Correspondencia Kojeve- Trunc Dac Thao

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    Gwendoline JarczykPierre-Jean Labarrire

    Alexandre Kojve et Tran-Duc-Thao. Correspondance inditeIn: Genses, 2, 1990. A la dcouverte du fait social. pp. 131-137.

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    Jarczyk Gwendoline, Labarrire Pierre-Jean. Alexandre Kojve et Tran-Duc-Thao. Correspondance indite. In: Genses, 2,

    1990. A la dcouverte du fait social. pp. 131-137.

    doi : 10.3406/genes.1990.1033

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/genes_1155-3219_1990_num_2_1_1033

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_genes_37http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_genes_38http://dx.doi.org/10.3406/genes.1990.1033http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/genes_1155-3219_1990_num_2_1_1033http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/genes_1155-3219_1990_num_2_1_1033http://dx.doi.org/10.3406/genes.1990.1033http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_genes_38http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_genes_37
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    Genses 2, dec. 1990, p. 131-137

    C est en 1947 que fut publi, chez Gallimard, l ouvrage d'Alexandre Kojve qui devait marquer sidurablement le cours des tudes hgliennes enFrance. Son titre exact : Introduction la lecture de Hegel. Leons sur la Phnomnologie de esprit, professese 1933 1939 l'cole des Hautes-tudes, runies et publies par Raymond Queneau.

    L'anne suivante, parut ce propos, dans les Tempsmodernes, un article de Tran-Duc-Thao intitul Laphnomnologie de l'esprit et son contenu rel1 .Peut-tre la direction de la revue entendait-elle prendrequelque distance vis--vis de la teneur de ce texte, puis

    qu elle le produisit sous la rubrique Opinions , et luiadjoignit une note prliminaire qui exprimait une clairerticence. Voici cette note : L'tude qu'on va lire restitue avec une rigueur scientifique lapense de Hegel sur les rapports de la matire et de l'espritcomme identit de l'identit et de la non-identit . Le mot de matrialisme , l'ide d'une dialectique propre la naturesont-ils, dans ces conditions, les plus convenables pour exprimercette pense, voil ce que nous nous demanderions, - si nous nedevions attendre, pour le faire, la thorie de la nature dont l auteur ne donne ici qu'un aperu. Mais, mme si nous formulonsautrement que lui les conclusions, et parlons d'ambigut, quandil parle d'objectivit ou de nature, son exgse a pour nous la valeurd'un rappel l'ordre : il ne faut pas affadir la pense de Hegel,il faut en regarder en face l'nigme centrale, cette dhiscencequi ouvre la nature l'histoire, mais qui a dj son analogue l'intrieur de la nature, et ne s'explique donc pas par en bas ,mais pas davantage par en haut. D'emble, Tran-Duc-Thao laissait entendre, de fait,qu'il aborderait la prsentation de l'ouvrage de Kojvesous la raison, ses yeux positive et capitale, qu'il offreune confirmation de la lecture des dialectiques de auto

    conscience esquisse par Marx. Pour la premire fois,crivait-il, l'on se trouve devant une explication effective, qui donne au texte un sens concret en le rapportant des faits rels. Sous le devenir de la conscience desoi, Marx avait reconnu le mouvement de l'histoire humaine ; il restait le montrer dans le dtail du contenu.Le commentaire de Kojve nous en offre un essai, d'unrare brillant et d'une profonde originalit.

