisilencieusequel’onentendraitunemouchevoler.Je
prendsunegranderespiration,positionnemesmainssurlestouchesetfermeles yeux trois secondes pour faire le vide dans mon esprit. Tout ce que jeparviensàmedireest:Jenedoispaslesdécevoir.Etc’estparti.Dèslapremièrenote,touts’envoleautourdemoi.Iln’yapluspersonne,je
ne suis plus là où je suis, le temps s’arrête et seules les notes vivent encoredans l’espace. Je suis directement transportée dans unmonde parallèle,monmonde parallèle, où je suis seule avec mon piano au milieu d’un paysagemagnifique.Jesuisdansunchampdecoquelicots,mesfleurspréférées,et jejouelesyeuxfermés.Lespétalesrougesvirevoltentaugréduvent,s’envolentautour de moi, dans mes cheveux, glissent sur le bois laqué du piano et lamusiqueest lafragrancemerveilleusedecesfleurs.Jepeuxpresquevoir lesnotesdemusiquedansersurmapeau,desdoetdessol s’enroulentautourdemes doigts et s’infiltrent dans mon cœur. Cemonde paraît si parfait que jecroirais être auparadis.Lepiano a la plusbelle voixdumonde. Jeme sensbien,entièreetvivante.Heureuse.C’estunsentimentenivrantetmagique.Je réalise que le morceau est terminé seulement lorsque mes doigts
s’immobilisent sur le clavier et que j’ouvre les yeux.Toute notiondu tempsm’aéchappé,jenesaisplusdepuiscombiendetempsjesuislànicommentj’ysuisparvenue.Lorsque je relève enfin la tête, ce sont lesmêmesdizainesde
pairesd’yeuxquimescrutent,àundétailprès:jevoislesmainsdecesgensremuer. Ils applaudissent. Je me fige. Ils ne sont pas censés applaudir maisprofiterdeleursoirée,pourquoifont-ilsça?Jesursautelorsqu’unemains’abatsurmonépaule.— Bravo, l’artiste ! Tu es vraiment incroyable, s’exclame Terrence, un
sourirefierauxlèvres.Je fronce les sourcils etme lève, légèrementperdue.C’estuneexpérience
plutôtparticulièredejouerdevanttantdepersonnesdansunrestaurantdeluxeetdesefaireapplaudir.Ilvamefalloiruncertaintempspourm’enremettre.Terrencemeregardeavecdesyeuxlumineux.— Je crois que tu as mérité ta soirée. Si tu veux bien, j’aimerais que tu
remplacesPaultouslessoirs.Il faut que je reprennemes esprits avantd’accepter cetteproposition ; j’ai
besoinderéfléchir.—Net’inquiètepas,onenreparleraplustard.Vadoncboireuncoup.Ilmetapotegentimentlajoueavantdes’éloigner,tandisquemespiedsme
mènent vers le bar. Amber me saute littéralement au cou, m’étranglant aupassage.—OhmonDieu !Mais tu es une virtuose !Tu nem’avais pas dit que tu
jouaisdupiano!Je souris en m’asseyant sur un tabouret haut, retrouvant peu à peu mes
esprits.—C’est parceque j’ai arrêté il y a longtemps. Jen’étaispas trop sûrede
moi avant demonter sur scènemais il y a des choses qui ne s’oublient pas,apparemment.—Waouh. Il faudra que tu me dévoiles tes autres talents, parce que j’ai
l’impressiond’endécouvrirunnouveauchaque jour ! s’exclame-t-elle avantdecontinuersonboulot.Unsouriredesoulagementvient sepeindresurmes lèvres. J’ignoraisque
j’étais capable de faire une telle chose car je n’avais jamais joué devantd’autres personnes quema famille. C’est mon père quim’a appris le pianoavant même que je ne sache écrire mon prénom, et après ça je jouaisabsolumenttoutletemps…Jusqu’àcequ’ils’enaille.Depuiscejour,jusqu’àcesoir,jen’avaispasretouchéàunpiano.—C’étaitvraimentimpressionnant,Mia.Tuessuperdouée.
—Merci,Marc.Jedescendsdemontabouretpourrejoindremoncollèguederrièrelebar.—Terrence t’a donné ta soirée non ? Ilm’a dit que tu remplacerais Paul
maintenant.—Oui,c’estcequej’aicrucomprendre…Maisçameplaîtdetravaillerau
bar,jerépondsensouriant.Ilhochelatêteavantdeseremettreauboulot.—S’ilvousplaît?m’interpelleunevoixderrièremoi.Jemeretourne…etj’ail’impressionquemoncœurdégringoleàmespieds.
Ilm’arrivesouventderêverquejetombed’unimmeubleavantdemeréveillerensursaut.Ehbienc’estexactementcequisepasseàcemoment.Jechuteducentième étage et j’atterris directement dans un océan glacé. Mes membresperdent leurs sensations,ma tête semble tourner sur elle-même et j’aimeraisl’arrêtermaismesmainssontparalyséeslelongdemoncorps.Cettepersonneestsansnuldouteleplusbeauspécimenmasculindelaplanète,etjeremerciele bon Dieu de m’avoir dotée d’un cœur assez puissant pour supporter cegenredechoc.Mêmeau-delàdesabeauté,ildégagequelquechosedepuissant,d’intense,quejenesauraisdécrire.C’estcommeuneauraquisediffusetoutautour de lui et qui m’enveloppe de toute part. Je me sens submergée etdéboussolée,c’estunesensationétrangementgrisante.Ilestperchésurl’undestabourets, un coude appuyé sur le comptoir, et le sourire qui étire ses belleslèvresetquifaitressortirlesfossettessursesjouesferaitfondreleplusgelédescœurs.Etsesyeux…Jeneparvienspasvraimentàendistinguerlacouleuràcausedeslumièrescoloréesdubarmaisjesuisprêteàparierqu’ilssontdelateinte«Inutilederésister,jesuisbientropcanon».Lorsque je parviens à avaler ma salive qui glisse difficilement dans ma
gorgedesséchée, jeréalisequecesdeuxsecondesontsansdouteété lespluslonguesdemavie.— Je peux vous servir quelque chose ? je demande d’une pauvre voix
rauqueetfaiblarde.—Jevoudraisunebière,s’ilvousplaît.Sonaccentlorsqu’ilprononcelemotbière…MonDieu,j’aibesoind’aide
là,toutdesuite.Undéfibrillateur,n’importequoi!—Ouije…Biensûr.Ma voix ressemble davantage à un couinement qu’à autre chose. Je suis
pathétique.Jamais,jedisbienjamais,jen’airéagidecettemanièredevantun
garçon.Jetournelestalonsetm’empared’unverreenhauteuravantdecommencer
àyverserdelabière,leregarddel’Adonissemblantcreuseruntroudansmondos. Si ma mère était là, elle m’aurait hurlé de ne jamais me laisserimpressionnerparunhomme,etencoremoinsparunbelhommecar«cesontlespluscruels,ilsvousséduisent,vousdérobentvotrecœuretvotrevertupuiss’en vont comme ils sont arrivés,mais encore plus rapidement ». J’imaginequemamanparlaitunpeudemonpèreendisant ça,pourtant jenepeuxpasm’empêcherdepenserqueleshommesnesontpastouscommeça.Maispeut-êtresuis-jetropfleurbleue.Etpuisaprèstout,cen’estpascommes’ilpouvaitréellement se passer quelque chose, je ne suis que la barmaid, une petiteétudiante insignifiante, tandis que lui… est au sommet de la sexytude.Autrementdit,laseulechosequipuissesepasserentrenousestriendutout.Je me ressaisis, me retourne avec toute la prestance dont je peux faire
preuve–c’est-à-direaucune–,etluitendssaboissonententantd’arborerunmasquepolimaisimpassible.Jecroisquec’estratéparcequ’ilpinceleslèvrescommepourcontenirunrire.—Mercimademoiselle.Savoix…ElleferaitbaisserlesyeuxàMichaelBubléetFrankSinatra.—Mia.Jem’appelleMia.Pourquoiest-cequejeluiaiditmonprénom?Qu’est-cequ’ilenaàfaire?
Jem’exaspère.—Colin,dit-ilenmetendantlamain,unsourireflottantsurseslèvres.Mapetitemainsefraieuncheminau-dessusducomptoirpourrejoindrela
sienne, si grande, et lorsque nos doigts entrent en contact, toutes lescatastrophesnaturellesdumondenesontrienencomparaisonaveccequisedéchaîne en moi. Un ouragan de sensations fait rage dans mon ventre, unséisme supprime les dernières pensées sensées de mon esprit et un tsunamisubmergemoncœurd’unechose toutenouvelleencore jamais ressentie.J’aimal, je crie, je ris, je hurle de joie et je pleure, parce que je sens que cettepoignéedemainvienttoutjustedefaireprendreuntournantàmavie.—Mia,prépare-moiunFlorida!mecrieMarc,interrompantsanslesavoir
unmomentdepuremagie.Je quitte Colin du regard, tourne les talons et me dépêche de préparer le
cocktail demandé. Mais je n’arrive plus à me concentrer, ma vision estbrouilléeparl’imagedeColin,desabouche,desesfossettes,desesyeuxdont
la couleur m’intrigue… Qu’est-ce qui m’arrive, bon sang ? Ce garçon estbeau,d’accord,maisjedoismereprendre,cen’estpasledernierquejevaiscroiserdansmavie.Jedevrais…Ohnon.Une giclée de cocktail se déverse soudainement sur moi et arrose mon
débardeur blanc d’une substance collante et aromatisée à la grenadine,envoyantmadignitéàmespieds.Lecoupable?Le shakermal ferméque jetiensàlamain.Sijevoulaisfairebonneimpression,c’estraté.Heureusement,jesuisdel’autrecôtédubar,ilyadoncdeschancesqueColinn’aitpasassistéàcettescènecatastrophique.Autrement,bonjourl’humiliation.—Tiens,meditgentimentMarcenmetendantdesmouchoirs.—Merci…jemarmonne,lesjouesbrûlantes.Jereviens.Jem’éloignerapidemententapotantleliquidequicommenceàcolleràma
peau,excédéeparmastupidité.J’avaislechoixenplus,jen’auraismêmepasdû le prendre, ce maudit service ! Une fois dans les toilettes, après m’êtreassuréque j’étais seule, je retiremondébardeur enveillant ànepas touchermescheveux.Jepasseensuiteunpeud’eausurmapeauetfrottelégèrementletissuavecdusavon.Unefoisquemondébardeurarécupéréuneteinteplusoumoinsblanche,jelepassebrièvementsouslesèche-mainspuisleremets.Deretouraubar,jementiraissijedisaisquejeneressenspasunepointede
déceptionenréalisantquelemystérieuxColinn’estpluslà.Sansleverrevidesurlecomptoir,jejureraisavoirrêvé.Jefinismonservicesansaucunautre incidentmaisColinrefusedequitter
monesprit.Mesyeuxnevoientplusquelessiensàlacouleursiétrangeetsesfossettes qui lui donnent tellement de charme. J’ai l’impression que moncerveaunem’appartientplus.Etlepire,c’estquejenecomprendstoujourspascommentilapum’affecterdecettemanière.Ilestbeau,certes,maisaprès?Cen’estprobablementqu’uncoureurde jupons sans cœurquin’hésiterait pas àutiliser une fille avant de la jeter.Mamèreme dit souvent que les hommescachentdesombreschosesderrièreleursmasques,etenl’occurrencederrièreleurbeauté.Jesupposequec’estégalementlecasdeColin.Mes pensées sont sens dessus dessous.Ce gars est peut-être gentil et je le
jugesurdesgénéralitésetunraisonnementsortitoutdroitdelabouchedemamère,lecœurbrisédusiècle.Maisqu’est-cequim’arrive?Etpourquoiest-cequejesuisentraindepenseràlui?S’ilaprovoquéquelquechoseenmoi,laréciproque n’est certainement pas vraie. Il a dû me trouver si pathétique etmisérablequ’ilaprofitédemonabsencepours’enaller.Enmêmetemps,quiseraitattiréparunefillequialignedifficilementunephraseetquisecoueun
shakersansmêmelefermer?— Ce soir était une grande soirée ! s’exclame Amber en chassant mes
penséeséparpilléestandisquenousmontonsdanssavoiture.— C’est le moins qu’on puisse dire… je murmure, exténuée autant
physiquementquementalement.Siseulementellesavait.— Tu étais vraiment formidable au piano ce soir. Je suis contente que
Terrencet’aitoffertlejobdePaul,tuesbienmeilleurequelui!—OuimaisjemesensmalpourPaul,lepauvre…—Arrête,me coupe-t-elle, il faut savoir saisir sa chance,Mia. Tu es dix
mille fois plus talentueuse que lui et tu avais l’air de jouer avec ton âme…C’étaitsublime.Vraiment.Oncroiraitentendremamère.—MercibeaucoupAmber.Tusais,jenecomprendstoujourspascomment
j’ai finisurscène.Çafaitdesannéesque jen’avaispas jouéet jen’étaispaspréparée.—Necherchepas,c’estundon.Iln’yapasdemeilleureexplication.Elleme fait un clin d’œil complice et je lui souris en retour, heureuse de
l’avoircommeamie.Unepartdemoirefusedesongeràcettesoiréecarjesaisqueceque je ressentiraiseradouloureux.J’aurai l’impressiond’avoirperduquelquechoseavantmêmedel’avoirobtenu,oudeneplusavoirdegoûtsansmêmeavoireu lachancededéguster lesplusbellessaveursdumonde.Et jerefusedemefairedumal.Pourtantcettenuit-là,jenerêvepasdechampsdecoquelicots ni de notes de pianomais de lui, de Colin. De son sourire à sedamner, de ses yeux insondables et de la chaleur quim’a parcourue lorsquenospeauxsesonttouchées.Saufquemonrêveaoubliédemechuchoterqu’ilseraitceluiquicauserait
maperte.
Chapitre4
Mia
Letempspasseàunevitessehallucinante.Leweek-ends’estécouléentroisminutes et nous sommes déjàmardi, si bien que j’ai la forte impression den’avoirrienfaitàpartdormiretrattrapermonretardpourlescours.Enfait,j’ai l’impression de passer plus de temps à travailler au bar qu’à la fac etj’admetsquemamotivationàréviseravoisinelezéro.Maispourunefois,jen’aipaslechoixetjedoismerendreàl’évidence:surdouéeoupas,jenepeuxpasmiraculeusementboiremescourssansfaired’efforts.J’aidûrassemblertoutemavolonté afindem’ymettre.Heureusement, ilm’a suffidequelquesheures pour terminer, ce qui est certainement l’undes seuls avantages à êtresurdoué. Le problème, c’est que j’ai beau essayer de me concentrer, mespensées finissent toujours par s’égarer vers lui. Il faut réellement que jemel’enlève de la tête. Ça commence à devenir inquiétant et surtout ridicule. CeColindemalheurrefuseexpressémentdequittermespensées,quoiquejefasseetoùquej’aille.Depuissamedisoir,j’ail’impressiond’avoirsonnomtatouédans lacervelleet je refusede le laissers’immiscerdansmaviedemanièreaussi omniprésente. Le pire, c’est que lui a très probablement oublié monexistence. Ça n’est pourtant pas mon genre de tomber sous le charme den’importequelbeaugarçon.Oh.Est-cequejeviensjusted’avouerquejesuistombéesoussoncharme?
C’estinsensé,grotesque,idiot,puéril…—Hello, il y a quelqu’un ? demandeAmber en passant unemain devant
monvisage.Nous sommes assises avec le reste du groupe sur le gazon du campus et
mon sandwich est suspendu devantma bouche, intact. Il semblerait quemespenséesaientànouveauoccultélerestedumondeetj’ignoredepuiscombiendetempsjesuisfigéecommeça.—J’étaisentraindelouertesméritesdepianisteàtoutlemonde…—Quoi?
Ilséclatenttousderiredevantmonairahuritandisquejereviensàlaréalité.Jedevaisavoirl’airvraimentmalineavecmonsandwichenl’airetmesyeuxdanslevague.— Qu’est-ce qui t’arrive ? Tu as l’air… distraite, remarque Amber,
visiblementinquiète,tandisquenosamisreprennentleurdiscussion.—Rien de grave, ne t’en fais pas, je réponds enm’efforçant de paraître
normale,cequin’estabsolumentpaslecas.Ellesourit,rassurée,etjem’étonnequ’ellegobemonexcusefoireusesans
insister.Ellesemblepréoccupéeparautrechose.—Jevoulaisteprévenir,cesoirjenevienspasauboulot.Jedoisallervoir
mamère,ellenevapasbien.—Oh,jesuisdésolée,j’espèrequ’iln’yariendegrave.—Ohnon,c’estsûrementunrhume!Mamèreesthypocondriaqueetelle
m’appelleaumoindreéternuement…répond-elleenlevantlesyeuxauciel.Jemeforceàriremaisellen’estpasdupe,vuleregardqu’ellemelance.—Mia,tuvasmedirecequinevapas,bonsang?Même si une part demoi la trouve un peu étouffante parmoments, je ne
peuxm’empêcherdelatrouverterriblementattachantelorsqu’ellesemontresiprotectrice.C’estlapremièrefoisqu’uneamiel’estpourmoi.—Jetel’auraisditsiçan’allaitpas,jetelepromets.Elle me sonde un instant, son air de détecteur de mensonge est vraiment
impressionnant,puisfinitparm’offrirunpetitsourirerassuré.—Situledis,jetecrois,murmure-t-elleenpressantmamain.Bonj’yvais,
onseretrouvecesoir!Ellenousadresseunderniersignedelamainens’éloignantverssavoiture
tandisquejeretourneencours.Mêmesijelesapprécietous(oupresque),j’aitoujoursunpeudemalàresteraveceuxsiAmbern’estpaslà.J’aipassél’après-midiseuleetjenesuispasparvenueunesecondeàécouter
ceque lesprofesseursdisaient. Jen’aipaspris lescoursennote,ni réussiàdécrocher mon regard du Colin imaginaire épinglé sur le mur del’amphithéâtre. Il est partout où je regarde et je ne peuxm’empêcher demedire que ces pensées obsessionnelles et intempestives vont avoir un impactnégatifsurmesétudesetsurmavieengénéral.Cequim’exaspèreleplus,cen’est pas tant que je ne parviennepas àme concentrermais plutôt que je ne
comprendspasmaréaction.Jenefaispaspartiedecesfillesdégoulinantesderomantisme qui croient au coup de foudremais plutôt de celles qui pensentqu’un amour ça se construit à mesure que l’on apprend à connaître l’autrepersonne. Et puis la question ne devrait pas se poser : ce Colin a beaum’obséder depuis plusieurs jours, je mettrais ma main à couper que je nefiguremêmepasdanslafiled’attentedesespensées.Le haut de mon crâne est brûlant à cause du soleil, et la température
exceptionnellementélevéemefaitsouffrirlemartyre.J’ignoraisqu’ilpouvaitfairesichaudàNewYorkmais j’imagineque le réchauffementclimatiqueyestpourquelquechose.Ilmeresteunepetitevingtainedeminutesavantd’arriverauTerrence’setje
profitedemapromenadepourpasseruncoupdefilàmamère.Jeluiracontetoutàproposdemonnouveaujob,demesamisetdemanouvellevie.Elleesttrèsheureusepourmoimaisdoitreprendresontravailaprèsquelquespetitesminutes, àmongrand regret. Je dois admettre que,même si tout semblemesourireici,jeressensunénormevidesansmafamille,monrepère.Lorsquej’arriveenfindevantlafaçadeduTerrence’s,jesuissubmergéepar
une grande vague de soulagement. J’ai l’impression d’avoir fait Paris-Marseilleàpied.Unefoisentréedansl’établissement,jemedirigeverslebarpourreposermespieds,cequejepeuxmepermettreétantdonnéquejesuisenavance.—SalutMia,çava?medemandegentimentMarcenmeservantunverre
d’IceTea,laseuleboissonquej’apprécieendehorsdel’eau.— Je vais bien mais je ne pourrais pas en dire autant de mes pieds, je
répondsavantdeboireunegorgée.—Tun’aspasdevoiture,c’estça?— Non mais je commence à réfléchir à m’en procurer une, si je veux
préservermesjambesetéviteràtoutprixlefameuxmétronew-yorkais…Ilsemoquegentimentdemoitandisquelebarseremplitdoucement,etje
réalise seulement quelques minutes avant mon service que je ne me suistoujourspaschangée.J’adresseunsigneàMarcetjefileverslesvestiaires.Amberavraimentbongoûtenmatièredemode.Lapetiterobenoiredosnu
auxmanchesmi-longuesqu’ellem’achoisiemevaà raviret jesuisà l’aisededans.Quantauxtalons…j’imaginequejevaisdevoirm’yfaire.C’estd’unpasrapidemaismaladroitquejerejoinslascène,devantlesdizainesdeclientsdurestaurantquiprennentplace. Jemanquedem’étalerde toutmon longen
me tordant la chevillemais j’arrive saine et sauve àmon tabouret et jem’yassiedslecœurbattant lachamade.Enréalité, jepréfèrelorsquepersonneneme regarde, je me sens plus confiante et moins vulnérable. C’est peut-êtreétrangeàdiremais jouerd’un instrumentcommeje lefais,c’est-à-direavecmes tripes, mon cœur, c’est comme se mettre à nu et ça demande plus decouragequenelesoupçonnelepublic.Àmongrandcontentement,aucunedespersonnes dans la salle neme prête attention, je suis invisible à leurs yeux,presqueautantquelaplantevertedanslecoindusalon.Aucunepaired’yeuxn’estdirigéedansmadirection…saufune.Lasienne. J’aisentiColinarriveravantmême quemon regard ne croise le sien et jeme déteste pour ça, toutsimplementparceque çaprouve àquel point je suis profondément enfoncéedanslafolie.Jeneleconnaismêmepas,nomdeDieu!Ilestdeboutdevantl’entrée,pluslumineuxencorequelelustreencristalqui
surplombe la pièce. Avec son jean sombre et son tee-shirt noir, son corpsélancé paraît vraiment impressionnant, même de là où je me trouve. Enrevanche,ilsesitueencoretroploinpourquejepuissedistinguerlacouleurdesesyeuxsimystérieux.Je réalise que je le fixe depuis longtemps seulement lorsqu’il brise notre
lienvisuel etqu’il sedirige lentementvers lebaroù ilprendplace.Quantàmoi,jebaisselesyeuxsurmesdoigtsfigéssurlestouchesdupiano,peinantàreveniràlaréalitéaprèscetteminuteprivilégiéeaveccethommeénigmatique.Lorsquejemesensenfincapablederespirernormalementetdejouersans
quemesdoigtsnetremblent,jemelanceetcommenceàfairedanserlesnotes.Àladifférencedelapremièrefois,jedoisjouerdurantdesheuresaulieudene jouer qu’un morceau intense et de longueur moyenne. On pourraitcomparerçaàunmarathon,êtreendurantetrégulier,nepasflancher…Or,cen’estpasçapourmoi,jouerdupiano.Ilnesuffitpasdeservirdemusiquedefond ni de berceuse, c’est bien plus que ça. Au diable les partitions lentesjouéespianissimo,cequej’aime,moi,c’estjoueravecmoncœuretmonâmedesmélodiespoignantes,entraînantesenfortissimo.Mais…jenelepeuxpas.Alors jeme contente de laisser glissermes doigts sur les touches noires etblanches, lesyeuxfermés, luttantcontre l’ennuiet lafatiguequim’assaillent.De temps à autre, lorsque j’ouvre les paupières, je croise les prunellesscintillantes de Colin et le monde cesse de tourner pendant une dizaine desecondes tandis que quelques fausses notes s’échappent de mes doigtstrébuchants.Jenepeuxm’empêcherdemedemanderpourquoiilrestelàtoutcetempsà
meregarderjouer,mefixantdesonregarddebraisetandisquejemeliquéfie.
Savoir qu’il m’observe alors que je suis censée passer inaperçue me rendnerveuse. Heureusement, au bout des plus longues heures de ma vie, monserviceprendfinlorsquelesderniersclientss’envont.Jesuisenfinlibre.—JeveuxbienunCosmos’ilteplaît,Marc,jedemandeàmoncollègueen
prenantplacesurl’undestabouretsdubar,exténuée.Lebarétantplutôtbondé,j’aidûm’asseoiràl’unedesplaceslibresnonloin
deColin.Jeluttepournepasregarderdanssadirectionmaissonregarddefeuquimescrutesansretenuerisquedeprovoquermacombustionsipersonnenem’apporte rapidement un extincteur.C’est fou comme il irradie par sa seuleprésence, j’ai l’impressionque l’auraquiprovientdesoncorpsmebrûledetoutepart.—Jecroyaisque tunebuvaispasd’alcool, remarqueMarcenme tendant
monverre.—C’estvrai,maisaprèstoutescesheuresàjouer,jecroisquej’enaibien
besoin!jem’exclameensouriantpourdissimulermanervositéprovoquéeparlaproximitéde…—C’étaitunmorceaumagnifique.Seigneur.Moncorpsmarqueunepauseetjesuisuninstantpétrifiéeparle
sondesavoix.Ils’estapprochéetmefixetandisquejemeretourne.Jenesuispasunementeuse,voilàpourquoi jenediraipasque son sourire encoinneprovoquerienenmoi.Sonassurancecontrasteavecmafébrilité,etlavitessedes battements demon cœur atteint son paroxysme. Je ris intérieurement enimaginantmon épitaphe sur laquelle serait écrit : «Décès par surchauffe ducœurcauséeparunmectropcanonauxyeuxd’unecouleursexyencorenonidentifiée.Reposeenpaix.»—Qu-quelmorceau?jebégaielamentablement,lesjouesenfeu.—Celuid’hier.C’étaitfantastique.Maisj’imaginequejesuisledernierde
lalonguelistedepersonnesquivousontcomplimentéepourça,murmure-t-ildesavoixoutrageusementsensuelle.—Oh…Mercibeaucoup.Ma voix, elle, ressemble davantage au couinement d’un animal. Pour ma
défense, jenem’attendaispasàcequ’ilcomplimentemes talentsdepianiste,moncerveaun’adoncpaseu le tempsd’ordonneràmavoixde fonctionnernormalement.—C’étaitdequi?Oh,oh,questionpiège,jenelesaisabsolumentpas.Jepourraistrèsbienlui
donnerunnomauhasardmais il risqueraitdesavoirque jemenscar,aprèstout, ce n’est pas parce qu’il n’a pas l’allure d’un fan demusique classiquequ’iln’enestpasun.Mamèredittoujoursquel’habitnefaitpaslemoine.Deplus, je suis une piètrementeuse, on lit enmoi commedans un livre qui nepossèderaitmêmepasdecouverture.J’optedoncpourlasincérité.—Pourêtrefranche,jen’enaipaslamoindreidée.Et là,unechosemerveilleuse seproduit : il rit.Etquel rire ! Ilparvient à
fairetairelagênequimenaçaitdeprendrepossessiondemoietseséclatsdevoixsontaussiagréablesàmesoreillesqu’unmorceaudefondantauchocolatdanslabouched’unefilleaurégime.Jegoûtechaquenoteharmonieusedesescordesvocalesjusqu’àcequ’ils’adresseànouveauàmoi.—Jevois…Voustravaillezicidepuislongtemps?Jenevousaijamaisvue.—J’aicommencéilyaunesemaine,justeaprèsmonarrivéeàNewYork.—D’oùvenez-vous?—Paris,jerépondsposément,parvenantmaintenantàparlersansbégayer.—Oh,jepensaisquevousétiezd’ici.—Non,jesuisvenuepourétudieràl’universitédeNewYork,jesuisen…Le vibreur de mon téléphone portable m’interrompt alors que je
commençaistoutjusteàmesentiràl’aiseaveclefameuxColin,etjeréprimelegestedésespéréde l’envoyerdans ledécorpour reprendremadiscussion.Malheureusement, l’appelprovientd’Amberet jepréfère répondreau risquedemefaireharceler.—Jesuisdésolée,jedois…—Çava,jenebougepas,mecoupe-t-ilavantquejenepuissemejustifier.Jeluisourispolimentpuisdécroche.—Amber.—Heyprincesse,jevoulaisjustetedirequejesuissurlarouteduretour,si
tuveuxjepeuxpassertechercher.—Net’enfaispaspourmoi,jevaisprendreuntaxi.Etpuisçateferaitun
détour.—Tuessûre?Iln’estpastroptardpourchangerd’avis.—Çavaaller,maismerciquandmême.Colinnemequittepasdesyeuxduranttoutl’appeletj’arrivedifficilementà
alignermesphrases…J’aicommel’impressionqu’illefaitexprès.Lorsqueje
raccroche, ilmecontemple toujoursaussi fixement,un légersourireaucoindeslèvres,enfaisantglissersonindexsurlecontourdesonverre,lentement,trèslentement…Jeperdspeuàpeumesfonctionsmotricesetvitales.—J’aicrucomprendrequevousdeviezyaller,finit-ilpardire.—Oui…Ilsefaittardetj’aicoursdemain.Ilfautquej’appelleuntaxi,je
murmureendescendantdemontabouret,prêteàpartir.—Cen’estpaslapeine,jepeuxvousraccompagner.
Chapitre5
Mia
—Vraiment?Mavoixnepourraitpassonnerpluspathétiqueetaiguë…Oncroiraitqueje
n’attendaisqueça.Cequin’estabsolumentpaslecas,bienentendu.—Biensûr,allons-y,ditColintoutenselevant.JesalueMarcaupassageavantdequitterlerestaurantauxcôtésdeColin.Ce
n’estquemaintenantqu’ilestdeboutàmescôtésquejeremarqueàquelpointil est grand, et je me sens minuscule avec mon petit mètre cinquante-cinq.Quant à sa carrure… Ses vêtements sombres laissent peu de place àl’imagination,onpeutquasimenttoucherdesyeuxsoncorpsmusclé,sculptéàmerveille…et là jedéraillecomplètement.Unefoisdehors, je réaliseque lafilleétourdiequejesuisatotalementoubliédeprendreunevesteavantd’allertravailler.J’ailaissémesaffairesderechangedanslesvestiaires,jesuisdoncseulementvêtuedemapetiterobenoire.—Quimeditquevousn’allezpasm’assassineretmeviolerdansuneruelle
sombredeNewYork?jedemandeàColin,àmoitiésérieuse,tandisquenouslongeonslentementletrottoir.Ilritetmoncœurpalpiteànouveau.—Etbienpremièrement,parcequejeneleferaispasdanscetordre,jene
suispasbranchénécrophilie,rétorque-t-illeplussérieusementdumondesousmesyeuxéberlués. Jeplaisantais ! s’exclame-t-il en riant,visiblement amuséparl’expressiond’horreurquejedoisarborer.Maisaumoins,ilestclairquejen’auraispasdévoilémonpland’attaquesic’étaitmonintention,non?—Pasfaux,jemarmonneensouriant.Vousêtesgaréloin?—Quiaditquejevousraccompagnaisenvoiture?—Oh…Jel’aisupposé.—C’étaitunprétextepourdiscutersurlaroute.Vousavezfroid?Est-cequ’ilvientvraimentdedirecequ’ilvientdedireouest-cequejel’ai
imaginé?— Non, je vais bien, merci, je réponds avec un frisson, ne désirant pas
l’importuneravecmesplaintes.—Tenez.Il s’arrête et retire lavestequ’il avait enfilée en sortantdu restaurant, une
vestevertkakiquiluisieddelamanièrelaplussexypossible,puisladéposedélicatementsurmesépaules.Jesuisimmédiatementréchaufféeparletissuquiagardélachaleurdesoncorpsetquipossèdeégalementsonodeur,uneodeurde linge propre et d’homme, enivrante et délicieuse. Je la mettrais bien enbouteille si je le pouvais, rien que pour pouvoir la respirer lorsque mespenséesnoiresmesubmergent.Etvoilà, lepeudebonsensque jepossédaiss’envole au loin tandis que je lui fais un signe d’adieu. Au revoir raison,bonjourfolie!—Mercibeaucoup,jemurmure.NousmarchonstranquillementdanslanuitfraîcheetvivantedeNewYork,
nos corps à une distance respectable mais assez faible pour que nos brass’effleurentdetempsàautre.Jeprofitedelalumièred’unlampadairepourlecontemplertandisqu’ilaleregardailleurset…Ilfautquejemeressaisisse.—Alors,qu’est-cequetuétudiesàl’universitédeNewYork?—Jeviensdedébutermapremièreannéedemédecine, je réponds,plusà
l’aiseaveclesquestionsfaciles.—Ohc’estcool.Tuteplaisici?Il a l’air décontracté et quelque chose en luimemet incontestablement en
confiance,quelquechosederassurantquimepousseàmesentirensécuritéendépitdufaitquel’onseconnaîtàpeine.—Oui,c’estunevillemagnifique.Jevaissûrementmettredessemainesà
m’yrepérermaisjel’aidéjàadoptée.Ilsouritetc’estplusfortquemoi,mesyeuxs’attardentpluslonguementque
nécessairesurses fossettesabsolumentcraquantes,sesdents régulièreset lespetites rides aux coins de ses yeux. Il a l’air d’une créature venue des cieuxpour fairechavirer lescœurs. Jesuispourtant troubléepar lacouleurdesesyeuxquejeneparvienstoujourspasàdistinguer.—C’estvraiquecettevilleestfacileàaimer…Etpuistuasl’aird’adorer
tontravail.— Pour être honnête, je ne sais pas si je vais pouvoir continuer bien
longtemps.—Pourquoiça?—Disonsqueçanemecorrespondpasvraiment.Pourmoi,jouerdupiano
signifies’exprimer,joueravecsestripes,c’estunmomentprivilégiéentrelepianisteetsoninstrument.Cetteespècedemarathonaurestaurantestennuyeuxàmourir…C’est incroyable comme il parvient à me mettre à l’aise rien qu’en
m’écoutant.C’estprobablementlapremièrefoisdemaviequejemedévoileautant à un quasi-inconnu et je dois admettre que c’est plutôt libérateur. Pasbesoindemedissimulernidefeindre.C’estlavraieMiaquiparleetnonsondouble trop timidepours’exprimer librement.Jedois toutdemêmepréciserquec’estlapluslonguephrasequejeluiaiditedepuisnotrerencontre,cequiprouveàquelpointjemesensdifférenteàsescôtés.—Alors tu devrais n’écouter que toi. Si tu ne te sens pas bien, tu devrais
partir.Riennet’enempêche,si?—Jenedevraispasmeplaindre,c’estquandmêmeunegrandechancede
pouvoir vivre de sa passion.Çamepermet aussi deme changer les idées etpuisj’ytravailleavecmaseuleamie…Ilestattentifetplutôtdebonconseil,jen’avaisjamaisparléàcœurouvert
avec un inconnu auparavant. Mais il ne s’agit plus tellement d’un inconnumaintenant.Nousdiscutonsduranttoutletrajetjusqu’aucampusuniversitaire.J’ai remarqué qu’il reportait systématiquement l’attention sur moi en meposant de nouvelles questions et qu’il réussissait à détourner chacune desmiennes, ce que je n’ai évidemment pas réalisé sur le moment, bien tropdistraiteparsonregardàlafoisbrûlantdesensualitéetd’unecertainedouceur.C’estunpersonnagebienmystérieuxquisemblerenfermerquelquechosedesombresurlequeljenesauraismettreledoigt,cequim’intrigueetmedonneencoreplusenviedecreuserpourentrevoiràquelgenred’hommej’aiaffaire,même si son charisme, son humour et son intelligence ne donneraient àpersonnel’enviedechercherplusprofondément…Lorsque nous arrivons devant mon immeuble, je réalise que nous avons
marchédeuxheuresalorsquelecheminsefaitd’habitudeenunepetitedemi-heure.Etpourtant, j’ai l’impressionque le tempsa filébienplus rapidementquedecoutume.Colinenconnaîtàprésentsurmavieautantqu’Amber.Jeluiaiparléd’àpeuprès tout,monpasséàParis,cequimepassionne,ceque jedéteste…Tout,saufmonpèreetlesraisonsdesondépart.Ils’estpourtantbienrisquéàmeposerlaquestionmaismonsilenceétaitassezéloquentpourqu’il
respectema demande tacite de ne pas insister. C’est un sujet qui est devenutabouchezmoi:pluspersonnen’évoquesonnomnilapériodechaotiquequiasuivisondépart.Enrevanche,jenesaistoujoursriendeColinàpartqu’ilestoriginairedeNewYorketqu’ilestâgédevingt-troisans.J’ignorequelleestsaprofession,cequ’ilaimeoubiencequ’ilfaitchaquesoirdanscebar.Jenesaispasnonpluss’ilaunecopinecequi,étrangement,susciteunsentimentdemal-être enmoi.En somme, je ne connais rien de lui et jemedemande s’ilfaudraitquejem’eninquiète.—Ilestvraimenttard,jemurmuredoucement.—C’estvrai,maisj’aiadorét’entendreparler,Mia.S’il voulait ma mort, il l’a eue. Mon cœur… mon pauvre petit cœur
s’accrochedetoutessesforcespournepasdégringoler,tandisquejeprieafinqueColinnevoiepasàquelpointchaquemotqu’ilfaittomberdeseslèvresmetranspercetelleuneballe,etqu’iln’entendepascommemoi leséchosdemon prénom tel qu’il l’a prononcé. J’ai toujours trouvé mon prénom tropcourt,tropgentillefille,tropmoi…Parjenesaisquelmiracle,ilestparvenuàlefairesonnersensueletmélodieux,presquesexy.Cequimechoquelepluslà-dedans,c’estquej’aimeça.Maiscommejeneveuxpasmel’avouer,jemetsçasurlecomptedel’alcoolquejeconsommesirarementetdemafatigue.—MoiaussiColin,mêmesiaufinaljen’ensaispasplussurtoiqu’ilya
quelquesheures.—Onatoutletempspourça,Mia,répond-ildansundouxmurmureense
rapprochantdemoitandisquejesuiscommestatufiée.— Tout le temps ? je répète fébrilement, sa proximité me troublant
dangereusement.—Toutletemps.Ohjet’enpriemonDieu,fais-les’éloignerdemoi!Moncœuraccélèreà
chaquepasqu’ilfaitversmoi.Lesderniersmotsqu’ilm’achuchotésflottentencoreentrenosdeuxcorpsincandescents.Qu’est-cequim’arrive?Ilnebrisepas le silence qui s’est installé entre nous ni le contact électrisant entre nosyeux et je fonds, je me fige, je m’évanouis intérieurement, ma raison, maconscience et tout ce qu’il y a encore de bon sens enmoim’abandonne enhurlant de terreur devant cemonstre de beauté. Je peux quasiment voir l’aircrépiterentrenous,sur lesquelquescentimètresquiséparentnosbouches,etpour la première fois de mon existence je ressens l’envie, le désir d’êtreembrassée.
—Je crois que je feraismieuxde rentrer, chuchote-t-il près, tropprèsdemoi,brisantcetinstantdepuremagie.—D’accord,jerépondsd’unevoixàpeineaudible.Cet homme inconnu a réveillé quelque chose d’étranger enmoi, un venin
quisembledéjàsepropagerdansmesveines,sousmapeauetquimebrûledel’intérieur sans que je puisse déterminer si ça va me tuer et si je vais ensouffrir.Pourtant,toutcequejeressensencetinstantestloin,bienloindelaplusdoucedessouffrances,c’estd’ailleurslachoselaplusagréablequej’aiejamaisressentie.Etjem’enveuxterriblementcarçanedevraitpasêtrelecas.— Bonne nuit jolie Mia, fais de beaux rêves… murmure Colin avec un
sourireodieusementcraquantavantdedéposerunlégerbaisersurmajoue,s’yattardantunpeuplusquenécessaire.Et là…Unemultitudedechosessepassentenmoi.Premièrementunelutte
terriblesedérouleentremesdeuxpoumons,l’undésirantcesserdeventileretl’autre demandant davantage d’air, puis entre mes jambes et mon cortexmoteurquisedemandents’ilfautencoretenirdebout,etpuismoncœursubitunepuissantepressiondemaraisonquileréprimandeenletraitantdelâche.J’ai l’impressiondetomberdudernierétagedemavie, toutescessensationsme submergent et je m’y noie car c’est tout simplement la seule chose quej’arriveencoreàfaire:lâcherprise.Jesuistoujoursstatufiéeetincapabledeprononcerunmotlorsqu’ils’écarte
demoietqu’iltournelestalonspourdisparaîtredansl’obscuritédelanuit.Lederniertableauquej’aisouslesyeuxenrentrantdansmachambre,c’estceluide son merveilleux visage souriant et pourtant si secret qui me souhaite defairedebeauxrêves.Amber est profondément endormie lorsque je pénètre dans notre chambre
mais jepréfèremefairediscrète,au risquede la réveilleretdedevoir subirsoninterrogatoire,auquelj’auraicertainementdroitdemainmatin…ouplutôttoutàl’heure.Cen’estquemaintenantquejeréalisequej’aitoujourslavestedeColinsurlesépaules.Tantpis,jelaluirendrailaprochainefois,s’ilyenaune…Sinon jedevrai lagarder, àmongrand regret. Jeprofitedesderniersmilligrammesde lucidité qu’ilme restepour atteindremon lit sansm’étalersur le sol, et c’est avec un soulagement incommensurable que jem’y laisseenfin tomber, exténuée et par-dessus tout chamboulée.Mais comment ne pasl’êtreaprèscequivientdem’arrivercesoir?CommentresterindifférenteàunepersonnecommeColinetàcequ’ildégagequandilparle,quandilrit,ou
tout simplement quand il existe ? Tout, absolument tout ce qu’il fait estscandaleusementsexyetparfait.Etçam’agaceparcequetoutlemonden’apaslachancedepouvoiruserdesoncharme,toutlemonden’estpasindécemmentattirant.Colin l’est lorsqu’il chassenégligemment ses cheveux trop longsdesesyeux,qu’ilmetsesmainsdanssespochesetmêmequandiléternue.Bonsang, quand j’éternue je suis d’une laideur pas possible, je fais un bruit quichasseraitàluiseullemotglamourdudictionnaireetjenesorsprobablementpas des paillettes de mon nez à ce moment-là. Alors que lui… Il était beaumêmequandilaéternué.Etmevoilààm’extasierdevant l’éternuementd’unhomme.Jesuistombéebienbas.CeColincacheforcémentquelquechosedepasnet.Jemejuredeluiposer
plusdequestionslaprochainefoisquejeleverrai,sansmefaireavoir,carjecomptebienpercer lemystèrede ce terrible dieugrec.Cequime surprend,c’est le paradoxe entre son côté enjoué et celui qu’il cache derrière sonmasque.Leseulmomentoùjel’aivusedépartirdesonexpressionconfianteetsouriante,c’estlorsquejeluiaidemandés’ilavaitdesfrèresetsœurs,questionàlaquelleiln’abienévidemmentpasrépondu.J’ignoreencoreoù toutcelavanousmener, j’aimediscuteravec lui,c’est
indéniable, mais quelles sont réellement ses intentions envers moi ? J’oseespérerqu’iln’imaginepaspouvoirmemettredanssonlitcommeiladûlefaireavecdesmilliardsd’autresfillesavantmoi.Nenousvoilonspaslaface,cespécimendiaboliquementbeauet séducteurnepeutpasêtreencoreviergedetouteexpériencesexuelle.Jesuisnaïve,maispasàcepoint.Quantàmoi…Dire que je suis inexpérimentée serait un grossier euphémisme : je suis auniveaudusous-solde l’expérience.Lelienleplus intimequej’aieuavecungarçon, c’est une méchante bousculade au collège qui m’a valu un groshématomeàlapoitrine.Ensomme,jenesuispasprêteàmelancerdansunerelationavecunindividudusexeopposé,dequelquenaturequecesoit.Etpuisd’ailleurs,quiaditqu’ilvoulaitdemoi?Riennemel’assure,ilestpeut-êtretoutsimplementgentiletnevoitenmoiqu’unepotentielleamie.Peut-êtrequ’ilaimelesgarçons.Non, c’est insensé, il n’aurait pas eu toutes ces attentions s’il ne cherchait
que de l’amitié ou une relation platonique. Je suis perdue. Délicieusementperduecar,étrangement,jenemesuisjamaissentieaussinormale,commeunefille de mon âge qui se fait séduire et qui aime ça. Et c’est précisément cemoment que choisit ma raison pour se réveiller et me reprocher de n’êtrequ’une jeune idiote si facilement manipulable et réduite à un petit tasd’hormonesenébullition.Jenelacontredispascarelleatotalement…raison.
Finalement, après un longmoment à écouter les rouages demon cerveautourneràtouteallure,jemelaissesombrerdansunsommeilponctuéderêveset de sensations, notamment celles que je ressens lorsque je respire lamerveilleuse fragrance de la veste de Colin et que je goûte à nouveau ladouceurdeseslèvressurmajoue.Colinavaitraisonsurunechose,j’aibeletbienfaitdebeauxrêves…parcequ’ilenétaitl’acteurprincipal.
Chapitre6
Mia
—Mia…Miaréveille-toi,espècedemarmotte!—Mmmh…—Allez,c’estbientôtl’heure,hurleAmberenmesecouantl’épaule.J’ail’impressionqu’ellehurlemaisjem’aperçoisrapidementqu’elleparle
normalement et que la responsable de cette soudaine amplification auditiven’estautrequel’horriblemigrainequimevrillelecrâne.—Àquiestcetteveste?medemandemonamielorsquejemelève,àmoitié
réveillée.—Àpersonne.—Si tu croyaispouvoirmementir, je te signaleque ton sourire te trahit,
rétorque-t-elleencroisantlesbrassursapoitrine,attendantmanifestementunevraieréponse.—Àpersonneenparticulier,Amber, jecorrigeenserrant les lèvrespour
cachermon sourire tout en retirant laveste avantde ladéposerdélicatementsurmonlit.C’estdinguequ’ilparvienneàmefaireceteffetsansmêmeêtreprésent.Il
mesuffitderessasserlessouvenirsdecemomentprivilégié,desamanièrederire,desourireetpar-dessustoutdelafaçondont ilm’aembrasséeavantdes’enallerpourmerendretoutechose.Jenemereconnaisplus.—Mia, tumeconnaisassezpoursavoirque jenevaispas te lâcheravant
quetum’aiesditàquiappartientcettefichueveste!Jesoupireenm’emparantdematroussedetoilette,exténuéeàcausedemes
quelquesheuresdesommeilseulement,decetteAmberpersistanteetdemonmaldetêtequisembles’intensifierdesecondeenseconde.—J’aiseulementfaitlaconnaissanced’unjeunehommecharmantquiaeu
lagentillessedemeprêter savestepournepasme laisserpérirde froid,cen’estvraimentriend’exceptionnel.
Un sourire immense se dessine aussitôt sur ses lèvres et elle se met àsautillersurplaceentapantdanssesmainscommeuneenfant.—Amber, je t’arrête toutdesuite, ilnesepasserarienentre luietmoi, je
déclarecalmementensoupirant.—Çac’estcequetudis,maislebourgeonfinirapardevenirunefleur.—C’estquoicettemétaphoreridicule?—Jeveuxseulementdirequec’estcequetouteslesfillescommetoidisent
audépart,maisparlasuite…— Les filles comme moi ? Qu’est-ce que c’est censé signifier ? je
l’interroge,piquéeauvifparsaremarque.—Çasignifieque tues inexpérimentée, tu interprètesmalmesmots,Mia,
murmure-t-elleenhaussant lesépaules.Tuverras, ceque tuveuxéviter finittoujoursparterattraper,peuimportecombientuluttes.—Stop.Écoute,jetel’aidéjàdit:ilnesepasserariendutout.Jesuisdéjà
assez occupée avec les cours et le boulot, je ne veux pas de garçon pourchamboulermavieettoutcequej’aientreprispourenarriverlà.D’ailleurs,jedoutequeColins’intéresseréellementàmoi, jerétorque leplusstoïquementpossible,bienquejesoisenréalitépeuconvaincueparmespropos.Maintenantquejeledisàhautevoix,jeréaliseplusquejamaiscombienme
fairedesidéessurlesmotivationsdeColinàmonencontreétaitinsensé.C’estpresquedrôle,enfait.Amberaraison,moninexpériencefaitdemoiunefillebientropinsignifiante.Enfin,cen’estpascequ’elleaditmaisc’estcequejetiredesesmots.—Colin?répète-t-elle,surprise.—C’estsonprénom.—Jesaisque j’ai tendanceàréfléchirdavantageavecmonvaginquandil
estquestiondemecsmaisjeterappellequejenesuispasstupide,plaisante-t-elle.Tuparlesbiendugarsquivientcertainssoirsaubar?—J’endéduisquetuleconnais?Pour une raison que j’ignore, savoir qu’Amber le connaîtme déplaît. En
réalité,c’estparcequ’ilyadefortespossibilitéspourqu’ilsaientdéjàcouchéensemble. Amber est terriblement jolie, presque autant que Colin est beau.Enfin,disonsqu’iln’estpasvraimentesthétiquementcomparableaurestedelaplanète.Ilaplacélabarretrophautpournousautres,humblesmortels.—Enfaitpersonneneleconnaîtvraiment,ilesttrèsmystérieux,secret.Jele
vois parfois au bar depuis que je travaille chez Terrence mais il est absentdurantdelonguespériodes,étantdonnéqu’ilestsoldat.Pause.Unsoldat?Pasétonnantqu’ilaitrefusédemedévoilersaprofessionetsa
vieengénéral.Ildoitêtreenpermissionetavuenmoilapoulicheidéalequilui servirait de distraction jusqu’à ce qu’il reparte du jour au lendemain. Lebonplanparfaitpourunhommesansattaches.Jemesenssoudainementbienstupide.— Comment tu sais ça s’il est aussi secret que tu le dis ? je demande à
Ambernonsansunepointed’appréhensiondanslavoix.Si ellemeditqu’il s’estpasséquelquechoseentreelleet ce type, je serai
obligée de ne plus jamais le revoir. S’il y a bien une chose que je ne mepermettraijamaisdefaire,c’estdesortiravecunhommequiadéjàfréquentéune amie. C’est bien trop étrange. Et puis ma fierté, ma dignité et moi nesupporterionspasdepasseraprèsunefilleaussiparfaitequ’Amber.—IldiscutedetempsentempsavecTerrenceetcedernieradûl’évoquer.Si
tuveuxtoutsavoir,jeletrouveplutôtsuspectetjepensequetudevraisnepastropt’yattacherniattendrequelquechosedelui.—Oui, tuassûrementraison…jemurmuresanspensermesmots,peinée
pouruneraisonquejenecomprendspasbien.Est-ce ladéceptionde réaliserqueceque jecommençaisà imaginern’est
riendeplusqu’uneimpassesupplémentairepourlafillenaïvequejesuis?Oubienest-ceseulementl’effondrementd’unfantasmeirréaliste?Onenrevienttoujoursaumêmeproblème:monincapacitéàtrouvermaplaceencemonde,àmevoirautrementqu’unefillesansintérêt.Sij’avaiseulachanced’avoirlemêmetempéramentqu’Amber,laquestionneseposeraitpas.Elleasansdouteraison,pourtantjedoisadmettrequeceColinestparvenuàdéclencherquelquechose en moi en l’espace de quelques heures seulement. Et j’aimystérieusementmalàuncœurquin’ajamaisbattuquepourmefairevivre,etnonpourunepersonnedevenuechèreàmesyeux.J’étais à fleur de peau et, disons-le, imbuvable toute la journée, tout ça à
cause d’un démon déguisé en ange nommé Colin. Ma conversation avecAmbercematinn’apascessédetournerenboucledansmatêteetjelesvoyaisconstamment ensemble, riant, s’embrassant, faisant l’amour et argh, c’étaitvraiment tropaffreux.Ellen’apasarrêtédemedemandercequin’allaitpas
mais je n’avais aucune intention de lui dévoiler mes pensées totalementdéplacéeslaconcernant.Surletempsdemidi,Andrewaaussitôtremarquéquequelque chose clochait dans mon comportement mais j’ai répondu par lanégativeàsasuspicion,blâmantlafatigueetlesurmenageautravail.Jen’aimepasmentiretjenesuisd’ailleurspastrèsdouéepourça,pourtantaujourd’huijemesuissurpassée; toutlemondeacceptaitsanscillermesexcusesbidons.Un peu comme une femme qui simulerait un mal de tête pour ne pas fairel’amouravecsonmari:onsaitquec’estfauxmaisonnes’yattardepas.—…àceColin.—Quoi?Mespenséesm’ontune foisdeplus submergée sansque jenem’en rende
compte.Ambermeparledepuis ledébutdu trajetenvoituremais jen’aipasfaitattention,tropoccupéeàpenseràColin.—Tunem’écoutaispas,jemetrompe?—Désolée…Jeréfléchissais.Ellehochelentementlatête,pensive,lesmainsserréessurlevolant.Sijene
la connaissaispas assez jepenseraisqu’elle est concentrée sur la route, saufquelepetitplientresessourcilstrahitunepréoccupationparticulière.Etjesaisdéjàdequoiellevameparler.— Je pense sincèrement que tu devrais te méfier de ce Colin, dit-elle
calmementtandisquejelâcheunsoupir.Iln’estpaslegenred’hommeauqueltut’attendsetturisquesdetebrûlerlesailes.Ilestcanon,jetel’accorde,maiscrois-enmonexpérience,lesmecsaussibeauxsonttousdesconnards.—Maisj’hallucine!jem’exclameenéclatantderire.C’estquoicesclichés
totalement infondés ? Tu crois que tous les hommes gentils sontsystématiquement laids et gros, peut-être ? Je ne tirerai aucune leçon de tonpointdevuebiaisépartesmauvaisesexpériences,AmberHill.—JeteleprometsMiaHope,c’estunfait!Ilssontbeauxdoncilsseservent
deçapour tebriser lecœur.Etpuis ilyaquelquechosedeparticulier chezColinquimeperturbesansquejenepuissemettreledoigtdessus.— De toute façon ça n’a aucune importance, ce n’est pas comme si je
m’apprêtaisàallertambourineràsaporteouquelquechosedanslegenre.—Jesais,Mia,jetedisseulementquej’aibeaucoupd’expérienceavecles
mecsetqueçanes’estjamaisbienterminé.C’estlaraisonpourlaquellejesuiscélibataireaujourd’hui.—Alorstunecroisplusauprincecharmant,missHill?jedemandeavecun
souriretaquin.—Non,pasdepuisqu’unpauvreabrutim’ajetéecommeundéchetquelques
jours après lui avoir offertma vertu à seize ans ! s’exclame-t-elle avec unegrimacededégoûttandisquej’éclatederire.—OK,c’estbon, j’aicompris, jeneveuxpasensavoirplus ! jehurleen
levantlesmains.Lorsque nous arrivons chez Terrence, nous avons seulement le temps de
nouschangeravantdecommencernosservices,etjem’efforcedenepasfixerlaported’entréetouteslescinqsecondesdansl’espoirinavouédevoirColin,souriantetbeaucommejamais,entreretvenirdéposerunbaisersurmajoue.Jemesensridiculedepenserunechosepareillealorsqueclairement,toutcecine rime à rien. Lui etmoi, c’est tout simplement impossible. Nous sommesmathématiquementincompatibles.Les minutes s’égrainent avec une lenteur insupportable en dépit de mes
supplications silencieuses à l’horlogemurale quime fait face. Plus le tempsavance,plusjedésespèredevoirColinarriver,cequiprovoqueunedrôledesensation enmoi. J’aimerais comprendre le tumulte de sentiments tous aussidifférents les unsdes autresquimeprennent d’assaut lorsque je pense à lui,mais je parviens seulement à continuer à jouer en fermant les yeux,m’efforçantdenepaspenseràsesprunellessi troublantes…Saufque jen’yarrivepas.Sij’avaispu,j’auraisessayédejouerunepartitionbiencomplexepourmel’enleverdelatête,pourquej’aieàmeconcentrersurmesdoigtsetnon sur les siens lorsqu’il se frotte le menton ou qu’il les passe dans sescheveux.Lorsque j’ouvre lesyeux, je réalisequ’ilest l’heuredequittermonpiano,l’horlogeafiniparavoirpitiédemoi.Lesclientssontdéjàpartisetjesuisunedesdernièresàquitterlerestaurantpourrejoindrelebar.Colinn’yestpasetjenesauraisdécrirelesentimentdedéceptionquimesubmerge.Touslessoirsdelasemaine,jem’emparedelavestedeColinquej’emporte
avecmoidansl’espoirdepouvoir la luirendre,etchaquesoirenrentrant jem’en enveloppe jusqu’à ce qu’Amber arrive, de peur qu’elle me surprenneavec.Çapeut paraître étrangemais le fait de sentir sonodeurmepermet enquelque sorte de faire le deuil d’une rencontre bouleversante qui aurait puaboutir à plus. Il est inutile demevoiler la face plus longtemps, je sais trèsbienquesiColinm’avaitfaitpartdudésird’allerplusloinavecmoi,lagranderomantiquequejesuiss’yseraitjetéelatêtelapremière.Jecroisaudestin,àcefilconducteurquinousmèneàl’endroitoùl’onestcenséêtreàunmoment
précis, comme une sorte d’effet papillon. Si l’amie d’Amber n’était pas siamoureusedesoncopain,ellen’auraitpasdécidéd’emménageravecluialorsjen’auraispasconnuAmber,jen’auraispaseul’occasiondeluidemanderdetravailler avec elle chezTerrence…et je n’aurais donc jamais croiséColin.Cecin’estque laversionabrégéede la longueséried’événementsquim’ontmenée ici.Peut-êtreque tousmesactesetmesdécisionsdepuismanaissanceétaientdestinésàmemenerdroitverslui.J’ycroisvraiment,maisest-ceunemalédictionouunebénédiction?Les jours défilent sous mes yeux tels des nuages dans le ciel et je me
demande à chaque instant si Colin aussi pense à moi. Probablement pas demanièreobsessionnellecommejelefais,maisseulementsimonnomeffleureparfois son esprit ou si, lorsqu’il voit une petite brune, il se retourne pourvérifiersicen’estpasmoi…Mercredi, jemesuisditqu’ilviendraitpeut-être.Jeudij’aipensé:«Après
tout,ildoitavoirautrechoseàfairequedevenirregarderunegaminejoueraupianopendantdesheures.»Maisvendredi, j’aicomprisqu’ilneviendraitpas avant un longmoment, alors j’ai tout simplement essayé de voir le boncôtédeschosesetjemesuisditquej’avaisbienfaitdegardersaveste.Ilneviendrapasetjenejoueraipluspoursesyeuxquisemblaientnevoirquemoimaispourtoutescespersonnesquineremarquentjamaismaprésence.L’unedesqualitésd’Amberestqu’elleestdéterminée.Deuxjoursaprèslui
avoir fait part de mon idée d’acquérir une voiture, elle m’a littéralementtraînée hors du lit de bonne heure un samedi pour aller m’en acheter une.J’avaisbesoindemereposermaisc’étaitsanscomptersurcetouraganblondquis’étaitmisentêtederaccourcirmanuit…Detoutefaçon,j’arriveàpeineàfermer l’œil ces derniers temps. Trois voix sur quatre dansma tête veulentbien dormir,mais la dernière ne fait que poser des questions sans réponses,desproblèmesauxquelsjenepeuxpastrouverdesolutions.Alorsjepassemesnuits à broyer du noir, pensant encore et toujours à la même personne,ignorantsicetteobsessionvas’arrêterunjour.Jesuisvéritablementexténuée.J’aifiniparaccepterceshoppingdansl’espoirdeparveniràmesortirColindelatête,rienquepourunepoignéed’heures.—Alors,quelesttonbudget?medemandeAmberunefoisdanssavoiture.—Jene saispasvraiment, jeveux justeuneboîteen ferraillemunied’un
moteur,d’unvolantetdequatreroues,jenecherchepasuneLamborghini,jerépondsentredeuxbâillements.
—Tuas lesmoyensde t’enacheterunesuperbe,pourquoi tecontenterduminimum?—Parcequejen’enaipasbesoinetquecetargentpourraitservirànourrir
des enfants pauvres dans le monde. Ça te va comme réponse ou tu veuxt’entreteniravecmonavocat?—Tu es vraiment demauvais poil quand tu es fatiguée ! s’exclamemon
amieenriant,amuséeparmonhumeurmassacrante.J’aimeraisprétendrelecontrairemaisellearaison:lafatiguenemevapas.
Sijen’aipasaumoinshuitheuresdesommeilparnuit,jepeuxvraimentêtreinsupportable.Aujourd’hui,c’estAmberquienfaitlesfrais.—Tunepeuxt’enprendrequ’àtoi-même!Jedevraisêtredansmonliten
cemoment!Lavoiturepouvaitattendreuneautrefois.—Eh,jeterappellequec’esttoiquienvoulaisune!Je lève les yeux au ciel mais ne relève pas. J’aimerais me montrer
enthousiaste, au moins pour lui faire plaisir, mais la fatigue me terrassecomplètement.Ambernousconduitchezunconcessionnaireet jegrimacedestupeur en voyant la rangée de voitures de luxe derrière la vitrine devantlaquellenousnousgarons.—Tuveuxrire,j’espère?jem’étrangleendescendantdelavoiture.—Ne t’en fais pas ils vendent de tout, pas uniquement des voitures à un
demi-million de dollars, me rassure Amber en fermant la portière derrièremoi.Àmoitiéconvaincue,jelasuisdanslesomptueuxétablissementabritantdes
dizainesdemodèlesscandaleusementhorsdeprixetterriblementtape-à-l’œil.Jeme sens comme un éléphant dans unmagasin de porcelaine. J’ai peur detoucheràquoiquecesoitaurisquede l’abîmeret lecarrelage lui-mêmeestencore plus propre quemes chaussures.Cet endroit n’est clairement pas faitpourmoi.Nipourmoncompteenbanque,d’ailleurs.—Bonjourmesdemoiselles!Je sursaute et fais volte-face pour découvrir le propriétaire de cette voix
fluette, un jeune garçon âgé d’une vingtaine d’années aux yeux légèrementbridésetaucharmeévident.— Je suis Tony Jim, à votre service. Vous cherchez un modèle en
particulier?—Oui,est-cequevousavezdesTwingo?
AmberetTonymeregardentenfronçantlessourcils,légèrementconfus.—Voussavez,cespetitesvoituresmignonnesdelamarqueRenault?—Jesuisdésolé,nousnevendonspascegenredevoituresici,balbutiele
vendeurd’untoncontrit.— Tu vois, ils ne vendent pas de tout, je lance à Amber avec un regard
victorieuxtandisqu’ellelèvelesyeuxauciel.— Quel est le prix de votre voiture la moins chère, monsieur Jim ? je
demandepoliment.Celui-cisemblesurlepointdemerecracherunspeechcertainementappris
parcœur lorsdesa formationmais,pour luiéviterdemeservirsadiarrhéeverbale,jeluicoupel’herbesouslepiedenlevantlamain,prêteàm’enaller.—JesuisdésoléemonsieurJimmaiscen’estpasdansmesmoyens.Jetournelestalonssousleregardeffaréd’Amberetressorsrapidement,la
voix demon amie s’excusant auprès du vendeurme parvenant aux oreilles.Unefoisarrivéeàlavoiture,jem’yadosseetl’attendssagementtandisqu’ellesortàsontourdumagasin,visiblementmécontente.—Mia,c’étaitquoiça,bonsang?s’écrie-t-elleenmerejoignant.— Tu croyais sérieusement que j’aurais pu acheter une voiture dans cet
endroit?Tunemeconnaispasassez,alors.Ellesoupireavecunpetitsourireamuséaucoindeslèvres.—Tuasplusdecaractèrequejenelecroyais.—Ilteresteencorebeaucoupàdécouvrirsurmoi,Amber.—Tuavaisraison,cegenredechosesnetecorrespondpas,murmure-t-elle
enhochantlatête.Jeconnaisl’endroitparfait.JesavaisquejefiniraisbienpartrouvermonbonheuràNewYork.Lorsque
Amber m’a emmenée chez un second concessionnaire, j’avais beaucoupd’appréhensionmaisjemerendscompte,engarantmapetiteTwingoachetéed’occasionàunprixtotalementabordable,quej’avaistortdenepasluifaireconfiance.Mapetitevoiturerosegirlyn’estpasunmodèlerécentmaisjel’aiadoptéedèsl’instantoùjel’aivue.Certainsdiraientqu’ileststupidedenepasprofiter de son argentmaismavoituremepermet d’aller d’unpointA à unpointBsansencombre,cequimeconvienttoutàfait.Jen’avaisjamaisréalisél’ampleurdemafortunefamilialejusqu’aujouroù
j’ai compris que tout lemonde ne possédait pas un appartement au cœur deParis,nidesparentsmédecins.Enréalité,jepenseplutôtquejen’aipasvoulul’accepter.Jevoyaischaquejourlesmendiantsetlessans-abridanslarue,etexposermonaisanceauraitfaitdemoiunedecespersonnescondescendanteset hautaines que jeméprise tant. Il est évident que je n’ai jamaismanqué derien, néanmoins mes parents nous ont inculqué de réelles valeurs morales,cellesquinousontempêchéd’agiretdegrandircommedesgossesderichesingrats.Etjelesremerciepourça.—Tavoitureestvraimentmignonne,jetrouvequ’elletevaàmerveille,me
ditAmbertandisquenousdéjeunonsaurestaurantuniversitaire.—UnechancequecetteFrançaisenel’aitpasenvoyéeàlacasseaprèsavoir
faitfortuneici,jerétorqueenriant.Levendeur,unhommed’unecinquantained’annéestrèssympathique,nousa
raconté que la femme qui lui avait vendu cette voiture venait d’épouser unrichehommed’affairesaméricainetque,bienévidemment,unefemmedesaclassesocialenepouvaitplusroulerenTwingo…J’ensuisraviecarellevientdefairemonbonheur.—J’aienviedetoutrecommencerdepuisledébut,jedéclareenposantma
fourchetteprèsdemonassiettedefrites.Jecroisquejeviensderéaliserqu’ilfautparfoissavoirsefaireplaisiretsaisirlachancequandellepasse.—Oùveux-tuenvenir?medemandemonamie,labouchepleine.—Jecroisqu’ondevraitseprendreunappart.Jecommenceàmesentirà
l’étroit dans cette chambre et puis j’en ai un peuma claque de ces douchescommunesetdecerestaurantfranchementpasterrible…Jeveuxmonproprechez-moi.Amber me sourit de toutes ses dents avant de me répondre, très
enthousiaste:—Jecroisquec’estlameilleureidéequetuaiesjamaiseue!—Alorsondevraitcommencerlesrecherches,ànousdeuxonpourraitse
trouver un bel appartement et comme on sera deux à payer, ça devrait allermêmesileloyerestunpeuélevé.Cette décision peut sembler rapide et irréfléchie mais je considère
qu’Amber et moi nous connaissons désormais assez pour franchir ce pas.D’ailleurs,nousvivonsdéjàensemble,çanepourraqu’êtreplusagréabledansunappartement.—Danscecasc’estréglé,toietmoiondéménage!
