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    Benot de Cornulier, Laboratoire de Linguistique de Nantes,Institut dtudes Avances de Nantes, mars 2010

    Analyse nonciative

    dune question partielle rhtorique : Qui sait ? 1

    Acte de parole 1 (direct).

    En demandantA. Qui sait sil ne pleuvra pas ?

    on peut suggrer qu il pleuvra peut-tre . Comment peut-on passer du sens littral de la question cette signification indirecte ?

    Lnonc littral est manifestement celui dune question partielle (Qp), dont on peut considrer que lecontenu (objet de question) est lespce de groupe nominal qui sait sil ne pleuvra pas , dans lequel lesujet de sait est ce quil y a de pronominal dans le pronom indfini qui sans antcdent,employ questionnellement2(voir ci-dessous lAnnexe sur les Qp).

    Linterprtation littralement questionnelle (valeur comme acte de parole direct) est favorise parlemploi de qui sans antcdent, et le fait que le groupe qui sait sil ne pleuvra pas est en emploiindpendant (et non intgr dans une phrase plus vaste).

    Implication totaledes questions partielles.

    La question Qui connat Max ? admet des rponses trs directes telles que : Untel , Tout lemonde , Personne . Ce sont aussi des rponses la Qt (Q totale) Est-ce que quelquun connatMax ? ( Oui, Untel / Tout le monde , Non, personne ( Personne ne connat est une ngative

    possible de Quelquun connat ). En cherchant savoir qui est venu, on peut donc notammentchercher savoir si quelquun est venu. Et ainsi une Qp implique potentiellement une Qt).

    Par ce principe dimplication totale des questions partielles, la Qp Qui sait sil ne pleuvra pas ? implique potentiellement la Qt Est-ce que quelquun sait sil ne pleuvra pas ? .

    Potentiel critique des questions totales.En prsentant questionnellement une proposition, on la met littralement en question , et

    souvent cette mise en questionapparat comme une mise en doute, qui peut aller jusqu suggrer unerponse contraire la proposition mise en question . Ainsi une Qt de contenu propositionnel P peutavoir une vise ngative de type plutt ou quasi dclaratif de valeur Contradictoire de P. Exemple : La Qt Ne tai-je pas dit cent fois quil faut mettre a l ? , peut suggrer que Je tai dit cent fois quil fautmettre a l (et ainsi rappeler qu il faut mettre a l ) ; do la variante Il faut mettre a l, ne telai-je pas dit cent fois ! . Tel est le principe de beaucoup de questions dites rhtoriques .

    Autre exemple : Cest ce mme principe qui explique la possibilit dadjoindre une ngation voil qui nen admet normalement pas, dans Ne voil-t-il pas que P ? . En effet, du fait du potentielcritique (voire ngatif) des Qt, demander Ne voil-t-il pas que P revient en fait affirmer (acte de

    parole indirect) Voil que P , emploi positif de voil lgitimant la ngation dans lacte littral qui linduit3.

    Autre tmoignage : Need I ? (o labsence de do montre un emploi auxiliaire de need ) estcorrect, alors que need auxiliaire prfre souvent des contextes ngatifs ; mais cette question nest pasneutre, cest une demande de dispense, oriente vers une rponse valent No, you neednt (= Pas la

    peine ).Ou encore : Soit ce dialogue (observ) : On peut vous inviter ? Oh ben oui au contraire ! .

    Souvent, en rponse une question si P, Au contraire , mme tout seul, veut dire Oui , pluttrenforc. Ce contraire exprim, nest bien sr PAS, comme on pourrait sy attendre, le contraire de la

    proposition mise en question, mais le contraire de sa ngative (le contraire de lide quon ne peut pas

    1Note issue dun document de cours de pragmatique (U de Nantes, mai 2009) revue pour mise en ligne en mars2010, avec mise au point dans lAnnexe en septembre 2013.2 La notion de question est un peu plus gnrale que celle d interrogation, qui implique une relation dialogale.Pourtant elle est encore trop prcise par rapport lensemble des mal-nommes interrogatives (il est abusif de

    former la notion de question dans Savoir qui est l , plus encore dans a dpend de sil pleut .3 Et finalement affirmer, directement ou non, que voil que P revient affirmer indirectement que P. VoirCornulier (2010).