    ALEXANDRE KOJEVEET

    TRAN-DUC-THAO

    CORRESPONDANCEINDITE

    Prsentation deGwendoline Jarczyket Pierre-Jean Labarrire

    1 3e anne, n 36, septembre19480, P- 492-519.131

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    Kojvet Tran-Duc-Thao

    2. La lettre de Kojve a trcemment analyse et cite enpartie par Dominique Auffret dansson ouvrage intitul AlexandreKojve. La Philosophie, l'tat, Lafin de l'Histoire, Paris, Grasset,1990, p. 249.3. Un mot bien tonnant pour quiconnat la haute probit scientifiquede Kojve. On peut penser pourtantque l'inflchissement ici avoucommence avec la dcision de sensqui consiste rendre par le terme esclave le mot allemand Knecht,dont on sait qu'il a une significationplus familire, moins dramatique.Sur ce point, cf. G. Jarczyk,P.-J. Labarrire, les PremiersCombats de la reconnaissance.Matrise et Servitude dans laPhnomnologie de l'Esprit deHegel, Paris, Aubier-Montaigne,1987.4. Cf. la juste dnonciation de cespratiques pdagogiques par FranoisChtelet dans son pamphlet intitulla Philosophie des professeurs,Paris, Grasset, 1970, p. 114-116.

    Or donc, c'est partir de Marx que Tran-Duc-Thaojuge l'interprtation kojvienne ; il lui fait gloire d'avoiranticip le jugement que l'on rencontre l, tout en luifaisant reproche de n'tre pas all jusqu'au bout de cette logique , ce qui aurait d le conduire dresser l image'un Hegel rsolument matrialiste . La thse deTran-Duc-Thao ainsi dgage, il ne parat pas ncessaired'entrer dans le dtail de son argumentation ; aussi bien,l'change de lettres dont cet article fut l'occasiondonne-t-il de faon suffisamment claire l'essentiel de cequi l se trouve en jeu.

    Les deux textes qui suivent - lettre de Kojve tape la machine, date du 7 octobre 1948, et rponse manuscrite e Tran-Duc-Thao du 30 octobre 1948 - sont laproprit de Mlle Nina Ivanoff, lgataire d'AlexandreKojve. Elle a bien voulu accder la demande qui luifut faite, et permettre la publication, pour la premirefois, de cette correspondance2. Nous lui en exprimonsnotre sincre reconnaissance.

    On peut imaginer que Kojve, ayant se dfendre contre une amicale contestation lui faisant reproche den'tre pas all au bout d'une lecture matrialiste deHegel, aura tendance faire quelque concession en cesens ; c'est pourquoi il faut sans doute temprer l'aveuqu'il fait d'avoir consciemment renforc le rle de ladialectique du Matre et de l'Esclave pour des raisonsde propagande3 et pour frapper les esprits . Il estnanmoins prcieux de prendre acte de ce fait : Kojveavait conscience d'avoir inflchi la porte et le sensmme de cette dialectique laquelle son expos allaitconfrer une influence durable et nettement oriente. Cefaisant, il ne se conduisait certes pas en banal propagandiste d'une lecture historic s ante et immdiatement rvolutionnaire , - comme le firent dommageable-ment nombre de ses lecteurs-utilisateurs4 ; mais il laissait percer sa propre conception des rapports entre na-turalit et histoire humaine. C'est pourquoi sa lectureconserve tout son intrt, mme si on ne peut y voir uneexgse objective de cette part de l'uvre de Hegel. Ensomme, Kojve, et c'est en cela qu'il est un penseuroriginal, n'entend pas faire un commentaire de la pensede Hegel, ce qui aurait relev du genre tude historique : il veut proposer un cours d'anthropologie phnomnologique ; et cela, crit-il, en me servant detextes hgliens , - ne retenant d'eux que ce qu'il

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    estime tre la vrit , laissant tomber ce qui lui semble tre une erreur .Il convient donc de prter ici attention ce qui re