Chapitre7
Mia
Ilestprèsde14heuresquandnousrentronsetjemesensàprésentbeaucoupmieuxetsurtoutplusréveillée.Jecroisquelefaitdem’êtreachetéunevoituredemarquefrançaisemeréconforteetmedonnedubaumeaucœurparcequej’ailesentimentd’avoiravecmoiunpetitboutdemachèreFrance.Monpaysetsalanguememanquent,j’aimeraisentendrelespassantsdiscuterenfrançaisetpouvoirleparlermoi-même.J’imaginequeçairamieuxlorsquemonfrèremerendravisite.Amberetmoipassonsl’après-midiàregarderdesfilmssurmonordinateur, touteslesdeuxallongéessursonlit,et jeréaliseencoreunefois lachanceque j’aieuederencontrercette filleabsolumentgéniale.NousaurionspupassercesquelquesheuresencompagniedesesamismaisAmbern’enavaitpastrèsenvie.J’imaginequej’aidequoiêtreflattéequ’ellepréfèrepasserdutempsavecmoiplutôtqu’aveceux.—J’aivraimenttropdemalàsupporterlavuedeMandy,déclare-t-elleen
avalantunepoignéedepop-corn.—Ah,doncjenesuispasseuleàtrouverqu’elleest…—Horripilante?Non,personnenepeut lasupporteràpartSam, rétorque
monamie,cequinousvautunbeléclatderire.Moiquipensaisêtrepersonnellementviséeparsoncomportementdepeste,
jedoisadmettrequejesuisrassuréedenepasêtrelaseuledanslecollimateurdecettechèreMandy.— Tu sais, murmure Amber après quelques minutes, je suis vraiment
heureusedet’avoirrencontrée.—C’estentièrementréciproque,Amber.Ellesouritpuismeserredanssesbrasetjecomprendsaussitôtquelasœur
quinousfaisaittouteslesdeuxdéfautvientd’apparaîtredansnosvies.Jesaisque je pourrai toujours compter sur elle. Lors de ces trois semaines àapprendre à nous connaître, j’ai trouvé en elle une personne aussi belle àl’intérieurqu’àl’extérieur.
Aprèsavoirpleurétoutes les larmesdenoscorpsenregardantPS: I loveyou,Amberetmoinouspréparonspournousrendreautravail.Lerestaurantet lebarsontdéjàbondés,sibienquenousdevonsjouerdes
coudespourparvenirauxvestiairessituésderrièrelebar.J’aimeraisdirequejen’aipasbalayélafouleduregardàlarecherched’unsouriremutinentourédedeuxfossettescraquantesmaisceseraitunmensonge.Colinn’esttoujourspaslà,alorsjeravalemadéceptionetmedépêched’enfilermatenue.Lorsquejem’installeaupiano,jemerendscomptequejen’aipasvraiment
enviedejouerpourtouscesgens.Ceboulotadesavantages,c’estsûr,maisjecommenceàavoirpeurqu’ilmedégoûtedemoninstrument.Bizarrement,jemesentaismieuxaubaràservirdescocktails.JeprendsdoncladécisiondeparlerdetoutçaàTerrenceaprèsmonservice,aurisquedeledécevoir.Ilaététrèsgénéreuxenm’offrantcejobetceseraitingratdeleluirendre,maisjenemesenspasvraimentàl’aise.Jejouedéjàdepuisdeuxheureslorsquejesensunregard,sonregard,posé
surmoi.C’estcommeunesortedefilinvisiblequimerelieàlui,unlienquimerappelleunefoisdeplusàquelpointjemesuisenfoncéedansunesituationhors de contrôle. Il est là àme contempler depuis l’entrée dubar, aumilieud’unemassedepersonnes,etjenevoispourtantqueluicarilirradie,commeune étoile à part quim’illumine plus que ne peuvent le supportermes yeux.Unefaussenote,puisdeux,etjeréalisequejenesuisplusdutoutconcentréesurmonmorceau ni surmes doigts qui dansent la salsa.Alors je ferme lesyeuxetmefocalisesurmarespiration, tandisquemesmainsreprennentleurvalseennuyeuseàmourirsurcestouchesnoiresetblanches.Jesuis toutsimplementen traind’agircommeuneadolescente,moiquiai
totalement dépassé cette période de ma vie où les filles connaissaient leurspremiersémois,leurspremiersbaisersetleurspremièresfoispourcertaines.J’aipassémonadolescenceavecdeslivresetdansmachambre,isoléeettropsilencieuse pour être remarquée. La seule personne avec qui je passais dutempsétaitmonfrère,quiparvenaitàseconsacreràsapetitesœurmalgrésesnombreuxamisetpetitescopines.Ilatoujoursétéplusdouéquemoipourselierd’amitié.Lorsquevientenfinl’heuredequittermontabouret,jenemefaispasprier
pour détaler de la scène.Amber et les autres serveurs courent dans tous lessenspoursatisfairelesclientsassoiffés,maisleplusàplaindreestcepauvreMarcquidoitpréparertouteslesboissonsavecpourseuleaideuncollèguede
l’autre côtédubar.Alors, après avoir troquéma robenoire cintréepourunjean,untee-shirtRollingStonesetmestennis, jerejoinsMarcpourluivenirenaide.—SalutMia, tu n’es pas censée avoir fini ? remarque-t-il en secouant un
shaker.—Jemesuisditqu’unpeud’aideneteferaitpasdemal,etpuisjecroisque
jepréféraismonserviceaubar,finalement.Ilhochelatêteensouriantgentimenttandisquejecommenceàpréparerdes
commandes.—BonsoirMia.Oh, je crois bien que mon cœur s’est arrêté. Agir naturellement, agir
naturellement,agir…—Salut, jepeux te servirquelque chose ? jedemandedemonair leplus
professionnel et naturel possible en essayant d’ignorer les tremblements demesmainsetlesbattementsaffolésdemonpauvrepetitcœur.—JeveuxbienuneMargaritas’ilteplaît…etn’oubliepasdevérifierquele
shakerestbienfermé,murmureColinensouriantd’unairprovocant.Si je n’étais pas sûre qu’il m’ait vue cette fois où j’avais littéralement
assassiné ma dignité en m’aspergeant de cocktail, j’en ai maintenant laconfirmation.Lepire,c’estqu’ilsemoquedemoi!Je tentedelefusillerduregard, ce qui ne semble pas fonctionner vu le sourire enjoué qu’il arbore,visiblement fier de lui. Inutile de dire que mes lèvres tremblent sous lapressiondusourirequiveuts’ydessinermalgrémoi.—Voici pour monsieur, dis-je en lui tendant son verre, qu’il prend sans
mêmemefrôler.—Merci beaucoup, murmure-t-il sans se départir de son petit sourire en
coin.Àcroirequeseslèvresontétéforgéescommeça,aveccesourireenbiais
parfaitementaffolant.Jecontinueàservir lesclients,sentantsonregarddansmon dos. Plus le temps passe, plus jemeurs d’envie d’allerm’asseoir à sescôtéspourpouvoirlecontempler.—Est-cequetonamieestlàcesoir?m’interrogetoutàcoupColinalors
quej’ailedostourné.—Oui, elle est juste ici, je réponds en pointantAmber du doigt à l’autre
boutdelasalle.Pourquoi?
—Ehbien,jemedisaisquesiellen’étaitpaslàonauraitpufairelarouteensemble,commeladernièrefois.Ilaréponduàmaquestionenhaussantlesépaules,enapparencedésinvolte,
mêmesi jedevineunepointededoutedans savoixgrave. Jenem’attendaisvraiment pas à ce qu’ilme propose ça, ni sur ce ton.Mais le sentiment quej’éprouveestindescriptible.—Riennenousempêchedelefairequandmême.Unmagnifiquesouriresedessinesursabouche,puis il regardesamontre
pourestimerletempsrestant.Plusqu’unedemi-heureettoutrecommencera,jesonge.—Danscecas,jet’attendslà.
Les minutes s’étirent indéfiniment tandis que je meurs d’impatience de
terminer mon service. Je ne contrôle plus rien, ni mes sentiments, ni mesintentions.Jenesaispluscequejesouhaite,enrevanchejesuiscertained’unechose:j’aibesoind’êtreprèsdelui.C’estcommeunenécessitéquifaittairelesvoixetlespenséesintempestivesdansmatête.Il boit son cocktail tout en me suivant du regard. Je pourrais trouver ça
dérangeant,mais il n’en est rien. Je suis commeenveloppéepar son regard,parsesyeuxhorsducommundontjen’arrivetoujourspasàdéfinirlacouleur.Parfois, je jetteuncoupd’œildans sadirectionetun frissonmeparcourt lecorps,moncœur s’emballe et entameunedanse endiablée. Je réalise tout enservantunverredebière, lesyeuxdans levague,quec’estbien lapremièrefoisqu’ilm’arriveunechosepareille.J’ignoresijesuislaseuleàtrouverçamagiquemaiscedontjesuissûre,c’estquelorsqu’ilposesesyeuxsurmoi,cequejeressensestinégalable.S’ilarriveàmefaireceteffet-làrienqu’avecunregard,jemedemandebien
cequ’il seraitcapablede faired’autreavecsescapacitésd’angeséducteur. Iln’estpasnécessairededécrirelesentimentdejoieetdelibertéquejeressenslorsquesonnepourmoi l’heuredepartir.Parmiracle,aucunecatastrophenes’estproduite:jen’airienrenverséetjenemesuispasétaléeparterre.Avecunenthousiasmedifficilementcontenu,jefaissigneàAmberpourlaprévenirquejenerentreraipasavecelle.— Tu es sûre ? Je ne suis pas convaincue que ça soit l’idée du siècle…
bredouille-t-elleavecunegrimacepréoccupée.—Ne t’inquiète pas, on a déjà fait le chemin ensemble et il est digne de
confiance.—Trèsbien,soupire-t-elle,maisméfie-toiquandmême,OK?Je l’embrasse sur la joue sansm’attarder sur son expression étrange puis
rejoinsColindevantl’entréedurestaurant.Lorsquejesors,jesuissurprisedelevoir adosséaumurdu restaurant,unecigarette entre les lèvres, lesmainsdanslespochesetleregardrivéverslesvoituresquidéfilentdevantlui.—J’ignoraisquetufumais.Il sursaute légèrement avant de faire volte-face et de m’offrir un sourire
timideabsolumentirrésistible.—Tu ignores tout demoi,Mia,murmure-t-il en jetant sonmégot au sol
avantdel’écraserdelapointedesachaussure.Etmêmeça,c’estaffreusementsexy.—C’estvrai,etjecomptebienyremédier.IlémetunpetitrirequisefonddanslanuitbruyantedeNewYork.—Je suis unhomme très secret, jemedévoile rarement aux autres, dit-il
doucementtandisquenousnousmettonsenmarche.Toutcequinousentourerendcemomentencoreplusunique,mêmelepetit
ventfraisquicaressemescheveux,cequimefaitpenserquej’aieuraisondeprendremavesteenjean.D’ailleurs,enparlantdeveste…—Oh,aufait,j’aitoujourstavestechezmoi,tuavaisoubliédelareprendre
ladernièrefois.—Çan’était pasunoubli, dit-il en souriant et en rivant son regard sur le
mien.Jemesuisditqueçateferaitunsouvenirdemoisionvenaitàneplusjamaisserevoir.— Pourquoi est-ce qu’on ne se reverrait plus ? je demande d’une voix
incertaine.—Parcequej’aitendanceàdisparaîtrelorsquepersonnenes’yattend.Est-cequec’estcensémerassurer?S’ilavoulusemerledouteenmoien
tout cas c’est réussi, je comprends mieux pourquoi tout le monde le ditmystérieux.—Alorsc’estcommeçaque tuprocèdes?Tudonnesunde tesvêtements
auxfillesaveclesquellestucouchespourqu’ellessesouviennentdetoiavantdedisparaîtredelasurfaceplanétaire?Son visage se durcit un instant avant de reprendre son expression
habituellement confiante et souriante, comme si je nevenais pas depercer àjoursonmodeopératoiredeséduction-destruction.— Pas vraiment, en fait tu es la première, murmure-t-il en plongeant à
nouveausonregarddanslemien.— Pourquoi est-ce que j’ai l’impression de ne pas être la première à
entendreça?—Tufaistropdejugementshâtifs,Mia,tunemeconnaismêmepas.—Alorsaide-moiàarrangerçaetrépondsàmesquestions.Ilritnerveusementenpassantunemaindanssescheveuxavantdes’emparer
d’une nouvelle cigarette et de l’allumer de la manière la plus… argh ! Ilm’énerve.—Pourquoiest-cequetun’espasrevenuaubaraprèsnotrebaladel’autre
soir?C’estunequestionquin’apascessédemetournerdanslatêtedepuislesoir
oùj’airéaliséqu’ilnereviendraitplusavantunmoment.—Disonsque j’étaisoccupé, jen’avaispas l’espritàallerboireunverre,
voilàtout.Ilment.Jelevois,jelesens.Ilsembleraitquenousayonsencommunune
certaineincapacitéàmentirmaiscommejesuisdebonnehumeuretquejeneveux pas le braquer en insistant, je ne relève pas et prétends croire à sonmensonge.—Ilparaîtquetuessoldat?Cettefoissonvisagesefermecomplètement.Iln’apasl’aird’apprécierma
question.—Lesgensnesaventpassetaire,ondirait,rétorque-t-ilfroidement.Jesuis
enpermissionchezmoipendantquelquetemps.Unsilencedeplombs’abatet jecommenceamèrementà regretterd’avoir
posécettequestion,mêmesij’ignorepourquoiilréagitdecettemanière.—Désolé…reprend-ilenprenantconsciencedufroidquis’estinstalléentre
nous,c’estsimplementquej’aihorreurquelesgenss’occupentdemavie.Sijenemedévoilepas,c’estquejen’enaipasenvie.—Jecomprends.Un petit pli s’est dessiné entre ses deux sourcils, ce qui lui donne un air
mécontent quime plaît bien. En tout cas, le Colin drôle et souriant a laissé
placeàunColindistantetfroidquimemetmalàl’aise.Commentest-cequejesuis censée apprendre à le connaître si toutes les questions que je lui poserestentsansréponse?—Jesuispilotedansl’arméedel’air,reprend-il,visiblementadouci.Jeluisuisreconnaissantedeprendresurluipourrelancerlaconversation,
vul’effortmonumentalqu’ilsemblefournir.—Waouh!C’estvraimentimpressionnant!—Situledis,murmure-t-ilensouriant,unpeugêné.Malgré l’obscurité, je jurerais l’avoir vu rougir, ce qui contraste
étrangementaveclapersonneconfiantequ’ilsembleêtre.Colinsecacherait-ilderrièresonmasquedeperfection?—Tuaimestonmétier?—Biensûr.C’estunhonneurdeservirmapatrieetj’ensuisfier.Le faitd’enapprendreplussur lui le rendencoreplusattrayant.Lesavoir
piloteetprêtàsacrifiersaviepourcelled’innocents…Çafaitdeluiunhéros,unhommepuissantetcourageux.Décidément,c’estunsans-fautepourColin.—Ettufaisçadepuiscombiendetemps?Leflotdequestionsnes’arrêteplus.Jeveuxensavoirplus,j’enaibesoin,
parcequesiColinestparfaitphysiquement,jenesaispresqueriendelui,jenesaispasquiilestvraiment.J’aicependantl’impressionqu’ilestdeplusenplusnerveux,commesimesquestionsl’agaçaient.— J’y suis entré à l’âge de dix-sept ans, répond-il en tirant une bouffée
d’uneénièmecigarette,lesyeuxdanslevague.J’aicommencéparêtresoldatsurleterrain,puisj’aipassémesdiplômesetjesuisdevenupilotedechasse.Voilà,tuensaisassez,jecrois.Jehochedoucementlatête,raviedelagrandeavancéequenousvenonsde
faire.J’ensaisbeaucoupplusqueladernièrefoisetçamerassureparcequ’ilmesembleencoreplusdignedeconfiance.Oùestdoncpasséelafillequinedésiraitpassefaireavoirparlesexeopposé?Cellequivoulaitmettreàl’écartlessentimentsetlesgarçonspourseconcentrersursesétudes?OndiraitbienqueColinaannihiléabsolumentchaquegouttederaisonenelle.Lerestedutrajets’estfaitdanslesilence,unsilenceétrangementagréableet
léger.Colinsemblaits’êtredétenduetnousmarchionsenprofitantsimplementl’undel’autre.—Tumontesrécupérertaveste?jel’interrogelorsquequenousarrivons
aupieddemonimmeuble.—D’accord,mais c’estpourm’assurerque tu arrives saineet sauvechez
toi.—Pourquoi?Tucroisquejepourraismeperdreenchemin?— Non mademoiselle, c’est parce que cet immeuble n’est pas vraiment
sécuriséetquen’importequipeutyentrer.—J’ai unebombe lacrymogènedansmon sac, je rétorque enhaussantun
sourcil,ledéfiantduregard.—Ravidel’apprendre!J’espèrequetunecomptaispast’enservircontre
moi?— J’aurais pu, si tu avais fait un pas de travers… je bluffe en souriant,
faussementprovocatrice.En réalité, j’essaie de ne pasmontrer à quel point ilm’impressionne. Il a
beau faire deux têtes de plus que moi et être dix fois plus baraqué, j’ai unminimumdefierté.Ilritensecouantlatêted’unairamusé.—Çan’arriverapas,jetelepromets,murmure-t-iltandisquenousarrivons
devantmaporte.Le temps se fige, je n’ai vraiment pas envie de le quitter. Chacune de ses
parolesestcaptivante,chacundesesgestesesthypnotisantetmêmesijedétestelescigarettes, jen’aipaspum’empêcherdele trouver terriblementséduisantlorsqu’il aspirait de grandes bouffées de fumée et qu’il les recrachait enfermantbrièvementlespaupières.J’airemarquéqu’àchaquefoisqu’ilfaisaitça il passait ensuitemachinalement sa langue sur ses lèvres, ignorant l’effetdévastateurquecelaproduisaitsurmoi.—Neparspas,jemurmureavantqu’iln’aitl’occasiondemedireaurevoir.
Jevaischerchertaveste.—Elleestàtoimaintenant,jetel’aidonnée.—Jerefusedelagarder,jeneveuxpasqueçasoituneexcusepourquetu
disparaisses.Unmoment, un très courtmoment, ses yeux semblent se ternir d’unvoile
sombreettristemaisjeneveuxpasluilaisserlamoindrechancedeprotester.J’ouvre la porte, entre avec précaution dans l’appartement pour ne pasréveillerAmberpuism’emparedelavestequireposesurmonlit.Lorsquejerejoins Colin, il est adossé au mur et se frotte le visage comme pour seréveiller. Jamais il ne m’a semblé si vulnérable et fatigué. Il doit y avoir
tellementdechosesquej’ignoreencoredelui,jemedemandesij’arriveraiunjouràlecernercomplètement.—Lavoilà,jechuchoteenluitendantsaveste.—MerciMia.J’aipasséuneexcellentesoirée.—Moiaussi, jesuiscontented’ensavoirplussur toi,mêmes’ilmereste
encorebeaucoupàdécouvrir…Ilgrimaced’unairdramatiqueetdésespéréquimefaitrire.—Jesuisdésolée,jenevoulaispasparaîtreintrusive…—Cen’estrien,simplementjen’aipasl’habitudedediscuterdecegenrede
chosesavectoutlemonde.—Jesuis«toutlemonde»pourtoi?—Tues«quelqu’un»parmi«toutlemonde».C’est…différent.—C’estdéjàpasmal,jerépondsenriant,surprisemoi-mêmeparl’audace
demaquestion.—C’estuneplaceprivilégiée,ajoute-t-ilensouriant.—J’aimeêtreprivilégiée.Sonsourires’effaceàmesurequ’ilserapprochedemoi.Millimètreaprès
millimètre, je sens la tension monter entre nos deux corps, son parfumd’hommeenivremessens. Jene répondsplusde rien, jesuissidéboussoléepar sa proximité qu’il pourrait faire ce qu’il veut de moi. J’ignore d’oùviennent toutes ces sensations inédites mais il m’est impossible de lesdistingueroudelescontrôler.Ilsepencheversmoidetoutesahauteur,jenerêveplusqued’unechoseetjesuispersuadéequ’ill’adevinée.— Bonne nuit douceMia, chuchote-t-il près de mon visage, de la même
manièrequeladernièrefois.— Bonne nuit, je souffle, les mots semblant être des aiguilles dans ma
gorge.Alors,onseditàbientôt…?—Oui,àbientôt.Ilponctuecettepromesseparunbaisernonpassurmeslèvres,àmongrand
désarroi,mais surma joue, laissantderrière luiune flammese répandre surma peau. Cet hommeme rend folle à lier. Après m’avoir offert un derniersourire,iltournelestalonspuisdisparaîtdanslacaged’escalier.Je reste plantée devant la porte pendant environ cent ans à me demander
pourquoiest-cequecethomme,enplusd’êtrebeau,possèdeuntelsang-froid.
Il s’est quandmême tenu à quelques centimètres de mon visage pendant unlongmomentsansriententerdeplusqu’unbisousur la joue.Jesuisdoncsilaidequeça?Sinon, ilaurait forcément tentéquelquechosedeplus…Colinest une véritable énigme, un labyrinthe semé d’embûches, un personnagesingulierquimedonnedavantageenviedeleperceràjour.Etjemefaisencetinstantlapromessesolennellededécouvrirquiilestvraiment.
Chapitre8
Mia
Lapremièrechosequejeperçoisenmeréveillantestl’immensesourirequimefendlevisage,accompagnéd’unétrangesentimentd’apaisement.Inutiledeme demander quelle en est la cause, je sais que ça vient de lamerveilleusesoiréepasséeencompagniedeColin.Jeréalisequenoussommesplusàl’aisel’un avec l’autre et je me dis que, finalement, je pourrais bien me laisseremporterparcetorrentsitumultueuxqu’estl’amour.Enfin,amourestuntrèsgrandmot et jenepensepasqu’il soit appropriédansnotre situation.Aprèstout,nousnenousconnaissonspasbeaucoupetilsepourraitquejem’emballealors queColin n’a pas lesmêmes pensées. Pourtant, j’ai l’impression qu’ilattenddemoiplusqu’unesimpleamitiéplatonique.—Bonjourprincesse!s’exclameAmberenentrantdanslachambre.—Salut,toi,jerépondsd’unevoixrauqueencoreensommeillée.—Biendormi?Ilestdéjàmidialorsjesupposequeoui.Monamiedéposeunsachetenpapiersurmatabledechevetpuiss’assiedà
côté de moi, rayonnante. L’odeur qui s’infiltre dans mes narines estagréablementfamilière…—Je t’aiachetédescroissantspour lepetitdéjeuner,mêmesic’estplutôt
l’heuredudéjeuner.—Oh,merci beaucoup ! J’ai l’impression que ça fait une éternité que je
n’enaipasmangé, jem’exclameenattrapantuneviennoiserieetenmordantdedans,affamée,aussitôtimitéeparAmber.—C’estvraimentbonces trucs,marmonne-t-elle entredeuxbouchées.Tu
comptesfairequoiaujourd’hui?—Jenesaispas,peut-êtreréviserunpeu.Jesuisàlaramassepourlescours
àcauseduboulot.Ettoi?—Jevaisallervoirmamèrepourm’assurerquetoutvabien.Ellen’était
pastrèsenformeladernièrefois.
—Çamarche.Jeseraisûrementlààtonretour.—OK, super, dit-elle en se levant et en lissant sa jupe.On se voit tout à
l’heurealors!Elledéposeunbaisersurlehautdematêtepuisquittelachambre.Quantà
moi,commel’incorrigiblegourmandequejesuis,jefaisunsortausachetdecroissantsavantdememettreà travailler. Jen’aiabsolumentpas la têteàçamais j’aivraimentprisduretardsurmesrévisions.Je finispar réussiràmeconcentrer sur mes cours, si bien que lorsque mon téléphone sonne en find’après-midi, persuadée qu’il doit s’agir d’Amber, je réponds sans mêmeregarderdequiprovientréellementl’appel.—Allô?—Salut,Mia.Ma respiration se bloque, mon cœur est au bord de l’infarctus et mon
cerveaucessedefonctionner.Cettevoixempreintededouceuretdesensualitémefaitfrissonnerdelatêteauxpieds.—Colin?jecouine,abasourdie.—Commentm’as-tureconnu?Commentaurais-jepuoubliersavoix?Jelareconnaîtraisentremille.—Disons que j’ai une bonnemémoire auditive…Mais comment as-tu eu
monnuméro?— Je l’ai demandé à Terrence sous prétexte que tu devaisme rendrema
veste.Un sourire se dessine malgré moi sur mes lèvres en imaginant son air
malicieuxencemoment.—C’esttrèsrusé,j’admetsenriant.Jesuisàlafoisflattéeetsurprisequ’ilaitpufaireunechosepareillejuste
pour me contacter. Il ne l’aurait pas fait s’il ne tenait pas à me revoir,j’imagine…— Je t’appelle pour savoir si tu aurais envie de sortir avec moi
aujourd’hui?SortiravecColin.SortiravecColin.Çanepeutpasvouloirdirecequej’ai
compris,si?—Pourunebaladejeveuxdire,précise-t-ilenbrisantmesespoirsenmille
morceaux.
—J’avaiscompris,net’enfaispas,jelerassureenriantnerveusement.Qu’est-cequejem’imaginaisexactement?Qu’ilmedemanderaitdesortir
avecluicommelefontlescollégiensamoureux?Ils’agitdeColin,l’hommequin’asansdoutejamaiseubesoindecouriraprèsunefillepourl’avoirdanssonlit.—Tupourrasvisiterlavilleparlamêmeoccasion.Moncœurbatlachamadeetm’encouragevivementàdireouitandisquema
raisonmesusurreaucreuxdel’oreillequec’estsûrementunemauvaiseidée.Jesaisdéjàquijevaisécouter.— D’accord, avec plaisir, je murmure finalement en mordillant sans le
vouloirmalèvreinférieure.—Àquelleheurejepeuxvenirtechercher?—Jesuisprêtequandtul’es.—Dansvingtminutes,çateva?—C’estparfait.Oui,eneffet,tuparfaismajournéeColin.—Àtoutdesuite,alors,finit-ilparmurmureraprèsuncourtsilencedurant
lequeljeluttaispourrecollerlesmorceauxéparpillésdemoncerveau.Lorsqu’il raccroche, je suis encore groggy. Je reste une bonne dizaine de
minutesmon téléphone collé à l’oreille, immobile surmon lit recouvert demeslivresetdemesfeuillesdecours,lesyeuxdanslevague.Jesaisdéjàquej’éprouvedepuissantssentimentspourColinmaisj’ignoresic’estunebonnechose. Il est peut-être en train de se jouer de moi, de s’amuser avec messentimentssiaisémentmanipulables.Quand je réaliseque le temps a continuéde s’écouler normalement tandis
quejerêvassais,jequittemonlitpourmepréparer,oupouraumoinsenfilerunetenueappropriéeetfaireunbrindetoilette.L’avantage,c’estque jesuisplutôt rapidedanscequiestduravalementde
façade.Jesuisdéjàderetourdansmachambreaprèsunpassageéclairdanslasalledebains,mêmesi j’aidû remonteràpiedétantdonnéquedes idiotssesontpassélemotpourbloquerl’ascenseur.Jeluttepourenfilermonsoutien-gorgequi,évidemment,refusedes’attacher,etjesuisentrainderefermermarobelorsquej’entendstoqueràmaporte.J’ycourstoutessoufflée,trébuchantsur les lacetsdemeschaussures, et j’ouvre laporte.S’ily aunequalitéquenous ne partageons pas, c’est bien la ponctualité car il est pile à l’heure.
Probablementunehabitudedel’armée.—Salut!jem’exclameenledécouvrantpourlapremièrefoisàlalumière
dujour.Ilesttoutsimplement…waouh.Bonsang,aucunadjectifn’estassezpuissant
pourdécrirecequisepassedansmoncorpsquandjelevois.Ilestvêtud’unLevi’s, d’un tee-shirt bleu nuit et unmagnifique sourire en biais éclaire sonvisage.Sesfossettesilluminentsonregardetjesaisisenuninstantdefoliequejevendraismonâmeaudiablepourpouvoirlecontemplerpourlerestantdema vie. En revanche, le mystère est que, même à la lumière du jour, je neparvienspasàdéfinirexactementlacouleurdesesyeux.—Jepeuxsavoirpourquoituesessoufflée?demande-t-ilenréprimantun
rire.—Disonsquejenesuispasconnuepourmaponctualité,doncj’aidûcourir
unpeu.—Jevois…répond-ilensouriant.Tuesprête?—Jevaischerchermonsacetj’arrive.Je retourne dans la chambre pour récupérer ma petite sacoche bleue
d’écolièreetjeprofitedecesquelquessecondespourmeremettrerapidementenquestion.J’ignorepourquoijesuissiimpressionnéeparluialorsquenousnousconnaissonsbeaucoupmieux,çadoitêtreparcequ’ilesttellementparfaitqu’il me fait complexer. J’ai l’impression que la lumière du soleil pourraitmettreaujourtousmesdéfautsetmesfailles, touteslesimperfectionsquejedésirecacheràColin.Jemesensvulnérableetpresquemiseànue.—Commentvas-tu ?medemande-t-il tandisque je le rejoins et quenous
nousdirigeonsversl’ascenseur.—Trèsbiendepuishier,ettoi?— Eh bien, rien n’a vraiment changé depuis la dernière fois qu’on s’est
parlé.—Maistunepouvaisplustepasserdemoialorstuasdécidéd’inventerun
mensongepourretrouvermatrace…jeréplique,cequilefaitrire.—C’est unpeu trop comédie romantique àmongoût. Jemedisais qu’on
pourraitsimplementdiscuterentefaisantvisiterlaville.Jehochelatêtetandisquenoussortonsdel’immeuble.C’estincroyablede
réaliserquejesuislàavecluialorsquenousnenousconnaissionspasilyaencore quelques semaines. Aujourd’hui, nous agissons comme si nous nous
fréquentionsdepuislongtemps,etjemesensagréablementàl’aiseàsescôtés.Je m’apprête à lui demander où nous allons lorsqu’une bestiole horrible
apparaît.Tous leseffortsque j’ai fournispourparaîtrenormaleauxyeuxdeColins’effondrentenunmillièmedesecondelorsquejehurleetagrippesontee-shirtenmecachantderrièrelui.— Qu’est-ce qui se passe ? demande-t-il en s’arrêtant brusquement, l’air
inquiet.— Il est parti ? je chuchote en ouvrant doucement les yeux, encore trop
effrayéepourressentirdelagêne.Il passe unemain rassurante dansmon dos et un courant chaud se répand
dans la totalitédemoncorps. Il estvisiblement sur lequi-viveet regardedetouslescôtéspourcomprendrecequiapumefairepeuràcepoint.—Quiça?Dis-moi,Mia.J’inspire une grande bouffée d’air puis me détache de son corps à
contrecœur. Il y a une chose dont j’ai une véritable peur bleue, ce qui estvraimenthandicapantpouruneparisienne:lespigeons.—Ilyavaitunpigeonjustelà…jesouffle,soulagéedeconstaterqu’ilest
parti.Colinmeregarded’unaireffaréavantd’éclaterderire.Ilsemoquedemoi,
c’estclair.—Eh,cen’estpasdrôle!—Quandjepensequej’étaisprêtàmebattrecontreuneéventuellemenace!
s’exclame-t-il.—Jedétestecesratsvolants…jemarmonneenreprenantmaroute,autant
vexéequegênée.—Désolé,vraiment,murmure-t-ilenmerattrapantetenmeprenantlamain.
Jenem’yattendaispasmaisjetrouveçaplutôtmignon.—Mignon?jerépète,nelecroyantpasuneseconde.—Oui,trèsmignon,même.Sa voix s’est adoucie, samainm’attire lentement à lui et, avant que je ne
puisse m’en rendre compte, je me retrouve contre son torse. Sa troublanteproximité,sachaleuretl’odeurdesoncorpsprovoquentunraz-de-maréedanslemien.Commentest-cequ’ilarriveàfaireça?Commentpeut-ilmerendresibrûlantededésirenquelquesmots,enunseulregard?
—Tuasfaim?Situsavais…Tumedonnesl’eauàlabouche,jesongeenhochantlatête.— Je te propose d’aller dîner, ensuite on fera tout ce dont tu as envie,
murmure-t-ilenapprochantdoucementseslèvresdesmiennes.Àmoins que ce ne soit moi qui le fasse ? Je n’ai aucune idée de ce qui
m’arrive.Sesmots sontdescharbonsardentsqui recèlent tantdepromesses,des promesses fiévreuses quimenacent deme consumer tout entière. Je saisquejenedevraispasmelaisserentraînerparcefleuvetumultueuxqu’estColinmaislecourantesttropfortetilm’emportecontremavolonté.Voilàoùjemeretrouveàprésent :dansune failleentre ledésiret l’envie, sibienque jenesaisplusoùm’accrocherpourmesortirdelanoyade.—Ondevraityaller,souffle-t-ilcontremonvisagesansesquisserungeste
poursedétacherdemoi.—Etsi jen’aipasenvie? jechuchote,étonnéemoi-mêmede l’audacede
mesmots.—Ilvapourtantfalloiryaller,sinonjerisquedetemangertoi…—Danscecas…Jeluioffremonplusbeausourirepuism’écartedeluiavantdepoursuivre
mon chemin, le sourire aux lèvres. Je suis une fille, et les filles sontcompliquées. S’il veut réellement plus avecmoi, ça risque de ne pas être sifacile.—Alors,tuviens?Ilsecouelatête,unsourireamuséauxlèvres,puismerejointenattrapantma
mainaupassage,cequiprovoqued’agréables fourmillementsdans toutmoncorps. Inutile de dire que je ne parviens pas à me départir de mon souriredurant tout lechemin jusqu’aurestaurant.Samaindans lamienne,soncorpsprès de moi, plus rien n’existe à part lui. Je me demande comment il a puprendreunetelleplacedansmonespritetdansmoncœurensipeudetemps.Je ne saurais même pas mettre un nom sur ce que nous sommes l’un pourl’autre,pourtantjesuistropheureusepourm’ensoucierpourl’instant.Etpuis,quis’ensoucie?Nous passons le trajet à discuter de tout et de rien, et même si je meurs
d’enviedeluiposermilleetunequestions,jepréfèrenepasprendrelerisquedelebraqueretprofitedecemomentprivilégié.Jerespectesavolontédenepasévoquersonmétiernisonpassé,encoremoinssafamille,etluienfaitdemême avec mon père. Sujets trop sensibles qui risqueraient d’assombrir
l’ambiancesigaiedenotrepromenade.Lasonneriedemontéléphonenousinterromptetjedétachemamaindela
siennepourfouillerdansmasacochequi,commelaplupartdessacsàmaindefemmes, est un fatras sans nom. Je ne suis pas bordélique, disons plutôtcréative.Entoutcas,jem’yretrouvedansmonbazar.—Jel’ai!jem’exclameenrepêchantmontéléphonesousleregardamusé
deColin.Allô?—Mia,c’estAmber…Tusais,l’amiequetuaslâchementabandonnéepour
tesauveravecDonJuan.—C’esttoujoursunplaisirdet’entendre,Amber,jerépondsenriant.J’adresse un petit sourire désolé à « Don Juan » tandis que nous nous
remettonsenmarche.—Oùestu?—Ehbien,quelquepartdansNewYork,j’imagine.—Jevois…TuesavecColin?—Situconnaislaréponse,pourquoimeposes-tulaquestion?—Jevoulais justevérifier.Maintenantque j’enai lacertitude, j’enprofite
pour te demander si tu as bien pris ta bombe lacrymogène, tonTaser et toncouteausuisse.—Ohtais-toi!jem’écrieenéclatantderire.Bonjetelaisse,onsevoitplus
tard.—…oudemain!—Aurevoir,Amber,jesouffleenraccrochant,amusée.—Jesuisdésolée,dis-jeàColinenfourrantmontéléphonedansmonsac.
Ellepeutparfoisparaître…—Envahissante?—J’allaisdireprotectrice,maisons’enapproche.Après m’avoir adressé un petit sourire, il me prend la main et nous
reprenonsnotremarche, tandisque je réalisequenousapprochonsdeTimesSquare. Ça doit être l’endroit le plus magique que j’aie vu, surtout avec lesoleilcouchantquidonneuneteinteparticulièreauciel:uncamaïeud’orange,de rose et de bleu qui fait briller mes yeux d’admiration. Entre cette vuemerveilleuse et le contact des doigts de Colin contre les miens, difficiled’ignorer le frisson d’excitation qui me parcourt le dos, de même que les
millionsdecolibrisquisemblentvirevolterdansmonventre.Lerestaurantoùm’emmèneColinestunepizzeria, lameilleuredumonde
selon lui. Une fois servis, j’admets que je cesse un moment de contemplerColinpourlorgnersurl’immensepizzaquimefaitdel’œildansmonassiette.Sonodeurterriblementappétissanteréveillelagourmandeenmoi.—J’aitellementfaimquejepourraisavalerunbœuf,dis-jeenportantma
fourchette à ma bouche sous le regard insistant de Colin. Pourquoi tu meregardescommeça?—Jen’aipasledroit?—Jen’aimepasqu’onmeregardequandjemange.—C’est bien un truc de fille ça, rétorque-t-il enmordant dans sa part de
pizza,unsouriremutinauxlèvres.—Nouslesfilles,noussommesdesprincesses,monsieurCarter,etsivous
nevousplaisezpasenmaprésencejevoussauraisgrédebienvouloirvousenaller.—Bienessayé,réplique-t-ilenriant,maisj’ysuis,j’yreste…Nouspassonslerepasàrireetànousmoquergentimentdel’accentitalien
exagéréduserveur.Aumomentderéglerl’addition,àpeinecederniera-t-illetempsdedéposer le ticketsur la tablequeColins’enempareet tendsacartebleue.—Jepeuxpayermapart,tusais,jeluifaisremarquer.Lesfemmesdenotre
époqueontacquisunecertaineautonomiefinancière.—Sansvouloiroffusquerlaprincesseduvingtetunièmesièclequetues,je
tiens toutdemêmeà respecter certaines convenances : àun rendez-vous, leshommespaientl’addition.—Unrendez-vous?—Un rencard, un rendez-vous, appelle ça comme tu veux, il s’agit d’un
repasentredeuxadultesconsentantsetdésireuxdepasserdutempsensemble.Ilarboreunsourirefieretétincelantetjemanquedechavirerdemachaise.
Derrière mon masque de la fille sûre d’elle et pleine de répondant, je suistoujours infiniment impressionnée par Colin, cet homme aussi drôle quemystérieux, aussi beau que sombre.Mais je suis patiente et je ne perds pasespoirdeleperceràjour.— Dans ce cas, je te remercie, je finis par murmurer sous son regard
scrutateur.
—Toutleplaisirestpourmoi.Je n’ai pas beaucoup voyagé dans ma vie, seulement dans le sud de la
France, en Irlande ainsi qu’en Italie pour rendre visite àmes grands-parentsmaternels.Mais si je devais recommander une destination de rêve, ce seraitNewYork,etplusparticulièrementTimesSquare.Letempss’estrefroidimaisje suis dans un tel état d’euphorie que je ne ressens plus rien à part la follesensationquemeprocurelamaindeColindanslamienneetlachaleurdesonregardsurmonvisage.Jeveuxboireledécor,m’enimprégneretl’enregistrerdansl’albumphotodemamémoire.Lorsque je reviens tout doucement sur terre, je réalise que le regard de
Colinest toujoursposésurmoiet jemeperdsdans sesyeuxà lacouleur sisingulière.—Àquoitupenses?memurmure-t-ilàtraverslebrouhahadelafoulequi
nousentoure.Savoixs’écouleenmoitelledouxsond’uneberceusedeBachdontjene
mesouviensplusdunomet,perduedansmespensées,jeréalisetroptardquelefiltreentremoncerveauetmaboucheestsuroff.—Jemedemandaisdequellecouleursonttesyeux.Etvoilà:Miadanstoutesasplendeur.Jerougisetplaqueunemainsurma
bouchemaisc’esttroptard.—Cen’estpascequetucrois,jevoulaisjustedireque…Colinhausseunsourcil,amuséparmonembarras.—Laisse-moiletempsdetrouveruneexcuse,aumoinspourmedonnerune
contenance…Ilsouritpuismefait faceetcroise lesbrassursapoitrine, jubilantdevant
monmalaise.Qu’ilestprovocateur!—Jeveuxqueturegardespartoi-même,chuchote-t-ilensepenchantvers
moi.—Quoi?Mavoixn’estplusqu’unsoufflequiseperddansl’air,jeluttefort,vraiment
fort pour contenir les battements frénétiques demon cœurmais celui-ci n’ad’yeuxquepourColin.—Lacouleurdemesyeux.Ellechangeselonleslumièresquim’entourent
alors peut-être que tupourraismedire comment elle est aumilieude toutes
celles-ci.C’est trop pour moi. Je vais mourir ou bien me laisser emporter par la
vaguedesensationsdévastatricesquimenacedemesubmerger.Cependant, jemetsmaconfusiondecôté,prendsunegranderespirationet
mehissesurlapointedespiedspourplongermonregarddanssesprunellesfantastiques.Àmesure que je réduis la distance entre son visage et lemien,Colinperdpeuàpeusonsourirepourarboreruneexpressiond’admiration.Jenemesuisjamaistenuesiprèsdeluietmaintenantquej’aienfinleprivilègedecontemplerlacouleursubjuguantedesesiris,jeréalisequejen’airienvud’aussibeaudetoutemonexistence.Ilfaudraitcréeruntoutnouveaumotpourdésigner ce mélange de gris métallisé et de bleu turquoise. C’est toutsimplementmagnifique.Etc’estlemotquedécidentdechuchotermeslèvres,toutdoucement.—Magnifique,eneffet,murmureColinenréponse,surlemêmeton.Saboucheestàprésentàquelquesmillimètresdelamienne.Quelquechose
danslamanièredontilmeregardemeditqu’ilneparlaitpasdelacouleurdesesyeuxmais…demoi.Ilportedeuxdoigtsàmajoueetl’effleurelégèrement,laissantune traînéedepicotementsderrièrechaquemillimètredecaressesurmapeau, et je ressens tellementde sensationsque jecrainsd’exploserd’unesecondeàl’autre.Samainn’ariendedoux,elleestcalleuseetendurcieparlesentraînements de l’armée, et pourtant samanière si tendre deme toucher larendaussidoucequelaplusparfaitedesplumesd’unejeunecolombe.Sonpoucecaresseensuitedélicatementmalèvreinférieure,sesyeuxsuivant
les allers et retours de son geste léger, etmoi je suis là à le regarder, à lecontemplertandisquelemondes’efface,quelessonssetaisentetqueletempscessedes’écouler.Uneseconden’estplusuneseconde,uneminuten’estplusune minute, nous avons créé notre propre unité de temps, nos propresmillénaires et chaque respiration que j’effectue est la mesure qui m’aide àréaliser à quel point le temps n’est qu’un leurre ; nous ne vivons que pourcourir aprèsmais une fois que l’on a rencontré la personne spéciale qui estl’uniqueàpouvoirnouscompléter,celan’aplusd’importance.Je ne parviens toujours pas à détacher mes yeux des siens lorsque, sans
préambule, Colin réduit à néant l’espace qui nous séparait en déposant seslèvressurlesmiennes,sidélicatementquejemeursd’enviedeplus,d’encore,etdeplusencore.Unfrissondélicieuxmetraverse,cebaiserestleBigBangdemonmonde.C’estunecollisionentredeuxunivers,lecommencementd’untout,dequelquechosedenouveaudontpersonneneconnaîtencorel’intensité
etlapuissance.ÇafaitBig!dansmatête,etBang-Bang!dansmoncœur,etjejurerais qu’un soleil vient de naître dans mon âme. Les mains de Colinempêchentmatêtedes’envolerdansleciel.Silecontactdesespoucessurmesjoues,lachaleurdesonsouffleetsalanguebrûlantemêléeàlamiennenemerappelaientpasquejesuistoujoursenvie,jepenseraisavoiratteintleparadis.Ilnes’écartequelorsquelesoufflenousmanque,sesyeuxvissésauxmiens
sansqueriennepuissebrisercelienmagiquequinousunit.J’ail’impressiond’êtrelahuitièmemerveilledumonde.Unsourireetj’oubliedequelmondejeviens,unsourireetj’enveuxencore.Jeveuxledégusterànouveau,commeunaffaméquigoûteraitpourlapremièrefoisauplussucculentdesdesserts.Jeleveuxlui.Jelaisseéchapperunriredebonheuravantdefermerlesyeuxetderelierà
nouveaunos lèvres,noscœursetnosâmes.Pour le restedumondeçan’estqu’unbaiser,maispourmoic’estledéclic.Ledéclicdontcemondedefousabesoin pour vivre, le déclic que toutes les femmes et tous les hommesdevraientconnaîtreaumoinsunefoisdansleurviepourquecelle-civaillelecoupd’êtrevécue.Ledéclicque,moi,j’attendais.Sesbrasmeserrentcontreluicommepourmesupplierdenepaslelâcher,
defaireperdurercemomentquiressembleàunrêve.—Tuessibelle…souffle-t-ilcontremeslèvres.Pourquoitupleures?Jepleure?Jenem’enétaispasrenducompte.Pasbesoinderéfléchirpour
trouver la cause de ces larmes, je sais qu’elles proviennent du trop-plein desensations qui cherchent tout simplement une issue pour ne pas mourirasphyxiéesdansmonenveloppecharnelle.—C’estmonpremierbaiser,jechuchote,commesicetaveudevaitsefaire
àdemi-mot.Unsourire sedessine sur ses lèvres tandisqu’il essuieunedemes larmes
avecsonpouce,replaçantensuiteunemèchedecheveuxderrièremonoreille.Cessimplesgestesfontbondirmoncœurdejoie.—C’estunréelhonneurd’avoirétéceluiquitel’adonné.Ma bouche s’étire en un sourire timide, révélateur des sentiments que
j’éprouve déjà pour Colin, mais une moue hésitante le remplace presqueaussitôt.Monmanquedeconfiancen’enfinitjamaisderôder,prêtàsurgirtelunspectreàlapremièreoccasion.JepeuxpresquelevoirmesurvolertelunDétraqueur sorti tout droit d’un roman de J.K.Rowling, et j’aimeraism’endébarrassermaisjeneconnaisaucuneformulemagique.
—Colin…Jepeuxteposerunequestion?—Toutcequetuveux,répond-ilenprenantmonmentondanssamainpour
meregarderdanslesyeux.—Pourquoimoi?Oui,pourquoi?Pourquoicethommeparfaitvoudrait-ild’unefillecomme
moi?Jenesuisqu’uneétudiantesansgrandintérêtetlemondenecesserapasde tourner sansmoi. Je veux comprendremaintenant pour ne pas avoir à lefairelorsqu’ilseratroptardetquemoncœurserabriséentresesmains.—Parcequec’esttoi.—Cen’estpasuneréponse,jerétorqueenriantnerveusement.—C’estmaréponse,etelleveuttoutdire.Çasignifiequeçanepouvaitpas
êtreuneautrequetoi.Pasmaintenant,pascesoir,pasici.C’esttoietpersonned’autre.«Parcequec’étaitlui.Parcequec’étaitmoi.»Montaigneavaittoutcompris,
et il est parvenu à dévoiler le secret de l’amour pur et sincère en unmot :évident. Mais Colin a beau percer le secret de mon âme, il ne se rend pascompte que je suis en train de tomber amoureuse de lui, doucement etprofondément, comme si c’était une évidence. C’est donc cela que l’onressent?Jeviensdesentirquelquechosed’étrangeéclaterdansmoncœuretjenesaispassic’estunecrisecardiaqueoubienledébutd’unamournaissant.—Alorspourquoies-tupartisilongtempsaprèsnotrepremièrerencontre?—Tuveuxquejesoishonnête?Je hoche la tête tandis qu’il passe unemain dans ses cheveux puis inspire
longuement,leregardposésurmabouche.—Jenevoulaispasprendrelerisquedem’attacheràtoi.—Commentça?— J’ai essayé de m’éloigner, répond-il en haussant les épaules, désarmé.
Commetupeuxlevoir,jen’ysuispasarrivé.—Jenecomprendspas…Se pourrait-il qu’il soit sincère ? Qu’il ait tenté de me préserver en
m’oubliant?— Quand je t’ai vue jouer du piano la première fois, j’ai été comme
ensorcelé.Passeulementparlamanièreincroyabledonttudéversaistonâmedanscettemélodiemaisaussipartabeautéetparcequetudégages.Mavision
dumondesipessimistes’estmétamorphoséeàcetinstant.Jesaisqu’onneseconnaissait pas et, d’ordinaire, je suis plutôt indifférent à ce quim’entoure,maistuasréussiàattirermonattention,cequin’étaitjamaisvraimentarrivé.J’aiessayéderesteréloignécarjesuisincapabled’apporterquelquechosedebienàquiquecesoit,jesuismauditparlavieetj’avaispeurdemelancerdansl’inconnu avec une fille aussi innocente et aussi fragile que toi. Mais j’aiéchoué.JesuisunhommeégoïsteMia,etc’estpourçaquejesuisiciavectoicesoir.Waouh.Jenesaispasquoidirefaceàça,faceàcesparolesincroyablesqui
semblenttoutdroitsortiesdemonimagination.Jesuisperdue.— Dis quelque chose, je t’en prie, me demande Colin en promenant ses
doigtssurmajoue,cequiprovoqueenmoidesfrissonsincontrôlables.—Je…Jenesaispasquoipenserdetoutça,c’estjuste…—Tunet’enrendspascompte,hein?Tunevoispasàquelpointtuesbelle
àencouperlesouffle,talentueuseetlumineuse.Tunelevoispasparcequejesuissûrquetues tropoccupéeà te trouverdesdéfauts.Jesuissûrement trèsmalplacépourdonnerdesleçonsdemoralemaisçametuequetunetevoiespastellequetuesvraiment.Aucunmotnepeutdécrirecequejeressensencetinstant.Lefaitquecesoit
lui quime dise ces choses si bellesme donne envie d’y croire.C’est l’effetColindanstoutesasplendeur:ilmefaitplaner.—Lefaitquetunet’enrendespascomptenefaitquedécuplermondésirde
teconnaîtredetouteslesmanièrespossiblesetimaginables.—J’adoreraisça,jemurmureentredeuxboufféesd’oxygène.Etj’aimerais
teconnaîtremieuxaussi.—Monpassén’estpasunsujetquejeveuxaborderavectoipourl’instant,
répond-ilensouriant,maisplustard,pourquoipas?Je hoche la tête, ravie d’avoir un début de promesse. Il envisage, d’une
manièreoud’uneautre,unfuturavecmoi,cequimepousseàycroireencoreplus.— Je devrais te raccompagner, il se fait tard et tu as cours demain, dit-il
doucementenprenantmamain.Colinadécrétéqu’ilvalaitmieuxquel’onprenneuntaxiparcequ’ilserait
trop fatigant pour moi de rentrer à pied. De mon côté, je suis encore tropdroguéeàl’amourpourréagirautrementqu’ensouriant.
Lorsquelechauffeurfaithaltedevantmonimmeuble,jenesuispasencoreprêteàquitterColin.—Où est-ce que tu habites ? je lui demande une fois hors de la voiture,
histoiredegagnerdutemps.—J’aiunappartementpastrèsloind’ici.—Oh,d’accord.J’ail’airdésespéréeetçam’exaspère.Unpeudedignité,bonsang!Oùest
doncpasséema fierté ?Colin repousseunemèchedecheveuxderrièremonoreille puis passe à nouveau sonpouce surmes lèvres, son regard attaché àmonvisage.—Passeunebonnenuit,Mia.Onsevoitdemain?—D’accord,ons’appelle.BonnenuitColin.Jemehissesurlapointedespiedsetdéposeunbaiserpapillonsursajoue
avantd’esquisserungestepourm’enaller,maisilm’attrapeparlamain,meretourneenunmouvementpuismesoulèvedanssesbraspourm’embrasser.Unbaisercommeceuxquim’ontbouleverséetoutàl’heure.Encoreunefois,plusrienn’existeencemonde.Jecroisquejepourraisrestercommeçatoutemavie.Lorsque le temps nous rappelle finalement à l’ordre, nous décollons nos
lèvreset,avecunderniersourire,jem’éloigneetpénètredansmonimmeublesans un regard en arrière. Les choses se sont déroulées si rapidement et sifacilement,direqu’ilyaquelquesjoursencorenousn’étionsquedesimplesconnaissances… Nous sommes plus que ça à présent. Nous sommes uneévidence.Parcequec’étaitlui.Parcequec’étaitmoi.
Chapitre9
Mia
J’ignorecommentmesjambesparviennentàmemenerjusqu’àmachambre,jesuistropengourdiepourréalisercequim’arrivevraiment.Moi,MiaHope,la fille la plus introvertie et complexée aumonde, je viens d’échangermonpremierbaiseravec l’homme leplusbeaude lavoie lactée.Commentest-cepossible? Il faut croireque j’ai réussi àavancercar ilyaquelque temps jen’auraisjamaisoséluiparleraubarcommejel’aifait,jen’auraisjamaiseul’audace d’aller aussi loin avec un homme… et encore moins avec cethomme ! La romantique en moi, celle qui a pu rêver de Heathcliff et deM. Darcy des nuits entières, cette fille-là y croyait. Mais ma raison, quichuchote constamment dansmon esprit, sait que je ne suis pas de celles quiconnaissentunefinheureuseavecl’hommedeleursrêves.Pourtantcesoir,jesuis tombée amoureuse. Je ne savais pas à quoi ça ressemblait exactement,j’ignorais que ce n’étaient pas des papillons qu’on ressentait dans le ventremaisdesocéansdéchaînésetdesséismes.J’ignoraisqu’onsesentaitàlafoisheureuxetbouleversé,pourtantc’estainsiquejemesens,là,maintenant.Jemesensdifférente, changée, chamboulée…C’est commesi j’assistais à la scèneentantquespectatrice,quejemevoyaiséchangerdesbaisersavecColinetquemon âme survolait la scène en jubilant.Mais voilà, je suis heureuse.Car cesoirj’aimeunhomme.Ambern’apasencoreremarquéquej’étaisrentrée,elleestassisesursonlit,
ses écouteurs dans les oreilles et son ordinateur sur les cuisses. Ses lèvresremuent tandisqu’ellechantonne. Jedoisavoir l’aird’une folleà l’observercommeça,ilsembleraitquejenesoispasencoretoutàfaitretournéeàmonétat normal. Ce n’est que lorsque je m’approche qu’elle s’aperçoit de maprésence,nonsansunsursautdesurprise.— Tu m’as fait peur, vilaine ! hurle-t-elle en plaquant une main sur sa
poitrine.—Pluspersonnen’utilisecette insultedenos jours,Amber…jemurmure
sansêtresûredel’avoirditàhautevoix.
—Qu’est-cequequiteprend?Elleselèveetmescrutedehautenbas,ens’attardantsurmonvisageetbien
sûrsurmabouche,fendueenunsourireniais.—Oh je vois… dit-elle soudainement en prenant un air suspicieux et en
croisantlesbrassursapoitrine.Tespommettesroses,tesyeuxbrillantsetteslèvresrougiesparlentpourtoi…Vousvousêtesembrassés!—Pasdutout!jem’écrieenriantbêtement,dansunétatd’euphorie.Jedoissansdouteparaîtrepuérilemaisjen’arrivepasàcontenirlajoiequi
menaced’exploserenmoinil’envieirrésistibledehurlerdebonheur.Ambermeregardetoujoursavecunmélanged’enthousiasmeetd’inquiétude,sibienque je ne sais pas comment interpréter sa réaction, ou en l’occurrence sonabsencederéaction.Jepensaisqu’elleseraitcontentepourmoimaiscen’estvisiblement pas le cas, même si elle tente de le cacher derrière un sourireforcé.Quandelleréalisequesoncomportementm’alégèrementrefroidie,sonvisages’adoucitet lescoinsdesabouchese relèventpour laisserplaceàunsourireplussincère,celuiquej’attendsdepuismonarrivée.—Alorscommentc’était?demande-t-elleens’asseyantsursonlit.—Magique… je réponds en rougissant tandis que je prends place sur le
mien.Commeun feu d’artifice… Je ne sais pas comment l’exprimer, c’étaitincroyable,j’avaisl’impressionquemavievenaitjustedecommencer.Jemesens…—Surunpetitnuage?—C’est si évident que ça ? je demande en luttant pour cesser de sourire,
sanssuccès.—Plutôt,oui,dit-elleenriant,attendrie.Pourquoi ai-je le sentiment que son enthousiasme n’est pas sincère ?Que
sonriresonnefauxàmesoreilles?Entantqu’amie,jecroyaisqu’elleauraitété réellement heureuse pourmoi. Une partie dema conscienceme susurrequ’ellepourraitêtrejalousemaisjerepoussetoutdesuitecetteidée.Jerefusedepenserçad’Amber,sisincère,entièreetloyale.—Alorscommentçasepassemaintenant?Vousêtesensemble?—Jesupposequeoui…Enfinaprèscesoir,çaparaîtévident.—Qu’est-cequetuasprévupourlasuite?—Commentça?— Eh bien c’est un militaire, il va devoir repartir et il sera très souvent
absent.Direquej’étaisparvenueàoublierce«détail»pendantunmoment.Jepeux
dire adieu àmon insouciance qui n’aura duré quequelques heures. Si le butd’Amberétaitdemedémoraliser,elleyestarrivée.— Je n’en sais rien… je murmure en enfilant mon pyjama avant de
m’allonger sur le dos, les yeux fixés sur le blanc immaculéduplafond. J’aitoujours été une fille qui prévoyait tout dans les moindres détails pour nejamaismefairesurprendreparlavie.Àprésent,jeveuxjusteprofiterdemajeunesseetdesexpériences inoubliablesqu’ellemet surmonchemin. Je suisconscientequeçanedurerapas,de lamêmemanièrequ’iln’aprobablementpas ressenti ce que j’ai ressenti en goûtant ses lèvres pour la première fois.MaisAmber,sijenefaispasçamaintenant,quandest-cequejeleferai?—Jeneveuxpasquetusouffres,Mia.—Maisquetuleveuillesounon,jesouffriraiAmber!Parcequec’estlelot
dechaqueêtrehumaindecetteplanète:onvitpouratteindrelebonheurmaisonrencontresursonchemindesmillionsd’obstaclesparfoisinsurmontables,onseblessemaisonserelève,encoreettoujours.C’estçalavie.Jesuisprêteàsouffrirsic’estpourjouirdessaveursquem’offreleprésent.Jeveuxvivrechaquejourcommesic’étaitledernier,aurisqued’enpayerlesconséquencesplustard.Cequejedisretranscritexactementmespensées.ImaginerunfuturoùColin
n’estpasmefaitmal,atrocementmal.J’aimaldelaplusincompréhensibledesmanièrescarjenesaisispasencorel’ampleurdemessentimentspourlui,nilarapidité à laquelle ilsm’ont percutée. Je sais seulementque je suis déjà tropaccro pourm’en sortir sans blessures. Le présent estmon seul allié dans letemps et je meurs de peur en imaginant qu’un jour Colin et moi noussépareronspeut-êtrealorsquenousvenonsseulementdenousrencontrer,decomplétercespartiesincomplètesdenosâmessiquémandeusesd’unesœuràaimer.—Jesaiscequetupenses,murmureAmberensemettantàgenouxdevant
mon lit, l’air peinée, comme si elle avait pitiédemoi. J’aurais étébienplusheureuse pour toi s’il s’agissait d’un autre homme. Tu ne t’en rends pascompteparcequetunagesenpleinrêve,maistufoncesdroitdanslemuraveclui…IlestdangereuxpourtoiMia,ilvatedétruire.—Tuneleconnaismêmepas!—C’estvrai,maisjeconnaisleshommesdesonespèce.C’estunbriseurde
cœurs, un coureur de jupons qui n’hésitera pas à se servir de toi et qui
t’abandonnerasansunregardenarrière.Etjeteramasseraiàlapetitecuillère.Ce qu’elle dit est absolument horrible.Moi qui croyais être pessimiste, je
voisquej’aitrouvépire.Elleesttotalementfataliste.J’aimeraisluienvouloirpourçamaisjenepeuxqueressentirdelacompassionpourlajeunefillequiaétésimalmenéeparlesexeopposé.Aprèstout,c’estnormalqu’elleseméfie.—Ehbienjeveuxdéfierledestin,Amber.Jeveuxqu’onenreparlelorsque
Colinetmoiserontamoureuxetquenousnepourronsplusnouspasser l’undel’autre.Àcemoment-làjetedirai:«J’avaisraison.»Iln’estpascommeles autres, j’en suis persuadéeparceque je l’ai senti dans lamanière dont ilm’aembrassée,danslamanièredontsesyeuxbrillaientlorsqu’ilmeparlait.Jesouffrirais’illefautmaislaisse-moivivreça,j’enaibesoin.Lapuissancedemesmotsn’égaleque la force avec laquelle je presse les
mainsdemonamie.Jepensesiintensémentmesparolesquej’attendscommeunesortedebénédictiondelapartd’Amber.Jen’aipasréellementbesoindeson accord mais elle compte pour moi autant qu’une sœur. Un éclair detristesse traversesesyeuxpuisunminusculesourire finitparsedessinersurseslèvres,mêmesijesaisqu’elleesttoujourspréoccupée.—Trèsbien,commetuveuxmaisjet’ensupplie,faisattention.Jeneluifais
pasconfianceetjetienstropàtoipourassisteràtadescenteauxenfersàcausedeDonJuan.— C’est le surnom que tu lui as donné ? je demande en riant dans
l’atmosphèresoudainpluslégère.—Çaluivaplutôtbien,jetrouve.—Etmoijedisquetul’appellerasRoméod’iciquelquetemps,j’ajouteavec
unclind’œil.— Je le souhaite du fond du cœur, princesse. Maintenant fais-moi de la
place,j’aibesoindedormir.Avecunriredesoulagement,jemedéplaceversleborddulitpourlaisser
Amber s’installer à côté de moi. Après cette soirée inoubliable, jamais jen’auraispenséquelaconversationavecAmberiraitdanscesensmaisjedoisadmettreque,mêmesiçam’arefroidieaudébut,mettretousmessentimentsetmes espoirs à plat m’a aidé à prendre conscience plus clairement de lasituation. Je sais bien qu’Amber a raison et qu’il y a plus de chances que jen’en sorte pas indemne plutôt que je finisse mes jours auprès de Colin,pourtantjepersisteàycroire.Oui,lescouplesconnaissentdemoinsenmoinsde fins heureuses, oui, le taux de divorces ne cesse d’augmenter, oui, un
premier amour dure rarement… Mais que devenons-nous si nous perdonsespoirenceschoses raresquinousrendentheureux?Quedevenons-noussinouscessonsdecroireauplussublimedessentiments,àl’amourlui-même?Jerefusequeçam’arrivecarj’aifoienl’amour.J’aifoienlavie.
