Contestations collectives et soulèvement du 17 décembre 2010. La révolte des quartiers populaires...
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Les Cahiers d’EMAMÉtudes sur le Monde Arabe et la Méditerranée
22 | 2014 :Varia
Contestations collectives etsoulèvement du 17 décembre2010. La révolte des quartierspopulaires de Sidi Bouzid(Tunisie).Enjeux et stratégies des acteurs
MOURAD BEN JELLOUL
p. 71-115
Résumés
Français EnglishLa rév olte du 1 7 décembre 201 0 à Sidi Bouzid est, dans une certaine mesure, uneréponse à la situation difficile des quartiers populaires et de leurs habitants, signantl’échec des politiques de réhabilitation urbaine engagées par l’État dans lesquartiers pauv res des v illes tunisiennes. La combinaison de plusieurs facteurs arendu possible la montée de la mobilisation dans toutes les couches populaires desquartiers périphériques : le secteur informel qui faisait v iv re des centaines defamilles n’a cessé de subir des restrictions de toutes sortes, le chômage des jeunesdiplômés du supérieur av ait atteint des proportions alarmantes, les forces socialesqui pouv aient soutenir les autorités au niv eau local se sont rétrécies au fur et àmesure que l’appareil politique partisan, représenté par le RCD et ses cellules debase, s’affaiblissait. Un potentiel contestataire énorme a ainsi été libéré, qu’aucunepersonnalité en situation de médiation, aucune institution, aucune autorité n’étaitplus en mesure de canaliser. Ce mouv ement de contestation a ouv ert la v oie, contretoute attente, à la Rév olution du 1 4 janv ier 201 1 et à l’év iction du pouv oir de BenAli. Les quartiers populaires, bêtes noires du régime, sont finalement parv enus àfaire en sorte qu’il « dégage ».
The rev olt ignited on the 1 7 th of December 201 0 is to a certain extent a response tothe unfav ourable conditions of the inhabitants of many popular areas, whichhighlights the failure of the policies aiming to rehabilitate urban areas despite thestark commitment of the state since early independence in poor areas of Tunisiantowns. In fact, many factors pooled together to enhance mobilization of manypopular lay ers in the outskirts: the informal sector which catered for hundreds of
families was being restricted, unemploy ment among new graduates reachedalarming rates, the local social forces liable to support authorities shrank as thepartisan political body , represented by the RCD and its basic cells, was on the wane.An enormous contestation potential, which wasn’t to be channeled by anymediator, any institution or any authority , was looming. This contestationmov ement gav e unexpectedly rise to the Rev olution of the 1 4 th of January 201 1and to the ov erthrow of the Ben Ali regime. Popular areas, the sword of Damocles ofthe regime, succeeded ev entually to make him go.
Entrées d’index
Mots-clés : Tunisie, Sidi Bouzid, Quartier populaire, Régularisation foncière,
Habitat non réglementaire, Rév olte urbaine, Tribus, Clientélisme, Gestion urbaine.
Keywords : Tunisia, Sidi Bouzid, Popular Area, Landed Property Regularization,
Unconv entional Dwelling, Urban Rev olt, Tribes, Clientelism, Urban Management.
Texte intégral
La révolution du 14 janvier 2011 a provoqué la chute de la première
République tunisienne, celle qu’avait fondée Bourguiba juste après l’obtention
de l’Indépendance du pay s (20 mars 1956). Cette révolution est
l’aboutissement d’un long processus de contestation sociale, alimenté par un
fort mouvement de mécontentement et de protestation émanant des couches
populaires v ivant dans les quartiers mal-intégrés des v illes. Pour autant que
l’on puisse en identifier les origines lointaines, tout donne à penser que ce
processus a trouvé l’une de ses premières expressions v iolentes le 26 janvier
197 81 , lorsque les habitants des quartiers irréguliers composant une première
ceinture de pauvreté autour de Tunis (Djebel Lahmar, Mellassine, Saïda
Manoubia, Ettadhamen)2 sont « descendus » sur la capitale et en ont investi le
centre. Plus de 30 ans après, on peut considérer que la révolte qui a éclaté le
17 décembre 2010 dans les quartiers Ennour (Est et Ouest), El Khadra et
Aouled Chelbi de Sidi Bouzid, répond en quelque sorte comme un écho à cette
explosion des habitants des quartiers populaires de Tunis.
1
Ce sont en effet les habitants de ces quatre quartiers de Sidi Bouzid que nous
venons de citer qui ont été les premiers à manifester leur solidarité avec
Mohamed Bouazizi, le jeune homme qui s’est immolé par le feu et qui, par le
sacrifice qu’il a ainsi fait de sa v ie, est devenu le sy mbole d’un désespoir
extrême — lequel, pour extrême qu’il fut, n’en était pas moins largement
partagé par la plupart des habitants de ces quartiers. Ceux-ci sont ceux qui, de
toute la v ille, concentrent le plus de pauvres; ce sont ceux qui enregistrent les
taux les plus élevés de chômage, où la délinquance touche le plus les jeunes et
où la criminalité atteint son degré maximal. L’immolation par le feu de
Mohamed Bouazizi n’est cependant pas une première en Tunisie. En effet,
avant lui en 2006, un jeune chômeur originaire d’un quartier pauvre de
Mateur, dans le nord du pay s (gouvernorat de Bizerte), avait déjà accompli un
tel geste. Un second suicide s’est produit le 3 mars 2010 à Monastir, v ille
sy mbole du bourguibisme, où un autre jeune s’est immolé dans des
circonstances similaires, parce que, semble-t-il, la municipalité l’aurait
empêché d’exercer sans entraves son métier de commerçant ambulant. Le
troisième cas a été enregistré à Métlaoui, v ille du bassin minier au sud du pay s
(gouvernorat de Gafsa), où, le 20 novembre 2010, c’est un jeune chômeur qui
s’est suicidé par le feu. Pourtant, dans aucun de ces trois cas, le sacrifice qu’un
jeune homme fit de sa v ie n’a enclenché de mouvement de protestation
généralisé à l’ensemble de la v ille où il résidait, où il était connu et où il a
2
Figure 1. Découpages de la Tunisie et du gouvernorat de Sidi Bouzid, 2010.
commis son acte. Pourquoi, alors, les choses se sont-elles passées
différemment à Sidi Bouzid ? Pourquoi cette v ille est-elle devenue le
cataly seur de la révolution ? Pourquoi elle et pas d’autres v illes où, pourtant,
les conditions de v ie étaient sans nul doute bien plus difficiles ?
Pour répondre à ces questions, il est indispensable de revenir sur le
contexte qui a présidé, au milieu des années 197 0, à la création du
gouvernorat de Sidi Bouzid, sur les effets économiques et sociaux attendus de
la promotion de la v ille en tant que chef-lieu de gouvernorat et, surtout, sur
les conditions dans lesquelles a été initié le développement urbain, ainsi que
sur les modalités de sa poursuite : c’est sans doute à ce compte-là que l’on
pourra espérer mieux comprendre les énormes écarts qui ont
progressivement séparé les attentes d’une population fraîchement urbanisée
des réalités qu’elle v ivait, en termes d’habitat, d’emploi, d’équipement, de
conditions de v ie et de surv ie, etc. Presque quarante ans plus tard, on peut
légitimement penser que les frustrations accumulées, particulièrement parmi
une jeunesse éduquée, souvent diplômée, et qui se considère, en tout état de
cause, comme citadine, sont largement suffisantes pour générer des
revendications qui, si elles peuvent prendre la forme d’une explosion
soudaine de colère, n’en sont pas moins susceptibles de revêtir, rapidement,
une dimension nettement plus politique.
3
Le gouvernorat de Sidi Bouzid n’existait pas, lorsque, juste après
l’Indépendance du pay s, un nouveau découpage administratif3, prenant la
suite de celui de la Tunisie coloniale, a été institué. À cette date-là, les
territoires qui le constituent aujourd’hui étaient éclatés entre les
gouvernorats de Sfax à l’est, de Kairouan au nord, de Kasserine au nord-ouest
et de Gafsa au sud-ouest. C’est à partir de la fin de l’année 197 3 seulement
qu’une réorganisation administrative, dont l’un des objectifs était de renforcer
les structures du contrôle territorial et des populations dans toute la zone
centrale du pay s, a abouti à la création de cinq gouvernorats (Sidi Bouzid en
197 3, Siliana, Mahdia et Monastir en 197 4 et Zaghouan en 197 6) (Fig. 1), celui
qui nous intéresse se situant dans la Tunisie du Centre-Ouest.
4
Cartographie : F. Troin, CITERES 2013.
Ce gouvernorat se caractérise aujourd’hui par la faiblesse de son taux
d’urbanisation, de l’ordre de 24,9 %, alors que la moy enne nationale est de
64,87 % en 2004 (INS, 2008). Sa structure économique est très peu
diversifiée : les activ ités agricoles et d’élevage y sont toujours largement
prédominantes4, tandis que les emplois dans l’industrie, l’artisanat et le
tertiaire y demeurent faibles5. Les conditions de v ie de la population ne s’y
sont améliorées que bien plus lentement que dans la plupart des autres
régions du pay s. Ainsi, en 2004, le taux de raccordement à l’eau potable et
inférieur à 40 %, alors qu’il atteint 46,4 % pour l’ensemble du Centre-Ouest et
que le taux national monte à 7 7 ,7 %. Et le retard est encore plus spectaculaire
en matière de réseau d’évacuation des eaux usées : le taux de raccordement
du gouvernorat de Sidi Bouzid atteint à peine 12,8 % contre 25 % pour la
moy enne du Centre-Ouest et 53 % au plan national (INS, 2006).
5
La v ille épony me de ce gouvernorat qui s’étend sur une partie des basses
steppes tunisiennes, Sidi Bouzid, a représenté très v ite, à savoir
immédiatement après sa promotion comme chef-lieu du gouvernorat, un lieu
d’accueil priv ilégié pour un très grand nombre de ceux qui étaient frappés par
la crise du monde rural (et du pastoralisme) et qui, cherchant à fuir la plus
extrême pauvreté, attendaient de la v ille un emploi et de meilleures
conditions de v ie. L’une des principales conséquences de ces arrivées
massives a été que l’installation de ces populations sans ressources s’est
effectuée de manière totalement illégale, tant au plan foncier qu’en termes de
construction et de conformité aux règlements d’urbanisme (taille des
parcelles, permis de construire, etc.).
6
Dès ce moment-là, le foncier s’est établi comme l’enjeu principal du
développement de la v ille : les habitants des quartiers non réglementaires ont
constamment élaboré et mis en œuvre des stratégies susceptibles, dans un
7
Naissance et développement desquartiers non réglementaires :« l’obsession du foncier »
Urbanisation spontanée et naissance desquartiers illégaux : les enjeux du foncier
La structure de la propriété foncière
premier temps, de garantir leur maintien sur les terrains qu’ils occupaient,
puis, dans un second temps, d’ouvrir la voie à une régularisation de leur
situation juridique. Pour leur part, les autorités régionales et locales ont en
permanence utilisé cette situation, en l’instrumentant de différentes manières,
pour assurer, en faveur du pouvoir central, le contrôle de ces quartiers et
celui de leurs populations.
La v ille de Sidi Bouzid appartenait en 1958, date à laquelle elle a bénéficié du
statut de commune6, à la délégation de Sidi Bouzid. À cette date, c’était une
petite v ille d’à peine 1556 habitants (Nciri, 2007 ). Son périmètre municipal
couvrait alors une superficie de 40 ha ; il avait été délimité au sein d’une vaste
zone constituée de terres agricoles qui appartenaient à des colons français et
qui sont revenues à l’État à la suite de la promulgation de la loi du 12 mai 1964
portant nationalisation des terres agricoles. Ces terres ont été, par la suite,
cédées à l’Office des terres domaniales (OTD), à charge pour lui d’en assurer la
mise en valeur et la gestion.
8
Les manifestations de l’urbanisation à la périphérie de Sidi Bouzid ne prirent
une dimension notable qu’après les catastrophiques inondations de 1969,
lesquelles favorisèrent un intense mouvement d’exode rural qui porta des
familles entières depuis des steppes fortement affectées par les destructions
des troupeaux et des plantations vers la petite v ille. La deuxième phase de
forte croissance fit suite à sa promotion comme chef-lieu de gouvernorat en
décembre 197 3 : en quelques mois, tous les serv ices publics furent renforcés
pour remplir leur nouveau rôle régional, les établissements scolaires
secondaires transformés en ly cées, l’hôpital de circonscription dev int
régional, les ministères multiplièrent les constructions de bâtiments neufs
pour y installer leurs administrations régionales, la plupart des sociétés et
offices parapublics y ouvrirent une antenne. La population urbaine passa ainsi
d’un peu moins de 5 000 habitants en 1966 à plus de 10 000 en 197 5 ! « Il a
donc suffi de très peu de temps pour que Sidi Bouzid, v illage agricole et gros
souk de la steppe7 , dev ienne une véritable v ille. La brutalité du processus lui
donne même parfois des allures de Far-West » (Signoles, 1985, p. 158).
9
Il faut attendre 197 6 pour que la v ille dispose de son premier plan
d’aménagement, lequel sera rév isé en 1982. À cette date, la v ille s’étendait
déjà sur 516 ha, dont 45 occupés par la zone centrale et 47 1 correspondant
aux extensions périphériques (Nciri, 2003)8. Ces extensions se sont effectuées
aux dépens des terres agricoles, lesquelles appartenaient très majoritairement
— comme on l’a déjà dit — à l’OTD.
10
Figure 2. Les principaux quartiers et les infrastructures de Sidi Bouzid.
Cartographie : H. Nciri, 2007, reprise par M. Ben Jelloul et F. Troin, CITERES 2013.
Vers le milieu des années 1980, donc, les propriétaires des terrains qui
occupaient le périmètre communal étaient l’État, la municipalité et les privés.
11
En 1983, l’État possédait 224 ha, soit 43 % du territoire municipal. Cette
superficie a augmenté à la suite de l’extension du périmètre communal opérée
en 1994 — lequel a été porté à 107 3 ha — pour atteindre 631 ha en 2010, ce
qui représentait à l’époque 58,8 % du territoire municipal. Ces terrains
étatiques constituaient l’essentiel de l’assiette foncière de quartiers aussi
divers que ceux d’Ennour-Est et El Khadra (au nord du centre-v ille), d’Aouled
Chelbi (à l’est) et d’Ennouamer et Fray jia (au sud) (pour la localisation des
quartiers, voir la Fig. 2).
12
La municipalité est le deuxième propriétaire par ordre d’importance, avec
217 ha possédés (dont 15 au centre-v ille). Elle contrôle ainsi, en 1983, à peu
près 40 % du foncier urbain. Ces terrains sont principalement situés dans les
quartiers Ennour-Ouest (nord-ouest de la v ille) et Aouled Belhedi (sud-ouest).
À vrai dire, cette propriété municipale a été constituée grâce aux dons de
terres que l’OTD a dû consentir à la commune9, lorsqu’il s’est agi, pour cette
dernière, de régulariser la situation foncière d’une grande partie de ces deux
quartiers1 0. Ultérieurement, la rév ision des limites du périmètre communal —
qui s’est accompagnée d’un élargissement de celles-ci — a abouti à ce que la
propriété communale voit sa part chuter (de 36 % en 1984 à 20,22 % en 2010)
alors pourtant que sa superficie est demeurée constante.
13
La troisième catégorie de propriétaires, à savoir les propriétaires privés, ne
détenait en 1983 que 7 5 ha (dont 9 ha à peine en centre-v ille), ce qui ne
représentait que 14,5 % du territoire municipal. À la différence de la catégorie
précédente, les surfaces appartenant aux privés se sont accrues à la suite des
extensions des périmètres municipaux, de telle sorte qu’elles atteignaient 225
ha en 2010 (20,9 % de la superficie de la commune). Les terrains appartenant
en majorité à des propriétaires privées sont situés à l’ouest de la v ille, là où
ont été aménagés les principaux lotissements réglementaires (quartiers
Raouebi, Haday ek, El Wouroud, Guawefel et Mostakbel).
14
Cette structure foncière, caractérisée par le poids très lourd des propriétés
publiques (État et municipalité possèdent 85,5 % de la superficie communale
en 1983 et encore 7 9 % en 2010) a eu des conséquences déterminantes — mais
essentiellement négatives — sur les modes de production foncière et
immobilière. Non pas tant, cependant, au début du processus d’urbanisation
15
Une production foncière caractérisée par la faible
importance des lotissements réglementaires et la
prédominance de la production « illégale »
Photographie 1. Lotissement « Yessminet » en cours d’aménagement par l’AFH à SidiBouzid, à proximité du quartier Aouled Belhedi.
que lorsqu’il fallut engager des programmes lourds de réhabilitation des
quartiers non réglementaires.
En effet, les premières vagues importantes de migrants venus s’installer
dans la v ille, d’abord en 1969, puis à partir de 197 4, ont occupé les terrains
libres « en douceur ». Les constructions qu’ils y ont érigées ne respectaient
aucune règle d’urbanisme, mais, pour autant, tant les autorités régionales que
municipales n’ont exercé, pendant des années, aucun contrôle sérieux et,
d’une certaine manière, on peut dire qu’elles « ont laissé faire » sans se
préoccuper le moins du monde des conséquences ultérieures de ce mode
d’occupation de l’espace et de production de la v ille. De fait, dès ces années-là,
la v ille a commencé à s’étaler rapidement, mais sans aucun plan d’ensemble,
sans aucune programmation des équipements et des réseaux, guidée
simplement par les opportunités foncières et les stratégies des squatters
familiaux cherchant à occuper dans les meilleures conditions les parcelles des
terrains au vu et au su de tous les pouvoirs établis.
16
L’Agence foncière d’habitation1 1 (AFH), établissement public, est le
principal opérateur foncier en Tunisie ; et elle l’est aussi à Sidi Bouzid. Entre
1984 et 2004, elle a aménagé 46 ha et les a v iabilisés avant de les lotir. Les
cinq premiers lotissements qu’elle a réalisés entre 1984 et 1999 (El Wouroud 1
et 2, Haday ek et Rawebi 1 et 2) ont permis de mettre sur le marché 57 3 lots
indiv iduels v iabilisés, 307 lots destinés à l’habitat collectif et 32 lots
commerciaux. Tous les terrains aménagés avaient été achetés à des
particuliers et ce n’est qu’en 2010 qu’a été menée à bien la première opération
d’envergure — un lotissement de 50 ha — réalisée par l’AFH sur un terrain
public, en l’occurrence un terrain cédé par l’OTD dans le cadre d’une opération
d’échange avec l’État. À la suite de quoi, l’AFH aura livré 96 ha pour
l’urbanisation à Sidi Bouzid (Photographie 1).
17
Cliché : M. Ben Jelloul, juillet 2013.
Photographie 2. Constructions illicites en cours sur des terrains domaniaux, quartierEnnour-Est à Sidi Bouzid (situés entre la route de ceinture de la ville et la digue deprotection contre les inondations).
Le second opérateur public en matière foncière et, surtout, immobilière est
la SNIT (Société nationale immobilière tunisienne) — elle est le promoteur
« historique » en Tunisie, ay ant été créée dans les années qui ont
immédiatement fait suite à l’Indépendance. Ses interventions à Sidi Bouzid ont
cependant été limitées, puisque, selon nos estimations, elle n’a pas aménagé
plus de 25 ha pour y réaliser des lotissements.
18
En ce qui concerne la production foncière privée réglementaire, on ne
dispose pas de données statistiques. Mais sa contribution est moins
importante que celle du secteur public, puisque les lotissements privés, tous
concentrés à l’ouest de la v ille, sont peu nombreux et peu étendus.
19
Mais en vérité, ce qui domine la production foncière de façon écrasante,
c’est la filière illégale. Sa production se compte en centaines d’hectares qui ont
été accaparés aux dépens des propriétés de l’État ou de la municipalité. C’est
sur des terrains de cette catégorie-là qu’ont été érigés les sept principaux
quartiers non réglementaires de Sidi Bouzid, à savoir Ennour-Est et Ouest, El
Khadra, Aouled Chelbi, Ennouamer, Fray jia et Aouled Belhedi. Ces terrains,
dont les uns se situent à l’intérieur du périmètre municipal et les autres à
l’extérieur — mais à une distance généralement proche de la limite de la v ille
—, ont été squattés par une population en majorité d’origine rurale. Cette
modalité d’occupation, dont les débuts remontent aux années 1960, s’est
accélérée dans le courant des années 1980 et 1990 et elle a logiquement
atteint des sommets après le 17 décembre 2010, lorsque la puissance
publique a pratiquement disparu du pay sage1 2. En effet, dès le 20 décembre
2010, les terrains situés le long de la digue de protection de la v ille,
appartenant à l’État et qui, pour des raisons de sécurité, étaient
inconstructibles et étaient donc demeurés v ides1 3, ont été pris d’assaut par les
habitants du quartier El Khadra, limitrophe de cette digue (Photographie 2).
20
Cliché : M. Ben Jelloul, juillet 2013.