    lve d'un kojvisme explicitement non hglien, -encore qu'il ait t induit et port par cette lecture deHegel. L'essentiel tient sans doute dans l'intelligencede ce que Kojve appelle un dualisme dialectique .Alors que Tran-Duc-Thao parie sur la dialecticitplicite de la nature, dont le dveloppement serait raisonde l'apparition de l'esprit, Kojve invente une tiercevoie, qui vite la fois dualisme et monisme ontologiques ; si dualisme il y a, il est temporel etnon spatial : la nature a exist avant l'homme etsans lui, mais, depuis l'homme, elle n'a sens que d'trenie pour apparatre comme esprit. Point de dualismeontologique, par consquent - et Kojve n'a aucunepeine l'accorder son interlocuteur - mais pas davantage de monisme ; car, contrairement ce quepense Tran-Duc-Thao, la transition de la nature l esprit - Kojve prfre dire : de la nature l'homme - nes'opre pas sous mode d'une dduction, c'est--dire partir d'une prsupposition de nature matrialiste ,mais procde toujours d'un acte de libert qui tientdans une assomption ngative du donn naturel. Bref,pour Kojve, le dualisme nature/esprit - dont la formehistorique est le dualisme nature/homme - est dialectique (pas seulement linaire, mais proprement r-flexif), du fait que l'esprit ou l'homme ne peuventpas tre dduits partir de la nature, la coupure tantfaite par l'acte de libert cratrice, c'est--dire ngatrice de la nature .

    C'est de la sorte que Kojve assoit un athisme sansfaille. L'homme est en effet autre que le divin paen ,lequel est identique la nature elle-mme - alorsque l'Homme n'est Homme qu'en niant cette nature ;il exclut aussi le Dieu chrtien , postul comme antrieur la nature et la crant par un acte positif de sa volont - alors que la ngation quel'homme opre de cette nature la prsuppose ncessairement ontologiquement et dialectiquement .

    [La lettre de Kojve porte descorrections ou adjonctionsmarginales de sa main : elles serontindiques en note. Quant laponctuation, elle est celle del'original. Notons enfin qu'il estparfois difficile de faire le dpartentre les ajouts de Kojve lui-mmeet nombre de graphismes marginauxou de soulignements qui sontmanifestement le fait d'un lecteurpostrieur, cochant de la sorte cequ'il pensait le plus important etvoulait lui-mme retenir. Ne serontici repris que les soulignementspratiqus la machine crire, etqui donc remontent ncessairement la premire frappe]

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    [Lettre de Kojve Tran-Duc-Thao]Paris, le 7 octobre 1948