*
Àpeineai-jeouvertlespaupièresquedesflashsdemasoiréedelaveillemesubmergent,heureuxdesepavanerdevantmoienmemettantdebellehumeurde bon matin, si bien qu’un immense sourire fend mon visage. Colin estpartout,ilestprésentsurchaquemillimètredemarétine,m’empêchantdevoirlaviecommeelleestsanslui,c’est-à-direennoiretblanc.Lorsqu’iln’estpaslà, toutestmuetetdénuédecouleurscommedans l’undes filmsdeChaplinquejeregardaisenfantavecmafamille.JesorsdoucementdemonlitpournepasréveillerAmberetjedécided’allerprendreunedouche.L’eau brûlante qui se déverse sur mon corps m’aide à appréhender la
journéeàvenirmais lespensées intempestivesdemesbaisersavecColinnecessentdemefrapperaucœurendéclenchantlacourburedemeslèvressansquejeneleveuillevraiment.Etc’estfoutupourmoi.Commentsuis-jecenséeme concentrer sur mes cours et sur ma vie en général si Colin revientsystématiquementàlacharge,àcoupsdebaiseretderegardtendre?Jenevaisjamaisyarriver.Jemedemandes’ilpenseàmoi,siluiaussiressentlebesoinirrépressibledemevoir,demetoucher.Etjemedemandeégalementcommentilpeutbienoccupersesjournées.Peut-êtrequ’ilfaitdusport,delacuisineoude la peinture…Quoique j’aiedumal à l’imaginer faire autre chosequedusport.Sportdechambreycompris.Ohlàlà,jedérivecomplètement.Enmêmetemps,commentmeblâmerdepenseràsoncorps?Ilesttellementparfaitdanssesvêtementsquidonnentdequoirêversansjamaisvraimentdévoilercequise cache dessous. Je veux le déballer, le découvrir, le contempler jusqu’àsatiété.C’esttoutunmystèreàrésoudre,ceColin.— Salut princesse, m’accueille Amber en m’adressant un sourire encore
ensommeillélorsquejepénètredanslachambre.—Coucoutoi,biendormi?—Jecroisquejedorsmieuxavectoiqueseuledansmonpauvrelit,dit-elle
enbâillant.T’esplutôtconfortable.
—Merci,çafaitplaisird’entendrequejesuis tellementmollequejepeuxservirdecoussin, je rétorqueen riant touten rangeantma troussede toilettedansmonarmoire.— Mais de rien, s’amuse mon amie avant de recevoir en pleine tête
l’oreillerquejeluilance.Je ferme la porte de l’armoire puis m’assieds sur mon lit en regardant
Amber s’habiller en traînant des pieds. Je crois que ni elle ni moi n’avonsenvie de commencer une nouvelle semaine de cours et de travail. J’attendsqu’ellefinissedesepréparerpuisnousprenonsnosaffairesavantdequitterlachambreendirectiondelacafétéria.—Tu crois qu’on pourrait trouver un appart d’ici combien de temps ? je
demandeenmordantdansmonmuffinàlamyrtille.—Çadépendoùetquoi,répondAmberenléchantsesdoigtsrecouvertsde
confiture.Quand je pense que cette fille peut se goinfrer de sucreries sans jamais
prendre un gramme, je songe à quel point j’aurais aimé avoir cette chance,moi aussi. Malheureusement ce n’est pas le cas, je peux quasiment voir lamoindrecalorieentropatterrirdirectementdansmesfesses.Lepire,c’estqueje n’ai absolument aucun équilibre alimentaire et que je m’en fichecomplètement.J’aimemanger,c’estcommeça.Jepourraism’empiffrertoutelajournéedemuffinsàlamyrtille,monpéchémignon,sansaucunscrupule.Jen’ai pas de pitié pourmon pauvre corps déboussolé parmamanière demenourrir. Résultat : mes fesses sont très développées, beaucoup plus quemesseins trop petits àmon goût. De toute façon ce n’est pas très compliqué, jen’aimepasmoncorps.—Ilfaudraitqu’ons’activeunpeudansnosrecherchessionveutpouvoir
s’installerrapidement,poursuitAmberalorsquenoussortonsdelacafètpourgagnerl’amphithéâtre.Ladiscussion tourne court lorsquenous arrivons enbiologie cellulaire et
que nous prenons place. Je ne suis même pas surprise en réalisant que jen’écoutepasvraiment le cours,me contentant deprendrequelquesnotes surmonordinateur, troppréoccupéeparnotre futurappartement,etbiensûrparColin.ToujoursColin.
Saluttoi,tufaisquoicemidi?
Inutilededirequemes lèvress’étirentenun immensesourireniaisetque
mon cœur tombe à mes pieds quand je reçois ce message. Je jette un coupd’œilàAmberàcôtédemoimaiselleestsiconcentréesursaprisedenotesqu’elle ne me prête pas du tout attention, ce qui m’arrange. Je me tournelégèrementverslagauchepuisrépondsàColin.
Jen’airiendespécialdeprévu…Peut-êtrequetuasmieuxàproposer?
Laréponsenesefaitpasattendre.
Tuverras…
Ohnon,lapatienceetmoi,nousnesommespasvraimentamies.Ilesthors
dequestionquejemecontentedeça.J’exiged’ensavoirdavantagemaisColinnecèdepas.
Turêves.Maintenantarrêteunpeudemeharceler,jedoisretourneràmesoccupations.
Quel petit cachottier ! Je dois encore attendre précisément trente-deux
minutesavantdeleretrouveretçamesembletellementloin…
Tuasintérêtàcequ’ellesoitbonnecettesurprise,quejen’attendepaspourrien!
Maréponsemefaitriremaisjeredescendsrapidementsurterrelorsqueje
réalise que je suis toujours en plein cours et qu’Amber me dévisagebizarrement.Jemeressaisisetfaitminedemeconcentrerànouveau.— Qu’est-ce qui te prend ? m’interroge Amber lorsque nous sortons du
bâtimentpourgagnerleparcoùnousdéjeunonshabituellement.Je comprends son air perplexe, je dois avoir l’air d’une folle à force de
regarderpartoutautourdemoi…Colindevraitêtrelàd’unmomentàl’autreetàl’idéedelerevoirjesuis…surexcitée.—Colinvientmechercherpourdéjeuner.
—C’estdoncpourçaquetusourisdepuistoutàl’heure?Je sais bien qu’elle n’approuve pasma toute nouvelle relation avecColin
maiscen’estpascommesielledevaitpassersesjournéesaveclui,aprèstout.Pourtant, endépitde sonairdésapprobateur, jedevineuncertainamusementdevantmoncomportement.Soitellemetrouvecomplètementridicule,soitelleestattendrieparmonétatdegamineamoureuse.D’ailleurs,jemedemandesielle a déjà été amoureuse. Elle me parle souvent de ses relations et de sesanciens petits amis mais jamais elle n’a évoqué un premier amour ou dessentimentsquelconques.—Jecroisqu’ilmerendfolle,jesoupire,désemparée.—C’est compréhensible, il rendrait folle la plus prude des filles de cette
foutueplanète.Vousallezoù?— Aucune idée, c’est une surprise… je réponds en tentant vainement de
mettremonexcitationensourdine.—Unesurprise?Disdonc,ilsesurpasse.—Tuvois?Çaprouveàquelpointtutetrompessursoncompte.—Ohmaiscen’estqueledébut.Làc’estquelapremièreétape,celleoùil
se comporte en parfait gentleman. Il va te promettremonts etmerveilles, tefaire croire à un futur qui ne se concrétisera jamais. Arrive ensuite ladeuxièmeétape,celleoùtusuccombesàsoncharmeetàsespromesses,oùtute dévoiles et t’offres comme le plus doux des présents. Il sera là pour tedéshabiller,jouirdetoietdelapauvrenaïvetédetoncœur…jusqu’àcequelatroisièmeétapetebriselecœur.C’estl’étapeoùilfaittombersonmasqueettemontre son vrai visage, celui d’un monstre insensible doté d’une seule etuniquechose:unpénis.— Tu sais Amber, je crois que ma mère accepterait de te prendre en
consultationvul’étatavancédetonandrophobie.—Jesuissimplementréaliste,Mia.Notre discussion prend fin lorsque nous arrivons auprès de Katy, Sam,
MandyetAndrew,assisautourdel’immensefontainequifaitdel’universitédeNewYork un endroit sublime et unique. Je salue tout lemonde puis je vaism’étendre au soleil, pas vraiment d’humeur à entamer la conversation. Lesyeux fermés, je profite de la chaleur et plonge dans mes pensées. Moi quicroyais qu’il faisait tout le temps froid à New York, je suis agréablementsurprise de constater que les températures sont plutôt douces depuis monarrivée.Uneraisondepluspourmettredesrobes.Lesrobescamouflentmieux
mesfessesquelesjeans,àvraidire.Je suis tirée demes réflexions lorsque je sens uneombre passer surmon
visage.J’ouvrelesyeuxpoursurprendreunColinencoreplusrayonnantquelesoleilquimecontemple,unsouriredouxauxlèvres.—Colin!jem’exclameenbondissantsurmespieds.—Hey.J’aientendudestasde«hey»,maisjamaisencorecemotnem’avaitparusi
brûlant,si tendre.Colinmedétailledehautenbas, leregardgourmand,et jefais demême devant son corps parfait si agréable à contempler. Il porte unsempiternel jean Levi’s un peu déchiré au niveau des genoux ainsi qu’unechemisestylebûcheronouvertesuruntee-shirtblanc.Malgréletempssidoux,ilestcoifféd’unbonnetbleunuitquilaisseentrevoirlacouleurcarameldesescheveux.— Tu es là, je murmure avant de réaliser que cette affirmation est
parfaitementridicule.—Ondiraitbien,répond-ilenriantdoucementavantdes’avancerversmoi
etdereplacerunemèchedecheveuxderrièremonoreille,commeilaimetantlefaire.LaTerreacessédetourner,letempss’estfigéetplusrienn’existeàpartlui.
Colinestbeletbienentraindesaisirmonvisageentresesmains,ilapprocheses lèvres desmiennes… et jeme demande comment il est possible que lessensations extraordinaires que j’ai ressenties lors de notre premier baiserpuissents’abattresurmoiunenouvellefois.Jen’arriveplusvraimentàpenser,ladouceurdesalanguecontrelamienne,sonsoufflechauddansmaboucheetladélicatessedesesmainssurmonvisagemerendentcomplètementfolle.Feud’artifice.J’aurais aimé que ce moment dure plus longtemps, infiniment plus
longtemps,malheureusement les regards sur nous nous contraignent à nousséparer,moirougissanteetColinindifférent,commed’habitude.Ilm’adresseun grand sourire avant de prendre ma main et de faire un pas en arrière,m’invitant àme sauver avec lui. De peur de paraître impolie enm’enfuyantcommeunevoleuse,jetentedefairerapidementlesprésentations.—Euh,lesamis,voiciColin.—Sonpetit ami,ajoutecelui-cienm’attirantcontre lui toutenpassantun
brasautourdemesépaules.Monpetitami.Jehurleintérieurementdejoie.Çaclaqueencoreplusàhaute
voix. Je vois très bien qu’il marque son territoire de la manière la pluspossessive et néandertalienne possible mais j’aime ça. J’aime qu’il soitpossessifparcequeçasignifiequej’aisuffisammentd’importanceàsesyeux.EnvoyantlesregardsaffamésdeMandyetdeKatysurColin,jeressensmoiaussilebesoindemontrerquecethomme-làestchassegardée.CettepestedeMandyabeauavoiruncopain,ellenesegênepaspourreluquerlemien.Maisjepréfèrel’ignorer,interpelléeparl’expressiond’Andrewdontlevisages’estrenfrognéetlesyeuxassombris,commeempreintsd’unecolèrecontenue.J’aile sentiment que ces deux-là se connaissentmais l’absence de réaction de lapartdeColinmefaitdouter,voilàpourquoijenem’yattardepasdavantage.Amberse lèvesoudainet s’approchedeColinavantde lui tendre lamain,
inhabituellementformelle,avecunsouriretroplargepourparaîtresincère.—JesuisAmber,l’amiefidèlequin’hésiterapasàtebroyerlescouillessi
tuosesfairedumalàMia,enchantéedeterencontrer.—Amber!jem’étrangle,choquée.Cettefilleestintenable,jesavaisquesapetitescènecachaitquelquechose.Je
luifaislesgrosyeux,surprisedevoirColinéclaterderire,visiblementamuséparlaprésentationdemonamie.—JesuisColin,ravideterencontrer,etjet’emmerde,rétorque-t-ilavecun
immensesourire.Maisc’estquoileurproblème?Direquejecroyaisqu’Ambers’étaitenfin
fait une raison…Quant àColin, il arbore un petit air fier de lui derrière lesourireangéliquequ’ilm’adresse.Monamielefusilleduregard,jedevineunehaineféroceàsonencontre.—C’est bon, vous avez fini tous les deux ? jem’interpose enmeplaçant
entreeux.Colin,onyva?—Cefutunplaisir,Amber,dit-ild’untonacerbeavantdeluitournerledos.—C’estréciproque,répondAmber,l’airglacial.Mia,faisattentionàtoije
t’enprie,memurmure-t-elleenaparté.—Iln’yarienàcraindre,tuesvraimentparano.Onenreparleaprès.JerejoinsColinetcelui-cimesaisitlamainenm’adressantcepetitsourire
enbiaisquej’aimetant.IlsembleraitquesonaccrochageavecAmbernel’aitpasparticulièrementatteint,ondiraitmêmequeçal’amuse.—Tacopineavraimentduculot,lance-t-il,maisj’admiresaloyautéenvers
toi.Çadoitêtresaseulequalité,d’ailleurs.
—Nesoispassisévère,c’estuneamieformidable,Colin.—J’auraisplutôtditunchiendegardeformidable.—Tais-toi!jem’écrieenluimettantuncoupdecoudedanslescôtes,cequi
s’avèreplusdouloureuxpourmoiquepourlui.Tunelaconnaismêmepas.—Etjen’enaiaucuneenvie.—Tuapprendrasàlaconnaîtreettul’apprécieras,tuverras.—Ohnon,jeneveuxpasenvoirdavantage.C’esttoiquejedésire,paselle.Ils’arrêteetmeregardetandisquejereprendsdifficilementmarespiration.
Alors c’est ça, désirer quelqu’un ? Ressentir tellement de choses pour cettepersonnequ’on éprouve le besoin vital de l’avoir à nos côtés et de le lier ànousdelaplusintimeetdelaplusdélicieusedesmanières?Sic’estbiença,alorsjeledésireplusquejen’aijamaisdésiréquoiquecesoitdemavie.Colinprendmonmentonentresesdoigtspourrelevermonvisageverslui
etmeregarderdanslesyeux.L’intensitéquibaignesesprunellesm’ensorcelleetmedonnepresqueenviedepleurer.C’estsibeauquejepourraisresterlààle contempler toute la journée, toute la viemême. Il y a tellement de chosesdanscesperlesd’océanétranges,tellementdedouleurmaisaussitellementdepuissance. J’y vois de l’intelligence, de la passion et de la vie ; j’y vois lepoisonetsonremède,maissurtoutundésirsiardentquejepourraismebrûlerrienqu’enleregardant.C’estfantastique.—Iln’yaquetoiquicomptes.Maintenantledébatestclos,jen’aipasenvie
deperdredutempsàparlerdetacopine.Jeluimetsunpetitcoupdansl’épauleetilsebaisseaussitôt,m’attrapepar
les jambesetmehisse sur sonépaule commesi jen’étaisqu’unepoupéedechiffon. Je hurle et me débats mais il ne cède pas et reprend sa marche endirection de sa voiture en riant. Les gens nous observent, l’air perplexe ouamusé,etjefinisparadopterunepositionplusoumoinsnaturelleenprenantappuisurmescoudes,histoiredenepasavoirl’aird’êtreentraindemefairekidnapper.Il finit par me déposer au sol, assez lentement pour que j’aie le temps
d’attraper sonbonnet et d’ébouriffer ses cheveux aupassage. Il est tellementsexyavecsesmèchesdanstouslessensquiluitombentsurlesyeuxetformentdesépisdésordonnés.— Rends-moi mon bonnet, ordonne-t-il en rétrécissant les yeux, l’air
menaçant.Pour toute réponse, je l’agitedevant lui. Il lèveun sourcil, piquéauvif et
prêtàsevenger,maisjecontinuesurmalancéeetluitirelalangue,cequi,jele concède, est très puéril. Prise d’une soudaine inspiration, j’enfile sonbonnet, tourne les talons etmemets àmarcher comme le font les soldats, àgrandesenjambéesetlamainaufront,enrépétant«Unedeuxunedeux».Sonrirequiparvient jusqu’àmesoreilles ravitmonpetit cœur. Ilme rattrape endeuxpaset,avantquejenepuissem’échapper,mecoincecontrelecapotd’unevoiture.Jesuisprisonnièredesesbras,desoncorpspressécontrelemien,sonvisagen’estqu’àquelquesmillimètresdumienetjesenssonsoufflechaudsurma peau. Jamais l’envie de le posséder ne s’est faite aussi omniprésente, siobsédante.—Unbonsoldatsedoitd’êtreobéissant,murmure-t-ilcontremeslèvres.—C’estl’unedesraisonspourlesquellesjen’enseraijamaisun.—Petiteinsolente…Jeluisersleplusangéliquedemessourirestoutenpassantmesdoigtsdans
ses cheveux. Il me regarde fixement, comme s’il s’était perdu dans sacontemplation. J’ignore ce qu’il peut bien voir lorsqu’ilme regarde commeça,maistantqueçanelefaitpasfuiretquejepeuxmoiaussilecontempleràmaguise,çameva.Mesdoigtssefontaventuriers,jepassemesmainssurlescôtésdesatêteoùsescheveuxsontbeaucouppluscourts,cequichatouillemespaumes.Jen’entendsplusrien,sicen’estlebruitdesarespirationprèsdemabouche. Quand il brise les derniers millimètres qui nous séparaient pourm’embrasser, je peux quasiment entendre le son de mes poumons qui sebloquentdansmapoitrine.Sesmainsenlacentmeshanches, ilmesoulèveetmedéposesurlecapotdelavoituretandisquej’enroulemesjambesautourdesa taille. Ses lèvres s’entrouvrent et se referment, sa langue glisse sur lamienne, lacaressantpassionnément,et ilsemetensuiteàmordillermalèvreinférieure. Je ne respire plus. Quelque chose explose dans mon ventre, au-dessusdemescuisses,etmondésircommenceàenfler,enfler,àdevenirtropénormepourêtresupportable.Qu’est-cequim’arrive?Ungémissements’échappedemeslèvres,dévoilantàvoixhauteledegrédu
désirquej’éprouvepourlui.Sescaressesdeviennentmoinstendres,sesmainspassentetrepassentsurmondos,meshanchesetmanuque.Pourlapremièrefois, jenesensplusdedouceurnidedélicatesse :c’estunbaiserpassionnel,sauvage,presqueviolent.Cen’estplusunbesoinmaisunenécessitéquimérited’être assouvie dans l’immédiat. Colin semblemettre dans ce baiser tout cequ’ilaretenudepuisnotrerencontre.Sonsoufflesaccadélerendencoreplusdélicieux,nousarrêtermeparaîtimpossible.
Noussommeslittéralementencastrésl’undansl’autreetlemondeacessédetourner.Seshanchessepressentcontremoitandisquenosbouches,nosmainset nos âmes poursuivent leur danse sensuelle et endiablée. Je jurerais avoirsenti quelque chose de dur contre mon bas-ventre, ce qui m’arrache unnouveaugémissement.Sepourrait-ilqu’ilsoitexcitéparcebaiserautantquemoi?— Allons-nous-en avant que j’explose… souffle-t-il, son front collé au
mien.Incapabledeprononcerlamoindresyllabe,jemecontentedehocherlatête.
Colins’écartedemoncorpsenflammépourmefairedescendreducapotdelavoitureaprèsavoirdéposéundernierbaisersurmeslèvres.—J’espèrequelepropriétairedelavoiturenenousapasvus.—Ohsi,ilnousavus.Ilamêmeplutôtaimé.— Quoi ? je m’étrangle en regardant aux alentours à la recherche du
perversquinousaobservés.Colin rit puis sort une clef de sa poche avant de déverrouiller la voiture,
sousmonregardexaspérémaisamusé.—Trèsdrôle,vraiment.C’estunemagnifiqueJeepWranglernoirequiluivaàravir.—Elleestsublime.Jepeuxlaconduire?Jem’attendaisaumieuxàsonaccord,aupireàunrefuscatégorique,mais
sûrementpasàcequeColinéclatederirecommesijevenaisdeluisortirlaplusgrosseblaguedumondeenlevantlebrasdemanièreàcequejenepuissepasatteindrelaclef.— Tu pensais vraiment que j’allais dire oui ? demande-t-il lorsqu’il
s’aperçoitquejesuisvexée.—Etpourquoipas?jeréplique,piquéeauvif.Parcequejesuisunefille?—Pourêtrehonnête,oui,unpeu.—C’estcarrémentmacho,ça!jem’écrieencroisantlesbras.—Cen’estpascontretoi,Mia,maispersonneneconduitmavoitureàpart
moi.Jelefusilleduregardpuism’assiedsàlaplacepassagerenboudantcomme
uneenfantdequatreans.Ilesttoujoursdehorslorsquej’attachemaceintureetilmeregardeensouriant,amuséparmaréaction.
—Tuesbellequandtuboudes,tusais?murmure-t-ilens’installant.—Laflatterienetemèneranullepart,Colin.—J’auraiaumoinsessayé.Ildémarrelavoitureenriantetjem’efforcederestersilencieuse,bienque
l’enviedeparlermebrûle les lèvres. Je suispersuadéequ’il a tropde fiertépourbriser lesilence,attendantquejefasse lepremierpas,etc’est laraisonpourlaquelleilarborecepetitsourireparfaitementhorripilantetcraquantàlafois. Au bout de quelques kilomètres pendant lesquels je n’ai cessé de medemanderoùilpouvaitbienm’emmener,jecapitule.—Onvaoù?jemarmonne,déçuedeperdrelecombat.—Ahterevoilà!Jesavaisquetucéderaistôtoutard.Iltournelatêteversmoiavecunsourireéclatantetjeréalisequ’ilestbien
conscient du charme fou qu’il utilise pour parvenir à ses fins. Quel petitmalin…—C’estunesurpriseetautanttedirequetun’auraspaslemoindreindice.
Pourtagouverne,jesuisungarsplutôttêtu.—Çatombebien,moiaussi.Jevaisdoncfairelagueuletantquetun’auras
pascédé.Ilsecouelatête,exaspéré,puistournebrusquementlevolantpoursegarer
surlebas-côtédelaroute.—Qu’est-cequetufais?jem’écrie.Tun’aspasledroitdet’arrêterlà!Ilne répondpaset coupe le contactde lavoiture en soupirant avantde se
tournerversmoi.—Tun’asdoncaucunepatience?—Absolumentaucune,jeréponds,butée.Ilsoupireànouveautoutenluttantvisiblementcontreuneenviedesourire.
Mêmesijerêvedemejeterdanssesbraspourqu’ilm’embrasseencore,mafiertém’enempêche.—Tuvasme rendre dingue, tu le sais ça ? finit-il parmurmurer aubout
d’unelongueminutedurantlaquellenousnousdéfionsduregard.Enguisederéponsejeluioffremonexpressionfétiche:unsourcillevé,le
regardjoueur-mais-pas-tropetl’airleplussérieuxpossible.Çamarchecariléclate soudain de rire en se passant unemain dans les cheveux, comme s’iln’arrivaitpasàcroirequ’unefilledecinqanssacadettesoitentraindelefaire
tournerenbourrique.Lorsqu’ilrelèvelatêteversmoi,ilacesséderireetilplongesesyeuxdanslesmiensenmescrutantintensément,commes’ilpouvaitlireenmoi,commes’iltentaitdemecomprendre.Sansquejenem’yattende,il sepencheversmoi,m’attrapepar la tailleetmesoulèvepourm’asseoiràcalifourchonsursesgenoux.—Tuespluslourdequetuenasl’air.—Hé!jem’exclameenluimettantuncoupsurl’épaule.—Nesoispassisusceptible…— Tu sais ce qu’on te dit, mes kilos en trop et moi ? je rétorque en le
fusillantduregard.Jevoudraisajouterautrechosemaisilm’enempêcheenplaquantseslèvres
sur les miennes. Je suis assommée par une multitude de sensations que jen’arrive plus à démêler car ilm’embrasse différemment des autres fois ; cebaiser est passionné et dur, il semble avide demes lèvres, avide demoi, demon corps. Sesmainsme parcourent en caressant chaque centimètre demapeauetj’aimeraishurlersurtouslestoitsdumondeàquelpointc’estnouveauetdélicieux.Sansquejenem’ensoisaperçue,mesmainsaussisesontfaitesvoyageusesclandestinesens’infiltrantsoussachemise.Sesdoigtss’agrippentfermementàmescuissesetlà,justesousmesfesses,jesensquelquechosededuretdevibrant,quin’estcertainementpaslefreinàmain.Jeréalisealorsquecequej’airessenticontremoiplustôtn’étaitpaslefruitdemonimagination,maisbeletbien…lui.—Colin…jesouffle,àcourtdemots.—Tumerendsfou.S’il savait à quel point c’est réciproque ! Il me rend folle, insatiable et
sauvage. J’aimerais tellement que ce moment dure pour toujours, que nousn’ayonspasànousséparerniànouséloignerl’undel’autre.Cependant,jeneveuxpasrisquerdelefairefuirenétanttropsentimentalealorsjemegardededireçaàvoixhaute.Maisquandjepensequ’ilestréellementexcitéparmoi,jeme sens brûlante de désir, évidemment, mais aussi euphorique. Pour lapremièrefoisdemavie,j’ailesentimentd’êtredésirable,d’êtresexy,etçafaitdu bien car j’ignorais que je pouvais avoir cet effet sur un homme tel queColin.—Tueslaplusbellecréaturequ’ilm’aitétédonnédevoir,murmure-t-ilen
coinçantunemèchedecheveuxderrièremonoreille.J’aimeraisdirequelquechose,rienqu’unmot,maisjeneveuxpasgâcherce
moment,préférantenregistrerchaquepetitmotdecettesijoliephrase.Cesontles plus belles paroles qu’on m’ait jamais dites. Un sourire en coin, deuxfossettesirrésistiblesetjesuissibouleverséeparsabeauté,notrebaiseretsesmots,quejesensmesyeuxs’humidifieretdesfrissonsmeparcourirdelatêteauxpieds.— On devrait y aller avant que je ne perde le contrôle et finisse par te
déshabiller dans cette putain de bagnole, déclare-t-il le plus sérieusement dumondetandisquejeris,surprise.Ildéposeundernierbaisersurmonfrontavantquejeneregagnemaplace,
chamboulée.C’estlapremièrefoisqu’ilditquelquechosedecegenreouqu’ilfait allusion à « plus ». Ça me fait réfléchir et je me demande si je seraiscapable de passer à l’acte maintenant, si la grande romantique que je suisaccepteraitdeselaisseralleravecunhommequ’ellen’estpasencorecertained’aimer et qui ne l’aime probablement pas encore en retour. Il y a trop dequestionsetpasassezderéponses.—Jesuisdésolé, jen’auraispasdûdireça,dit-ilunefoisquenousavons
reprislaroute.Jeleregardesanscomprendre.—J’oublieparfoisquetuesnovicedanscedomaineetjenevoudraispaste
mettremalàl’aise.—Tunememetspasmalàl’aise,jelerassureensouriant,aucontraire.Ilmejetteunregardencoinavecunpetitsourirelourddesensetjesaisau
fond demoi que, de quoi que soit faitmon destin, je n’oublierai jamais cespetits moments de complicité que nous passons ensemble. La vie a prisl’apparence d’une gigantesque sculpture que je m’efforce de façonner sansqu’elle ne s’effondre et je prie, oui, je prie pour qu’elle tienne le pluslongtempspossiblecarcequejeressensencemomentestsimplementparfait.Jeleveuxlui,lepluslongtempspossible.
You’reanangeldressedinarmorYou’rethefairineveryfightYou’remylifeandmysafeharborWherethesunsetseverynightAndifmyloveisblindIdon’twanttoseethelight.It’syourbeautythatbetraysyouYoursmilegivesyouaway.Causeyou’remadeofstrengthandmercyAndmysoulisyourstosaveIknowthismuchistrueWhenmyworldwasdarkandblueIknowtheonlyonewhorescuedmewasyou1
Notes1.TouslesextraitscitésdanscevolumesonttirésdelachansonCloseyoureyesdeMichaelBublé.
Chapitre10
Mia
J’ignore siColin s’estdéjà regardédansunmiroir lorsqu’il conduitmaisl’air concentré qu’il arbore est vraiment adorable. La petite ride entre sessourcilsluidonneuneexpressionsérieusequ’onvoitrarementsursonvisage.—Tuasdelamusique?—Biensûr,regardedanslaboîteàgants.Parmitouslesgroupesquejepouvaisimaginer,lesBeatlessontlesderniers
quej’auraispensétrouverdanssavoiture.Ilenpossèdeplusieursalbumset,enbonnefandecegroupebritannique,jenerésistepas.J’ensaisisunetchoisisunedemesmusiquespréférées,quiestaussiunexcellentmessagesubliminal.—Sérieusement?demandeColinenrianttandisquelerefraindeDriveMy
Cardébute.Jeprendsunairinnocentenchantonnant«Babyyoucandrivemycar»et
jubileenlevoyantleverlesyeuxaucield’unairamusé.— J’adore cette chanson, je déclare en haussant les épaules, j’adore les
Beatlestoutcourt.—Qu’est-cequetuécoutesd’autre?Je l’observe, le regard droit devant, ses doigts tapotant sur le volant au
rythmedelachanson.Lesrayonsdusoleilfontressortirlacouleurfantastiquedesesyeuxquisontaujourd’huitrèsclairs.Etj’ail’impressiondecontemplerleplusbeaudestableauxpeintparDieului-même.—Unpeudetout,jenemecantonnepasàunseulstyledemusique.Jepeux
passerdeBachauxBeatles,deMaroon5àMichaelBublé,puismettreJasonMraz, Tupac, Bruce Springsteen, Sinatra… Mes playlists sont hautes encouleurs,onpeutytrouverduclassique,delacountry,dujazz,dureggae,delapop,du rocketmêmedu rap. Jene l’adaptepasdans lebutdeplaire auxautresmaisàmoi-même.—C’estcequejepenseaussi:nousaimonscequinousplaît,pascequeles
autresveulentquenousaimions,mesurprendColinendéclarantçad’unairsérieux,presqueprofessionnel.C’estdoncàçaqueressembleleColinmature?Celuiquiparled’éthiqueet
d’individualité?Jedoisadmettreque je l’aimebeaucoupaussi,autantque leColinenjoué,mutin,sensueletprovocateur.J’aimetouteslesfacettesdeColinque je connais et je meurs d’envie d’en apprendre plus. Je m’apprête à luirépondrelorsquequelquechoseattiremonattention:unpanneauindiquantquenous roulonsversCentralPark.C’estdonc làquenousallons ! Je sensdéjàl’excitationpointerleboutdesonnez.JevaisàCentralPark,l’undesparcslesplus connus au monde, avec Colin. Au fond de moi, je commence déjà àm’imaginerquec’est«notre»parc,ouijesais,c’estridicule.—OnvaàCentralPark?jedemanded’unevoixfébrile.—Tu vois, l’attente n’était pas si longue que ça…Ce n’est qu’un parc tu
sais,probablementbondéàcetteheure-ci.—Ohçam’estégal,j’aitoujoursrêvéd’yaller!—Ehbientonrêveseréaliseenfin.Jemériteunerécompense,tunecrois
pas?Nous nous sommes garés et Colin s’est tourné vers moi, son habituel
souriremutinauxlèvres.—Qu’est-cequemonsieurdésirerait?— Est-ce que madame paie en nature ? demande-t-il en s’approchant
dangereusementdemoitandisquejemeliquéfiedevantsonregardaffamé.—Jepeuxpeut-êtrearrangerça…jemurmureenreculant,sibienquejeme
retrouvebientôtadosséeàmaportière.Jevoissapommed’Adammonteretredescendrelorsqu’ilavalesasaliveen
me regardant fixement.Sesmains se rapprochentpeuàpeudemoncorpsetune expression prédatrice remplace son sourire. Je me sens comme unegazellepriseaupiègepar leplus rapideet leplus rusédesguépards…et jecroisquejemelaisseraisbiendévorer.Maisj’aibesoindemeressaisirunpeucar,aurythmeoùnousallons,jevaisfinirpartransgressermarèglen 1(quejeviensd’établir)quiestdenepascoucheravecColinavantd’êtrecertainedel’aimeretd’êtreaiméeenretour.Alorsjeluisouris,approchemonvisagedusienetdéposeunchastebaisersursonnez,cequin’estpassanslesurprendre.— Je peux payer en différé ? je demande doucement avec un sourire
innocent.Iléclatederireensecouantlatêtepuisreculeenmesondantduregard,l’air
o
tendremaisfrustré.—C’estquandtuveux,missHope.Jeluiadresseunderniersourireavantdedescendredelavoiture.Lorsqu’il
ouvre son coffre, je découvre, étonnée, un panier de pique-nique en osier.Colinal’airincertainetpresquegêné.—Onvafaireunpique-nique?— Tu crois sincèrement que je me trimbale ce panier ridicule pour le
plaisir?—Tusais,çatevaplutôtbien…Illèvelesyeuxaucieletrefermelecoffreavantdemesaisirparlamainet
dememener vers l’entrée du parc. Je réalise qu’on a réellement l’air d’uncouple à marcher comme ça, main dans la main. Qui aurait cru que çaarriverait?Certainementpasmoi.Après quelquesminutes demarche, nous trouvons finalement une place à
l’écart des passants et des joggeurs, sous un arbre où les rayons du soleilformentunmagnifiquerideaudoré.L’environnementest féeriqueet jesuisàdeuxdoigtsdemepincerpourvérifierqu’ilnes’agitpasd’unrêve.Sic’enestun,jepréfèred’ailleursnejamaismeréveiller.Colindéposelepanieretensortungranddrapblancpuis toutessortesde
choses, des sandwichs, des gâteaux, des fruits, des boissons, devant monregardahuri.— Tu as mis les petits plats dans les grands, je remarque enm’asseyant.
C’esttoiquiasfaittoutça?—Ahnon,s’esclaffe-t-ilenprenantplaceenfacedemoi,appuyantsondos
contre le tronc d’arbre. Je ne suis pas un très grand cuisinier, j’ai apprisquelques trucs à l’armée et je fais la cuisine de temps en temps pour mescollèguesmaisças’arrêtelà.Je réalise qu’il vient tout juste d’évoquer son métier alors qu’il refusait
jusque-làd’enparleravecmoietjemedisalorsquenousvenonsdefaireunpasenavant.— Je peux t’apprendre de nouvelles choses, si tu veux, je propose en
mordantdansmonsandwichaupoulet.—Tusaiscuisiner?—Jemedébrouille…Ses lèvres s’étirent enunpetit sourireencoinqui endit long surcequ’il
pense.Envoyantsonregardsevoilerlégèrementetsonsourires’effacer,j’aile sentiment qu’il n’est pas vraiment habitué à ce qu’une fille, ou plutôt uneconquête,luiproposeautrechosequedusexe.Nouspassonslerestedenotrerepasàdiscuterdechosesetd’autres,etmêmesijemeursd’enviedeluiposerdesquestionspersonnelles,commelenombredefillesavecquiilestsorti,s’ilestdéjà tombéamoureuxouencorecequ’ilenvisagepournousdeux, jemeretienscarjenepensepasqu’ilaitenvied’abordercesujetetjen’aipasenviedelebraquer.J’aimeraistoutdemêmesavoiroùnousallonsetsinousavonsunquelconquefuturensemble.Aprèsuncertain temps,Colinchangedepositionet s’étendsur ledos, les
yeuxrivéssurlecieletlesmainsderrièrelatête.Jenepeuxignorerlalueurétrangedesonregard,unelueurdifférentedecellequiybrillehabituellement.J’ail’impressionquequelquechosenevapasmaisj’ignorecommentaborderle sujet. Sans réfléchir davantage, je m’approche avant de m’étendre sur ledrap,contrelui,latêteposéesursapoitrine.Lesbattementsfousdesoncœurrésonnentdansmesoreilles.Illibèreundesesbrasafindelepasserautourdemeshanchespourmeserrercontreluietjelesenssedétendreinstantanément.Mamainposéesursontorse,lasiennesurmatailleetlamélodiedenoscœursquibattentàl’unissonnefontquerendrecemomentd’autantplusmagiqueetapaisant. Le parfum de la nature et celui de sa peau me font me sentir ensécurité,enpaix.J’ailesentimentd’êtreinvincible,commesiriennepouvaitnous arriver. Je savoure cet instant de béatitude en ne pensant à rien d’autrequ’àluietmoi.Ànous.—Jem’envaisdansunesemaine.Sesmotstombentcommeunepierredansmapoitrine.Ilnes’estpasdonné
lapeinede lesatténuernide les rendremoinsdouloureuxet je restemuette,souslechoc.Jemedemandecommentj’aipuoublierquecemomentfiniraittôtoutardpararriver.Etçafaitmal.Atrocementmal.Jevoisunelueurdéchirantedanssesyeux,miroirdesessentiments,dece
qu’iln’osepasdireàhautevoix.Avantque jenepuissedonner l’occasionàmeslarmesdeselibérer,jemerelèveetm’assiedsenleregardant,cherchantune réponse dans ses yeux.Mais tout ce que je vois, c’est son air contrit etempreint d’une torture intérieure que nul ne peut prétendre comprendre…Mêmepasmoi.—Tut’envas.J’aiditçacommeuneconstatation,unemanièred’assimilercesmotsetde
les enregistrer.Une façon dem’assurer qu’il s’agit bien de la réalité et non
d’uncauchemar.—Jedoisrepartiràlabase,mapermissionseterminedanssixjours…J’ai
jugébonquetulesaches.Jenesaispasquelestlesentimentquidomineenmoiencemoment,entrela
tristesse,lacolèreoulafrayeur.Jevaismisersurlacolère.—«Jugébonquejelesache»?jem’égosille.Pourquoinepasmel’avoir
ditavant?Ilesttoujoursallongésurledos,lesyeuxfixéssurleciel,commesicelui-ci
pouvait répondre àmes questions ou trouver une solution.Nous ne sommesensemblequedepuisvingt-quatreheuresetvoilàdéjànotrepremièrecrise.—Pourquoi? finitpardemanderColin.Çaauraitchangéquelquechose?
Est-ce que ça t’aurait empêchée deme voir, d’apprendre àme connaître, dem’embrasser?—Non,maisj’auraisaumoinspum’ypréparer…Jenesaispas!Jemelève,tentantvainementdecontrôlermeslarmesetlestremblementsde
mesmains.Colin,quisemblehésiterentresemettreluiaussiencolèreetmeprendredanssesbras,finitparseleverégalement.—Mia…Jeneparspassurunautrecontinent,jerentreseulementàlabase,
murmure-t-ild’untonadoucienprenantmamain.Jegardelesyeuxausolpournepascroiserlessiens,incapabledetrouver
lesmots pourm’exprimer.Colin soupire puism’attire à lui pourme serrerdanssesbrastandisquejeluttepournepaspleurer.Seulement,dèsquejesenssonodeur,quirisquedememanquertrèsbientôt,jefondssilencieusementenlarmes.—Cen’estquedansleColorado,àquelquesheuresdevol,chuchote-t-ilen
caressanttendrementmescheveux.Magorgeesttropserréepourquejeparvienneàémettrelamoindresyllabe.
Quand je pensequenousvenons à peinedenous rencontrer et qu’il s’envadéjà ! Je me sens si stupide. Stupide d’être tombée amoureuse d’un soldatobligéde fairepasser sonmétier avant tout le reste.Une fois libéréede sonétreinte,jem’empressed’essuyermeslarmesetbaisselesyeuxpouréviterdecroiser son regard. Je m’en veux de réagir comme ça, mais je lui en veuxencoreplus.—Jesuisdésolé,Mia,vraiment.Pourquoiai-jel’impressionquesesmotssonnentcommeunaurevoirouun
adieu ? Il passe unemain dans ses cheveux et je finis parme libérer de cesilencedeplombsiassourdissantqu’ilendevientpoignant.—J’aimeraisrentrerchezmoi.J’ai peur de le regarder en face, de trouver dans son regard une sorte
d’indifférenceoud’ennui.J’aipeurquecequejeressensnesoitpourluiqu’uncondensédecequ’ilconnaîtdéjà,decequ’ilal’habitudedevoirenbrisantdescœurs.Etjeledétesteparcequejen’arrivemêmepasàluienvouloirmalgréça.—D’accord,souffle-t-ilencommençantàrécupérernosaffaires.
C’estdansuneambiancemorosequenousretournonsàlavoiture.Letrajet
jusqu’aucampusuniversitairesefaitensilence.Latêteposéecontrelavitre,jeregardesanslavoirlavilledéfiler.JesaisqueColinmejettedesregardsetjesaisaussiquejenedevraispasagirengaminepuérilemaisjen’arrivepasàmerésoudreà luiparlernià le regarder,c’estbien tropdifficile. J’aimeraisme gifler pour m’être jetée aveuglément dans cette situation mais noussommesvictimesautantl’unquel’autredenotrepuissanteattirance.Voilàoùnousensommesàprésent.Voilàoùmoi,j’ensuis.LorsqueColinsegareprèsdemonimmeuble,jen’arrivepourtantpasàme
résoudreàsortirdelavoiture.Nousrestonslàsansnousregarderpendantunetrès longue minute et je me remémore avec une certaine nostalgiel’atmosphèrechaleureuseet légèredu trajetde l’aller.Nousétionsdanscettemême voiture à nous embrasser, nous toucher et nous découvrir. J’ignoraisqu’ilmettrait finsi tôtàmonrêve,qu’iléclateraitaussi rapidementmabulled’insouciance.—Regarde-moi,ordonne-t-ilavecdouceur.—Combiendetempstuvasyrester?—Regarde-moi,répète-t-ilensoulevantmonmenton.—Combien?—Jenesaispasencore.JesuisenpermissionMia,jen’aiplusrienàfaire
ici.—Plusrienàfaireici?—Cen’estpascequejevoulaisdire…Merde!Sesmotssontdespoignards.Jesecouelatête,blesséeetencolère,puisme
dégage avant de descendre de la voiture, de claquer la porte aussi fort que
possibleetdem’enaller.—Mia,attends!Je l’entends m’appeler mais je continue à marcher droit vers la porte
d’entrée. Colin me saisit par le bras et me fait faire volte-face. Il a l’aircoupable,peinémême.Jelecontemplesanssavoirquoidire.Jeneconçoispasqu’ilaitpudireunechosepareilleaprèstouscesmomentspartagés.Est-cequeçasignifiequetoutcequenousvenonsdevivren’apascomptépourlui?—Jemesuismalexprimé,déclare-t-ild’un toncalme.NewYorkneveut
plusriendirepourmoi.Jereviensuniquementpourchangerd’airmaisjen’airienici,pasdefamille,pasd’attaches…Ouplutôt,jen’avaisrien.Il fait une pause et je ne peux pas empêcher mon cœur d’avoir un petit
frissondejoieàsesderniersmots.—Jenepourraipasrevenirautantquejelevoudraismaisjeferaiensorte
d’êtrelàleplussouventpossible.C’esttoutcequejepeuxtepromettre,etc’estdéjàbeaucouppourquelqu’unquin’ajamaiseuàpromettrequoiquecesoitàquiconqueauparavant.J’acquiescemachinalementenappelantàmoitoutlebonsensetlecourage
qu’ilmereste;jesensquejevaisenavoirbesoin.Colinporteunemainàmonvisageeteffleuremeslèvresavantd’ydéposer
un baiser auquel je ne réponds pas, encore trop bouleversée pour unequelconquedémonstrationdetendresse,puisinclinematêteenarrièreafindepouvoirmeregarderdanslesyeux.—Ilnousresteencoresixjoursetjecomptebienprofiterdechaqueinstant
avec toi pour apprendre à te connaître dans lesmoindres détails.Ensuite, ehbienonimprovisera.Sa dernière phrase me fait légèrement sourire et quelque chose en moi
commenceàpenserqu’ilyauneinfimechancequeçapuissemarcher.Alorsj’essayedevoirleboncôtédeschosesetjemedisqueçaauraitpuêtrepire.Ilseraàquelquesheuresdevoletpasenguerre.Pasencore,dumoins.Jehochealorslatête,memetssurlapointedespiedsetdéposeunbaisersur
sajoueavantdetournerlestalons,lelaissantseulderrièremoi.Unefoisdansl’enceintedubâtiment,jemeretourneetleregardes’éloigner,latêtebaisséeetlesmainsdanslespoches…Ilmebriselecœur.Pourlapremièrefois,jesensquelque chose se fissurer enmoi et j’aimerais prétendreque tout vapour lemieux, que je n’ai pas àme plaindre alors que j’ai tout pour être heureuse,maisc’estfaux.Alorsjeravalematristesseetgagnel’ascenseurpourrentrer
dansmonpetitchez-moi.Ambern’estpaslàlorsquejerentre.Dèsquejeclaquelaporte,unevague
d’émotions me percute de plein fouet, toutes ces émotions que je me suisefforcéede refoulerdepuisqueColinm’aannoncéqu’il repartait bientôt. Jesuissiépuiséequeleslarmesquejeretenaisdifficilementsemettentsoudainàcouler.Jem’adosseà laporteetmelaisseglisser jusqu’ausol.J’aipeurquetous mes rêves et mes espoirs ne s’évaporent à coups de kilomètresinfranchissablesetd’amourtropfriable.J’aipeurquel’étoilequim’amenéejusqu’àColinnemefassecourirjusqu’auprécipice,quetoutcequemoncœurs’apprêtait à éprouver ne soit qu’un fantasme irréalisable. J’ai peur d’êtrebriséeparl’amour.Carl’amourestfourbeetégoïste,ilprendtoutcequevousavez mais ne vous rend presque jamais rien, il ne pense qu’à profiter desbaisers,desplaisirsetdessentimentspuiss’envasansseretourner.Jeméprisemonamourpourl’amourautantquejel’aime.
Chapitre11
Colin
Qu’est-cequim’arrive,bordel?J’aicouchéavectellementdefemmesqu’ilme serait impossible deme souvenir de tous leurs visages. Pourtant, aucunen’estparvenueàmefaireressentirdeschosescommeça.Ellem’aensorcelé,c’estunecertitude,commentaurais-jepuenarriverlàautrement?Jevoulaissimplement la mettre dans mon lit, l’utiliser puis l’oublier, avant derecommencer avec une autre. Mais là, rien que d’imaginer faire une chosepareillemedégoûte.Qu’est-ce qu’elle a de spécial, d’abord ? Qu’est-ce qu’elle a de plus que
toutes les filles que j’ai connues avant ? Elle a le don de me faire sourirecommeunidiot,elleestparvenued’unemanièreoud’uneautreàmechanger,à me transformer en un « petit ami »… Et même si je détestais cette idée,quelquechoseenmoimepousseàallerplusloin,àlarecherched’unechoseque je ne comprends toujours pas. Elle me rend fou. Je suis incapable deréfléchir correctement, de vivre ma vie comme je l’entends. Sérieusement,depuis quand est-ce que je suis le genre demec à organiser un pique-niqueavecsacopine?SiMattétaitlà,ilsefoutraitdemagueule.Jesaisis la télécommandeàcôtédemoietéteins la télé, tropdistraitpour
suivre une de ces stupides émissions. Lorsque j’ai laissé Mia devant sonimmeuble,elleavaitl’airsibouleversée,sitriste,quejemesuissentiémumoiaussi.Etça, çan’estvraimentpasnormal. Jecroisqu’elleattendaitque je laretienne,quejelaconsoleetlarassure,quejel’embrasse,maisaulieudeçaj’ai tourné les talons et je me suis barré comme un lâche sans regarder enarrière,ensachanttrèsbiend’aprèssesyeuxhumidesetseslèvrestremblantesqu’ellesemettraitàpleurerunefoisseule.Pourquoiest-cequejesuiscommeça ? Pourquoi est-ce que lemalheur des autres nem’atteint pas ? Enfin, nem’atteignait pas. Pour être honnête, j’aurais préféré ne rien ressentir en lavoyant s’effondrer devant mes yeux, mais quelque chose au fond de moi aremué.Unminusculetrucquelquepartenmois’estmanifestépourlapremièrefois,etçam’afaitunmaldechien.C’estdoncçaqu’onappelleuncœur.
JesuisColinCarter, lepilotedechasse,lemecinsensiblequiconcèdeaux
femmes une seule et unique qualité : la possession d’un vagin. C’estdégueulasse,jesais,maislaseulechosequicomptepourmoic’estletravail.Rienn’estplusgratifiantquedese lever lematinensachantqu’onvapasserunenouvellejournéeàessayerdesesurpasser,às’entraîneretàpiloter.C’estlaseulesatisfactionquejetiredelavie.Mais Mia… Mia est différente, elle est si rafraîchissante, intelligente et
innocente.J’aipresquel’impressiondelasouilleravecmeslèvres,mesmainsetmonregardquisesontposéssisouventailleurs.Mevoilàpourtantprêtàladétruirecommej’aibrisétantdecœursavantelle,àlarecherched’unplaisircharnel éphémère et néfaste dont je ne me rappelle aucune sensationaujourd’hui.Unmecnormalcomprendraitqu’ilfautlalaissers’enaller,lalibérerpour
qu’ellepuisses’épanouiravecunhommebonetdigned’elle…maisjenesuispasunmecnormal.Jesaisquejefiniraitoujoursparretournerverselletantque jen’aurai pasobtenu la certitudequ’ellen’a riendeplusque les autres,qu’elle n’est pas aussi parfaite que je le pense. Je suis un homme égoïste etdénué de sensibilité, je veux la goûter, la savourer autant qu’ilm’est permisavantdem’enalleretdeneplusjamaisentendreparlerd’elle.Enattendant,malgrémesrésolutionsetmesplanstordus,j’ensuisarrivéà
sortirdechezmoi,àmonterdansmavoitureetàmedirigerverschezelle.Jenemereconnaisplusmoi-même.Toutceque jesais,c’estque jenepouvaispasresteruneminutedeplusdansmoncanapéàmetriturerlesméningesalorsqu’elleétaitcertainemententraindesemorfondre.Jepasselatotalitédutrajetàm’insulterintérieurementpourl’avoirlaisséepartirsansmêmesongeràlaconsoler,etjeréalisequenonseulementjemeursd’enviedelaretrouver,maisqu’en plus j’ai comme la sensation qu’ellememanque.C’est terrible à diremaisc’estlapremièrefoisquejeressensça.Une fois arrivé chez elle, je m’engouffre dans l’immeuble et grimpe les
escaliers quatre par quatre. Je prends conscience seulement maintenant quevoirMiadansun telétatm’avraiment touché.Jedoisbienpouvoir rattraperles choses, maintenant. Devant sa porte, je ne me laisse pas le temps deréfléchiravantdetoquer.Évidemment,c’estsoninsupportablecopineAmberquiouvre.—Qu’est-cequetufouslà?lâche-t-elleavecunméprisquim’assurequeje
nesuispaslebienvenu.
—Oùest-elle?Amberrefermelaportederrièreelle,sibienquenoussommestouslesdeux
seulsdanslecouloir.—Elledort et je te conseille vivementde la laisser tranquille.Toi etmoi
savonstrèsbienquetunelaméritespas.—Pourquituteprendsaujuste?Onneseconnaîtmêmepas!jem’écrie,
horsdemoi.—Alors tu ne te rappelles vraiment pas demoi…dit-elle en croisant les
brassursapoitrine,unsouriremauvaisauxlèvres.— Je devrais ? Je ne me rappelle pas de toutes les filles que je croise.
Maintenantlaisse-moientrer.—C’estmarrantça,c’estexactementceque tuasdit lorsque tuétaisdans
monlit.Putaindebordeldemerde.—Qu’est-cequeturacontes?!—Jefaispartiedelalonguelistedetesconquêtesd’unsoir.Moiquipensais
êtreunboncoup,jesuisdéçuequetunet’ensouviennespas.Etmaintenanttuveuxtetapermacopine,c’estamusantnon?Elle est folle.Cen’est paspossible, jem’en serais rappelé.Mais il y a eu
tellementdesoirsoùj’avaistropbu,etbeaucoupdefilles…Jefermelesyeuxetrespirepouressayerdecalmerlesnauséesquisurviennentenmêmetempsquedesbribesdesouvenirs.C’estuncauchemar.Unsentimentdeculpabilité,encoreunedécouvertepourmoi,meheurtedepleinfouet.Mia.—Net’approcheplusd’elle.Elleestgentille, innocenteetc’estmonamie.
Je ne pensais pas lui dire ce qui s’est passé entre nousmais je vais le faire,pourlaprotégerdetoi.Toutlesangdemonvisages’évapore.SiMiaapprendça,c’estfoutu,ellene
voudra plus entendre parler de moi. Et c’est bien la dernière chose que jedésireencemoment.—Nefaispasça,tunesaispasdequoituparles.J’aichangé,jerétorque,
essayantdegardermoncalme.Lepirec’estquec’estvrai.C’estlapremièrefoisdemaviequejeressens
l’envied’êtreavecunepersonne,lavoir,laregarder,latoucheretl’embrasser.Jerefusequecettefuriemeprivedeça.Aprèstout,Miaestmapetiteamie,etDieu sait à quel point je déteste cette expression. Même si je refuse de
l’admettreouvertement,elleabiendéclenchéquelquechoseenmoi,ouvertuncadenasbloquédepuistantdetemps.Ellem’afaitressentirautrechosequedelarancœur,delarageetdel’amertumeenverslavie.—Toi,changé!s’exclameAmberenriant.C’est lameilleure.Çafaitplus
dedeuxansquejetravaillechezTerrenceetjetevoyaischaquefoisrepartirdubaravecunefilledifférente!Tun’esqu’un…—Qu’est-cequisepasse?Moncœurrateunbattementetsemetàbattreàunecadenceeffrénée.Miase
tientdansl’embrasuredelaporte,ensommeilléeetbelleàenmourir.J’aiuninstant peur qu’elle ait pu entendre notre discussionmais, en voyant un petitsourires’étirersurseslèvres,jecomprendsquejebénéficied’unsursispourcettefois.—Colin insistaitpour tevoirmais je luiaiditque tudormais, improvise
Amberlepluscalmementpossible.Cette peste est une bonne comédienne, elle parvient à faire disparaître le
doutequisubsistaitdansleregarddeMia.Cettedernières’approchedemoietm’enlace, posant sa tête contremapoitrine tandisquemoncœur s’affole. Jereste unmoment pétrifié devant le regardmauvais d’Amber, encore troubléparcessouvenirsquejecroyaismortsetenterrés.—Jesuisdésolée,murmureMiacontremoi, indifférenteà laprésencede
son amie ou au fait qu’elle soit pieds nus sur son palier. Je n’aurais pas dûpartircommeça.C’estjustequetuvasmemanquer…Pourquoifaut-ilqu’ellesoitsidouceetsibelle,irrésistiblementadorable?—Jevouslaisse.Jesuisàl’intérieur,Mia,déclareAmberenmelançantun
regardassassin.Unefoisseuls,jerespiremieuxetserreMiadansmesbrasaussifortqueje
le peux. Elle a beau momentanément panser les remords que j’éprouve, lepoids de ma culpabilité m’écrase comme une enclume. Je me sens pris aupiège.—Ne t’excusepas, je finisparmurmurer,c’estmafaute. J’auraisdû te le
direavant.Elle secoue la tête etme sourit enme regardantde sesgrandsyeuxbruns
pleinsd’amouretd’espièglerie.—Jedoismepréparerpourallertravaillermaisonsevoitbientôt…?—Onsevoitce soir, aubar, je répondsenhochant la tête. Je suisencore
désolépour…Ellenemelaissepasletempsdepoursuivreetmeplanteunbaisersurles
lèvres,passantsesbrasderrièremanuque.Je lasoulèvepour lamettreàmahauteuretelleemmêlesesdoigtsdansmescheveuxentirantdessustandisquejeretiensungémissementdeplaisiretdefrustration…Ellemerendfouetjedoismecontrôlerpournepascraquer.C’estlapremièrefoisquejem’entiensaux préliminaires et, pour être honnête, c’est plus agréable que ce que jecroyais.J’ail’impressionqu’unfeuvientdes’allumerdansmonventreetqu’ilse propage dangereusement dans mes veines, sous ma peau. Ça empirelorsqu’elleenroulesesjambesautourdematailleetquejelaplaquepresquebrutalement contre lemur.Elle laisse échapper unpetit gémissement etmondésir se transforme en torture. Nous sommes tous deux à bout de souffle,j’avaleuneboufféed’airetfaiscourirmeslèvreslelongdesoncou.Jecroisqu’elleetmoioublionsunpeuvitequenoussommessursonpalier
carlebruitdel’ascenseurnousrappelleàlaréalitéetnoussursautonstouslesdeux lorsque les portes s’ouvrent. Je la laisse glisser au sol, le charme estrompumais ledésir subsiste.Lemecquivientde sortirde l’ascenseurnousdévisage en ouvrant sa porte. Avoir brisé notre instant ne lui suffit pasvisiblement et il s’attarde en regardantMia qui se mord la lèvre, rouge degêne.C’est làqu’intervient leColinpossessif.Jefaisunpasdansladirectiondu
mecenluilançantunregardmeurtrier,cequifonctionneinstantanémentcarilbaisselatêteetrentrechezlui.Dèsquenousnousretrouvonsseuls,Miapouffederireetjecontempleson
visage s’éclairer, illuminépar lagaieté et l’insouciance. Il semblerait que cesoitcontagieuxparcequejememetsmoiaussiàrire,amuséparsaréactionettropfaible,ilfautlecroire,pourresterdemarbredevantcespectacleunique.— Je devrais aller me préparer… reprend-elle une fois son sérieux
retrouvé.Àplustardalors.Elle m’adresse un dernier regard avant de rentrer dans sa chambre et je
hochelatête,unimmensesourireauxlèvres.Je suis malgré tout d’une humeur de chien en rentrant chez moi. Cette
mégère d’Amber a vraiment tout ruiné… même si elle n’est pas la seulecoupable.Enréalitéjesuisleseulàblâmer,jesuiscefameuxconnardquisedivertissaitetqui recherchaitunpeudevieencouchantàdroiteetàgauche.Maisdequeldroitsepermet-elledememenacer?Çanelaregardepas,etsijedécidededirelavéritéàMiaceseramadécision.Ilfautquejel’empêchede
toutgâcher.Aprèsunelonguedoucherevigorante,jemedemande,enmeregardantdans
laglace,cequelesfemmespeuventbienmetrouver.Jenesuispaslaid,maisjenevoisriendebeauenmoi…Enfinc’estpeut-êtreparcequejevoisceluique jesuis réellement.Parcequ’au lieudevoirmonvisageetmoncorps, jevois mon cœur sombre et mon âme remplie de haine et de rancœur. Jedétourne le regard. Je n’aime pas cemec, je le déteste, il a fait trop demalautourdeluipourseregarderdansunmiroirsanssemépriser.LorsquejesuisprêtàrejoindreMiasursonlieudetravail,jeréalisequ’en
plus de l’excitation de la retrouver, je ressens le besoin irrépressible deprofiter de chaque seconde avec elle. Je suis foutu. Elle m’a eu au premierregard.D’autantplusquelavoirjouerdupianolarendplusdésirableencore,plus admirable. Si je veux jouir au maximum des moments avec elle, c’estparcequejesaisquejenerisquepasdelarevoirdesitôt.Carsiellepensequenouspourronsentretenirnotrerelation,moienrevanchejen’enmettraispasmamainàcouper.Sijereviens,ceneseraquequelquessemainesparanpourretrouvermavillenataleetmonappartement.Endépitdufaitquemafamille,ou plutôt ce qu’il en reste, réside à New York, je ne me risquerai pas à yretourner.Jemesuispromisdeneplusjamaisremettreunpiedchezeux.Jamais.
Chapitre12
Mia
—T’esvraimentmordue,hein?medemandeAmberquandjerentredanslachambre.—Je…Oui, je suis mordue, je ne suis pas dans mon état normal, je suis…
amoureuse.Toutsimplement.Pourlapremièrefoisdemavie,jeressenstousles symptômes des premiers émois : le cœur qui palpite, le sentiment d’êtreailleursetlesfameuxpapillonsdansleventre.Ilssontvraimentdéchaînéspourlecoup.— Mia… murmure Amber en se levant pour me rejoindre. Tu es une
merveilleusepersonne,tuméritestellementmieux…—Jesaiscequetuvasmedire, jel’interrompsenmedirigeantversmon
armoire.Iln’estpaspourmoi,jesuistropfragileetinnocente…Maisjetel’aidit,jesaiscequejefaisetj’enassumerailesconséquencessitoutmeretombedessusunjour.Ellesoupirepuissortsatenuedetravailtandisquejelasuisduregard.—Jenet’enempêcheraipasmaisjetemetsunedernièrefoisengarde,Mia.
Iln’estpasceluiquetucrois.Queveut-elledirepar là?Colinpossède ses secretset sespartsd’ombre,
certes,maiscen’estpasquelqu’undemauvais,j’ensuispersuadée.—Amber,tuneleconnaispas.Tucroisleconnaîtremaisilestdifférent,et
ilesttoutcedontj’aienvieencemoment.Jesaisques’ilm’aime,il…—Tu crois qu’il t’aime ? s’étrangle-t-elle, stupéfaite. Tu es si naïve ! Ce
beauparleurest incapabled’aimer! Il finirapar tedécevoirun jour,commetouslesautres.—Jesaisquetut’inquiètesetquetesexpériencest’ontlaisséungoûtamer
maisjecroisenColinetencequenouspourrionsdevenir.Jesaisbienqu’ilnem’aimepas,oudumoinspasencore,etdemoncôté…jen’ensaisrien.J’ai
l’espoirquenoustrouveronsunmoyendevaincreladistance.Jecroisauxfinsheureuses,Amber,etmêmesij’aiessayédemevoilerlafaceenclamantqueje ne me laisserais pas avoir par un homme, Colin y est parvenu. D’unecertainemanièrej’aimeça,j’aimelesentimentquemeprocurentsoncontactetsaprésence,etjenepeuxm’empêcherdepenserquetoutestpossible,quenousarriveronsàsurmonterlesobstaclessurnotrechemin.IlestclairquepourAmber,jedoisavoirl’aird’uneadolescentecrédulequi
attendleprincecharmantsursonchevalblanc…Maisc’estfaux.Jen’ycroisplus depuis un moment, à vrai dire, et je crois simplement en une chose :l’amour.Jepensequel’espoiretl’amoursontpartout,qu’ilsuffitdelessaisiretdelesgardertantquelavienouslepermet,delesprotégeretdeleschérir,jusqu’à ce que lemonde s’écroule. Pourquoi l’issue serait-elle forcément laséparationetlasouffrance?Jesuispersuadéequesichacunymetdusien,toutestpossible.Levisaged’Ambers’adoucitmaisj’ailadésagréableimpressionqu’ilreflètedelapitiéetquelquechosedeplusprofond,commesiellesavaitquelquechosequej’ignore.—OhMia, jepriepourque tuaies raison, finit-ellepardireavecunpetit
sourireattendri.Jen’aijamaisrencontréquelqu’uncommetoi,tuesgentille,généreuse, intelligenteetpourtant si innocente…Tuméritesde trouverceluiqui t’aimera, qui se battra pour toi et qui sera prêt à tout sacrifier. Tu esquelqu’undebien,MiaHope.Nousavonspris lavoitured’Amberpouraller travailler et jememets au
piano aussitôt arrivée. J’en suis déjà à mon troisième morceau, lent etennuyeux,etmesyeuxnefontqu’alleretvenirendirectiondelaported’entréeoùColintardeàapparaître.Jesuissiimpatientequej’enaidesfourmisdansles jambes.Pourfairepasser le temps, jem’efforcedefermer lesyeuxetdeme retrancher dans mon petit monde intérieur où tout n’est que paix etamour…Biensûr,aucunendroitcommecelui-cin’existevraimentalorsjemedis qu’il peut bien exister dans ma tête, car j’ai ainsi l’impression d’y êtreencoreunpeuenouvrantlesyeux.Plusletempspasse,plusjemedisqueColins’estpeut-êtreencoreunefois
volatilisésansunmot.Pourtantunpetitquelquechose,cefilinvisiblequinouslie, me pousse soudain à ouvrir les yeux. Lorsquemes paupières se lèvent,c’estsurunColinmagnifiquequisetientprèsdelaported’entrée,flamboyantet pourtant sombre, si sombre. J’aimerais faire silence dans la salle pourentendresoncœuretsavoirs’ilbataussivitequelemien.Jenepourraijamais,
jelecrains,melasserdelecontempler.Il s’avancecommed’habitudevers lebaretcommandeunverre, toutcela
sansbriserlecontactentrenosyeux.Lemonden’existeplus.Mesdoigtsjouentd’eux-mêmesmaismonâmeestdéjàauprèsde lui.Le tempss’écoule,glissesur nous et nous absorbe, etmême si j’avais le pouvoir de l’accélérer pourpouvoirrejoindreColinjeneleferaispas,toutsimplementparcequelorsqu’ilme regarde comme ça, j’ai l’impression d’exister, de jouer vraiment, de luirévéleravecmesnotescombienjesuiséperdument,maladivementamoureusedelui.Bienvite,tropvite,l’heuredeladélivrancesonneetmesjambesmemènent
aussitôtàlui.—Salut,toi.Savoixesttoujoursaussidouce,sensuelleet…pleinedepromesses.— Bonsoir, bel inconnu, je chuchote, grisée par sa proximité alors qu’il
m’attireverslui.Sansajouterunmot, ilpresseseslèvrescontrelesmiennesdansunbaiser
sage. Je suis surmon lieu de travail alors le reste devra attendre encore unmoment.—Jedoisbosser,tum’attends?—Oùcrois-tuquej’irais?Jenesuislàquepourtoi.Je l’embrasse sur la joue puis passe derrière le bar, les pommettes
empourprées. Je sais que c’est faux mais je ne dis rien. Il vient ici depuislongtemps,bienavantquejenecommenceàytravailler,alorssonargumentnetientpaslaroute.Maisjedécided’ignorermaraisonquimehurledessus,car même si cette partie demoi est la plus avisée et que c’est elle qui m’atoujoursguidéesur ledroitchemin–aveclesoutiendemachèremère–, jedoisdirequedepuisquelquesemaines,jel’aimisesuroff.Marcme salue et je peux sentir le regard lourddemenacesqueColin lui
lance.Jeneluireprocheraipasd’êtrejalouxtantqueçaresteraisonnable.Enréalité,jecroisquej’appréciecettejalousieparcequeçasignifiequ’iltientàmoi,d’unecertainemanière.Jefaismonserviceenjetantdetempsentempsdescoupsd’œilversColinet
je le surprends chaque fois en train dem’observer. Çame fait rougir maisj’aimeça,parcequejesaisquec’estmoiqu’ilregardeetpasuneautre.Iln’ad’yeuxquepourmoietçametoucheprofondément.Pourtant,desfemmesquicherchentàsefaireremarquerparlui,ilenpasse.Jenesuispasassezingénue
pournepasvoirlesregardssensuelsqu’elleslancentàColinetjenesuispasasseznaïvepournepasdevinerqu’ilenadéjàconnulaplupart…sexuellementparlant. Certaines arborent un regard plein de sous-entendus et je ne peuxignorer le désir et les souvenirs brûlants qui couvent dans leurs yeux.Cependant,Colinneseretournepas,sonregardperçantnemelâchepasdelasoirée.J’ail’impressiond’êtrelaseuleàexister.Je ne sais pas bien comment appréhender le fait qu’il ait couché avec,
visiblement,desmillionsde filles. Jene suisni jalousenidégoûtée, jecroisquej’essayedetrouverdesraisonspourl’expliquer.Ilestplusqueparfaitetiladusuccès,alorsquelgenred’hommediraitnonsidesfillessejetaientàsespieds?PaslegenredeColinentoutcas.— Comment tu te sens ? me demande Colin en prenant ma main et en
embrassantmapaumetandisquenoussortonsduTerrence’s.—Exténuéeetaffamée!— On va manger quelque part avant que tu ne fasses un malaise, alors,
réplique-t-ilensouriant.Dequoimadamea-t-elleenvie?—Jerêved’unhamburger.—Vosdésirssontdesordres.Colin m’emmène dans un Steak House où sont servis les meilleurs
hamburgers au monde. Nous discutons pendant toute la durée du repas enfaisant attention à ne pas aborder les sujets qui fâchent. Je crois que nous ysommeshabituésmaintenant,caraucundenousdeuxnefaitdefauxpas.Colina eu sondiplôme enparallèle de l’armée et a passé avecbrio sonbrevet depiloted’avion,alorsqu’ilétait leplus jeunedesabase.Ilparledesonengincommes’ils’agissaitdesonpropreenfant,avecpassionet…amour?—J’adorepiloter.Onsesentlibredanslesairsetonvoittoutdehaut,c’est
vraiment…magique.Sesyeuxbrillentetunsouriredifférentdeceuxquejeconnaisplanesurson
beau visage. Il a rajeuni de dix ans en une minute et c’est vraimentattendrissant.—J’aimerais temontrerun jourcequec’estdevoler,murmure-t-ilaprès
avoirbuunegorgéedebière,leregardvif.—Ça a l’air excitant, vraiment,mais j’aurais bien trop peur pourmonter
dansunenginpareil.