Peuplement et structures sociales des quartierspopulaires de Sidi Bouzid
Les origines géographiques de la population
La connaissance préalable des groupes sociaux, de même que celle des liens
sociaux qui les unissent et qui assurent leur cohésion, est une condition
indispensable pour tenter d’appréhender et, peut-être, de comprendre le
fonctionnement interne de la société locale bouzidienne au cours du
processus d’urbanisation qui l’affecte et dont elle est aussi un acteur
déterminant. Pour ce faire, il convient donc de déterminer l’origine des
habitants, de repérer les groupes socio-économiques auxquels ils
appartiennent ainsi que les réseaux de parenté dans lesquels ils s’inscrivent.
Car, comme l’écrit O. Legros à propos de quartiers populaires de la périphérie
occidentale de Tunis, « outre le fait que l’on a affaire à des quartiers populaires
en formation, l’examen du peuplement et des modes d’intégration des
indiv idus dans le voisinage révèle la place centrale de la famille élargie dans la
structuration de la société locale » (Legros, 2003).
21
Quand on étudie la composition de la population des quartiers de Sidi
Bouzid en fonction de l’origine géographique de leurs habitants, on constate
que les uns se caractérisent par l’hétérogénéité des origines et d’autres, à leur
inverse, par leur homogénéité, étant entendu que, dans tous les cas, les
habitants prov iennent très majoritairement des zones rurales (Nciri, 2003).
22
Selon H. Nciri1 4, les ruraux d’origine représentent, en 2003, entre 60 et
80 % des habitants des quartiers populaires : 80 % à Aouled Chelbi, 69,5 % à
Fray jia, 68 % à Ennour-Ouest et à Aouled Belhedi, 63,5 % à El Khadra et encore
59,5 % à Ennour-Est. Leur part avoisine encore la moitié dans les quartiers
Filahi (51 %) et Guawefel (46,7 %), situés au sud de la v ille. Ils ne sont donc
relativement peu nombreux (environ le tiers du total) que dans trois quartiers
qui prolongent le centre-v ille en direction du sud-ouest : Assatitha, El
23
Les catégories socio-professionnelles des chefs de
ménage
Wouroud et Mostakbel.
Les dates auxquelles l’installation en v ille s’est effectuée confirment que le
déclenchement de l’exode rural dans la région a été tardif en comparaison du
reste de la Tunisie1 5. Comme nous avons déjà eu l’occasion de le signaler, il
connaît une première phase de grande ampleur à la suite des inondations de
1969 et s’intensifie quand le gouvernorat est créé et que Sidi Bouzid en est
désigné comme le chef-lieu, avec les conséquences qui s’en suivent
inéluctablement : investissements massifs dans les infrastructures et les
équipements publics, multiplication des chantiers dans le bâtiment et la
construction, création en grand nombre d’emplois de fonctionnaires, toutes
choses qui, à leur tour, ont des incidences notables sur l’essor des activ ités
économiques, principalement informelles (commerces, serv ices, transports),
puisque, désormais, la v ille reçoit chaque mois une manne salariale non
négligeable. Les ruraux qui émigrent appartiennent à des groupes de
populations démunies qui v ivaient dans des conditions extrêmement
précaires et qui étaient privées des infrastructures et équipements de base :
elles n’avaient ainsi accès ni à l’eau potable ni à l’électricité. L’extrême
dispersion de l’habitat signifiait son isolement et rendait son accessibilité très
aléatoire : les serv ices essentiels, particulièrement ceux d’éducation et de
santé de base, étaient souvent si éloignés des douars que seules quelques
familles pouvaient en bénéficier, au point que le désir de s’en rapprocher a
constitué un motif fréquent de leur installation en v ille
24
À Ennouamer, 22,2 % de la population s’est installée avant 197 0 et 20 % à El
Khadra : ce sont les deux seuls quartiers où l’on trouve une présence
ancienne. Dans six autres1 6, de 90 à 95 % des habitants sont arrivés après
197 0. Enfin, en ce qui concerne les quartiers restants (Mostakbel, Guawefel, El
Wouroud et Assatitha), la quasi-totalité de leurs habitants s’y est installée
après 197 0.
25
En nous appuy ant encore sur les résultats des enquêtes de H. Nciri (2003),
nous constatons que ces nouveaux urbains prov iennent pour l’essentiel du
gouvernorat lui-même, étant entendu cependant que les différentes
délégations qui le composent sont représentées selon des proportions variées.
Et ce sont les délégations les plus proches de la v ille qui, selon un schéma
explicatif assez simple, fournissent les plus gros contingents de migrants :
ainsi, les délégations de Sidi Bouzid-Ouest et Souk Jedid1 7 sont-elles
représentées (ensemble) par 2 410 familles, la première ay ant fourni 16,8 % du
flux total d’immigrés et la seconde 13 %. Les autres délégations participent
avec des contributions assez voisines les unes des autres — de l’ordre, pour
chacune, de 7 % du total des migrants installés —, le taux le plus bas (6 %)
correspondant à la délégation de Mazzouna, laquelle est la plus éloignée de
Sidi Bouzid, puisqu’elle en est distante de 7 8 km en direction de l’est alors
qu’elle n’est séparée que de 7 0 km de Sfax, v ille vers laquelle elle est
traditionnellement tournée.
26
Les données dont nous disposons sur les activ ités professionnelles des
habitants des quartiers périphériques de Sidi Bouzid remontent à 2003 et elles
sont, compte tenu des conditions dans lesquelles elles ont été recueillies, très
générales. En fait, les actifs ont été répartis selon trois catégories seulement :
les fonctionnaires, les actifs du secteur structuré privé, tous statuts (patrons,
professions libérales, salariés) et toutes spécialités confondus et, enfin, tous
27
ceux qui s’« occupent » dans le secteur informel — entendons par là tous ceux
qui n’ont pas d’emploi fixe, les journaliers, les saisonniers, les occasionnels,
les ambulants et les chômeurs.
Parmi tous les quartiers populaires, El Khadra est celui qui se distingue le
plus nettement par son degré de précarité et de pauvreté ; les actifs du secteur
informel, dont une très grande majorité est constituée de journaliers, y
représentent 83 % des personnes de sexe masculin en âge de travailler, tandis
que les travailleurs du secteur formel et les fonctionnaires y sont en nombre
infinitésimal.
28
À un degré légèrement supérieur, on trouve un ensemble constitué des
quatre quartiers de Fray jia, Aouled Belhedi, Ennouamer et Filahi. Ici, les
journaliers représentent entre 40 et 50 % des actifs. Le reste des actifs se
partage à peu près à égalité entre les deux autres catégories professionnelles.
Bien qu’ils comportent donc quelques éléments appartenant aux classes
moy ennes, ces quatre quartiers populaires n’en demeurent pas moins des
lieux où plus de la moitié de la population surv it — plus qu’elle ne v it —, car
elle ne dispose que de très peu de ressources et doit se satisfaire d’un
environnement (urbain) plus qu’insatisfaisant.
29
Les quartiers Ennour-Est et Ouest se distinguent des précédents par
l’importance qu’y occupent ceux qui exercent un métier dans le secteur
structuré, particulièrement le commerce de détail : ce dernier regroupe 7 5 %
des actifs dans le premier de ces quartiers (84 commerçants de détail, 27
« taxiphones »1 8, etc.) et pas loin de 60 % dans le second (7 1 commerçants de
détail, 33 « taxiphones », etc.). Et ce sont, de fait, les deux seuls quartiers de
Sidi Bouzid où les activ ités structurées occupent une place notable et sont
v isibles ! Et où, conséquence logique, le secteur non structuré demeure
relativement peu important (13,5 % des actifs à Ennour-Est et 22,2 % à
Ennour-Ouest).
30
Les quatre derniers quartiers, ceux de Guawefel, Mostakbel, El Wouroud et
Assatitha, constituent, sur le plan de l’emploi aussi, un ty pe à part, caractérisé
par la présence très importante des ménages de fonctionnaires : ceux-ci
représentent entre plus de la moitié et les trois-quarts des résidents. Rien,
d’ailleurs, que de très normal puisqu’il s’agit de lotissements réglementaires !
31
La structure socio-professionnelle de la population active reflète très
exactement — mais il ne saurait en être autrement — les activ ités économiques
présentes dans la v ille. Sidi Bouzid s’est, à l’origine, développé à partir d’un
souk du bétail (ov ins) qui a été, dans les années 1960, l’un des plus actifs du
pay s et sur lequel se sont greffées des activ ités commerciales (soukières) très
diversifiées. Le commerce, formel et informel, soukier et en boutiques
localisées en centre-v ille et le long des principales artères commerçantes,
constitue d’ailleurs toujours aujourd’hui une des principales source
d’occupation pour les habitants1 9. Par ailleurs, si la promotion administrative
a permis la création, comme on l’a vu, de très nombreux emplois publics20,
l’État ne l’a accompagnée d’aucun effort en vue de diversifier la base
économique : l’industrie est presque absente21 , hormis quelques entreprises
qui sont plutôt de ty pe artisanal, tandis que le tertiaire supérieure est
pratiquement inexistant, ce qui fait que tout le gouvernorat, mais aussi la v ille
de Sidi Bouzid elle-même, se trouvent sous l’influence d’autres centres urbains
comme Sfax (pour les serv ices de santé, les activ ités financières,
l’enseignement supérieur, les serv ices techniques spécialisés, etc.) ou Gafsa
(particulièrement pour les affaires de Justice, car c’est dans cette dernière
v ille qu’est établi le siège de la Cour d’appel et que se trouve la Direction
régionale du ministère de la Justice).
32
Ce sont bien les limites de l’offre d’emplois dans le secteur structuré et, plus33
Les conséquences du regroupement des sous-fractions
dans l’espace urbain sur l’appropriation de l’espace
encore, un assez brutal arrêt des nouvelles créations de postes dans le secteur
public à partir du moment où la Tunisie a adopté les orientations du Plan
d’ajustement structurel que lui a imposé le FMI et la Banque mondiale, qui
expliquent la poussée irrépressible des emplois informels, lesquels dev iennent
pratiquement le seul recours possible pour les jeunes parvenus à l’âge de
travailler.
À Sidi Bouzid, la simple connaissance de la manière dont les habitants
dénomment les quartiers fournit la preuve que la plupart de ces derniers ont
été fondés par des personnes qui avaient les mêmes origines tribales. Seuls
font exception les quartiers lotis ou construits soit par l’État ou la municipalité
au travers de l’action des opérateurs publics (AFH ou SNIT), soit par des
promoteurs privés dans le cadre de lotissements réglementaires.
34
Au moment de leur création, cinq quartiers portaient le nom d’une sous-
fraction tribale22 : il s’agit des quartiers Aouled Belhedi, Aouled Chelbi, Aouled
Bouallègue, Fray jia et Brahmia. Tous ont conservé leur nom d’origine jusqu’à
aujourd’hui, sauf celui d’Aouled Bouallègue qui, dans les années 1980, a dû
changer de nom pour devenir El Khadra. Ils se disposent pour former une
demi-auréole autour du centre, qui se déploie au sud, à l’est et au nord-est de
la v ille.
35
Quand ces quartiers se sont créés, leur peuplement était homogène et les
familles avaient entre elles des liens de parenté solides (Zaafouri, 1999). Au
sein de chacun d’eux, on pouvait observer des regroupements de familles
issues d’un même arch.
36
Par exemple, le noy au initial du quartier Aouled Belhedi regroupe six
familles (les Brahmi, Mnefgui, Omri, Heni, Bakeri et Thahri)23 qui composent la
famille élargie des Aouled Belhedi24 ; leurs membres représentent 7 6 % des
habitants de ce noy au (Nciri, 2007 , p. 90). Les autres habitants de ce même
noy au appartiennent aux sous-fractions des Bdour, des Aouled Mhamed, des
Raddewi, etc., lesquelles sont toutes des composantes de l’arch des Aouled
Aziz — un des deux arouch les plus importants de la tribu des Hmemma — et
prov iennent toutes de la délégation de Souk Jdid.
37
Dans le cas du quartier Aouled Chelbi, la plupart de ses habitants sont
originaires de Sidi Bouzid même et sont des descendants du marabout qui a
donné son nom à la v ille.
38
À El Khadra, la famille élargie des Aouled Bouallègue, originaire de la
délégation de Rgeb, est à l’origine de la création du quartier, et ce dès avant le
début des années 197 0 — c’est d’ailleurs l’un des plus anciens de la v ille. Cette
sous-fraction appartient à l’arch des Aouled Radhouane, qui est la seconde
composante de la tribu des Hmemma.
39
Des dispositifs similaires dans la répartition spatiale des habitants peuvent
se retrouver dans le quartier des Fray jia, dont la majorité des habitants est
originaire de Sidi Bouzid même, ou dans celui des Brahmia, fondé par des
fractions venues de la délégation de Rgeb.
40
Pour cinq autres quartiers de Sidi Bouzid, les noms qu’ils portent n’ont pas
de rapport avec ceux d’arouch ou de sous-fractions. Leur dénomination est
plutôt banale pour la Tunisie — à tout le moins, elle n’a pas de signification
particulière : « La Lumière » (Ennour-Est et Ouest), « Les Numéros »
(Ennouamer), « L’Agriculture » (El Filahi) ou « La Caravane » (El Guawefel).
Pour autant, dans ces quartiers comme dans les précédents, plusieurs familles
41
élargies cohabitent et les liens familiaux entre les résidents sont étroits. Si l’on
prend le quartier Ennour-Ouest comme exemple, on constate en effet que
plusieurs sous-fractions, toutes appartenant à l’arch des Aouled Radhouane —
à savoir les Gmamda, les Nçay ria, les Douali, les Horchen, etc. —, y v ivent
dans la proximité et qu’il n’est pas rare que plusieurs familles composant l’une
ou l’autre de ces familles élargies (ou sous-fractions) cohabitent dans un même
noy au d’habitat : c’est le cas, par exemple, de la famille élargie des Horchen
qui rassemble en un même lieu des éléments des familles Bouazizi, Azri,
Mliket, Horcheni, etc.
Un dernier groupe de quartiers est constitué de ceux qui correspondent aux
lotissements privés réglementaires ; ce sont des quartiers souvent récents,
peuplés en majorité de fonctionnaires ou d’actifs du secteur formel, et les
noms qui leur ont été attribués n’ont d’autre valeur que celle de vouloir
signifier leur qualité ou la qualité de ceux qui y résident : « Les Roses » (El
Wouroud), « Les Jardins » (El Haday ek), « L’Avenir » (Mostakbel), « Les
Professeurs » (Al Assatitha). Et c’est sans surprise que l’on peut constater que
les liens familiaux ou tribaux entre les habitants y sont à la fois rares et, quand
ils existent, faibles.
42
En ce qui concerne les deux premiers ty pes de quartiers que nous venons de
présenter, les sous-fractions tribales ont investi l’espace urbain en
s’appropriant des terrains agricoles qui appartenaient à l’État, en profitant de
la « faiblesse » du contrôle municipal et du laxisme des structures de l’État.
Les stratégies qu’elles ont mises en œuvre pour opérer ces occupations
illégales sont bien connues (tant des observateurs que de ceux qui,
théoriquement, ont en charge le contrôle de l’urbanisation) — et bien réglées
par les acteurs eux-mêmes : ceux-ci commencent par repérer un lot de terrain
dont la localisation leur semble présenter des avantages; ensuite, en jouant de
l’entraide au sein de la famille élargie, ils procèdent à la construction des
premières habitations ; ces constructions sont sommaires (une ou deux pièces
seulement) et elles sont effectuées en des temps records (quelques jours à
peine). Ces locaux sont occupés alors même qu’ils sont encore en chantier et
leur équipement (cuisine, sanitaires) est entamé pendant que les travaux se
poursuivent. La qualité des aménagements intérieurs et le ry thme auxquels ils
sont effectués dépendent des moy ens financiers des ménages, lesquels sont
généralement limités. Dès qu’une première construction est érigée et qu’elle a
reçu ses premiers équipements, elle dev ient un point d’attraction et d’ancrage
pour le reste de la famille élargie, dont chaque élément participera à la
consolidation de ce premier « noy au » en construisant à sa proximité
immédiate de nouvelles habitations.
43
Une fois installées, et dès lors qu’elles s’estiment assez nombreuses pour
pouvoir établir un rapport de forces en leur faveur, les familles conçoivent
une nouvelle stratégie v isant à pérenniser leur occupation (illégale) du sol et,
si possible — dans le meilleur des cas —, à régulariser leur situation. Cette
stratégie consiste à mettre à la disposition de leurs parents et proches des lots
de terrains sous forme de donation (Zaafouri, 1999). Le recours à cette
pratique s’explique par les conditions dans lesquelles s’est effectuée
l’installation des premiers installés. Dès l’instant même où ils commencent à
occuper le terrain, ces derniers ont en effet absolument besoin de s’inscrire
dans des réseaux de solidarité suffisamment puissants (par le nombre de ceux
qui y participent) et solides (du fait des liens familiaux et de l’appartenance
aux mêmes sous-fractions) pour pouvoir les mobiliser au cas où leur
occupation des terrains qu’ils ont accaparés serait menacée, de quelque
endroit d’où puisse venir cette menace (de voisins, d’originaires d’autres
tribus, de la municipalité, de l’État, etc.). Et, dans le cas où ces menaces se font
44
« La famille élargie et la communauté d’origine jouent toujours unrôle déterminant dans l’intégration sociale et économique de néo-citadins issus des couches populaires. Si elle confirme le caractèreorganisé de la société des quartiers non réglementaires, la productionde l’espace souligne donc, av ec la même force, la proximité des formesde structuration sociale et politique dans les banlieues […], en dépitdes différences qu’on s’attend a priori à trouv er ».
Le pouvoir face à la ville illégale :encadrement politique et régulationsociale
plus pressantes, c’est grâce à leur capacité de mobiliser l’ensemble de la sous-
fraction que ces familles premières installées peuvent organiser des
manifestations de protestation devant le siège du gouvernorat. Il peut arriver
que celles-ci se transforment en sit-in qui aboutissent généralement à la
satisfaction des demandes — qui s’apparentent souvent à des exigences !
Comme l’écrit O. Legros (2003, p. 17 1) à propos de la périphérie populaire
tunisoise :
Ainsi, à Sidi Bouzid, les premiers noy aux spontanés — illégaux — ont-ils vu
le jour, dès la fin des années 1960 mais surtout dans la deuxième moitié des
années 197 0, sur ces terres agricoles qui appartenaient en majorité à l’État. Le
mouvement d’accaparement du sol s’est poursuiv i à un ry thme très élevé
durant les trente années suivantes, profitant du laisser-faire des pouvoirs
régionaux et locaux. En définitive, plus de 631 ha de terres domaniales sont
passées aux mains de ceux qui sont venus s’installer en v ille, et qui en
constituent les nouveaux citadins. L’ampleur et les modalités de ce
« transfert » expliquent aisément que la question foncière constitue l’enjeu
majeur (économique, financier, social, politique) de l’urbanisation à Sidi
Bouzid (Nciri, 2007 ) ; elles expliquent aussi que l’avenir du développement de
la v ille, d’une part, les reconfigurations de la société urbaine, d’autre part,
dépendent directement de la manière dont cette question sera traitée et des
réponses qui lui seront apportées.
45
Tout au long des années 197 0 et 1980, la population des quartiers non
réglementaires a vécu dans l’espoir d’une régularisation juridique de sa
situation, tant en ce qui concerne les terrains sur lesquels elle était installée
que les constructions qu’elle y avait construites. Redoutant leur expulsion et
leur renvoi dans leurs régions d’origine, les habitants de ces quartiers
s’obligeaient à entretenir des relations pacifiques avec les représentants de
l’autorité. Dans ce but, certains d’entre eux, pour mieux s’assurer une relative
immunité, eurent recours aux structures du parti dominant, le PSD.
46
Dans le même temps toutefois, les désastreuses conditions de v ie qui étaient
celles de la plupart des habitants de ces quartiers — et particulièrement de
ceux d’Aouled Belhedi —favorisaient, comme ce fut le cas au cours de la même
période dans beaucoup d’autres v illes tunisiennes, le développement du
mouvement islamiste. Celui-ci, apparu en Tunisie vers la fin des années 197 0,
commença alors à gagner assez rapidement du terrain et à alimenter une
contestation populaire de plus en plus véhémente. La conjonction de cette
montée des mécontentements, relay ée et instrumentée par ces mouvements
islamistes, et des événements du 26 janvier 197 8 — que nous avons
précédemment évoqués — obligèrent l’État à modifier radicalement sa
47
L’encadrement politique des quartierspopulaires de Sidi Bouzid
La création du gouvernorat de Sidi Bouzid :
encadrement politico-administratif et resserrement du
contrôle de l’État
politique à destination des quartiers populaires et à opter en faveur de leur
réhabilitation (aux plans urbanistiques et infrastructurels), leur équipement
(en termes de serv ices publics) et leur développement « intégré » (en matière
économique et sociale).