    Cher Monsieur,Je viens de lire dans les Temps Modernes votre article sur la Phnomnologie de l'Esprit qui m'a beaucoup intress. Je voudrais d'abord vous remercier des paroles plus qu'aimables quevous avez cru devoir crire mon sujet. J'y suis d'autant plus sensible que le fait d'avoir fait publiermon livre dans l'tat chaotique que vous connaissez continue me donner des remords.Quant au fond mme de la question, je suis, dans l'ensemble, d'accord avec l'interprtation de laphnomnologie que vous donnez. Je voudrais signaler, toutefois, que mon uvre n'avait pas le car ctre d'une tude historique ; il m'importait relativement peu de savoir ce que Hegel lui-mme avoulu dire dans son livre ; j'ai fait un cours d'anthropologie phnomnologique en me servant detextes hgliens, mais en ne disant que ce que je considrais tre la vrit, et en laissant tomber cequi me semblait tre, chez Hegel, une erreur. Ainsi1, en renonant au monisme hglien, je me suisconsciemment cart de ce grand philosophe. D'autre part, mon cours tait essentiellement une uvrede propagande destine frapper les esprits. C'est pourquoi j'ai consciemment renforc le rle de ladialectique du Matre et de l Esclave et, d'une manire gnrale, schmatis le contenu de la phnomnologie.C'est pourquoi je crois personnellement qu'il serait au plus haut point souhaitable que vous dveloppiez, sous forme d'un commentaire complet les grandes lignes d'interprtation2 que vous avezesquisses dans l'article auquel je me rfre.Une petite remarque seulement. Les termes sentiment de soi et conscience de soi sont deHegel lui-mme qui dit expressment qu' la diffrence de l'homme, l'animal ne dpasse jamais lestade du sentiment de soi . Le terme lutte de pur prestige ne se trouve effectivement pas chezHegel, mais je crois qu'il s'agit l uniquement d'une diffrence de terminologie, car tout ce que jedis au sujet de cette lutte s'applique parfaitement ce que Hegel appelle la lutte pour la reconnaissance. Enfin, en ce qui concerne ma thorie du dsir du dsir , elle n'est pas non plus chez Hegelet je ne suis pas sr qu'il ait bien vu la chose. J'ai introduit cette notion parce que j'avais l'intentionde faire, non pas un commentaire de la phnomnologie, mais une interprtation ; autrement dit, j'aiessay de retrouver les prmisses profondes de la doctrine hglienne et de la construire en la dduisantlogiquement de ces prmisses. Le dsir du dsir me semble tre l'une des prmisses fondamentalesen question, et si Hegel lui-mme ne l a pas clairement dgage, je considre que, en la formulantexpressment, j'ai ralis un certain progrs philosophique. C'est peut-tre le seul progrs philosophique que j'ai ralis, le reste n'tant plus ou moins que de la philologie, c'est--dire prcismentune explication de textes3.Le point le plus important est la question du dualisme et de l'athisme que vous voquez dans ladernire section de votre article (pages 517 519). Je dois dire que je ne suis pas d'accord avec ceque vous y dites, mais je crois que la divergence ne repose que sur un malentendu.Votre raisonnement serait certainement exact s'il se rapportait un dualisme proprement dit, c'est--dire abstrait et non dialectique. Je dirais comme vous que tout dualisme est ncessairement diste,puisque, s'il y a deux types d'tre (Nature et homme), il y a ncessairement l'unit des deux qui leurest, d'une faon quelconque, suprieure , et cette unit ne peut tre conue autrement que commeune entit divine. Mais le dualisme que j'ai en vue est dialectique. En effet, je me suis servi de l'imaged'un anneau en or, mais il n'existerait pas non plus en tant qu'anneau s'il n'y avait pas de trou. Onne peut pas dire, toutefois, que le trou existe au mme titre que l'or et qu'il y a l deux modes d'tre,dont l'anneau est l'unit. Dans notre cas, l'or est la Nature, le trou est l'Homme et l'anneau - l'Esprit4.Ceci veut dire que si la Nature peut exister sans l'Homme, et a, dans le pass, exist sans l'Homme,l'Homme n'a jamais exist et ne peut pas exister sans la Nature et en dehors d'elle. De mme quel'or peut exister sans le trou, tandis que le trou n'existe simplement pas s'il n'y a pas de mtal quil'entoure. Etant donn que l'Homme ne s'est cr que dans et par, ou plus exactement encore, en tantque ngation de la Nature, il s'ensuit qu'il prsuppose la Nature. Ceci le distingue essentiellement de