—Unjour,peut-être,conclut-ilenhaussantlesépaules.Lorsque vient le moment de régler l’addition, Colin ne me laisse pas le
choixmalgrémes protestations.Çamemet vraimentmal à l’aise qu’il payetout,jeneveuxpasavoirl’airdeprofiterdelui.Je le remerciepuisnoussortonsmarcherdans les rues illuminéesdeNew
York et j’en reviens aux avions. J’aimerais en savoir plus sur lui, il est sienthousiastequandilévoquesonmétier,quejepourraisenparlertoutelanuitjuste pour avoir la joie de contempler son visage s’illuminer et ses yeuxbriller.—Est-ceque tu asdéjà eudes accidents ? jedemandeavecprudence,pas
vraimentcertainedepouvoirposercegenredequestions.—Non,jamais.—J’espèrequeçan’arriverapas.Cette idée me donne la chair de poule. L’imaginer effrayé, blessé ou
souffrantmetétanise,sibienqueleseulmoyendemesentirmieuxestdemeblottirdanssesbras.Jenesupporteraispasqu’illuiarrivequelquechose.—Mia,net’inquiètepas, jesuisunpiloteaccompliet jen’ai jamaiseude
problème…Je ne réponds pas mais formule silencieusement une petite prière,
demandantaucieldelepréserverlepluslongtempspossible.—Attends,tufaisquoilà?medemandesoudainColinenfaisanthalte.Devantsonexpressionstupéfaite,jepréfèreneriendire.—Tuesentraindeprier?Letonqu’ilemploieenprononçantcemotmefaitcomprendrequeçanelui
plaît pas vraiment, pour une raison que j’ignore. Ilm’observe tandis que jehausselesépaules,unpeuperplexe.—Jemesuisditqu’unepetiteprotectiondelà-hautneseraitpasdetrop.—Jemesuistoujourstrèsbiendébrouillésanssonaidealorsjenecroispas
queçasoitnécessaire.Sontonestameretdurcommelapierre.Jenesuispascroyantemaisune
partdemoiest légèrementétonnéepar sesmots.Qu’a-t-ilpusepasserpourqu’ilenarriveàhaïràcepointunequelconqueexistencedivine?Jesensbienqu’iln’estpasrecommandédeposerlaquestionmaintenantalorsjenerelèvepas.
—Jesuisdésolée,jemurmureendétournantlesyeux.—Ne t’excuse pas,Mia. Je trouve ça adorable que tu t’inquiètes.C’est la
premièrefoisquequelqu’unsesoucieassezdemoiafindeprierpourmavie.Ondiraitqu’uneautrepiècedupuzzledelaviedeColinvientdesemettre
enplace.Maisétrangement,çamebriselecœur.Ilmesaisitparlementonetm’embrasseavantdem’adresserunregardpénétrant.Dansl’ascenseurdemonimmeuble,alorsquelesétagesdéfilent,jejurerais
quesa respirationaccélèreautantque lamienne. Ilyaune tensionentrenosdeuxcorps,unbesoindecontactetdepartage,decaressesetdebaisers…Lachaleur entre nos mains ne suffisant plus, j’étouffe un hoquet de surpriselorsque Colin passe unemain sur ma taille et me colle encore un peu pluscontre lui. Son pouce dessine des cercles sur ma peau qui se répandentdélicieusement dans tout mon corps. Comme j’aimerais l’embrasser tout desuite ! Alors que je m’apprêtais à tourner de l’œil sous l’intensité de lasoudainelourdeurdel’atmosphère,lesportesfinissentpars’ouvriretl’airsefaufileaussitôtdansmespoumonsenfeu.—J’aipasséuneexcellentesoirée.Quelquechosemeditquejenesuispaslaseuleànepasvouloirm’enaller.
Avantquejenepuisseleréaliser, jemehissesur lapointedespiedsetcollemeslèvresauxsiennes.Lemêmefeud’artificeexploseànouveauenmoi.Jemedemandes’il ressent lamêmechosemais jen’aipas le tempsd’ypensercar Colin me soulève sans efforts et me plaque contre le mur. Et jem’enflamme.—Déjà-vu?souffle-t-ilcontremeslèvresensouriantavecmalice.Je sais qu’il fait référence à hier, quand nous nous trouvions au même
endroitàfairelamêmechose.J’espèrequecettefoispersonnen’interrompranotremomentcarjecroisquejen’ysurvivraipas.Notrebaiserestfiévreux,addictifettellement,tellementpuissantquej’enperdslaraison.—C’esttoujoursunplaisir,murmureColind’unevoixrauqueavantdeme
laisserglisserausol.BonnenuitMia.Dorsbien.—Àdemain,Colin.Undernierbaiserpuis ildisparaîtdans lacaged’escalier.Aprèsunsoupir
de bonheur, je finis par rentrer dans ma chambre et me heurte au regardinquisiteurd’Amber,àdemiavachiesursonlit.—Jenetedemandepassiçava?
Monsouriremetrahitetmaraisonsemoquedemoitandisquemoncœurdansesurunechansond’amour.Eneffet,moncorpsparlepourmoi.Jehochela tête puis me déshabille avant de me mettre en pyjama. Occupée à taperfrénétiquementsursonordinateur,Ambernemeposepasdequestions.Aprèsêtredescenduefaireunbrindetoilette,jereviensm’étendresurmonpetitlitetfermelesyeux,plusheureusequejamais.Ambern’atoujourspasditunmot,j’aimerais lui demander ce qui ne va pasmais jeme doute de la réponse. Ilsemblerait qu’elle ne supporte pas ma relation avec Colin pour une raisonconnued’elle seule,mais je suis trop épuisée et raviepour enparler.Alors,après un dernier sourire de félicité, je m’endors avec le sentiment d’avoir,pourlapremièrefois,trouvémaplace.DanslesbrasdeColin.
Chapitre13
Colin
Je ressensun étrange sentimentde solitudequand j’arrive chezmoi.C’estcommeunesortedemanque…Bizarre.C’estlapremièrefoisqueçam’arriveenvingt-troisans.C’estàlafoisdésagréableparcequej’ail’impressionqu’unmorceaudemoimefaitdéfaut,etagréablecarj’ailesentimentdeneplusêtreseul,enfin.Parcequ’elleestlà,dansmonesprit,àvagabonderetàmerappelercontinuellementqu’ellecomptepourmoi,d’unecertainemanière.J’essaiedefaireabstractionduvidequis’estcrééenmoienprenantune longuedouchequim’aideunpeuàéclaircirmespenséesetàmefocaliserànouveausurmavie. Mais quoi que je fasse, Mia revient toujours à la charge à coups desouriresetdebaiserstellement…tellementtout.Etpuis,commentl’oublier?Elleestsiéblouissante,siuniquequeçaenestdouloureux.J’ail’impressiondel’abîmer, de lui faire rater tellement de belles choses. C’est comme si jegâchaislepremieramourqu’elleauraitdûavoir,celuiqu’ellemériteetdontelle a dû rêver toute sa vie, le premier amour que je ne pourrai jamais êtrepour elle. Mais c’est comme ça, certains naissent sous une bonne étoile,d’autresavecdupoisondanslesveines,unmalheuretunemalchancedestinésàtousceuxquiferaientl’erreurdelesapprocher.C’estmondestin,ceàquoijesuisvoué.Mianonplusn’apaseudechance,elleauraitputombersurungarsbien,capablederessentirdessentiments,desvrais,notammentceluiquirimeavec«toujours».Maiselleest tombéesurmoi.L’hommelemoinsdignedesonaffection,lemoinsdigned’elle.Jemecouche lespenséesembrouillées,conscientquesi jeveuxallerplus
loin avec elle, je dois lui dire la vérité sur son amie et moi. Ce qui m’enempêche,c’estquetoutçac’estdel’histoireancienne.Cettefillen’étaitqu’unegaminepauméeetmoij’étais…différent.Cettehistoired’unenuitnesignifietellement rien pourmoi que je nem’en souvenaismêmepas avant que cettefurieneme la jetteà la figure sansprévenir.D’ailleurs,pourquoiest-cequec’estsicompliqué?J’auraispuséduireMiacommelesautres,j’auraisprofitéd’elle de la manière la plus basse possible, sans attaches, et ça aurait été
terminépourtoujours.Maisnon,ilafalluquemademoiselleHopeseramèneavecsesgrandsyeuxdoux,sonregardpénétrantetseslongscilsquicaressentmon cœur lorsqu’elle s’oublie dans lesmélodies de son piano. Je trouve çaincroyablequ’ellesoitsipeusûred’elle,toujoursentraindesedénigrer,carelleaabsolument toutpourplaire :uncorps fabuleux,unvisageàcouper lesouffle qui transpire la sincérité, sans parler de sa personnalité hors ducommun,sonintelligenceetsasensibilité.C’estlapremièrefoisdemaviequejepasseautantdetempsàcontemplerlevisaged’unefemmepouressayerdelacomprendre,parcequ’elleestsiclaire,sesémotionsselisentdanssesyeux,mais en même temps elle demeure pour moi un mystère. Je ne comprendstoujours pas comment elle a pu me piéger dans ses filets sans en êtreconsciente,cequ’elleafaitpourm’ensorcelerdelasorte.Maisquelestmonproblème,àlafin?Pourquoiest-cequejepenseàellede
manièreaussiobsessionnelle?Jedoisavoir l’airdésespéréàm’accrocheràune fillebeaucoupplus jeunequemoi et inexpérimentée.Mais jeme sens sidifférent avec elle, jeme sensnormal, commeunhommequi rencontre unefemmeetquiapprendàlaconnaître.Lorsque je finisparm’endormir, je rêvemalgrémoidecettepetitebrune
quiatotalementprispossessiondemonâme,decetangequiestparvenuàmechambouler,àmechangerdutoutautout.Je suis trempé de sueur. Je ne vois plus rien, comme absorbé, avalé par
l’obscurité,mêmeaprèsavoirallumémalampedechevet.Cetteobscurité,ellevient de moi. Mes cauchemars ne sont pas prêts de me lâcher et j’ai beauessayerdefairecomprendreàmoncerveauquecenesontquedeschimères,jeme réveille régulièrementdégoulinantde sueur, submergépardes souvenirsplustenacesquejenelepensais.Jelesrevispresquetouslessoirs,chaquefoisplussanglantsetplusdouloureux.Jerevisencoreetencorelesmêmeschoses,lesmêmesévénements…Etçametue.Petitàpetit,maisavecl’efficacitéd’unfeuquis’étendetdévastetoutsursonpassage.Cen’estqu’aprèsplusieursminutesquejefinisparmeressaisir.Jemelève
et prends une douche, avec l’espoir que celle-ci m’apportera le couragenécessairepoursurvivreàunejournéedeplussanssuccomberàlafatigueetàla culpabilité. Sansm’écrouler sous le poids demon passé. Je vais faire ensortequelasoiréepasséeauxcôtésdeMiasoitlapluslonguepossible,pourquej’oublieunmomentàquoiressembleréellementmavie.Encemomentelledoitêtreàlafacavecsabanded’amis,qui,pourlecoup,
nemeplaîtpasdu tout.Rienquederevoir lagueuledecetAndrewmerendfouderage,quandil laregardecommesiellecomptaitàsesyeux.Danscesmoments-là, je rêve de lui briser la nuque, à lui et à tous ceux qui osentlibrement reluquermaMia.La jalousie et la possessivité sont des sentimentsbienétranges.Jelesdécouvrepourlatoutepremièrefoiset,mêmesijedoutequeçaplaiseàMia,j’aibesoind’êtresûrqu’ellen’ad’yeuxquepourmoi.Quejesuisleseulqu’elledésire.La journéedéfile lentementet jepassemon tempsàpenseràelle.Elleest
partout,dansmonespritetdansmoncorps,jelasensjusqu’auplusprofonddemonêtre.Lorsquejerepenseàseshanchesquiondulentcontremoiquandjel’embrasse,jedeviensfou.Quelquepart,jemesensridiculementfierdemoiparcequelapatiencedontjefaispreuvedémontrequejetiensàelleplusquejen’aitenuàquiconquedansmavie,plusencorequejem’enpensaiscapable.Etmêmesijesaisqu’elleenaenvieautantquemoi,jeneluimetspaslapressionetjenefaispasd’allusionspourlaconvaincredesauterlepas.Est-cequejerepousse l’échéance de peur de regrettermon acte après coup ?Ou de peurd’êtreunepremièrefois?Jem’assoupisdevantuntéléfilmnauséeuxpuismeréveilleensursautavant
de réaliserqu’il est l’heurede la rejoindre.Aprèsavoirbuuncafépourmeréveiller, je quitte mon appartement pour la retrouver, non sans une pointed’excitation.Lorsquej’arrive,Miaestdéjàinstalléeaupianoetsesyeux,jusqu’àprésent
fermés,s’ouvrentdèsquej’entredanslapièce.Ilyacommeunesortedelienentrenousetellesentmaprésencesansavoirbesoindemevoir.Étrangement,c’estcomplètementréciproque.Unefoisplongésdans lessiens,mesyeuxneveulentpluslesquitteret j’ai l’impressiond’êtreseulavecellealorsquedesdizainesdepersonnesnousentourent,inconscientesdecequiexisteentrenous.Pour être honnête, je n’apprécie pas beaucoup son job, c’est dévalorisantqu’elle doive jouer pour des gens qui ne l’écoutent pas. Elle ne devrait paspasserinaperçue,lemondeentierdevraitvoiràquelpointsabeautéirradie,àquel point elle est talentueuse.D’autant plus que ce soir, elle porte une jolierobenoirequiluiarriveau-dessusdugenou,dévoilantsesépaulessidoucesàlateintecaramelquimedonnentenviedelagoûter,deladégustertoutentière.Je me demande ce qui me retient de grimper sur cette fichue estrade et del’enlever.LarobeetMiaelle-même,tantqu’àfaire.—Tiensdonc,Carter!s’exclameTerrenceens’approchantdemoietenme
tapantamicalementsurl’épaule.
Ce bon vieux Terrence ne change jamais, toujours aussi clean, enjoué ethypocrite.Ilabeaujouerl’hommed’affairesjeuneetcool,cemecestleplusgrosarnaqueurquelaterreaitengendré.— Bonsoir Terrence, je réponds avec une certaine distance en serrant la
mainqu’ilmetend.Jepensequ’iln’atoujourspassaisiquejemépriselesgenscommelui.Ils
me rappellent trop bien ceux qui m’ont fait devenir celui que je suisaujourd’hui.— Alors, tu admires ma magnifique pianiste ? me demande-t-il en riant,
commesij’étaissonpote.Jegrogneuneréponseinaudible,agacéparlamanièredontilaemployéle
possessifpourparlerd’elle,commesielleluiappartenait.Elleestàmoi,pasàlui.Àencroirelamanièredontillaregarde,iln’yariendepaterneldanssonregard.Espècedepervers.SesfillesontlemêmeâgequeMia,ildevraitavoirhonte.—Oui,elleest…Je la regarde et j’éprouve des choses inconnues, même si des millions
d’adjectifssebattentpoursortirdemabouche,aucunn’estàlahauteurdecequ’ellereprésente.Terrence,envoyantlafaçondontjemesuislaisséabsorberdansmacontemplation,semetàrirelentementetgrassement.— Je vois ce que tu veux dire. Tu sais quoi ? J’ai constaté une forte
croissancedunombredeclients,majoritairementmasculins…Alorsjecomptebienlagardersouslecoude,celle-là!Jesuissûrquec’estpourçaquetuvienssisouventtoiaussi,n’est-cepas?C’enesttrop.Jeluttepournepasluienvoyermonpoingdanslafigure.La
manièredont ilparled’elleme rend fou, jene supportepasqu’il s’en servecommed’unobjetluipermettantdefairedubénéfice.Jesuisàdeuxdoigtsdesortirdemesgondsquandjeréalisequejepeuxfairemieuxqueça.— En fait, je n’ai pas besoin de venir ici pour la voir parce qu’on est
ensemble,elleetmoi,jerétorqueavecunsouriresecmaistriomphantpendantqu’ilpâlitàvued’œil.Iltentedegardercontenancemaisjevoisbienqu’ilestgênéparsespropos
précédents.—Ehbienonpeutdirequet’esunsacréveinard,finit-ilpardéclareravec
unsourirecrispéavantdemequitter.Jesaiscequ’ilpense,çacrèvelesyeux.Cethommeestlàtouslessoirs,il
voit toutetn’ignorepasmesconquêtes.Saufquejemecontrebalancedesonopinion.J’aichangé.Jenesaispasquandnicomment,maisc’estarrivé.Etlaseuleavecquijecompterepartircesoirettouslesautresàvenir,c’estMia.Marc,soncollègueblond,meproposedemeservirquelquechosealorsque
je m’assieds au bar mais je décline et préfère plutôt contemplerMia jouer,presséqu’ellerevienneprèsdemoi.Etjeveuxquecesoitellequimeserve,jetrouveçaincroyablementsexy.Jelavoisbientôtquitterlerestaurantvideetrejoindrelesvestiairesenme
faisant un signede lamain au passage. Je suis légèrement déçuqu’elle ailleretirersarobequiluiallaitsibien.Enl’attendant, jesensleregardd’Amberquimebrûledansmondos,unregardemplid’unehaineàpeineretenue.Cettefilleme déteste et ça tombe bien car c’est réciproque.Elle ne pourra pas sedébarrasserdemoidetoutefaçonalorsautantqu’elles’habitueàmevoir.—JepeuxvousservirquelquechosemonsieurCarter?fredonneunevoix
musicalederrièremoi.JemeretourneetcroiseleregarddeMiaquivientdepasserderrièrelebar
pour commencer son second service. C’est plus fort quemoi, je passemesbras par-dessus le comptoir et saisis son visage entre mes mains avant del’embrasser.Quoiquejefassepourmevoilerlaface,çam’amanqué.Ellem’amanqué. Ses mains recouvrent les miennes et elle rit timidement avant des’écarter,légèrementplusrougequetoutàl’heure.—Jebosse,jen’aipasledroitdefaireça,murmure-t-elleensouriant.Elleatroquésarobepourunjeanclairetmoulantquidévoilesubtilement
sescourbesgracieuses.JevoistrèsbienqueMarcn’arrêtepasdeluijeterdescoupsd’œilet jedois faireuneffortpournepas luisauterà lagorge.JenepensepasqueMiaapprécieraitetpuisellen’ad’yeuxquepourmoi,detoutefaçon.—Danscecas,jevousprendraivous,serviedansmonlit,toutdesuite.Elleouvredegrandsyeuxet regarde rapidementautourd’elle,paniquéeà
l’idéequequelqu’unaitpum’entendre.Mêmesisaréactionmefaitplutôtrire,j’aipitiédesonairalarméetluidemandegentimentunebière.J’aitendanceàoublier qu’elle n’a jamais eu de copain, et faire des sous-entendus commecelui-cipeutparaîtremalvenuetmêmeunpeueffrayantpourelle.Jeneveuxpaspasserpourlemecquin’aqueçaentête,mêmesic’estvrai,quelquepart.Cettefilleestunréelcombustibleàelletouteseule;jesuisforcédedétournerlesyeuxde ses fessesqui s’activentdevantmoipouréviterdem’enflammersur mon tabouret. Mon sexe palpite déjà dans mon jean et je dois changer
fréquemmentdepositionpourmesentirmoinsàl’étroit.J’aibesoindeplusdeself-control.Ses délicatesmains de pianisteme serventmonverre et je la remercie en
agrippant l’une d’elle, provoquant un hoquet de surprise chez Mia. Je saisqu’elle apeurde se faire chopermais jem’en fous commedemapremièrechemise.J’aibesoindelatoucher.Ellesouritetsepenchesurlecomptoirpouratteindrediscrètementmonoreille,soudainplusaventureuse.—Situcontinues,jevaisvouloirtoutarrêteretmesauveravectoi.—Jet’enprie,jedemandeenlaregardantintensément.— Je suis désolée mais tu vas devoir m’attendre, rétorque-t-elle avec un
sourireencoinensecouantlatête.Je ris, démoralisé quand même de devoir attendre encore deux bonnes
heures. Finalement, je passe le plus clair de mon temps à l’observer tandisqu’ellesedémène, toutengardantunœilsursoncollèguequi la regardeunpoiltropsouventàmongoût.Maiscommentl’enblâmer?ElleadescourbesàfairepâlirMarilynMonroe.Sachutedereins,sesfessesrondesetfermes,satailledeguêpesontpourmoiunesourceinfiniedefantasmesaussitorrideslesuns que les autres. Elle me surprend à plusieurs reprises en train de lacontemplermais, à en croire son petit sourire et ses pommettes roses, ça laflatteplusqueçanelagêne.Tantmieuxparcequ’ellevadevoirs’yhabituer.Quandvientlafindesonservice,jevoisàsonsouriresoulagéqu’elleahâte
de s’en aller et de se retrouver seule avecmoi.Quand elleme rejoint, je laprends dans mes bras et la serre aussi fort que possible pour apaiser lafrustrationdecesdernièresheures,avantdel’embrasseràpleinebouche,sansune once de pudeur. J’espère bien que tous ses collègues nous regardent,commeça ilscomprendrontqu’elleestdéjàpriseetqu’il faudraitmepassersurlecorpspourl’atteindre.—Onyva?Ellehoche la tête et sourit avec enthousiasmeavantde saluerAmberd’un
signetandisquenousgagnonslasortie,maindanslamain.—Onnerentrepasàpied?demande-t-elleenremarquantquemavoiture
estgaréejustedevantl’entrée.—Pas ce soir, il fait plutôt frais et jemedisais qu’onpourrait aller chez
moi…Enfin si tu veux, j’ajoute, pour ne pas qu’elle ait l’impression d’êtreobligée.Ellemeregardeavecdegrandsyeux,sansrépondre.Jenecomprendspas
pourquoi elle a l’air sigênée jusqu’àcequ’ellebaisse lesyeuxau sol en setriturantlesmainsetquesesjouestournentaurouge.—Oh,jenet’emmènepaspour…ça,saufsituledésires,jevoulaisjustete
montreroùj’habiteetpasserlasoiréeavectoi.Elleme regarde à nouveau, àmoitié rassurée.Elle a cru que je faisais ça
pourcoucheravecelle…Biensûr,j’enaimortellementenviemaisj’attendraiqu’ellelesouhaite.Elleabeauenavoirenvieelleaussi,ellen’apasl’airprêtepourlemoment.—D’accord,allons-y,murmure-t-elledoucement.Je luiouvre laportièreet la laisseentrerdans lavoiture.Elleest toujours
étrangement calme,mais ne semble plus gênée ou effrayée. J’en déduis quec’est le signe qu’elle me fait suffisamment confiance pour me laisser laramener chezmoi sans craindre que je ne profite d’elle, ce que je ne feraisjamais.Unefoisinstallés,j’insèreundisquedanslelecteuretlaisselamusiquecréer une atmosphère plus détendue avant de prendre la route. J’habite seuldansunpetitappartementd’un immeubledeLexingtonAvenueàLenoxHill,dans l’UpperEastSide.C’estunappartementque jepossèdedepuisplusieursannéesetpersonnen’yajamaismislespiedsàpartMatt,monamidetoujours.C’estdireàquelpointcequisepasseavecMian’estpasanodin.Detempsàautre,jeluijetteunregardenbiaispourtenterdevoirsitoutva
bien,siçaneluifaitpaspeur.Peut-êtrequ’elleestaussipresséequemoi,enfindecompte.Entoutcas,aucundenousneparledurantletrajet,dansunesorted’atmosphère lourdemaispourtantchaudeet irrésistiblequimedonneenvied’arrêter lavoitureetde l’embrasserde toutmonsoûl.Mia respireplusvitequed’habitude,sibienquejemedemandesic’estàcausedel’angoisseoudel’excitation.Un trèscourtmoment,elle tourne la têteversmoietm’offreunpetit sourire, une lueurde timiditédans lesyeux.Et j’ai envied’elle commejamais.Le même silence agréable et chaleureux nous accompagne lorsque nous
montonsdansl’ascenseuretjenemereconnaisplus,jesuispresqueintimidé.Le seul contact que nous partageons est celui de nos bras qui se frôlent detemps en temps et de nos yeux qui se croisent sans s’attarder dans ceux del’autre.JevoisbienqueMiaestencoreunpeustressée,qu’elleappréhendedese retrouver seule avecmoi,mais jene ferai rienqu’ellenedésirepas et jeveuxqu’ellelesache.—Détends-toi,OK?Onvajusteregarderunfilmetcommanderàmanger,
pasdequoipaniquer,jemurmurepourlarassurertandisquej’ouvrelaporte
dechezmoi.Elle hoche la tête et sourit à l’évocation du programme de notre soirée.
Lorsquenousentrons,jeréalisequej’ailaissélafenêtredelacuisineouvertetoutelasoiréeetqu’ilfaitplutôtfroid.— C’est un magnifique appartement, murmure Mia en serrant ses bras
autourd’elle.C’estvraiqu’ilestplutôtcosy,avecunegrandechambre,etcommejen’y
suisquerarement,jefaisungrandménagedèsquej’ymetslespieds.Lestonssontplutôtneutresetdoux,iln’yapasdedécorationsuperflueetencoremoinsdephotosetdetableauxsurlesmurs.Enréalité,ondiraitplusunshow-roomIkeaqu’autrechose.—Merci.Tuasfroid?—Unpeu,admet-elle.Jesouris,m’approched’ellepuislaserredansmesbrasenluifrictionnant
ledospourlaréchauffer.—Mets-toiàl’aise,jevaist’apporterunecouverture.Quandjepénètredansmachambre,jesuissoudainfrappéparlaréalitédela
situation : Mia est chez moi, dans mon salon, dans mon intimité…Étrangement, j’aime ça, parce que j’ai le sentiment qu’un vrai changementvientdes’effectuerdansmavie.—Voilà pour toi, je déclare en l’emmitouflant dans un épais plaid blanc
tandisqu’elles’enfoncedanslecanapé,visiblementplusdétendue.—MerciColin.Jelaregarde,ellemeregardeetjenesaisplusquoifairedemoncorps.Je
lacontempleenhésitantàm’asseoirprèsd’ellepourlaréchaufferoubienàlalaisserlàpourallercommanderàmanger.Pourlapremièrefoisdemaviej’aipeurd’allertropviteavecunefille.—Viensàcôtédemoi, tum’aiderasàmeréchauffer,mesurprend-elleen
tapotantlaplaceàcôtéd’ellesurlecanapé.Ilnefautpasmelediredeuxfois.Enuneseconde,jemeretrouveprèsde
soncorpsetunimmensesentimentdedétenteetdesoulagementmesubmerge.Unsouriredebien-êtreétirelalignedemeslèvresetjemelaisseallercontreellepourqueplusriennenoussépare.Jel’attireencoreplusprèsdemoi,demanièreàceque ses jambespassentpar-dessus lesmiennesetque sa tête sepose surmon épaule.À cet instant, je ne pourrais pas être plus réchauffé, à
l’extérieurcommeàl’intérieur.—Qu’est-cequetuveuxfaire?jeluidemandeenprenantsesmainsdansles
miennes.—Peuimporte,répond-elledansunmurmure,jeveuxjusteêtreavectoi.—Tousvosdésirssontdesordres,mademoiselleHope,jerépondssansme
détacherd’elle.Jepasseunbrasderrièresatêtetandisqu’elleenfouitcelle-cidanslecreux
demonépaule.Elleestsimignonne,lovéedansmesbras,blottiecontremoi,àtelpointquenousnesemblonsformerqu’un…J’aimeraisquecemomentdureà jamais. Uniquement ce contact entre nos peaux, nos respirations quis’entrelacent, nos doigts qui s’emmêlent. Soudain, sans préambule, elle meregardeavecunecertainehésitation,avantdemedemander:—Combiendecopinesest-cequetuaseues?Jesavaisquecettequestionfiniraitparmetomberdessusunjouroul’autre,
cen’étaitqu’unequestiondetemps.Malheureusement,Miaachoisilemeilleurmomentpourplomberl’ambiance.Jedétourneleregardpourneplusavoiràla regarder, avec son expression innocente et pourtant curieuse… tropcurieuse.—Pourquoi tume demandes ça ? je réponds d’un ton plus sec que je ne
l’auraisvoulu.—Simplecuriosité,jeveuxjusteensavoirplussurtoi,murmure-t-elleen
haussantlesépaules.Lesfillesetleurfichuecuriosité.Franchement,jem’enseraisbienpassé.—Jen’aipasfaitdepetitescroixdansuncarnetpourmerappelerdetoutes
lesfillesquej’aibaisées,jerétorqueavantdepouvoirm’enempêcher.Maisc’est troptard, j’aibienprononcéchacunedecessyllabesassassines,
dépasséparmoninstinct.Jesuisvraimenttropcon.—Jenevoulaispas…Jesuisdésolé,cen’estpascequejevoulaisdire…je
balbutieencherchantsonregardtandisqu’ellesedétourne,blessée.Merde.Jeferaistoutpourluiretirercetairmortifiéduvisage.— C’est pas grave, m’interrompt-elle doucement en se mordant la lèvre
pourempêchersabouchedetrembler.—Si,biensûrquec’estgrave.Pourrépondreàtaquestion,jen’aijamaiseu
derelationsérieuse,j’aiseulement…
—«Baisé»?complète-t-elled’untonamerenrépétantcemotminablequejeviensdeluicracheràlafigure.Inutiledemevoiler la face,c’estexactement lemotquidéfinitceque j’ai
passédesannéesàfaire.C’estmalheureuxmaisc’estcommeça,c’esttoutmoi.—Oui,jefinisparrépondre,lesyeuxbaissés,honteuxdemoi-mêmepour
lapremièrefoisdemavie.—Combien, à peu près ?Sans avoir fait de croix dans un carnet, tu dois
bienavoiruneidée.—Çan’aplusaucuneimportanceMia,c’estdupasséettoitufaispartiede
monprésent.—Est-ceque je suis commeelles ?medemande-t-elle sansmequitter de
sonregardbouleversant.—Qu’est-cequetuveuxdire?—Est-cequemoiaussijenesuisqu’unedistraction,unjouetaveclequeltu
t’amusesavantdem’oubliercomplètement?Cen’estqu’unequestionsansamertume,seulementunepeurd’êtrebrisée,
trahie.Etçafaitmal.—Biensûrquenon.J’ailongtempsagicommeçaetj’enaihonte,vraiment.
Avec toi jeveuxqueçamarche.D’ailleurs, tues lapremière filleàpénétrerchezmoi.—C’estvrai?Elle semble tout à coup agréablement surprise et cet aveu a l’air de lui
redonnerunsemblantdejoie.— La seule et l’unique, je confirme en passant une mèche de cheveux
derrièresonoreille.Unsourirechaudetsincèresedessinesursonvisagetandisquejel’attireà
moipourl’embrasseretessayerdemefairepardonner,parcequejesensquemesmotsl’ontheurtéeplusqu’iln’yparaît.Leplaidglisseànospiedstandisquejelasoulèvepourladéposeràcalifourchonsurmescuisses,l’excitationmontant lentement en moi de la plus douloureuse des manières. Ses mainss’enfoncentdansmachevelure,provoquantdesfrissonsincontrôlablesenmoi,et les miennes sont férocement agrippées à ses hanches. Plus les secondess’écoulent,plusjemesensperdrelatête,etjenepeuxpasfairetairecedésirirrépressible qui me tue à petit feu. J’aime la manière dont elle me tire lescheveux en ondulant sur moi, la manière dont elle ferme les yeux sous
l’intensité de nos baisers. J’aime chacun de ses gestes, chacune de sesrespirations qui viennent s’infiltrer dansma bouche… Je la veux de la plusirrépressibledesfaçons.Mon sentiment de frustration ne fait qu’amplifier lorsqu’un gémissement
s’échappedeseslèvresetqu’ellesemetàmordrelesmiennes.Lespaupièresserrées,j’absorbechacunedessensationsquimesubmergentetjeréalisequec’estlapremièrefoisdemaviequejedésireautantunefemme.Jerêvedeladévêtiretdelasentircontremoimaisjenelepeuxpas…—Mia,stop…jegémissanstropdeconviction.Mais elle semble trop absorbée par notre baiser pour réaliser que je la
supplie de faire cesser cette torture. Je craque etm’écarte légèrement tandisqu’elles’immobilise,lespupillesdilatéesetlégèrementembrumées.—Onnepeutpas…jesouffleententantdereprendremarespiration.Lerythmeàlaquellesapoitrinemonteetdescendmeconfirmequecequeje
ressens pour elle est réciproque.Aprèsm’avoir offert un sourire gêné, elledescend de mes cuisses puis se laisse tomber sur le canapé à côté de moi,essoufflée.—Jesuisdésolée,jemesuislaisséemporter.Jepeuxvoir auxcoinsde sabouchequ’elle se retientde sourire. Je crois
quetoutescesexpériencesnouvellessontentrainderéveillerlalionnequiestenelle,cequisembleluiplaireplusquecequ’elleauraitimaginé.—Tun’aspasàt’excuserdequoiquesoit,jelarassureenposantunemain
sursacuisse,cequilafaitfrissonner.Siçanetenaitqu’àmoi,nousenserionsdéjààuneétapeplus…avancée.—Jenesaispasencoresijesuisprête…—C’estnormal,Mia, tun’aspasàêtregênée, jemurmureen remarquant
qu’ellearougi.Ettun’aspasnonplusàavoirhonted’êtreexcitée,j’ajouteensouriant.—Oui,j’imaginequec’estvrai…Ettoi?—Quoi,moi?—Toiaussitu…—Jepensaisqueçasevoyait,jerépondsenjetantuncoupd’œilversmon
entrejambe,cequilafaitrirenerveusement.Jeposeunemainsursajoue,passedeuxdoigtssurseslèvrestandisqueses
yeuxsuiventlemoindredemesmouvements.Ellelaisseglissersamainvers
ma gorge,mon torse, puis plus bas encore, sans sembler vraiment savoir àquoi s’attendre. Elle respire plus rapidement alors que sa main atteint monventre et un silencieux hoquet d’appréhension s’échappe d’entre ses lèvreslorsquesesdoigtsatteignentlesommetdelabossequis’élèvedeplusenplusdans mon caleçon. Elle contemple nos mains entrelacées sur mon corpscomme s’il s’agissait d’un joyau, les yeux brillants d’une lueur que je n’aiencore jamaisvuechezelle,une lueurque j’ai lachanced’être lepremieràvoir. Je crois que je donnerais ma vie pour ce regard à la fois innocent etardentcommelabraise.Ellesemetàpresserdoucementsesdoigtssurlabossedéjàvibrantesousla
tensionsexuellequinecessedecroîtretandisquejehalète,peinantàgarderunsemblantdecontrôle surmoi-même.Qu’est-ceque jenedonneraispaspourpouvoir l’avoir dansmon litmaintenant… Jeme penche vers elle et presseavecuneinfiniedouceurmabouchecontrelasienne,noslèvresquisemblentavoirétécrééespours’unir,etelleseremetàondulerdubassinalorsquejelareplacedanslamêmepositionsurmescuisses.Jequittesaboucheetembrasselapeaufineetdoucedesoncou,leslignes
subtiles de sa mâchoire, lui arrachant des gémissements de plus en plusperceptibles,demoinsenmoinscontrôlables.Lavoirselaisserallercommeçaestpurementfantastique,sublime.Jamaisjen’auraisimaginéqu’unefemmepouvaitêtresibellesansavoiràsemettreànu,jamaisjen’auraissoupçonnéque je tomberais sous le charme de la plus douce des félines. La voirs’abandonner sous mes baisers et mes caresses, les yeux fermés et la têterejetée en arrière,medonne envie deplus, de tellement plus que ceque j’aidéjàconnuetexpérimenté…Cettefois,ellenesembleplushésiterniavoirpeurdeprendrelesdevants;
sansquejenem’yattende,elledescendunemainverslaceinturedemonjeanpour presser lemont qui est sur le point d’exploser entremes jambes. Unesensation familièreparcourtmacolonnevertébrale, s’insinuedans la totalitédemoncorpsetjesensqueçaarrive,maisjenepeuxplusbougerniparler,jeparviens seulement à l’embrasser et à agripper ses hanches comme si ellepouvaitm’éviterlanoyade.C’estlà.Mesyeuxseferment,moncorpssecontractepuisserelâchesousle
coupdesspasmesquimesecouentdel’intérieurtandisquejemelaisseallerengémissant son nom, libéré de la pression qui me torturait depuis bienlongtemps.Jem’enivredel’odeurmerveilleusequiémanedesapeausucréeetdoucecommelasoietandisqu’ellereprendégalementsonsouffle,commesielleavaitressentilamêmechosequemoi.
Unsouriretimidesedessinesursaboucheetjesaisquecesoirnousvenonsde passer un palier des plus importants. Je viens de partager son premiermoment intime, c’estunechose inestimabledont jemesouviendrai toutemavie.—Commentest-cequetufaispourmerendreaussifou?jesoufflecontre
seslèvresenrepoussantlescheveuxquisontlégèrementcolléssursonfront.Enguisede réponse,elledéposeunbaiserdélicat surmaboucheavantde
laisserreposersatêtesurmapoitrineenriantdoucement,commesielleavaitdumal à croire à tout ce qui venait de se passer. Elle inspire profondémentcontremoncoupours’enivrerdel’odeurdemapeauetc’estlachoselaplusagréablequequelqu’unaitfaitpourmoi.Celasignifietellementplusquedesbaisers,tellementplusquedesjouissances…Jemesenssoudainemententier.Nous restons ainsi pendant plusieurs minutes et je sens sa respiration se
ralentirpeuàpeu,sesbrassefairepluslâchesautourdemoncou…Elles’estendormie. J’aimerais savoir comment ce petit bout de femme a pu metransformer de la sorte, comment elle a réussi à me rendre différent etdépendant en si peude temps. Je ne bougepas, de peur de la réveiller alorsqu’elle semble si apaisée, et je ne peux pas m’arracher au tableau qu’ellem’offre : son beau visage est détendu, sa bouche pulpeuse est entrouverte etellearboreuneexpressionsereine. Ilm’est impossibledefermer l’œilaprèscequivientdesepasser…Commentest-elleparvenueàprovoquerceséismesansmême aller plus loin que de délicieux préliminaires ? Comment est-cequ’elleapumefairetantdebiensansmêmeavoiràs’offrirentièrement?Tout doucement, je la soulève dans mes bras pour la mener dans ma
chambreetladéposersurlelittandisqu’elleremueunpeuenmarmonnantdeschosesinintelligibles.Enposantlesyeuxsursonjeanserré,jemedisqu’elleseraitplusàl’aisesijeleluiretirais.Alorsjeledéboutonneetlefaisglisserlelong de ses jambes dont la vue me provoque des frissons dans le dos. Sasilhouetten’arienàenvieràcellesdesmannequinsetsesjambessontdeloinlesplusdoucesetlesplusbellesquej’aievuesdemavie.Toujoursendormie,Miaseretournesurleventreetcequ’ellem’offreestau-delàdetoutceàquoijem’attendais.Bonsang.Sesfessessedévoilentsoussapetiteculotteencotonnoir, laissantassezdeplaceàl’imaginationetmedonnantleprivilègedelescontempler. Une vraie torture. Je détourne le regard pour éviter unecombustionspontanée,maisaussiparcequej’aiunpeulesentimentdeviolersonintimitéenlaregardantsansqu’ellenelesache.Jepliesoigneusementsonjeanetledéposesurlatabledenuitavantd’allerdanslasalledebains.
Lorsquejelarejoinssouslacouette,jelapressetoutcontremoipoursentirnos peaux nues l’une contre l’autre.Après ce qui vient de se passer, tout cedont j’ai besoin est son odeur enivrante et le contact électrisant de sa peaucontre la mienne. C’est ainsi que je m’endors, contre son corps brûlant,étrangement paisible pour la première fois dema vie. Jamais je neme suissentiaussibien.
Chapitre14
Mia
C’est le doux sonde la respirationdeColindansmoncouquime tire demon sommeil. Il est étendu contre moi, l’une de ses jambes par-dessus lesmiennes,samainpasséesousmontee-shirt.Lachaleurdesoncorpspresqueentièrementnucontrelemienfaitmonterlatempératuredemesjouesetjesuistentéedemepincerlebraspourvérifierquejenerêvepas.Maiscen’estpasun rêve,c’est laplusbelledes réalités.Sescheveux,qui
hésitententrelemieldesboisetuneteinteautomnale,mechatouillentlenez,etles rayons de soleil qui traversent les rideaux rendent lemoment plus irréelencore.Lorsquelessouvenirsdelanuitdernièredéfilentdansmonesprit,unsouriresedéposesurmeslèvresetjemesensrougir,presquegênéeàl’idéed’avoir fait une chose pareille. Je ferme les yeux et me remémore le beauvisagedeColinlorsqu’ilserraitlespaupièrespourcontenirsonplaisirenmemordantlalèvreetenmepressantcontrelui,jusqu’àfinalementlâcherprise.Je n’ai pas perçu la même libération mais je me suis sentie puissante etconfiante, parce que j’ai réalisé pour la première fois que j’étais capable dedonnerduplaisiràunhomme.C’estunsentimentincomparable,inexplicable.J’avaisl’impressiond’assisteràlascèneetdenousobservertandisquenousnousdévoilionsmutuellement.Je pourraisme sentir gênée d’en être arrivée là, pourtant j’ai aimé ce qui
s’est passé. J’ai aimé le voir se laisser aller devant moi, paraissant aussivulnérablequ’ill’estencemoment,laboucheentrouverte,entrainderonflerdoucement.J’aiaimélevoirs’adonneràunplaisirquejen’aijamaisencoreconnu.Jeneregrettepasuneseulesecondetoutcequej’aifaitdepuisquejesuisavecluietjesavourechaqueminutepasséeensaprésence.Untasdequestionsfusentdansmonespritetcellequirésonneleplusfort
concernemon abandon. Oserai-je lui offrir ma vertu ? Oserai-je le laisserpartager avec moi ce moment intime et unique ? J’ai souvent imaginé lamanièredontsepasseraitmapremièrefoisetl’incurableromantiqueenmoiatoujours souhaité que ça soit avec l’homme qu’elle aurait choisi, l’homme
qu’elle aimerait de tout son cœur. Un homme qui m’aimerait autant que jel’aime. Est-ce que Colin m’aime ? Je n’en ai pas la moindre idée, il estbeaucouptroptôtpourenjuger.Pourtant,jementiraisenprétendantquejenel’aimepas.Ceseraittrèsclichédedirequejesuistombéeamoureusedeluiàla seconde où je l’ai vu, que lorsque mes yeux ont croisé les siens j’aiimmédiatementsuqu’ilseraitl’amourdemavie…Jenecroispasauxcoupsdefoudre.Cesontdesfoutaises.Jepenseseulementqu’ilyadessortesdefilsinvisiblesquinouslientsansqu’onnelesache,jusqu’àcequ’onrencontrelapersonneàlaquelleonestliée.J’aitoujourssuqueceseraitparleregardqueje rencontrerai l’homme de ma vie. Parce que c’est par le regard que toutpasse, comme ledisaitGeorgesRodenbach :«Lesyeux sont les fenêtresdel’âme. » Et Colin possède deux fenêtres profondes, miroitantes et pluséloquentesquelapluslonguedesautobiographies.Je lève doucement une main et caresse ses cheveux ébouriffés en
contemplant son visage endormi avec admiration. Il est si beau que j’enpleurerais ! Ses lèvres légèrement écartées sont un appel aux baisers et soncorpsbrûlantcontrelemienapaisemonâme.Jemesensbien,mieuxquebienmême,carjesaisquemaplaceestici.Auprèsdemonpremieramour.Lefaitde m’avouer que je l’aime supprime les derniers doutes qui subsistaient enmoi.C’étaitécrit,jedevaislerencontrer.Je suis toujours absorbée dans ma contemplation lorsque quelque chose
attiremonregard.Justesoussonaisselledroite,sur toute la longueurdesescôtes, s’étend une grande déchirure que je prends tout d’abord pour unecicatriceavantderéaliserqu’ils’agitd’untatouage.Untatouagetrèsréaliste,pourlecoup.Jepenchelatêteafindemieuxlediscerner.Ils’agitd’unegrandeouverturedanssapeau,commesielleavaitétélittéralementdéchirée,etsouslaquelleestinscriteunephraseàl’encrenoiresurunfonddélavéauxcouleursdudrapeauaméricain.C’est sibien faitquecela semble réel.C’est fascinant.J’ai l’impression de découvrir Colin sous un tout nouveau jour, moi quipensaisqu’ilnepouvaitpasêtreplusattirant,sontatouagevientdemeprouverlecontraire.Sonbrasencacheunepartie,cequim’empêchedelirelaphraseen entier. Je perçois uniquement lesmotsman,die, et live…Je promène undoigtlégersurlescontoursdutatouagetoutencontemplantsoncorpssvelteàla peau hâlée et douce, son torse dénué de défauts, ses abdos sculptés et sesbras solides aux muscles dessinés. Il est parfait, tellement parfait que jecommence à sentir chacun de mes défauts, de mes kilos en trop, chaquegrammedecellulite…Toutcequifaitdemoiunêtreimparfait.
LesplaquesmilitairesautourducoudeColinlerendentplussexyencore.Jesuis justement en train de me dire que j’aimerais découvrir le reste de soncorps lorsqu’il se met à remuer avant de se tourner sur le dos, ce qui faitglisserlepeudedrapquilerecouvraitencore.Jepeuxdésormaisdévorerduregard son corps d’Apollon dans sa totalité. Je remercie Dieu une bonnecentainedefoispouravoirexaucémaprière.Cerise,chocolatetchantillysurle gâteau : il possède un second tatouage sur le côté droit de l’aine,partiellement dissimulé par son boxer, mais je peux voir qu’il s’agit d’uneflammedessinéeàl’encrenoire.Jesongeensouriantqu’ellenepourraitpasêtreplusadéquate:Colinestunréelcombustibleàluitoutseul.Monindexcontinuesonaventure, ilpoursuitsaroutesurlecorpssublime
deColin,de sa flammeà sonventre,de sonventreà sonépaulepuisde sonépauleàsonvisage,où il finitsacourse.Ducoinde l’œil, jevois lentementmais distinctement unebosse apparaître sous le boxer de cet hommequimefait rêver et, ignorant la chaleurqui s’emparedemonvisage, jedétourne leregardpour croiser le sienqui papillonne, fraîchement réveillé.Les rideauxlaissententrerunelumièrepâlequidonneunecouleuruniqueàsesprunelles,ungrisstriéd’uncamaïeuturquoisequitransperceinstantanémentmonâme.Etsonsourire…Sonpetitsourireencoinensommeillépourraitàluiseulcauserma mort. Je me laisse quelques secondes pour reprendre mes esprits etramassermoncœurtombéàmespieds.—Bonjour,murmure-t-ild’unevoixrauqueetsensuelle.—Biendormi?Ilesttoutsimplementdivin,jeneveuxmêmepassavoirdequoij’ail’airà
côtédelui.Aulieuderépondre,ilseredressesuruncoudeetdéposeunbaisersurmes lèvres,avantde tournersonregardvers lasourcedemonembarrassoudain:sonboxerprêtàcraquer.—C’estlematin…dit-ilsuruntond’excuseenhaussantuneépaule,amusé
parmagêne.Jenesaisplusoùmemettre,monaudacedecettenuits’estenfuiebienvite.— Pour répondre à ta question, murmure-t-il en se penchant sur moi de
manièreàmerecouvrirdesontorse,oui,j’aibiendormi.Trèsbiendormi…Ettoi?—Oui…jesouffleaveclepeud’airquimerestedanslespoumons,presque
sansvoixdevanttantdesensualité.Siquelqu’unimmortalisaitcemoment,onpourraitvoiruncouplededeux
illuminés:unefilleauxjouesrougesetàlaboucheouverte,fermantàmoitiélesyeux,etunhommeavecunsourirelubriqueetuneérectionmatinale.Géant.—Qu’est-ce que tu veux faire aujourd’hui ?me demande-t-il doucement,
unelueursuggestivedanslesyeux.— Je pense qu’il est un peu tard pour aller en cours alors autant en
profiter…touslesdeux.Jesuistellementobnubiléeparsesyeuxquinelâchentpaslesmiensquej’ai
àpeineconsciencedecequejedis.—Tuasbienraison…Ilplaqueseslèvrescontrelesmiennes,passesesmainssousmontee-shirtet
nousfaitroulersurlematelasdemanièreàcequejesoisànouveausouslui.Je suis partagée entre le désir et la frayeur que tout ça aboutisse à plus…Àmoinsquejen’attendesecrètementqueça?Aumomentoùjenousvoisemprunterunevoieplus…audacieuse,ilsemet
soudain àme chatouiller les côtes, sans pitié. J’ai beau crier et gesticuler, ilpèsedetoutsonpoidssurmoietjesuisincapabledelerepousser.—Arrête!jehurleenpleurantderire.Stop!—Lemotmagique?medemande-t-il,unsouriretaquinauxlèvres.—S’ilteplaîîît!Ils’arrêteetse laisse tomberàcôtédemoienriant tandisquejereprends
marespiration,àboutdeforces.Lorsquejetournelatêteverslui,jevoisunetellepuissance,unetelleintensitédanssonregardquejeporteunemainàsonvisageetpassemonpoucesursajouetandisqu’ilfermelesyeuxetinclinelatête,soudainementpluscalme.Malgrémonenvie,malgrélessupplicationsdemoncœur,jerésisteàluidévoilermessentiments.Jemeursdeluimurmurertouthaut ceque jepense toutbas,de luidireque je suis tombéeamoureuse,qu’ilvientdechamboulermavie…quejel’aime.Maisjesuiseffrayéeàl’idéedelefairefuir.J’aipeurqu’ilvoiedansmonaveuunengagementtroprapide,qu’ilseretrouvedosaumur,etpar-dessustoutqu’ilmedisequeçan’estpasréciproque.C’estpourquoijeravalemesmotsetluisouris,l’airderien,avantdeluidemander:—Qu’est-cequetuveuxfaire,toi?Ilfaitminederéfléchirensegrattantlementontandisquejelecontemple,
lesourirejusqu’auxoreilles.—Jen’airienentêtequin’impliquepasdetedéshabiller,finit-ilparlâcher
enmefaisantéclaterderire.Ilm’attireàluid’ungestedubras,unedesesmainsseposesurmatailleet
l’autredégageunemèchedecheveuxdemonvisage.— Alors que dirais-tu d’une journée juste entre toi et moi… avec nos
vêtements ? jemurmure en souriant. J’aimerais qu’on y aille doucement, tucomprends?Ilmesourittendrementethochelatêteencaressantmajoue.—J’attendrailetempsqu’ilfaudra,missHope.—Merci,monsieurCarter.—J’aimequandtum’appellesparmonnomdefamille.—Pourquoi?—Aucunefemmenem’ajamaisappelécommeça.Jetrouveçaexcitanten
fait.—Jeprendsnote…Carter,jechuchoteavecunclind’œil.Etilm’embrasse.
Colin avait peut-être raison en disant qu’Amber est envahissante, ellem’a
appeléedix-neuffoiseta laissépasmoinsdedixmessagesvocauxquejeneprendspas lapeined’écouter jusqu’aubout. Je saisqu’elledoit être follederagemais l’effetColinCarter a annihilé tout le reste, si bien que j’ai perdutoute notion du temps. Réalisant qu’elle doit être en cours, je lui laisse unmessageenm’excusantdenepasavoirréponduetenluiassurantquejevaisbien parce que, la connaissant, elle doit s’imaginer tout un tas de scénariosimprobables. Je découvre ensuite un message de Stephen Riggs, l’agentimmobilierdontAmberm’aparlé ilyaquelques jours. Ilditqu’ilauraitunappartement à nous faire visiter dans la journée. Je transfère le message àAmber.Ilparaîtqu’ilconnaîtbiensonpèreetqu’ilesttrèscompétentdanssondomaine.—QuiestStephenRiggs?Jeme retourne pour tomber nez à nez avec unColin curieux qui regarde
l’écrandemonportablepar-dessusmonépaule.Direque je suismécontentequ’ilsoitunpeujalouxseraitungrossiermensonge.—Monamant,jerépondsenbattantdespaupières.Ilmefusilleduregardpuism’agrippeparlatailleavantdemefairereculer
jusqu’àcequejesoiscolléeaumur.Plaçantsesmainsdechaquecôtédematête,ilmedominedetoutesahauteuretjamaisjenemesuissentiesipetiteetvulnérable…Bizarrement,çameplaît.—T’aspasintérêt,gronde-t-ilenserrantlesdents.Tuesmiennemaintenant,
personnenetetoucheraendehorsdemoi.Est-cequ’ilfaitçapourêtreimpressionnantouest-cequ’ilestréellementen
colère?Jenepourraispasenêtretotalementsûreetsesparolesmefontvibrerplusqu’ellesneledevraient.— À vos ordres mon commandant ! je m’exclame en faisant un salut
militaire,unsourireangéliqueauxlèvres.Il secoue la tête, attendrimalgré lui, avantdepresser ses lèvrescontre les
miennes,sauvagement,avidement,etdemesouleverdanssesbrastandisquej’enroulemesjambesautourdesataille.Notrebaiserestlefruitdenotredésiretdenotrefrustrationcaraucundenousdeuxn’atrouvélecouragedepasseràl’étape supérieure, et même si je le désire plus que tout je n’arrive pas àexprimercesouhait.J’ail’impressionquedesheuress’écoulentavantqu’ilnes’écarte et me dépose au sol, essoufflé et affamé autant que je le suis, enappuyantsonfrontcontrelemien,lesyeuxfermés.Ilal’airàboutdeforces.—Qu’est-ce quim’arrive ? souffle-t-il presque imperceptiblement contre
meslèvres,l’airtroublé.J’aimerais dire quelque chose, malheureusement je ne possède aucune
réponse à cette question qui ne cesse de se répéter dans mon esprit. Ilsembleraitquenoussoyonstouslesdeuxperdus.Délicieusementperdus,maisperdus quand même. Un changement s’opère en nous et nous avons beauessayerdelecombattre,ilnoussubmergebientroprapidement,bientropfort.Colindéposeunbaisersurmeslèvresavantdemequitterpourpasserdanslasalledebains.Quelquesminutesplustard,ilmerejointdanslacuisine,cequim’alaisséle
temps de préparer un petit déjeuner constitué de tartines, de bacon, de jusd’orange et de café – pour lui. Colin est encore ruisselant, ses cheveuxmouillés tombent devant ses yeux et il ne porte qu’une serviette enrouléeautourdelataille,sibassequejepeuxvoirlaflammequienjolivelecôtédroitdesonaine.Silaserviettedescendaitencoreunpeu…— Tu veux prendre une douche ? me demande-t-il en s’approchant, me
sortantdemonrêveéveillé.—Jeveuxbienmaisjen’aipasprisdesous-vêtementsderechange.
Ilmeprendparlataille,collesonfrontaumienpuismemordilleleboutdunezenchuchotant:—N’enmetspasdanscecas.Moncœuresttropfragilepourcegenrederéplique.— Tu peux prendre un de mes boxers, ajoute-t-il malicieusement devant
monexpressionétonnée.Je souris, dépose un baiser sur sa joue puis gagne la salle de bains. La
pensée quime vient aussitôt est : Je vais prendre une douche là oùColin setenaitnuilyaencorecinqminutes…—Prêteàdécoller?JeviensdesortirdelachambredeColin,rafraîchiemaisportantmeshabits
de laveille,avecenprimeundesesboxers.C’estétonnammentconfortable.Colin est assis sur l’un des tabourets de bar en train de boire son café, sescheveux sont encore un peu humides ce qui leur donne une couleur presquebrune, et il est vêtu d’un jean un peu usé et d’un tee-shirt blanc sur lequelpendent ses plaques militaires, très simple mais pourtant si séduisant. Il estvraimentcanon.Jen’arrive toujourspasàcomprendrecequ’ilpeutbienmetrouver.—Oui!Onvaoù?—Jemesuisditquetuaimeraispeut-êtreallerauzoo…?—Avecplaisir!jem’exclametandisqu’ilsouritdevantmonenthousiasme.J’yallaissouventquandj’étaispetiteavecmonpère,cesontdessouvenirs
que je garde en mémoire et dans mon cœur à tout jamais. Il me manquetellement…Monportablesemetàvibrerdansmapocheet je lesaisispourvoirqu’il
s’agitd’Amber.—Ilfautvraimentquejeréponde…jem’excuse.Colinsoupireetcontinueàboiresoncafé,lessourcilsfroncés.Jesaisàquel
pointildétesteAmber.Évidemment,cettedernièrenemanquepasdemehurlerdessuspendantcinq
bonnesminutes,mereprochantd’êtreunemauvaiseamieetdel’avoirlaissées’inquiéter toute la nuit…mais elle se calme rapidement, trop curieusepourrésisteràl’enviedemeposerdesquestionsaussi indiscrèteslesunesquelesautres.C’estmonamieetjel’adore,maisj’aidumalàrépondrehonnêtement
àsesquestions:cequisepasseentreColinetmoinousappartient.Jerépondsdonc évasivement et la préviens que je risque de louper quelques jours decoursafindeprofiterdelaprésencedeColinavantsondépart.Mêmesiçanel’enchante pas, elle n’en laisse rien paraître et raccroche en me répétant defairebienattention,pournepaschanger.Colin etmoi nous rendons à pied au zoo deCentral Park qui se trouve à
environ un quart d’heure de chez lui, main dans la main, comme un vraicouple. Quand je pense qu’il y a encore quelques semaines je pensaiscommencerunenouvelleannéeseuleetfocaliséesurmesétudes,jeréalisequesil’onestdestinéàrencontrerunepersonne,ilestinutiledelutter.Colindevaitavoirunrôleàjouerdansmavieàunmomentouàunautre,etsicemomentn’avait pas été ce fameux soir au Terrence’s, nous nous serions peut-êtrerencontrés dans cinq ans dans leColorado ou en vacances à l’autre bout dumonde.Nouspassonsnotreaprès-midiàdéambulerdanslezoo,entourésd’enfants
excités et de parents épuisés, et je suis si heureuse que j’ai l’impression deretourneruninstantenenfance,quandjepointaisdudoigtlesanimauxsousleregardaimantdemonpère.C’estàpeuprèslamêmescèneaujourd’hui,saufqueçasepassedixansplustardetquecequ’ilyadansleregarddeColinestimpossibleà identifier. Ilparaîtà la foisamusé,attendrietune lueurétrangebrilledanssesyeux,unelueurquejevoislorsquejelesurprendsentraindemecontemplerouquejedéposeunbaisersursajoue,commes’ils’efforçaitdemecomprendreouplutôtdesecomprendrelui-même.Çadoitluisemblerbizarrede consacrer autantde tempsàune fille sans coucher avec elle, sanssonger au sexe demanière systématique. Pour la première fois de sa vie, ils’adonneaupartageetàl’échange,àlacommunicationetauxsentiments…Ilestaussinovicequemoi,aufinal.Jeréaliseauboutd’unmomentquejenel’aipasvusouventadmirerlesanimaux,ilpassaitleplusclairdesontempsàmeregarder,moi.Sesyeuxétaientpresquetoujoursposéssurmoi,surnosmainsentrelacées, surma bouche, surmes yeux…Comme s’il désiraitmémoriserchacundestraitsdemonvisage.—Prenonsunephotode nous, je propose en sortantmonportable dema
petitesacochealorsquenoussommesassissurlapelouseduparc,ausoleil.—Non,jenefaisjamaisdephoto!Ilsecouelatêteenriantavantdeselaissertombersurledosdansl’herbe,
maisjesuisbiendécidéeàremportercecombat.—S’ilteplaît!Uneseuleetpuisjetelaissetranquille,j’insisteenluifaisant
lesyeuxdoux.Ilme jaugedu regard, semord la lèvre…puiscapituleen soupirant et en
roulantdesyeux.Jesuisirrésistiblementconvaincante.Monsourirevictorieuxlefaitrireetjeluitendsmonportablepourqu’ilprennelaphoto,avantdemecollercontreluietdedéposerunbaisersursajoue…saufquejesuisencoreenmouvementlorsqu’ilappuiesurledéclencheur.—Non!Jen’étaispasprête!jem’insurge.Sur la photo, on me voit de profil penchée vers lui tandis qu’il sourit
timidement.—DésoléMia,maistuavaisdituneseule.Il ne peut s’empêcher de sourire devant mon regard assassin et de
m’embrasserdoucementpourfairedisparaîtremamoueboudeuse,cequialedondemarcheràmerveille.Unvraimagicien.Jeregardeunedernièrefoislaphotoetjesongequec’estfinalementlaplusbelledesphotosquej’aie,parcequec’estl’uniquequejepossèdedenous.—JedoisvisiterunappartementmaisAmbernepeutpasvenir…Çatedit
dem’accompagner?Colin et moi sommes sur le chemin du retour et je viens de recevoir un
messaged’Amberquim’expliquequ’elledoitpasserchezsesparents,samèrel’ayantappeléeencoreunefois.— Pourquoi pas ! répond-il en haussant les épaules. C’est dans quel
quartier?—Tribeca.—C’estunpeuloin,non?—Dequoi?—Demoi.Oh.—Cen’estqu’àunevingtainedeminutes…LeColorado,parcontre,c’est
vraimentloin,jeremarque.—Touché, admet-il en français, un sourire en coin.Allonsdéjà récupérer
mavoiture.StephenRiggsestunhommetrèssympathiqued’unecinquantained’années.