Si l’on veut essay er de comprendre le comportement de l’État et du pouvoir
politique à l’égard de ce gouvernorat et, plus précisément, à l’égard de son
chef-lieu et de ses habitants, il faut revenir, même si brièvement, aux causes
de la création de cette entité administrative.
48
Jusqu’à la fin de 197 3, date à laquelle elle est promue chef-lieu du
gouvernorat nouvellement créé qui portera le même nom qu’elle, la v ille de
Sidi Bouzid est le chef-lieu de l’une des délégations composant le gouvernorat
de Gafsa. Sa population recensée est passée de 1 556 habitants à la veille de
l’Indépendance25 à 3 257 en 1966.
49
Sidi Bouzid n’est donc encore, vers la fin des années 1960, qu’un tout petit
centre à l’urbanité mal affirmée, dont la croissance va cependant s’accélérer,
pour les raisons que l’on a déjà vues, dans la première moitié de la décennie
197 0 : progressant au ry thme annuel moy en de 11 ,7 4 % — un taux record en
Tunisie à l’époque ! —, sa population atteint en effet 8 843 habitants en 197 5.
Quand la v ille dev ient chef-lieu de gouvernorat, cette dy namique
démographique se poursuit à un niveau élevé, soit à un ry thme de 9 % par an
entre 197 5 et 1984 (la population atteint 19 215 habitants au recensement de
cette année-là), puis de 6 % entre 1984 et 1994, date à laquelle la v ille
regroupe près de 35 000 habitants (34 315 très exactement), soit quatre fois
plus qu’en 197 5. Ce n’est que dans la deuxième moitié des années 1990 qu’un
ralentissement de cette croissance se manifeste, et il est très net : le taux
moy en annuel tombe en effet à 1 ,52 % entre 1994 et 2004 et, à cette dernière
date, la v ille n’a pas encore tout à fait atteint les 40 000 habitants (INS, 2008).
50
Jusqu’à ces dernières années, cette dy namique démographique assez
exceptionnelle résultait de la conjonction entre un croît naturel élevé, du
moins à l’échelle de la Tunisie — en 197 8, par exemple, son taux était de
l’ordre de 3,2 % par an, alors que, pour la Tunisie entière, il plafonnait à 2,6 %
—, et un intense exode rural amenant vers la v ille des familles originaires de
pratiquement toutes les délégations du gouvernorat.
51
L’attraction migratoire exercée par Sidi Bouzid sur son territoire
administratif s’explique par le fait que, pendant très longtemps, elle a été
pratiquement le seul centre urbain notoire de son gouvernorat. En 1984, elle
concentrait ainsi près de 55 % de sa population urbaine et, en 2004, ce taux
dépassait encore 41 % (INS, 2008), alors pourtant que de nombreuses
bourgades avaient été érigées en municipalités dans les années 199026.
52
La création du gouvernorat de Sidi Bouzid répond à une logique
éminemment politique, à savoir affiner la maille administrative pour renforcer
le contrôle territorial et mieux assurer, au nom du combat contre les
53
« Ce dont j’ai le plus peur, déclara-t-il ainsi dans un discours datant de1 97 5, c’est que les anciennes luttes tribales renaissent et que rev iennela lutte qui était dominante entre les v illes et certaines campagnes[…]. Ces luttes ont été la cause de notre faiblesse et de notre retarddans le passé et ce sont elles qui ont attiré le colonialisme »27 .
Entre l’État et la région31 de Sidi Bouzid, l’établissement
d’un véritable pacte politique
manifestations du tribalisme et du régionalisme, l’autorité et la légitimité du
pouvoir de l’État en Tunisie centrale. C’est que ce dernier a été en permanence
contesté par les tribus du Centre et du Sud du pay s, tribus qui, aux y eux du
Président de l’époque, Habib Bourguiba, incarnaient des valeurs qui
constituaient un danger de premier ordre pour l’unité nationale :
Dans cette logique très bourguibienne d’affaiblissement des groupes
tribaux 28, ce gouvernorat a été constitué en regroupant dans la même entité
des « morceaux » des différentes tribus installés de longue date en Tunisie
centrale — tribus puissantes, mais historiquement en conflit les unes les
autres. Si le groupe dominant est constitué par les fractions appartenant à la
tribu des Hmemma, leur furent accolés des Jlas (principalement installés dans
la délégation de Aouled Haffouz, antérieurement rattachée au gouvernorat de
Kairouan), des Frachich (délégation de Sabelet Aouled Askar) et des Majer
(délégation de Jelma qui, comme la précédente, était rattachée au
gouvernorat de Kasserine), ainsi que des Aouled Sidi Mhadheb, concentrés
dans la délégation de Mezzouna qui fut retirée au gouvernorat de Sfax pour
être intégrée dans celui de Sidi Bouzid. Ainsi était concrétisée la volonté de
faire en sorte qu’aucun gouvernorat ne puisse être assimilé au territoire d’une
seule tribu, tandis que, en éclatant plusieurs tribus, réputées pour leur
conflictualité, en morceaux inégaux qu’on réunissait « artificiellement » dans
un même espace administratif, on fournissait au pouvoir central la possibilité
de mieux affirmer son autorité en régulant ces conflits.
54
Pour ce qui est de la composante tribale principale, celle des Hmemma, elle
est surtout représentée dans le gouvernorat par deux arouch, celui des
Aouled Aziz, installés dans la délégation de Meknessy 29, et celui des Aouled
Radhouane, surtout présents dans les délégations de Sidi Bouzid30, Bir Lahfay
et Rgeb. Et, comme nous l’avons vu dans un développement antérieur, cette
organisation tribale sera transférée en v ille où elle se projettera au sol,
donnant à voir une répartition des familles en fonction de leur appartenance à
telle ou telle sous-fraction ou à tel ou tel arch.
55
Si autant de ruraux portés par l’exode ont pu s’installer autour de Sidi
Bouzid où ils ont donné naissance aux premiers quartiers périphériques et si
leur regroupement par familles élargies ou arouch a pu s’effectuer de manière
aussi sy stématique, c’est, fondamentalement, parce que de vastes surfaces de
terrains publics pouvaient être aisément accaparées dès lors que les autorités
ne menaient pas la lutte contre les occupations illicites.
56
Pendant la v ingtaine d’années qui ont fait suite à l’Indépendance, l’État n’a
pas manifesté un grand intérêt pour le bled Gamouda (ou la région de Sidi
Bouzid), bien que nombreux aient été ses habitants à avoir activement
participé au mouvement national et à la lutte pour la libération du pay s. Elle
n’a jamais bénéficié de gros investissements, ni dans les infrastructures
routières, ni dans les équipements publics. Il est possible que ce peu
d’attention qui lui a alors été portée soit la contrepartie de sa fidélité et de
57
l’assurance qu’avait l’État que ses habitants constitueraient toujours l’un de
ses principaux soutiens. De fait, elle était alors considérée comme un fief du
Parti socialiste destourien32, le parti unique au pouvoir, devenu en 1988,
après l’« év iction » de Bourguiba et l’accès à la magistrature suprême de Ben
Ali, le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD). Plusieurs
personnalités influentes, originaires de ce gouvernorat, ont ainsi pu accéder à
de hautes responsabilités au sein de l’appareil de ce parti tout en gardant et
affirmant leur lien et attachement à leur région. De toute manière, ce n’est que
grâce à ces liens que leur légitimité pouvait être garantie et maintenue. Et ce
sont justement ces personnalités politiques nationales qui, outre les
responsables régionaux et locaux (de l’État et du Parti), assuraient
l’intermédiation entre la population locale et le pouvoir régional et local. On
pourrait même dire que, dans des circonstances « normales », ils exerçaient
un véritable monopole de l’intermédiation.
Dans ce contexte, la prééminence des structures tribales dans la société a
favorisé le développement, de la part du RCD, d’un clientélisme qui a revêtu
une ampleur bien supérieure à ce qu’il a pu être dans les autres régions du
pay s. Le parti a en effet maillé le territoire du gouvernorat avec plus de 610
cellules de base en 2008, ce qui en fait, par le nombre de cellules, le deuxième
de tout le pay s — après Sfax, mais alors que sa population n’atteint pas les
400 000 habitants tandis que celle de Sfax en compte 800 00033.
58
Le pouvoir politique a réussi, grâce au rôle qu’ont joué les structures du
Parti et les responsables locaux et régionaux, à maintenir la paix sociale
durant des décennies, malgré la situation économique et sociale désastreuse
que connaissait ce gouvernorat. Son caractère rural dominant et la faiblesse
de son urbanisation ont été probablement des facteurs qui expliquent que ce
mode de régulation politique ait permis que se prolonge durant de longues
années — du moins jusqu’à la fin des années 1980 — une forme de paix sociale.
De fait, jusqu’à la fin de cette décennie-là, les revendications de la population
n’ont jamais pris la forme de protestations collectives dirigées contre le
pouvoir central. La manière dont l’intermédiation agissait parvenait toujours
à régler les différends entre pouvoir local et régional d’un côté et population
d’un autre côté. Et quand les responsables régionaux du Parti ne parvenaient
pas à régler eux-mêmes ces différends, ils avaient recours à des personnalités
politiques nationales originaires du gouvernorat, lesquelles, en règle générale,
parvenaient à négocier un compromis acceptable par les différentes parties.
Les gouverneurs éprouvaient une réelle crainte envers ces personnalités, vu
leur influence au niveau local et vu que, à cause des liens tribaux qui les
reliaient aux arouch les plus puissants, ils disposaient d’une capacité de
mobilisation et de manipulation extrêmement grande. Les gouverneurs
savaient aussi qu’ils possédaient des relations très étroites avec les plus hautes
sphères du pouvoir au niveau central et qu’ils devaient donc s’en méfier.
59
Il faut bien être conscient encore de ce que, dans le mode de régulation
politique auquel nous faisons référence pendant cette période, le pouvoir
régional faisait toujours des concessions et ne prenait jamais l’initiative de la
confrontation, tant il était convaincu des risques qu’il aurait pris à s’attaquer
de front à des populations qui étaient toujours prêtes à mobiliser les
solidarités tribales contre le pouvoir central. On peut donc attribuer à ces
deux facteurs — un appareil du Parti très puissant et exerçant sa domination y
compris sur les représentants de l’État ; une volonté d’év iter les
confrontations directes avec les arouch et la population — l’indifférence —
apparemment étonnante dans un pay s dont on disait le pouvoir « fort » et
« autoritaire » — du pouvoir régional et des structures de l’État face à
l’accaparement frauduleux et illégal des terres publiques, d’abord par les
60
Réseaux partisans et intermédiation : le rôle des
structures de base du parti dans le contrôle socio-
politique des quartiers populaires
ruraux déshérités portés par la migration et venus s’installer en v ille, puis par
les résidents en v ille eux-mêmes, mais aussi par de nombreux responsables
politiques et élus ou cadres municipaux 34. C’est ainsi que sont apparus, puis
développés, des quartiers non réglementaires qui ont fini par occuper des
centaines d’hectares. Ce laisser-faire des différents pouvoirs en place ne
saurait être attribué à une faiblesse quelconque, puisque ceux-ci disposaient
de tous les moy ens pour contrôler et faire respecter les règles et normes, y
compris ceux de maintien de l’ordre et, éventuellement, de répression.
D’ailleurs, lorsqu’il le voulait — c’est-à-dire lorsqu’il considérait que la
décision qu’il prenait était indispensable pour asseoir sa légitimité —, ce même
pouvoir était capable de prendre des décisions concernant par exemple la
démolition de constructions ou de logements35.
Il s’agit donc, en quelque sorte, d’un pacte tacite passé entre le pouvoir (v ia
ses responsables régionaux), les structures partisanes et les principaux
acteurs sociaux en tant qu’ils portent la parole de la population : le laisser-
faire et la non-intervention à l’encontre de tous les agissements de la notabilité
politique (locale et régionale) d’un côté contre la garantie du maintien de la
paix sociale et politique et la non-revendication de demandes ou de projets
dont la satisfaction dépasserait les moy ens de l’État central, de l’autre côté.
61
À Sidi Bouzid-Ville, les pratiques clientélistes sont anciennes. Elles sont
apparues en effet pratiquement dans le même temps où la v ille a commencé à
se développer, concomitamment donc à l’occupation illégale des terrains
appartenant au domaine de l’État ou à celui de la municipalité. Et, très v ite,
pour se « couvrir » et « s’assurer » contre le déguerpissement, les sous-
fractions ont compris l’utilité de pousser à la création de cellules de base du
Parti. Les démarches que cela nécessitait leur permettaient aussi d’établir des
liens avec le pouvoir local représenté par el omda36 (chef de secteur) et le
délégué. C’est pour cette raison que la population ne formulait au grand jour
aucune revendication tant que le quartier n’avait pas réellement commencé à
prendre forme et que ceux qui y v ivaient n’étaient pas très nombreux.
62
Une fois que la mainmise du groupe (sous-fraction) sur le terrain est assurée
et dès que ce groupe juge le noy au de constructions suffisamment étoffé,
commence alors une longue bataille pour bénéficier de la reconnaissance d’un
statut d’occupation par les autorités locales ou régionales. Les revendications
des habitants portent d’abord, en règle générale, sur le branchement à
l’électricité domestique — une revendication dont ils savent d’expérience
qu’elle reçoit très souvent une réponse positive et que les branchements
peuvent être réalisés assez v ite avec cet av is favorable. Les revendications
sont transmises par la cellule du Parti, qui les porte à l’instance hiérarchique
immédiatement supérieure, à savoir celle de la Confédération37 locale ; celle-
ci la transmet à l’Administration, en l’occurrence au délégué, tout en
informant simultanément la structure régionale du Parti, qui est le Comité de
coordination (dont le territoire d’intervention est le gouvernorat).
63
C’est ainsi que, en 197 6, les habitants du quartier Ennour-Ouest, qui
commençait juste à prendre forme sur un terrain appartenant à l’État qui sera
ultérieurement cédé à la municipalité, ont exigé des responsables régionaux
du Parti la création d’une cellule de base du PSD. Comme il leur fut donné
64
satisfaction, ce fut la première cellule créée dans un nouveau quartier — la
seule existante avant cette date était la cellule « historique » de Sidi Bouzid,
qui avait été constituée en 1951. Elle serv ira de relais pour transmettre les
doléances des habitants de ce quartier au pouvoir local38. Peu après, les
habitants du quartier Ennouamer suiv irent cet exemple : installés loin du
centre-v ille, eux aussi sur des terrains accaparés de l’État dans les années
197 0, ils constituèrent en 197 9 leur cellule pour obtenir la protection du Parti
contre un éventuel délogement. Même schéma pour ce qui concerne la cellule
du quartier Aouled Belhedi : encore un quartier installé sur des terrains de
l’OTD, encore un quartier à la marge de la v ille, et encore une cellule créée en
1980 en vue de se protéger. Le président de la cellule, O. Belhedi, élu dès la
création de celle-ci, le restera pendant plus de 30 ans — en fait jusqu’à la
dissolution du RCD en février 2011 — et aura été, tout ce temps, un ardent
défenseur du quartier auprès des autorités.
La situation se présente un peu différemment dans les quartiers Aouled
Chelbi, Fray jia, Ennour-Est et El Khadra. Jusqu’en 1983, ceux d’entre leurs
habitants qui étaient des adhérents du Parti dépendaient de la cellule de Sidi
Bouzid-Centre. À cette date, la Confédération locale prit la décision de créer
deux nouvelles cellules afin de mieux encadrer la population de ces quatre
quartiers : la première fut appelée Sidi Bouzid-Est et elle couvrit Ennour-Est et
El Khadra ; la seconde prit le nom de Sidi Bouzid-Ouest et elle chapeauta
Aouled Chelbi et Fray jia. En vérité, les militants les plus actifs de ces quartiers
voulaient se détacher de la cellule-mère et espéraient chacun en créer une
nouvelle, mais la population des quartiers était trop limitée et le nombre de
militants trop faible pour justifier un tel fractionnement, d’où est née l’idée
d’un regroupement des quartiers deux à deux. Il fallut ensuite attendre 1988
pour qu’El Fray jia dispose d’une cellule propre, et 1995 pour qu’El Khadra
bénéficie de la même organisation.
65
Les cellules créées et la sécurité foncière mieux assurée, les habitants
commencent à exercer des pressions pour bénéficier des infrastructures ou
des équipements pour le développement desquels l’État s’efforce de mobiliser
les financements nécessaires. À Fray jia, le quartier s’est considérablement
densifié et c’est à ce moment-là que la cellule a été créée (1988), mais les
conditions de v ie s’y étaient aussi beaucoup dégradées, le quartier ay ant été
laissé pratiquement à l’abandon. Habitants et responsables du Parti
espéraient, par la création de la cellule, pouvoir compter sur une structure
forte pour être en situation de pouvoir négocier avec l’État leurs
revendications. Dans le quartier Brahmia, né en 197 4 d’une opération de
recasement des habitants des gourbis, la cellule a été constituée en 1984 et les
demandes envers les autorités sont de même nature et sont formulées de la
même manière que celles qui émanent du quartier Fray jia.
66
Ainsi se confirment les analy ses de M. Chabbi (2012b), lequel constate, à
partir de plusieurs cas qu’il a étudiés à travers toute la Tunisie, que « la cellule
dev ient une structure-relais pour acheminer les revendications des habitants
en direction des responsables politiques. Cette stratégie des habitants procède
d’une logique fondée sur une recherche de proximité avec les organes de
l’État-Parti afin de bénéficier des infrastructures, des équipements socio-
collectifs et de la réhabilitation du quartier ».
67
Pour les habitants, tous les moy ens sont bons pour faire pression sur les
autorités locales et régionales. Ils profitent par exemple des v isites des
responsables politiques et des réunions organisées par le Parti, surtout en
période électorale, pour exiger que leur quartier occupe une place de choix
dans la programmation de tel ou tel programme de développement régional
ou dans le tableau de bord des financements du Fonds de solidarité nationale
68
La réhabilitation urbaine : une réponse imposéeen fonction du nouveau contexte socio-économique et politique
Le contexte de l’émergence des politiques de
réhabilitation des quartiers populaires
(FSN)39, ce qui lui permettrait d’être prioritaire pour bénéficier d’une
connexion au réseau d’eau potable ou à celui d’électricité. Une fois les travaux
réalisés et les branchements, par exemple, effectués, les habitants considèrent
que leur quartier a désormais été reconnu de fait par les autorités et ils
passent alors à l’étape suivante, qui consiste à réclamer la régularisation légale
de la parcelle sur laquelle ils ont construit. Ils s’adressent pour ce faire au
gouverneur en lui demandant d’intervenir auprès de l’autorité centrale —
c’est-à-dire auprès des ministères compétents, à Tunis — pour engager la
procédure de déclassement de la propriété publique et sa cession à la
municipalité ou au conseil régional, afin que ces derniers les cèdent ensuite à
des prix sy mboliques aux habitants du quartier.
Au terme du processus, la décision de régularisation foncière de certains
quartiers a été prise au niveau central, suite aux démarches engagées en 2002
par le gouverneur de l’époque, très interventionniste, auprès du ministre des
Domaines de l’État et des Affaires foncières. Démarches, on l’aura compris, qui
ont été entreprises sous la pression constante des habitants et des structures
du Parti aux différents niveaux. Les premiers bénéficiaires en furent les
quartiers El Khadra, Aouled Chelbi et Fray jia, trois quartiers pauvres et
« réputés » par leurs niveaux de délinquance et de criminalité. Les opérations
commencèrent le 2 août 2003 juste après que le gouverneur eut annoncé qu’il
avait été destinataire de demandes — officielles, donc — de régularisation
émanant des occupants de ces quartiers. Le prix du mètre carré a été fixé pour
les terrains bâtis et destinés à l’habitation à 5 dinars tunisiens (DT)40 et pour
les terrains non bâtis à 10 DT41 . Le prix des terrains bâtis à caractère
commercial a été établi à 10 DT et celui des terrains non bâtis destinés au
même usage a été fixé à 15 DT. Au prix du marché, le mètre carré de terrain
valait à peu près, à cette époque, 7 0 DT. Les premiers titres fonciers — une
dizaine environ —, établis au nom de chefs de ménage occupant une parcelle,
ont été distribués dans le quartier El Khadra à l’occasion d’une cérémonie
sy mbolique organisée par le gouverneur et qui — est-ce un hasard ? — a eu lieu
la veille des élections municipales de 200542.
69
Par son usage sy stématique, pour ne pas dire sa manipulation, des réseaux
partisans, puis par la décision qu’il a prise — non pas spontanément, mais sous
l’effet de fortes pressions sociales — de s’engager dans une politique de
régularisation foncière, le pouvoir politique est parvenu, pendant deux à trois
décennies, à maintenir sur Sidi Bouzid un contrôle social plutôt efficace, étant
entendu que celui-ci passait, entre autres, par le maintien de son emprise
politique sur les habitants des quartiers populaires.