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    tout ce qui est divin. Etant donn qu'il est la ngation de la nature, il est autre chose que le divinpaen qui est la Nature elle-mme ; et tant donn qu'il est la ngation de la Nature, qui, comme toutengation, prsuppose ce qui est ni, il est5 diffrend6 du Dieu chrtien qui, lui, est au contraire antrieur la Nature et la cre par un acte positif de sa volont.Je ne dis donc pas qu'il y a simultanment deux modes d'tre : Nature et Homme. Je dis quejusqu' l'apparition du premier Homme (qui s'est cr dans une lutte de prestige), l'tre tout entiern'tait que Nature. A partir du moment o l'Homme existe, l'tre tout entier est Esprit, puisque l'Espritn'est autre chose que la7 Nature qui implique8 l'Homme, et du moment o le monde rel implique,en fait, l'Homme, la Nature au sens troit du mot10 n'est plus qu'une abstraction. Donc, jusqu' uncertain moment du temps, il n'y avait que Nature et partir d'un certain moment, il n'y a plus qu'Esprit. r, puisque ce qui est vraiment rel dans l'Esprit (l'or de l'anneau), c'est la Nature11, on peutdire, comme vous le faites, que l'Esprit est le rsultat de l'volution de la Nature elle-mme12. Toutefois, je n'aime pas cette faon de parler, parce qu'elle peut faire croire que l'apparition de l'Hommepeut tre dduite a priori, comme n'importe quel autre vnement naturel. Or, je crois que ce n'estpas le cas et que si l'ensemble de l'volution naturelle peut, en principe, tre dduite a priori, l apparition de l'Homme et de son histoire ne peuvent tre dduites qu'a posteriori, c'est--dire, prcisment,non pas dduites ou prvues, mais seulement comprises. Ceci est une faon de dire que l'actede l'auto-cration de l'Homme reste un acte de libert et que toute la srie des actes humains quiconstituent l'histoire est, elle aussi, une srie d'actes libres. C'est pourquoi je prfre parler de dualisme entre la Nature et l'Homme, mais il serait plus correct de parler d'un dualisme entre la Natureet l'Esprit, l'Esprit tant cette mme Nature qui implique l'Homme. Donc, mon dualisme est non pas spatial , mais temporel : Nature d'abord, Esprit ou Homme ensuite. Il y a dualisme parce quel'Esprit ou l'Homme ne peuvent pas tre dduits partir de la Nature, la coupure tant faite par l'actede libert cratrice, c'est--dire ngatrice de la Nature.Je vous serais trs reconnaissant, Cher Monsieur, si vous pouviez me dire en quelques mots dansquelle mesure les explications, d'ailleurs trs insuffisantes que je vous donne dans cette lettre sontsusceptibles de lever les objections que vous m'avez faites.Croyez, je vous prie, Cher Monsieur, toute ma sympathie.

    A.Kojve

    1. En marge : par exemple .2. En marge : les grandes lignes de l interprtation .3. En marge : ou un commentaire mon attaque du monisme n'tait pas plus qu'un programme) .4. Kojve avait d'abord crit : et l'unit l'Esprit . Il a corrig en marge, pour crire : etl'anneau - l'Esprit .5. Ce est est barr, et remplac en marge par le texte suivant : prsuppose (ontologiquement etdialectiquement) cette Nature et est donc .6. Sic - il faut videmment lire : diffrent .7. La est barr, et remplac en marge par cette mme .8. Adjonction en marge : dsormais .9. Kojve avait d'abord crit : du moment o la Nature ; il a corrig en marge : du moment o lemonde rel .10 . Un astrisque simple renvoie cette adjonction en bas de page : cd le monde rel moinsl'Homme .11. Un astrisque double renvoie cette adjonction en bas de page : l'Homme n'tant que la ngation(relle, cd active) de la Nature .12 . Un astrisque triple renvoie cette adjonction en bas de page : Ceci d'autant plus qu'avantl'apparition de l'Homme la Nature tait seule exister rellement .

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    [Rponse de Tran-Duc-Thao Kojve]Paris, 30 X 48