Un peu trop sympathique, en réalité. Il a l’air tellement décidé à louer cetappartement que je dis amen à tout juste pour pouvoir me sauver. C’est unmagnifiqueappartementdepresquedeuxcentsmètrescarrés,bientropgrandetbientropcher.Jamaisnousnemettronsautantd’argentdansunloyeralorsquenouspouvonsnouscontenterdebienplusmodeste.Colin,quiaremarquémonmalaise,estrestésilencieuxdepuis ledébutdelavisite, ilsembleplutôtamusé par mon incapacité à dire non. C’est vrai que je suis parfois tropgentille,saufquelà,jemeretrouvecoincéedanscetappartementhorsdeprixsansosercouperRiggsdanssonsibeaulaïus.—Tun’espasobligéedeleprendre,tusais?mechuchoteColinalorsque
l’agentaledostourné.—Jesais,maisjen’arrivepasàl’arrêter…—Tuesirrattrapable,soupireColinavantdetapoterl’épauledeRiggs.Celui-cis’interromptetfaitvolte-face,unpeuétonné.—Oui?—Onneleprendpas,déclareColinleplusnaturellementdumonde.—Oh,jevois,trèsbien.— On voudrait quelque chose de plus… Mia, dis-lui, c’est toi le chef,
rétorquemonadorableColinenmefaisantunclind’œilcomplice.—Ehbienenréalité,monsieurRiggs, jesouhaitaisquelquechosedeplus
abordable et de moins grand… Un appartement plus authentique, un peubohème.Vousvoyezlegenre?J’aien tête les imagesde l’appartementparfait, le toutestde le trouveren
vrai,cequis’avèreplusarduquejenelepensais.— J’ai exactement ce qu’il vous faut, répond Riggs après unmoment de
réflexion.Jevousrecontacterairapidement.—Mercibeaucoup,monsieur.Ilnousconduitàlasortie,nousserrelamainpuiss’éloignetandisquenous
regagnons la voiture. Sur le chemin, Colin me reproche mon excès degentillesse qui pourrait me jouer des tours, ce à quoi je ne trouve rien àrépondre. Il a raison et je le sais, mais je déteste décevoir les gens, ce quiimpliquedetoujoursessayerd’allerdansleursens.Nousarrivonschezluiauxalentoursdevingtheures,etjemelaissetombersurlecanapé,exténuée.—J’aipasséunesuperjournée,déclareColinens’asseyantàcôtédemoi.
Lameilleuredepuisunmoment,enfait.
—Moiaussi,c’étaitgénial.Il m’offre un petit sourire en coin auquel je ne résiste pas, alors je
m’approche lentement, enroule mes bras autour de son cou et l’embrasse.Notrebaiser,audépartléger,seréchauffelorsqueColinmepressecontreluietquesalanguesemetàembêterlamiennedelaplusdélicieusedesmanières.Bien vite, jeme retrouve allongée, nos corps collés l’un contre l’autre, nosbouches,nosmainssecherchant, secaressantet sedévorant,et jecroisbienque même si le monde avait cessé de tourné, je ne m’en serais pas renducompte. La tension entre nous est à son paroxysme, à un tel point quel’embrassermefaitpresquemal,metortureintérieurement.C’estcommesilapuissancedemondésirpour luime tiraillaitde touscôtés.Bonsang, jen’aijamaiseuautant enviede faire l’amourdemavie.Et il sembleraitque jenesoispaslaseule.—Mia…Colinmecontempleavecunelueursauvagedanslesyeux,sespupillessont
sidilatéesquesesyeuxparaissentpresquenoirs.—Oui?Mavoixn’estplusqu’unsoufflehaletant,sibienquejemedemandes’ilm’a
entendueavantqu’ilnemurmurelesmotsqui, jelecrois,étaientceuxquejemouraisd’envied’entendre.—J’aienviedetoi.—Moiaussi.Sonvisages’illumine.Unsourirepresque timidesedessinesur ses lèvres
tandisqu’ilm’embrasseànouveauetqu’ilmesoulèvedanssesbraspourmemenerdanssachambre.Jesaiscequivasuivre,etmêmesiuntracintensemetord leventre,mondésirest tellement incontrôlablequ’il surpasse tout.Monamour pourColin estmon allié le plus précieux en cemoment, ilm’aide àavancersansêtreassaillieparlapeur.Jemecontentealorsdemelaisserallertandisqu’ilm’allongedélicatementsursonlit,commesij’étaislaplusfragiledesfleurs,soncorpspenchéau-dessusdumien.L’atmosphèrebrûlantesemblepourtant légère, j’ai l’impressionde survoler la scène et nous regarder d’enhautflottersurunnuagebaignédedésir.Cethommemerendfolle,ilparvientà me brûler la peau d’un seul regard, à faire chavirer mon cœur enm’effleurantetàmetueràcoupsdebaisers.Jeledésireplusquejen’aijamaisdésiréquiquecesoitdansmavie.—Tuessûredecequetuveux?demande-t-ilprudemment.
—Plusquejamais.Je lutte pour contrôler les tremblements demavoix qui paraît remplie de
millions de vibrations émanant du plus profond demon être. Colin prend ànouveaumeslèvresd’assauttandisquesesmains,enfinautoriséesàexplorermoncorps,glissentsurmapeauenprovoquantdesfrissonsincontrôlablessurleurpassage.C’estfoumaisjeressenslesmêmespicotementsgrisantsquelapremièrefoisquenousnoussommestouchés,ilyaquelquessemaines,etquenousnousdécouvrionspourlapremièrefoisdanslapénombredubar.Il est à présent assis à califourchon sur moi et me contemple pendant de
longuessecondes,commesiplusrienn’existaitetquele tempss’étaitarrêté.Ses yeux, profondément ancrés dans les miens, sont plus brillants que decoutume.Ilsemordlalèvre,souritpuisposesesmainssurmonventreavantdereleverlentementmontee-shirt,troplentement,sibienquejepeuxpresquevoirma jauge de désir exploser. Jeme cambre pour l’aider etme retrouvebientôtensoutien-gorgedevantsesyeuxsombresetémerveillés,unnœuddansl’estomac.C’estlapremièrefoisquejesuisaussidénudéedevantunhommeetje bénis la lumière tamisée de la chambre, parce que je dois être rougecoquelicot.Toujoursaussidélicatement,Colinsebaisseetdéposedelégersbaiserssur
monventreenmesaisissantparleshanches,puisremontelentementversmapoitrine toujours cachée sousmon soutien-gorge noir. J’ignore comment ilfaitpouravoir l’airaussicalmeetmaîtrede luiparcequemoi j’aidumalàrespirer et à réprimermes gémissements, impatiente de le sentir partout surmoi.Enmoi.Lorsqu’il parvient à mes seins, il passe une main derrière mon dos puis
dégrafe mon soutien-gorge avant de me caresser les épaules et les bras enfaisantglisserlesbretelles,delamêmelenteurfrustrante.Ilnesefaitensuitepasprierpourenvoyervalser lederniermorceaude tissuqui recouvraitmapoitrinedéjàfrissonnanteetavidedecaressesetdebaisers.Jecroisquejamaisjen’oublieraileregardqu’ilarboreencetinstantencontemplantmapoitrinenue, un regard qui me fait me sentir belle et désirée, un regard quim’enflammedetoutepart,sibienquelecontactdesesmainscontremapeaumesembleêtrelamorsured’uneflamme.Larudessedesesmainsmedonnelachairdepoule,maisc’estsibonqueje
doismemordrelalèvrepournepasgémirsousl’intensitédesescaresses.Jerêvedelevoirnu,luiaussi.Sesmainsremontentversmapoitrineeteffleurentmesseins.C’estsiexaltant,délicieuxetdifférentdecequejeconnais.Jesens
soudain sa bouche se refermer sur l’une demes pointes érigées, la chaleurhumide m’arrachant un gémissement de pur plaisir. La sensation est toutsimplementmerveilleuse.—Tuestellementbelle…murmureColind’unevoixgrave.Tapeauestsi
douce…Je ne respire plus. Comme seule réponse, je lui offre un minuscule
gémissementquiressembleàunmiaulementdechaton.Jemeursdeplaisir,latensionesttellementélevéequejesuispresquesoulagéelorsqueColinbonditquasimenthorsdu litpoursedévêtir.Etc’est làque jeréalisequeDieuadûsacréments’appliquerlorsqu’ilpeignaitsonportrait.Çayest.Le regard avec lequel il me fixe en défaisant sa ceinture pourrait être
responsableàluiseulduréchauffementclimatiqueetdelacréationdusystèmesolaire.C’estscandaleusementsexy.Jecroisquejepourraispresqueavoirunorgasmerienqu’enleregardantsedéshabiller.Commentdiablepeut-onêtresibeau? J’aidevantmoi l’incarnationdumotparfait.Colin envoievaldinguersontee-shirtàl’autreboutdelapièceenmedonnantleloisirdelouchersursontorseparfait,puissonjean.Levoirpresqueentièrementnudevantmoimedonnedespalpitationsparcequejeréalisequejevaisbienfairel’amourpourlapremièrefoisdemavieetque,oui,j’aiunechanceincroyabled’êtretombéesurleplusbeaumecdelaplanète.Mon cœur ne tient plus trop la route mais je me retrouve au bord de
l’infarctuslorsquejelevoiscommenceràretirersonboxer.Jecroisquej’aipeur.Leboxer rejoint trèsvite lepetit tasdevêtements au sol et tout cequej’arriveencoreà faireest le regarderdans lesyeux,sansbrisernotre liensiprécieux.Soncorpsparfait est toujoursdevant le lit àunmètredemoi et jelutte,jelejure,maismesyeuxfinissentparmetrahiretsedirigerpleinsud.Jecroisquejevaisconvulser.Alorsc’estàçaqueçaressembleenvrai?Ilmerejointsurlelitpuissemetàgenouxdevantmoiavantdemepousser
légèrement pour que je m’allonge sur le dos. Il dépose des baisers surl’intérieur demes cuisses, à traversmon jean, puis le tire vers le bas pourm’en débarrasser. Lentement, il vient à nouveau poser ses lèvres le long demes jambes, en passant par l’intérieur de mes cuisses, endroit qui me faitglousser commeune folle.Disonsque je suisparticulièrement chatouilleuse.Un sourire aux coins des lèvres, Colin finit sa course vers le boxer que jeporte,sonboxer.Etjenerissoudainementplusdutout.—Tuasl’odeurdudésir,murmure-t-ilens’enivrantdemoi,répandantun
feudansmesveinesenmefrôlantdeseslèvres.
Ilveutmamort.Sansplusattendre, ilmedébarrassedemonderniersous-vêtement,melaissantpantelante,nueetàsamerci.Chaquebaiserqu’ildéposesurmapeaumebrûleetm’exciteautantqu’uncharbonardent.Jecrainsdenepas survivre jusqu’au bout. Colin revient à mes lèvres et m’embrassetendrement sans cesser de parcourir mon corps de ses mains si douces etpourtantrudes,laissantunetraînéedefourmillementsderrièrechaquecaresse.Mesmainsàmoi?Ellessontaccrochéesàsachevelurecommes’ilétaitmabouéedesauvetage.Jesuisincapabledelelâcheretj’ignoresiçaluifaitmalmais,àencroirelamanièredontilhalète,çaneluidéplaîtpas.C’estquandilcommenceàpressersoncorpscontremoiquejeperdslaraison.Jevoudraisprofiter des sensations qui m’assaillent sauf que, sous mes yeux ébahis, ils’écartesoudaindemoietse lèveavantderécupérersonjeanetde l’enfiler.Est-cequec’estuneblague?—Qu’est-ceque…—Chut.Resteicietnebougepas,compris?Jerevienstoutdesuite.Battements de paupières. Incrédulité. Silence. Il m’abandonne sans
explications et quitte précipitamment son appartement en claquant la portederrièrelui.Commenta-t-ilpumelaissercommeçaalorsquenousétionssurlepointdelefaire…?Iln’aenfiléqu’unjeanavantdesesauverlittéralement.Qu’est-ce que j’ai bien pu faire ? Sans doute quelque chose de travers, meconnaissant.Jen’ycomprendsplusrien.Nouveauclaquementdeporte.Ilestderetour.Jerespire.C’estavecunsourirerassurantqu’ilrevientdanslachambre,unpaquetde
préservatifsàlamain.Ilnepouvaitpastoutsimplementmedirequ’iln’avaitpasdecapotes?Çam’auraitévitéderuminerpendantcinqminutes.Unepetitevoixenmoi jubileenréalisantques’iln’enavaitpas,c’estparcequ’ildisaitvraietqu’iln’avaitjamaisramenéunefillechezlui,etaussiqu’iln’avaitpasplanifiédecoucheravecmoicesoir.Riendeprémédité,donc.Jemedemandeun court instant d’où ils proviennent puis je me rappelle qu’il y a undistributeur automatique juste au pied de l’immeuble. Merci New York, tusauvesmasoirée.Colinretiresonjeanpuissejettesurlelit.—Jecroyaisque tum’avaisabandonnée, jemurmureenrougissant tandis
qu’ildéposeunbaisersurmeslèvres.—Quoi?dit-ilenriantetenseredressant.Mêmepasenrêve.Iltendlebraspours’emparerdelapetiteboîtequiattendpatiemmentàcôté
de nous. Le trac, qui avait eu le temps de redescendre pendant son absence,revient tout à coup. Voir cette boîte dans ses mains rend les choses plusconcrètes.—N’angoissepas,murmureColinencaressantmajoue,commes’ilavait
luenmoi.Çavabiensepasser.Je hoche la tête, àmoitié convaincue, tandis qu’il semet à genoux devant
moi. C’est avec un regard soucieux que je le regarde s’emparer d’unpréservatif.C’est horrible, je dois être rouge comme lapommedeBlanche-Neige.Jememetsàtriturernerveusementmesmainsmaisilpassedeuxdoigtssousmonmentonpourmefaireleverlesyeux.—Jeseraileplusdouxetleplustendrepossible.Ilal’airdes’adresserdirectementàcepetitTazdanslecreuxdemonventre
qui semble prêt à tout détruire en moi. Une violence insoutenable maisdélicieuse. Je respire un bon coup puis hoche doucement la tête pour luiassurer que tout va bien, avant deme pencher pour l’embrasser. Ilme rendtendrementmonbaiserpuisreculepourmeregarderdanslesyeux.—Tuessûre?medemande-t-il,uneexpressionsoucieusesurlevisage.Est-cequejesuissûredevouloirluioffrirmavirginité?Àcethommequi
merendfolle,quimefaitmesentirbelleetdésirée,àcethommequej’aime…Oui.Plusquetoutaumonde.—Jen’ai jamais été aussi sûredemoi, j’affirmeavecun sourire ému. Je
veuxquetumefassesl’amour,ColinCarter.Sonregardexprimetantdejoie,tantdegratitudeenplusdequelquechose
quejenecomprendspas.Quantàsonsourire,inutiledepréciserqu’ilmefaitfondre.—N’aiespaspeur,murmure-t-ilensepenchantpourm’embrasseravantde
seplacerau-dessusdemoi.Tout mon corps est en contact avec le sien, nos sexes se touchent,
provoquantdevivessensationsdansmonventre.Colinsaisitdoucementmonvisage entre sesmains avant de disperser une pluie de baisers surmon nez,mesyeux,mesjoues,monmenton,monfront,puissurmabouchesurlaquelleils’attarde,douxetrassurant.Çamarcheparcequejesensl’inquiétudesetaireenmoi pour laisser place à une tendresse infinie que je ressens jusque dansmoncœur.C’estmagique.Pourtant…—Attends.Colins’immobilisetoutàcoup,alarmé.
—Tuveuxqu’onarrête?souffle-t-il.—Non,jeveuxjuste…J’inspireunegrandeboufféed’air.—Nemebrisepaslecœur.S’ilteplaît.C’estunesupplicationparcequejeneveuxpas,commeAmber,regretterce
momentquelquesjoursplustard,siColinmebriseenmillemorceaux.—Jetelepromets.Moncœursouritdevantlasincéritéquiimprègnesesparolesetjeplaceune
mainsursanuquepourl’attirercontremoietl’embrasser.Ilsouritcontremeslèvreset,tandisqueletempss’arrête,mepénètrelentementavecunedouceurinfinie. La sensation, étrange et même tout d’abord douloureuse, se dissipequandj’entendslesongutturaletsensuelqu’ilproduit.—OhMia…gémitColin,lesyeuxfermés,enenfouissantsonvisagedans
moncou.Jevoudraisrépondremaisjenepeuxquegémir,etColinrépondparunrâle
quisemblesefrayerunchemindansmonventre,amplifiantlessensationsquime submergent. Il n’a pas encore bougé, il s’est seulement insinué au plusprofond de moi jusqu’à ce que nous ne formions qu’un. La sensation estindescriptible,unique.—Cava?souffle-t-ilcontremeslèvresd’unevoixdoucemaispressante.Incapabledeprononcerlamoindresyllabe,jemecontentedehocherlatête
etilsemetàsemouvoirenmoi.Ilestdouxmaislessensationssontsiintensesquej’enaidesvertiges.C’estfoucommedix-huitansdeviepeuventparaîtreinsignifiantslorsquel’ongoûteàcequ’ilyadeplusmerveilleux.J’ignoresiColinressentlamêmechosequemoimais,si lafindumondeavaitunnom,elleporteraitceluidusonquefontnoscorps lorsqu’ilss’entrechoquentetseconfondent.Jenesaisplusquelleheureilest,queljourdequelleannéenoussommes, le temps s’est arrêté, les saisons inversées. Seul lui compte. Non,seulsnouscomptons.Colincaressemonvisage,m’embrassesurlespaupières,pressedoucement
soncorpscontremoietcesontcespetitsgestestendresetdélicatsquimefonttomber plus encore amoureuse de lui. Jamais je n’aurais imaginé que cemomentsiimportantdemaviesepasseraitaussiparfaitement.Chaquecoupdereinsqu’ilmedonnefaitbondirmoncœur.Mesmains,àla
recherche d’un point d’ancrage, s’accrochent à tout ce qu’elles peuvent, ses
cheveux,sondos,sesfesses,quejegriffesouslapuissancedutorrentquisedéverseenmoi.Colintientsapromesse,ilestdouxettendremaiségalementvigoureux et puissant. Comment décrire les sensations exceptionnelles quim’envahissentchaquefoisqu’ilvaetvientenmoi?Jecroisqu’aucundesmotsdudictionnairene lepourrait,pasplusque lesvingt-six lettresde l’alphabet.J’ai l’impression qu’une tempête se déchaîne dans mon corps et que desexplosionssesuccèdentdansmonventredemanièredélicieuseetdévastatrice.C’est lameilleure chose à laquelle j’ai goûté et je ne pourrais regretter cetinstantdepurbonheurpourrienaumonde.Jesensquelquechosed’intensemetraverserdepartenpart,unesensation
étrangeenvahitmoncorpsetj’aisoudainementpeurdecequiestsurlepointd’arriver alors jem’accroche de toutesmes forces à Colin en plantantmesonglesdanssondos.Là,jelesenstoutenbas,quelquechoseestsurlepointdesepasser.Jesuisaubordduprécipice.—Laisse-toialler,murmureColinencaressanttendrementmajoue.Et comme si mon corps obéissait à ses mots, un spasme de plaisir me
parcourt l’épinedorsale jusqu’aux jambes tandisque jepousseun cri enmecambrantsouslavaguequimesubmerge.J’ailesentimentdesuffoquersouslaforcedecequiprendpossessiondemoi.Colinvaetvientpuissammentenmoiavantdepousserunrâleencollantsonfrontcontrelemienetdes’affalersurmoncorps.
Chapitre15
Colin
Qu’est-cequivientdesepasser?Ladifficultéque j’éprouveà reprendremarespirationetàmeremettrede
mes émotions me confirme que je viens d’avoir le meilleur orgasme del’histoire. AvecMia, qui était vierge. Jeme demande encore comment c’estpossible lorsque je réaliseque jesuis toujoursaffalésursoncorpsetque jel’écrase. Je roulesur ledosen fixant leplafond,perduet subjuguéà la fois.Parcequecesoir,moncœurenaprisuncoupaussi.Cet idiot sembles’êtreréveillé d’une très longue sieste et son retour s’est fait ressentir de la plusmerveilleuseetdelaplusdouloureusedesmanières…J’enaiencoremalàlapoitrine.—J’aibesoind’unecigarette,jedéclare.—J’aibesoindemanger,murmure-t-elleenmêmetempsquemoi,dansun
étatencorebéat,cequinousfaitrire.Jeprendsmontempspourlacontemplerpendantqu’elleaencorelesyeux
fermés et c’est avec tendresse que je dépose un léger baiser sur ses lèvrescaresséesparunsourirepaisible…Je jureque jen’ai jamais rienvud’aussibeau.Sesjouessontrougesetl’expressiondeplénitudesursonvisagelarendplus désirable encore. Je parsème sa peau de baisers sans qu’elle ne bouge,visiblement épuiséeparnotreétreinte.Elleparaît cependant amuséeparmonpetit jeuetfinitparouvrir lesyeuxpourmelaisserydécouvrirunedouceurapaisanteet irrésistible.Jecroisque jepourrais la regarder jusqu’à la findemesjours.—Ça va ? je lui demande en souriantmalgrémoi devant son expression
d’extase,assezéloquentepourrépondreàmaquestion.Commenttutesens?—Feud’artifice,chuchote-t-elleenmecaressanttendrementlajoue.Elle n’aurait pas pu mieux qualifier ce que nous venons de vivre, c’est
exactementça:unfeud’artifice.Explosifetmagique.Jepeuxencoreressentirlavaguedesensationsquim’apercutélorsquej’aiatteintlajouissance…C’est
incomparable et inclassable. Mes précédentes parties de jambes en l’air meparaissentbienfadesàcôtédecequeluifairel’amourm’aprocuré.Jesecouela tête pour retomber sur terre tandis qu’elle laisse échapper un petit riretimide tout en enfouissant son visage dansmon cou pour humermon odeuravecavidité.C’estlasecondefoisqu’ellefaitçaetjenem’yhabituepas:c’estvraiment un geste intime et délicieux. Çame gonfle le cœur d’un sentimentdouxquejemesurprendsàaimerplusquederaison.—Qu’est-cequitefaitrire?jel’interrogeendégageantlescheveuxdeson
visage.Ellesoupired’unairrêveurentriturantsesdoigts,timideetattendrissante.—Jen’arrivepasàcroirequejeviensdefairel’amour,murmure-t-elleen
cachantsonvisagerougissantdansmoncou.Elle est si adorable, si enfantine et pourtant si sexy que je me damnerais
pourunedeuxièmenuitavecelle.Jenemelasserai jamaisdel’entendredire« faire l’amour » de cette façon si particulière. Je la presse contre moi etm’enivredel’arômefruitédesapeau,peinantàréaliseràquelpointchacundesesgestesetdesesmotsmechangentunpeupluschaquejour.Aprèsquelquesdélicieusesminutespendantlesquellesnousrestonsenlacés,
jem’écarteetmeretrouveprisaupiègedans laprofondeurdesesprunellesbrillantes.Jedoistrouverunmoyendesortirdecetteprisondedésir.—Tuaimeslacuisinechinoise?Sonregardlumineuxetlegrognementaffamédesonestomacparlentpour
ellealorsjesaisismontéléphonepourcommanderàmanger.— Mmm… c’est tellement bon ! s’extasie Mia en fermant les yeux, la
bouchepleine.Elleestassiseentailleurenpleinmilieudulit,uniquementrecouverted’un
drap. Je dépose mes baguettes dans ma boîte de poulet au curry pour allercherchermon paquet deMarlboro dans la poche dema veste. Inutile demeretournerpoursavoirqu’ellemesuitdesyeuxjusqu’àcequejesoissortidelachambre,carjesenssonregardsurmoncorps,cequialedondem’échaufferimmédiatement.Lorsque jereviens,enrevanche,ellenemangeplusetsembleavoirvuun
mort. Elle est blanche comme un linge et son regard est fixé sur ce quimesembleêtreune tachedesauce…avantque jene réalisequ’il s’agitdesang.Sonsangàelle.
—Jecroisquej’aiperdul’appétit,murmure-t-ellesansquitterlatachedesyeux.Je m’approche, m’empare du drap pour la recouvrir puis m’assieds afin
d’attirerleregarddeMiasurmoi.—Çan’estqu’unpeudesang, jedéclaredans lebutde la rassurer, jeme
suisdéjàprisdesballesdansles jambeset,crois-moi, ilyenavaitbeaucoupplus.Ellesepétrifieetmelanceunregardhorrifié.Pourlarassurer,c’estraté.—Tut’esdéjàprisdesballesdanslesjambes?souffle-t-elle,leslarmesaux
yeux.Merde.Cettefilledoitavoirunproblèmed’hypersensibilité.Paniquéàl’idée
de la voir pleurer, je me penche vers elle et saisis sa main que je pressedoucement.—T’inquiètepas,c’étaitriendegrave,sinonjeneseraispaslàaujourd’hui.—Raconte-moi.Jesoupireenlâchantsamainpourprendreuneclopedansmonpaquet.Mia
froncelessourcilsmais,silefaitquejefumeensaprésencelagêne,elleneditrien.—C’était lorsde lamissionOdysseyDawnenLibye ilyacinqans.Mon
unitéetmoicampionsprèsd’unvillagelorsquecelui-ciaétéattaquéenpleinenuit.Nous avons été pris par surprise et le temps que l’on contre-attaque, ilétaittroptard.Miaretientsa respiration,elleparaîtcrispéeeteffrayéeparmonrécit,qui
n’estpourtantpascequ’ilyadepireparmiceque j’aivécu.Siellesavaitàquoiressemble lerestedemavie,elleneseraitsansdoutepasémuepoursipeu.—Iln’yapaseudemortscettenuit-là,seulementdesblessés,dontmoi.J’ai
reçu quatre balles dans les jambes mais j’ai pu être pris en charge aprèsseulement quelques heures àmevider demon sang.Comme tu peux le voiraujourd’hui,jemeportecommeuncharme.Je lui adresse un sourire rassurant et elle sourit, les yeux brillants d’une
émotion contenue, avant de s’approcher et de se lover contre moi, sa têteenfouiedanslecreuxdemonépauleetsesbrasaccrochésàmoncou.Jeresteuninstantfigé,toujourspeuhabituéàcegenredecontact,cetteaffectionquejen’aijamaisconnue,puismepenchepourécrasermacigaretteetluirendssonétreinte.Ledrapaglissédesoncorpsnuquisepressecontrelemienetjedois
faireuneffortpournepasperdre lecontrôlealorsquenospeauxentrentencontact.Étrangement,cettesimpleétreinteestenréalitétellementagréablequejen’essayepasd’allerplusloin.Nousdemeurons ainsi pendant cequime semble êtredes années, sesbras
autourdemoncouet lesmienssursataille,sa têteposéecontremapoitrinetandisquemoncœurperdlaraison.Lorsquejebaisselesyeuxverssondouxvisage,jeréalisequ’elles’estendormie,laboucheentrouverteetl’airapaisé,serein…Elleest tellementbelle !Sibelleque jepourraispassermavieà lacontempler dormir dans mes bras, nue et délicieuse. Le tableau est simerveilleuxquejen’osepasbouger,depeurdelaréveiller.Finalement,jemeredressepourposeràterrelesvestigesdenotrerepaspuism’allongeennousrecouvrantd’undrap.Jepasselesheuressuivantesàlaregardersansmelasserdelabeautédeson
visage,deslignessubtilesdesaboucheetdesesyeux,descourbesgracieusesdesoncorpsetde ladouceurde ses longscheveuxbruns, enmedemandantcommentj’aipuenarriverlà,commentj’aipuparvenirjusqu’àelle.Elleestsidifférentedemoi,delapersonnequejesuis,ellen’apasidéeàquelpointjerisquedelafairesouffriretdebrisersoncœur.Ellel’ignoreencoremaisçan’estqu’unequestiondetempscarjenefaisquebrisertoutcequim’entoure,c’estmondestinetjesaisquejen’yéchapperaipas.Pourtant,jelaveuxplusque jen’ai jamaisvouluquiconque, j’aibesoind’elleplusque jenepeux leconcevoir. Je ne peux pas la laisser partir, pas maintenant, pas si tôt… Pasavantquej’aiepleinementjouidesoncorpsetdesaprésence,pasavantquejenesoisprêtàm’enaller. Je laveuxpouraussi longtempsque lavienous lepermettra.C’est le cœur lourd mais anormalement apaisé que je trouve enfin le
sommeil.Pasdecauchemarcettenuit,pasplusquecelled’avant.J’aimeraiscroireque
jesuisenfinguéridemonpassémaisc’estseulementgrâceàMia.Ellesembleêtremonremède.Unejambeplacéeentraversdemoncorps,unbrassurmonventre et la tête contremoncœur, elle est quasiment allongée surmoi.C’esttellementadorablequejenerésistepas:jesaisismonportablesurlatabledechevetetprendsuneseuleetuniquephotodecetangevenudenullepart,afinde pouvoir la garder éternellement avecmoi au cas où tout ça devrait finirdemain. Je veux pouvoir revivre ce moment même lorsque tout se seraeffondré.
Elle remue toutdoucement alorsque jedéposemon téléphone,papillonnedespaupièresetouvregrandlesyeux,encoretoutensommeillée.— Salut toi, je murmure en dégageant les cheveux de son visage tandis
qu’elleenfouitcelui-cidansmoncou,timide.—Bonjour…—Biendormi?—Lameilleurenuitdetoutemavie,chuchote-t-elledansmonoreilleavant
deretournerdanssacachetteaucreuxdemonépaule,commeuneenfant.Saréponsemeréchauffelecœur.Jedevinesonsourireenfantinsansmême
la regarder, ce qui me fait sourire moi aussi. Je dois avoir l’air idiot maisfranchement,jem’enfous.J’aimoiaussil’impressionquetouteslesheuresquejepassaisàbroyerdu
noir lorsdemes insomniesviennentd’être rattrapées, et jamais jen’ai aussibiendormiquedanssesbras.C’estincroyable.Jesaisissonvisageentremesmains en coupe et dépose un baiser sur ses lèvres.D’unemanière ou d’uneautre, je me retrouve au-dessus d’elle, son corps irrésistible prisonnier dumien,etjecroisbienqueriennepourraitnousarrêter.J’aitropenvied’elle.De tous les petits déjeuners dont je pouvais rêver, Mia demeure le plus
délicieux.Etcommentmieuxcommencersajournéequ’enfaisanttendrementl’amouràunange?—Çavamemanquerquandjeseraiparti.J’ignorepourquoij’aiditça,c’estsorti toutseulcommesij’avaispenséà
voixhaute.Malheureusement,j’aipenséassezfortpourqueMiam’entende,etlamanièredontsonsourires’effaceetdontsonvisageperddesagaietémebriselecœur.J’aitoujourseuledondetoutgâcher.—Onaencoredutempspourprofiter,j’ajouteaussitôtpourlarassureren
caressantsescheveux.Elleestlovéecontremoietlecontactdesapeaubrûlantecontrelamienne
m’apaiseàchaqueinstant.—Jesais…J’aiseulementdumalàaccepterquetumequittessilongtemps,
murmure-t-elleentraçantpensivementdepetitscerclessurmonventreduboutdesondoigt.—Jenetequittepas, jem’absente temporairement.Etpuisons’appellera,
d’accord?
Ellehochedoucementlatêteenseforçantàsouriretandisquejedéposeunbaisersursonfront.—Colin?—Oui?—Que signifient tes tatouages ?me demande-t-elle doucement en frôlant
mescôtes,répandantdesfrissonsdanslatotalitédemoncorps.Jesavaisqu’ellemeposeraitcettequestionàunmomentouàunautre,elle
est trop curieuse pour s’en empêcher. Étonnamment, çame plaît.C’est peut-êtreparcequepersonnenes’yestjamaisassezintéressépourmeledemander.—Celui-ci,jedisenpivotantsurlecôtéafinqu’ellepuissevoirmescôtes,
représentemaloyautépourmapatrieetmadévotionpourmonmétier.«Ifamanhasnotdiscoveredsomethingthathewilldiefor,heisn’tfittolive.»Cesont lesmotsdeMartinLutherKingJr., je l’aifaitquelquesmoisaprèsmonentréedansl’armée.—C’estsublime,souffle-t-elleentraçantlescontoursdutatouageavecson
index, admirative. La première fois que je l’ai vu j’ai cru qu’il s’agissaitvraimentd’uneécorchure,c’esttellementréaliste…—Oui,unvraichef-d’œuvre.Cetatouagesignifiebeaucouppourmoi.—Etl’autre?Qu’est-cequ’ilreprésente?—Tuneveuxpassavoir.—Pourquoi?—Laréponsenevapasteplaire…Bordel. Je peux voir à son regard et à la manière dont elle hausse les
sourcilsqu’ellenevapasabandonnersifacilement.—Carter,tusaisquejenevaispaslâcherl’affairealorstuferaismieuxde
cracherlemorceau,menace-t-elleenplissantlesyeux.C’estplus fortquemoi : j’éclatede riredevantsonairmenaçantquin’est
pasdu toutcrédible, luiarrachantunsouriremalgréelle.Leproblème,c’estquequandelleentendramonexplicationellerisquedeneplussouriredutout.— Je n’ai pas vraiment choisi de faire ce tatouage, j’explique à tâtons, ce
sontmescollèguesquimel’ontimposéaprèsunparistupidequej’aiperdu.—Pourquoiuneflamme?demande-t-elleprudemment.— Disons que j’ai la réputation du gars qui… collectionne les filles, en
quelquesorte.
Ellegrimaceetjepoursuis,presséd’enfinir:—Alorsquandlesgarsontdûchoisirmontatouage,ilsontprisuneflamme
pourillustrercecôté…—Coureurdejuponsquiachaudauxfesses?complète-t-ellesansquejene
parvienneàdevinercequ’ellepense.—Engros,oui.—Donccetatouagereprésenteunpeuàquelpointtut’escomportécomme
ungoujatpendantsilongtemps?—NeleprendspascommeçaMia…—Jenetejugepas…Enfin,si,unpeu,maistantquetunemetraitespasde
lamêmemanière,çameva.Jesoupireetmelaissetombersurledos,leregardfixéauplafond.Cequi
mefaitleplusmal,c’estdesavoirqu’ellearaisonetquemaréputationn’apasdequoimerendrefier.Pourtantellemecolleàlapeau.Sansperdredavantagedetempsàruminermonpassé,jemelèveenévitantleregarddeMiapournepasyvoirsereflétermaculpabilité.Jelasurprendsentraindegrimacerquandelleselève,commesouslecoupd’unesoudainedouleur.Jedevineaussitôtdequoiils’agit.—Tuasmal?jeluidemandeenm’approchantd’elle.—Unpeu,oui.—C’estnormaljecrois.—Tucrois?—Jen’aijamaiscouchéavec…unevierge.Jesondesonregardavecl’espoird’yliresespensées.Sanssuccès.—Oh…murmure-t-ellepensivement.Alorsjesuisaussitapremièrefois?Un petit sourire se dessine lentement sur ses lèvres, illuminant son beau
visage,etjesongeàquelpointcettefillem’impressionne.Elletrouvetoujourscommentenjoliver lessituations lesplusdésespérées,ellenevoitque leboncôté des choses et sa personnalité fait d’elle un être unique et parfait àmesyeux. Elle est parfaitement imparfaite. Je me demande une fois de plus cequ’ellefaitavecungarscommemoi,ellepourraittrouvermieux.Elledéposeunlégerbaisersurmapoitrine…Cequimebouleverseetqui
me tord lecœurquand je réalisequebientôtcette fillese retrouveraseuleetbriséeparmafaute.
—Jevaisprendreunedouche,jedéclare,lagorgesoudainementsèche.Jen’attendspassaréponseetmerendsdanslasalledebains.Je suis à peine entré dans la douche quand j’entends la porte s’ouvrir. Sa
voixmeparvientàtraverslacabineenverre.—Jepeuxterejoindre?J’étaissiaccaparéparmespenséesquejen’aipasimaginéqu’ellevoudrait
prendre une douche avec moi. C’est pourtant un moment si intime et siprivilégiéquel’idéedelepartageravecMiamedonnedubaumeaucœur.—Biensûr.Je la contemple tandis qu’elle prend place sous l’énorme pommeau de
doucheetqu’unepluied’eaubrûlanteruissellesursescheveuxetsursoncorpssublime. Je réalise à nouveau qu’elle est non seulement la plus belle femmequej’aiconnue,maisqu’enplusj’aimechacunedesesimperfectionscommesi elles étaient ce qui fait d’elle une personne si unique. Son petit mètrecinquante-cinq me donne envie de l’étreindre de toutes mes forces et de laprotéger.J’aimequ’ellenesoitpastropmince,qu’elleaitdescuissesunpeudodues et un petit ventre qui témoigne de son amour pour la bonne cuisine,j’aime ces petits détails qui font d’elle une personne si différente et siattachante.Quantaureste…Seslongscheveuxbrunsquiluiarriventaubasdudosmedonnentenvied’yenfouirmonvisageet sescourbesgracieuses fontgrimperlatempératuredemoncorps.Sesseinssontlourdsetbienrondsetsestétons,unpeuplusfoncésquesapeaucaramel,possèdentchacunungraindebeauté,cequiesttotalementadorable.Quantàsachutedereins…Lesfossettesaubasdesondosaccentuent lacourburedesesfessesbombéesetsoncorpsatteintainsiundegrédesensualitéaffolant.Je réalise que je la fixe depuis un longmoment lorsqu’elle semet à rire
doucement,unéclatespiègledanslesyeux.—Tuaimescequetuvois?m’interroge-t-elled’unairjoueur.—Plusquetunel’imagines.Ellesecouelatêtepuiss’empared’ungantdetoilette,yversedugeldouche
etsemetàmefrotterletorse,àmagrandestupeur.Jelaregardeavectantdetendresseetd’affectionqueçamesurprendmoi-même.C’estlapremièrefoisquequelqu’unmelave,quiplusestavectantd’applicationetdedouceur.Toutcequejen’aijamaisvécuparcequej’avaispeurdemoi-mêmeetdecequejepouvais éprouver dans une relation sérieuse me retombe dessus. C’en estpresquedouloureux.
Unefoisqu’elleaterminé,jefaisdemêmeavecelle.Lefaitd’agircommeuncouplenormalmefaitmesentirmieux,moinsmonstrueux,peut-être.Jemedisqu’aprèstouteslesmerdesquej’aitraversées,j’aiquandmêmeledroitdevivredesmomentspaisibles,entoutcasquandjesuisavecMia.Elleestlaréponseàlaquestionquereprésentemavie.
—Tupenses rester ici jusqu’àquand? jedemandeàMiaen sortantde la
chambretandisqu’elles’activeauxfourneaux.Après notre petitmoment intime d’une infinie douceur sous la douche, je
l’ai emmitouflée dans mon peignoir et l’ai regardée s’habiller. Je me suissurprisàappréciercemomentplusquederaison.LeColinnaïfquej’aiétéilyabien longtempsaurait souhaitéquecet instantdure toute lavie, queMiaetmoi puissions nous réveiller tous lesmatins dans lemême lit et passer nosjournéesànousaimeretànouslancerdesregardsdégoulinantsdetendresse…Mais ce Colin-là n’existe plus et je sais que tout ça n’arrivera jamais, c’estpourquoijemesuiscontentéd’apprécierlemomentprésentsansmeprojeterdansunfuturimprobableetdouloureux.—Pourquoi ? Tu essaies déjà de te débarrasser demoi ? ironiseMia en
faisantmijoterunesauce,untorchonsurl’épauletelunvraichef.— J’admets en avoir un peu marre de ma petite amie sexy et douée en
cuisine…jerépondssurlemêmetonenmecollantàellepourl’enlacer.Elle se retourne et lève le menton d’un air taquin, tout simplement
irrésistible.— C’est vraiment dommage, susurre-t-elle d’une voix suave, parce que
j’auraisacceptédesatisfairetoustescaprices…—C’est-à-dire?J’aimecepetitjeudeséduction,ilmerappellequederrièrelajeunefemme
innocenteetnaïvesecacheunefemmefatalecapabledeséduire leplussaintdes hommes. Elle sait qu’elle peut obtenir ce qu’elle veut de moi si elle ledésire.— Oh, tout un tas de choses plutôt agréables… murmure-t-elle en
approchantsonvisagedumien,cequimefaitperdrelaraison.Je rêve de prendre possession de ses lèvres pleines.Mon corps est tendu
contrelesien,monpoulstropélevéetmabraguetteprêteàexploser…Ellemerendfou.
—Mais bon, reprend-elle en s’éloignant brusquement, ça attendra, je nevoudraispasfairebrûlernotredéjeuner.Sousmesyeuxéberlués,elleseretourneetéteint legazavantdeverser le
contenudelacasseroledansdeuxassiettesdepâtes.Jeviensdemefairemenerenbateauparcepetitboutdefemmeetjen’enrevienspas.—StephenRiggsvientdem’envoyerunmessage,déclareMiaenposantses
couvertssursonassiette.Ces pâtes à la bolognaise sont de loin les meilleures que j’aie jamais
mangées.Cettefilleestuneperle.Jelèvelesyeuxetl’interrogeduregard.Elleal’airdevouloirmedemanderquelquechose.—Ilveutmefairevisiterunnouvelappartement.—Aujourd’hui?—Oui…Tuveuxm’accompagner?propose-t-elleavechésitation.— Oui, bien sûr. Quand je t’ai dit que je voulais qu’on passe du temps
ensemble,j’étaissérieux.Jemelèveetm’approched’elleenmeplaçantentresesjambes.—Jeveuxprofiterdetoichaquesecondequimeresteavantmondépart.Ellesouritd’unair soulagépuism’embrasse,et jen’ai soudainementplus
envied’allernullepart.Nous attendons Riggs dans un quartier de Soho, au pied d’un immeuble
typiquedel’architecturenew-yorkaiseavecsescinqétages,sesgrandesbaiesvitrées et ses escaliers extérieursqui couvrentquasiment toute la façade. Il aaussi unpetit côtéRenaissance avec ses colonnes, sesbalustrades et d’autreséléments décoratifs classiques. Mia a l’air tout simplement émerveillée,j’espèrequeRiggsnevapasladécevoir.—Pardonnez-moipourleretard!s’exclamejustementcelui-cienarrivant,
souriant et sûr de lui, avant de nous serrer la main. Je viens de vendre unappartement dans l’Upper Manhattan et ça fait une petite trotte pour venirjusqu’ici.Neperdonspasuneminutedeplus!Ilnousdevanceetpénètredansl’immeuble.L’appartementàvisitersesitue
au dernier étage et Riggs nous explique qu’il répond parfaitement auxexigences de Mia : il s’agit d’un ancien entrepôt réhabilité, ce qui la faitquasimenttrépignerd’impatience.
— Il nécessite quelques rénovations mais rien d’affolant, explique Riggstandis que nous nous approchons de la porte. Et son loyer est tout à faitraisonnablecomptetenudesasurfaceetdesalocalisation.Noussommesentrésdansl’appartementdepuisenvirondeuxsecondesmais
jepeuxdéjàvoirdansleregarddeMiaqu’elleestconquise.Sesyeuxpétillentet sa bouche s’est figée en un « oh » émerveillé. Je comprends sa réaction,c’est vraiment un superbe appartement. Les trois baies vitrées du salonilluminentleslieux,ycomprislamezzaninequisurplombelesalonetl’espacede la cuisine. L’appartement est entièrement vide pour le moment mais,connaissantMia,ilneleresterapaslongtempsvusonexcitation.—Ilyadeuxchambres,dontuneenmezzaninequevouspouvezadmirer
ici,ditRiggsencommençantlavisite,l’autresesituantauboutdececouloir,où vous trouverez également la salle de bains et les toilettes. La cuisineaméricainesesitueici,dansl’angledusalon,etleséjouroccupetoutelapartielibreduniveauinférieur.—Waouh, s’extasie Mia, c’est merveilleux… C’est exactement ce que je
souhaitais.—Sijepeuxmepermettre,c’esteffectivementunebelleaubainequevous
avezlà.Croyez-moi,c’estlapremièrefoisquejevoisunetelleperleàunprixaussibas.Alors,qu’enpensez-vous?Elleneréfléchitmêmepasavantdeluirépondre.—Jeleprends!
—OuiAmber…Non,biensûr…Oui,ilestparfait!Jevaism’enoccuper…
Oui,jesais…Arrêtedehurlerdansmonoreille,bonsang!J’aicompris…Àtoutàl’heure,bisous!Mia raccroche et me sourit en levant les pouces comme si elle venait
d’obtenirl’accordd’Obamalui-même.JedétestecettesatanéeAmber,ellemefout les jetons,en fait.Chaque foisque jemesouviensqu’elleexiste, j’aiunhaut-le-cœur. Parce que je sais qu’elle pourrait tout foutre en l’air en unclaquementdedoigtsendisantlavéritéàMia.J’aiconsciencequevivredanslemensonge n’est pas une solution, carmême si cette histoire date d’il y alongtempsetqu’ellen’aaucune importanceàmesyeux,ça risqueraitde toutgâcheravecMia.Etjenepeuxpasmepermettredelaperdre.— Elle m’a donné carte blanche, elle me fait confiance, murmure-t-elle,
soulagée.J’aitellementhâte!Lesrénovationsn’ontriendetrèscompliqué,ça
ne devrait durer qu’une journée ou deux. Il y a seulement quelques trous àreboucher.Àpartça,ilnemanquequelesmeubles.Elleestlittéralementsurexcitée.— Et tu comptes t’en occuper quand ? je lui demande en mettant mon
clignotantpourquitterlaplaceoùnousétionsgarés.— Le plus rapidement possible, mais je vais attendre que tu partes pour
éviterdesacrifierdesmomentsquel’onpourraitpasserensemble…—Tusais,onenadutemps.Sionyallaitmaintenant?Çameferaitplaisir
demettremapierreàl’édificeent’aidantàachetertesmeubles.—C’estvrai?medemande-t-elleaveccetairébahiquejeconnaisbien.Tu
m’accompagnerais?—Jenet’aipasdemandéenmariage!jem’exclameenrianttandisqu’elle
medonneuncoupsurl’épaule.Cenesontquedesmeubles,Mia,allons-y.Ellemegratified’unsourirequienditlongsurl’affectionqu’ellemeporte,
unsouriresisincèrequ’ilm’oppresselecœurdelaplusdoucedesmanières.Jemedemandeun instant s’il n’y auraitpasplusquede l’affection,maisdel’amour,parexemple.Non,ellenepeutpasm’aimer.Personnenelepeut…Jesoupirepourmedébarrasserdemespenséescruellespuisprendslaroute
en écoutant Mia se lancer dans un des monologues interminables dont elledétient le secret. Je suis encore perturbé par mon inconscient qui ne cessed’intervenir de manière intempestive, posant encore et encore la mêmequestion.Serait-cepossiblequeMiam’aimeréellement?—Commentçatun’aimespas?!s’écrie-t-elleengesticulant.MademoiselleHopeétantunerévoltéeféministe,elleadécrétéqu’elleaurait
le droit de choisir la musique puisque je lui refusais celui de conduire mavoiture.Elles’estdoncemparéedesoniPodetalancéuneplaylistquisepassedecommentaires.—Jen’aipasditquejen’aimaispas,c’estjustequecen’estpasmonstyle,
jerépliqueenriant,amuséparsaréactiondisproportionnée.C’est une chanson de Michael Bublé qui résonne dans l’habitacle, une
chansond’amourévidemment,oùildéclaresaflammeàcellequ’ilaime.Lesparoles sont peut-être sympas pour une fille comme Mia, mais tout ceromantismerisquedemefilerdudiabète.— Sache que c’est ma chanson préférée, déclare-t-elle avec passion,
probablementlameilleuredetoutl’universd’ailleurs.J’adorelesparoles,toutcommejerêvedelesentendreunjour.Elle se met à chantonner tout doucement d’une voix claire et juste en
balançantlatêteaurythmedelamélodiedeCloseyoureyes, lesyeuxfermés.Jelacontempleenressassantlesmotsqu’ellevientdeprononcer:jerêvedelesentendreunjour.Est-cequejeseraisunjourcapabledelesluidire?Est-cequejepourraisdevenir l’hommedontellerêvetant?Celuiqui luidiraitdesmotsd’amouretluioffriraitunfuturdignedecenom?J’endoutefort.Jesuisplutôtdugenreàjurercommeuncharretieretàmebagarrerqu’àécriredespoèmes pour une fille… D’ailleurs, je n’ai jamais dit « Je t’aime » àquiconque, et personne ne me l’a jamais dit… C’est ça de n’être aimé parpersonne.Pourquoi ai-je l’impression que tout ce qui concerneMia et un potentiel
futur entre nous n’est qu’un fantasme irréalisable ? Le sentiment que noussommesentraindefoncerdansunmurcroîtàmesurequejedécouvreàquelpointelleestextraordinaire,àquelpointjeneméritepasdepartagersavie.Jene suis qu’un putain d’égoïste qui ne pense qu’à sa gueule au lieu de laprotéger.Jen’aipasdecœur,pasd’âme,rienqu’unimpitoyabledésirdevivreetd’êtreaiméquinecessedeprendredel’ampleurenmoi.Etçam’effraie.
*
Trois heures. C’est le temps qu’on a passé dans cet immense et fameuxmagasinoùl’onvoitplusdecouplesenconflitquedemeubles,oùlesenfantscourent en hurlant et où le temps ressemble à un vieillard en déambulateur.«Bienvenueenenfer»,devraient-ilsécrireencapitalesdevantl’entrée.Pourtant,voirMiaaussiexcitéeetenthousiasteaeulafacultédemeremettre
de bonne humeur à chaque fois que j’étais tenté de me couper les veines àl’aidedespetitscrayonsenbois.J’ensuissortivivant,aprèstoutescesheuresàl’aider à choisir des rideaux, un canapé, des abat-jour et d’autres conneriesauxquelles je ne connais absolument rien. Pour mon appartement, j’ai faitappelàunprofessionnelquis’estchargédecegenredechoses,demanièreàce que tout soit prêt à m’accueillir en arrivant. Si Matt me voyait en cemoment,ilnemanqueraitpasdesefoutredemagueule.—Jen’arrivepasàycroire:monpropreappartementàNewYork!hurle
Miaentapantdanssesmains,euphorique.Jesourisenconservantleregardsurlaroute,m’efforçantdenepasjeterun
coupd’œilversMiapourm’abreuverdubonheurquereflètentsesyeux.Elleesttellementbelledanscecostumedegaietéquejeluttepourresterconcentré.— Quand tu rentreras, on pourra inaugurer mon nouveau lit ensemble,
lance-t-elleavecunsouriresuggestifquim’arracheunrire.Jecroisquesonmeilleurachatestdeloincelui-là,unimmenselitking-size
àbaldaquindanslequeln’importequelêtrehumainrêveraitdepasserunenuit.Ilresteàdéterminers’ilnousserviraàdormirounon…Jecroisquenousyferonsbeaucoupdenuitsblanches,touslesdeux.—J’aidéjàhâtederevenir,jemurmureensaisissantsamainpourlaporter
àmeslèvresetydéposerunbaiser.J’ai l’impression quemonmonde tourne désormais autour deMia, etme
séparer d’elle semble être la plus difficile des missions que j’ai eues àaccomplir.—Moiaussi,soupire-t-elleavecunsoupçondetristessedanslavoix.C’est dans un silence triste et mélancolique que nous terminons le trajet
jusqu’àchezelle.—Tuessûredevouloirrentrercheztoi?j’insisteunedernièrefoisenla
suppliantduregard.— Oui, je dois me préparer pour le boulot. Et puis, j’ai un peu négligé
Ambercesderniersjours…Pourquoifaut-ilquecetteblondassefassetoujourspartiedel’équation?Elle
commencevraimentàmetapersurlesystème.—D’accord,jemurmureàcontrecœur,onsevoittoutàl’heurealors.Elle m’offre un petit sourire puis se penche pour m’embrasser avant de
descendre de la voiture. Dès qu’elle me quitte, je sens comme un froidm’envahir,unesolitudepesanteetintenable.Sur lechemindu retour, jen’arrivepasàpenseràautrechose. J’aimerais
queMianeprennepasautantdeplacedansmespenséesmaisjemesurprendsàressentirdeplusenplusfréquemmentlebesoindelavoiroudeluiparler,etc’estdansdesmomentscommeçaquejem’enveuxdefairetoutça.C’estvrai,elleestirrésistible,ilestimpossibledelalâcherduregardetun
seul sourire de sa part est capable d’annihiler toute volonté, mais quelquechoseenmoimechuchotequ’iln’estpastroptardpourtoutquitter.J’aivoulujoueraveclefeuetmevoilàprisaupiègedanslesflammes,incapabledem’en
échapper. Je refuse de lui faire dumal en restant avec elle et je sais que jesouffrirai également si je continue à m’attacher à elle… Voilà pourquoi lemieuxseraitdemettreuntermeàtoutça.Mais c’est dur, tellement dur de devoir ne serait-ce qu’imaginer notre
ruptureprématurée!Jedevraism’enallertantqu’ilenestencoretempsetnejamais revenir. Je devrais tout rompre, en commençant par ce lien étrangeentrenoussansquejenel’aievoulu.Intérieurementjesuispersuadéquenousfinironsmaldetoutefaçon.Ilfautquejemesortedelà,bordel!Jeneveuxnidesonamour,nideson
corps,nidequoiquecesoitvenantd’elle.Jevaisfoutrelecampdecettevilledemerdeoù je suis certainde finir par faire une connerie. Je n’aimepas latournure que prend tout ça, un malheur finira forcement par arriver, c’estinévitablelorsqu’unepersonneserisqueàm’approcherdetropprès.Et pourtant… J’ai beau lutter contre moi-même, contre ma faiblesse
d’hommeblessé, jenepeuxpasm’empêcherd’apprécieretde rechercher saprésenceetsoncontact.IlsembleraitqueMiam’aitdéjàensorcelé.C’estfoutu.
CloseyoureyesLetmetellyouallthereasonswhyYou’renevergonnatohavetocryBecauseyou’reoneofakindYeah,here’stoyouTheonethatalwayspullsusthroughYoualwaysdowhatyougottadobabyBecauseyou’reoneofakind.WhenyourlovepoursdownonmeIknowI’mfinallyfreeSoItellyougratefullyEverysinglebeatinmyheartisyourstokeep
Chapitre16
Mia
Ambern’estpaslàquandj’arrive.Jeresteunmomentsurlepasdelaporteà regarder la petite chambreque je vais quitter dans peude temps, qui a étémonchez-moipendantquelques semainesquiontpourtant l’aird’avoirdurédes décennies. Dès que je me laisse tomber sur mon lit en ressassant lessouvenirsdecesdernièressemaines,jesuisviolemmentfrappéeparunélandemélancolie. Il est inutile de demander les raisons de cette soudaine vagued’émotions,j’aiconsciencequec’estliéàColinetaufaitquenousallonsnousdire au revoir très bientôt. Tout ce qui s’est passé ces derniers temps merappellequej’aibeletbienprismonenvoletquemavieneseraplusjamaislamême,puisjeréaliseégalementquejeverraimafamillebienplusrarementetçamedonneuncoupaucœur.Tout me revient à la figure de façon impitoyable et, étrangement, ce qui
m’attriste le plus n’est pas le fait de savoir que je ne verrai pasma familleaussisouventquejeledésire,maisderéaliserpourlaénièmefoisquejevaisdevoir vivre sans Colin pendant longtemps. Je crois que l’amour que je luiportem’aveugle,ilm’éblouitetmefaitoublierleschosesquimeparaissaientessentiellesavantsonarrivéedansmavie,dansmonmonde.Ilalepouvoirdeme faire fermer les yeux sur mes douleurs et sur tous les problèmes quiauparavantmeparaissaient insurmontables.Est-ceàçaquevaressemblermaviedorénavant?Est-cequetoutcedontjemesoucieraiseralui,etseulementlui?Je l’aime, j’en suis maintenant aussi sûre que je le suis de ma propre
existence,siaimerveutdiresouffrird’uneextrêmedouceurlorsqu’onpenseàunepersonneou ressentir des émotions incroyables en la regardant dans lesyeux.Seulementvoilà,mêmesijejureraislecontraire,çanefaitquetrèspeudetempsquejeleconnais.J’ignorais que tomber amoureux se faisait si aisément et si intensément,
d’une manière incontrôlable et dangereuse au possible. L’amour est unecréature indomptablequinousprendd’assautcommelaplusdestructricedes
maladies, c’est un fléau qui ne possède aucune miséricorde. Et dire quej’imaginais vivre ma première fois avec un homme qui m’aimerait… Laromantiqueenmoisecouelatêteenclaquantlalangueavecdésapprobation,etjesaiscequ’ellepense:Colinnet’aimepas.C’estprécisémentàcemomentquejeréalisequej’aivraisemblablementperdulatête.Pourtant,jeneregrettepasunesecondecetacteetluioffrirmoncorpsetmoncœurestlameilleurechosequej’aiefaitedepuislongtemps.Maisavons-nousseulementunavenir?Oh mon Dieu, pourquoi est-ce que c’est si compliqué ? Je savais que
l’amourétaitunechosedifficileàobteniretplusencoreàconserver,maisj’ail’impressionquepourColinetmoic’estcarrémentimpossible.J’aidéjàmalàlapoitrinelorsquejel’imaginemequitter,alorssavoirqu’ilneressentpaslesmêmes sentiments que moi me déchire de l’intérieur. Et la distance ne feraqu’approfondircetroudéjàbéantquisecreusedansmapoitrine.Àmoins que… je ne le rejoigne dans le Colorado.Avecmon dossier, je
pourraisêtreacceptéeàlafacultédesecteuretnouspourrionsnousvoirplussouvent,cequiseraitbénéfiquepournotrecouple.Non.VenirétudieràNewYorkétaitmonrêve,j’aitoujoursadmirécettevilleety
habiterestl’unedesplusbelleschosesquimesoientarrivées.Jenepeuxpasabandonnertoutçapourunhomme,peuimportecombienj’ensuisamoureuse.Et que diraient ma mère et mon frère ? Que penseraient-ils de moi ? EtAmber ? Je ne peux pas l’abandonner sur un coup de tête. L’amour rendaveugle,c’estvrai,maisilmeresteencoreassezdejugeotepournepasfairedebêtises.Pasencore,toutdumoins.Penseràtoutçamedonnemalàlatêteetmedémoralise.Jedécided’appeler
monfrère,ilestleseulsurquijepeuxcompterpourmeremonterlemoral.Etilmemanqueterriblement.—Heysœurette!Jesourisdèsquej’entendssavoixenjouéeetenthousiaste.Chadatoujours
été le plus drôle, le plus sociable et le plus beau aussi, soyons honnêtes, denousdeux.—HeyChad,commentçava?—Ouhlà!J’enconnaisunequidéprime…Inutile de faire semblant, mon frère parvient à lire en moi même à des
milliersdekilomètresdedistance.
—Ohnon,jesuisjusteunpeufatiguéeparlescoursetletravailmaisriendegrave.Ettoialors?—Situledis,sœurette!Jesuisaurestoavecdespoteslà.—Tuveuxquejeterappelleplustard?—Turigolesouquoi?Tucroisvraimentque je feraispassercesabrutis
avantmapetitesœur?Jesensmoncœurseréchaufferetunsourireaffleurersurmonvisagetandis
quedesprotestationsdevoixfamilièreséclatentenarrière-fond.—PasselebonjouràMimi!hurlelavoixdeJulien,lemeilleuramidemon
frère.—Ferme-la,Ju!rétorqueChad.AlorsquoideneufAim?Mon frère n’a jamais apprécié que son meilleur ami me porte une
quelconque attention car il soupçonne celui-ci d’avoir toujours eu un faiblepourmoi.Je trouveçaridiculepuisquerienn’auraitpusepasserentrenous.Julienabeauêtremignonetdrôle,iln’estpasdutoutmonstyle,etsurtoutjen’étais pas prête à m’engager dans une quelconque aventure amoureuse…Enfin,avantColin.—Çavaplutôtbien…Enfaitçavamieuxquebien,jeviensdeprendreun
appartavecmonamieAmberetondéménagebientôt!—Maisc’estgénial!Ilestcomment?Je lui décris l’endroit le plus fidèlement possible en insistant sur tous les
aspectspositifset jepeuxpresquesentir le souriredemonfrèreà travers letéléphone. Je lui annonce par la même occasion que je me suis acheté unevoitureetilnemanquepasd’émettreunpetitrireamusélorsquejeluidisdequelmodèleils’agit.J’hésiteunmomentàluiparlerdeColinmaisj’ignorecommentaborderle
sujet.Monfrèreetmoiavonstoujoursétéextrêmementcomplices, iln’apasde secrets pour moi et je n’en ai pas pour lui. Il me parlait souvent de sesmultiplescopines,medemandantdesconseils,etilnem’ajamaisriencaché.Jemejettefinalementàl’eau.—J’airencontréquelqu’un…jemurmureaprèsuncourtsilence,hésitante.—Ahoui?Savoixnelaisserientransparaître.Unebouleseformedansmonventre.—Ils’appelleColinetilestpilotedansl’armée.
J’ignore pourquoi je lui ai révélé lemétier de Colin, mais si je présentecelui-ci comme un soldat américain héroïque, cela jouera peut-être en safaveuretrassureralegrandfrèreprotecteurqu’estChad.—J’espèrequ’ilestbonpourtoi,Mia,sincèrement.Jesuisheureuxquetu
aiestrouvéquelqu’un.J’aiunpincement au cœur enentendant lesparolesdemonextraordinaire
frère.Je l’aimetellement, ila toujoursétémonmodèle,monidéalmasculin,monpilier.Toutemaviej’airêvéderencontrerunhommecommelui,aussibeau, sincère et drôle… mais j’ai rencontré Colin, et même si j’ignoretoujoursquiilestvraiment,monamourpourluigranditchaquejour.— Je vais devoir te laisser petite sœur, les boulets quime servent d’amis
n’arrêtentpasdemeposerdesquestionssurtoietsur«l’éludetoncœur»,çacommenceàmetapersurlesystème,lanceChadtandisquejel’imagineleverlesyeuxaucielcommeillefaitsisouvent.—Quandest-cequetupensesvenirmevoir?—Jenesaispasencoremaistrèsbientôt,jetelepromets.Ilfinitparraccrocheraprèsdelongsaurevoirdouloureuxpourmoi,puisje
resteimmobileunmoment,étenduesurledos,lesyeuxplongésdansleblancsisombreduplafond,mamainserréeautourdemontéléphone.Jen’aimêmepaslaforcederaccrocher,jemesenscomplètementlessivéephysiquementetmentalement. L’interminable soupir qui sort de mes lèvres en est la preuve.L’idée de devoir assister bientôt à la perte de mon tout récent couple, àl’effondrement de l’empire que venait de construiremon cœurm’accable etmefatigueàunpointquenulnepeutimaginer.Jesaisaufonddemoiquejemebattraiquoiqu’ilarrivepoursauver lepeuquenouspossédons,Colinetmoi,maisjesuiségalementeffrayée,j’aipeurqueladistancedétruisecequenousvenonsseulementdecommencer.Jefinisparrangercespenséesnoiresdansuncoindematêteetmerepasse
plutôtlessouvenirsdelanuitdernière,cequiamèneunsouriresurmeslèvres.Le corps tatoué deColin nu et brûlant qui danse contre lemien,mes doigtsemmêlés dans ses cheveux, ses lèvres contre ma peau, violemment,délicatement, délicieusement… Toutes les sensations me reviennent parvagues,sifortquejepeuxencorelesressentirdansmonbas-ventresijefermeles yeux. Le désir prend possession de mon corps, un frisson chaud metraversedespiedsàlatêteetunedouleurtorturantes’éveilleentremescuisses,unedouleurquejenesaispascommentfairetaire.Presqueinstinctivement,mamaindroitedescendlelongdemoncorps,doucement,tandisquej’imagineà
laplacedecelle-cilagrandemainsolidedeColin.Aumomentoùjesuissurlepointd’atteindremonbut, lasonneriedemonportablemefaitsursauteret jeretire vivementmamain dema culotte, comme prise en flagrant délit.MondésirpourColinest-iltroppuissantpourquejeparvienneàsurvivresanscessensations?—Amber,jemurmuredansmontéléphone,légèrementperturbée.—Helloprincesse!JevoulaistedirequejesuisdéjàchezTerrenceetque
jet’attends,jesupposequec’estDonJuanquit’accompagne…—Quelleheureest-il? jedemande,soudainementpaniquéeà l’idéed’être
enretard.—Relax,ilestseulement18h30,tuasencoreunepetitedemi-heuredevant
toi.Je n’avais pas vu le temps passer. Heureusement qu’il ne me faut pas
beaucoupdetempspourmepréparer.JeprendraimapetitTwingo,quejen’aipasencoreeubeaucoup l’occasiond’utiliser,pour rejoindreColinetAmberdirectementsurmonlieudetravail.—Ilfautquejefile,àtoutàl’heureAmber.—Çamarcheprincesse.Dèsquej’airaccroché,jesautedulitetmemetsàlarecherched’unetenue,
optantpourunepetiterobenoireprèsducorpsetunepairedeConversedelamême couleur.De toute façonpersonne ne regardemes pieds quand je jouealorspourquoime tortureràmettredes talons?Alorsque je sautille surunpied pour ne pas perdre l’équilibre en mettant mes chaussettes, quelqu’unfrappe à la porte. Je vais ouvrir, essoufflée et effrayée à l’idée d’arriver enretard.JemeretrouvealorsfaceàColin,plusbeauquejamaisdanssonjeanfoncé
etsachemiseclaire,sonhabituelsouriremutinauxlèvresetunregarddefeudanslesyeux.—Colin…C’est tout ce que j’arrive à prononcer. Jeme sensmoche tout à coup.Cet
hommeesttropbeaupourêtreréel.— Je passais par là et je me suis dit que je pourrais t’accompagner au
boulot,etqu’onpourraitensuiterentrerchezmoi…Çatedit?—Ehbien…Je vaism’asseoir surmon lit pour finir d’enfilermes chaussettes et pour
évitersonregardquimedonneenviede luisauteraucou.Lorsque jerelèvelesyeux,ilsetientdevantmoi,lesbrascroisésetunairtaquinsurlevisage.—Tunem’aspasditbonjour.J’éclatederire,surpriseparsesparolesetparl’airoffusquéqu’ilaprisen
lesprononçant.—Jeterappellequ’ons’estdéjàvusaujourd’hui.—Etalors?C’estunmotifsuffisantpourmepriverd’unbaiser?Cet homme est fou. Je l’aime peut-être pour ça d’ailleurs. Après un faux
soupirexaspéré,jememetssurlapointedespiedsetdéposeunchastebaisersursajoue.—C’esttout?demande-t-il,unsourcillevé.—Jesuisenretardpourleboulot…Ilestévidentquesinousnousmettonsànousembrasser,unsimplebaiserne
leresterapas longtemps,et jevoudraisvraimentéviterdedécevoirTerrenceenarrivantenretard…JeluttedonccontreledésirdegrimpersurColinetluirésiste.—Jeprometsdenepastetoucher.Jeveuxjusteunbaiserici,murmure-t-il
enpointantseslèvresdudoigtavantdepassersesmainsderrièresondos,l’airmalicieux.J’aibeaufairesemblant,cepetitjeudeséductionpresqueenfantinm’amuse
autant qu’il m’excite. Je m’approche de lui, prends son magnifique visageentremesmainsetcollemeslèvressurlessiennes,d’abordlégèrementpuisdemanièrepluslangoureuse.Monsieurnes’enplaintpas,aucontraire,jesenssesmainsagrippermondosavantdem’attraperparleshanchesetdemesouleverdanssesbras.Jesuisvraimentfaible,unsourire,unhaussementdesourciletjesuiscuite.—Colin…Jedoisyaller,jegémiscontreseslèvres.—Justeuneminute…Ilpasseunemainsousmarobeetarrached’unseulcoupmaculottetandis
quej’émetsunglapissementdesurprise.—Tuescomplètementfou!Il n’a pas l’air désolé le moins du monde. Il s’apprête à m’embrasser à
nouveau lorsque je l’interromps d’un geste de lamain etme dégage de sonétreinte.