70
Après l’échec des politiques répressives dirigées, dans les années 1960,
contre les gourbiv illes et qui consistaient à détruire les baraques et à renvoy er
leurs habitants dans les régions supposées être celles de leur origine — toutes
opérations menées avec une grande v iolence et, parfois, avec le concours de
l’Armée —, l’État s’est trouvé obligé, dans la première moitié de la décennie
71
La mise en œuvre de cette politique à Sidi Bouzid : le
cas de la réhabilitation des quartiers Aouled Belhedi et
Frayjia
197 0, de reconsidérer ses rapports avec les groupes sociaux qui v ivaient dans
ce ty pe de quartier et à abandonner le parti-pris des démolitions
sy stématiques (Chabbi, 1999). Dans un nouveau contexte caractérisé par
l’adoption d’un modèle économique libéral, commence alors à se faire jour, en
matière urbaine, une attitude de plus grande tolérance des autorités envers
l’habitat non réglementaire.
Or c’est justement à cette période-là que s’est enclenché le rapide processus
d’urbanisation de Sidi Bouzid, dont nous avons déjà rappelé les principales
causes (inondations de 1969, création du gouvernorat de Sidi Bouzid et
désignation de la petite v ille de Sidi Bouzid comme son chef-lieu).
72
En effet, à la suite des événements du 26 janvier 197 8 et surtout pendant les
années 198043, l’État a pris conscience qu’il lui fallait intervenir rapidement
dans ces quartiers sensibles en vue d’y améliorer les conditions de v ie des
habitants, en espérant que ces actions suffiraient pour éliminer les causes
susceptibles d’alimenter le mouvement de contestation sociale. Encouragé par
la Banque mondiale, il prit alors la décision de définir, puis de mettre en
œuvre, une nouvelle politique v is-à-v is de ces quartiers dont la composante
principale était celle de la réhabilitation44. C’est de ce moment-là que datent
les premiers Projets de développement urbain (PDU), qui ont bénéficié d’un
financement de la Banque mondiale45. En fait, une des particularités de ces
PDU de première génération, en particulier du Deuxième PDU (mis en œuvre à
partir de 197 8), réside dans sa volonté affichée de régulariser la situation
foncière. Cette option a toutefois été abandonnée, au moins partiellement, lors
du Troisième PDU (mis en œuvre en 1985), et définitivement à l’occasion du
lancement du Quatrième PDU.
73
L’État a donc mis officiellement fin à ce programme en 1985. La raison
principale en fut le désengagement de la Banque mondiale, qui surv int en
outre dans un contexte très grave de crise économique, financière et sociale
qui contraignit la Tunisie à accepter, cette année-là, un Programme
d’ajustement structurel (PAS) imposé par cette institution internationale et le
FMI.
74
Les premiers quartiers à avoir bénéficié d’opérations de réhabilitation à Sidi
Bouzid sont ceux, limitrophes, d’Aouled Belhedi et Fray jia.
75
Ces quartiers éloignés du centre de la v ille étaient extrêmement insalubres
et leurs infrastructures se trouvaient dans un état déplorable. Selon une
enquête réalisée en 1986 par l’organisme public chargé de la réhabilitation,
l’ARRU46, 30 % des logements ne disposaient pas de sanitaires, 35 % n’avaient
pas de cuisine à l’intérieur de la baraque, 43 % n’avaient pas accès directement
à l’eau potable et 20,5 % n’étaient pas branchés au réseau électrique. Bien
év idemment, le quartier ne disposait d’aucun réseau d’assainissement et la
totalité de la voirie était constituée de pistes en terre, pleine de fondrières et
très difficilement utilisables pendant les périodes pluv ieuses.
76
Le premier des quartiers concernés par la réhabilitation fut celui d’Aouled
Belhedi. Le développement de ce quartier s’était effectué de manière
spectaculaire, le nombre de ses baraques étant passé de 62 en 197 0 à 353 en
197 6 et à 604 en 1985. Installé sur des terres appartenant à l’OTD, l’État a
convaincu cet Office de céder à la municipalité 195 ha afin d’apurer la situation
77
Le Programme national de réhabilitation des quartiers
populaires : portée et limites
« Le changement opéré le 7 nov embre 1 987 interv ient dans cecontexte socio-politique ; mais, en dépit de l’état de grâce dontbénéficiaient les nouv eaux dirigeants de l’État, les élections de 1 989et la recrudescence des actes de v iolence commis par les islamistes,fortement implantés dans les quartiers populaires, allaient
foncière des occupants de fait.
Pour l’un et l’autre de ces quartiers, les opérations de réhabilitation ont
commencé en 1987 , dans le cadre du Quatrième Projet urbain. Il s’est agi
d’aménager les infrastructures essentielles (assainissement et voirie) et de les
doter en équipements socio-collectifs de base. Simultanément, des crédits
étaient attribués à des ménages à faibles revenus pour qu’ils engagent
l’amélioration de leurs logements.
78
L’investissement total s’est monté à un peu plus de 900 000 DT (ARRU,
2013). Les dépenses les plus lourdes ont concerné l’assainissement
(branchement de 47 9 logements), la construction de voies de circulation
praticables en toutes saisons, l’extension du réseau d’eau potable,
l’installation de 97 points lumineux pour l’éclairage public et, en matière
d’équipements, la construction d’une école primaire. Pour l’amélioration des
logements, il a été distribué environ 17 0 000 DT sous forme de crédits.
Toutefois, malgré l’importance des sommes consenties en faveur de cette
double opération, elle n’a réellement contribué à réhabiliter que 10,9 ha à
Fray jia sur les 20 ha que couvrait le quartier, et 17 ,9 ha à Aouled Belhedi sur
les 55 ha occupés par le quartier dans son ensemble. Au total, donc, ce
programme n’a pas réussi à concerner plus de la moitié des 1500 logements
qui composaient à l’époque ces deux quartiers.
79
L’ouverture de la voirie a nécessité la démolition totale ou partielle d’un
nombre non négligeable d’habitations, ce qui a suscité une opposition
farouche d’une partie de la population du quartier Aouled Belhedi, laquelle a
essay é de bloquer le projet (Zaafouri, 1999). La crainte était forte, en effet, que
ces démolitions ne fassent qu’anticiper sur leur év iction du quartier. Par
conséquent, l’ARRU a été contrainte de rév iser son programme et de stopper
les démolitions — lesquelles n’ont finalement concerné, en totalité, que 3
baraques, tandis que 29 autres étaient affectées partiellement (Nciri, 2003).
L’arrêt des démolitions a calmé les craintes de la plupart des habitants qui ont
alors reconnu que le projet de réhabilitation revenait bien à ce que leur
occupation des terrains soit acceptée et à ce que leurs conditions de v ie soient
améliorées, ce qui signifiait donc une reconnaissance effective du quartier et
de leurs droits sur le sol de la part des autorités.
80
Après la chute du régime de Bourguiba en 1987 et l’arrivée au pouvoir de
Ben Ali, le nouveau contexte politique tunisien est marqué, entre autres
choses, par la montée des mouvements islamistes, désormais fortement
implantés dans les quartiers populaires de la capitale et des grandes v illes.
C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre l’attention extrême accordée par
le pouvoir politique à la réhabilitation de ces quartiers : celle-ci dev ient un
mode de régulation politique essentiel et c’est sans doute la raison principale
qui explique l’apparente facilité avec laquelle la Tunisie a pris acte du
désengagement financier de la Banque mondiale dans les projets de
développement urbain que les deux partenaires avaient conjointement
définis. Comme l’écrit M. Chabbi (1999) :
81
contraindre l’État et le RCD à inscrire la réhabilitation des quartierspopulaires parmi leurs priorités. L’exigence de régulation sociale, auregard des contraintes socio-politiques, les obligea à définir, en 1 989,des propositions qui débouchèrent sur le PNRQP [Programme nationalde réhabilitation des quartiers populaires] dont la mise en œuv re
correspondait au VIIIe Plan de dév eloppement économique et social ».
C’est ainsi que les quartiers populaires sont devenus un enjeu fondamental
que, chacun de leur côté, le pouvoir, via son encadrement administratif, les
forces de répression, les structures de contrôle social (comités de quartiers) et
les instances partisanes du RCD, et les islamistes essay aient de gagner à sa
cause.
82
Le PNRQP est lancé officiellement en 1992 sur un financement exclusif du
budget de l’État. La première phase (entre 1992 et 1996) a concerné 223
quartiers, la deuxième (entre 1997 et 2001) 248 quartiers — dont celui
d’Ennour-Ouest à Sidi Bouzid —, tandis que le PNRQP 3 (entre 2003 et 2007 ) a
programmé la réhabilitation de 248 quartiers supplémentaires, dont — pour
ce qui nous importe ici — ceux d’El Khadra et d’El Filahi. Enfin le quatrième
PNRQP (entre 2007 et 2012) a permis la réhabilitation de 229 quartiers
supplémentaires.
83
À la différence des projets réalisés dans le cadre des PDU, ceux financés sur
le PNRQP se limitent impérativement à la réalisation d’infrastructures
(principalement voirie et assainissement), ce qui présente plusieurs
avantages : ils peuvent être engagés rapidement et sans que des enquêtes
socio-économiques préalables, lourdes et coûteuses, aient à être effectuées ; la
question du foncier n’étant pas abordée, les contestations sont limitées et les
négociations plus courtes ; enfin, le coût des opérations est moins onéreux
que lorsqu’il s’agit de réhabiliter des constructions. Au total, ces projets
peuvent donc être lancés simultanément en grand nombre, rendant de ce fait
v isible en de multiples lieux la sollicitude de l’État envers les populations
pauvres : ainsi, entre 1992 et 2012, 948 quartiers seront l’objet de projets de
ce ty pe. Il convient d’ajouter que leur montage financier impose une
participation des communes (30 % du montant à la charge de la municipalité
au titre de l’autofinancement) et mobilise, sous forme de crédits, les
ressources de la Caisse des prêts et de soutien des collectiv ités locales47 (37 %
du montant sous forme de prêts à la commune), le solde, soit 33 %, étant à la
charge du budget de l’État — cette contribution prenant la forme d’une
subvention versée par l’État à la commune par le biais de la CPSCL.
84
À Sidi Bouzid, la fin de la décennie 1980 révèle une situation difficile.
D’abord, les résultats des élections législatives de 198948 provoquent un choc
retentissant, compte tenu de l’ampleur du vote en faveur des islamistes dans
une v ille qui passait pour être l’un des fiefs les mieux établis du RCD. Ensuite,
en janvier 1990, la v ille est sérieusement touchée par de graves inondations :
on compte plusieurs morts, surtout des femmes et des enfants, mais aussi des
éléments de la Protection civ ile49, ce qui vaut aux autorités régionales
l’accusation de ne pas avoir porté suffisamment rapidement et suffisamment
efficacement secours aux sinistrés. Et les accusations les plus v irulentes, les
expressions les plus v ives du mécontentement, émanent des habitants des
quartiers non réglementaires les plus touchés par la catastrophe naturelle, à
savoir ceux d’Ennour-Ouest, Ennour-Est, El Khadra et Aouled Belhedi.
85
Ce mouvement de contestation a été sévèrement réprimé, plusieurs jeunes
ly céens et chômeurs ay ant été arrêtés, traduits en justice et, pour certains,
condamnés50.
86
Deux raisons principales expliquent que les tensions soient
particulièrement fortes dans ces quartiers : en premier lieu, plusieurs d’entre
87
Le PDUI du quartier El Khadra : une réponse
d’envergure au mouvement de contestation populaire
eux n’ont pu faire précédemment l’objet de programmes de réhabilitation
parce qu’ils n’avaient pas de réseaux d’assainissement, alors que l’ex istence de
ceux-ci constitue (en principe) un préalable aux opérations d’aménagement et
d’amélioration des constructions ; et, en second lieu, parce que, situés à
proximité de la digue de protection contre les inondations51 , ce sont eux qui
ont subi le plus de dégâts, tel Ennour-Ouest, par exemple. Pour essay er de
désamorcer les mécontentements, les autorités ont obtenu, en 1995,
qu’Ennour-Ouest soit intégré dans le Programme national d’assainissement
des quartiers populaires (PNAQP) dont la réalisation est de la responsabilité
de l’Office national de l’assainissement (ONAS). Cette opération est prévue en
deux tranches, pour un coût total de 7 60 000 DT. Une fois ces travaux
achevés, la réhabilitation du quartier a pu être engagée dès 1997 , dans le
cadre du PNRQP 2 : 360 000 DT de crédits ont été consacrés à l’amélioration
de la voirie et à l’éclairage public.
Le PNAQP a également financé des opérations dans le quartier Brahmia, là
encore en deux tranches, l’une en 1997 et l’autre en 1998, pour un total de 214
000 DT, ainsi que dans le quartier Aouled Belhedi, où une extension limitée du
réseau d’assainissement, effectuée en 2001, n’a nécessité que 7 4 000 DT.
88
Quant à El Filahi, il s’agit d’un petit quartier qui s’est constitué
postérieurement à 197 5 sur 11 ,5 ha et qui regroupait en 2013 un peu plus de
2 000 ménages (2 109 exactement, avec une densité de 32,2 logements à l’ha)
(ARRU, 2013). Il est situé dans la partie la plus méridionale de la v ille, aux
limites du périmètre communal, au-delà donc du quartier Aouled Belhedi. Les
aménagements qui y ont été programmés, tardivement, reproduisent
cependant le même ordre que celui que l’on a déjà vu pour Ennour-Ouest :
d’abord l’assainissement dans le cadre du PNAQP — effectué en 2001 pour
133 000 DT d’investissement —, puis la réhabilitation proprement dite : en
2003 ici, pour un coût relativement élevé (418 000 DT) car les travaux
effectués ont été plus diversifiés que d’habitude : aménagement de la voirie sur
3 500 m linéaires, aménagement de trottoirs, éclairage public (18 points
lumineux) et extension du réseau d’assainissement (sur 435 m linéaires).
89
Le quartier El Khadra est celui qui a posé le plus de problèmes aux autorités
qui ont eu du mal à l’intégrer dans quelque programme que ce soit parce que
sa situation foncière n’était pas apurée. Pour cette raison, il a fallu passer
outre les critères de sélection pour parvenir à l’intégrer finalement au
PNRQP 3, grâce à quoi il a été possible de le faire bénéficier de près de
850 000 DT d’investissement, dont la plus grande partie a été consacrée à
l’amélioration de la voirie (660 000 DT), tandis que le reliquat servait à
l’éclairage public et à une extension mineure du réseau d’assainissement
(464 m linéaires). Mais parce que les autorités locales et régionales étaient
bien conscientes que cet effort n’était pas en mesure de constituer une
réponse satisfaisante à la grav ité de la situation urbaine du quartier, et à celle,
socio-économique, de ses habitants, elles sont parvenues à le faire inscrire
dans une opération-pilote de développement urbain initiée par l’État en 1993,
à savoir le Programme de développement urbain intégré (PDUI). Dans le cadre
de ce programme, il était en effet possible de mobiliser des sommes nettement
supérieures à celles permises par d’autres programmes et de les déploy er plus
largement pour des actions plus diversifiées.
90
Le PDUI a été lancé à l’échelle de la Tunisie en 1993. Son objectif était de91
favoriser l’émergence d’une dy namique de développement local, dont l’une
des principales composantes était la création d’emplois dans des secteurs qui
permettraient à la v ille de mieux ray onner sur sa région environnante. Ce ty pe
de programme v isait aussi l’amélioration de l’intégration des quartiers qui en
bénéficiaient au reste des v illes ou des agglomérations dont ils font partie, ce
qui doit passer par une amélioration des infrastructures, surtout celles
permettant la circulation et les échanges (voirie), mais aussi celles qui
autorisaient une sensible amélioration des conditions de v ie (écoulement des
eaux pluv iales, éclairage public, assainissement, etc.). Le PDUI prévoit
également la construction d’équipements socio-collectifs, dans le but d’év iter
que les quartiers concernés ne soient totalement privés de serv ices publics,
étant bien entendu que ce financement ne peut être accordé qu’en
complément d’autres programmes de développement urbain ou
d’investissements qui auraient été décidés par les ministères sectoriels
(Ministère de l’Équipement, 2012). Dans ce ty pe de programme, enfin, le volet
socio-économique est particulièrement important : s’il met certes l’accent sur
l’amélioration des conditions d’habitat des populations démunies, il considère
surtout que — et c’est sa principale originalité — pour parvenir au but
recherché, la priorité consiste à favoriser l’augmentation des ressources des
ménages, que ce soit par la création d’emplois (y compris dans le secteur
informel), la promotion de l’artisanat et des petits métiers, la sy stématisation
de la pluri-activ ité, la formation professionnelle, la distribution de micro-
crédits, etc.
Le PDUI regroupe 37 projets dont la réalisation a été entreprise en trois
temps : 3 projets-pilotes, pour expérimenter, en 1993, puis 11 projets lancés
en 1995 (dont celui d’El Khadra) et, enfin, 23 projets en 1997 . L’enveloppe
globale est de l’ordre de 100 millions de DT, principalement obtenus auprès
des bailleurs de fonds internationaux (FADES, BAD, AFD, etc.)52. Le
Commissariat général au développement régional (CGDR) est responsable de
sa mise en œuvre. Au total, ce programme a touché 31 communes, 17
gouvernorats et 290 000 habitants.
92
El Khadra est le seul quartier de Sidi Bouzid à avoir bénéficié d’un PDUI. On
en a déjà indiqué les raisons objectives : degré d’urbanité tout à fait
inacceptable, mauvais indicateurs socio-économiques tels qu’un chômage très
élevé ou encore un niveau de délinquance jugé préoccupant. Mais, au-delà de
ces manifestations révélant une situation sociale très grave, la véritable raison
pour laquelle le quartier a été « classé » parmi les (rares) bénéficiaires du
PDUI tient à la forte présence des islamistes et à la remarquable percée qu’ils y
ont effectuée à l’occasion des élections législatives de 198953. Cette situation
témoignait de leur profond ancrage dans la population et ne pouvait plus être
considérée comme un simple épiphénomène.
93
Le quartier El Khadra occupe 80 ha. En 1994, il compte 7 451 habitants
répartis entre 1426 ménages et 1390 habitations (CGDR, 1994)54. Il est
composé de plusieurs sous-fractions tribales, dont les deux principales sont :
les Aouled Bouallègue, originaires de la délégation de Rgeb et installés dans
une cité qui porte leur nom à l’est du quartier ; et les Aouled El Gharbi,
originaires de Sidi Bouzid-Ouest, v ivant dans une autre cité portant également
leur nom et située à l’ouest du quartier.
94
Les enquêtes conduites auprès de la population confirment la grav ité de la
situation socio-économique et le retard éducatif. Sur 2 47 5 actifs, 7 38 (soit
près du tiers) se déclarent au chômage. Parmi ceux-ci, les jeunes sont les plus
affectés, puisque les deux-tiers des chômeurs ont moins de 30 ans et que ceux
âgés de 18 à 24 ans représentent près de la moitié du total des chômeurs
déclarés ! Il est vrai que la population compte plus de 50 % d’analphabètes et
95
La crise de l’État-Parti et le
que seulement 36 % des habitants ont un niveau d’éducation équivalent au
primaire (Nciri, 2003). Les actifs sont très majoritairement (57 ,5 %)
« ouvriers », mais la catégorie est un fourre-tout qui inclut les ouvriers
agricoles, les manouvriers du bâtiment, la plupart des petits métiers, les
occasionnels, les ambulants, une partie des artisans, etc. Pour le reste, on
compte 18,5 % de fonctionnaires — mais il s’agit probablement de ceux qui
sont au bas de l’échelle de la fonction publique : policiers de base, chaouchs,
petits agents de l’administration, etc. —, 11 ,3 % de commerçants, 7 ,3 % de
membres des professions libérales et 5,2 % d’employ és dans les serv ices.
Compte tenu des enjeux que représentait El Khadra pour l’État, on peut dire
que celui-ci y a « mis le paquet » : au titre du PDUI, il a mobilisé 3 millions de
DT, dont 1 million pour les infrastructures, près de 7 00 000 DT pour les
équipements socio-collectifs et pratiquement encore plus d’un million pour le
développement économique !
96
En vérité, l’État et les autorités régionales n’ont pas attendu 1995 pour
s’intéresser au quartier d’El Khadra, tant ils étaient préoccupés par ce qui s’y
passait. Dès 1993, il a été demandé à l’ONAS d’engager des études techniques
pour l’extension du réseau d’assainissement — qui, à l’époque, ne desservait
que 550 habitations, soit à peine le tiers du total — et de calculer le coût d’une
desserte totale. Ces études étaient indispensables pour préparer le dossier et
le transmettre au CGDR en vue de l’élection du quartier au PDUI.
97
Par ailleurs, le PDUI lui-même n’a pas constitué une fin en soi et le quartier a
été, simultanément ou par la suite, éligible à d’autres projets : il fait partie, en
1997 , de la 3e phase du PNRQP, avant que, en 2003, les autorités régionales
parv iennent enfin à régulariser sa situation foncière.