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    nous inviter), donc finalement une rponse positive (par ngation de la ngative). Ellipse bizarre (cest untour familier du reste), symptme peut-tre (sajoutant dautres) quune question si P peut, plus

    particulirement, mettre en doute P, et ainsi mettre sur la table lventualit Non-P.La motivation du potentiel critique des Qt est plausiblement parfois le fait quen demandant si P, on

    peut montrer quon ne sait pas si P, or (peut-on parfois penser) si ctait le cas que P, on aurait deschances de le savoir ; alors, si on a pas connaissance que P, cest peut-tre bien parce que ce nest pas le

    cas que P4

    .

    Acte de parole 2 (indirect).

    Or, par le principe dimplication totale des Qp, la Qp Qui sait sil ne pleuvra pas? peut impliquerla Qt Est-ce que quun sait sil ne pleuvra pas ? , laquelle son tour, par le potentiel critique desquestions totales, peut suggrer : Personne ne sait sil ne pleuvra pas .

    On peut donc envisager pour lnonciation de B un acte de parole indirect de modalit pluttdclarative, de contenu propositionnel Personne ne sait sil ne pleuvra pas .

    De lincertain au possible. Acte indirect 3 de dclaration admissive.

    Si Personne ne sait si P , peut-tre bien est-ce parce que non-P ; la motivation (formule ci-dessus)du potentiel critique des Qt pousse souvent souponner une telle cause.

    Ainsi, si personne ne sait sil ne pleuvra pas , cest peut-tre bien quil pleuvra ! Personne ne sait

    sil ne pleuvra pas peut tendre surtout faire considrer comme douteux quil ne pleuvra pas, et ainsifavorise ce quon peut appeler lnonciation dclarative admissiveque il pleuvra peut-tre 5de contenupropositionnel = (que) il pleuvra .

    Retour au dbut

    On comprend ainsi, finalement, quen demandant Qui sait sil ne pleuvra pas ? , on peut suggrerqu il pleuvra peut-tre .

    Cette valeur indirecte de la Qp en Qui sait si explique pourquoi on peut greffer la questionincidente qui sait ? la fin dune dclaration admissive, comme dans lexemple A ci-dessus, Il

    pleuvra peut-tre, qui sait ? ; cest--dire, si on dlaie en paraphrase tenant compte des effets de sens : Il pleuvra peut-tre, personne ne peut tre sr du contraire .

    _______________________________________

    AnnexeSur les Questions partielles comme GN didentit

    Au fait que, dans Je sais qui tu as rencontr (prtendue question partielle) comme dans Parle qui tu veux parler, le relatif qui na pas dantcdent, est li le fait que la dsinence i indique unerfrence humaine (une personne) et non la fonction sujet comme dans ce qui me gne (vs * la

    personne qui tu vois . Dans Qui sait celaserait mieux inform que moi , au sens paraphrasable par Toute personne qui sait cela serait mieux informe que moi , qui sait cela ( relative sansantcdent ) est clairement un GNs (sujet de serait ). Dans Dis-moi qui sait cela , qui sait cela est un GN c.o.d. de dis , en valeur questionnelle. Toute question partielle est analogue un GN quilsagirait didentifier ou de dterminer. Cest du reste ce que manifestent en franais les compltivesquestionnelles du type Je ne sais pas ce qui te gne , o ce qui te gne a une bonne tte de groupe

    nominal (pronom ce flanqu dune banale relative).A rapprocher du fait que Je connais lauteur peut signifier banalement que lauteur est une de

    mes connaissances, mais peut aussi signifier, plus particulirement, que je sais qui est lauteur. Dans lesdeux cas, lauteur est un groupe nominal ; dans le premier cas, lobjet de connaissance peut tre des

    proprits de lauteur ( Il est comme a, il a fait a , etc.) ; dans le second cas, lobjet de connaissanceest son identit ( Cest Untel, etc. ). Les Qp dont le constituant questionnel est la tte peuvent ainsi