—Gardeçapourtoutàl’heure,jechuchoteaucreuxdesonoreilleavantdedéposerundernierbaiserpapillonsursabouche.Ilal’airdenepasencroiresesyeux,stupéfaitparlamanièredontjeviens
deluirefusercequ’ilveut,cequenousvoulonstouslesdeuxenréalité,luiquin’ajamaisdûessuyerderefusdesavieentière.Mamèreditsouventqu’ilfautsavoirse fairedésireretnepascédersoncorpsaisémentàunhomme,souspeined’êtresoumiseàsondésir.C’estdoncavecungrandsourirequejemedétourne de son regard de feu et que j’attrape ma veste en jean et meschaussuresavantde lesenfiler soussesyeuxpleinsdedésir. Il tient toujoursmapetiteculottedanssonpoingfermé.Jepourraispenserqu’ilestencolèremaislepetitéclatd’amusementdanssesyeuxmeprouvelecontraire.Lorsquejetendslamainpourrécupérercequirestedemonsous-vêtement,
ilsecouelatête.—Ça,c’estàmoi,dit-ild’unevoixérotique.Jelagarde,tun’enauraspas
besoincesoir.—Pervers,jerétorquetandisqu’ilsemetàsourire.—Aprèsvousmademoiselle,murmure-t-ilpolimentenposantunemainen
basdemondostandisquejepasselaporte.— Comment peux-tu faire semblant d’être un gentleman après m’avoir
sauvagementarrachémapetiteculotte?—Jesuistoujoursungentleman,missHope.—Ungentlemanperverslégèrementatteintdepriapisme,jecomplèteavec
humourtandisquenousgagnonsl’ascenseur.Ilsaisitmamainetydéposeunbaiserdélicatettendre,rienàvoiravecla
bêtesauvagequ’ilestréellement.Maisj’adoreça.Contrairementàceque jepouvaispenser,mebalader lesfessesà l’airme
rend très nerveuse. Je me demande même en chemin s’il est possible quej’attrapeunrhumedececôté…Lestressmerendirréaliste.—Àquoi tupenses ?medemandeColin aprèsquelquesminutes à rouler
dansletraficnew-yorkais.—Jemedisaisquetuétaisvraimentungrandmalade,jerépondsd’unton
trèssérieux.Ilritmaisnerépondpas,secontentantdeposerunemainsurmacuisseetde
lapresseraffectueusement.Jepensequeçaconfirmemesdires:ilestfou,etillesait.Enrevanche,jecroisqu’ilignoretoujoursquejel’aime.
—Tuessûrqu’ona rienvu? jedemandepour lacinquièmefoisàColin
tandisquenouspénétronsdanslerestaurant.—Tucroisvraimentquesij’avaissurprisunmecentraindematerleculde
macopinejeseraisrestésansrienfaire?—J’endéduisquelaréponseestnon.— Écoute-moi bienMia, murmure-t-il en faisant halte et en prenant mon
menton entre ses doigts, je l’ignorais jusqu’ici mais il s’avère que je suisquelqu’undeplutôtpossessif,tuvoislegenre?Jehochela tête,hypnotiséeparsesyeuxdevenussombressousl’éclairage
tamisédubar. Jemedoutequ’Amberestquelquepartdans lecoinetqu’ellenousépie,maisjesuisincapablededétournerlesyeuxdeColin.—Jen’accepterais jamais qu’un autrepose les yeuxou lesmains sur toi,
quecesoitpourtefairedumaloupourautrechose,poursuit-ild’unairgrave,sérieux, presque menaçant. Tu es avec moi maintenant, je dois te protégerautantquejedoistesatisfaire.Et autant que tu doism’aimer, je complètementalement.Mais je garde le
silenceethocheànouveaulatête.Unjourjeluidiraicequejeressens,etalorspeut-êtrequ’ilmediraqu’ilm’aimeluiaussi.Jouerdupianosansculotteestbienpluscompliquéquejenelesoupçonnais,
jeparviensdifficilementàmeconcentreràlafoissurmonmorceauetsurmescuissesquej’essayedegarderserréesaumaximum,etplusletempspasseplusjeme trouve stupided’être entréedans le jeudeColin.D’ailleurs, siAmberarriveàpeineàlesupporter, iln’envapasdemêmepourlerestedelagentféminine.Eneffet,lesminutesdéfilentautantquelesfillesàlatabledeColinquis’estinstallédansuncoinàl’autreboutdelapièce,prèsdubar,etmêmes’il n’a l’air d’avoir d’yeux que pour moi, son attention est régulièrementaccaparéepardesfillestropbellespourêtreinnocentes.Jetentedecontrôlerlajalousiequiboutenmoimaisc’estimpossible:jesuistropremontéepourmecalmeretmonespritpassesontempsàinvectiverchaquefillequipasseàla table demon amoureux. Ce quime tue le plus, c’est de voir qu’elles onttoutes lemêmecomportementaguicheuret familieravec lui,commes’ils seconnaissaientdéjà…Etça,jenelesupportepas.Cesfillesnerestentpastrèslongtemps à ses côtés, sauf une. Une grande rousse vraiment canon qui sepermetcarrémentdes’asseoiràcôtédelui,siprochequ’ellepourraitpresque
êtresursesgenoux,etlepirec’estqueçan’apasl’airdelegêner.Madameesttrès tactile, elle lui touche le bras à de nombreuses reprises tandis qu’ilsdiscutentetrientàproposdechosesquejenepréfèrepasconnaître.Sagrâceet ses mouvements, minutieusement étudiés pour être sensuels, semblentefficacescarColinnemeregardeplusaussisouvent,focalisésurcetteversionplus jeune,plusbelleetplusvulgairedeJessicaChastain.Sa robebustierencuirrougeluirecouvreàpeinelesfessesetsestalonssontsihautsquejemedemandecommentellefaitpournepasavoirlevertige.Je n’ai pas honte d’être jalouse, je pense que tout lemonde l’est plus ou
moins,toutestunequestiondecontrôle.Etcesoir,jeperdslecontrôle.Parcequejesaisquecettefillefaitpartiedela«liste»deColin,c’estpourçaqu’ilsontl’airsifamiliersetqu’ilssecomportentcommedevieillesconnaissances.Jesenslabilememonteràlagorgeetleslarmesauxyeux.J’aibesoind’air,jemesensoppresséecommesi jemanquaisd’oxygène.Alorsjefaiscequimesemblelemieuxpourparveniràgardermonsang-froid:jefermelesyeuxetm’oubliedanslamélodiedemesmorceaux,dansmonmondeàmoi.Dèsquel’horlogemelepermet,jemeruequasimenthorsdelascènepour
gagnerlesvestiaires,lecœurbattantfrénétiquementlorsquejepasseprèsdelatableoùColinetsonamiesonttoujoursentraindediscuter.Unefoisàl’abridetous,j’ouvremoncasierd’ungestebrûlantdecolère,àlarecherched’uneculotte,mêmesijesaispertinemmentquecen’estpasiciquejevaisentrouverune.—Mia?C’est Amber. Je soupire et continue à fouiller pour me donner une
contenance.Jemesenshumiliéeetcetteabsencedesous-vêtementnefaitquerenforcermonsentiment.—Commenttutesens?medemande-t-elleens’approchant.—Trèsbien,jerépondsfroidementengardantledostourné.—Pourquoiest-cequej’ail’impressionquec’estfaux?—Je…Est-cequetusaisquic’est?Elle ne répond pas et semble terriblement contrite lorsque jeme retourne
pourluifaireface.Jecroispercevoirdelapitiédanssonregardetjedétesteça.—Elles’appelleSavannah,finit-ellepardire.ElleconnaîtColin.Traduction : «Elle a couché avecColin. »Labonnenouvelle c’est que je
n’aipasperdumonsixièmesensféminin.Jedigèreensilencelanouvelle.—Combiendetemps?—ArrêtedetefairedumalMia…—Combien?j’insisteenignorantsonregardimplorant.—Je croisqu’il n’a jamais eude copine à long terme,mais ça tudois le
savoir,murmure-t-elleenbaissantlesyeux,jenel’aijamaisvudeuxfoisaveclamêmefille.Sijesavaisquoiquecesoitdeplusjeteledirais.Elle semble sincère, voilà pourquoi je hoche la tête en ayant l’air deme
satisfairedesaréponse,mêmesicelle-cinemeplaîtvraimentpas.CombiendefillesColina-t-ilconnues?Combiend’entreellesonteulachanced’appréciersoncorpset l’effetextraordinairequ’ilprovoquesurlemien?Jenepréfèremêmepaslesavoir.—Detoutefaçonj’imaginequejevaisdevoirmefaireàl’idéedecroiser
sestrèsnombreusesconquêtesici,onestsursonterraindechasseaprèstout…jemarmonneensoupirant.Elle arbore une moue désolée et nous rejoignons ensemble le bar où je
commencemonservice.Jepréfèreoubliercetteconversationpourlemoment.Colinestperchésur l’undes tabourets lorsque je reviens. Ilest seulet ses
yeux sont tournés vers moi mais je suis toujours trop en colère pour leregarderouluioffrirunsourire.Jenesaisplusquoipenser:d’uncôté,j’ailesentiment que ma réaction est injustifiée et exagérée, de l’autre, je me disqu’aucun homme ne devrait avoir ce genre de relation avec ses anciennesconquêtes.Jesuisperdue.JeretrouveMarcetnouséchangeonsquelquesbanalités,cequimepermet
demesortirColinde la têtequelques secondes,mais je sens son regardquisemblecreuserun troudansmondos.Àmesureque le tempspasse, l’éviterdevientplusdifficilecarmêmesijefaistoutpournepascroisersonregard,cequimeferaitsuccomberànouveau,ilarrivequejeluijetteuncoupd’œilenréalisantqu’ilnemequittepasdesyeux.—Est-cequetum’évites?Jem’immobilise, le verre du cocktail que je préparais en suspens dans la
main.—Non,jerépondsimpassiblement,toujoursdosàlui.—Qu’est-cequiteprend,Mia?
—Écoute, jedois travailler, jen’aivraimentpas le temps là…jeprétexteavantdem’éloignersansattendresaréponse.J’ai conscience quema réaction peut paraître puérile mais je neme sens
vraimentpascapabledeluiparlercommesiderienn’était.— Est-ce que c’est Amber ? Elle t’a dit quelque chose ? m’interroge à
nouveauColinalorsquejesersunclientprèsdelui.Pourquoi est-ce qu’il me demande ça ? Je secoue la tête et m’efforce de
plaquerunfauxsouriresurmeslèvrespourlerassurer.—Jesuisseulementfatiguée,Colin,jet’assurequeçava.Jen’attendspassaréponseettournelestalonssansm’attarderdavantagesur
sonvisagesoucieuxetperplexe.—Mercimajolie,lanceConnorderrièremoid’unefaçonpresquelubrique.C’est un habitué du bar que je vois tous les soirs depuis mon arrivée. À
chaque commande qu’il fait, je dois me retenir de lui jeter son verre à lafigure,étantdonnéqueTerrencen’apprécieraitpasquejeluifasseperdrel’unde ses plus gros clients. Le voir me met constamment mal à l’aise, il mereluquetoujoursdehautenbascommesijen’étaisqu’unmorceaudeviande.Colinn’insistepasetnetentepasd’engagerànouveaulaconversation,maisjepeuxlevoirruminerdanssoncoin,lesyeuxfixéssurlesol.Ilsaitpourquoijelui en veux, c’est trop évident pour qu’il l’ignore, pourtant il ne semble pasprêt à en parler.En réalitémoi non plus, je ne voudrais pas faire une scènependantmonservice.Lesminutess’égrainentrapidement,sibienquel’heuredem’enallersonne
sans que je ne m’en rende compte. Je n’ai toujours pas décroché un mot àColinlorsquejerejoinsAmberdanslesvestiaires.—Tuvasluienparler?medemande-t-elleenenfilantsaveste.—Jenesaispas,jesoupire,crevéeetincapablededéterminersij’aienvie
deconnaîtrelanaturedesrelationsentreColinetcettefameuseSavannah.—Sachequequoiquetufassesjeseraitoujourslàpourtoi,Mia.JeremercieAmberd’unfaiblesourireetd’uncâlinlégèrementrevigorant
avant de la quitter devant l’entrée du restaurant pour rejoindre Colin quim’attenddans savoiture. Il faitplutôt fraisce soiret c’est avecbonheurquej’accueille la chaleur de l’habitacle. En revanche, le silence froid qui noustombedessusmeplombeànouveaulemoral.—Jesaisquequelquechosenevapas,Mia.Pourquoiest-cequeturefuses
demerépondresincèrement?— Colin… je murmure avec lassitude, trop épuisée pour entamer une
dispute.—C’estàcausedeSavannah,c’estça?Sansblague,c’étaitsiduràdeviner?Monsilenceestassezéloquentpour
qu’ildevinemaréponse.Ilpousseunlongsoupir.—Jesavaisqueçafiniraitpararriver,murmure-t-ilpourlui-même.Je suis tentée de lui demander de quoi il parle mais comme il reste
silencieux,jefaismatêtedemuleetdécidedenepasfairelepremierpas.Maréputation d’obstinée est en jeu, là. Finalement aucun de nous deux ne parlejusqu’àcequ’ilsegareenbasdechezlui.Unefoislemoteurcoupé,dansunsilence plus assourdissant que jamais, il soupire puis se tourne versmoi. Jesuisrestéeimmobile,lesmainsposéessurmescuissesetleregardfixédroitdevantmoi.— Savannah est une simple connaissance, amorce-t-il doucement. Nous
avonscouchéensemblequelques foismaisellevoulaitplus…alorsquemoinon.Çan’avaitpaslamoindresignificationàmesyeux.Cesaveuxmedonnentenviedevomir.Ilparledesexecommes’ils’agissait
d’unebanale discussion, froidement et sans lamoindre considération.Qu’enest-il des sentiments et des émotions ? Savoir qu’il utilisait ces fillesuniquementpourleurscorpsmefaitinévitablementsongerquejenesuis,moiaussi,qu’untrophéedeplusàsontableaudechasse.—Regarde-moi,murmure-t-ilensaisissantmonmentonpourmeforcerà
le regarder. Je n’ai jamais connu de femme comme toi, Mia. Tu es tropnaturelle,spontanée,brillante,unique,pourquetutecomparesàcesfilles.Tun’es pas comme elles, je te le promets. Je n’ai jamais désiré posséderquelqu’unautantquetoi.J’ouvreenfinlaboucheaprèscequimesembleêtreuneéternité.—Jesaisquej’ail’airridicule,maisvoirlamanièredontvousriiezetdont
elletetouchait…Jenelesupportetoutsimplementpas.—Arrête,jetelerépète:iln’yaquetoi,personned’autre.Lasincéritédesesmotsmegonfletroplecœurpourquejepuisserésister
davantage.Jel’aimetroppourça.—D’accord,jefinisparmurmurerenhochantlatêtesansconviction.Ilm’adresseun sourire lumineuxqui fait ressortir ses jolies fossettes,me
caressedoucementlalèvreinférieureavantdesortirdelavoiture,d’ouvrirmaportièreetdemetendrelamain.Jecroisquec’estaumomentoùildéposeunlégerbaisersurmonfrontquej’oublietotalementlaraisondemoncourroux.Levoiragirdemanièreaussiadorablemefait tomberànouveauamoureusedelui.Jeperdslavuepetitàpetit,aveugléeparl’amour.—Tunefaispluslatête?demande-t-ild’untonenfantincraquanttandisque
nouspénétronsdanssonappartement.—Non,Colin,jen’yarriveraispasmêmesijelevoulaisparceque…Parcequejet’aime.—Parcequetuestropirrésistible,jetermineensouriant.—Cenesontquelesapparences,murmure-t-ilavecunsouriremystérieux
enembrassantlesommetdematêteavantdesedirigerverslacuisineenquêted’unrepaspourcesoir.Quantàmoi,aprèsl’avoircontempléquelquessecondes,jem’éclipsedans
lasalledebainspourmedoucheretmemettreenpyjamaavantdelerejoindredans la cuisine.L’odeur qui en provientmedonne l’eau à la bouche, je suisaffamée.—Jecroyaisque tunecuisinaispasbeaucoup, je remarqueenpassant les
mainssoussontee-shirtpourpalpersesabdosdurscommedubéton.C’est suffisant pour faire grimper mon désir. Sans parler de ses fesses
fermesquisontcolléesàmoi…—Jemesuisditquetuvalaislapeinequejefassedesefforts.OhColin.Commentfait-ilpourmesortirlesrépliqueslesplusadorablesde
l’histoire?— J’ai hâte de voir de quoi tu es capable, je le taquine en embrassant le
creuxdesacolonnevertébrale.Je l’entendsriredoucementavantdeposerunemainsur lesmiennes,d’en
porteruneàseslèvresetdel’embrasserdanslecreuxdelapaume,cequimedonnedesfrissonslelongdudos.Jecroisquejepourraisaisémentmefaireàcettevieaveclui,vivred’amouretd’eaufraîche,deregards,debaisersetdetoutcequiimpliqued’êtretouslesdeux.Maisvoilàquel’armées’invitedansmespenséesetqu’ellebousillelesrêvesquefaçonnaitmonespritamoureux,qu’elle détruit tout sur son passage comme une guerre civile impitoyable.J’aimerais la chasser demaviemais elle est aussi présente quemon amourpourColin,etjecrainsqu’ellerefusedes’enallerpouruntrèslongmoment.Il l’aime trop pour la quitter. C’est la briseuse de couple la plus cruelle au
monde.—Alors…Verdict?Jefeinsderéfléchirlonguementenrétrécissantlesyeux,l’airprofessionnel
etsévèrefaceàsonvisagesoucieux.—C’esttrèsbon,jedéclareenfinpourfairecesserlatorture.Tueslechef
desnouillessautéesaubœufetauxlégumes.Ila l’airsiheureuxquej’éclatederire,oncroiraitvoirunpetitgarçonle
matindeNoël.Cethommemerendfolled’amour.—J’aiapprisàcuisinerquelquestrucslorsd’uneinterventionenAsieilya
quelquesannées.J’étaisencoresoldatsurleterrainetj’aiconnuunefemmelà-basquim’aappristoutcequejesais…Mon cœur fait une nouvelle embardée.Qu’il ait couché avec lamoitié de
NewYork,passeencore,maisjeneveuxriensavoirdesesaventureslorsqu’ilétaitenmission!— Tu sais Colin, à l’avenir, lorsque tu voudras évoquer l’une des filles
figurantdans ta listedevictimes, souviens-toique tu risquesànouveaude teréveillerunmatinavecuntesticuleenmoins.Iléclatederiresousmonregardmauvaisetassassin,etquelquechoseme
ditqu’ilsefoutdemoi.—Elleavaitquatre-vingt-septans,Mia!Voici, mesdames et messieurs, le tutoriel intitulé « Comment passer pour
une idiote enmoins d’uneminute ». Je sens le rougememonter aux joues.Bienvu,MiaHope.—Bonçava,onacompris,jebougonneencroisantlesbras,maisnem’en
veuxpassitaréputationteprécède,DonJuan.Illèvelesyeuxaucielens’arrêtantavecpeinederire.—Tun’asaucuneraisond’êtrejalouse,Mia,maisj’aimebienquetulesois,
murmure-t-ilaprèss’êtrelevépourmerejoindredel’autrecôtédubar.—C’est plus fort quemoi, t’imaginer avec une autreme rend folle… je
chuchoteprèsdesabouche.—Ça peut paraître étrangemais quand tu dis des choses comme ça, j’ai
l’impressiond’êtreaimé.Moncœurcessedebattre.Jenem’attendaispasàentendredesmotspareils
sortirdesabouche…etluinonplus,d’ailleurs,sij’encroissonairtroublé.Jesuisàdeuxdoigtsdeluidirequ’ilestbeletbienaimé,parmoi,maisjegardelesilence,encoretropeffrayéeàl’idéedelefairefuiroudelebraquer.Jefaisdonc ce que jemeurs d’envie de faire depuis unmoment : je l’embrasse. Jel’embrasse de toutmon soûl, avec l’espoir que,même si lesmots sont tropdurs à prononcer, mon amour jaillira de mon baiser et finira par lui fairecomprendrecombienjel’aime.C’estunetorturededevoirretenirun«jet’aime»quel’onmeurtd’enviede
laisser sortir. Jamais je n’aurais imaginé à quel point ces sept petites lettrespourraient me brûler les lèvres. Aujourd’hui pourtant, et ce soir plus quejamais, elles me semblent indomptables et terriblement douloureuses,déchirantes. Ce « je t’aime » hurle de toutes ses forces en moi, en vain. Ilrisquederesterprisonnierunlongmoment.Colin a les mains fermement agrippées à mes hanches, impitoyablement
ancrées dans ma peau, sa bouche est soudée à la mienne dans un slowlangoureux et sensuel. Et puis, tout s’enchaîne trop vite pour que je mesouvienne de chaque mouvement que nous faisons, de chaque vêtement quenous envoyons valser aux quatre coins de la pièce, de chacun de nosgémissements qui se mêlent à la symphonie palpitante de nos corps quis’aiment. Les assiettes et les verres volent en éclats au sol, je vole en éclatsentresesmains, jemeursetreviensàlavie, jenesaisplusquiestqui,nioùnous sommes. C’est trop incroyable pour se passer sur terre, nous sommesforcémentdansunautreunivers.Toutmesembletellementdérisoirelorsquejesuis près de lui, lorsqu’il est avecmoi, enmoi. Je suis lui, il estmoi, noussommesnousetpersonned’autre.Personnenepourra jamaiscomprendrecequenoussommes,cequejeressens,qui jesuisavec lui.C’est tropfoupourêtrelogique,tropbeaupourêtrecompris,troprarepourêtrepartagé.J’aimeColinCarter,c’estaussisimplequeça.
Chapitre17
Colin
Des heures, des éternités, je ne sais plus depuis combien de temps je lacontempledormirdansmesbras.Soncorpsnuetdélicatlovécontrelemien,son parfum inoubliable, la courbe de ses seins et de ses fesses douces… Jepromènemesmainssursondos,puissonventreetsonvisagesansqu’ellenesorte de son sommeil, épuisée après cette étreinte extraordinaire. Je n’arrivepas à me lasser d’elle et de ce qu’elle provoque en moi, des sensationsnouvellesetdestructricesquimedéchirentlorsquej’atteinslajouissancedanssesbras.Ellemerendfou, insatiableetméconnaissable. Jamaisdemavie jen’aiétéencouple, jamais jen’ai fait l’amour, jamais jen’ai éprouvé tantdesentiments étranges et douloureux. Jamais je n’ai rencontré une personnepareille. Elle est la bouffée d’air frais quimemanquait pour sortir de cettebulledanslaquellejesuffoquais,cettebullequiétaitmavieavantsonarrivéebouleversantedansmonmonde.Est-ce que c’est ça, l’amour ? Ça fait partie des choses qui m’ont été
enlevées dansmon passé, la capacité d’aimer une personne autant que notrecœur le permet et de se sentir capable de la rendre heureuse. Et ça n’estdéfinitivementpasmoncas,carquoiquejefassejamaisjenepourrailarendreheureuse.Jenesuispasfaitpourça.—S’ilteplaît…Neparspas…JebaisselesyeuxsurMiaquigémittristementdanssonsommeil.Jenepeux
m’empêcherdesongerquecesmotsserontceuxqu’elleprononceralorsquejela laisserai tomber. Ça me brise une fois de plus ce cœur que je croyaisdisparu.—OhMia…jemurmureenluicaressantlescheveuxpourlarassurer.Savulnérabilitémerendvulnérable,sessanglotsétouffésmedonnentenvie
delaprendredansmesbrasetdenejamaispluslalâcher,etlamanièredontelleenfouitsonvisagecontremoncorpscommesielles’ysentaitensécuritéme fait crever de culpabilité. Parce qu’elle ignore que c’est auprès de moi
qu’elleestleplusendanger.Jedevraisluidirequejeneveuxplusd’elleetquejeneferaiquelafairesouffrirpourqu’elles’enaille,jedevraislapréserverdemoietdelasouffrancequejevaisluifaireendurer.Etpourtant…Pourtantjesuistoujourslà.Quandjepensequ’audépartjenecomptaislaséduirequepourletempsd’unenuit,commelesautres!Mevoilàentraindeculpabiliseràcausedeladouleurquejevaisluiinfligerenlaplaquant.Jepassenerveusementunemaintremblantedansmescheveuxemmêléspar
notre étreinte, quand nos corps étaient l’un dans l’autre dans une parfaiteharmonie,avantdeposerlesyeuxsursonvisage.Jenesuisqu’unconnard.Jemeretrouvedanslamêmesituation,danscettelutteacharnéecontremoi-
même,voulantàlafoispersisteràconstruirequelquechoseavecMiaettentantdemeconvaincrequejenesuispasbonpourelle.Àcetinstantj’aimeraisêtreassezfortpourluidiredes’enaller,denepasgâchersavieauprèsdemoietdenepaschercherenvainquelquechosedebonenmoi…Maisjen’yarrivepas.Depuisledépart,jesavaisqueçaarriverait,jesavaisquenousfinirionspar
exploseretquetouslesespoirsquejeluiavaisfaitmiroiterneseraientquedessouvenirsdouloureux,etpourtantj’aicontinuéàavancersanspenseràelleuneseconde,tropégoïstepoursortirdecettesortedebulledanslaquellej’étais.Enl’espace de quelques semaines, j’étais parvenu à oublier celui que je suisréellementenmelaissantentraînerparcecourantagréabledanslequelMiametirait. J’ai essayéde résisterpourtant,dès lapremière foisoù je lui aiparlé,j’aisuqu’ilfallaitquejem’enaille,alorsjesuisparti…Maisjesuisaussitôtrevenuauprèsd’elleparcequej’aiététropfaiblepourfaireautrement.Elle m’a eu au premier « bonjour », à la première note de musique. Et
aujourd’hui j’en suis là : luttant pour trouver le courage de la quitter avantqu’ilnesoittroptard.Ilfautquej’agisse,quejeréparelesdégâtsquej’aiprovoqués.Jeluiaipris
savertuetsoncœurmaisjerefusedeluidérobersonâme.Jedoisluirendresaliberté.Jeveuxlalibérerdemonemprise.Jebaisselesyeuxsursonpetitcorpsendormi,puismelovecontreelleen
respirantl’odeurdesapeaupourladernièrefois.Carjesaisquedemain,toutseraterminé.—Pardonne-moi,Mia.
*
C’est le contact d’une petite main qui se promène sur mon corps et dedouceslèvresdansmoncouquimeréveille.Sonsouriretendreetlumineuxestlapremièrechosequejevoisenouvrantlesyeux.— Bonjour, murmure-t-elle en baisant doucement mon cou puis ma
mâchoire, ce qui déclenche un délicieux frisson le long de ma colonnevertébrale.—Hello…Elle est éblouissante avec ses cheveuxébouriffés et son air encoreunpeu
endormi, mais au moment où je m’apprête à déposer mes lèvres sur lessiennes, siquémandeuses, je suisviolemmentpercutéparmes résolutionsdecette nuit. Je ne peux pas me permettre de les briser une nouvelle fois. Jem’écarte alors d’elle presque brusquement et bondis hors du lit sous sonregardalarméavantdem’enfermerdanslasalledebains.— Tu ne peux pas faire ça… je murmure rageusement à mon reflet au
regardsombre,lesmainsappuyéessurlereborddulavabo.Je n’y arrivepas, je ne sais pas quoi faire pour lui dire departir sans lui
fairedemal.Pourquoi est-ceque jene lui dis pas tout simplementque c’estterminé entre nous et qu’elle ne me verra plus ? Pourquoi est-ce que je netrouvepas lecouragede la jetercomme lesautres?Sansétatd’âmeetavecunefroideurinhumaine.Maisl’imaginer,imaginerMiapleurerdevantmoietmedirecequ’ellemurmuraitcettenuitavecunaccentdedétressemedéchirele cœur.Ellemedemanderaprobablementpourquoi je fais ça alorsque toutallait parfaitement bien hier, lorsque je vivais encore dans la bulled’insouciancequinousenfermaittouslesdeux.—Colin?Est-cequeçava?demande-t-elleàtraverslaporte,soucieuse.Jenetrouvepaslaforcedeluirépondre.—Jet’enprie…Dis-moicequinevapas.Lapeurmêléeàl’inquiétudedanssavoixmetorture.—Jevaisbien,jerétorquefroidementsansouvrirlaporte.Mettre mon masque impassible et froid, dissimuler mes émotions, parler
sèchement sans que rien ne trahisse la douleur qui me tenaille, adopter uneattitude naturellement cruelle, une attitude de connard.Tout ça, je connais. Ilsuffitseulementde lemettreenapplication.Jecroisque lesonque j’entendsestceluidemoncœurquiéclate.
Jesouffleunderniercoupavantd’ouvrirlaporteetdeluifaireface.Elleestenveloppéedudrapblanc,auréoléedesrayonsdusoleilcommesielleétaitunangeenvoyéparlescieux.Commentpuis-jeluifaireça?—Qu’est-cequetuas?demande-t-elleens’approchantdemoietenpassant
unemainsurmonvisageetmonfront,commepourvérifierquejenesuispasmalade.Jeluttedetoutesmesforcespournepascraquer,laprendredansmesbraset
luifairel’amourmillefoispourmefairepardonnerdemonégoïsme.Ellemecaresselajoueavecsonpoucetandisquejefermelesyeuxpourm’enivrerdela sensation exceptionnelle que ça provoque en moi. Une sensation que jeressens pour la dernière fois. Si je m’écoutais, je saisirais ses mains et enembrasserais chaque millimètre pour en mémoriser chaque ligne, chaquecourbureetchaquepli.—Jeviensdemerappelerquej’aideschosesurgentesàfaireaujourd’hui,
jebafouillelamentablementenmedétournantdesonregardperplexe.—Oh,quelgenredechoses?J’enfiledesvêtementssanslaregarderpouréviterdelavoirsebriser.—Deschoses,c’esttout.Ellenerelèvepas,s’assiedsurlelitetplantesonregarddanslesol,pensive.
Siseulementellesavaitàquelpointjesouffre.— Je vois, elle murmure d’une voix sourde et vide tandis que je me
retourne.Je regarde partout sauf dans ses yeux où je suis certain de trouver de la
déception,deladouleuretdelacolère,maispar-dessustoutdelatristesse,carceneseraitquelerefletdemesémotions.— Écoute Mia… Je pense que tu devrais rentrer chez toi, je parviens à
prononceraveclaplusgrandedifficulté.Mes mots sont des lames de rasoir dans ma bouche. Les prononcer me
déchireleslèvresetmemetlecœurensang.Sansquejeleveuille,mesyeuxretrouvent les siens et ceque j’yvoismeglace le sang.Sonvisageexprimeunetristessesidéchirantequej’enpleurerais,sij’enétaiscapable.Sesyeuxsisombresbrillentd’unelueurquiseradésormaissourcedemescauchemarsetsalèvreinférieurequ’ellepeineàempêcherdetremblerfinitdem’achever.Jesuisunmonstre.La seule chosequime fait tenir est que j’ai consciencedene faire çaque
pour sonbien, que toute cette douleur n’est qu’unmauvaismoment à passerpourqu’elleparvienneàvivresansmoi.Qu’ellepuisseconnaîtreunbonheurqu’ellen’aurajamaisàmescôtés.Incapabledesupporterunesecondedeplusle portrait déchirant de son visage, je tourne les talons et quitte la chambrepourluilaisserletempsderassemblersesaffairesetsesesprits…Etdes’enaller.Plusieursminutes passent pendant lesquelles j’attends queMia se prépare,
debout devant ma fenêtre à regarder New York avec un regard absent.Lorsqu’elle finitpar sortirde lachambre, elleest silencieuseet terriblementabattue.Lavoirtraverserlesalonavecsavestesouslecoudeetsasacocheàl’épaulemedonneenviedelaprendredansmesbrasetdelasupplierdenepasmehaïr.—Alors…Onsevoitplustard?demande-t-elledansunmurmurehésitant
sansmeregarderdanslesyeux.OhMia,siseulement.—Jenesaispassij’aurailetemps…—J’aicompris,mecoupe-t-elleavecunsourireamerenhochantlentement
latête,lesyeuxfixéssurseschaussures,l’airhumiliée.Jevoudraisluidirequejesuisdésolé,luidirequejefaistoutçadansleseul
butde laprotégerdemoi,mais jesaisque touts’effondreraitalorsetque jecéderaisaudésirardentdeluidemanderderester,pourtoutelavies’illefaut.—Netefatiguepas,jesaiscequetuvasdireetjeneveuxpasl’entendre,
murmure-t-elleavecuneétrangedouceur.Çan’étaitqu’unequestiondetemps,j’imagine.Ellelèvelesyeuxpourcroiserlesmiensunedernièrefois,puissemetsur
la pointe des pieds et dépose un unique baiser léger sur ma joue avant detournerlestalonsetdequittermonappartementsansunregardenarrière.Dèsque laporteclaquederrière laseule filleàavoir jamais foulé lesoldechezmoi, tous lessouvenirset tous lesmomentsquenousavonspassésensemblecesdernièressemainesmepercutentteluncrochetdanslescôtes.Cettefille,cepetitêtrebourrédetendresse,d’intelligenceetdegénérositéestparvenuàmechanger,àmetransformerenunepersonnequejenereconnaispasmaisquejemesurprendsàapprécierplusquejenel’auraisimaginé.Siseulementj’étaisdigne d’elle et digne d’être aimé…Notre histoire aurait été tout autre, nousaurions pu apprendre à nous connaître, à nous découvrir et à nous aimercommej’aitantrêvédelefaireunjour.
Enlalaissantentrerdansmavie,jeluiaidonnélepouvoirdemedétruireetelleyestparvenuesans le savoiret sans levouloirens’enallantàcausedemoi.Est-ce qu’on a été un couple ? Oui. Seulement je n’ai pas eu le courage
nécessairepouraffrontermesdémons,ceuxquim’empêchentd’êtreheureux,mepriventde la capacitéd’aimer, ceuxquimehantent chaque jourpourmerappeler àquelpoint j’aimoi-même faitdemavieunenfer.Àquelpoint jesuis damné. Et dire qu’il y a encore quelques jours je lui disais que nouspouvions y arriver malgré la distance et mon métier. Il faut croire que ladistancen’yestpourrien.Jemelaissetombersurmonlitensongeantquec’esticiquenousaurions
faitl’amourennousréveillant…Enfin,pasfaitl’amourmaisbaisé.Parcequec’est la seule chose dont je suis capable. Il faut des sentiments pour fairel’amour mais je ne suis pas pourvu d’un cœur. C’est pourquoi j’accepte ladouleurquimepercutedetoutepartlorsquejerepenseàsonregardemplidetristesse.C’estpourquoijeresteiciàsouffrirensilenceaulieudeluicouriraprèspourluidemanderdemepardonnermafolieetmalâcheté.Je saisismonportable et y trouve la seule et uniquephotoque j’ai d’elle,
priselelendemaindenotrepremièrefoisàtouslesdeux,alorsqu’elledormaitencore.Cettenuit-làresteragravéeenmoijusqu’àmonderniersouffle,autantà cause des sensations extraordinaires que j’ai ressenties que de la manièredontellemecontemplaitetmecaressait,commesij’étaislaseulepersonneaumondequicomptaitpourelle.Jevoudraistantrevivrecesinstantsdebonheur,aumoinspourprendreconsciencedelapertequivientdem’ébranleretdeladifficultéque jevais avoir àvivre sanselledésormais.Dupouce, je caressel’écrandemonportableavecl’impressiondepouvoircaressersapeaudouceetsescheveuxéparpillésautourdesatêtecommeunecouronneautomnale…Malheureusement,cemomentdedoucetortureestinterrompulorsquelaphotodisparaîtpourlaisserplaceàunappel.Savannah.Sansréfléchiràcequejefaisetbienqueceprénomnesoitpasceluique j’auraisdésirévoirs’afficher, jedécroche.—SalutColin!Commentçava?—Bien.Tuveuxquoi?—Ouhlà…Ondiraitquequelqu’unestdemauvaispoil!LaViergeMarie
netesatisfaitplus?demande-t-elled’untondédaigneuxethorripilant.Jepeuxpresquevoirsonsouriremoqueuretjesuistraverséparunélande
colère en l’entendant parler de cette manière de Mia. Mais ça n’a plus
d’importancemaintenant,parcequ’elleestpartie,mesusurremaconscience.Savannahetmoinousconnaissonsdepuisquelquesannéesetellearapidementremarquéquequelquechoseenmoiétaitdifférentquandnousnoussommesvus au bar, je lui ai donc expliqué que j’avais fait une rencontre. Dans ladiscussion, j’ai laissé échapper que j’étais le premier homme que Mia aitconnu. S’en est suivi une réaction de choc, de moquerie et d’animosité. Jeprésumequec’estuntrucdefilles,desedétestersansaucuneraison.UnevoixmemurmurequeMian’auraitjamaisagidecettemanière,tropgentillepourcegenredecomportement,maisjelarepoussed’unreversdepensée.Jeveuxoublierladouleurquimebrûlelespoumonslorsquejepenseàelle.—Jenesuispasd’humeurdoncjerépète:tuveuxquoi?—Calme-toi, tusaisquetupeuxpasserchezmoi, jeteremettraidebonne
humeuravecgrandplaisir…Jedétestecettefemmeetjemedétesteencoreplusenréalisantavechorreur
quej’aiconsidérésapropositionpendantunmoment.—Lâchel’affaireSavannah,jet’aiditqueçan’arriveraitplus.—Bien,commetuveux…Maistusaisoùj’habite,n’est-cepas?—Écoute,jen’aipasletempspourça,àplustard.Je ne la laisse pas répondre et lui raccroche au nez avant d’envoyermon
téléphoneàl’autreboutdelapiècedansungestebrûlantdecolèreetderegret.Decolèreparceque jemedétesteetde regretparceque jevoudraisn’avoirjamais connuMia.Oui, je regrettede l’avoir rencontréeparcequedepuis lejouroùjel’aivuepourlapremièrefoisellem’aensorcelé,jenesuispluslemême…Mavieaétéchambouléepourtoujours.Jedonneraistoutetn’importequoipourl’oublieretrécupérermavie,cetteviequej’aimenéedurantvingt-troisanssansessayerd’enchanger.Jen’aipasbesoind’ellepourvivre,etjevaisleprouver.Jeme lève, ramassemonportableetmedirigevers laported’entréed’un
pas décidé, comme si je tentais deme prouver àmoi-mêmequeMia ne faitpluspartiedemavie.Jedescendslesmarchesdel’immeublequatreparquatreavantd’arriveràmavoitureetdeprendrelarouteenfaisantlevidedansmatête.Plusvitej’yparviendrai,moinsj’auraidetempspourregrettercequejem’apprêteàfaire.Jeparviensàfairetoutletrajetjusqu’àchezSavannahsansm’arrêternifairedemi-tour.Jeveuxàtoutprixéviterdepenseràelle,parcequejesaisquejemedégonflerais.J’appelleSavannah.
—Colin?Ellesembleàmoitiésurprise.—Tuescheztoi?—Pourtoi,toujours.—J’arrive.Tupeuxencorefairedemi-tour,memurmurelaMiaquihantemonesprit.—Jevais temontrerqui je suisvraiment, je lui réponds, lavoixvibrante
d’uneénergieétrangemêlantcolèreetdétermination,tristesseetdémence.Tuverras,jevaist’oublieraussivitequetuesentréedansmavie.LorsqueSavannahm’ouvrelaporte,jenesuispassurprisdelavoirvêtue
d’unenuisetterougetransparente.Elleestsexy,etjemedemandeuninstantcequi lapousseàaccepterque je la traitecommeça,que jedébarquechezellepourunepartiedejambesenl’airsaleetmalsaine.—Jet’enprie,faiscommecheztoi,susurre-t-elled’unevoixsuavelorsque
jepénètrechezelle.Je n’ai pasmis les pieds ici depuis desmoismais rien n’a changé, ni le
décorimpersonneletfroid,nil’hôte,toujoursprêteàtoutpourmerecevoir.—Tuveuxboirequelquechose?—Unwhisky,jerépondsenprenantplacesurlecanapéencuirnoir.Ilestencoretempsdepartir.Lorsqu’ellerevientavecdeuxverres,jeréalise
qu’unefoisquecetteliqueuraurainfiltrémonorganisme,jenerépondraiplusdemoietquetouteslescartesserontjouées,plusderetourenarrière.J’auraiunenouvellefoisprouvéquejenesuisqu’unminabledénuédecœur,unmecsansscrupulequibrisedesâmesinnocentes.—Alors…Qu’est-cequi t’amène?medemande-t-elleenprenantplaceen
facedemoi.—Àtonavis?Ne jouepas lesplusfinesavecmoi,Savannah, tusais très
bien pourquoi je suis là, je réponds sèchement avant de vider le contenu demonverred’uneseuletraite.Ellesemetàsourire,nonpasd’undouxsouriretendreetdélicatmaisd’un
sourireprédateur. Jene ressensabsolumentplusaucuneexcitationpourcettefemmequejetrouvaisautrefoissexy.— Je savais que tu reviendrais… murmure-t-elle en s’installant sur mes
genoux.
J’étais tellement absorbé dans mes pensées que je ne m’étais pas renducompte qu’elle s’était approchée de moi. L’état second dans lequel je suism’empêchederessentirunquelconquedésirpourelle.Qu’est-ceque je fous,bordel?—Çam’amanqué…chuchote-t-elleprèsdemaboucheenmecaressantle
torse.Ellesouritpuissepenchesurmoi.Etc’esttroptard.
Chapitre18
Mia
Je ne sais pas où aller. Je déambule telle une âme en peine dans les ruesbondéesdeNewYorkdepuisdesheures,levisageinondédelarmesetlecœurenmiettes.Direque jenem’attendaispasà la tournurequ’aprise lamatinéeserait un grossier euphémisme ! Tout allait si bien, je ne comprends pas…Après avoir claqué la porte de chez lui, je m’y suis adossée, choquée, leslarmesauxyeuxetlesmainstremblantes.Jen’airéalisécequivenaitd’arriverqu’unefoisàquelquespâtésdemaisonsdechezlui,alorsquejeluttaiscontrele désir de courir vers lui pour lui demander pourquoi ? Pourquoim’a-t-ilbrisélecœurmalgrésapromesse,pourquoia-t-ildécidédemettreuntermeàtoutcequenousvenionsdeconstruireensemble?Jesuissistupide,sistupideetamoureuse. Je savaisqu’envisagerun futuravecunhommepareil relevaitdufantasme.Colinn’estpasdeceuxquiconstruisentunfuturmaisdeceuxquilesdétruisent,quiréduisentànéanttouslesespoirsetlesrêves.Iladétruitlesmiens.Ilm’adétruite,moi.Lorsque mes pieds sont trop douloureux pour que je marche davantage,
j’arrêteuntaxietluidemandedemeconduirechezmoid’unevoixtremblantequinelaisseaucundoutequantàl’étatdemoncœur.— Est-ce que vous allez bien, mademoiselle ? me demande gentiment le
chauffeur, un trentenairedunomdeBandhu, comme l’indique le petit badgesoussonrétroviseur.—Trèsbien,merci,nevousenfaitespaspourmoi,jerépondsenluioffrant
unpathétiquesourire.Ilesttroptardpourregretter,troptardpourseblâmerets’envouloir.J’ai
été naïve de penser que tout ça nous mènerait quelque part, c’était perdud’avance.Qu’est-cequej’aibienpufairedansunevieantérieurepourmériterça?Jesavaisquevivreunehistoired’amourfaisaitmal,maislàçamebriseenmillemorceaux,çamedéchirel’âmeendeux,çamefaitperdreespoirenlavieelle-même.J’essuiemeslarmesd’unemainrageuse,encolèrecontremoi-même et contre cet angemaléfique quim’a dérobé tout ce que j’avais,mon
cœur,mavertu,madignité,mafoienl’amour…Àquoiest-cequejepensaisenoffrantmoncœuretmoncorpsàunhommequejeconnaissaisàpeine?Ilm’abieneue,avecsessourirescharmeursetsonregardenjôleur,sonhumouretsapersonnalitésiparticulière.—Noussommesarrivés,mademoiselle,m’annonceBandhu,mecoupantde
mespenséesnoires.Jeleremercieetrèglemacourseavantdesortirdelavoiture.Jenepeuxpas
melaisserabattre,mêmesijemeursd’enviedememorfondredansmonlitenmangeantdelaglaceetensanglotantdevantuntéléfilmàl’eauderose.Ilfautqueje l’oublie,quejepasseàautrechose;moncœurm’intimederetournerchezluietdelesupplierdem’expliquertandisquemafiertémehurlequecen’estpasàmoidelefaire,etquejedoiscontinuermaviecommes’iln’avaitjamaisexisté.Cen’estqu’unepageàtourner,unchapitreàclore.Monlivrenefaitquecommencer.Je voudrais appeler ma mère pour tout lui raconter et libérer enfin les
larmesdemesyeux,maisjelaconnais,toutcequejerécolteraisseraientdesreproches. Jepourraisappelermonfrèremais il seraitcapablededébarquericipourmettreuneracléeàColin.QuantàAmber,jepeuxpresqueentendrele« je te l’avaisdit»qu’ellemeservirasi je luiraconte.Voilàpourquoi jemecontente de ma propre compagnie, ayant conscience que j’ai besoin d’uneépaulepourpleurermaisquelamiennedevrabienfairel’affaire.Oùaller?Quefaire?Tellessontlesquestionsquejemepose.Jem’apprête
àregagnermachambreuniversitaire lorsque je réaliseque j’ai lapossibilitéd’allerdanslenouvelappartementqu’Amberetmoivenonsdelouer,letempsdemeremettredemesémotions.Jerefusequ’Ambermevoiedanscetétat-là.JeprendsmesclefsdevoitureetgrimpedansmapetiteTwingorose.Jenesuispasunepersonnefaible,j’aitraverséunbonnombred’épreuvesdansmavie,ledépartdemonpèreétantlaplusdouloureuse…Pourtantaujourd’hui,jemesens plus vulnérable et plus fragile que jamais. Je fais donc ce que je faistoujoursenpériodedecrise: jemetslamusiqueàfondetmevidelatêteenm’efforçant de ne plus penser à ce qui me fait mal. Tous les psys que j’aiconsultés depuis mon enfance n’ont jamais fait le poids face à une bonnemusique qui vous fout un coupde pied au cul.Stupidme deMagic ! en faitpartie.Elletourneenbouclejusqu’àcequejesoisarrivéeetpasunefoisjenemeremetsàpleurer.Mongroupepréférésaitcommentmeremonterlemoral.D’autant plus que les paroles sont on ne peut plus appropriées à mon étatd’espritetàlasituation…
Il faitun froid terrible lorsque jepénètredansmonnouvelappartementet
j’ouvretouteslesfenêtrespourl’aéreretsupprimerl’odeurderenfermé.Cetendroitabesoind’unboncoupdeneuf.Ilyapasmaldechosesquejepeuxfairemoi-même,quelquestrousàreboucher,lapeinturedanstouteslespiècesenplusd’untrèsgrandménage.Vumonétat,cesquelquestravauxserontlesbienvenuspourmeviderlatêteetmechangerlesidées.Colinn’estdéjàplusqu’une douleur sourde mais persistante dans le fond de mon cœur, encorequelques jours et je serai totalement libérée de cette souffrance.Mamère atoujoursdésiréfairedesesenfantsdesindividusresponsablesetindépendants,capables d’accomplir des choses d’eux-mêmes sans dépendre de quiconque.Monfrèreetmoiparticipionstoujoursauxtravauxàlamaisonaprèsledépartde notre père, et ma mère n’a jamais eu besoin de faire appel à desprofessionnels pour accrocher un lustre ou bouger un meuble. Je compteappliquersesleçonsdèsaujourd’hui.Heureused’avoirtrouvéunprojetauquelm’attelercesprochainsjours,afin
d’oublier celui dont je neprononcerai plus le nom, c’est avecdéterminationquejesorsdel’appartementpourmerendredanslemagasindebricolageleplusproche.C’estunemerveilleuseidée.Durantletrajet,j’ailetempsd’établirun plan d’attaque afin de récupérer ma vie et ma santé mentale, si c’estpossible.Pourcommencer,jevaistâcherd’oublierC,oudumoinsdeneplusypenser,grâceàlarénovationdemonnouvelappartement.Sijerespectececi,jedevraisallerbeaucoupmieuxdansquelquesjours.Jepourraialorsrepartirdubon pied avec New York et me remettre sur le droit chemin, celui de lacélibataireendurciemariéeàsesétudesquejecompteredevenir.Jesourisfaceà la perspectivedemonnouveaudépart.Mavie reprendrabientôt son courscomme s’il n’avait jamais existé. D’aussi loin que je m’en souvienne, j’aitoujoursétécommeça:onpeutm’abattreautantdefoisqu’ilestpossible,jefinistoujoursparmerelever.Je ne sais pas vraiment par quoi commencer,même si j’ai déjà en tête le
résultatfinaldel’appartement.Lesmeublesétantachetésetprêtsàêtrelivrés,jen’aiplusqu’àtrouverlescouleursquis’yaccorderontleplus.Jedéambuleun certain temps dans le rayon des peintures, hésitante, et j’opte finalementpour du prune pour le salon. Je veux que notre appartement reflète mapersonnalité,c’estpourquoijeleveuxaccueillant,chaleureuxetcoloré,toutçadansunstylebaroquemaiscosy.Quantauxchambresetauxautrespièces,ellesserontdansdestonspastels.Jesuiscertainequ’Amberadorera.
Aprèsavoirchargémonchariotdeplusdevingtpotsdepeinture, j’achètelesoutilsetlesdernièreschosesdontj’auraibesoinpourmettreenapplicationmonpetit projet. Je passede très longuesminutes immobile devant le rayonquiregroupelesdifférentskitsdebricoleurs–oubricoleusesdansmoncas–sansparveniràfairemonchoix.—Jepeuxvousaider?demandeunevoixfamilièredansmondos.—Andrew!C’est bien la dernière personne que je pensais rencontrer dans un endroit
pareil!—Quellebonnesurprise,s’exclame-t-ilenm’offrantunsourirechaleureux.
J’aitoutdesuitereconnutasilhouettealorsjemesuisapprochépourvoirs’ils’agissaitd’unmirageounon.Sa remarque m’arrache un sourire qui me fait réaliser à quel point mon
visageétaitcrispé.Jefaisungesteverssatenueauxcouleursdumagasin.—J’ignoraisquetutravaillaisici.— J’ai pensé qu’il était temps de cesser de vivre aux crochets de mes
parents.—Étrangement,jerépondsavecunepointed’ironie,jenetevoyaispasdans
cegenred’endroit.C’estvrai,Andrewdescendd’unefamillebourgeoise,etlevoirvêtud’une
salopette et de chaussures de sécurité dans unmagasin de bricolageme faitl’effetd’unchoc.— Que veux-tu ? Il faut bien que je me nourrisse, dit-il en riant. Alors,
besoind’aide?—Enfaitoui,jenesaispasexactementquoichoisirentantquebricoleuse
novice.—Tu te reconvertis?plaisante-t-ilen tendant lebraspoursaisirunkitde
bricolage.—Letempsdequelquesjours.Jerénovemonappartement.—Touteseule?—Touteseule,jeconfirmeavecunepointedefierté.Ilhochelatêteensouriantpuismeprésentel’articlequ’ilaenmainenme
donnantquelquesconseils.—Çadevraitfairel’affaire,mercibeaucoupAndrew.
—Jet’enprie,c’estmonboulot.Onnetevoitplusàlafacdepuisquelquetemps,toutvabien?— J’étais… préoccupée par quelque chosemais ça neme posera plus de
problèmes désormais, je murmure en luttant pour ne pas retomber dans legouffredelatristesse.—Çamarche,onsevoitlundialors?—Oui,àlundi,j’acquiesceensouriantavantdem’éloigner.
Treize.C’est lenombred’allers-retoursque j’ai effectuésdemavoiture à
monappartementafindemontertousmesachats.Aussitôtarrivée,jeneperdspas une seconde et memets au travail. Il faut croire que je ne fais pas querénovermonappartement…Jecompteaussiremettreàneufmoncœurbrisé.Lesheurespassenttrèsviteetlorsquetoutestenfinterminé,jeréalisequeje
nesuispaspeufièredurésultat.Monappartementcommenceàressembleràceque jedésire : épurémaisgirlyet chaleureux,avecdescouleurspastels,destons prune et gris béton. Faire tout çameprocure un bien fou, parce que jen’auraispassupportédepenseràluiaujourd’hui.Jesuisheureusedeconstaterquejesuisparvenueànepaslefaire,enaugmentantlevolumedelamusiqueouenmettantencoreplusd’ardeuràlatâchepourfairetairemespensées.Ilnem’apasappeléemaisjen’enattendaispasmoinsdesapart.Ilestpeut-êtredéjàdanslelitd’uneénièmepauvrefillequin’aaucuneidéedessouffrancesqu’ilvaluiinfliger.Cen’estpasunegrandeperte,aprèstout.LorsqueAmberaappelé,j’aieuunmomentd’hésitationavantdedécrocher
et de prétendre être chez lui pour qu’elle évite de s’inquiéter. En vérité, jecompterester icicettenuitmêmesi jevaisdevoirdormirpar terre. Ilestunpeu moins de vingt-deux heures et j’attends avec impatience l’arrivée dulivreur de plats chinois, affamée. Je veuxme reposer etme retrouver seuleavec moi-même, au moins pour faire le vide dans mon esprit et pour merecentrer sur la direction à donner àma vie.Mon destin doit s’arracher lescheveuxàmevoircommeça.Il est évident que je ne pourrai jamais prétendre que rien n’est arrivé et
continuer à vivre comme sima vie n’avait pas été chamboulée, ce serait unmensonge.Inutiledemevoilerlaface,jesuisconscientequejeneparviendraijamaisà l’oubliercarmêmesi je l’aidétestépendantuninstant, l’amourquej’éprouve pour lui est toujours aussi vif qu’un feu de forêt. Il a provoquéquelquechoseenmoi, j’ensuis immuablement transformée,que je leveuilleounon.Lapetitefilleinnocenteetnaïvequej’étaisilyaencorequelquetemps
n’existeplus.J’aigrandietcetteexpériencem’aendurcieencoreunpeuplus.Jemesensplusmûre.Enfin,çac’estlecôtépositifdemaconsciencequimelesouffle,jepourrais
prétendrequetoutçan’étaitqu’unefoliepassagèreetquejeneréalisaispasceque je faisais, mais c’est faux. C’est faux parce que je ressens encore tropd’amourpourlui,tellementquejemedemandesij’arriveraiunjouràneplusl’aimer.Ilavaituntrucenplus,cepetitquelquechosequiattire l’attentionetdonneenvied’ensavoirdavantagesurceluiqu’ilcachederrièresonmasquede beauté. J’aurais aimé le comprendre et le guérir de son incapacité à selaisseraimermaisilnem’enapaslaissélachance.Unesonneriemetiredemespensées,mesignalantl’arrivéedulivreur,mon
seul visiteur de la soirée. Je règle l’addition et récupère mon plat avant dedînerentêteàtêteavecmasolitude,cettebonnevieilleamiequejen’avaispasvue depuis quelque temps. Je suis si épuisée que jem’endors recroquevilléesur le plancher inconfortable, en plein milieu de mon salon, ma boîte denouillesdanslamain.C’est la sonnerie de mon portable qui me réveille. Je décroche en me
frottantlesyeux.L’horlogedemonportablem’apprendquej’aidormipresquetroisheures.—Amber…—Où es-tu ? hurle-t-elle si fort que je dois éloigner le combiné demon
oreille.—Jetel’aidit,jesuischezColin…—Arrêtetessalades,Colinesticietiltecherchepartoutdepuisdesheures.Quoi?C’estimpossible…—Amber,jereprendscalmement,toutvabien,jet’assure.— Dis-moi où tu es et je cesserai de m’inquiéter ! s’égosille-t-elle pour
couvrirlamusiquedubar.—Tun’asaucuneraisondet’inquiéter,jesuisà…—Mia.Moncœurs’arrête.C’estlui.—Mia?Dis-moiquetuvasbien,jet’enprie…Sa voix est déchirée, brisée par je ne sais quoi de bouleversant. Je ne le
reconnais pas. Où est passé le Colin sûr de lui et impassible qui me jetaitdehorscematinmême?Jeneparvienspasàluirépondre.Jesuisfigéeetmesmots refusent de traverser mes lèvres immobiles. Qu’est-ce que je pourraisbien lui dire ? Le supplier de revenir ou le maudire pour m’avoir faitsouffrir?—Mia…Jesuistellementdésolé,s’ilteplaît,disquelquechose…Sa voix supplianteme brise le cœur une nouvelle fois,mettant le feu aux
pagesdepapiersur lesquellesétaientécritesmes résolutions. Jevoudrais luihurleràquelpointjeledétestepouravoirdérobémonamour.J’inspire, ouvre la bouche puis me ravise et lui raccroche au nez. Il ne
méritepasd’entendrelatorturedansmavoix.Ilméritedesouffrirautantquej’aisouffertlorsqu’ilm’aanéantieetafaits’effondrermesrêves.Jeneveuxplus l’entendre,aurisquederetomberànouveaudanssesbrasempoisonnés.Mesrésolutionsnevalentplusrienfaceàsavoix,cellequigémissaitmonnomlorsquenousfaisionsl’amour,cellequimefaisaitcraquerlorsqu’ilchuchotaitaucreuxdemonoreille…Mesmotsnevalentplusriendésormais.Monportablenecessedesonnerdansunesymphoniesupplianteàlaquelle
jemanquedecéderplusd’unefois.Prised’unélandecolère,jem’enemparepourl’éteindreetremarqueseulementalorsquemaboîtevocaleestsaturéedemessageslaissésparlui.Jenepeuxpasrésisteraubesoindelesécouter.—Mia…Pardonne-moi,jet’enprie.Jenesaispascequim’estpasséparla
tête…Jeveuxquetureviennes,je…Merde.Savoixmetue.—Reviens.S’ilteplaît…Reviens.Chaquemessagemeterrasseunefoisdeplus.—Jem’inquiète,s’ilteplaît,dis-moiaumoinsoùtuespourquejetesache
ensécurité.Jevoudraistantobéiràmoncœuretlerappeler.—BordelMia…Pourquoitumefaisça?Parcequetuastrahitapromesse:tum’asbrisélecœur.—Jen’abandonneraipas.Ilfautquetuabandonnes.—Pardonne-moi…Pardonne-moi.Jefondsenlarmes.
*
Ce sont les rayons d’un soleil radieux quime réveillent, filtrant à traversmes paupières, et avant même d’ouvrir les yeux je ressens une douleurintenablequimevrille ledos. J’aidormi sur le sol, recroquevillée surmoi-même, frigorifiée, triste à en crever et avec pour seul coussinmes cheveuxindisciplinés.Jen’aipasbesoindevoirmatêtepoursavoirquemesyeuxsontgonflés après mes sanglots ininterrompus et que les larmes ont laissé destraces surmes joues. Jenedoispas êtrebelle àvoir, encoremoins avec lesgrimacesquejenepeuxretenirenmelevant,courbaturéedespiedsàla tête.Lesmursdel’appartementsontsecs,jedécidedoncderentreraucampusafindemedoucheretdemechangeravantledébutdemescours.Jemesuisachetédequoipetit-déjeunerdansunStarbuckssurlechemin,et
c’estlaboucheencorepleinedemonmuffinauxmyrtillesquejeretrouveuneAmberfolled’inquiétude.— Quand comptais-tu me prévenir que tu étais partie de chez Colin,
exactement?!Jemesuistellementinquiétée!s’écrie-t-elleenmeprenantdanssesbras.—Nousavonsrompu,jemarmonneenmelibérantdesonétreinteavantde
jetermonsacsurmonlit.—Quoi?—Jen’aivraimentpasenvied’enparlerlà…—Pourquoi est-ceque tu asde lapeinturedans les cheveux?demande-t-
elle,soudainementintriguée.—Longuehistoire.Jeteraconteçaaprèsmadouche,jerétorqueensortant
delachambre.J’aitoutracontéàAmber,dudébutàlafin,sansomettreunseuldétail.Elle
saitdoncqueColinm’ajetéedechezluisansaucuneraisonapparente,suiteàquoijemesuisréfugiéedansnotrenouveauchez-nousafindem’occuperlesmainsetl’esprit.Desoncôté,ellem’afaitlerécitintéressantmaispeinantd’unColinpaniquédébarquantchezTerrencepourm’ycherchercommeunfou.— J’ai toujours su que c’était un connard, chuchote-t-elle alors que nous
prenons en notes le cours de biochimie. Mais le voir te chercher partoutcomme ça, l’air tellement bouleversé… Je ne sais pas. Je ne l’ai jamais vucommeça.
—Tuneleconnaispas,Amber,c’estpourça.Derrièrelemecimpassibleetfroidqu’ildonneàvoir,ilyaunhommedotéd’unesensibilité.—Tuledéfends,maintenant?Aprèstoutcequ’ilvientdetefairesubir?—Ildoityavoiruneraison,j’ensuispersuadée,toutallaittellementbienla
veilleencore…Ellerestesilencieusependantunmoment,l’airpensive.—Tucomptesfairequoimaintenant?—Làtoutdesuite,j’aimeraisbienprendremoncoursenpaix.—Jesuissérieuse!s’insurge-t-elleenhaussantlavoixsousles«chut»de
noscamaradesd’amphithéâtredontellesemoquecomplètement.—Jen’ensaisrien,d’accord?jerétorque,exaspéréededevoirrépondreà
son interrogatoire.S’ilneveutpasdemoi, tantpis, jenevaispas luicouriraprès.—D’aprèsceque j’aipuvoirchezTerrencehier soir, il avait l’airplutôt
désespérédeterécupérer,situveuxtoutsavoir.—Jesais…Sesmessagesm’ontbrisélecœur,jemurmuremalgrémoien
ressentantunedouleurfamilièredanslapoitrine.Elle soupire mais ne relève pas et n’insiste plus sur le sujet. Moi, en
revanche, jenepensequ’à lui. Jemedemandecequ’il fait, s’ilpenseàmoi,s’il est triste ou bien s’il est passé à autre chose… et cette pensée me faitmonter la bile dans la gorge. Si je luimanquais autant qu’ilmemanque, ilauraitaumoinsessayédemerappeler.Maisrien,aucunsignedeviedetoutelajournée,paspluslorsquejereprendsmonservicechezTerrence.Mesyeuxnequittentpas laportede toute lasoiréeetc’estuniquementaprèsdesheuresàespérer le voir apparaître que je finis par abandonner, réalisant qu’il neviendraplus.Enprendreconsciencem’afaitl’effetd’uncoupdepoingdansleventre.Ilmemanque,ilmemanqueterriblement.J’aimalquandlessouvenirsencore frais de nos deux corps enlacésmepercutent violemment, ou encorelorsquejeregardepourlamillièmefoismonportablesilencieux.Jevoudraisentendresavoix,sentirsesmainssurmoi,ses lèvressur lesmiennes…Mesrésolutionsd’hiernesontplusqu’untrèslointainsouvenir.J’aibesoindeluidansmavieautantquej’aibesoind’airdansmespoumons.Aprèsavoirtroquémarobenoirepourunjean,untee-shirtetunepairede
Converse,jemedépêchederejoindreMarcaubarpourmonsecondservice.J’ai croisé Terrence un peu plus tôt et il m’a demandé si j’allais mieux, iln’avaitpas l’air encolèreque je lui aie fait fauxbondhier sans leprévenir.