    Cher MonsieurJe viens de recevoir votre lettre et vous remercie beaucoup des claircissements que vous m'ydonnez. Ils rejoignent du reste ce que je pense moi-mme, car, comme vous avez pu le remarquer,j'ai lu votre livre avec la plus grande sympathie. Je crois simplement que vous n'allez pas assez loinet qu'en refusant de tirer les consquences matrialistes de l'humanisme athe, vous laissez place,sans vous en apercevoir, un retour de l'humanisme religieux. Si l'espace ne m'avait pas t mesur,et si je n'avais pas eu d'abord m'attacher au fond de la question, j'aurais insist encore davantagesur le progrs considrable que vous avez fait sur les interprtations ordinaires de Hegel. Mais puisquevous pensez que le domaine de l'esprit est d'essence historique, vous ne sauriez vous tonner quevotre doctrine qui pouvait sembler rvolutionnaire il y a une dizaine d'annes, ne le soit plus aprsles vnements qui, depuis, ont boulevers le cours du monde et lui ont donn une figure toute nouvelle.Naturellement, il ne s'agit pas ici de quelque mdiocre problme d'rudition et l'on ne sauraitcritiquer un travail comme le vtre sur les quelques divergences qui peuvent se prsenter avec le textede Hegel. Aussi bien ne les ai-je signales que pour mmoire et en passant. Il fallait d'ailleurs marquervotre originalit, que le lecteur ordinaire risquait de mconnatre.Je dois pourtant rappeler ce propos que je n'ai jamais ni l'existence chez Hegel de la distinctionde la conscience de soi et du sentiment de soi , et je vous demanderais de croire que je n'ignoraispas les textes qui s'y rapportent. J'ai simplement remarqu, si vous voulez bien me lire avec attention,qu'elle ne se trouvait pas dans le passage en question (chap. IV), o elle ne pouvait manifestementjouer aucun rle, puisqu'il s'agissait, cet endroit, de supprimer les oppositions abstraites et d engendrer l'humain partir de l'animal.Quant la lutte de pur prestige , elle se prsente, dans la dfinition que vous en donnez, commeune ngation immdiate et inconditionne de l'existence naturelle. Or un concept de ce genre ne peuttrouver aucune place chez Hegel o la ngation est toujours mdiatise. Pour le cas qui nous occupe,elle ne peut surgir que comme le rsultat de ce dont elle est ngation, savoir la nature qui se nieen s'affirmant. La lutte des consciences de soi commence sur le plan animal et s'achve, par la logiqueinterne de son mouvement, sur le plan humain.A ce sujet, il me serait bien difficile d'accepter la conciliation que vous proposez, o, reprenantla distinction de Kant entre folgen et erfolgen. vous consentez dire que l'esprit est le rsultat dudevenir de la nature, en spcifiant qu'il s'agit d'un vnement absolument contingent et non d'uneconsquence ncessaire. Or, vous savez trs bien que chez Hegel le rsultat drive de son principedans un mouvement dont la ncessit est identique la libert. Bien entendu il s'agit d'un mouvement

    dialectique, qui exclut toute dduction a priori. Il ne peut tre que compris historiquement ou posdans une praxis. Mais comprhension et action impliquent ici une intelligibilit, qui se trouve justementnie dans votre doctrine de la libert.Je ne vous ai jamais attribu, bien videmment, un dualisme grossirement spatial . Mais je necrois justement pas possible de transformer le passage dialectique de la nature l'esprit en une puresuccession contingente, fonde sur un acte de ngation totalement arbitraire. Pour Hegel la ngationest identique l'affirmation et ne fait que la raliser dans son tre vritable. Si donc il y a dualit-cette dualit est identique l'unit. Et il ne s'agit pas du tout de jeux d'esprit : j'ai prcisment essayde montrer comment le marxisme matrialiste permettait de donner un contenu rel ces notionsdialectiques fondamentales.Je ne vous reproche donc pas d'avoir spar la nature de l'esprit, mais bien de n'avoir pas reconnu

    que cette sparation ne faisait que raliser leur identit. Car il en rsulte que la sparation ne peutplus s'expliquer que par une transcendance divine. Naturellement vous repoussez cette consquencepuisque vous dfinissez la libert par l'exclusion de toute intelligibilit, quelque genre qu'elle ap-136

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    partienne. Mais l'homme saurait renoncer comprendre la raison des choses. Et de ce que vous refusezde trouver le motif de la sparation dans l'unit elle-mme, le thologien conclura qu'elle drive d'uneincarnation.Mais peut-tre n'appartenons-nous pas la mme famille d'esprits. Car avant d'aborder la philosophie contemporaine, j'tais un spinoziste convaincu, et je sais que c'est une doctrine que vous n apprciez gure. Vous dfinissez la libert par la ngation de la ncessit. Je dfends la grande traditionrationaliste qui les a toujours identifies.Croyez, Cher Monsieur, mes meilleurs sentiments

    Thao

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