98
Dans le même temps où l’État mobilisait les grands moy ens, le RCD
s’efforçait de reprendre le contrôle politique de la population. La première
cellule de base « autonome » est créée dans le quartier en 1995 — jusqu’en
1994, il relevait de la cellule de Sidi Bouzid-Est et, précédemment encore, de
celle de Sidi Bouzid-Centre. Pour certains responsables locaux et pour de
nombreux habitants, le retard apporté à l’équipement du quartier et aux
conditions de v ie des occupants s’expliquerait par l’absence d’un « relais »
politique efficace, absence qui aurait été favorisée par la trop grande
dépendance du quartier de structures partisanes qui n’avaient pas
suffisamment d’ancrages locaux et qui, de ce fait, ne manifestaient pas assez
d’attention à ceux qu’elles ambitionnaient de représenter.
99
L’amélioration de l’encadrement partisan s’est accompagnée du
déversement plus abondant, plus régulier, plus v isible, de la manne fournie
par les différents programmes d’aide sociale mis en place par le Président lui-
même, les différents ministères ou les organismes de mobilisation de la société
civ ile étroitement liés au RCD (Union des femmes tunisiennes, Union
tunisienne de solidarité sociale, Association des mères, etc.). Ces aides,
financières ou en nature, étaient fournies à l’occasion des fêtes nationales, de
la rentrée scolaire, du Ramadan, de l’Aïd, du Mouled (anniversaire du
Prophète), ou à d’autres occasions plus particulières ou plus locales. Au bout
de quelque temps, le quartier fut considéré par les responsables du Parti
comme l’un des plus fidèles de toute la v ille ; ses habitants participaient
massivement aux campagnes électorales et ils étaient devenus facilement
mobilisables lorsque les responsables faisaient appel à eux 55.
100
développement du mouvement decontestation populaire : la répliquedes quartiers populaires
Une crise multiforme (sociale, économique etpolitique) et ses effets au plan local
L’affaiblissement de l’appareil de l’État-Parti et le
tarissement de ses ressources clientélaires
La v ille de Sidi Bouzid, avec sa structure sociale si particulière (prégnance
des liens de parenté, grande force des arouch), une pauvreté et un chômage
frappant une grande majorité de sa population et des conditions d’habitat à la
fois illégales et très dégradées, constituait un milieu favorable au
développement de mouvements de contestation dans le champ socio-
politique. De fait, une sorte de contre-pouvoir a commencé à y prendre forme
dès le début des années 1980, particulièrement dans les milieux du
sy ndicalisme (principalement enseignant et étudiant), en profitant de la crise
de l’État-Parti et du sensible recul d’influence du RCD. On peut dater le début
de cette transformation du cadre socio-politique de la période qui fit suite aux
inondations de janvier 1990 et des manifestations qu’elles provoquèrent au
sein de la population.
101
Comment une v ille, fief du Parti depuis l’Indépendance du pay s et quasi
indéfectible soutien du pouvoir depuis la même époque, a-t-elle pu se
transformer, en si peu de temps, en une cité rebelle et entraîner la chute du
régime ?
102
Pour tenter de répondre à cette question, il est primordial d’analy ser pour
commencer les développements survenus sur la scène politique et
économique au niveau national au cours des dernières années qui ont précédé
le moment de la « révolution ». Puis, dans un second temps, il convient de
comprendre comment a évolué le contexte local et comment les
« incompréhensions » ont grandi entre la population et le pouvoir central,
« incompréhensions » apparues à l’occasion de divers événements dont le
traitement n’a manifestement pas répondu aux attentes locales.
103
Le PSD, devenu en 1988, à la suite du Congrès du Salut, le RCD, a perdu avec
le temps l’éclat qu’il tirait de son histoire et de la force de son idéologie
nationale telle qu’elle avait été forgée par Bourguiba. Il avait toutefois
conservé, plus ou moins, puissance et prestige jusqu’à ce que ce dernier,
premier Président de la République tunisienne, soit destitué de sa fonction par
le « coup d’État » du 7 novembre 1987 (Lahmar, 2011). Après cette date, qui
marque la prise de pouvoir de Ben Ali, le Parti est devenu un appareil dans
lequel devaient obligatoirement entrer — pour y faire carrière — tous ceux qui
désiraient accéder à des postes de responsabilité politique ou dans la haute
fonction publique. Une telle situation résulte, d’un côté, du croisement
structurel, organisationnel même pourrait-on dire, entre le Parti et les
institutions de l’État, et, d’un autre côté, de l’absence totale de partis ou
institutions politiques concurrents ; sa principale conséquence en fut un
gonflement considérable des adhérents, dont le nombre a atteint les 2,2
104
« Au nom des militants de base du RCD, je v oudrais exprimer monindignation quant à la situation dans laquelle se trouv e notregouv ernorat. Nous subissons, en tant que militants, les pressionsdirectes de nos adhérents et des habitants de nos quartiers qui nousharcèlent pour trouv er à leurs enfants du trav ail. Nous av ons perdula face env ers eux, et nous ne pouv ons plus nous confronter à eux.Nous v oudrions que v ous transmettiez nos doléances à monsieur lePrésident [de la République] parce qu’il n’y a plus de confiance dansnos représentants et nos élus »56.
millions en 2008 — pratiquement le quart de la population tunisienne ! —, soit
le double de ce qu’il rassemblait en 1989. Quand un tel chiffre est atteint, on
peut considérer que le sy stème clientéliste fonctionne à plein à tous les
niveaux et dans tous les secteurs de la société, dans toutes les régions et dans
toutes les instances décisionnelles, qu’elles soient politiques, économiques,
financières ou sociales.
Cela n’a cependant pas empêché qu’une crise interne n’affecte l’appareil du
Parti dès 2001. Elle commença à prendre forme lorsqu’il fut décidé
d’organiser un référendum constitutionnel afin de permettre au président de
la République de se présenter en 2004 pour un quatrième mandat
présidentiel, alors que, en principe, la Constitution le lui interdisait. Plusieurs,
parmi les adhérents du Parti, qui constituaient son élite, en particulier
intellectuelle, n’étaient pas d’accord avec ce projet, mais l’aile la plus dure au
sein de la direction politique emporta la décision.
105
Dans les diverses régions du pay s, le RCD perd alors de sa popularité et de sa
notoriété, notamment dans les v illes. Selon ses responsables locaux, cette
évolution s’expliquerait par le fait que l’Administration n’accordait plus de
faveurs aux structures locales du Parti. Il est certain, en effet, que
l’augmentation exponentielle du nombre d’adhérents ne permettait plus de
satisfaire toute les demandes qui, dans le cadre d’un sy stème clientéliste, ne
manquent pas de s’exprimer.
106
À Sidi Bouzid, les cadres du Parti firent état, lors de réunions organisées
avec le gouverneur, du grand embarras qui était de plus en plus le leur envers
leurs adhérents, dont un nombre sans cesse croissant considérait que les
différentes instances régionales et nationales du RCD ne contribuaient plus à
résoudre leurs problèmes quotidiens (en particulier, quand il s’agissait de
trouver du travail pour leurs enfants) et n’apportaient pas de réponses
satisfaisantes à leurs attentes. Pour les cadres du RCD, là était la principale
cause du recul de la popularité du Parti et de la perte d’un grand nombre de
ses adhérents. Une militante de base, enseignante, déclare ainsi :
107
La chute de popularité du RCD s’est vérifiée en deux occasions successives,
une première fois au cours de l’été 2005, une deuxième courant 2010,
lorsqu’il fallut, l’une et l’autre fois, procéder au renouvellement des structures
de base du Parti57 . À ces occasions, on a pu constater d’abord, mais avec un
certain étonnement, que plusieurs réunions des cellules de base de la région
de Sidi Bouzid s’étaient tenues à huis clos et que, bien qu’il s’agisse de réunions
statutaires, elles n’avaient donné lieu à aucune élection pour renouveler leurs
bureaux, faute de candidatures suffisantes. Dans ce cas, le responsable de la
cellule se contentait de lire les deux rapports réglementaires, à savoir le
rapport moral et le rapport financier, puis il annonçait le nom des « élus » au
bureau de la cellule — ce qui, dans les circonstances spéciales dans lesquelles
avaient lieu ces réunions, revenait à confirmer les noms qui figuraient sur une
liste préparée à l’avance et qui étaient juste présentée aux participants à la
réunion de la cellule. Ceci étant, un même phénomène de désengagement ou
d’abstention volontaire était observé, à la même période, dans bien d’autres
108
« Il était temps que le pouv oir central prenne conscience de lasituation de notre région qui est restée marginalisée pendant desdécennies. Personne n’a v oulu nous entendre ni satisfaire nosdoléances. Regardez la région de Gafsa et la zone minière! En deuxans, des milliers d’emplois ont été créés et des centaines de millions dedinars tunisiens ont été inv estis. Nous étions conv aincus que lepouv oir ne bougerait que sous la pression. Et s’il n’y av ait pas eu cegrand mouv ement de protestation de nos v oisins de Redey ef en200859, rien n’aurait été fait [dans la région minière]. Sidi Bouzid nepeut plus attendre, c’est l’occasion ou jamais qu’on doit saisir pourbénéficier enfin d’une plus grande attention de la part du Président ».Entretien av ec A.K.N., 20 décembre 201 0
lieux que dans la v ille et le gouvernorat de Sidi Bouzid, ce qui n’a pas manqué
d’interpeller et même d’inquiéter sérieusement les responsables du RCD au
niveau central (Tunis). Ceux-ci ont alors fait pression sur les responsables
régionaux pour qu’ils ouvrent une nouvelle fois les candidatures et qu’ils
mettent tout en œuvre pour organiser des élections.
Deux raisons principales expliquent, nous semble-t-il, que les liens qui
unissaient ces responsables locaux et régionaux du Parti à la population des
quartiers populaires se soient affaiblis : tout d’abord, le fait que beaucoup,
parmi les dirigeants « de base », aient changé en quelques années. Ceux qui
constituaient la notabilité locale, qui étaient connus pour les liens étroits
qu’ils entretenaient avec les responsables nationaux du Parti et dont
l’influence s’exerçait efficacement sur les sous-fractions tribales dont ils
étaient issus, avaient cédé la place à un nouveau ty pe de dirigeants, plutôt peu
expérimentés et ne disposant que d’une faible capacité mobilisatrice — en
quelque sorte des responsables dont la légitimité était fragile. En fait, les
modes de fonctionnement du Parti faisaient que les nouveaux dirigeants
n’avaient pas besoin de construire leur légitimité en dehors de lui, mais
seulement dans le jeu d’appareil. La seconde raison, qui découle toutefois en
partie de la précédente, réside en ce que plusieurs de ces responsables avaient
mauvaise réputation dans les quartiers qu’ils étaient censés représenter et
qu’ils n’exerçaient pratiquement aucune influence sur la population à cause de
la longue période pendant laquelle ils avaient été à la tête de leurs cellules.
Certains parmi eux, en effet, avaient été président de leur cellule pendant 20
ans et plus : au bout de tout ce temps, ils apparaissaient totalement coupés de
la population (et de ses préoccupations principales) et, pire encore, ils avaient
progressivement perdu toute crédibilité aux y eux de leur famille élargie. Il est
vrai que, dans un Parti bureaucratisé, l’absence de jeu démocratique faisait en
sorte que les dirigeants, surtout dans les zones rurales et dans les petites
v illes, étaient sy stématiquement reconduits tant que la direction centrale
n’exigeait pas leur remplacement, ce qui conduisait presque naturellement à
l’apparition d’un hiatus entre ces dirigeants et « la base ».
109
Par conséquent, lorsque le mouvement de protestation s’est déclenché le 17
décembre 201058, ces responsables locaux furent dans l’incapacité d’en
comprendre les raisons, d’amorcer le dialogue avec la population et, in fine,
de le contenir. En outre, les anciens responsables du RCD, c’est-à-dire ceux qui
avaient encore une certaine crédibilité, ont observé durant toute la durée des
événements une totale neutralité, en refusant de porter secours aux
responsables régionaux en place. Dans les premiers temps de ce mouvement
« révolutionnaire », un de ces anciens responsables nous a ainsi déclaré, pour
justifier sa « passiv ité » :
110
La notabilité locale s’est donc trouvée prise dans les jeux d’alliances et de
solidarité tribale et lignagère. Elle a pris une position de neutralité durant les
111
Difficultés économiques et crise du secteur informel
« La détérioration du solde commercial, la réduction des programmesinternationaux de dév eloppement ont contribué à fragiliser uneéconomie qui présente par certains aspects les désav antages d’uneéconomie de rente (prédominance du tourisme, dépendance à l’égarddes ressources extérieures, faible productiv ité, étroitesse du marchéintérieur, omniprésence d’une bourgeoisie parasitaire dilapidant lesprofits, rackettant les entrepreneurs, monopolisant les marchés) ».
« l’informel n’est pas seulement toléré en fonction de son rôle desoupape des tensions sociales, il est même “organisé” par les autorités :à preuv e, l’installation de postes de douanes sur la ligne de Mareth63,[c’est-à-dire] à l’intérieur [même] du territoire national, la libertéaccordée aux J’faris64 de v endre des produits sans autorisationpréalable ni fourniture de factures, ou encore l’institutionnalisationdes souks Liby a65 ».
événements pour ne pas compromettre ces liens sans pour autant désavouer
le Parti et/ou le pouvoir politique.
Mais lorsque ces événements prirent une nouvelle tournure, gagnant en
violence et prenant plus d’ampleur, puis dépassant le cadre de la v ille pour
embraser l’ensemble du gouvernorat — la première v ictime fut tuée par balle
par la Garde nationale à Menzel Bouzaïane, le 24 décembre —, la donne
changea radicalement. Tous les responsables susceptibles d’être entendus de
la population, qu’ils soient sur place ou résidant à Tunis, se sont mobilisés
pour rétablir le calme et l’ordre, mais en vain. Le mouvement avait pris une
envergure nationale et, même, internationale et ses enjeux dépassaient
désormais, et de loin, le seul cadre de la v ille et du gouvernorat de Sidi Bouzid.
112
La crise financière internationale de 200860, même si elle n’a pas affecté
directement le sy stème monétaire tunisien, n’en a pas moins eu, au moins
indirectement, des effets négatifs sur l’économie nationale.
113
Ainsi, la baisse du pouvoir d’achat en Europe a-t-elle entraîné la diminution
des recettes touristiques et celle des commandes bénéficiant à plusieurs
centaines d’entreprises industrielles installées en Tunisie et travaillant, sous le
régime spécial des entreprises exportatrices, pour des clients ou des donneurs
d’ordres européens. Au plan national, deux années de mauvaises récoltes
(2008-2010) se sont succédé, provoquant une réduction de la contribution de
l’agriculture à la production nationale et favorisant une augmentation des
importations de produits agricoles (céréales en particulier). Au bout du
compte, l’économie tunisienne a enregistré une baisse sensible de son taux de
croissance (3,1 % seulement en 2009 contre une moy enne de 5 % lors des
précédentes années), ce qui s’est automatiquement répercuté sur le niveau du
chômage, en hausse sensible au niveau national61 . Pour autant, comme le
rappellent M.B. Ay ari et al. (2011), la dégradation de la situation économique
ne doit pas tout au contexte international ou à la climatologie :
114
L’on sait par ailleurs que, dans bon nombre de v illes du Centre et du Sud de
la Tunisie, c’est le secteur informel qui assure la surv ie d’un grand nombre
d’habitants, souvent plus de la moitié de la population urbaine62. Il est vrai
que si l’on en croit R. Tabib (2011, p. 302) :
115
Or ce secteur a été sévèrement touché par différentes mesures, en premier
lieu desquelles peuvent être placées les restrictions imposées à la circulation
des hommes et des marchandises par les autorités douanières liby ennes au
116
« Lorsque les autorités liby ennes ont imposé une taxation sur noscamionnettes et ont limité le nombre d’articles qu’on pouv aitimporter, nous fûmes obligés d’abandonner cette activ ité. L’opérationn’était plus rentable. Donc, moi-même, originaire de la délégation deRgeb [dans le gouv ernorat de Sidi Bouzid], je me suis conv erti entransporteur de marchandises pour le compte d’un agriculteursfaxien installé dans ma localité. Mon chiffre d’affaires a beaucoupdiminué. Toutes les personnes pour lesquelles je ramenais auparav antdes marchandises de Liby e av aient changé d’activ ité et ne mecommandaient donc plus rien, et beaucoup d’autres étaient auchômage ou étaient parties s’installer à Sfax ». Entretien av ec N.D.,nov embre 2009
mois d’octobre 2009. En effet, la Liby e a imposé aux divers ressortissants
étrangers l’obligation d’être en possession d’un v isa pour entrer sur son
territoire. Elle a en outre exigé le pay ement d’une taxe de 150 DT pour tout
véhicule devant entrer dans le pay s. Enfin, les commerçants qui fréquentaient
la zone frontière tuniso-liby enne, autour du poste de Ras Jdir, se v irent
interdire, par les autorités liby ennes, d’exercer toute activ ité commerciale.
Ainsi, le commerce de contrebande, qui porte sur des volumes considérables,
et le trafic de dev ises, extrêmement actif tout autour de Ben Gardane, ont été
sérieusement perturbés. Toutes ces mesures ont abouti à une paraly sie totale
des activ ités du côté tunisien, puisque les voy ageurs tunisiens ne pouvaient
plus franchir la frontière sans avoir obtenu le fameux v isa et que les
marchandises en provenance de Liby e ne pouvaient plus, non plus, la passer.
S’il ne fait aucun doute que ces décisions ont été prises pour des raisons
internes à la Liby e, il ne s’en trouve pas moins que, survenues à la veille du
démarrage de la campagne pour les élections présidentielle et législative en
Tunisie, elles ont eu des répercussions év identes sur celles-ci.
À Ben Gardane, la seule véritable v ille située à proximité immédiate de la
frontière, la réaction du « Cartel de la frontière » et de sa principale
composante, à savoir les sarrafa touazines (Tabib, 2011 , p. 288)66, ne s’est pas
fait attendre et elle a été v iolente. Cet acteur de première importance a en effet
pu facilement mobiliser, en plus des employ és placés sous ses ordres, les
commerçants itinérants ainsi qu’une bonne partie des commerçants
travaillant au souk de la v ille, soit env iron un millier de personnes qui se sont
ainsi trouvé engagés dans cette confrontation. Cet imposant mouvement de
protestation a contraint les autorités régionales à exercer de fortes pressions
sur le pouvoir central pour trouver une solution rapide à une situation jugée
inacceptable. Mais si l’intervention personnelle de Ben Ali auprès de Kadhafi a
abouti à la suppression presque immédiate de l’obligation de v isa, elle n’a pas
permis de revenir sur la taxation des véhicules. Quant aux sarrafa et
commerçants grossistes de Ben Gardane, ils ont contourné les interdictions
pour continuer leur trafic67 . Toutefois, les solutions originales qu’ils ont
adoptées n’étaient pas reproductibles par les commerçants en provenance des
autres régions du pay s — principalement des gouvernorats de Sidi Bouzid,
Kasserine et Kairouan —, obligés que ceux-ci étaient d’avoir recours à des
véhicules utilitaires ou à des camionnettes ; du coup, ils ont été éliminés de
cette activ ité. Force leur fut donc faite de trouver d’autres sources de revenus
pour rembourser leurs dettes envers les sociétés de leasing68. Un ancien
transporteur nous précise le sy stème :
117
Or, ceux qui s’approvisionnaient ainsi en Liby e, en utilisant les serv ices de
transporteurs motorisés, se comptaient par milliers dans la Tunisie centrale et
méridionale, voire au-delà, car ce sont eux qui alimentaient (en produits de
contrebande ou pas) tout le circuit des souks hebdomadaires. Sarrafa,
118
Frustration économique et difficultés sociales : la crise
de l’emploi des jeunes
commerçants grossistes, transporteurs-intermédiaires, soukiers et
consommateurs sont donc durement touchés par ces mesures, même s’ils ne
le sont pas tous de la même manière et avec la même intensité.
Un deuxième épisode de tensions apparaît un an et demi à peine plus tard,
au mois d’août 2010. Des restrictions sont cette fois imposées par les autorités
liby ennes à l’encontre des exportations de marchandises de ce pay s vers la
Tunisie. À nouveau, la colère gronde à Ben Gardane, les protestations se
développent jusqu’à ce que des centaines de jeunes, les uns travaillant
directement pour les chefs du Cartel de la frontière, les autres utilisés comme
porteurs, attaquent en soirée les postes chargés d’assurer la sécurité de la
frontière et le contrôle douanier69. Plusieurs voitures appartenant à des
ressortissants liby ens furent alors attaquées, bloquées et empêchées de
continuer leur route par des émeutiers et ces v iolences provoquèrent en
réaction une riposte très dure des forces de sécurité. Et, pratiquement pour la
première fois à Ben Gardane, cet enchaînement de protestations-répression-
manifestations a duré plusieurs semaines, pratiquement tout le mois de
Ramadan.