Étrangement,j’étaispresquedéçuequandilm’aassuréqu’ilnemeviraitpasetquejeconservaismonboulot.Travaillericimefatigueplusqu’autrechose.Àmongrandmalheur,c’estàmoiquerevientlacorvéedeservirlefameux
Connor, ce pilier de comptoir accro auwhisky et àmes fesses, visiblement.Avec son physique de bodybuilder et son visage aux traits épais, ça nem’étonnepasqu’ilneréussissepasàtrouverunefille.—Salutpoupée,susurre-t-ild’unevoixsalacelorsquejem’approchedelui.—Qu’est-ceque jepeuxvousservir? jedemandefroidementen ignorant
sonregard.—Elleaducaractère,lapoupée.Toncopainabeaucoupdechance.S’ilcontinueàmeparlersurceton,jenerépondraiplusdemoi.J’ignoresa
remarque et réitère ma question toujours aussi professionnellement etfroidement.—Unwhisky…S’ilteplaît,répond-t-ilenmefaisantunclind’œil.Jemeretourneenlevantlesyeuxaucielquand,sansquejenem’yattende,
jesenssonénormemainclaquersurmesfesses.Jesursauteetfaisvolte-faceavantdeluienvoyerunegiflemagistralequimefaitmalàlamain,furieuseethonteuse. Tout lemonde se retourne versmoi et je suis sur le point demeréfugier loin d’ici lorsque Connor est brutalement tiré en arrière avantd’atterrirviolemmentsurlesol.Avecstupeur,jeréalisequeceluiquisetientdeboutderrièreConnorn’estautrequeColin.MonColin.Moncœurmanqueunbattementpuis semetàcogner siviteet si fortque
j’enaimalà lapoitrine. Jen’aimêmepas le tempsdebougerque l’hommedontjesuiséperdumentamoureusesejettesurConnorpourlerouerdecoups.—Espèce de fils de pute ! hurle-t-il enmartelant de coups de poing son
visagedéjàensanglanté.Unefoules’estagglutinéeautourd’euxtandisquejerestelààlesregarder,
encore sous le choc.Les seuls sonsque j’entends sont les insultesqueColinhurleetlesimpactsdesespoings.Plusieurspersonnestententdel’arrêtermaisil est agrippé fermementaucoldeConnoretne semblepasprêtà le lâcher,possédé par une rage incontrôlable.Au bout de ce quime semble durer desheuresTerrence arrive et parvient à dégagerConnor de la poigne deColin,nonsansdifficulté.—Çasuffit!hurle-t-ilenlestenanttouslesdeuxàboutdebras.Connor tient à peine sur ses jambesmais Colin a l’air sur le point de le
dévorer tout cru. Terrence est totalement hors de lui et il est plutôt
impressionnant.—C’estquoicebordel?Vousvoulezquej’appellelesflics?Pasdeçadans
monbar,alorsdégagezouvousaurezdesproblèmes.Il les pousse dehors sans ménagement puis demande gentiment à tout le
mondedesedisperserenoffrantuneconsommationà toute laclientèlepourcalmerlejeu.Colineststatufiédevantlaportedubar,commes’ilmesuppliaitdelerejoindreetdepartiraveclui.Lalumièretamiséedubarnemepermetpas de voir grand-chosemais je parviens à distinguer sa lèvre ouverte, sonvisagetuméfiéetsonregardsombre,noiretpleinderage.Luiaussis’estprisquelques coups. Il a les yeux d’un homme qui s’apprête à faire une grosseconnerie. Je pourrais reprendre mon boulot comme si de rien n’était ou lerejoindrepourleprotéger…Avantquejen’aiepuréagir,Colinseressaisitets’éloignesansunregardenarrière.Je ne réfléchis pas et me précipite en direction de la sortie. C’était sans
compterTerrencequisurgitdevantmoietsemetentraversdemonchemin.— Je ne conçois pas que des incidents comme celui-ci se déroulent chez
moi, dit-il avec autorité et froideur en me regardant de haut. Si tu sors lerejoindre,cen’estpaslapeinederevenir.— Tu me demandes de choisir entre lui et mon travail ? je souffle avec
stupeur.—Jeteconseilledenepasfairelemauvaischoix,jeconnaiscetypeetilne
teméritepas.C’en est trop. Jem’approche de lui et plantemon regard dans le sien. Je
commence à en avoir marre que tout le monde juge Colin sans même leconnaître.—Jelechoisiraitoujoursluiparrapportàn’importequoiouàn’importe
quid’autre.Personnehormismoine leconnaîtetn’estenmesurede l’aider.MercipourtoutTerrence,maisjedéclinetonaidepourcettefois.JecontourneTerrenceetgagnelasortiesoussonregardabasourdi.Colinn’estnullepartlorsquejesorsdubar,j’aibeaul’appeleretregarder
partout,jeneletrouvepas.Alorsjefaiscequimesemblelepluslogique:jeprendsladirectiondechezlui.Aprèsquelquescentainesdemètres,jelerepèreentraindemarcherauclairde lune,seuletd’unpasmalassuré.Jeneperdspasdetempsetcourslerejoindre.Ceseratoujoursluiavantlerestedumonde.
Chapitre19
Colin
Quellejournéedemerde.Leslitresdewhiskyquej’aiavalésneparviennentàmefaireoubliernilefaitquejesuisunsombreconnard,nilavisiondecetenfoiré touchantMia,maMia. Après avoir bousillé mes mains ce matin enfaisantéclatermonmiroir,quiaeulemalheurdemerenvoyerlerefletdemaculpabilité,abattremesmainssurlevisagedecemecn’étaitprobablementpasune bonne idée. Pourtant, je ressens un certain contentement à avoir pu medéfoulersurlui,àdéfautdepouvoirlefairesurmoi-même.Alorsquejemetraînedifficilementjusqu’àchezmoi,j’entendsdespetitspasderrièremoi.Sespasàelle.Commentjelesais?C’esttoutsimplementuneévidence.—Colin.Monprénomprononcépar ses lèvresn’apas lamêmesaveurni lamême
mélodie. Je me retourne et croise son regard surpris, probablement par lagueulequejedoisavoir.Elleestessouffléeetal’airplutôtchambouléemaiselle est là, je n’aurais paspu rêvermieux.Nousnous regardonsunmomentsansqu’aucunnebriselesilencedanslequelnousnousbaignions,puisellefaitunpasversmoietsaisitmesmainspourlesinspecter,lamineinquiète.Laseulechoseàlaquellej’arriveàpenserenlaregardantest :putain,elle
estmagnifique.—Jevais teraccompagnercheztoi,murmure-t-elledoucementenprenant
mamaindanslasienneavantdefairedemi-tourendirectiondesavoiture.— Je peux me débrouiller, je marmonne d’une voix que je peine à
reconnaître, en la suivant toutefois parce que je suis bien conscient d’êtreincapablederentrerchezmoisanssonaide.—TuessaouletblesséColin,jenetelaissepasseul.Sontonpresqueautoritairemefaitpoufferderire.Elleesttoutcequ’ilme
fautpoursurvivreàmavie.—Jetefaisrire?demande-t-elleavecunepointed’amusementdanslavoix.
—Tuesunepetitechoseplutôtautoritairequandtuveux,jerépondsenluioffrantunpitoyablesourire.Ellemelerendetnerelèvepastandisquenousarrivonsdevantsavoiture.
Sentirsamaindanslamiennemepermetderesterplusoumoinslucide,demerappeleroùjesuisetpourquoi.Pourelle,jepourraisressembleràceluiquejevoudraistantdevenir.—Jevaissalirtavoiture.—Jelanettoierai,allezmonte.Letrajetsedérouledansunsilenceplutôtconfortable.Miaal’airpensiveet
nerveuse,lesjointuresdesesmainsresserréesautourduvolantsontblanches.Je voudrais dire quelque chose pour la détendre mais, me connaissant, jerisquededireuneconnerieetdeprovoquerunecatastrophe,c’estpourquoijegardelesilence.Jesuisassezsurprisdelavoirsortirdelavoitureenmêmetempsquemoi,croyantqu’ellesedépêcheraitdesedébarrasserdufardeauquejesuis.—Tuviens?—Biensûrqueoui,quivapansertesblessuressinon?Quiaditquelaperfectionn’existaitpas,déjà?Parcequej’aimeraisbienlui
présenterMia. Cette fille ne cessera jamais dem’émerveiller. Simesmainsn’étaient pas si sales, j’en passerais une sur son beau visage pour fairedisparaîtresamélancolie.Dans l’ascenseur, nous restons tous deux immobiles et silencieux, moi
incapabledeprononcerunephrasesensée,elleperduedanssespensées.Àmontroisièmeéchec,ellemeprendlaclefdesmainsetouvrelaporteelle-même,unsourirecompatissantauxlèvres.J’ignorecommentellefaitpourgarderlesourireavecunenfoirécommemoi,jen’enméritepasautant.—Assieds-toi sur le canapé,m’ordonne-t-elle avantdedisparaîtredans la
salledebains.J’obéis, ce que je n’aurais pas fait si j’étais sobre, et me laisse tomber
lourdement.J’aienviededormirmaisj’aiaussivraimentenvied’elle,cequim’empêchedemelaisseraller,mêmesijedoutefortementqu’elleacceptedemetoucher.Ellenem’aprobablementpaspardonnémoncomportementd’hier.Peut-êtrequ’ellenecomptemêmepasresterici.Elle revient avec de quoi panser mes plaies avant de se mettre à genoux
devantmoi.Elles’empared’uneserviettemouilléeetsemetàtamponnermamaindroitepourretirerlesangséché.Jeneressenspasdedouleur,seulement
delagratitudeetdel’émerveillementdevantcetangesublime.—Pourquoiest-cequetum’assuivi?— C’était toi ou mon job… Le choix m’a paru évident, répond-elle en
haussantlesépaules.Je suis ahuri par sa réponse. Elleme sourit puis se lève et va déposer la
serviettetachéedanslelave-lingeavantderevenirversmoi.—Cen’estpasuneréponse,ça,jeremarqueenlacontemplanttandisqu’elle
s’emparedecompressesetd’alcool.—Sincèrementjenel’expliquepasnonplus,j’aijusteagiparinstinct.Ellepasselacompresseimbibéed’alcoolsurlacoupuredemalèvre,cequi
mefaittressaillir.—Désolée,s’excuse-t-elleengrimaçant.Cette fille n’en finit pas de m’impressionner. C’est elle qui panse mes
blessuresetelles’excuse?J’enriraispresquesijen’étaispassitroublé.—Net’excusepas,jeluimurmure,c’estmafautetoutça,paslatienne.Etjeneparlepasquedesblessures.—C’estvrai,s’exclame-t-elle,pourquoitut’essaoulécommeça?Ondiraitqu’ellereprenddupoildelabête,lapetite.—Jedevaisoublier.Jeneveuxpasluiendirepluspourlemoment,aurisquedelafairefuir.—Est-cequejepeuxtedemandercequetudevaisoublier?—Non,pascesoir.—D’accord,chuchote-t-elleenfinissantdebandermesmains.Lorsqu’elleaterminé,elleselèvepuismetendunemainpourm’aideràme
lever.Une foisdebout, jedégagedélicatementunemèchedecheveuxde sonvisage, la mets derrière son oreille puis me penche doucement, lentement,frôlantsabouche.Sesyeuxcaressentmeslèvres,sarespirations’accélère,sesmains glissent sur ma poitrine pour arriver sur mon visage, ses poucescaressantmeslèvresentrouvertesetquémandeuses…J’ail’impressionqu’ellerefusedeselaisserallermalgréledésirévidentquianimetoutsoncorps.—Tudevraisdormir,chuchote-t-ellecontremabouche.—Jenesuispasfatigué.—Mais tu es complètement bourré, et peut-être qu’à ton réveil demain tu
réaliserasquetuavaisbienfaitdemelarguer.—Tais-toi,Mia,jet’ensupplie,jesoufflecommesimavieendépendait.Chaquefoisqu’ellereparleradecemoment,jerepenseraiinévitablementà
matrahison.Etçam’anéantit.— Je vais t’aider à rejoindre ton lit,murmure-t-elle en s’écartant demoi
avantdeprendremamainetdememenerdansmachambre.C’estd’unpasmalassuréetvacillantque j’arrivedevantmon litetque je
m’ylaissetombercommeunemassesousleregardsoucieuxdeMia.Jesenslafatiguemegagnerdèsquemesbrasseresserrentautourdemoncoussin,maismes yeux se rouvrent automatiquement lorsque j’entends les pas de Mias’éloigner.—Neparspas…jeparviensàmurmurer.—Jevaisseulementéteindrelalumièredusalon.J’émetsunsoupirdesoulagement.Jamaisjen’auraispenséqu’unepersonne
puissem’êtreaussiindispensable.Jem’assoupisentrelemomentoùellem’aquitté et celui où elleme rejoint.C’est fou commequelques verres d’alcoolpeuventvous faireperdre toutenotiondu tempset toute lucidité. Jevoudraislever la têtepour la regardermais elle est trop lourdepourque jepuisse lasoulever.JepeuxsentirlaprésencedeMiaàmescôtés.—Tudevraisboireça,murmure-t-elleencaressantmajoue.J’émetsungrognementensommeillépoursignifiermonincapacitéàbouger
mais elle ne se laisse pas abattre etme secoue doucement l’épaule pourmefairebouger.Jefinisparcéderenmetournantsurledosetenm’appuyantsurmescoudespourboirecequ’ellemedonne.Elleestagenouilléedevantmoi,assisesursestalons,tenantungrandverred’eaudanslamainqu’elleinclinedevantmeslèvresetjeréalisequec’estbienlapremièrefoisqu’unepersonneprend soin de moi comme elle le fait. C’est une constatation plutôtdouloureuse.—Pourquoiest-cequetuessigentilleavecmoi?—Jepeuxêtreméchantesituveux,répond-elleavecunsouriremutin.Jepouffeetmelaissetomberànouveausurmoncoussin,peinantàréaliser
qu’elleesttoujourslàauprèsdemoi.Elleneleserapeut-êtrepluslorsqu’elleapprendralavéritéàproposdematrahison.—Jetepréfèrecommeça.Jecroisl’entendremesouhaiterunebonnenuitmaismafatigueayantraison
demoi,jemelaisseallerettombedansunsommeilprofondemplidesongesoùellenecessed’apparaître.
*
S’ilyabienunechosequipourraitmeconvaincredeneplusjamaisboired’alcool, c’est la gueule de bois que je me tape le lendemain au réveil. Ladouleur quime vrille le crâne quand j’ouvre les yeux s’estompe lorsque jeréalise queMia est toujours àmes côtés, blottie contremoi comme un petitchiot.Satêtereposedanslecreuxdemonaisselleetsonbrasestpasséautourdemoi comme si elle avait peur que je m’échappe de son étreinte. Elle estencore tout habillée, ce qui n’est pasmon cas : je ne suis vêtu que demonboxer.Avecunsourireattendri, je l’imagineentraindemedéshabilleralorsquej’étaisendormi.Jeme lèvedoucementpournepas la réveilleret la recouvrede lacouette
tandisqu’elleprononcequelquesmotsinintelligibles,àproposdepommesetdecannelle…Jemedemandeàquoiellepeutbienrêver,surtoutqu’elledétestela cannelle. C’est drôle de connaître ce genre de détails à propos d’unepersonne, sesgoûts, sespassionset toutcequi luiprocuredubonheuralorsquetoutçameparaissaitdérisoireauparavant,avantqu’ellen’arrivedansmonmonde. Je réalise que je n’ai jamais réellement vécu, je n’ai jamais pris letemps de goûter aux choses anodinesmais primordiales de la vie. Je vivaisdans une bulle d’insensibilité, de fadeur et d’apathie, dans un désert total desentiment,dans lenéant.J’étaismortbienavantd’avoirvécuetMiam’a toutsimplementressuscité.Lorsquejelaregardecommeça,paisiblementendormie,jemedisqueDieu
existeforcémentpuisqu’ilacrééune tellecréature.Elleest tellementbelleetpurequejememaudisunenouvellefois.Monsentimentdehaineenversmoi-mêmeserenforce lorsque jedécouvremesmainsparfaitementbandéesainsiqu’unverred’eauaccompagnéd’unibuprofèneposéssurmatabledechevet.Elleapenséàtout.Jegagnelasalledebainspourm’aspergerlevisaged’eaufroideafindeme
remettrelesidéesenplace.Lorsquejelèvelesyeuxpourconstaterlesdégâtssurmon visage, jeme souviens tout à coup avoir brisémonmiroir hier…Maisjen’enaipasvraimentbesoinpoursentirquemagueuleesttuméfiéeetmalèvrepétée.Parfait.Je suis en train dem’essuyer le visage lorsque des petits bras s’enroulent
autourdemoietquelajouedeMiavientseposersurmondosnu,sesmainstraçant desmotifs surmon ventre et répandant de délicieux frissons dans latotalitédemoncorps.—Bonjour,murmure-t-ellecontre lecreuxdemacolonnevertébrale, son
soufflechatouillantmapeau.Au lieude lui répondre jeme retourne et la contemplequelques secondes
pourmeconvaincrequ’elleestbienlà,avantdelaprendredansmesbrasetdela serrer contremoide toutesmes forces,parcequeputainqu’est-cequ’ellem’amanqué.Monnezenfouidanssescheveuxà l’odeurfruitéeetsoncorpschaud contre le mien me font me rendre compte à quel point elle m’estindispensableetcombiencesderniersjoursontétéunenfer.C’estunsentimentétrange,lemanque,onal’impressionqu’unepartiedevous-mêmevousaétéarrachéeetquelaretrouvervouscomplète,vousfaitrenaître.C’estcequejeressensencemomentenserrantMiadansmesbras.Sapeaucontrelamienneesttoutcequ’ilmefautpourvivre.Elle s’écarte doucement pour inspecter mes mains et mon visage, frôlant
mesblessuresdesespetitsdoigtsdélicats.— Je pense que vous allez survivre, soldat Carter, déclare-t-elle avant de
déposerunlégerbaisersurmesplaies,cequifaitlittéralementexplosermoncœur.— Merci, docteur, c’est grâce à vous, je murmure avec une sincère
reconnaissanceavantdecollermeslèvresauxsiennes.J’ai l’impressiondenepasavoirressentiçadepuisuneéternité, lachaleur
desaboucheetladouceurdesalangue,latendressedesesbaisers.Jeréaliseaujourd’huiplusquejamaisàquelpointellepourraitm’apporterunbonheurdontjen’aijamaisosérêver,etlorsqu’elles’accrocheàmoidecettemanièreintensequimefaittremblerdedésir,jemedisquemoiaussijepourraispeut-êtreluiapporterlebonheurqu’ellesouhaitetant.Elles’accrocheàmanuqueetàmescheveuxcommesiellecraignaitderetomberdanssonocéandesolitudeetjem’agrippeàlachairdeseshanchescommesimavieendépendait.Noussommes en train de rattraper le temps perdu, les étreintes et les baiserscontenus.Jelasaisisparlescuissesetladéposesurlereborddulavabotandisqu’elle enroule ses jambes autour dema taille pourme presser contre elle.J’avais oublié comme c’était bon entre nous. Le gémissement qu’elle émetlorsquej’attrapesalèvreentremesdentspuisquejememetsàsucerlapeausensibledesoncoumerendplusfouencore.Aucunmotnepeutdécrireceque je ressensencemoment, leplaisiret la
douleur, un cocktail explosif qui me donne envie de plus, et également uncertainsoulagement,celuidelaretrouver.Sansinterromprenotrebaiser,jelasoulèveetlamènedanslachambreavantdeladéposerdélicatementsurlelit,moncorpsrecouvrantlesien,protecteuretbrûlantdedésir.Elleestsublime…Sonvisagerosi,seslèvresgonflées,sescheveuxébouriffésetlamanièredontellemeregardeaveccettelueurenflamméedanslesyeuxmedonnentenviedeluifairel’amourjusqu’àlafindestemps…Maisjenelepeuxpas.Jenepeuxpasfaireça.Je me redresse soudainement sous son regard surpris et m’assieds en
passant mes mains dans mes cheveux, essoufflé, tiraillé entre deux cheminsdontl’unm’amèneraforcémentàlapertedecequenoussommes,elleetmoi.Jepourraisluicachermonerreur,agircommesirienn’étaitarrivéetluifairefollementl’amourécrasésouslaculpabilité,outoutluidire,etjesaisdéjàquetoutseradéfinitivementperdu.—Jenepeuxpas…jemurmureenfermantlesyeux,tirantsurmescheveux
dansl’espoirdetrouverunréconfortdansuneautredouleurquecellequimepoignardedetoutepart.—Qu’est-cequ’ilyaColin?Je secoue la tête, comme si ça pouvait me débarrasser des images qui
s’introduisent dans mon esprit, derrière mes paupières fermées. Je sens leregardinquietdeMiasurmoimaisjen’arrivepasàlaregarderdanslesyeux.Cequejeressensencemomentestl’undespiressentimentsquej’aiejamaisressentis.Jemelèveetcommenceàfairelescentpastandisqu’ellemesuitdesyeux, ne sachant comment réagir. Je devine dans son regard la peur que lascènedeladernièrefoissereproduise,quejeluidemandedes’enaller.Saufqueçanerisquepasd’arriver,jevaistoutfairepourlaconvaincrederester.—Mia…J’aifaitquelquechosedemal,j’amorceavecprécaution.—Qu’est-ce que c’est ? demande-t-elle doucement, la peur croissant dans
sesyeux.Sansselaisserdémonter,ellemeprendunemainetlapressecommepour
m’encourager, ce qui n’a pour effet que de me broyer les entrailles. Sagentillessemetue,jecroisquej’auraismoinsmalsielleétaitencolère.—Promets-moid’abordquetumepardonneras.— Je ne peux pas te promettre une chose pareille, tu le sais bien, Colin,
rétorque-t-elled’untonplusgrave,sanspourautantmelâcherlamain.Biensûrquenon,abruti.Jemaudismapauvrenaïveté.Ellen’estpasstupide,
etmêmesielleavaitacceptéjedoutefortqu’elleauraittenusapromesseaprèsmonaveu.—Colin,qu’est-cequetuasfait?Sesyeuxcherchentlesmiensquilesfuient.—Déjà, tudoissavoirquetoutça,c’estnouveaupourmoi.Jen’ai jamais
vécucequenousvivonsencemoment,jen’aijamaisapprisàm’attacheràunefemmeetàlafaireentrerdansmavie…Ellehochelatêtemaisjevoisbiendanssesyeuxqu’ellesaitquecequeje
m’apprêteàluidirevaluifairemal.—Sijet’aidemandédepartirl’autrefois,c’estparcequej’aipaniqué.Tout
allait trop vite, beaucoup trop par rapport à ce que je connais, et les chosesétranges que je ressentais et que je ressens toujours à tes côtés m’ont faitflipper.Tume faispeur,Mia, tume fais découvrir des choses auxquelles jen’ai jamais goûté, tu me fais voir la vie autrement et ça, j’avais du mal àl’accepter.J’ai…perdulespédalesetj’aifui,lâchement,c’estvrai,maisc’estlaseuleissuequej’aiputrouver.Ellesuitmonexplicationsansbronchermais jepeuxvoirquesesyeuxse
fontdeplusenplussombres,deplusenplustristes,deplusenpluslointains.Elleadevinéqueceque jem’apprêteà luidire sera fatalàcequi formeun«nous»aujourd’hui.—Quandtuespartie,j’aipenséquejedevaist’oublier,quejedevaiseffacer
les traces de ton passage dans mon esprit alors… Alors je suis allé chezSavannah.Samainquipressait lamienneme lâcheaussitôtetquelquechosesebrise
sur sonvisage, ce quelque chosedont je suis tombé sous le charme. Il vientjustedesedéchirersousmesyeux.Jesaisissesmainsdanslesmiennesetlesserre de toutes mes forces pour qu’elle ne me laisse pas, qu’elle nem’abandonne pas…Des larmes commencent déjà à poindre au bord de sesgrandsyeuxtristes.J’agrippesesmainsunpeuplusfortpourlarapprocherdemoi,maisellefaitunpasenarrière,unpasquisignelamortdupeud’espoirquej’avais.Lesentimentdevoirlapersonneàquijetiensleplusmeglisserentre les doigts alors que je suis impuissant à la retenir est tout simplementhorrible.— Nous n’avons pas couché ensemble, j’ajoute précipitamment pour la
rassurer,maisj’aiunpeubuet…—Etquoi?
Savoixestsibassequ’ondiraitunsouffleapeuré.Jen’osepasdireunmotdeplus.—Colin,qu’est-cequetuasfait?—Ons’est…embrassés.C’est trop tard pour fairemachine arrière. Ses yeux s’écarquillent puis se
détournent de moi tandis qu’elle retire vivement ses mains des miennes,comme simon contact la brûlait. Elle entoure ensuite son corps de ses brascomme si elle avait soudainement froid. Son visage exprime une tristesseinfinieetcettefois,seslarmescoulentpourdebonsursonvisage.—Maisjenevoyaisquetoi!jem’exclameencherchantsonregard.Jen’ai
mêmepasaiméça.Jevoulaist’oublieretj’étaisprêtàtoutpourça,maisjen’ysuis pas arrivé et je suis parti dès que j’ai réalisé que je ne pourrais jamaist’oublier.Jesuispartiencourant,jemesuissauvépourteretrouver.Je soulève son menton pour voir ses yeux mais elle ferme les paupières
pournepasmeregarder,seslarmescoulantsursesjoues.Jemesensminable.—Mia… Je te promets que je ne ferai plus jamais la même erreur, j’ai
comprislaleçon.Pardonne-moi,jet’ensupplie.—Commetuavaispromisdenepasmebriserlecœur…souffle-t-elleen
serrantleslèvresavantdesecouerlatêteetdereculer,des’éloignerdemoi.Jecroyaisque…J’avaisconfianceentoi…Commentas-tupu?Et là, elle ne parvient plus à résister et éclate en sanglots horriblement
douloureuxencachantsonvisagedanssesmains.Jemesensmourir,terrasséparlasouffrance.Ellepleurecommeuneenfant,cesontdessanglotsquivousbrisentlecœur.Jetendslamainpourprendrelasiennemaisellesedégagebrusquementet
s’éloigneleplusloinpossibledemoi.—Non!s’écrie-t-elleenmeregardantànouveaudanslesyeuxtandisqueje
laisseretombermonbraslelongdemoncorps,anéanti.—Non, répète-t-elleplus calmement.Alors c’est çaque tu faisaispendant
quejepleurais?Sonvisageseplissesousladouleur.—C’estvraiment…Pasbesoindemots.L’expressiondedégoûtquesonvisageexprimemefait
l’effetd’uncoupdepoingdanslescôtes.—Nousn’avonsrienfaitdeplus,jetelejure…j’ajoutelamentablement.
—Rien faitdeplus? J’aiattenduplusdedix-huitanspourconnaîtremonpremierbaiser,Colin,dix-huit!Ettumedisàmoiquetun’asrienfaitdeplusqu’allerroulerdespellesàunesalope!Entendredepareilleschosesde labouchedeMiamefaitplusmalencore.
Ellequiestsidouceetsipure,savoirquec’estmoiquil’airenduecommeçametordleventre.Maisj’acceptevolontierscettesouffrance,ellemerappelleànouveau à quel point je ne la mérite pas. Son beau visage n’exprime riend’autrequetoutcequej’aitoujoursredoutévoirchezelle:delacolère,deladouleur,deladéception,dudégoût,etunetristessesansnom.—Mia…Jetelejure,çan’arriveraplusjamais.Jetel’aidit,toutçam’afait
réaliseràquelpointtucomptaisàmesyeuxetjeferaitoutpourmerattraper.J’aiconscienced’êtreen trainde lasuppliercommejen’ai jamaissupplié
personnemais je suisprêtà toutpourme fairepardonner,ycomprisperdremafiertéetmadignité.Rienn’aplusd’importancesielles’enva.—Jenepeuxpas…murmure-t-elleensecouantlatête,c’estimpossible.Je
me respecte trop pour te donner une seconde chance. Je savais que tu avaissauté tout New York, mais là tu viens de dépasser la limite. J’étais prête àacceptertonpassé,maisça…Jenepeuxjustepas.Ouch. Je mets plusieurs secondes à avaler ses mots si durs, immobile et
pétrifiétandisqu’ellequittelachambrecommeelleestentraindequittermavie.Deux options s’imposent alors àmoi : la retenir ou la laisser partir. Jen’hésitepasetlarattrapeavantqu’ellenedisparaisse.Elleestprêteàpartir,samainestposéesur lapoignéede laporteet sesépaulessontvoûtées, sibienquejedevineque,mêmesiseslarmessonttaries,sapeinenepourraitêtreplusdévastatrice.—Nemequittepas…jemurmurederrièreelle.Elleseretourneetmeregardeenfinaprèscequimeparaîtavoirdurédes
siècleset,contrairementàceàquoijem’attendais,iln’yaaucuneamertumenihaine sur son visage, seulement une profonde tristesse et une sorte dedétermination.—Jeneveuxpasm’enallernonplus,mais jenepeuxpasrester, répond-
elle doucement en secouant la tête, comme si ce qu’elle disait était d’uneévidenceflagrante.—Pourquoi?—Parcequejesuistombéeamoureusedetoi.Jenesavaispasàquoim’attendremaiscettephrase,qui resteragravéeen
moiàtoutjamais,estbienladernièrechosequej’auraisdésiréentendre.Moncœurratequelquesmesuresetmesjambesprennentsoudainlaconsistanceducoton. Je suis muet, paralysé, et seuls les tremblements de mes mains merappellentquejevisencore.—Jesuistombéeamoureusedetoiàlasecondeoùj’aivulacouleurdetes
yeuxextraordinaires, lesoiroù tum’asembrasséepour lapremièrefois.Cesoir-là était porteur de tellement d’espoir, de tellement de possibilités que jeme rappelle avoir pensé que nous pourrions nous aimer si fort que rien nepourrait nous séparer… J’imagine que c’est simplement la romantique tropnaïveenmoiquiparlait.Aujourd’hui,jeréalisequetoutçan’étaitriendeplusqu’unfantasmeetquel’erreurquetuascommiseestlapreuveirréfutablequetu es incapable d’aimer, Colin. C’est pourquoi je préfère partir maintenant,pournousépargnerdeplusgrandessouffrancesplustard.Elles’approchelentementdemoi,unsourirefatalisteettristeauxlèvres,et
posesamainsurmajoue,provoquantuncourantchauddansmoncorps.Ilyatroisminutes j’aurais profité de cette caresse pour l’embrasser ou l’enlacer,maisàprésentellemefaitmalparcequejesaisquecen’estqu’unadieu.Moncorps demeure immobile tandis que j’assiste, impuissant, à son départ. Jesouffreplusquejenel’auraisimaginé.—Jecroisqu’ilvautmieuxpournousdeuxquejem’enaille.Savoixsebriseàlafindesaphrase,emportantmoncœurdanslafoulée,et
elle retire sa main de ma joue pour essuyer une larme sur sa pommette,laissantlefroidmegagner.J’aimeraistellementlaprendredansmesbrasetluidirecombien jesuisdésolé,combien je regretteetàquelpoint je ferais toutpourlagarderprèsdemoi.Aulieudeçajelaregardes’enaller,muet.—Aurevoir,Colin.Elledéposeundernierbaisersurmajouepuis tourne les talonsets’enva
sansunregardenarrière.
SocloseyoureyesLetmetellyouallthereasonswhybabeYou’renevergoingtohavetocrybabyBecauseyou’reoneofakindYeah,here’stoyouYou’retheonethatalwayspullsusthroughYoualwaysdowhatyougottodobabe‘Causeyou’reoneofakind.You’rethereasonwhyI’mbreathing.WithalittlelookmywayYou’rethereasonthatI’mfeelingIt’sfinallysafetostay.
Chapitre20
Mia
Ladouleurdansmoncœuresttellequej’aidumalàrespireretjedévalesivite lesmarchesquejemanquedetomberàdeuxreprisesavantderejoindremavoiture.Réaliserquec’estbeletbienterminé,quecequejepensaisêtreunlongromand’amourn’estriendeplusqu’unenouvelledetrentepagesàlafintragiquem’anéantit.Jesuismaintenantcertainequenousn’avonsplusaucunechancede trouverune issueànotrehistoire,queceque j’espéraispournousdemeureirréalisable.Etmoiquipensaisquel’arméeseraitnotreperte!Ilfautcroirequ’iln’aeuaucunmalàtoutfoutreenl’airtoutseul.Ilvientdebriserlesderniersvestigesdemoncœur.Unefoisdansmavoiture,jedémarreimmédiatementpourfuirauplusvite.
Je ne veux plus le revoir.Malheureusement,même si je ne le vois plus, lestraces de sang sur mon siège qui témoignent de sa présence hier soir merappellent à nouveau ce que j’ai perdu, ce qui fait redoubler mes pleurs.Lorsqu’ilm’aditqu’ilavaitfaitquelquechosedemal,jen’aipasimaginéuneseule seconde que ça pouvait être ça. J’avais en lui une confiance tellementpuissante que je lui aurais probablement offert ma vie s’il l’avait souhaité.Maisn’est-cepasdéjàcequej’aifaitenluiouvrantmoncœur?Meslarmesnesontquelapreuvequ’ilneméritaitpasmaconfiance.Nimonamour.Jenesaisplusoùjevais,danstouslessensduterme.Jesuismentalement
épuisée, toutesmes certitudes ne sont plus qu’un énorme flou et jeme suislittéralement perdue dans la ville, trop chamboulée et dévastée pour meconcentrer sur la route. Je suis dans un tel état que rien ne pourrait meconsoler.Saufpeut-êtreAmber.Jeréaliseaprèsplusieursminutesàtournerenrondquetoutcedontj’aibesoinencemomentn’estpasdemenoyerdansmatriste solitude mais de voir mon unique amie qui possède assez deconnaissance en la matière pour consoler tout un pays de cœurs brisés. Entempsnormal,jeseraisprobablementalléepleurerdanslesbrasdemonfrèremaisjenemesenspaslaforcedel’appelerensachantqu’ilnepourrapasmeconsoleravecl’undesescâlins.
Je ne sais pas par quelmiracle j’arrive à retrouvermon chemin,mais jefinis par me garer sur le parking du campus avant de courir jusqu’à machambre en évitant les regards trop curieux qui me scrutent tandis que jedissimulecommejelepeuxmonvisagebaignédelarmes.Colins’envacesoir.C’estenvoyantladateetl’heuresurleréveild’Amber
que je réalise une nouvelle fois que l’homme dont je suis éperdumentamoureusequitteramaviedansseulementquelquesheures.Jen’aimêmepaspujouird’undernierbaiseroud’unpremier«jet’aime»pourluidireadieu.Je ferme les yeux, prends une grande respiration, essuiemes larmes puis
m’assiedssurmonlitendéposantmavesteetmonsac.Mapeauaencoresonodeur,celledeladouceurdesesbaisers,et jemedisquemêmesi lemondevenait à s’écrouler je ne cesserais jamais de l’aimer. Il fut, le temps d’unmomentéphémère,monmondeentier,monuniqueraisondevivre.Ça peut paraître étrange mais je ne ressens aucune haine envers lui.
Seulementduchagrinetdelacompassionpourcethommeincapabled’aimeretdesefaireaimer.Jesaisques’ilm’enavaitlaissélachance,j’auraispuluiprouver àquelpoint il estdigned’être aimé, combien il lemérite.Maisdesimages de Savannah et lui s’imposent dans mes pensées et absorbent lamoindre goutte de compassion en moi pour la remplacer par de la colère.C’estfoutudésormais.Jecroisquecequimefaitleplusmalestdesavoirquemon amour pour lui n’a jamais été réciproque et que seule ma naïvetém’empêchait d’ouvrir les yeux.Finalement, je nepeux envouloir qu’àmoi-même.J’enfouismonvisagedansmoncoussinetpousseuncripourmelibérerde
la colère qui brûle enmoi. Tout ce dont j’ai besoin en cemoment c’est del’oublier,del’oublierpourneplusavoirmal.EtAmberestlaseulepersonnequipuissem’aider.Ensuitej’iraiforcementmieux.—AllôMia?—Amber…—Qu’est-cequ’ilafait?demande-t-elleavecunsoupçondecolèredansla
voix.Jen’ai pas eubesoinde lui expliquer,mon ton et l’intonationdemavoix
renduerauqueparleslarmeslaissentdevinermondegrédedétresse.—J’aibesoindetoi,tucroisquetupourraisvenir…?—Biensûr,j’arrivedansdeuxminutes.—Merci.
Je déposemon téléphone à côté demoi puism’assieds contre lemur, lesgenouxrepliéssousmonmentonetleregarddanslevague.J’ignoresijeseraicapabledesurvivreà ladouleurquimeperce lapoitrine ; jemedemandesitouteslespersonnesquiontlecœurbriséarriventàlerépareraprès.Iln’apascouchéavecelle. Iln’apascouchéavecelle.Jeme répète sans
cessecettephrasedansl’espoird’ytrouveruncertainréconfort,maistoutceque je parviens à obtenir est un douloureuxmal de crâne et l’envie de toutcasser autour de moi pour ne pas être la seule à être détruite. Pour moi,l’adultèren’estpasqu’unehistoiredesexe.Çacommenceàpartirdumomentoùune personne songe à trahir son conjoint.Colinm’avait déjà trompée enayantl’idéed’allervoirSavannah.J’ai un sursaut lorsque la porte s’ouvre, me coupant dans mes tristes
pensées.Ambermecouved’unregardcompatissantetpresquematernel.C’estplusfortquemoi,meslarmesseremettentàcouleretjemeprécipitedanssesbrasàlarecherched’unpeuderéconfort.—OhMia…Qu’est-cequis’estpassé?Ellemeserresifortquej’enaimalauxcôtesetmecaresselescheveuxen
mechuchotantdesmotsrassurantsàl’oreille.Rienqueça,c’estsuffisantpourcalmerlefeuduchagrinquibrûleenmoi.Jen’enrevienstoujourspasqu’ellesoitdevenuesichèreàmesyeuxensipeudetemps;elleestlaseulepersonnesurquijepuissecomptericietjenepourraispasmepermettredelaperdre.—C’estfini,jemurmure.Pourdeboncettefois.Mavoix est presque inaudible, j’ai davantage l’air d’une enfant qued’une
jeune femmemais jem’enmoque. Amberme prend par lamain et me faitsignedem’asseoirsursonlitenseplaçantfaceàmoi.—Raconte-moi, chuchote-t-elle endégageantdemonvisagemescheveux
collésparleslarmes.—Jesuisdésoléedet’avoirappeléemaisj’avaisvraimentbesoindetoi…—Tuplaisantes?J’auraisétéencolèresi tunem’avaispasappelée,Mia.
Personnenedevraitêtreseulaprèsunepeinedecœur,crois-moi.Ellemesouritmais jepeuxvoirdanssesyeux lamêmedétressequ’ellea
déjàdûressentir.Elledoitsavoircombienc’estdouloureux.—Ilm’atrompée,jelâched’unevoixblanche.Sesyeuxs’écarquillentetseslèvresseserrentenuneligneblanche.—Ohnon…JesuistellementdésoléeMia…
—Hiermatin,justeaprèsqu’ilm’ajetéedechezlui,jesuisalléedansnotreappartementalorsquelui…Je ferme lesyeuxetmeconcentre surma respirationpournepascraquer
unenouvellefois.—IlestallévoirSavannah.Ledireàhautevoixm’écorchelabouche.—Quelconnard!Etquellegarce!s’écrieAmberavecunairfurieux.—Ilsn’ontpas…couchéensemble,maisilssesontembrassés.Ma phrase est entrecoupée parmes sanglots et la difficulté à trouvermes
mots.Jamaisjen’auraispupenserqueColinmetrahirait,ilfautcroirequejeneleconnaissaispastelqu’ilétaitvraiment.— Je suis vraiment désoléeMia. C’était prévisible vu sa réputationmais,
pourêtrehonnête,envoyantlamanièredontilétaitavectoi,j’aicruqu’ilavaitréellement trouvé un peu de stabilité, il était si différent de celui que j’aitoujoursvu…Jemesuistrompée.Jerenifleenregardantmespieds,soudainementhonteused’avoirpuêtresi
naïve. J’ai dûpasser pour unegamine stupidedevant lemonde entier, ou entoutcasdevanttousceuxquiconnaissentColin.—Tusais,reprendAmber,jenel’aijamaisappréciéetjenecherchepasà
ledéfendre,maisj’airemarquélamanièredontilteregarde…Ellesecouelatêtecommefaceàuneénigmepuispoursuit:—Jenesaispas…Onavaitvraiment l’impressionqu’ilnevoyaitquetoi,
que tu étais la seule personne aumonde. J’ai cru que tu l’avais transformé,maisilfautcroirequ’ilnechangerajamais.Moiaussij’yaicru.J’ycroyaisparcequemoncœurmeledictaitetj’aiété
trop faiblepourvoir la réalité tellequ’elleétaitvraiment. Jenevoulaisvoirquelebeaucôtédeschoses.— Maintenant que tu as eu la preuve que c’est un connard et que tu as
apparemment pleuré toute l’eau de ton petit corps, reprend Amber d’un tonplus déterminé, il est temps de se reprendre et de passer à autre chose. Desmecscommelui,çacourtlesruesetj’enconnaispleinquicrèveraientd’enviede te consoler. Tu auras sans doute à nouveau le cœur brisé, crois-en monexpérience,maisjeseraitoujourslàpourbotterleculdetespetitscopainsetpourteréconforter.Je glousse tandis qu’elle essuie tendrementmes larmes.Cette fille est une
perlerare.—Merci Amber…Mais je ne pense pas être prête à me remettre sur le
marché.—Ohtudisça,maisdèsqu’unjeunehommebeauetgentilteferalacour,tu
nepourraspasrésister.Je lui adresse un léger sourire qu’elle prend pour une victoire, puis elle
baissesoudainementlesyeux,l’airmalàl’aise.—Je suisdésoléepour lecomportementdeTerrencehier soir, iln’aurait
pasdûfaireunechosepareille,murmure-t-elle.—Tunousasentendus?—Oui, jesaisque tuasdémissionnéparcequ’il t’aposéunultimatum, je
suisalléelevoirpouressayerd’arrangerleschosesmaisons’estembrouillés.—Net’inquiètepas,Amber,jeneregrettepasmadécision.Detoutefaçon,
jen’aimaisplus tellement jouerdupianodevant tous cesgens. Je trouveraisbienquelquechosed’autremaintenantquej’aiunpeud’expérienceentantquebarmaid!Quelqu’unfrappesoudainàlaporte.JesursauteetregardeAmberdansles
yeux d’un air paniqué car je sais qu’il est plus que probable que ça soit lui.Amber,desoncôté,semblebienremontéeetprêteaucombat.—Tuveuxquej’aillevoir?chuchote-t-elle.Jehochelatête,tropeffrayéepourparler.Jeneveuxpaslevoirniluiparler
etencoremoinsletoucher,parcequejesaisquejerisqueraisderetomberdansses filets.La fille lâcheenmoi se recroquevilledans le fonddu litdansunevainetentativepourseprotégertandisqu’Ambervaouvrir.—Laisse-moientrer.C’estlui.Ohmondieu.Entendresavoixmefaitl’effetd’unviolentcoupde
pieddansleventre.Jamaisjen’auraispenséredouterautantdelevoir.Amberluiintimedepartirmaisilrefuse,laissantmoncœuraubordduprécipice.Jenesupporteraispasqu’ilentreetmevoiedanscetétat-là.Leplusétrange,c’estqu’ilestpourtantlaseulepersonnedontj’aibesoinpourallermieux.Jerêvede sortir dema cachette, deme jeter dans sesbras et de l’embrasser de toutmonsoûl…Maisjesaisqueçaneferaitqu’empirerlasituationetquejedoisluttercontremonstupidepetitcœuramoureux,c’estpourquoijenebougepasdemaplace.Ambermejetteunregardpuissortdelapièceenprenantsoinderefermer
la porte derrière elle. Bien sûr, comme je n’entends plus rien de leurconversation, jemelèveetm’approchesilencieusementdelaporteavantd’ycolleruneoreille,légèrementmasochiste.J’espèrequepersonnen’ouvrira.—J’aibesoindelavoir…Ilsembleaussidésespéréquejelesuis.Jeprendsunénièmecoupaucœur.— Tu n’en as plus le droit, tu aurais dû y penser avant de la tromper,
rétorquefroidementmonamie.Depuisquetulaconnaistuneluiasfaitquedumal.EntendreAmber lui parler comme çame faitmal, parce que l’amour que
j’éprouvetoujourspourluim’empêched’avoirlamêmehargnequ’elle.—Tunesais riendenous.Cequisepasseentreelleetmoine te regarde
pas,alorslaisse-moipasser.—Non.Elleneveutplus tevoirde toute façon.Tuesvraimentculottéde
débarquericiaprèscequetuasfaitavecSavannah.Tumedégoûtes.C’enesttrop.Jedécollemonoreilledelaporteetm’éloignepourreprendre
ma place dans mon lit. Entendre Amber ressasser l’épisode Savannah medétruitencoreplus,etmêmesijedésireplusquetoutrejoindreColinpourluipardonnerseserreurs,cequirestedebonsensenmoim’enempêche.J’espèrequ’ils’eniraetqu’ilnereviendrajamais.Ilnefaitquenousfairesouffrirtouslesdeux.LorsqueAmber revient, elle a l’air épuiséeet lassée. J’ignorecombiende
temps ilsontparlémais j’imaginesansdifficultéAmber lui lancer toutes lesinsanitésluipassantparlatête.Quelquepart,jem’enveuxdelamêleràmeshistoires.—Ilestparti,murmure-t-elleens’asseyantàmescôtés,jeluiaiditquetune
voulaispluslevoiretilafiniparcomprendre.—Jesuisvraimentdésoléedetemêleràtoutça…—Tuesmonamie,Mia.Sijen’étaispaslà,quil’auraitjetéalors?Ellemefaitunclind’œiletsonsourirecomplicemeréchauffelecœur.Jela
serredansmesbrasdetoutesmesforcesenfermantlesyeux.—Mercid’êtremonamie.—Mercid’êtretoi,murmure-t-elleenembrassantmatête.Grâceàelle,jecroisquejepourraisurvivre.Noussommesencoreenlacées
lorsquedenouveauxcoupssontportésàlaporte.Moncœurchavireàl’idéededevoirànouveausentirlaprésencedeColinàproximité.—Ilestvraimentobstinécelui-là!s’exclameAmber,exaspérée,avantdese
leveretdesedirigerverslaported’unpasfuribond.Quand elle ouvre, son visage perd brusquement sa rigidité et sa froideur
pour devenir… étrange. Ses joues prennent une teinte rosée, samâchoire sedécroche et ses yeux s’écarquillent. Lorsqu’elle se retourne versmoi, je nevoisplusvraimentmonamiedébordantedecolèremaisplutôtunejeunefilleintimidée.—Mia,quelqu’untedemande,déclare-t-elled’unevoixblancheenouvrant
laportepourlaisserentrer…—Chad!Je me jette dans ses bras et il laisse tomber son sac de voyage pour me
rattraperetmefairetournoyerdanslesairs.—Hellosœurette!—Jenet’attendaispas!Tum’astellementmanqué!Il me dépose au sol et m’ébouriffe affectueusement les cheveux en me
souriant.—Surprise?—Tueslemeilleur,jet’adore.—Tum’asmanquépetitesœur,mêmesituteplainsetquetum’embêtesà
longueurdetemps.Ohmon frère adoré…Jem’apprête à répondre lorsqu’il pose son regard
par-dessusmonépaule,merappelantainsilaprésenced’Amber.Majoiedelerevoir amomentanément éclipsé le reste dumonde ainsi quema douleur, àlaquellejem’efforcedenepluspenser.—Tunenousprésentespas?demandeChadenanglais,lesyeuxrivéssur
maprécieuseamie.Je n’avais pas réalisé que nous nous étions naturellementmis à parler en
français,etlapauvreAmberal’airtoutbonnementperdue.Ellenousregarded’unairhagardetgêné,commesiellesesentaitdetrop.Cequimesurprendleplusestlalueurétrangedesesyeux,àlaquellejenesuispashabituée.— Enchanté, dit Chad en lui tendant la main, qu’elle serre en reprenant
contenance.
Jecomprendssonairahuri,monfrèreestuntrèsbeaugarçon.Enfaitiln’arien à voir avecmoi, nous ne partageons pas la couleur de nos cheveux, nicelledenosyeuxetdenospeaux.Iltienttoutdemonpère,sescheveuxchâtainclairquivirentaublondsouslesoleiletsesyeuxvertspresquetranslucides,tandisquejerespirelaMéditerranéeavecmapeaumate,mescheveuxetmesyeuxbruns.Personnenepourrait suspecterunquelconque liende sangentrenous. En ce qui concerne son corps, nous sommes encore une fois trèsdifférents car mon sport préféré consiste à porter une tablette de chocolatjusquedansmachambretandisquemonfrèreestunvraiathlète.Çan’estpaspourrienqu’ilveutenfairesonmétier.Ambermarmonneunevagueformuledepolitessepuisbombeletorsepour
se donner l’air confiante et m’annonce qu’elle va chez Katy afin de nouslaisserànosretrouvailles.Ellem’adresseunderniersourirecrispéauqueljerépondsgaiementpuisquittelachambresousleregardperçantdemonfrère.—Elleal’airsympa,murmurecelui-ci,unsourirebizarreauxlèvres.Décidément, ils sont incompréhensibles. Mon frère semble souffrir des
mêmes symptômes qu’Amber mais comment l’en blâmer ? Elle est toutsimplementsublime.Avant que je ne puisse répondre, mon frère se met à m’inspecter plus
soigneusement,l’airtoutàcoupsoucieuxetlessourcilsfroncés.—Tuaspleuré?—Non,pourquoi? jedemandeinnocemment, lesyeuxbaisséspouréviter
sonregard.Ilmeconnaîttroppouravalermonmensongeéhonté.— C’est à cause de lui ? demande-t-il en prenant mon menton entre ses
doigts.Nousavonsbeauavoirunevraiecomplicité, ilrestemongrandfrèreet je
nefaispaslepoidsfaceàsonregardquitue.Jeluitourneledosetcommenceàrefairemonlit,simpleprétextepourdissimulermonvisageetmatristesse.—Onarompu,paslapeined’enfairetouteunehistoire.J’enaimarre,jesuisépuiséedepleurer,épuiséed’avoirmal,alorslaseule
solutionquis’offreàmoiestdel’oublier,denousoublier.—Qu’est-cequ’ilt’afait?insisteChadens’asseyantsurlelitd’Amber.— Oh, rien… Je suppose qu’on n’était simplement pas faits pour être
ensemble,jeréponds,faussementnonchalantealorsquemoncœurhurle.
Ilnerelèvepasetattendquej’aieterminépourmeregarderànouveau.Jeleconnaisparcœur,voilàpourquoijelisaisémentsursestraitsàquelpointilestencolère.—Ilt’afaitdumal?—Chad…Jesaisquetut’inquiètesmais…—Réponds-moi,Mia,jeneplaisantepas.— Non, je finis par répondre après un soupir résigné. Pas comme tu
pourraislepenser.Jet’assureChad,jevaisbien.Il reste silencieux un moment puis son visage se détend et il se lève. Je
réalise en le voyant sourire à quel point il était crispé. Il a dû voir à monexpression que je disais la véritémais, s’il semble rassuré quant au fait queColinnem’apasheurtéephysiquement,ilnesaitpasàquelpointmoncœur,lui,estbrisé.—Trèsbien,jetecrois,detoutefaçontuesincapabledementir…Ilrit tandisquejeluimetsuncoupdecoudedanslescôtes,soulagéequ’il
n’insiste pas. J’ignore si j’aurais été capable de supporter cette discussionencorelongtemps.—Alors,commentc’estlavieàNewYorkCity?—C’est…différent.Maisj’aimeêtreici,jem’yplaisvraiment.Etpuisilya
Amberetondéménagebientôtdansnotresuperappartalorsjen’auraispaspurêvermieux.Enréalité,j’auraispurêverdenejamaisrencontrerColinetjeseraisencore
heureuse en ce moment.Mais aujourd’hui, je lutte pour respirer en sachantqu’ils’envabientôtetquejenelereverraisansdoutejamais.—Turestescombiendetemps?jedemandeàChadenm’asseyantenface
delui.— Je ne sais pas exactement, je me suis blessé la jambe lors d’un
entraînement de foot donc je ne pense pas y retourner d’ici un moment, letempsdem’enremettrecomplètement.Etpuisj’aienviedefaireunbreak,jecroisquej’aimeraisreprendremesétudes.—C’estvrai?Pourquoitunem’enaspasparléavant?—Jenesaispastrop,disonsquejemelaisseletempsd’yréfléchirencore
unpeu…Entoutcasj’avaisbesoindechangerd’air!—Tuestoujourslebienvenu.TupourrassympathiseravecAmber,elleest
génialetuverras,etnousaiderpourledéménagementlundi!
—Avecplaisir,sœurette.Jesuiscontentquetusoisheureuse.Ilmeserredanssesbras tandisque j’enfouismatêtedans lecreuxdeson
épaule.Çaaussiçam’avaitmanqué.—JesuisfierdetoiAim,tuasbiengrandi.Commecesmotsmeréchauffentlecœur!Laprésencedemonfrèreestun
réconfort infini,surtoutaprèsledébutdejournéecatastrophiquequejeviensde passer. Lorsque j’y repense, les larmes me montent aux yeux mais jeparviensàlesretenir;j’aiassezpleurépourlesdixprochainesannées.
*
QuandAmberestrevenuedeuxheuresplustard,j’avaiseuletempsdefairevisiter le campus àmon frère et d’organiser les deux nuits à venir. Chad adécrétéqu’ildormiraitdanslemêmelitquemoiparcequejeluimanquaisetqueçanousrappelleraitlessoiréesquenouspassions,plusjeunes,àfabriquerdescabanesd’oreillersetdedrapsdansnoschambres.Sonaffectionesttoutcedont j’ai besoin en ce moment. À défaut d’être heureuse dans ma viesentimentale,jelesuisaumoinsgrâceàmonfrèreetàAmber.Chadaensuiteinsistépourquenousallionsboireuncafétouslestrois,etje
suspecte qu’en dehors du fait qu’il veuille visiter la ville et passer du tempsavecmoi, il ait envie de faire plus ample connaissance avecAmber.Chad atoujourseudusuccèsauprèsdesfillesmaisiln’enajamaistiréunquelconqueprofit.Sesrelationsn’étaientpasforcémentlonguesmaisilatoujoursétédroitdans ses bottes et sincère. Aucune de ses relations n’a pourtant étéparticulièrementmarquante,sicen’estcelleavecJuliette.Ilssesontconnusaulycée et étaient vraiment très amoureux. Tout lemonde était témoin de leuramour,onlevoyait,onlesentait,etpourtant…Pourtantl’amourestéphémère.Ilsontfiniparseséparer,etjamaisjen’avaisvumonfrèresitristeetbrisé,luiqui est si souriant et rayonnant de joie. Il n’a plus jamais retenté sa chanceaprèselle.Chad et Amber discutent autour de leurs cafés tandis que je touille
distraitementmon thé depuis un quart d’heure, songeuse, dans unmonde oùColinestprèsdemoi.J’aiessayédem’intéresseràleurconversationmaisilsne font que faire connaissance et le cœur n’y est pas, je n’ai pas lemoral àdiscuter comme si tout allait bien. Comme si je ne mourais pas d’envie de
fondreenlarmeslorsquejepenseàlui.Plussondépartapproche,plusjemedisqu’iln’estpastroptardpourquej’ailleleretrouver,aumoinspourluidireadieu.Mais simon cœur crèved’envie de lui pardonner et dem’autoriser àl’aimerànouveau,maraisons’arrachelescheveuxenm’entendantconsidérerlapossibilitédelefaire.Cet homme t’a tout de même trompée ! s’indigne-t-elle en gesticulant,
furibonde.Etsic’étaitl’hommedemavie?sedéfendmoncœuramoureux.Etmoijenesaistoutsimplementplusoùdonnerdelatête.Lesrouagesdemoncerveauenfumentlapièceàforcedetournersureux-
mêmes et j’ai conscience de me torturer mais je n’arrive plus à réfléchirnormalementniàpenseràautrechose.Jesuisailleurs, loind’ici…avec lui.C’estça,jedevraisêtreavecluiencemoment,nousdevrionsêtreentrainderire, de discuter ou de faire l’amour, peu importe, mais nous devrions êtreensemble.C’estàcet instantque je réalisequesonaviondécolledansmoinsd’uneheureetquejedoischoisirentrelerejoindreaussivitequejepeux,aumoins pour lui dire au revoir, ou bien rester ici et ne plus jamais entendreparler de lui. Le choix est très vite fait. Pourtant, j’ai beau en avoir envie,ressentir lebesoindeme leveretde le retrouver,une force invisiblesemblemecloueràmachaise.Quelletorture!Jedoisagirmaintenantouilseratroptard,jenelereverrai
peut-êtreplusjamais,ilm’oublieraetjepasseraimavieàleregretter.Etsisonavionn’arrivait jamaisàdestination?S’ilétaitenvoyéenguerreetqu’il luiarrivaitquelquechose?Jenem’enremettraisjamais,jem’envoudraistoutemaviedenepasluiavoirditadieu.Cesréflexionsmedonnentlaforcedemeleverbrusquement,sousleregard
interrogateurdemonfrèreetd’Amber.—Qu’est-cequiteprend?medemandeChad.—Jedoisyaller.Sans ajouter quoi que ce soit, je prendsmon sac etme précipite versma
voiture.Jen’hésiteplusetfoncesansréfléchir,depeurdechangerd’avis.Jedoislevoiraumoinsunedernièrefois.J’enaibesoin.
Chapitre21
Colin
Jamaisjenemesuissentiaussivide,aussiseul.Depuisqu’ellem’aquitté,jen’aicessédemedemandercequej’allaisdevenirsanselle,cequej’allaisbienpouvoir fairepour l’oublier. Je croisqued’unecertaine façon,mêmesi j’ailongtempsrefuséde l’admettre, jemesuisattachéàelleplusqu’àquiconqueauparavant,etlasavoirloindemoiàjamaismerendbienplusmalheureuxqueje lecraignais.Est-cequeça faitdemoiunhommeamoureux?Puis-jedirequejel’aime?Jecrainsdenepaspouvoirrépondreàcettequestion,malgrémoncœur,maraisonetmoncorpsquimehurlentlecontraire.J’aurais tellementaimé la revoir rienqu’uneseule foispour luidemander
demelaisserunechance,uneseule,afindeluidirecombienjetiensàelle…MaisAmbernem’apaslaissélechoixetilfautcroirequelefaitdem’avoirlancé à la figure tout mon passé m’a convaincu de tourner les talonsdéfinitivement.Carjesaisqu’ellearaison,j’aifaitbientropdemalautourdemoietMianeméritepasdesouffrirparmafaute.Pasencoreunefois.Leloups’est peut-être épris de l’agneau, mais il n’est pas trop tard pour fuir et luirendresaliberté.Jeneveuxplusêtreunmonstre.Aprèsavoirquittésonimmeuble,laseulechosequim’apermisdecontinuer
sansrevenirsurmespasétaitdesavoirquejefaisaisçapoursonbien.Jesuisalors rentréchezmoi,mesuispréparéet ai rassemblémesaffairesavantdem’en aller sans un regard en arrière, plus prêt que jamais à l’oublier et àreprendremavielàoùjel’ailaisséeavantderencontrerMia.Je me demande ce qu’elle peut bien être en train de faire. Est-ce qu’elle
pense àmoi autantque jepense à elle ? Jene croispas.Elle amarquémonespritaufer rougeet jenemelassepasdepenseràelle,mêmesivisualisersonvisagemebrûlelapoitrinedelaplusdouloureusedesmanières.Toutchezelleétaitperfection,sonaltruisme,sonintelligence,sonhumour,etpar-dessustout ladouceurde sesgestes et la tendressede chacunde sesbaisers, de sesregardsquejen’aipassudéchiffrer.Toutenellemedisaitqu’ellem’aimait,maisjen’aipassul’entendre.Etjen’aiplusquemesyeuxpourpleurer.
C’est drôle mais en déambulant sans but dans les rues de la ville, je meremémoreàchaquefoisquejevoisunpigeonlemomentoùelleavaithurlédeterreur en se cachantderrièremoi.Lorsque je rejoue cette scène, jenepeuxpas m’empêcher de sourire avant de réaliser que plus jamais je n’aurail’occasionde laprotégerdesapirecrainteetd’admirersonadorablevisaged’enfantapeuré.J’aiseulementratélachancedemavie.Je décide d’aller attendre l’heure de mon vol sur un banc de Springfield
Garden,quin’estqu’àquelquesminutesdel’aéroportJohnF.Kennedy,seuletmélancolique.Cen’estpasdansmeshabitudes,lamélancolieestréservéeauxgensdotésd’unesensibilité.Moi,jesuisseulementabattuetépuisé,épuisédevivrelaviequejemènedepuisbientroplongtemps,épuisédedevoirsubirlamalédiction qui plane au-dessus de ma tête et m’empêche d’avoir une vienormale.Cesentimentnefaitqu’empireràmesurequejecontemplelemondeautourdemoietquejeréalisequ’aucunedecespersonnesn’estMia,carellen’estpluslà.Encejourensoleillé,jemeprendsàrepenseràlamanièredontses cheveux bruns brillent sous les rayons du soleil et à la façon dont elleplisse lesyeux lorsqu’elle est éblouie.Maispasune secondeellen’auraitpuimaginerquec’étaitenfaitellequim’éblouissait.Elleétaitmonsoleil,etjenevisdésormaisplusquedanslanuit.Jemedemandecombiendetempsilmefaudrapourl’oublierpourdebon
ou aumoins pour que la douleur s’atténue car, à chaque fois que je pense àelle,moncœur,que jecroyaisdisparu,seserreetmefaitsimalque jedoisfermerlesyeuxetserrerlesdents.C’estpirequeseprendreunpoingdanslamâchoireoudesballesdanslesjambes,c’estunedouleuromniprésentequinedisparaîtpascarelleestpartoutenmoi.Un jeune couple passe devant moi, ils se tiennent la main. Ils ont l’air
amoureuxetheureuxdel’êtretandisquejelescontemple,lamortdansl’âme,songeant que j’aurais tant aimé être capable de rendreune fille heureuse, derendre Mia heureuse. Si j’avais pu, j’aurais fait d’elle la femme la pluscombléeetlaplusépanouieaumonde…Maisjen’enaipasétécapablealorsjemecontentedel’imaginersourianteetgaie,etnonbriséeparmafaute.—Ilssontbeaux,n’est-cepas?Jesursauteettournelatêtepourdécouvrirunevieilledameassiseàcôtéde
moi sur ce banc où j’ai l’impression d’être statufié depuis une éternité.J’ignoresic’estparcequej’étaistropabsorbéparmespenséesmaisjen’avaismême pas remarqué sa présence. Je réponds par un vague grognement enreportantmonregardsureux.
Les observerme rendmalheureux parce que je sais que ça nem’arriverajamais.—Vousêtesseul?Ouimamie,maisjenesuispasintéressé,désolé.—Ouais…J’ai conscience d’être impolimais je ne suis pas franchement d’humeur à
discuteravecuneétrangère,peuimportesonâge.— Comment se fait-il qu’un jeune homme comme vous n’ait pas trouvé
l’amour?medemande-t-elleens’approchantunpeuplusprès.Amour…Encorecemot.— Je l’avais trouvémais je l’ai laisséme glisser entre les doigts, je me
surprendsàmurmurercommesijem’adressaisàmoi-même.Mavoixn’estqu’unsoufflequi seperddans l’air.Lorsque je tournemon
regardvers ladameet l’observeplusattentivement, je réalisequ’endépitdesonâgeelledemeureplutôtcoquette,avecson tailleur,sesgantsblancsainsiquesonpetitchapeauqu’onnevoitplusquedanslesvieuxfilms.Elledevaitêtre une belle femme il y a quelques décennies. Elle sourit puis croise lesdoigtssursescuisses.—Jevois.Elleétaittropbienpourvous,c’estça?Jehochelatête,fautedemots.—Vous savez, j’étais commevous àvotre âge,belle et fraîche comme la
brised’unmatindeprintemps.Tous leshommesétaient àmespiedset,biensûr, je ne me refusais pas à eux, poursuit-elle en riant. Mais un jour, l’und’entre eux m’a fait comprendre que je ratais peut-être quelque chose, quel’ultimepiècemanquantedemavieétaitlaplusprécieuse.Etcettepièce,c’étaitl’amour.Jeregardeànouveaulecouplequis’embrassesurunbancenfacedunôtre
mais détourne vite le regard. C’est bien trop douloureux. La dame avisiblement remarqué ce détail puisqu’elle s’empresse de terminer sonhistoire:— Jeme suis privée de l’amour pendant longtemps, tellement longtemps
quejen’avaismêmepaseuletempsderéaliserquej’étaisdéjàaimée.—Jenecomprendspas…Enquoiçameconcerne?—Ellevousaime,voussavez.