    4 Ceci correspond au caractre fondamentalement dissymtrique des Qt ; par exemple savoir si P inclutsmantiquement lide de savoir, si P, que P (v. C 1982).). 5Une nonciation dclarative est, dans le cas le plus pur, une affirmation. A la question Pleuvra-t-il , rpondre Peut-tre au lieu de Oui (qui affirme P) ou Non (qui affirme sa ngative), cest simplement se poser

    comme naffirmant pas la ngation de P, par exemple parce quon ne sait pas si P (auquel cas on peut le jugerpossible). Jappelle ici admissive cette nuance modale. Ladmissive est la dclarative ce que la permission est lordre (en disant que je nordonne pas non P, = que je ninterdis pas P, je permets P).

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    apparatre comme des GN dont ce qui est pertinent, relativement ce dont ils dpendent, est uneidentification6.

    QUESTION DE VOITURE

    Wagner & Pinchon (1962 : 572) font cette observation propos dune subordonne interrogative partielle : lpoque classique [], on employait encore le mode subjonctif dans les interrogatives

    indirectes par imitation du latin , exemple : Je ne comprends pas comment cela ait pu vous arriver(Voiture). Ce nest peut-tre pas par hasard que, dans cet emploi, comment peut porter sur laproposition globale Cela a pu vous arriver (comparer Comment il est possible quecela ait pu vousarriver ) plutt quil ne caractrise simplement en interne la manire dont cela est arriv ; le comment

    peut alors tre un lment de la chane causale qui a permis que cela arrive. Ainsi, si la question partielleest oriente ngativement, en se demandant comment cela a pu vous arriver, Voiture stonne quil ait puexister une cause (un mode de causalit) de cet vnement, et ainsi, indirectement, stonne delvnement mme (stonne de sa ralisation) ; ce qui peut motiver le subjonctif dans cela aitpu vousarriver puisque, finalement, il stonne de cela mme. Bref, en se demandant comment cela a pu arriver,il stonne que cela ait pu arriver, et son expression reflte la fois ces deux stades de la pense.

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    Rfrences

    Cornulier (de) Benot, 1982, Sur le sens des questions totales et alternatives (poly. Marseille-Luminy 1980), dansLangages67, 55-109, septembre 1982. [ Critique des analyses symtriques selon lesquelles l'expressionsavoirsi P, ou la question P?, concernent aussi directement la proposition Non-P que la proposition P ; analysedissymtrique des questions alternatives du type Est-ce que P, ou est-ce que Q? comme contenant une questionautonome Est-ce que P?et une question dpendante Est-ce que Q?greffe conditionnellement sur elle parou;analyse desavoir si Pcomme quivalent savoir (qu'on sait) que si P, on sait que P ].

    2010, Syntaxe pragmatique de voil , dans Les Tables, La Grammaire du franais par le menu, Mlanges enhommage Christian Leclre, d. par par Takuya Nakamura, ric Laporte, Anne Dister & Cdrick Fairon,collection Les Cahiers du Cental n 6, UCL Presses Universitaires de Louvain, p. 99-101

    2013, Les subordonnes dites interrogatives comme complments de dpendance , paratre dans les actes duColloque LiCoLar 2012 en hommage H.-J. Deulofeu. [Ce quon appelle une interrogative indirecte reprsentelun des deux ples dans une relation de dpendance entre deux ensembles (ples) de propositions exprims ouseulement voqus].

    Wagner R.L. & Pinchon J., 1962 (impr. 1968), Grammaire du Franais classique et moderne,Hachette.

    6Dans C 2013, je suggre que le groupe nominal interrogative indirecte partielle reprsente un ensemble de propositionsrfrentielles (ce quil dsigne est ceci, ou cela, ou cela) et que cet ensemble est mis en relation avec un autre ensemble de

    propositions (pas forcment exprim) dans une relation de dpendance.