119
Mais outre la zone frontalière tuniso-liby enne, ce sont tous les gouvernorats
de la Tunisie intérieure, et particulièrement ceux du Centre-Ouest, qui ont
subi de plein fouet les répercussions de cette crise du « commerce informel »
dont la durée a, par ailleurs, été exceptionnellement longue (octobre 2009-
décembre 2010). Et le gouvernorat de Sidi Bouzid s’est trouvé être en
première ligne des v ictimes de cette situation.
120
Le ministère de l’Emploi et de l’Insertion professionnelle des jeunes, inquiet
de la situation sociale, a commandité en 2004 une étude sur la population
active au chômage en Tunisie, étude réalisée avec l’appui de la Banque
mondiale7 0. Il en ressort que, à cette date, le taux moy en de chômage atteint
14 % des actifs. En 2008, le nombre absolu de chômeurs est de 522 300, parmi
lesquels 128 100, soit 21 ,6 %, sont des diplômés de l’enseignement supérieur.
Le chômage frappe massivement les jeunes diplômés immédiatement après
l’obtention de leur diplôme, mais, phénomène plus grave, il ne diminue que
très lentement avec le temps : ainsi, plus du tiers des diplômés sont au
chômage 18 mois après avoir été diplômés, mais au bout de trois ans et demi,
ils sont encore 29 % ! D’une manière générale, les jeunes sont plus affectés par
le chômage que les adultes : le taux de la tranche d’âge 18-29 ans est le triple
de celui des adultes. Si l’on se place maintenant dans une perspective
évolutive, c’est le taux de chômage des jeunes diplômés de l’enseignement
supérieur qui augmente de manière spectaculaire, passant de 3,8 % en 1994 à
10,2 % en 2004 pour atteindre 19 % en 2007 (MEIPJ et Banque mondiale,
2009). Les données relatives à 2010 indiquent que le seuil des 20 % a même
été dépassé, puisqu’elles mesurent ce taux à 22,9 % (Enquête nationale sur
l’emploi, 2010). Cette dégradation de la situation s’explique certainement par
l’accroissement rapide des étudiants, dont le nombre est passé de 121 800 en
1997 à 336 000 en 2007 , mais aussi, et surtout, par l’incapacité du marché du
travail national à absorber désormais, chaque année, le flux des diplômés — ne
serait-ce même qu’une fraction notable de ce flux.
121
Dans le gouvernorat de Sidi Bouzid, la situation est encore bien plus grave
du fait de la faiblesse du tissu économique. L’agriculture et l’élevage
constituent les activ ités dominantes du gouvernorat. Pour la v ille de Sidi
122
L’espace local (Sidi Bouzid) : un terrainfavorable au déclenchement d’un mouvementde contestation populaire
Le temps d’un relatif équilibre politique et social : une
régulation à peu près efficace
Bouzid, ce sont le secteur tertiaire et le commerce informel qui prédominent.
Parce que le marché de l’emploi local est très peu actif, les diplômés du
supérieur ne trouvent pratiquement aucune opportunité pour y entrer : en
2010, ils sont 40,2 % à être en situation de chômage. Sur l’ensemble du
gouvernorat, on compterait à la même date, selon le ministère de l’Emploi et
de l’Insertion professionnelle des jeunes (MEIPJ), 3 312 diplômés du
supérieur au chômage sur un total de 5 017 demandeurs d’emploi, soit 66 % —
une proportion considérable ! La seule délégation de Sidi Bouzid-Ouest — qui
inclut la v ille de Sidi Bouzid7 1 — concentre 993 diplômés chômeurs, soit près
de 30 % du total de cette catégorie. Pourtant, malgré leur ampleur, aucun de
ces chiffres ne reflète la réalité du chômage dans la région, du fait qu’un grand
nombre de jeunes ne recourt jamais au bureau de l’Emploi pour s’y faire
connaître et inscrire comme demandeur d’emploi7 2. Ils estiment en effet que
cette inscription ne revêt aucun intérêt pour eux, à la fois parce que la
structure est très peu efficace pour les aider dans leur recherche et parce que,
puisque l’allocation de chômage n’existe pas en Tunisie, faire des démarches
pour simplement être inscrit dans un listing est quelque chose qui leur semble
totalement inutile.
123
Le niveau effectif du chômage des jeunes ne sera mieux appréhendé
qu’après la « révolution ». À sa suite, en effet, les diplômés vont se précipiter
vers les bureaux de l’emploi pour s’y inscrire dans l’espoir de trouver du
travail. Du coup, en 2011, sur les 13 560 chômeurs enregistrés pour tout le
gouvernorat, 10 156, soit près de 7 5 %, sont des diplômés de l’enseignement
supérieur7 3.
124
Le droit au travail a été proclamé par les manifestants durant les premiers
jours de la révolte. Les jeunes diplômés, venus de toutes les délégations, ont
afflué vers le siège du gouvernorat de Sidi Bouzid dès le 23 décembre [2010],
pour exiger un travail. En une seule journée, le gouverneur et ses adjoints ont
reçu plus de 1200 jeunes diplômés dans la grande salle du gouvernorat7 4. Les
jours qui ont suiv i, l’affluence des jeunes n’a pas diminué, ce qui a contraint les
autorités régionales à demander à ces jeunes de se diriger prioritairement vers
les sièges des délégations pour y déposer leurs dossiers. Ce ty pe de
manifestation, porteur des mêmes revendications, s’est rapidement propagé à
travers tout le territoire tunisien et a concerné tous les gouvernorats sans
exception.
125
La v ille de Sidi Bouzid, comme nous l’avons déjà rappelé, est une v ille dans
laquelle le Parti — PSD à l’origine, puis RCD — a des racines fortes, une
légitimité bien établie et des relais efficaces grâce aux notables qui en sont
membres. Ceci a fait en sorte que, pendant plusieurs décennies, l’encadrement
politique corsetant la population par ce Parti a fonctionné de manière plutôt
satisfaisante — pour ses responsables, bien sûr —, tandis que les autorités
représentant l’État, les serv ices à leur disposition, ainsi que les pouvoirs
municipaux assuraient les fonctions de gestion politique et administrative par
126
Le temps de la contestation (les événements de janvier
1990)…
des séries de compromis qui, s’ils exigeaient parfois des négociations
complexes, aboutissaient cependant à maintenir à peu près les principaux
équilibres. Ces compromis participaient à la fois d’un mode de régulation
politique dans lequel le foncier jouait le rôle principal et d’un mode de
régulation sociale où ce rôle était rempli par la réhabilitation des quartiers,
principalement de ceux qui, à l’origine, étaient de statut non réglementaire.
Ainsi s’explique que Sidi Bouzid n’ait serv i que rarement de cadre à des
mouvements de protestation sociale jusqu’à la fin des années 1980, la seule
exception notable étant la grève des ouvriers agricoles survenue au mois de
décembre 197 7 7 5, un mois avant les événements du 26 janvier 197 8.
Après ces événements, il y eut un rapide retour au calme et l’on en rev int
aux modes de régulation « classiques » dont l’efficacité fut pendant longtemps
suffisante pour que Sidi Bouzid ne soit affectée ni par les événements du 26
janvier 197 8, ni par ceux du 3 janvier 1984 — que nous avons déjà évoqués et
qui sont connus sous le nom d’« émeutes du pain ».
127
On peut penser, a posteriori, que le premier grand moment de rupture dans
l’« histoire » politique et sociale de Sidi Bouzid, du moins en ce qui concerne
les rapports de la population aux autorités politiques, se situe en janvier 1990,
lors des mouvements de protestation qui ont fait suite aux inondations de ce
mois-là — des événements que nous avons déjà évoqués dans ce qui précède.
Il s’agissait d’un mouvement spontané d’habitants v ivant dans les quartiers
populaires les plus sérieusement affectés par la montée des eaux et où les
pertes humaines et les dégâts matériels avaient été les plus importants. La
répression par les forces de l’ordre a été très dure et le nombre d’arrestations
auxquelles elles ont procédé a pu être considéré comme étonnamment élevé.
Il est possible que cette rigueur s’explique par le fait que, pour la première fois
à Sidi Bouzid, les sy mboles du pouvoir ont été les cibles des manifestants,
ceux-ci ay ant attaqué le siège du gouvernorat, envahi, puis saccagé, la
résidence du gouverneur et brûlé plusieurs véhicules appartenant à l’État.
Toute cette énergie contestataire de la population, concentrée sur les
sy mboles de l’État, porte témoignage du réel divorce qui s’était établi entre
elle et le Pouvoir, alors que, phénomène apparemment étonnant, le siège
régional du Parti (RCD), pourtant tout proche de celui du gouvernorat, n’a pas
été menacé.
128
Le pouvoir politique a très v ite accusé le mouvement islamiste Ennahda7 6
d’avoir fomenté ces émeutes ou, à tout le moins, d’avoir instrumentalisé les
effets des inondations. Il ordonna l’arrestation de 28 personnes7 7 , qui
passèrent en jugement — en état de liberté, toutefois —, sauf 3 d’entre elles, en
fuite, qui furent jugées par contumace. Parmi les personnes arrêtées, cinq
étaient connues pour être membres du mouvement Ennahda, mais, pour les
autres, aucune n’avait d’appartenance politique, sy ndicale ou associative, à
l’exception d’un enseignant du secondaire. Ces arrestations, largement
arbitraires, ont donc choqué.
129
Le profil des personnes arrêtées n’est cependant pas neutre ! Pratiquement
les deux-tiers étaient des jeunes âgés de moins de 30 ans, pour la plupart
ly céens, chômeurs ou journaliers, tous sans casier judiciaire. Le tiers restant
était par contre composé d’adultes, âgés de 32 à 45 ans, ouvriers journaliers
ou chômeurs et tous en possession d’un casier judiciaire. En termes de lieux
de résidence, pratiquement toutes les personnes arrêtées v ivaient dans des
130
Le temps de la révolte : le mouvement protestataire de
juin et juillet 2010
Photographie 3. Sit-in des membres des familles Bouazizi et Horcheni, sur leursterres de Rgeb (gouvernorat de Sidi Bouzid), pour protester contre la saisie par laBanque nationale agricole (23 juin 2010).
quartiers mal intégrés, principalement Aouled Belhedi, Ennour-Ouest, Fray jia,
El Khadra, Ennaouamer ; quelques-uns, peu nombreux, v ivaient en centre-
v ille, tandis que trois jeunes étaient originaires des zones rurales du
gouvernorat (Sidi Bouzid-Est et Rgeb).
Les chefs d’accusation ne furent pas identiques pour tous les accusés,
exception faite de ceux de participation à une manifestation armée et de
transport prohibé de cadavres — ceux des v ictimes des inondations — en
cortège. Sinon, six d’entre eux (ceux qui appartenaient au mouvement
Ennahda) furent accusés d’incitation à un rassemblement armé et 15 autres
d’atteinte à la propriété d’autrui, de vol après effraction d’un domicile et
d’embrasement de biens mobiliers appartenant à autrui.
131
Au terme de la procédure juridique, la Cour d’appel de Gafsa rendit son
jugement en 1991 : sept acquittements, des peines de un à deux ans de prison
pour les autres, exception faite des trois accusés jugés par contumace qui
furent condamnés à dix ans de prison.
132
Le message se voulait clair pour la population. Du point de vue des
autorités, les peines n’étaient pas excessives, mais se voulaient un rappel à
l’ordre suffisamment fort à un moment où la stratégie du pouvoir politique
envers les islamistes était en train de changer, toute activ ité politique leur
étant désormais interdite. Leurs principaux dirigeants seront d’ailleurs
activement recherchés, les uns partiront à l’étranger et les autres seront
arrêtés et incarcérés peu de temps après.
133
Vingt ans après les sanglantes confrontations de janvier 1990, le
mouvement de contestation a repris dans un climat social et politique bien
différent, et sensiblement plus tendu.
134
À l’origine des événements de l’été 2010, une relativement banale affaire de
confiscation de terrains agricoles, situés dans la délégation de Rgeb, au
bénéfice de la Banque nationale agricole (BNA) pour cause de non pay ement
de tranches de crédits par leurs propriétaires. Les deux familles concernées,
celle de S. Bouazizi et M. Horcheni, habitent le quartier Ennour-Ouest. Elles
estiment être v ictimes d’une arnaque qui a profité à un homme d’affaires
sfaxien, lequel aurait bénéficié des complaisances du serv ice juridique de la
BNA, de l’expert chargé d’étudier le dossier et d’évaluer la valeur des biens
concernés, ainsi que de celle du tribunal de première instance de Sidi Bouzid.
En conséquence, les deux familles refusent de restituer leurs propriétés et
entament un sit-in à partir du 23 juin 2010 sur leurs terres, sit-in auquel
participent une cinquantaine de personnes, de tous âges (Photographie 3).
135
Source : Page Facebook du site « Solidarité avec les agriculteurs de Rgeb », juin 2010
(administrateur du site : Slimane Rouissi).
Cliché : Ali Bouazizi, juin 2010.
« Au nom de la loi, la BNA nous a priv és de notre propriété sans nousav ertir. Tous ceux qui sont interv enus dans cette opérationd’adjudication7 8 ont été complaisants av ec l’homme d’affaires sfaxienqui a profité de l’affaire. Tous nos recours ont été rejetés par letribunal de Sidi Bouzid et personne n’a v oulu nous entendre. Monterrain est d’une superficie de 20 ha. Il est équipé d’un puits et d’unbassin. J’y ai construit en outre un logement et une écurie. La v aleurde l’ensemble dépasse les 250 000 DT. Or, il a été év alué par l’expertde la Banque à seulement 68 000 DT et cédé, à la seule personne quise soit présentée à l’adjudication, pour 7 1 000 DT. En outre, quandl’adjudication a été annoncée, il fut indiqué que la superficie duterrain n’était que de 2 ha et le jugement d’adjudication, une foisrédigé, reprenait cette même superficie ! Après la conclusion del’affaire, le bénéficiaire a demandé au tribunal de corriger ce qu’il aconsidéré comme une faute matérielle, et il l’a obtenu. Le montant del’adjudication n’a pas été rév isé pour autant ! Or c’est cette mêmepersonne qui a une propriété limitrophe de la nôtre et qui nous av ait,antérieurement, proposé à maintes reprises de nous racheter notreterrain, ce que nous av ons toujours refusé ». Entretien du 25 août201 0 au siège du gouv ernorat de Sidi Bouzid.
Mehdi Horcheni, l’un des protagonistes de cette affaire, est un jeune homme
qui, à ce moment-là, n’a pas encore terminé ses études supérieures du fait de
sa situation sociale. Il nous raconte :
136
Le 15 juillet 2010, un rassemblement d’une centaine de personnes,
membres de la famille élargie des Horchen — dont font partie les deux familles
protagonistes de l’affaire, les Horcheni et les Bouazizi — est organisé devant le
siège du gouvernorat (Photographie 4). Elles réclament de rencontrer le
gouverneur pour qu’il les aide à trouver une solution à leurs problèmes. Mais
le rassemblement est rapidement gonflé par des centaines de personnes qui le
rejoignent, dont beaucoup sont des personnalités connues de la société civ ile
et quelques autres des opposants politiques notoires. Toujours est-il que c’est
la première fois, à Sidi Bouzid, que des citoy ens ordinaires, pas directement
concernés par l’affaire foncière qui a été à l’origine du rassemblement, brisent
le mur de la peur et se montrent prêts à affronter directement le pouvoir
137
Photographie 4. Rassemblement des familles Bouazizi et Horcheni devant le siège dugouvernorat de Sidi Bouzid pour protester contre leur éviction de leurs propriétés.
Cliché : S. Rouissi, juillet 2010.
Le rôle déterminant des quartiers populaires dans le
succès de la révolte
politique.
Cette manifestation a été très brutalement dispersée par les forces de
l’ordre. Le gouverneur, sous la pression, a promis aux principaux intéressés
d’étudier la question et de leur donner le plus tôt possible une réponse.
138
Quelques jours plus tard à peine, le 27 juillet, une seconde manifestation est
organisée à la participation de laquelle ont été inv ités le Secrétaire général de
la section de Tunis d’Amnesty International, plusieurs avocats tunisiens ainsi
que des représentants de divers partis ou mouvements d’opposition. Une
délégation, assistée par une avocate présidente d’une association non
reconnue, a été reçue par le gouverneur, obligé que celui-ci fut de céder à la
pression de la foule après que des palabres eurent duré excessivement
longtemps.
139
Mais, dès le lendemain, 28 juillet, on apprit soudain que le gouverneur de
Sidi Bouzid venait d’être muté à Jendouba (comme gouverneur) et que son
remplaçant était le gouverneur de Médénine7 9.
140
Le 17 décembre 2010, après que la tragique immolation de Mohamed
Bouazizi se fut produite80, les habitants réactivèrent tout le dispositif de
mobilisation mis en place lors du mouvement de protestation du 15 juillet. La
famille des Bouazizi, composée de 49 membres81 , à laquelle s’adjoignirent
nombre d’habitants du quartier Ennour-Ouest, se rassembla dès le début de
l’après-midi devant le siège du gouvernorat. Le nombre de manifestants fut
rapidement grossi par l’arrivée de jeunes commerçants ambulants des
quartiers Ennour-Est et El Khadra, en tant qu’ils se considéraient comme les
« confrères », en quelque sorte, de Mohamed Bouazizi, lui-même marchand
ambulant, et qu’ils voulaient lui témoigner leur solidarité. Vers la fin de
l’après-midi, le nombre des manifestants dépassait les 600. Et l’on pouvait
repérer dans la foule massée devant le gouvernorat les figures de sy ndicalistes
connus de Sidi Bouzid, d’avocats, ainsi que celles de responsables de plusieurs
partis d’opposition.
141
Les trois premiers jours de la révolte ont été marqués par une grande
agitation et un important mouvement populaire qui a touché l’ensemble des
quartiers mal-intégrés entourant le siège du gouvernorat : Ennour-Est et
Ouest, El Khadra, Aouled Chelbi, Fray jia et Aouled Belhedi. La durée du
142
Conclusion : la rupture du pactepolitique entre l’État et Sidi Bouzid
mouvement a pu étonner, surtout ceux qui s’imaginaient que, dans une telle
v ille peuplée d’une telle population, il ne pouvait être autre chose qu’une
flambée sporadique de colère, totalement spontanée et non maîtrisée. Or, on
ne peut comprendre cette capacité du mouvement à durer que si l’on
considère la manière dont les relations de parenté ont été utilisées, ou
instrumentalisées si l’on préfère, pour assurer la connexion, au nom de la
solidarité tribale, entre les familles des quartiers populaires, v ivant dans des
conditions précaires, et les commerçants travaillant dans l’informel.
Les confrontations avec les forces de sécurité ont entraîné l’arrestation de
plusieurs manifestants. Par ailleurs, et ce dès le 20 décembre, le mouvement
de contestation s’est déplacé à l’intérieur des quartiers, à cause du
renforcement du dispositif sécuritaire autour du siège du gouvernorat et au
centre-v ille. Le soir, ces quartiers sont devenus des espaces fermés, à l’abri de
barrières installées à leur entrée et contrôlées par les habitants jusqu’à une
heure avancée de la nuit, de telle sorte que la police ne pouvait y pénétrer.
143
L’agitation extrême, les manifestations, les tensions, la surveillance
policière et la répression, ont duré près d’une semaine, puis les autres v illes du
gouvernorat ont pris la relève. La deuxième semaine, les protestations ont
gagné les unes après les autres toutes les petites v illes du gouvernorat et
même certaines bourgades encore largement rurales. Comme les foy ers de
contestation s’étaient multipliés, les autorités durent alléger le dispositif
sécuritaire à Sidi Bouzid même, ce qui répondait aussi à une demande instante
des responsables sy ndicaux du gouvernorat, relay ée par leur Centrale (UGTT).
144
Une chose est sûre, en tout cas, c’est que la durée des manifestations qui se
sont prolongées sans interruption pendant près d’une semaine, et leur
extension à l’ensemble du territoire de la v ille, une fois que, depuis le centre-
v ille, elles se sont étendues aux quartiers mal lotis et populaires, furent les
facteurs décisifs permettant de comprendre la propagation de la révolte à
travers tout le territoire du gouvernorat82, à la suite de quoi elle a gagné les
v illes voisines du gouvernorat de Kasserine83, puis celles de Jendouba, Gafsa,
Monastir, avant que d’atteindre les petites v illes littorales de La Chebba
(gouvernorat de Mahdia) et de Jbeniana (gouvernorat de Sfax), puis
d’enflammer l’ensemble du territoire national84.