—Vousnemeconnaissezpas,etellenonplusalorsneparlezpasdecequevousignorez,jelâcheensentantlacolèreaffluerdansmesveines.Ellecommenceàmetapersurlesnerfs.Jeveuxbienécouterseshistoires,
maisqu’ellenes’aventurepasàparlerdeMiaetmoi.J’enaidéjàbienassezsurlecœursansqu’elleenrajouteunecouche.— Non, en effet, je ne vous connais pas, murmure-t-elle, toujours aussi
calmeetdouce.Maisjepeuxvoirunechosedansvosyeuxsisinguliers,c’estquelapiècequimemanquaitàl’époquevousfaitaussidéfaut.—C’estn’importequoi,jerétorqueenmelevant.—Vous verrez, il n’y a pas de sentiment plus doux que l’amour, et vous
priverdusienseraitvouscondamnerànejamaisconnaîtrelebonheur.Cette phrase me percute comme un coup de poing en pleine figure. Je
regardecette femmequisembleensavoirdavantagesurmoiquemoi-mêmepuistournelestalonsetmedirigedroitversl’aéroportpourquitterlaville.
Chapitre22
Mia
Jenepeuxpas.Jen’yarrivepas.Ilestlà,deboutetimmobiledevantlabaievitrée, dans une posture droite et inébranlable, lesmains dans les poches desonpantalonmilitaire. Ilmesuffiraitde l’appeleroudecourirvers luipourqueladouleurdisparaisse…Maisjemecachederrièreunpilier,laissantmoncœur etma raison s’affronter dans un combat impitoyable. Le retrouver oul’oublier?Telestledilemme.Jesaisquesijeluipardonneetquejedonneunenouvellechanceànotrehistoire,jeseraiànouveauàsamerci,dépendantedeluietterriblementamoureuse.Monuniversseremettraàgraviterautourdelui,et je ne pourrai plus jamais m’en détacher. Et ça, je ne peux pas me lepermettre.Touteslesfillesquilecroisentnepeuvents’empêcherdeledévisageretje
nepeuxlesenblâmer,labeautédeColinesttellementstupéfiantequ’ellesauteauxyeuxcommeuneétoileéblouissante.Ilestbeauàenmourir.Sonuniformemilitaire et son air pensif d’écorché vif ne font que le rendre plus désirableencore. Un demi-dieu ne lui arriverait pas à la cheville.Mais un demi-dieun’arborerait pas un regard si triste, une expression si déchirante. J’aimeraistantluienlevercetairmélancoliqueetabattuduvisage…Maisjenepeuxpas.Je prends mon courage à deux mains et fais demi-tour pour m’en allerlorsqu’il se retourne soudainement, comme s’il avait senti ma présence. Jereviens surmespas et le regarde tandis qu’il semble chercher unepersonnedans la foule et, à en juger par l’expression déçue sur son visage, cettepersonnequ’ilespéraitvoirc’étaitmoi.Ilsecouelatêteavecl’airdequelqu’unquiréalisequ’ilperdlaraisonavant
deseretourner.Alorsquejem’apprêteàcourirversluipourfairedisparaîtrecette douleur incessante, une voix annonçant l’embarquement retentit dansl’aéroport.J’observelespassagerss’enallerunàuntandisqueColins’attardedevant la baie vitrée, comme s’il attendait qu’un miracle survienne, que jesurvienne. J’assiste au départ de mon premier amour qui s’envole à desmilliers de kilomètres sans pouvoir bouger, crier, ou l’appeler pour le
supplierdenepasmequitter…J’ignorelavaguedesouffrancequis’emparedemonêtre tandisquemesyeux suivent sa silhouettequi franchit lesportesmenant à l’avion, je lutte contre le désespoir qui me submerge. Il jette underniercoupd’œilderrièreluimaisjenebougetoujourspasetleregardes’enaller,jusqu’àcequ’ildisparaissedemavue.Etc’estàcemomentquejem’effondreenlarmes.
—Comment ça s’est passé ?medemandeAmber dès que je pénètre dans
notrechambre.—OùestChad?—Ilestpartiacheterdespizzas…Alors,raconte-moi.Je soupire et m’assieds sur mon lit, lasse et épuisée. J’ignorais qu’aimer
étaitsidouloureuxetsiéreintant.MaisconnaissantAmber,ellenerisquepasd’abandonneravantquejeluiaietoutraconté.—Iln’ya rienàdire, jemurmure tristement, je suisalléeà l’aéroport, il
était devant moi mais je… Je l’ai laissé partir, je n’ai rien fait pour l’enempêchernipourluidireadieu.Elle passe unemain autour demes épaules en signede compassion etme
serrecontreelle.—Net’inquiètepas,tupeuxcomptersurmoipourtelefaireoublier.Contrairementàcequ’elle semblecroire, jeneveuxenaucuncasoublier
Colin, il fait partie demoi, de celle que je suis devenue ; je veux seulementtournernotrepage,paslabrûler.Chad revient peu après, armé de pizzas hypercaloriques et d’un sourire
tellementimmensequejenepeuxm’empêcherd’enfaireautant.Grâceàlui,jeristoutaulongdelasoiréeet,miracle,jeréussismêmeàoublierlaraisondemonchagrinpendantquelquesminutes.Monfrèreestunantidépresseurà luitoutseuletsij’ajouteAmberàl’équation,ilm’estimpossibledem’effondrer.—Ledéménagementc’estlundi,c’estça?demandeChad,labouchepleine
depizza.— C’est ça, gros bébé, je réponds en lui essuyant la bouche avec une
servietteenpapiersouslerired’Amber.Nous avons collé nos deux lits pour pouvoir nous asseoir tous les trois
ensemble et cette soirée a pris des allures de soirée pyjama unique en son
genre.Évidemment,commejem’yattendais,cesdeux-làsedévorentdesyeuxetc’estamuséemaislégèrementnostalgiquequej’assisteàcequimesembleêtreledébutdequelquechose.—Jesuisunhommeviril !Tunepeuxpascontinueràagircommesion
avaitencorehuitans,Aim,etsurtoutpasdevantAmbervoyons!Nous éclatons de rire tandis que Chad embrasse théâtralement ses biceps,
l’air victorieux et idiot. Pour ne plus être triste, j’ai réalisé que je devaisenfermermes sentiments dans un petit coffre-fort cadenassé tout au fond demoi.Simple,n’est-cepas?—Jeneremettraipastesparolesendoute,ôhommeviril,jerétorqueavec
sarcasme.—J’espèrequevousavezprévuunechambrepourmoi,hein!—Même pas en rêve, tu auras le canapé… ou le lit d’Amber, avec elle
comprise,biensûr.Celle-ci devient écarlate etm’administre sans préambule un gros coup de
coussinenpleinvisage.Jeluirends,sonnantledébutd’unebatailled’oreillersassourdissanteàcausedescrisetdesrires.Iln’estpasnécessairedepréciserquenousn’avons rienpu faire faceaumètrequatre-vingt-huitetauxquatre-vingt-dixkilosdemonfrère.Précisémentàcetinstant, jeréaliseàquelpointlesavoirdansmavieestunprivilègecarj’ignorecequej’auraisfaitsanseux.Aufond,jecroisqueColindevaitfairepartiedemavie.Çan’aétéquepour
unecourteéternité,maiscefutlaplusbelleetlaplusheureusequej’aievécue.Etjemedisque,àdéfautdepouvoirvivrenotreamourcommejel’espérais,ilmerestetouteuneviepourl’oublier,oubliercetamourquej’éprouvetoujourssi profondément pour lui, pour cet homme qui a fait battre mon cœur debonheur, qui a fait de moi une femme. Pourtant, en regardant de haut ceminuscule fragment de destin que nous avons parcouru ensemble, je réalisequ’ilmerestetantdechosesàdécouvrir,tantdechosesàvivreetàaimer…Jene peuxmepermettre deme laisser hanter par cet amour qui n’a jamais étéqu’unmirage.C’est une nouvelle page qui se tourne dansmon livre, une page oùColin
Carterabeletbiendésertémavie.
Remerciements
C’est incroyablecommede simplesmots,de simples lettrespeuvent avoirunimpactaussipuissantsurnous.Ilsnousfontrire,pleurer,aimer(beaucoup)etdétestercespersonnagesguidéspar lafolleplumed’unindividuquiseditécrivain. Parfois, on se met à oublier le monde qui nous entoure pour selaisseremporterparletorrentfoudanslequelnousentraînentceshistoires,etc’estàcetinstantquel’onréalisecombiencesmotsàl’apparencesiinnocentesontdesentitésbienpluscomplexesqueça.Cesonteuxquim’ontmenéelà.C’estenlesmanipulant,enlesficelantque
j’ensuisarrivéeàvous,quimelisez.Etc’estégalementgrâceàvousquej’ensuislà,carqueseraitunemélodiesansnotesdemusique?Unlivresansmots?Vous êtesmes notes et toutes les lettres demon alphabet, et je tenais à vousremercierdemelireaujourd’hui,d’avoirsuiviledébutdel’histoiredeMiaetColin.Durantmeslectures,j’ailudenombreuxremerciements,maisj’aisongéen
écrivant lesmiensque jen’avaisaucune idéede lamanièredont j’allaism’yprendre.Êtreoriginal,c’estunbiengrandmot,peut-êtretropaudacieuxpourmoi.Etpuisj’airéaliséquejen’avaisqu’àsuivremoncœuretmoninstinct,etfinalementlaissermespropresmotss’exprimer.La première personne que je voudrais remercier se prénommeBibou.Ce
petitsurnomquimefaisaitrireestdevenunotretrucànousetjen’arriveplusàm’endétacher.Amy,sanstoijen’enseraispasarrivéelà,etpourçajeneteremercieraijamaisassez.Tabontén’ad’égalquetontalentmaBibou.J’aimeraisensuiteadresserunimmense,ungéantissimemerciàIsabel,quia
su me faire confiance et me laisser ma chance en m’acceptant dans la trèsgrande famille Hachette, ainsi qu’au comité de lecture sans qui l’aventuren’auraitpascommencé.Iris… Merci pour ta patience et ton implacable gentillesse, j’ai adoré
travailleravectoiet jesuisraviequenoscheminsneseséparentpasencore,carjecroisqu’ilnousrestepasmaldeboulotensemble!Biensûr,jesouhaiteremerciertousmeslecteurssurWattpad,sansquitout
ça n’aurait jamais été possible. C’est là que j’ai rencontré de merveilleusespersonnesquionttoujoursétéàmescôtéspourm’accompagner,meconseiller
etm’encourager.Votresoutiensansfaille,votrefidélitéetvotreamitiém’ontplus que tout permis d’avancer et d’en arriver là où je suis. Célestine(présidentedu fanclubofficieldeColinetcofondatricede l’AssociationdesMochesdeFrance), l’irremplaçableSand,mamerveilleusePrincessSarahetsesOréos,Shirley,Aly(quitenteencoredemevolermonColin,sanssuccèsjusque-là),maChayadorée,Sasha(ETSESMAJUSCULES),madouceAnne-Soquej’adore,NancymaNanou,Cricriquiestunepersonneextraordinaire,Margauxma petite fleur,Marine et la petite Lana, Louanne, Jessica-Salomé,Imane,Filipa,Isabelle,Rosem84,Nadepie,Didines,Mathilde,Marion,Coralie,Kenza, Océane, Audrey H., Marina, Martine, Oreelee, Sabine M., Nadia,Audrey,Agathe,Mélanie,Inès,Faustine,MademoiselleAnna,Anneli,ArmelleM.,The littleFrenchGirl,Ghyslaine,Angelica,Stéphanie,Cindy,Lou4lou4,Chrisdream06,MarieRSutton,Noemy,Manon, Chaima, Zoé, Clara,Mallory,Joanne François, Vime, Lisa Moukah, Kawthar B., Tanpuce, Amandine,Loiloi1080,MorganeB.,Eulalie,Learcnnn,Emmaabrl,Fany0912,Léa,CélineFlowers, Loriane, Josianne, Maude, Trycia, Nous360, Charlotte Gâtinois,Carine Emmy, RokaDiop… Et plein d’autres ! J’aurais aimé pouvoir merappelerchacund’entrevousquim’avezsuiviemaisj’aiprobablementoubliéquelques noms et j’en suis sincèrement désolée. Je vous suis infinimentreconnaissantepourvotresoutien.Par-dessus tout, je voudrais remerciermamaman qui a toujours présente
pourmoi.J’ailachanced’avoirunemèreausoutieninfaillible,etsansellejen’enseraispaslàaujourd’hui,danstouslesaspectsdemavie.Ellem’aapprisàvivre,m’aguidéesuruncheminquim’effrayaitetjeréalise,chaquejourquipasse,combienjel’aimeetcombienelleesttoutpourmoi…AinsiqueChad,mon frère.Celui quim’a inspiré ce frère plein de vie et d’amour. Il est unesourcedebonheuretd’amourdansmavieetjenel’échangeraispourrienaumonde,malgrénoschamailleries!JenepouvaispasécrirecesremerciementssansparlerdemonNanou,mongrandfrère,monpilier,celuiquia toujoursétélàpourmoietsansquimavieneseraitpaslamême,ainsiquedeCharlotte,quifaitdepuisbienlongtempspartiedemafamille.Jeneledisjamaismaisjevousadore.Etenfin,mameilleureamie,lasœurdontj’aitoujoursrêvé,Bralie…J’aime
cettefilleplusquederaisonetjenepeuximaginermaviesansellemaintenantqu’elleyestentrée.MaBriajet’aimeàlafolie!J’aurais pu écrire des pages entières pour vous exprimer ma gratitude et
monamour,monamitiépourchacund’entrevous.C’estunrêvequiseréaliseetjesuisheureusequevousenfassiezpartie.
Ungrandmerciàtous.
MiaDjey
Couverture:©HachetteRomans.
©HachetteLivre,2017,pourlaprésenteédition.HachetteLivre,58rueJeanBleuzen,92170Vanves.
ISBN:978-2-01-700808-8
ILÉTAITUNEFOIS…
1.
—Çavousfaittreizeeurosetquarante-neufcentimes,madame,ditAnaëlle.Ellejetauncoupd’œilàl’immensevitrequiséparaitlasupérettedutrottoir.
C’était bientôt le printemps, mais il ne faisait ni chaud ni beau, il n’y avaitmêmepasl’ombred’unrayondesoleil.Laclienteluitenditl’argentetAnaëlleouvritletiroir-caisse.—Cinquante,quatorze,quinzeeuros,fit-elleenrendantlamonnaieavecla
facture.Merci,bonnejournée.Ellese tournavers leclientsuivantquiposaitsescoursessur le tapissans
cesserdeparlerautéléphone.Ellen’attendaitpasunesalutationencoremoinsunsourire,elleplutôtqu’unemachine,celanefaisaitaucunedifférence.Quand elle était petite, sa mère avait toujours été derrière elle pour ses
devoirsenrépétantjouretnuit«Situnetravaillespasbienàl’école,tufinirascaissière».C’était lemonstreàsept têtesqu’il luifallaità toutprixéviter, lecauchemarabsolu, le ratageultimede lavie.Anaëlleobservait lescaissièresaveccrainte,depeurqu’ellesnelahappentdansleursecte,ellepriaitpournepasterminercommeelles.Puissamèreétaitmorte,elles’étaitretrouvéeseuleàpayerlesfactures.SonCVinexistantl’avaitamenéedroitdanslagueuleduloup. La honte ! Deux ans plus tard, elle était toujours à la même place,cumulaitlescontratsàduréedéterminée,faceàelledéfilaientdesdizainesdepetitesfillesdontlesmèreslesmenaçaientd’un«tuneveuxpasfinircommeladame».Aumoins,samèreattendaitd’êtrerentréepourluifairelaleçon,elleétaitsévèremaisrespectueuse.Avecletemps,Anaëlleétaitdevenueblasée.Ellenerougissaitplus,nefixait
pluslesimpertinentes,nebouillonnaitplus.Elleencaissait.Danstouslessensduterme.Bip.Bip.Bip.Àlafindelajournée,elleentendaitencoreles«bip»résonnerdanssesoreilles.Ellepassaitlesproduitsdevantlelecteurdecode-barres d’une manière machinale, lisait les montants d’une voix monotone,déduisait les bons de réductions, comptait les centimes, nettoyait le tapisroulant avec un torchon humide qui avait vu de meilleurs jours, etrecommençait comme une machine. Les hôtes de caisse étaient la versionmoderne de Sisyphe. Elle avait lu ça quelque part, sur un blog ou surFacebook, et avait même fait une recherche pour connaître le mythe. Mais
Sisypheounon,cetravailauraittuésamère,d’uncoupaucœuretdechagrinàlafois.Noémie, tout juste revenue de l’université, s’installa derrière elle et
approchasontabourettoutenmâchantlerestedesonsandwich.Anaëllerenditlamonnaieàunecliente.—Bougetonsandwich,grommela-t-elleàsacollègue.—Tu n’as pas encoremangé ? demandaNoémie, la bouche pleine. Il est
presque18heures.—Jesuisaurégime.EllesentitleregarddeNoémiedanssanuque,maisl’ignorapours’occuper
d’unnouveauclient.Bip.Cen’étaitpaslepremierrégimeendeuxansetceneserait sûrement pas le dernier. Depuis la mort de sa mère, Anaëlle avaitcollectionné les kilos superflus comme d’autres collectionnent les boules deneige.—Monsieur,auboutdelafile,cettecaisseestouverte!annonçaNoémieen
s’essuyantlesmainsavecunelingette.— Madame, vous êtes ma dernière cliente, ajouta Anaëlle en faisant un
signe.Ilyeutdessoupirscontrariésetdesgrommellements.Anaëllerécupérason
tiroir-caisseetsedirigeaverslebureaudugérantaprèsavoircomposélecodesurlepavénumérique.Elles’assitàlatablerondeetsefrottalesyeuxavantdese lancerdans lacomptabilisationdesacaisse.Unefoiscette tâche terminée,elle fit un dernier tour dans la supérette et entendit le tap, tap, tapcaractéristiquedelacanneblanchedeLéon.Ellejetauncoupd’œilducôtédesvins.Léonpassaitsesdoigtssurlesétiquettesenbrailledesrayons.Anaëlleaurait
fait discrètementmarche arrière si cela avait été quelqu’un d’autre,mais auBonMarché, on l’appelaitM. Joyeux : il était toujours souriant et de bonnehumeur,leseulclientàs’intéresserauquotidiendesemployésdelasupérette.Lapremière fois,Anaëlleavaitété si surprisepar sesquestionsqu’elleavaitinventéune réponsebateau.Commeelle étaitd’humeurmaussadece jour-là,elleavaitprétextélamaladiedesonchien.Lelendemain,lorsqu’ils’étaitarrêtéà sa caisse, il lui avait demandé des nouvelles. Anaëlle n’avait jamais eud’animal de compagnie, elle avait mis quelques secondes à se souvenir del’histoire servie la veille. Elle aurait eu trop honte d’avouer son mensongependant qu’elle scannait son thé et ses biscuits préférés, alors elle s’était
enfoncéeenenremettantunecouche:Bobbyallaitbeaucoupmieux,merci.Endeuxans,lemalheureuxanimalavaiteuletempsdevieilliretdemourir,etilavaitmêmeeudroitàunenterrementdignedesesannéespasséessurTerre.—Bonsoir,salua-t-elle.Léonse redressa,unsourirese formaaussitôt surses lèvres. Iln’étaitpas
spécialementbeau,justeunbrunméditerranéencommedesmilliersd’autresàMontpellier.Deteintbasané,iln’étaitpastrèsgrand,avaitunnezunpeufortetdescheveuxbouclés,maisilavaitunsourirevrai,etpourcetteuniqueraison,Anaëlleprolongeraitsontempsdetravail.—Bonsoir,Anaëlle.Commentallez-vous?Sesyeuxnoirssemblaientlafixer,c’étaitfaciled’oublierqu’ilétaitaveugle.—Unpeufatiguée.Etvous?— Mon amie est très contrariée, dit-il en reposant ses doigts sur les
étiquettes.Ellevientd’annulerunvoyageàVenisequ’elleaplanifiédepuisdesmois.Jepensaisluipréparerunbonpetitplat,maisjedoutequ’elleaitenviedepasseràtable.Anaëllen’étaitjamaisalléeplusau-delàdesCévennes.Pouvait-ellesesentir
contrariéeden’envisageraucunvoyageduranttoutesonexistence?S’ilfallaitqu’on la console pour des envies étouffées dans l’œuf, elle aurait besoin deLéontouslesjours.Maisvraimenttouslesjours.— J’aurais choisi tout ce que la télé dit qu’il faut boire et manger avec
modération,répondit-elle.Àcommencerpardestrucsbourrésdesucre.— Vous avez raison, s’amusa-t-il. J’ai bien pris un Bordeaux, étiquette
jaune?Ellejetauncoupd’œilàlabouteillequ’iltouchait.—Oui,c’estça.—Parfait.Ilattrapalabouteille,Anaëlleserralespoingspournepasintervenirdepeur
delacasseretdevoirpayertrenteeurosdesapoche.— Pourriez-vous m’en prendre une deuxième, s’il vous plaît ? demanda
Léon.Quellechanceuse,cetteamie!—Biensûr.Ellel’ajoutaaupanier.
—Merci,Anaëlle.Ellen’avaitplusenviederesterlààimaginerunhommeattentionnédanssa
vie.Ellevoulaitmanger,dugrasdepréférence,etdormirenveloppéedanssacouette.Tantpispourlerégime.EttantpispourLéon,aussi.—Vousavezbesoind’autrechose?demanda-t-elle.—Non,merci.Jeconnaislerayondesglacesparcœur!plaisanta-t-il.—Alors,bonnesoirée.—Vousaussi,Anaëlle.Oh!maisoui,maistellement!Ellepassadanslevestiaire,troquasablouse
poursonanoraketrécupérasonsacàmain.Deloin,ellesaluaNoémieets’enalla sans tarder. Elle se dirigea vers la gareMontpellier-Saint-Roch qu’elletraversa d’un bout à l’autre, et en ressortant de l’autre côté, elle tomba surl’enseigne d’un kebab. Il y avait la queuemais rien d’insurmontable, et ellemourraitsielledevaitattendreencorevingtminutesavantd’arriverchezelle.Cefutunegalettesaucemayo,fritesetCoca.Aulieudeprendre le tramway,elle se réfugia dans le square voisin pourmanger loin des regards.Àpeineavait-elle englouti une frite que les larmes luimontèrent auxyeux.Elle étaitnulle,mêmepascapabledetenirunejournéesansfaired’écart.Quelleidéedecommencerunrégimeunvendredi,aussi.
2.
—Onne peut pas continuer comme ça, se lamentaOcéane, blottie contresontorse.Léoncontinuadecaressersondosnu;ellefrissonnadanssesbras.—Commeçaquoiexactement?demanda-t-ild’unevoixensommeillée.—Ilfautqu’onarrêtedecoucherensemble.—C’esttoiquiesvenuechezmoi.Océane se détachade lui, il sentit son regard. Il la connaissait depuis leur
enfanceetsavaitqu’elleavaituneexpressionindignéepeintesurlevisageàcetinstant.—Tuesmonmeilleurami!s’écria-t-elle.Jenepeuxpasvenircheztoisans
queçasetermineaulit?—Tuesvenueaveccetteidée-làentête.Ellelefrappaavecl’oreiller.—Aïe!seplaignit-ilensemassantlecrâne.—Jesuissérieuse,insista-t-elle.—Queveux-tuque je tedise?Tuesarrivée, tum’asditd’embléeque tu
passaisleweek-endavecmoi.Enquoisuis-jecoupable?—Tudevraism’arrêter.—Tufaiscequetuveux.Jenesuispaslàpourtemettrelesbâtonsdansles
roues.—C’esttellementcommodepourtoi.—Toutàfait.Ellelefrappaunenouvellefois,maiscettefois-ci,ils’yattendaitetilparale
coup. Elle se leva en emmenant la couette. Tant pis s’il avait froid auxextrémités.—Jenevaispastenirtoutleweek-end,dit-elle.—Tuhabitesàquinzeminutesd’ici,tupeuxrentrercheztoi.Elleneréponditpas,ilentenditjustelacouettetraînersurlamoquetteetla
porte s’ouvrir. Pendant quelques instants, il fut tenté de se retourner et de
dormir,maisseravisa.Iln’yparviendraitpasaveclesfessesàl’air,enplus,Océaneboudaitmaintenant.Ilavaitdumalaveclesfillesenpeine,c’étaitunefaiblesse, il se sentait obligé de les consoler. Il finit par se lever pour larejoindreausalon.—O?—Jesuislà.Ilsedirigeaverslecanapé,tâtonnapours’assurerqu’iln’allaitpass’asseoir
surelle.—C’estbon,lerassura-t-elle.Ils’assit,l’attiraàluietentourasesépaules.—Jeveuxunevraierelationquidure,seplaignit-elle.—Jesais.—Maispasavectoi,ajouta-t-elleaussitôt.—Moinonplusjenevoudraispasd’unerelationavecmoi!Ellepartagealacouetteavecluienl’enveloppant.—JepensaisqueLucétaitlebon,murmura-t-elle.— Si tu l’aimais vraiment, tu aurais envie de casser quelque chose, de te
venger,dedétruiresesaffaires,del’humilier.Jenesaispas,moi,d’exploserdecolère.Maisilnepeutpasêtrelebonsilapremièrechosequetufaisenlequittant,c’estdecoucheravectonmeilleurami.Ellerenifla.Ilposalajouecontresatête.— Pourquoi tu es toi ? se plaignit-elle. Ç’aurait été si facile si tu étais
quelqu’und’autre.—Sij’étaisquelqu’und’autre,jeneseraispastonmeilleurami,plaisanta-t-
il.Tunem’adoreraispas.—Pfft…—Hé!Est-cequejemeplainsdetoi,moi?s’indigna-t-il.—Tout le temps !Tudisque jesuispasorganisée, têtue, tropbruyanteet
quej’aimauvaisgoûtenmatièred’hommes…—Cequiestvrai.—Tupeuxparler.Regardeoùjemetrouveunvendredisoir.Ils’étrangla,faussementblessé.Elles’assitàcalifourchonsur lui,remit la
couetteenplaceetseblottitcontre lui. Ilhumasonparfum,uneodeurdouce
qu’elleportaitdepuisqu’ilsétaientadolescentsetquiétaitrestéimpriméedanssesnarinesdepuisleurtoutpremierbaiser.Cejour-là,ilavaitpresquecruvoirdescouleurs.—C’estunmauvaisplanquetuaslà,remarqua-t-iltoutenglissantsesbras
autourdeseshanches.—Jenevaispasbouger,jesuistranquille.Commentpouvait-ilseteniràcarreaualorsqu’ilsétaientnustouslesdeux,
quesesseinss’écrasaientcontresontorseetquesonparfumluienvahissaitlesnarines?Il luidonnaunefesséeet labasculasur lecôtéavantdese lever. Ilallumasonordinateurportableposésurlebuffetetcliquasurlesflèches.Unevoixmétalliquesefitentendre:CORBEILLE.DOCUMENTS.MUSIQUE.DANSE.—Oh!non!s’écriaOcéane.—Oh!oui!Ilouvrit ledossier, fitglisser la flèchependantque lavoix lisait lesnoms
desfichiers.ABBA.DancingQueen envahit lapièce etLéonesquissaquelquespasdedanse. Il
laissalerythmel’envahir,fredonnaetsedéhanchatoutensedirigeantverslacuisine.—Jen’oublieraijamaiscetteimage,seplaignitOcéane.—C’esttoiquim’asapprisàdanser.—Jem’enveuxtouslesjours.Tueslepireétudiantquej’aijamaiseu!Ilrit,maisnes’arrêtapas.—Tuasfaim?cria-t-ilpourcouvrirl’eaudurobinetpendantqu’ilselavait
lesmains.—Non.Léon émietta un brownie dans un bol, puis ajouta une boule de glace à la
vanilleengardantlamainouverteenguisedeprotectionpournepassalirleplandetravail,saupoudradecacahuètespilées,versadelasauceauchocolatetplantadescigarettesrussespourterminer.Ilsortitunecuillèreetrevintdansle
salon,toujoursendansant.—Seigneur,soufflaOcéane.Rienquedevoirça,jenesuispluscontrariée.Ils’assit,mangeaunegrandecuillérée.—Fais-moigoûter,demanda-t-elle.—Tuasditquetun’envoulaispas,répliqua-t-illabouchepleine.—Maisc’estbeau!Ilmangeaencore.Elleluiarrachalacuillèreetlebol.— C’est aussi pour ça que je ne peux pas sortir ou vivre avec toi, se
lamenta-t-il.—Tun’espaspartageur.—Pasquandonmeditqu’onn’apasfaimetqu’onpiquemanourriture.—Oh,çava,rétorqua-t-elle,labouchepleine.Tupeuxt’enrefaire.Ilfitunegrimace.—Non,c’estbon.Jevaismecoucher.Passe-moilacouette,quejen’attrape
paslamortparlesfesses.Elleluitenditlacouverture.—Tienstaglaceaussi,ilenreste,dit-elle.—Tupeuxterminer.—Léon…Ileffleurasonbras,glissasamainjusqu’àsonépaule,puisfitpressionsur
sa nuque pour qu’elle se rapproche. Son nez toucha le sien et il l’embrassa,goûtaàlavanilleetauchocolatsursalangue.Ilsn’étaientpeut-êtrepasfaitspour former un couple et s’étripaient au bout d’une heure ensemble,mais iladorait s’enivrer de son odeur, de sa douceur, de son goût… Il se détachad’elle,l’embrassaunedernièrefois.—Bonnenuit,lâcha-t-ild’unevoixrauque.—Ettamusiquepourrie?Ilseleva.—Cen’estpasdelamusiquepourrie,c’estABBA.Aucunrespectpourles
légendes,toi.—Éteins,s’ilteplaît.—Jetelaissefaire.
—Tonécranesttoutnoir,jenevaisjamaism’yretrouver!—Oh!l’ironie!Profitebiendemaglaceetdemesbrownies.Jet’aime,à
demain.Quelavengeanceétaitdouce.
3.
Anaëlledétestaittravaillerlessamedis,maislepire,c’étaitdetravailleràlapremière heure les samedis. Il n’y avait jamais personne, ni employés niclients,etelles’ennuyaitcommeunratmort.Demauvaisehumeur,elleentraau Bon Marché et se figea en remarquant une caisse libre-service encoreentourée de plastique. Le gérant parlait au téléphone en faisant de grandsgestes ; il la salua d’unmouvement de la tête avant de s’éloigner. Perplexe,Anaëllesedirigeaverslevestiaireoùelletroquasonanorakpoursablouse,puis passa dans le bureau récupérer son tiroir-caisse et faire son comptage.Ellen’avaitjamaisvucegenredemachinesdansdespetitscommerces,etcen’étaitpasbonsigne.Elle terminait ses heures supplémentaires quand Noémie arriva pour la
relayer.—Merde alors, ça déménage ici ! s’exclama-t-elle en voyant la nouvelle
configurationdelasupérette.—Àcequ’ilparaît,grommelaAnaëlle.—Aznarditquoi?—Rien.Ilestautéléphonedepuisquejesuisarrivée.— Ça sent pas bon du tout, remarqua Noémie. Je dois tenir jusqu’à la
rentrée.Anaëlle se pinça les lèvres. Noémie souhaitait faire un BTS d’assistant
manager en alternance après sa licence d’anglais. Elle avait des objectifs àlongterme,vivaitavecsoncopain,elleétaittoutcequ’Anaëllen’avaitjamaisété. Et c’était frustrant. Si seulement Anaëlle avait eu juste une once de sonintelligence ! Pendant toute sa scolarité, samère l’avait guidée dans chaquedevoir, chaque préparation aux contrôles. Avec Heilani, Anaëlle avait étémoyenne,sanselle,elleétaitunecatastrophe…—Prépare-toi,j’aienviederentrer,lâcha-t-ellesèchement.—Oui,oui,j’arrive,réponditNoémie.Avantdepartir,Anaëlle s’acheta sondéjeuner.Lacharcuterie, labière, les
paquetsdechipsquiavaientpassésoussonneztoutelamatinéeluiavaitdonnéfaim.Décidément,cerégimenecommenceraitpasaujourd’hui,nonplus.
Àquelquesportesde là,Léonsortait,accompagnéd’une jeunefemmeauxcheveux châtains. Il passa sa main sous le bras de son amie, plus du toutcontrariéeàencroiresonrire.Anaëllegardaunedistancerespectueuseaveclecoupleetattenditqu’ilstraversentpouravanceràsontour.Une fois rentrée, elle abandonna ses affaires sur le canapé-lit qu’elle ne
repliait jamais et qui occupait les trois quarts de son studio.Elle ne recevaitpersonne, n’avait pas de vie sociale, alors pourquoi perdre son temps à leplier?Unclic-clacauraitétébeaucouppluspratique,maislemeubleétaitaveclelogement,et iln’yavaitpasdepetiteséconomies.Sonstudioétaitvieuxetmal isolé, lesmurs autrefois blancs étaient jaunis et le parquet grinçait à lamoindrecontrariété,maisAnaëllesesentaittoutdemêmeensécuritédanssesquatorzemètrescarrésquisentaientl’huiledemonoï.Elle se débarrassa de son anorak, alluma le chauffage et déroula
distraitement sa tresse qui tomba sur ses reins. Quand elle défaisait sescheveux,sonespritsemblaitsedélieràsontour.Quandsamèreétaitvivante,elle brossait sa chevelure comme la plus précieuse des soies. Assise sur unbanc entre ses genoux,Anaëlle se laissait bercer par lemouvement répétitifd’Heilaniquienduisaitsesnattesd’huileparfumée.Anaëlleavaitbeaucoupdecomplexesdansdenombreuxdomaines,maissachevelurenoired’ébènen’enétait pas un, au contraire. Elle avait l’impression d’être une Raiponcepolynésienne. Après la mort de sa mère, ne restaient plus que les cheveuxqu’elleenroulaitlaplupartdutempspournepasbalayerlesoldelasupérettequandelleétaitassise.Elle se glissa sous les couvertures et tira le sac du BonMarché pour en
sortir un paquet de biscuits. Quand ses yeux se posèrent sur le logo de lasupérette, les pensées noires refirent surface. Cette caisse libre-service allaitdevenirsoncauchemar,elle lesentait.C’était toujourssurelleque tombaientlestuiles.
*
—Netefâchesurtoutpas,ditOcéane,maistamèreestpassée.Léon coupa un nouveau morceau de steak. Il trouvait pénible cette façon
qu’avait samèrede s’immiscerchez lui sous lemoindreprétexte : faire sonménage,repasserson linge, faire lescourses,prépareràmanger, lui faire lalecture. Un jour, il allait devoir sérieusement discuter avec elle et seraitcoupable de son arrêt cardiaque. C’était la seule raison pour laquelle il
remettaittoujoursaulendemaincetteépreuve,ceseraittropderesponsabilité,etdeculpabilité,pouruneseulevie.—Jesais,répondit-il.—Ahoui,comment?s’étonnaOcéane.—Iln’yavaitplusdevaissellesale.—Çaauraitpuêtremoi!s’indigna-t-elle.Jemesuislevéeavanttoi!—Tunelavesjamaislavaisselle,encoremoinsausautdulit.Tuasvuma
mère,alors?—Ouais,grommela-t-elle.—Jedevaisêtrevraimentfatiguéparcequejen’airienentendu.—Onétaitdiscrètes.—Pourunefois…Océanelefrappaàl’épaule.—Hé,jesuishandicapé,jetesignale!s’exclama-t-il.—Quandçat’arrange.—Qu’a-t-elleditentevoyant?—Qu’elleétaitheureusedemerevoir.J’avouequec’étaitunpeugênant…—Tum’endirastant.—Pas parce qu’ellem’a vue àmoitié nue en sortant de la salle de bains,
chou,jepensequ’elleaprisl’habitudedepuisletemps.C’estjusteque…j’étaissupposéeêtreàVeniseavecmonmecetpasennuisettechezmonpote.—On a dépassé le stade de « potes » depuis le lycée.Oubien était-ce au
collège?—Jenesaispassic’étaituneerreur,confessa-t-elle.— Je ne regrette jamais rien. J’étais bien à l’époque, je suis bien
aujourd’hui.—J’aimeraisêtreaussidétachéequetoi.—Lavienedurequ’unjour.—C’estunetrès,très,longuejournée.—Tufaiscequetuenveux.Siellet’ennuie,change-la.—Ôgourouzen,parfois,j’aienviedemeplaindre,alorsjemeplainsettu
m’écoutes!Çafaitdubien.
Ilpassalecouteausursonassiettepours’assurerqu’ilavaitterminé,puislereposaetattrapalaserviette.—L’actionfaitdubien,rétorqua-t-il.Seplaindre,c’eststérileetcen’estpas
trèssexy.—Heureusementquejenecherchepasàêtresexyavectoi.—Oui,heureusement.Qu’est-cequeceserait,sinon.La table pencha dangereusement vers Océane, comme si elle s’appuyait
dessus.—Dis-moi,chou,tumetrouvessexy?minauda-t-elle.—Tusaisbienquejen’aid’yeuxquepourtoi.—Toi,tusaisparlerauxfemmes.Iléclataderire.—Etçamarchevraiment,cesphrasestoutesfaites?semoqua-t-il.—Chezlesvoyants,peut-être.Chezlesaveugles,j’aicommeundoute…
4.
VOUSAVEZTROISNOUVEAUXMESSAGESVOCAUX.PREMIERMESSAGE.OCÉANE.HIERÀ23H49.«Chou,prépare-toiàresterchaste,j’aiprisdebonnesrésolutions.»DEUXIÈMEMESSAGE.MAMANPOULE.AUJOURD’HUIÀ6H28.«Bonjour,monchéri,jete…»EFFACÉ.TROISIÈMEMESSAGE.WONDERMALIKA.AUJOURD’HUIÀ7H57.«Bonjour,Léon.Tapremièrepatienteaeuun imprévu, tucommencesdans
uneheure.Àtoute!»FINDESNOUVEAUXMESSAGESVOCAUX.Léon reposa son téléphone sur la tablede chevet et traversa l’appartement
jusqu’au salon en effleurant les murs du bout des doigts. Il alluma sonordinateur et lança la musique. La journée commençait toujours mieux enrythme,malgrétoutcequepouvaitdireOcéaneàproposd’ABBA.Cettefillen’avaitdécidémentaucungoût.La semaine ne pouvait pas plusmal commencer. Aussitôt arrivée au Bon
Marché le lundi matin, Anaëlle avait remarqué qu’Aznar ne lui avait pasattribué de tiroir-caisse. Ça serait pour sa pomme, elle le savait.Quand elles’assitenfacedugérant,soncœurbattaitàtoutrompre.—Anaëlle,commença-t-il.Voussavez,encemoment,laconjoncture…C’était à prévoir ; Murphy et sa poisse de compagnie, ses amis les plus
fidèles, les seuls. Anaëlle essayait de retenir les larmes qui gonflaient sespaupières et chatouillaient désagréablement son nez,mais la crise de pleursapprochait.—Nousn’allonspaspouvoirrenouvelervotrecontrat,ànotregrandregret.
Vous êtes une excellente employée et je vous ferai une lettre derecommandationquivouspermettraderetrouverunnouveautravail.Anaëllenel’écoutaitdéjàplus.Sic’étaitsifaciledetrouverdutravailavec
son bagage académique inexistant, elle serait partie depuis longtemps, et de
sonpleingré!—Et puisquevous avez des jours deRTT, je vous proposed’enprofiter,
conclutAznar.—Pardon?—Nousvousdevonsces jours,Anaëlle. Il faut lesprendreavant la finde
votrecontratdetravail.—JedoispartirmaintenantenRTT?s’étrangla-t-elle.Nonseulementelleétaitvirée,maiselleétaitrenvoyéesur-le-champ.Non:
soncontratn’étaitpasrenouvelé,maislerésultatétaitkif-kif,commeauraitditsamère.—Jesuisvraimentdésolépourtoutceci,ditAznar.Sij’avaispul’éviter,je
l’auraisfait,maisjesuispiedsetpoingsliés.L’esprit d’Anaëlle se vida. Elle acquiesça mollement, perdue. Noémie
partiraitàlarentrée,ilauraitbesoindequelqu’unpourlaremplacer!AnaëlleconnaissaitlesmoindresrecoinsduBonMarchéetlescodes-barresparcœur,elleétaitdouéeencalculmental.Est-cequ’elle faisait fuir lesclientsavecsatêtedetrollronchon?Elledisaitbonjouraumoins,lacaisselibre-serviceneleferaitpasetnesouriraitsûrementpas.Elleselevaavecdifficulté,commesilemondes’étaitécrasésurelle.Sans
saluerlegérant,ellerécupérasesaffairesetsedirigeaverslasortie.—Hé,Anaëlle!ElleadressaungestedelamainàCédricavantdeseretrouversurletrottoir.
Elle fit quelques pas pour s’éloigner de la supérette, enfila son anorak. Leslarmescoulaientmaintenantàgrossesgouttessursonvisageetglissaientdanssoncolroulé.Ellereniflaetsanglotadeplusbelle.Léon s’arrêta de siffloter lorsqu’il entendit quelqu’un pleurer, juste à sa
gauche.Ilserrasesdoigtsautourdesacanneetsetournaversleson.—Çava?s’inquiéta-t-il.—Parce…Parcequ’onpleure…commeça,quand…çavabien?Ilsentitlachaleurluimonterauvisage,embarrassé.—Pardon,jesuisdésolé,c’étaitidiot,s’excusa-t-il.Est-cequejepeuxvous
aider?—Non.Vouspouvezpasm’aider.Personnepeutm’aider!
Maintenantquelessanglotss’étaientespacés,Léonreconnutlavoix.—Anaëlle?Quesepasse-t-il?—Commentvoussavezquec’estmoi?s’étrangla-t-elle.Comme c’était probablement rhétorique, il ne lui expliqua pas que la
proximitéduBonMarchéyétaitpourbeaucoup.SurlaplacedelaComédie,cœurvibrantdeMontpellier,sespleursseraientpassésinaperçus.Anaëllesedéplaça,ilessayadesuivrelemouvement.— Je veux pas que vousme voyiez co…Ah, purée ! C’est pas ce que je
voulaisdire!— Je comprends ce que vous vouliez dire, ne vous inquiétez pas. Puis-je
fairequelquechosepourvous,Anaëlle?Elle renifla encore. Léon tendit la main, qui resta suspendue un moment,
puis Anaëlle la prit. Il coinça sa canne sous son aisselle et s’approcha.Lorsqu’ilfitglissersapaumelelongdesonbraspourlaposersursonépaule,elleétouffasespleurs.—Paréecommeuneastronaute,s’amusa-t-il.—Vousavezdéjàvudesastronautes?—Jereconnaisunetenued’astronautequandj’entoucheune.—Çatientchaud,bougonna-t-elle.Ilpressasonépaulepourlaréconforter.—Quesepasse-t-il?demanda-t-il,plussérieux.—J’aiperdumonboulot.—Jesuisdésolé.Elle sanglota. Malgré l’épaisseur de son manteau, il sentait ses
tremblements.—Qu’allez-vousfaire,maintenant?s’enquit-il.—Jevaisrentrer.—Oùhabitez-vous?—ÀBoutonnet.Ilgrimaça.Ilfallaitunebonnevingtainedeminutesenprenantletram.—Venezavecmoi,l’invita-t-il.J’aiencoreunmomentavantmonprochain
patient,venezboireuncaféouunthédanslasallederepos.Vousprendrezletempsdevousréchaufferetdevouséclaircirlesidées.
—C’estgentil…—Venez.Jevousguide.Ellebougea,ileutl’impressionqu’elles’essuyaitleslarmes.—Tenez-vousàmoi,proposa-t-ilenrécupérantsacanne.—Jesaisoùvoustravaillez,admit-elle.— Je tiens à vousmontrermesmanières de gentleman, et je ne veux pas
vousperdredevue.Ilyeutunbrefsilence.—Vousvousmoquezdemoi,lâcha-t-elle.Ilritettouchasonproprebras.—Tenez-vousàmoi,c’esttoutcequejevousdemande.Anaëlles’exécutaetiltapotagentimentsamain.—Vousvoyez?Cen’estpassicompliqué.Le cabinet n’était qu’à quelquesmètres et il sentit Anaëlle coordonner sa
cadence à la sienne. Les voyants avaient toujours tendance à accélérer alorsqu’il prenait son temps, plus encore parce qu’il devait s’assurer qu’il nefrappaitpersonneavec sacanneouqu’ilnemarchaitpas surdesobjetsbienidentifiés d’origine organique. Il tapa du bout de sa canne sur le sol, juste àcôtédelarampequimenaitaucabinet.—Passezdevant,dit-il.—Jevoustienslaporte.—Merci.Ilentradanslasalled’attenteetpliasacannepourlaglisserdanssapoche.—Bonjour,lança-t-il.—Bonjour,répondirentplusieurspersonnesàl’unisson.Ilavançajusqu’aucomptoird’accueil.—Bonjour,Malika.—Salut,réponditlasecrétaireavecunsouriredanslavoix.Tun’aspaseu
monmessage ?A priori, ta prochaine patiente sera à l’heure, ce qui te faitquandmêmeunebelledemi-heureàpoireauter.—Çaira,jesuisaccompagné.TuassûrementdéjàcroiséAnaëlle?—Pasquejem’ensouvienne,désolée,bredouilla-t-elle.
—AnaëlletravailleauBonMarché.—Travaillait,luisoufflacettedernière.—C’estvrai,désolé…Malika,onseradanslasallederepos.—Çamarche.Ilavançadanslecouloir,sesdoigtssurlaparoi,etquandilarrivadevantsa
porte,ilinvitaAnaëlleàentrer.—Donnez-moiuneminute,demanda-t-ilensedirigeantverslasalled’eau.—Jevaisfairel’effortderiencasser,avecmamaladresse,promit-elle.—Jedoutequ’ilyaitquelquechoseàcasser,s’amusa-t-il.—Lacolonnedesonsurlacommode?Oualorslestableaux?—Ceseraitembêtantpuisque je travailleenmusique,parcontre,pour les
tableaux, ce serait surtout dommagedepriver les patients,moi je n’yverraiquedufeu…Jereviens.Ilsedépêchadesechanger,puislaguidajusqu’àlasallederepos.Çasentait
bonlecafé.—Bonjour,saluasoudainAnaëlle.Ilyeutunbruitducôtédubuffet.—Bonjour,réponditlavoixirritéedeFleurine.—Çava?s’inquiétaLéon.—Onfaitaller.Letonsecréprimasonenvied’entamerlaconversation.IlsentitAnaëllese
rapprocher dans son dos, comme si elle voulait se cacher derrière lui. Oucomme si derrière lui, elle serait à l’abri. Il ne pouvait rien faire pour lasauver,maisqu’ellelecrutcapableluiplutdiablement.—Anaëlle,prenezplace,l’invita-t-il.Ellehésitaencore,maisfinitpartirerunechaise.— Il restede l’eaudans la bouilloire, ditFleurinequand il s’approchadu
buffet.Assezpourdeuxtasses.—Merci.LespasdeFleurines’éloignèrent.Léonouvritl’armoireetsortitdeuxmugs.—Menthe,citron,caramel,fruitsrouges…?demanda-t-il.—Caramel,s’ilvousplaît.
Léonseservitde la jointuredesondoigtpourvérifier lahauteurde l’eauchaude.Unechaiseraclalesol,ils’interrompitaussitôt.—Attendez,jepeuxfaireça!s’écriaAnaëlle.—Mefairesursauterestplusdangereux,luifit-ilremarquer.—Ah…euh,jesuisdésolée.C’estjusteque…j’aivulafuméeet…Jesuis
vraimentgourde.Ilseremitàserviretretirasondoigtlorsqu’ilsentitlachaleuraugmenter.—Vousn’êtespashabituée,nuança-t-il.Il ouvrit l’armoire, fit glisser ses doigts sur les étagères et récupéra une
boîte.Anaëlle se rapprochaen silence.Pluselle s’approchait,plus leparfumd’huiledemonoïsemblaitvivant.Celaluidonnaitl’impressiond’êtreauborddelamer,mêmeenpleinhiver.Illeval’emballagedanssadirection.—C’estbienceluiaucaramel?Elles’éloignaaussitôt.—Euh…oui…Léonsouritetretiraunsachetqu’ilglissadanslestasses.—Commentvoussaviezquej’étais là?voulut-ellesavoirenreprenantsa
place.—J’entendsvosdéplacements.Maislemonoïhorssaisonrestequandmême
unesignatureassezprécise.—Vousmefaitespenseràcehérosav…non-voyant.—«Aveugle»n’estpasuneinsulte.EtvousparlezsûrementdeDaredevil.—Oui…Oui,c’estça.Léonluitenditsatasseets’assit.—Vouspourriezmemontreroùsetrouvelesucre?demanda-t-elle.— Désolé, je n’ai pas l’habitude de sucrer, j’ai oublié de vous poser la
question.Deuxième porte, première étagère, sur la droite. Les cuillères sontdanslepremiertiroir.Ill’entenditfouillerdanslescouverts,puisserasseoir.—EtpourDaredevil, jesuisauregretdevousannoncerquejen’aiaucun
superpouvoir,reprit-il.Cequiestfort,fort,dommage.Léon but une gorgée de son thé. Il entendait Anaëlle touiller le sien, son
regardbraquésurlui.—Ai-jequelquechosesurlefront?plaisanta-t-ilalors.—Vousmefaitespeur,admit-elle.—Àcepoint?—Je…Non,c’estpasça,sedéfenditAnaëlle.Désolée,jesaispasparleraux
gens.—Jepense,aucontraire,quevousêtestrèsattentionnée,réfuta-t-il.—C’estletravailquiveutça,etlestroisquartsdesgensquimeregardent
ne se souviennent pas demoi cinqminutes après. Il suffit de voir la tête devotresecrétaire.—Voir,jenesuispassûr,maisj’aieneffetperçusonhésitation.—Bonsang,jecommetsquedesgaffes!Léonritdoucementetposalamainsurlatabledanssadirection.— Je vous taquine, Anaëlle. Vous ne pouvez pas rayer desmots de votre
vocabulaire juste parce que vous croyez qu’ils peuventme blesser.Ne voussentezpasaussicoupable.Iltâtalatableàsadroiteetsesouvintqu’iln’avaitpasprisdesbiscuits.Ilse
releva.—Est-cequevousêtestotalementaveugle?demanda-t-ellequandilrevint
aveclepremierpaquetqu’ilavaittouché.— Je perçois des ombres très peu contrastées. Je suis au regret de vous
annoncer que je vous confonds avec toute la pièce : la table, les chaises, lesarmoires…Toutestunseuletmêmeblocsansrelief.— Même les voyants me distinguent pas des rayons du Bon Marché,
marmonna-t-elle.Tantquejepasseleursachatsàlacaisse…Vous,aumoins,vousavezunebonneexcuse.Léon l’entendit siroter son thé. Il ne se souvenait pas d’avoir croisé
quelqu’und’aussidésabusé.—Ce n’est peut-être pas le travail dont vous rêviez enfant,mais c’est un
travailhonnête,dit-ildoucement.—Mamèrevoulaitpasquejedeviennecaissière.Enplus,c’estpascaissière
qu’onditmaintenant,c’esthôtessedecaisse.—Aveugle,non-voyant,ironisaLéon.Malikal’appela,ilsetournaverslaporte.
—MmeAmielestarrivée.—Déjà?s’étonna-t-il.J’arrive.Ilécartasachaise.—Jereviendrai,promit-ilàAnaëlle.Malika?Nelalaissepaspartir.—C’estunordre?s’amusalasecrétaire.—Jenesuispasdugenreàdonnerdesordres,maisj’aimeraisvraimentque
tut’assuresqu’ellenes’éloignepastrop,répondit-ilavecinnocence.Malikapouffa.Ilrécupérasatasseetserenditdanssasalle.Unbébétoussait.—J’aientenduLise,dit-ilenfaisantréférenceàl’enfant.Bonjour,madame
Amiel.Çanevapasmieux,ondirait.—Jepensaisquec’étaitpassé,maisnon,réponditlamère.J’ail’impression
quel’hivernefinirajamais.Léon tendit lesbraset reçut lebébé. Il suivit la lignedu frontduboutdes
doigts,contournalespommetteset,enfin, lementon.Liseavait larespirationsaccadée,etlafaçondontsatêtetombaitcontresontorsemontraitàquelpointlapetiteétaitfatiguée.—On va s’occuper de toi, ma chérie…Maman va te déshabiller, je vais
mettretachansonpréféréeetjevaistedésencombrer.D’accord?
5.
AnaëlleavaitregardéLéonpartir,suivideMalika,puisavaitjetéunregardcirculaire à la pièce en cherchant son sac et sonmanteau.Qui étaient restésdans la salle de Léon. Pour patienter, elle prit le paquet de biscuits avant des’installer sur le canapé. Elle ramassa un magazine féminin qui devait bienavoir son âge et tomba pile sur le dossier prônant la diète liquide. Soupes,smoothiesettisanesàlongueurdejournée?Elleenfrissonnadedégoût.Unbruit de pas lui fit relever la tête. Fleurine la toisa en faisant lamoue,
puissedirigeavers lecoincuisineavantderepartir, toujourscontrariée.Pastrèsàl’aise,Anaëlleseremitàlire,ouàfairesemblant.Ellepensaitavoirétévaccinéecontrelamauvaisehumeurdesgensquilacroisaient.Àlasupérette,elle ou n’importe qui d’autre recevait indifféremment les mêmescommentairesdésagréables,lesmêmesregardsnoirs.Là,c’étaitelle,etpassescollègues,quiétaitregardéeaveccondescendance.Elleinspiraprofondément,reprit lemagazine, le reposa, en feuilleta un autre, puis un autre. Il semblaitqu’uneéternités’étaitpasséelorsqueLéonrevintdanslasalle.Elleensoupiradesoulagement.Ellen’avaitpasgrand-choseàfairechezelleàpartunbrindeménageetdescendreà la laverieautomatique,maisc’était toujoursmieuxdes’ennuyerchezsoi.—Enfin!—Vousai-jemanqué?minauda-t-il.Ellesentitlesangluimonterauvisage.—C’estque…mesaffairessontdansvotresalleetque…— Je plaisante, la rassura-t-il en posant sa tasse dans l’évier. J’ai encore
quelquesminutesavantmonprochainpatient.—Oh,vousavezaussidespatientshommes!Ilfronçalessourcils,surpris.—Biensûr!Pourquoin’enaurais-jepas?—J’aientenduparlerdevospatientesdeuxoutroisfoisdanslecouloir.—Mescollèguesaimentmetaquineràcesujet,maisj’enaiautantqu’eux.Elleentradanslasalleauxmursmarron,sedemandaànouveaupourquoiil
yavaitdestableauxs’ilnepouvaitpasenprofiter.Dessculpturesencore,elleauraitcompris…—Malikaamisvosaffairesdanslasalled’eau,informa-t-ilsoudain.Elle sursauta. Soit Léon se déplaçait en silence, soit elle ne prêtait pas
attention à son environnement. La seconde option était très probable et lapremière,toutàfaitpossible.—Ellelesarangésavantdefaireentrermapatiente.Anaëllepassadanslapièceattenante,enfilasonanoraketcroisasonreflet
danslaglace.Ohjoie!Elleselimitaitaumascaraetserendittoutjustecomptequecen’étaitpasàl’épreuvedeslarmes.Ellefouilladanssonsacàmainpourensortirunelingette,pasdémaquillanteévidemment,etessayaderéparerlesdégâts.Àprésent,elleavaitl’aird’unpanda.Génial.—Avez-voustoutrécupéré?demandaLéonquandelleressortit.—Oui,merci…Ellelevalesyeuxets’arrêtasurundestableaux,unetulipeàl’aquarelle.—Pourquoivousavezdestableauxalorsquevouspouvezpaslesvoir?—Lesgenssesententmieuxdansunepiècequiaétépenséepourleurbien-
être.—Ilfaudraitquejem’ymette,alors.Lesmursdechezmoisontdéprimants.—Vousmedirezsicelafaitunedifférencesurvous.—Undestableauxestabîmé,remarqua-t-elle.Ilaétérayéavecuncutterou
quelquechosedugenre.—Donnez-moivotremain.Elleobéit,nonsansappréhension.Desamainlibre,Léontâtalemurjusqu’à
toucherlecadre.—Caressez-le,luisouffla-t-il.Anaëlle en eut la chair de poule. Il guida ses doigts sur la toile d’une
pression ferme et douce à la fois. Pendant unmoment, l’attention d’Anaëllen’étaitplusdutoutsurletableau,maissurlui.Ellenelequittaitpasdesyeux,affreusementconscientedelachaleurquil’envahissaittouteentière.—Lesentez-vous?interrogea-t-il.Elleeutbesoindeseconcentrersurlecheminquefaisaientleursdoigtspour
enfinsentirlerelief.—C’estmafaçond’apprécier l’art,expliquaLéon.Vousvoyezune tulipe,
moijelasens.Il la guida encore, sans s’apercevoir à quel point il la perturbait ; elle en
avait la bouche sèche. Il la lâcha doucement et quand le contact se rompit,Anaëlle éprouva une sensation de froid. Elle avait envie qu’il reprenne samain,qu’illatouche,toutsimplement.—Léon,M.Singhestarrivé,annonçaMalika.—D’accord,j’arrivedansuninstant.—Alors,vousavezvraimentdespatientshommes,letaquinaAnaëlledans
l’espoirdedissiperlatensionquil’habitait.—Jevousl’aidit!—Ilfautlevoirpourlecroire.Elles’empourpraaussitôt.—Enfin…vousvoyezcequejeveuxdire,sereprit-elle.—Oui,oui,jevois.Ellesecachalevisagedanssesmains.—Saleté…,siffla-t-elle.LeriredeLéonétaitjoyeux,maisAnaëllenesesentaitpasplusàl’aisepour
autant.—JenevaisplusvouscroiserauBonMarché,maisj’aimeraisavoirdevos
nouvelles,dit-il.—Pourquoi?s’étonna-t-elle.—Parcequejevousaimebien.La réponse, pourtant si simple, la déconcerta. Ils n’avaient jamais eu une
vraieconversation,etcesderniersinstantspassésàsescôtésluiavaientsurtoutprouvéàquelpointelleétaitgaffeuse.— Puis-je avoir votre numéro de téléphone ? poursuivit Léon. Ou votre
adressee-mail?—Vous…?Non,laisseztomber.—Faitesunappelmanqué,ceserapluspratiquepourmoi,s’ilvousplaît.Anaëlle sortit son téléphone. Avait-elle seulement du crédit ? Elle s’en
servait surtout de montre. Les seuls appels qu’elle recevait étaient du BonMarchéquand il fallait remplacerquelqu’un.Auchômagemaintenantet sansviesociale,ellen’enauraitmêmeplusbesoin.
—Etc’estquoi,votrenuméro?Illeluidictaetellesepressadelecomposer.Unesonnerieretentitdansla
salled’eau.—Parfait,dit-il.Merci.—Mercipourl’oreilleattentive.—J’aidetrèsbonnesoreilles,àdéfautd’avoirdebonsyeux.Elle passa à côté de lui, le frôla, Léon lui saisit le coude. Tous les sens
d’Anaëlleseconcentrèrentsurcecontactinfime.Ildescenditlamainlelongdesonbras,glissasapaumechaudedanslasienneenfrôlantsonpoignet.Anaëlleretintsarespiration,perturbée.Quandil larelâcha,elleeutunenouvellefoisl’impressionquequelquechosemanquaitenelle,sonsoufflesurtout.—Ne vous perdez pas en chemin, recommanda-t-il en s’écartant pour la
laisserpasser.—Jepourraismedébrouillerlesyeuxfermés.Léonneréponditpas.—Etmerde.
Finalement,Anaëlle n’avait ni fait leménage ni lavé son linge. Elle avait
enfilé son pyjama et s’était glissée sous ses couvertures. Assise contre lesoreillers, elle se brossait distraitement les cheveux devant la télé. Elle avaitquittéleBonMarchébouleversée,maisdepuisqueLéonavaittouchésamainau cabinet, elle avait l’impression que tout avait disparu de son esprit.Deuxheuresaprèsavoirétélicenciée,elleavaitprisletramwaydansunétatsecond,ou très proche, la paume en feu. Fallait-il qu’elle soit vraiment seule pourqu’unsimpletoucherlabouleverseautant.Quandelleterminadetressersescheveux,ellerécupérasonordinateurpour
chercherdu travail,maisellenesavaitpasparoùcommencer.Mettreà joursonCVdéjà?Iln’yavaitqu’uneligneàajouterau-dessusdesonbacproetdeson DUT avorté : caissière. Ce n’était pas compliqué, mais elle avaitl’impressionquec’étaitunemontagneàfranchir.Ellelaissasatêtetomberenarrière et observa son plafond, se souvint des murs marron de Léon. Sonstudio était triste, sans vie. Si elle y mettait de la couleur, elle serait moinsdépriméeetelletrouveraitdutravailplusfacilement.Non?Labonneblague.—Veux-tu que je te fasse la lecture avant de partir ? demanda Sylvie en
revenantdelacuisine.Léonsursautaetfaillitlâchersontéléphone.—Maman!—Désolée,jenevoulaispast’effrayer.Tum’aspourtantentenduearriver.— J’étais distrait, grommela-t-il.Et non,merci, tu n’as pas besoin de lire
pourmoi.Avec samère dans les parages, il utilisait une oreillette pour écouter son
téléphone.Ladernièrechosedontilavaitbesoin,c’étaitquesamèrecontrôlesesappelset sesmessagesenplusde son réfrigérateur.Maiscette ruseavaitdeslimites:pourenregistrerlenumérod’Anaëlle,illuifallaittoutdemêmeprononcer son prénom. Il n’avait ni le besoin ni lesmoyens de s’offrir uneplage braille, son imprimante lui avait déjà coûté une petite fortune. Maislorsqu’il n’était pas seul, ce n’était pas discret de dicter commandes etmessages.UNAPPELENABSENCE.NUMÉROINCONNU.ENREGISTRERLENUMÉRO.NOM.—Anaëlle,dicta-t-il.ANAËLLE.NUMÉROENREGISTRÉ.—CommentvaOcéane?demandasoudainSylvie.Évidemment.—Bien,auxdernièresnouvelles,réponditLéon.— Je ne sais pas pourquoi vous vous êtes séparés. Vous êtes parfaits,
ensemble.—C’estquetunetienspasàmasantémentale.—Pourtant,ceweek-end…—Maman!Lorsqu’il rentrait du travail, Léon aimait prendre son temps, que ce soit
pour se doucher et s’installer sur le canapé avecunplateau télé, ou faire untourdans lequartier,guidé justeparsespas.QuandSylvies’imposait, iln’yavaitriendetoutcelaetilallaittoujourssecoucherstressé.—Alors?insistaSylvie.
Perdudanssespensées,Léonavaitperdulefildelaconversation.—Alorsquoi?s’impatienta-t-il.Ilregrettaaussitôtlasécheressedesavoix.—Veux-tuquejetefasselalecture?répétasamère.Elleparlaitavecpatiencecommesiellefaisaitfaceaucapriced’ungamin.
Etc’étaitbienlà,leproblème:iln’avaitpluscinqans.—Jepeuxliretoutseul.Oumefairelire.—Unevoixmétalliqueneremplacerajamaisunevoixhumaine.Léonse frotta levisageàboutdenerfs, ilneparvenaitmêmeplusà faire
semblant.Ilaimaitqu’onluifasselalecture,maisilpréféraitquandcen’étaitpassamère.—D’accord,maman,accepta-t-il,faible.Unchapitreetturentrescheztoi.Unjour,illuidiraitcequ’ilressentaitvraiment.Maispasmaintenant,ilétait
vraiment fatigué. Quand elle rentrerait, Léon appellerait son beau-père, luiexpliquerait que samère devait quitterMontpellier et prendre des vacances.Francispourrait l’emmenerenMongolie,ouenpleineAmazonie,ouencoredans le désert du Sahara. Quelque part où elle serait séparée de toutetélécommunicationpardesjoursderoute.Ilnesavaitplusquoifaireoudirepour que sa mère cesse de se prendre pour sa béquille sans qu’il ne soitterriblementirrespectueux…«J’espèrequeçavamieuxquecematin.Bonnenuit.Léon.»Anaëlleoubliaunenouvellefoistoutcequiavaitplombésajournée.Aznar.
Lechômage.SonCV.Sesmurs.Çafaisaitlongtempsquequelqu’unnes’étaitpasinquiétépourelle,etenplus,cen’étaitpasn’importequi,c’étaitM.Joyeux.Elle relut lemessage une dizaine de fois avant de reposer le téléphone.Ellen’allaitpasrépondretoutdesuite,ilfallaitfairelanguirleshommes.Elleavaitvuçadanslesfilms.