145
En somme, au plan politique, tant le pouvoir central que la direction du
Parti unique se sont tardivement rendus compte qu’ils ne possédaient plus les
clés qui leur avaient permis de faire en sorte, pendant plusieurs décennies,
que les modes « traditionnels » de régulation qu’ils utilisaient maintiennent un
certain équilibre social et politique dans le gouvernorat de Sidi Bouzid — un
gouvernorat dont la fidélité semblait tellement assurée qu’il n’avait pas été
jugé indispensable de lutter sérieusement contre l’accentuation du processus
de marginalisation qui le touchait de plein fouet. Cette perte de légitimité,
amorcée dès le début des années 1990, s’est accentuée tout au long de cette
décennie-là et s’est encore aggravée au début des années 2000. Les forces
sociales qui pouvaient appuy er (ou soutenir) les autorités au niveau local se
sont rétrécies au fur et à mesure que l’appareil politique partisan, représenté
par le RCD et ses cellules de base, s’affaiblissait : perte de militants et
d’adhérents, moindre conviction et moindre engagement de ceux qui
restaient, etc. Dans le même temps, les notabilités locales et les acteurs les
146
AFD Agence française de développement
AFH Agence foncière d’habitation
plus influents de la société durent progressivement laisser la place,
volontairement (effets de l’âge) ou pas, à une nouvelle génération de
responsables en quête de pouvoir, mais dont les principaux éléments
n’avaient aucune crédibilité auprès de la population et n’étaient en mesure
d’exercer aucune influence sur elle : ils se trouvaient donc dans l’incapacité de
jouer le moindre rôle d’intermédiation.
Les objectifs d’intégration sociale qui sous-tendaient les politiques de
réhabilitation des quartiers populaires mises en œuvre pendant la période
197 8-1985, avant qu’ils ne guident de façon plus déterminée, à partir de 1992,
les politiques de régulation sociale (Chabbi, 1999), n’ont pas véritablement été
atteints à cause des moy ens financiers insuffisants dont disposaient ces
programmes — faisant en sorte que les efforts d’équipement ont toujours été
trop mesurés et trop lents — et du trop grand manque d’intérêt accordé à la
création d’emplois pour la population de ces quartiers, ce qui a empêché
d’atténuer, même à la marge, la « panne de l’ascenseur social » qui a
commencé à se faire sentir dans tout le pay s au cours de la décennie 1990. À
Sidi Bouzid en particulier, aucune action de fond n’a véritablement été
entreprise pour élever le niveau de v ie des habitants de ces quartiers ; aucune
amélioration radicale n’a été apportée à leurs conditions d’habitat. Les
différents programmes qui y ont été engagés, que ce soit pour y construire des
équipements, y installer ou y améliorer des infrastructures, ou encore en
réhabiliter les habitations, se sont trop souvent limités à certains d’entre eux
— et parfois, seulement, à quelques secteurs de ceux-ci — et n’ont pas
beaucoup changé le vécu des habitants.
147
Quant au secteur informel qui assurait, vaille que vaille, la surv ie d’une
bonne partie de cette population, il n’a cessé de subir des pressions de toutes
sortes, d’ordre tant interne qu’externe ; les commerçants ambulants, par
exemple, étaient v ictimes de vexations permanentes, de contrôles tatillons et
souvent contraints de pay er des amendes pour mille et une raisons,
injustifiées aux y eux des intéressés. Le chômage des jeunes diplômés du
supérieur avait atteint des proportions alarmantes, sans qu’aucun progrès ne
puisse être env isagé à court ou à moy en terme. La mobilisation de milliers de
jeunes pour exiger leur droit au travail, un mot d’ordre scandé tout au long
des premiers jours de la révolte, exprimait et sy mbolisait en quelque sorte la
crise de la société tunisienne toute entière.
148
La combinaison de ces facteurs a rendu possible la montée de la
mobilisation dans toutes les couches populaires des quartiers périphériques,
quels que soient la situation, l’âge, le lignage, etc., de chacun. Un potentiel
contestataire énorme a ainsi été libéré, qu’aucune personnalité en situation de
médiation, aucune institution, aucune autorité n’était plus en mesure de
canaliser. En outre, dès que le cy cle de la v iolence a été enclenché, une forme
de concurrence s’est établie entre les participants, chacun voulant marquer
d’une manière ou d’une autre sa participation à la révolte et apporter la
preuve de son héroïsme.
149
Le mouvement de contestation du 17 décembre a signé la fin du pacte
politique entre Ben Ali et le pouvoir central d’un côté, et Sidi Bouzid d’un autre
côté, et a ouvert la voie, contre toute attente, à la Révolution du 14 janvier
2011 et à l’év iction du pouvoir de Ben Ali. Les quartiers populaires, bêtes
noires du régime, sont finalement parvenus à faire en sorte qu’il « dégage ».
150
Liste des abréviations utilisées
ARRU Agence de réhabilitation et de rénovation urbaine
ASM Association de sauvegarde de la médina (de Tunis)
BAD Banque africaine de développement
BNA Banque nationale agricole
CGDR Commissariat général au développement régional
CPG
CPSCL Caisse des prêts et de soutien aux collectivités locales
FADES Fonds arabe de développement économique et social
FMI Fonds monétaire international
FSN Fonds de solidarité nationale
INS Institut national de la statistique
MEIPJ Ministère de l’emploi et de l’insertion professionnelle des jeunes
MTI Mouvement de la tendance islamique
ODCO Office de développement du Centre-Ouest
ONAS Office national de l’assainissement
OTD Office des terres domaniales
OTTC Office tunisien de la topographie et de la cartographie
PAS Programme d’ajustement structurel
PDU Projet de développement urbain
PDUI Programme de développement urbain intégré
PNAQP Programme national d’assainissement des quartiers populaires
PNRQP Programme national de réhabilitation des quartiers populaires
Compagnie des phosphates de Gafsa
PRA Plan régional d’aménagement (du Grand Tunis)
PSD Parti socialiste destourien
RCD Rassemblement constitutionnel démocratique
SNIT Société nationale immobilière de Tunisie
UGTT Union générale des travailleurs tunisiens
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Notes
1 Les év énements du 26 janv ier 1 97 8, connus sous le nom d’« év énements du Jeudinoir », se sont déroulés à l’occasion d’une grèv e générale organisée par la centralesy ndicale (unique) de l’époque, l’UGTT (Union générale des trav ailleurs tunisiens).Le sy ndicat v oulait ainsi marquer son opposition à la politique économique libéraledu pouv oir conduite par le Premier ministre du moment, Hédi Nouira. Cetteopposition était, à v rai dire, surtout d’ordre politique, l’UGTT v oulant marquer sonopposition désormais radicale au pouv oir et affirmer son autonomie face à cedernier et au Parti socialiste destourien, auxquels il était inféodé depuis longtemps.La centrale sy ndicale av ait réussi à faire conv erger et à coordonner lesrev endications qui montaient à la suite à l’échec du processus d’ouv erture politique,échec qui av ait conduit à la radicalisation des structures de base de l’UGTT. Ce 26janv ier 1 97 8, donc, jour de la grèv e générale, les habitants des quartiers populairessont v enus en masse dans le centre de Tunis — où se trouv ait le siège de l’UGTT —,où ils ont rejoint les très nombreux sy ndiqués et sy mpathisants qui s’y trouv aientdéjà. Des heurts extrêmement v iolents les ont opposés aux forces de police et auxbrigades de sécurité. Le bilan officiel s’établit à 51 morts et 400 blessés — mais lessources non officielles, reprises par M. Toumi (1 989), font état de 200 morts et1 000 blessés —, sans compter des dégâts matériels considérables : des dizaines dev éhicules brûlés et des centaines de magasins, d’agences bancaires, de bureauxadministratifs, saccagés.
2 Les trois premiers quartiers cités étaient des bidonv illes (appelés « gourbiv illes » à
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Tunis), qui étaient apparus juste av ant, pendant ou juste après la Seconde Guerremondiale. En 1 97 8, ils étaient très largement durcifiés. Le dernier (Ettadhamen)était un quartier de création beaucoup plus récente, non réglementaire au regarddes règles d’urbanisme et de construction, mais dont ceux qui y résidaient av aient,en général, acheté les parcelles de terrain et s’en considéraient comme lespropriétaires légaux.
3 Le territoire tunisien est administrativ ement div isé en 24 gouv ernorats, eux-mêmes partagés en 264 délégations et 2 07 3 secteurs ou imadats (anciennementdénommés cheïkhats). Le nombre de gouv ernorats, fixé à 1 4 à l’Indépendance, a étéporté à 1 5 en 1 97 3, puis à 1 8 en 1 97 4, pour atteindre 1 9 en 1 97 6, 21 en 1 981 , 23en 1 983 et 24 à partir de 2000.
4 Cette prédominance est confirmée par la part importante de la population activ eoccupée dans l’agriculture (48,7 % en 2008, moy enne du gouv ernorat), mais aussipar la superficie des périmètres irrigués (47 000 ha en 201 0 sur un total nationalde 420 000 ha) (Office de dév eloppement du Centre-Ouest, 201 0).
5 En 201 0, l’industrie n’emploie dans le gouv ernorat que 3 668 salariés, dont 1 27 9relèv ent d’entreprises exportatrices — parmi lesquels 1 01 3 sont situés dans desateliers spécialisés dans le textile et l’habillement. Les entreprises employ ant plus de1 0 salariés sont en nombre très limité : 57 à peine, dont 1 5 exportatrices (Office dedév eloppement du Centre-Ouest, 201 0).
6 En Tunisie, la v ille n’existe que comme un fait administratif. Les textes officielsétablissent, en effet, que seules les communes, c’est-à-dire « les agglomérationsérigées en tant que telles par un décret, et par conséquent soumises à la loimunicipale », sont des v illes. En ce cas, elles disposent d’un périmètre municipal,délimité par le ministère de l’Intérieur, et elles sont dirigées par un conseilmunicipal élu et dont le président assure les fonctions de maire.
7 La seule étude consacrée à Sidi Bouzid (alors appelée Gamouda) pendant lapériode coloniale et aux premiers temps de l’Indépendance est un article de P.Bonnenfant et R. Landy publié en 1 97 2.
8 Les données statistiques qui concernent cette première partie ont été empruntéesà H. Nciri, 2003.
9 Ces dons ont été consentis à la municipalité à la suite de pressions exercées surl’État (et les ministères concernés) par les responsables au plus haut niv eau du PSD(Parti socialiste destourien, parti au pouv oir), eux-mêmes fortement « sollicités »par ceux qui, dans ses instances dirigeantes, étaient originaires de Sidi Bouzid(information recueillie, en 201 3, auprès d’un ancien député de Sidi Bouzid, parailleurs membre du Comité central du PSD).
1 0 Selon des informations que nous av ons recueillies, en 201 3, auprès d’un ancienprésident de la municipalité de Sidi Bouzid.
1 1 L’AFH, créée en 1 97 3, est un opérateur public doté de la personnalité civ ile et del’autonomie financière. Elle est chargée d’acquérir des terrains, de produire deslotissements aménagés destinés à la construction à usage d’habitation et de les céderaux particuliers ou aux sociétés de promotion immobilière.
1 2 Entre le 30 décembre 201 0 et le 1 3 av ril 201 1 , 6 gouv erneurs se sont succédé àSidi Bouzid, dont quatre ont démissionné quelques jours seulement après leur prisede fonction sous la pression de la population et des principaux partis politiques alorsactifs dans la v ille. Entre le 2 fév rier et le 1 3 av ril 201 1 , la v ille et le gouv ernoratont même connu une situation absolument unique dans l’histoire de la Tunisieindépendante, puisque, pendant ces 1 0 semaines, il n’y eut aucun gouv erneur enposte, donc aucun représentant officiel de l’État central ! Seuls étaient présents, aucours de cette période, les militaires qui ne pouv aient faire plus que de tenterd’assurer la sécurité des biens et des personnes.
1 3 Il s’agit de terrains inondables, qui sont considérés par le Plan d’aménagementurbain comme non aedificandi. Profitant de la faiblesse, puis de l’absence, de l’État,plusieurs ménages, dont la plupart étaient des locataires installés dans les quartiersEl Khadra, Ennour-Est et Ennour-Ouest, ont squatté des lots de terrain sur lesquelsils ont construit des baraques, transformées par la suite en des constructions en dur.C’est là qu’ils se sont installés av ec leurs familles pour dev enir « propriétaires » av ecl’espoir d’une régularisation ultérieure.
1 4 Notre trav ail s’appuie sur les enquêtes réalisées en 2003 par ce chercheur.
1 5 La région de Sidi Bouzid (« bled Gamouda ») appartient, au moins jusqu’à la findes années 1 960, à ce que certains auteurs qui ont analy sé le sy stème migratoiretunisien qualifient de « Tunisie stable », laquelle s’étend en fait sur une bonne
partie de la Tunisie centrale. Malgré la médiocrité de ses ressources et la pauv retéde sa population, l’exode rural au départ de la zone est faible — et ses destinationsprincipales sont non pas Tunis, comme il est de règle en Tunisie, mais Sfax et lesv illes minières de la région de Gafsa. Plus tard, dans le courant des années 1 97 0, desflux plus notables alimenteront une émigration saisonnière en direction de la Liby e,av ant que toute la région ne soit affectée par un exode intense, lequel, d’ailleurs,contribuera surtout à l’accélération de la croissance de toute une série de petitesv illes et de micro-centres locaux (Signoles, 1 985, pp. 237 -265).
1 6 Aouled Belhedi, Ennour-Est et Ennour-Ouest, Aouled Chelbi, Fray jia et El Filahi.
1 7 Cette délégation a été créée en 1 993.
1 8 En Tunisie, comme dans tout le Maghreb, on appelle « taxiphones » desboutiques où sont installées des cabines téléphoniques et, de plus en plus, des liaisonsinternet.
1 9 La v ille compte en 2004 plus de 1 400 commerçants de détail et 30 grossistes deproduits alimentaires.
20 L’emploi public représentait en 2004 un peu plus de 6 000 postes de trav ail, soit7 3 % de l’ensemble de l’emploi formel de la v ille.
21 La plus importante entreprise industrielle à Sidi Bouzid est une sociétéallemande, produisant, sous le statut d’industrie exportatrice, des jouets. Elle estinstallée depuis 1 97 5. Av ec ses sous-traitants, elle faisait trav ailler, en 201 0, plusde 1 000 personnes.
22 Une tribu est composée de plusieurs arouch (pl. de arch) et chaque arch estconstitué de plusieurs sous-fractions (appelée lahma en arabe), lesquelles sont en faitdes familles élargies. Quant aux familles élargies, elles réunissent plusieurs famillesay ant en principe le même aïeul, mais le nombre de ces familles v arie de telle sorteque les sous-fractions rev êtent des tailles très différentes.
23 La détermination des origines et des liens tribaux a été effectuée à partird’entretiens directs que nous av ons eus av ec quelques personnalités connues dans lav ille, anciennement installées à Sidi Bouzid, et qui appartiennent à ces arouch. Il estd’ailleurs assez extraordinaire de constater que, à Sidi Bouzid, un très grand nombred’habitants a une connaissance presque parfaite — à tout le moins très précise — deses appartenances tribales et que celles-ci demeurent très présentes dans leurquotidien.
24 La sous-fraction des Aouled Belhedi est l’une des sous-fractions les plusimportantes de l’arch des Aouled Aziz ; celui-ci constitue, av ec l’arch des AouledRadhouane, la grande tribu des Hmemma.
25 Au recensement de 1 956, cette population est recensée comme « rurale »puisque la municipalité de Sidi Bouzid ne sera créée qu’en 1 958.
26 L’attribution du statut de municipalités au cours des années 1 990 a concerné,dans le gouv ernorat de Sidi Bouzid, les petits centres de Aouled Haffouz, Essabala,Mazzouna, Ben Aoun et Menzel Bouzaine.
27 Ce discours a été prononcé au Bardo le 1 9 mars 1 97 5. Il se situe,chronologiquement, peu après la décision de créer le gouv ernorat de Sid Bouzid(extrait cité par Zaafouri, 1 999).
28 Logique mise en œuv re dès les premiers découpages administratifs post-Indépendance, particulièrement à l’échelle des délégations et des cheïkhats del’époque.
29 La délégation de Meknessy regroupait, au moment de la création dugouv ernorat de Sidi Bouzid, les deux délégations actuelles de Menzel Bouzaine etSouk Jedid.
30 De la même manière, la délégation de Sidi Bouzid rassemblait les deuxdélégations actuelles de Sidi Bouzid-Est et Sidi Bouzid-Ouest, tandis que celle de BirLahfay englobait aussi celle de Sidi Ali Ben Aoun.
31 En Tunisie, une réforme régionale n’a de fait jamais été v raiment entreprise etla régionalisation des pouv oirs est une notion assez creuse. Pour autant, des conseilsrégionaux ont été institués, au niv eau de chaque gouv ernorat, par le décret du 24mars 1 989, en remplacement des conseils de gouv ernorat. Ils sont présidés par lesgouv erneurs et constitués de membres qui, pour les uns, sont des élus (les présidentsdes communes, les députés) et pour les autres, sont nommés (les présidents desconseils ruraux, par exemple, nommés par les gouv erneurs).
32 Le PSD est la formation politique au pouv oir depuis l’Indépendance. À ce
moment-là, il s’appelait le Néo-Destour (jusqu’en 1 964) et av ait été fondé en 1 934par Habib Bourguiba et d’autres leaders du mouv ement national.
33 D’après les informations que nous a fournies, lors d’un entretien (201 3), unancien secrétaire général du RCD à Sidi Bouzid.
34 Dans le cadre des entretiens que j’ai eus av ec différents acteurs de la v iepolitique de Sidi Bouzid, un ancien président de la municipalité (qui était aussiprésident d’une cellule de base du RCD) m’a confié que lui-même s’était appropriéun lot de terrain appartenant au domaine de l’État afin d’y construire un logement,av ant de régulariser les choses en profitant de ses fonctions officielles (entretien dejanv ier 201 3).
35 Entre 1 994 et 2004, les autorités municipales ont pris 203 arrêtés à l’encontrede constructions non réglementaires (la plupart des décisions concernaient l’arrêtdes trav aux). Les rares arrêtés de démolition n’ont été appliqués que pour des castrès flagrants de constructions empiétant sur la v oie publique ou sur le domainehy draulique (Municipalité de Sidi Bouzid, 201 0).
36 Le omda est le responsable de l’imada ou secteur, qui est la circonscription debase de l’administration territoriale.
37 La Confédération locale est la structure du parti à l’échelle de la délégation ; ellejoue le rôle de relais entre les cellules de base, installées dans les quartiers, et leComité de coordination qui constitue la structure régionale et couv re ungouv ernorat entier.
38 Les informations relativ es à la création des cellules de base du PSD, dev enuescelles du RCD, à Sidi Bouzid ont été collectées en mars 201 3 auprès de certainsanciens responsables locaux du Parti.
39 FSN : le Fonds de solidarité nationale a été créé en 1 992 et cette institutiongouv ernementale reçoit une dotation budgétaire et collecte aussi des dons chaque 8décembre, date anniv ersaire de sa création. Ces ressources sont utilisées à ladiscrétion du Président de la République. Elles serv ent à financer différentesopérations ou à distribuer des aides dans le cadre de programmes de réduction de lapauv reté ou d’amélioration des conditions de v ie des habitants des zones rurales lesplus « en retard » (les fameuses « zones d’ombre ») afin de les désenclav er. Pour lesprogrammes de ces ty pes, en effet, il s’av ère généralement très difficile de financerles inv estissements à partir de crédits obtenus des institutions internationales oudes banques priv ées sur le marché international : ces organismes considèrent eneffet que les inv estissements prév us pour dév elopper les zones rurales ou luttercontre la pauv reté ont un coût trop élev é par habitant pour une rentabilitééconomique insuffisante et que, d’une manière générale, ils ne répondent pas auxcritères imposés. C’est pourquoi il est fait appel au FSN pour suppléer ces sources definancement. Et c’est pour cela aussi que, à partir de 2007 , les financements duFSN ont été réorientés en direction des quartiers populaires des grandes v illes.M. Chabbi (1 999) et J.-M. Miossec (1 999) rendent bien compte du contexte danslequel s’opère cette « prise de distance » des financements de la Tunisie par rapportaux institutions internationales, et le relais alors assuré (dès 2007 ) par le FSN,ainsi que des raisons de cette réorientation majeure de la politique urbainetunisienne. Il conv ient toutefois de noter que, depuis sa création jusqu’à l’év ictiondu président Ben Ali, le FSN n’a fait l’objet d’aucun contrôle ni d’aucune év aluationdes actions qu’il a permises ou au financement desquelles il a contribué.
40 1 dinar tunisien (DT) = 0,44 € en nov embre 201 3.
41 Cette somme correspond au prix à pay er pour l’établissement de l’acte juridiquede régularisation ; ce prix comprend les frais de constitution du dossier delotissement par les serv ices de l’Office tunisien de la topographie et de lacartographie, ainsi que tous les autres frais en relation av ec cette opération.
42 Entretien av ec M.B.S., qui fut gouv erneur de Sidi Bouzid entre 2002 et 2005.
43 Au cours des années 1 980, plusieurs év énements grav es eurent lieu en Tunisiequi mobilisèrent largement les masses populaires contre le pouv oir et mirent cedernier sous tension. On peut citer en premier lieu l’ « affaire de Gafsa », surv enuele 26 janv ier 1 980 lorsque cette v ille fut attaquée par un groupe armé composé deTunisiens et infiltré depuis la Liby e. Le bilan officiel fut de 1 5 morts et 1 6 blessésparmi la population, de 4 tués, 3 blessés et 42 prisonniers parmi les membres ducommando et de 2 morts et 92 blessés au sein des forces de l’ordre et parmi lesmilitaires tunisiens. À la suite de cette attaque, plus de 300 personnes (civ iles)furent arrêtées, dont 240 passèrent en jugement (Toumi, 1 989). Le deuxièmeév énement important concerne les « émeutes du pain » qui éclatèrent en réaction àl’augmentation des prix des produits de base, du fait de la réduction drastique
affectant le montant des subv entions jusqu’alors accordées par la Caisse deCompensation. Manifestations et actions v iolentes apparurent à partir du 27décembre 1 983 et affectèrent plusieurs v illes du Sud et du Centre du pay s,particulièrement Douz, Kébili, El Hamma, Gabès et Kasserine. Le mouv ement deprotestation et les émeutes gagnèrent la capitale le 3 janv ier 1 984. Ici, comme lorsdes év énements de 1 97 8, ce furent les habitants des quartiers populaires de lacapitale qui alimentèrent les manifestations de protestation contre le pouv oirpolitique.
44 Le principe de la réhabilitation a été adopté par les pouv oirs publics tunisiens àla suite de l’échec de leur politique d’intégration sociale sélectiv e priv ilégiant lesclasses moy ennes. Dans les milieux professionnels du pay s, la notion était, àl’époque, déjà connue, ne serait-ce que parce qu’elle av ait été dès 1 97 3 activ ementdéfendue, av ant que d’être mise en œuv re, par l’équipe de l’Association desauv egarde de la médina (de Tunis) (ASM). La réhabilitation des quartiersd’habitat spontané fut par la suite, c’est-à-dire à partir de 1 97 6, défendue par lesspécialistes de l’habitat agissant au sein du District de Tunis et elle figure en tantque telle parmi les priorités affichées du Plan régional d’aménagement (PRA) duGrand Tunis. L’importance attachée à cette politique ne résulte donc ni de sonimposition par la Banque Mondiale ni d’un quelconque suiv isme de propositions quiauraient été formulées par un bureau d’études étranger (Chabbi, 1 999, p. 1 89).
45 Pour plus de détails sur cet historique des politiques de réhabilitation en Tunisie,v oir Chabbi, 1 999 .
46 L’ARRU (Agence de réhabilitation et de rénov ation urbaine) est unétablissement public à caractère industriel et commercial, créé en 1 981 . Elle estchargée d’exécuter la politique de l’État dans les domaines de la réhabilitation et dela rénov ation urbaine, sous la tutelle du ministère de l’Équipement et de l’Habitat.Pour ce faire, elle doit identifier les quartiers à réhabiliter, formuler des propositionsen dégageant les priorités à atteindre et en en identifiant les coûts ; elle doit aussi sepréoccuper des modes de financement. Son interv ention prend le plus souv ent laforme de la maîtrise d’ouv rage déléguée, pour le compte de l’État ou des communes.
47 La CPSCL est un établissement public à caractère industriel et commercial, crééà l’instigation de la Banque mondiale. Il est placé sous la tutelle du ministère del’Intérieur et du Dév eloppement local. Cette Caisse est spécialisée dans lefinancement des communes grâce à des fonds qu’elle obtient du budget de l’État etdes emprunts effectués par la Tunisie auprès de différents bailleurs (publics, priv és)sur le marché international des crédits.
48 Lors de ces élections, les islamistes, qui y participaient pour la première fois av ecdes listes indépendantes, auraient obtenu, selon div erses observ ations, entre 20 et30 % des v oix à l’échelle de toute la Tunisie (Khiari et Lamloum, 1 999), alors que,officiellement, il leur a été attribué 1 3 % des suffrages. Pour le gouv ernorat de SidiBouzid, ils n’auraient réuni, d’après les autorités, que 7 % des suffrages — nousn’av ons pas réussi à av oir d’estimations officieuses pour tout le gouv ernorat —,mais, pour la seule v ille de Sidi Bouzid, ils auraient réuni autour de 30 % des v oix sil’on en croit les av is (qualifiés) que nous ont communiqués d’anciens responsablespolitiques locaux, généralement bien informés.
49 Pour plus de détails sur les effets de cette catastrophe naturelle, on se reportera,en infra, au paragraphe « Le temps de la contestation : les év énements de janv ier1 990… ».
50 Ces informations ont été obtenues à l’occasion d’un entretien que nous a accordé,en mars 201 3, M. Slimen Rouissi, enseignant et sy ndicaliste, qui fut arrêté etdétenu à la suite du mouv ement de protestation de 1 990.
51 La digue de protection des inondations a été construite au lendemain desinondations de 1 969 pour protéger la v ille des crues de l’oued el Fakka. Toutefois, en1 990, elle a mal rempli la fonction pour laquelle elle av ait été établie, de telle sorteque des v olumes d’eau considérables se sont engouffrés par des brèches qui l’ontpercée et que les quartiers qui étaient situés au plus près d’elle ont subi des dégâtstrès sérieux.
52 Fonds arabe de dév eloppement économique et social (FADES), Banque africainede dév eloppement (BAD) et Agence française de dév eloppement (AFD).
53 Lors de ces élections, les islamistes auraient obtenu dans ces quartiers El Khadraet Ennour leurs taux les plus élev és à l’échelle de la v ille de Sidi Bouzid enrecueillant probablement plus de 35 % des suffrages (estimations communiquéespar d’anciens responsables politiques de la v ille).
54 Toutes les données chiffrées que nous présentons ici relativ ement à ce quartier
sont extraites du rapport final de l’étude de préfaisabilité du PDUI réalisée pour lequartier El Khadra, établi pour le compte du CGDR en 1 994 (DIRASSET, juillet1 994).
55 À l’occasion de nos entretiens av ec plusieurs responsables politiques de l’époque àSidi Bouzid, cette fidélité nous fut affirmée. Nous apprîmes cependant que c’étaienten majorité des femmes et des personnes âgées qui « meublaient » les réunionspolitiques du RCD et qui assistaient aux meetings électoraux.
56 Déclaration faite par l’intéressée en septembre 201 0 à l’occasion d’une réunionorganisée au siège du Comité de coordination du RCD pour le gouv ernorat de SidiBouzid (au mois de septembre 201 0).
57 Selon le règlement interne du RCD, le renouv ellement des structures de base doitav oir lieu tous les trois ans. Mais, dans les faits, cette règle est rarement respectée,surtout si ce renouv ellement doit coïncider av ec une année électorale (électionsprésidentielles, législativ es ou municipales).
58 C’est à cette date, en effet — rappelons-le — qu’un jeune commerçant ambulant,Mohamed Bouazizi, s’est immolé par le feu dev ant le siège du gouv ernorat, suite à laconfiscation de sa marchandise par la police municipale. Ce geste tragique aimmédiatement prov oqué un v aste mouv ement de protestation populaire, qui s’estdév eloppé dans toute la v ille de Sidi Bouzid et qui a rapidement pris la forme d’uneémeute.
59 Au début du mois de janv ier 2008, une très puissante protestation populaire aemporté la v ille de Redey ef (26 1 43 habitants en 2004), à partir d’où elle a gagnéles autres v illes du bassin minier de Gafsa (Moularès, M’dhila et Metlaoui). La crise,extrêmement sérieuse, a duré près de six mois. La mobilisation a concerné toutes lescatégories de la population, mais plus particulièrement celles qui étaientéconomiquement et socialement les plus marginalisées. Les principalesrev endications tournaient autour de la lutte contre le chômage et la précarité(Chouikha et Gobe, 2009). C’est la proclamation des résultats d’un concours derecrutement de 380 employ és, organisé par la Compagnie des phosphates de Gafsa(CPG), qui fut, le 5 janv ier 2008, à l’origine de la rév olte. La population a accusé ladirection régionale de l’UGTT d’av oir fav orisé le recrutement d’amis et de parentssur fond d’affinités tribales et politiques. La répression du mouv ement par lepouv oir central fut extrêmement dure : on a compté plusieurs morts v iolentes et detrès nombreux blessés, ainsi que des centaines d’arrestations. Les leadersemblématiques de la rév olte furent tous condamnés à de très lourdes peines deprison — 7 personnes furent ainsi condamnées à 7 ans de prison ferme !
60 La crise financière internationale de 2008 fait suite à celle qui a v iolemmentfrappé les États-Unis en 2007 à la suite du krach prov oqué par l’incapacité danslaquelle se trouv aient de rembourser leurs prêts immobiliers — lesquels leurav aient été accordés sans que les établissements bancaires ou de crédit ne disposentdes garanties suffisantes. Au mois de septembre 2008, plusieurs établissementsfinanciers américains se trouv èrent ainsi en cessation de pay ement et durent soitêtre mis en liquidation, soit être rachetés par des concurrents, soit sauv és inextremis par une interv ention de l’État fédéral. La crise a ensuite gagné l’Europe oùplusieurs institutions financières et banques connurent également de très grav esdifficultés et ne furent sauv ées que par l’interv ention de leurs États respectifs etcelle des banques centrales. Cette crise a affecté très profondément l’activ itééconomique (resserrement des conditions de crédit) et a pesé sur la consommationdes ménages et sur l’inv estissement des entreprises, ce qui a prov oqué une forteréduction de la croissance et, donc, une forte progression du chômage.
61 Pour plus de précisions, on se reportera en infra au paragraphe : « Frustrationéconomique et difficultés sociales : la crise de l’emploi des jeunes ».
62 Vers la fin des années 1 990, l’emploi informel représentait en Tunisie 42,2 % del’emploi total (Tabib, 201 1 , p. 302).
63 Mareth est une petite v ille située à proximité de Gabès, dans le Sud-Est tunisien,mais éloignée de plus d’une centaine de kilomètres de la frontière liby enne.
64 Les J’faris sont les habitants de la Jefara, basse plaine située entre Gabès et lafrontière liby enne.
65 Les souks Libya sont les souks qui, dans tout le Sud et même le Centre de laTunisie, assurent la commercialisation des produits importés, légalement mais leplus souv ent en contrebande, de Liby e. La plupart de ces produits, bien quegénéralement non fabriqués en Liby e même, y bénéficient de subv entions de l’Étatet ils peuv ent donc être proposés à des prix imbattables en Tunisie.
66 Les sarrafa touazines occupent le sommet de la py ramide du Cartel du commerce
informel de la frontière. Cette py ramide est organisée en un sy stème bienhiérarchisé, av ec à sa tête un nombre très restreint de grossistes installés à BenGardane (une dizaine de personnes selon Rafaâ Tabib, mais une cinquantaine en2009 selon nos propres sources). « Ces grossistes sont les véritables détenteurs dupouvoir financier de la J’farra ; ils ont monté un réseau financier parallèle où le changeconstitue l’activité principale » (Tabib, 201 1 , p. 289). Participent aussi au sy stème lesgrossistes nouaiels et zouaoui, qui sont les fournisseurs liby ens du marché informel,les commerçants du souk appelé nassaba, les commerçants itinérants ou leskhaouatta et enfin les transporteurs indépendants appelés tayout. Ces derniersreprésentent un groupe en quête d’autonomie ; ils utilisent des v éhicules pick up,tout terrain, de marque Toyota, en utilisant les pistes les plus discrètes et les moinsaccessibles (Tabib, 201 1 , p. 296).
67 La solution trouv ée par ces commerçants grossistes de la v ille-frontière a consistéà recourir à des centaines de personnes qui, quotidiennement, franchissaient lafrontière à pied pour rapporter les marchandises qu’ils allaient acheter du côtéliby en. Ces marchandises, commandées par le commerçant tunisien à sonhomologue liby en, étaient transportées par ce dernier jusqu’au poste-frontière côtéliby en, où v enaient donc les récupérer les « porteurs » tunisiens. Les autoritésdouanières tunisiennes s’étaient mises d’accord av ec leurs homologues liby ennespour tolérer le passage de certaines marchandises qui alimentaient le souk de BenGardane (produits alimentaires, couv ertures, textiles et certains produits div ers),mais elles av aient simultanément interdit le passage d’autres (en particuliertabacs, pneumatiques, produits textiles fabriqués en Turquie, etc. Elles av aient enoutre imposé des quotas à chaque « porteur ».
68 Le recours aux sociétés de leasing est une pratique courante en Tunisie, enparticulier pour financer l’achat de matériel roulant (camionnettes, petits camions,pick up) tels que ceux utilisés par les transporteurs (légaux ou clandestins). Lesdémarches pour obtenir un crédit de ce ty pe sont relativ ement simples etaboutissent rapidement, d’autant que ce ne sont pas les banques qui financentdirectement ce genre d’opérations, mais plutôt des filiales spécialisées qu’elles ontcréées à cet effet.
69 Les meneurs de ce mouv ement de protestation av aient la conv iction que ladécision des autorités liby ennes a été prise en commun accord av ec les autoritéstunisiennes. Les pressions qu’ils exercèrent sur la partie tunisienne av aient doncpour but essentiel de pousser ces autorités à interv enir auprès des Liby ens pourobtenir l’annulation de ces mesures.
7 0 Cette enquête a porté sur un échantillon représentatif de 4 7 63 diplômés de lapromotion 2004 tiré parmi un ensemble de 39 052 diplômés.
7 1 On ne dispose pas de statistiques sur le chômage à l’échelle des v illes (périmètresmunicipaux). Outre celles établies pour chaque gouv ernorat, n’existent que cellespar délégation. On indique donc ici celles de la délégation de Sidi Bouzid-Ouest, où sesitue la v ille de Sidi Bouzid — laquelle regroupe l’essentiel de la population de cettedélégation.
7 2 Une enquête de 201 1 — dont nous év oquerons les résultats ci-dessous — permetd’établir que, en 201 0, le nombre effectif de diplômés chômeurs pour l’ensemble dugouv ernorat de Sidi Bouzid était de 8 340, alors que seulement 3 31 2 d’entre euxétaient inscrits au bureau de l’Emploi.
7 3 Selon une enquête réalisée à Sidi Bouzid par la Direction régionale du MEIPJ.Pour mesurer l’augmentation du nombre de diplômés chômeurs entre 201 0 et201 1 , il faut prendre comme référence pour 201 0 le chiffre de 8 340 (et non celuides inscrits « officiels » au bureau de l’Emploi, soit 3 31 2). Ainsi calculé, l’effectifaurait augmenté de 1 81 6 diplômés chômeurs en un an.
7 4 Le 23 décembre [201 0], à l’occasion de la v enue à Sidi Bouzid du ministre duDév eloppement et de la Coopération pour présider une réunion du Conseil régionalde dév eloppement, une information circule rapidement sur le réseau socialFacebook pour signaler que le nouv eau gouv erneur [de Sidi Bouzid], qui av ait éténommé au mois d’août 201 0, recev ait les jeunes diplômés et procédait à leurembauche sur le champ !
7 5 Lors des manifestations organisées à l’occasion de cette grèv e, un v éhiculepropriété du Comité de coordination du RCD fut brûlé. Et plusieurs arrestationsfurent opérées parmi les leaders du mouv ement pour le stopper.
7 6 Le mouv ement Ennahda est un parti politique islamiste. Il naît à la fin desannées 1 97 0 et est créé officiellement en 1 981 , dans l’illégalité, sous le nom deMouv ement de la tendance islamique (MTI), av ant de changer de nom en fév rier1 989 pour dev enir Ennahda. Se situant dans la mouv ance des Frères musulmans
égy ptiens, il est, en matière de mœurs, ultra-conserv ateur. Toléré v ers la fin des
années 1 980, puis interdit, il fut réprimé jusqu’à la date de sa légalisation, le 1 er
mars 201 1 , par le gouv ernement d’unité nationale mis en place à la suite de larév olution du 1 4 janv ier 201 1 .
7 7 Les informations ici présentées sont tirées d’une copie du PV du jugement del’affaire, que nous a confiée M. Slimane Rouissi, qui fut l’un des accusés (entretienen date de mars 201 3).
7 8 Les terres saisies dev aient être rev endues aux enchères au profit de la BNA.
7 9 Comme ce gouv erneur en question, muté de Médénine à Sidi Bouzid, n’est autreque l’auteur de cet article, on comprendra que l’analy se de la situation qui a mené àla « rév olution » soit arrêtée au moment même de cette nomination. Il s’agitd’év iter que ce que je pourrais écrire à ce propos soit pris pour un plaidoy er prodomo ou considéré comme un document officiel qui pourrait être exploité à des finspartisanes.
80 Le sacrifice de Mohamed Bouazizi est la conséquence de l’humiliation qu’il asubie en étant giflé par un agent de la police municipale — une femme qui plus est !— lorsque celui-ci v int lui confisquer sa marchandise après qu’une plainte eut étédéposée contre lui par les commerçants du marché municipal. Cette humiliation aété renforcée par le mauv ais accueil et l’absence d’attention quand il est allé porterplainte auprès de la municipalité et de la police.
81 Information tirée de Mehdi Horcheni, mars 201 3.
82 À partir du 22 décembre 201 0, des manifestations et des affrontements eurentlieu dans plusieurs petits centres du gouv ernorat de Sidi Bouzid : d’abord àMeknessy , Menzel Bouzaine et Sidi Ali Ben Aoun, puis, le 23 décembre, à Mazzouna,à Regeb le 24 et à Jelma à partir du 27 du même mois.
83 Les premières v illes qui ont affiché leurs soutien au mouv ement de rév olte deSidi Bouzid furent, dès la fin du mois de décembre, les v illes de Kasserine et deThala, dans le Centre-Ouest du pay s. C’est là que les affrontements furent les plussanglants, en particulier entre le 4 et le 8 janv iers 201 1 , puisqu’on y a compté unev ingtaine de morts (au moins) dans les rangs des manifestants et plus de 600blessés.
84 Ce n’est qu’a partir du 1 0 janv ier 201 1 que la contestation populaire a pris del’ampleur et a gagné les v illes du Sud (Kébili, Gabès, Médénine), puis celles duCentre (Sfax, Kairouan et Sousse) et, enfin, les gouv ernorats du Nord, notammentle Grand Tunis. C’est dans la capitale que le nombre de morts a été le plus élev é (89morts, auxquels s’ajoutent 57 4 blessés). Dans la Tunisie du Nord, d’autres v illesfurent concernées, parmi lesquelles les chefs-lieux des gouv ernorats de Bizerte,Nabeul et Zaghouan.
Table des illustrations
T itreFigure 1. Découpages de la Tunisie et du gouvernorat de Sidi
Bouzid, 2010.
Crédits Cartographie : F. Troin, CITERES 2013.
URL http://emam.revues.org/docannexe/image/531/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 716k
T itreFigure 2. Les principaux quartiers et les infrastructures de Sidi
Bouzid.
CréditsCartographie : H. Nciri, 2007, reprise par M. Ben Jelloul et F.
Troin, CITERES 2013.
URL http://emam.revues.org/docannexe/image/531/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 1,2M
T itre
Photographie 1. Lotissement « Yessminet » en cours
d’aménagement par l’AFH à Sidi Bouzid, à proximité du quartier
Aouled Belhedi.
Crédits Cliché : M. Ben Jelloul, juillet 2013.
URL http://emam.revues.org/docannexe/image/531/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 712k
T itre
Photographie 2. Constructions illicites en cours sur des terrains
domaniaux, quartier Ennour-Est à Sidi Bouzid (situés entre laroute de ceinture de la ville et la digue de protection contre lesinondations).
Crédits Cliché : M. Ben Jelloul, juillet 2013.
URL http://emam.revues.org/docannexe/image/531/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 812k
T itre
Photographie 3. Sit-in des membres des familles Bouazizi etHorcheni, sur leurs terres de Rgeb (gouvernorat de Sidi Bouzid),
pour protester contre la saisie par la Banque nationale agricole(23 juin 2010).
LégendeSource : Page Facebook du site « Solidarité avec lesagriculteurs de Rgeb », juin 2010 (administrateur du site :
Slimane Rouissi).
Crédits Cliché : Ali Bouazizi, juin 2010.
URL http://emam.revues.org/docannexe/image/531/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 960k
T itrePhotographie 4. Rassemblement des familles Bouazizi et
Horcheni devant le siège du gouvernorat de Sidi Bouzid pourprotester contre leur éviction de leurs propriétés.
Crédits Cliché : S. Rouissi, juillet 2010.
URL http://emam.revues.org/docannexe/image/531/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 592k
Pour citer cet article
Référence papier
Mourad Ben Jelloul, « Contestations collectives et soulèvement du 17 décembre 2010.La révolte des quartiers populaires de Sidi Bouzid (Tunisie). », Les Cahiers d’EMAM,22 | 2014, 71-115.
Référence électronique
Mourad Ben Jelloul, « Contestations collectives et soulèvement du 17 décembre 2010.La révolte des quartiers populaires de Sidi Bouzid (Tunisie). », Les Cahiers d’EMAM [Enligne], 22 | 2014, mis en ligne le 31 décembre 2013, consulté le 28 février 2014. URL :http://emam.revues.org/531
Auteur
Mourad Ben Jelloul
Maître-assistant en Géographie à la Faculté des Sciences humaines et sociales deTunis
Droits d’auteur
© Cahiers d’EMAM