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23 © D.R. 1968-2018 50 ans de contestations 2018, année du cinquantième anniversaire de Mai 68. Beaucoup sera dit sur les événe- ments qui se sont déroulés en France au cours de ce mois de mai 1968. Beaucoup de discours formatés et de clichés circuleront aussi. Le Soir et l’ULB ont décidé d’élargir la fo- cale : de quoi Mai 68 est-il le nom aux Etats-Unis et en Europe ? Des manifesta- tions qui débutent sur les campus améri- cains en 1964 aux grèves et manifestations de l’automne 1969 en Italie, dans plusieurs pays, des contestations contre l’ordre établi ont vu le jour, portées en particulier par une jeunesse en quête de nouveaux idéaux. Si des causes spécifiques et nationales expliquent les contestations politiques et sociales de l’époque, les années 68 repré- sentent aussi une période de contestation transnationale au cours de laquelle des slogans, des graffitis, des revendications et de nouveaux modes d’action ont circulé entre divers pays. Quel est l’héritage des années 68 chez nous, cinquante ans plus tard ? Les contes- tations contemporaines se construisent pour une part dans la continuité ou dans la critique des valeurs de ces années-là. Pour interpréter et documenter ces événements anciens et ceux plus contemporains, les luttes des idées et des valeurs, des journa- listes du Soir et des chercheurs de l’Univer- sité libre de Bruxelles ont uni leurs compé- tences. Ensemble, ils vous proposent des analyses et des reportages originaux, réunis dans le dossier « 1968-2018, 50 ans de contesta- tions ». A partir de travaux et expertises académiques, à partir de reportages et rencontres de terrain, ils décryptent la société d’hier et d’aujourd’hui et nour- rissent notre réflexion critique de ci- toyen.ne.s. Cette initiative se découpe en cinq cha- pitres rapprochant les événements de l’époque de ceux qui se déroulent en 2018. Outre celui qui vous est livré aujourd’hui et resitue le contexte historique, quatre zooms thématiques suivront : le samedi 10 février « Violences et politique », centré tant sur les guerres que sur les violences émaillant les contestations de par le monde ; le samedi 10 mars « Ecole, usine, hôpital », consacré aux élargissements des mouvements sociaux ; samedi 14 avril, « Minorités », qui parlera des combats pour les droits civiques et pour l’égalité ; samedi 28 avril, « Contester ! », qui analy- sera l’émergence de nouveaux modes d’expression et de contestation. Christophe Berti rédacteur en chef Le Soir Andrea Rea doyen de la Faculté de philosophie et sciences sociales de l’ULB 1968-2018 L’ULB ET LE SOIR UNISSENT LEURS FORCES

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© D.R.

1968-201850 ans

de contestations

2018, année du cinquantième anniversairede Mai 68. Beaucoup sera dit sur les événe-ments qui se sont déroulés en France aucours de ce mois de mai 1968. Beaucoup dediscours formatés et de clichés circulerontaussi.Le Soir et l’ULB ont décidé d’élargir la fo-cale : de quoi Mai 68 est-il le nom auxEtats-Unis et en Europe ? Des manifesta-tions qui débutent sur les campus améri-cains en 1964 aux grèves et manifestationsde l’automne 1969 en Italie, dans plusieurs

pays, des contestations contre l’ordre établiont vu le jour, portées en particulier par unejeunesse en quête de nouveaux idéaux.Si des causes spécifiques et nationalesexpliquent les contestations politiques etsociales de l’époque, les années 68 repré-sentent aussi une période de contestationtransnationale au cours de laquelle desslogans, des graffitis, des revendications etde nouveaux modes d’action ont circuléentre divers pays.Quel est l’héritage des années 68 chez

nous, cinquante ans plus tard ? Les contes-tations contemporaines se construisentpour une part dans la continuité ou dans lacritique des valeurs de ces années-là. Pourinterpréter et documenter ces événementsanciens et ceux plus contemporains, lesluttes des idées et des valeurs, des journa-listes du Soir et des chercheurs de l’Univer-sité libre de Bruxelles ont uni leurs compé-tences.Ensemble, ils vous proposent des analyseset des reportages originaux, réunis dans le

dossier « 1968-2018, 50 ans de contesta-tions ». A partir de travaux et expertisesacadémiques, à partir de reportages etrencontres de terrain, ils décryptent lasociété d’hier et d’aujourd’hui et nour-rissent notre réflexion critique de ci-toyen.ne.s.Cette initiative se découpe en cinq cha-pitres rapprochant les événements del’époque de ceux qui se déroulent en 2018.Outre celui qui vous est livré aujourd’hui etresitue le contexte historique, quatre

zooms thématiques suivront : le samedi 10février « Violences et politique », centrétant sur les guerres que sur les violencesémaillant les contestations de par lemonde ; le samedi 10 mars « Ecole, usine,hôpital », consacré aux élargissements desmouvements sociaux ; samedi 14 avril,« Minorités », qui parlera des combatspour les droits civiques et pour l’égalité ;samedi 28 avril, « Contester ! », qui analy-sera l’émergence de nouveaux modesd’expression et de contestation.

Christophe Bertirédacteur en chef Le SoirAndrea Readoyen de la Facultéde philosophieet sciences socialesde l’ULB

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Le Soir - 20/01/2018 - pp. 23 à 32
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« Walen buiten »Le 15 janvier 1968, des mil-liers de Flamands défilent ànouveau dans les rues deLouvain pour réclamer ledépart de la section franco-phone de l’Université catho-lique de Louvain. Commencédeux mois plus tôt aux crisde « Walen Buiten », le mou-vement de protestationaboutira à la scission del’UCL. Cette poussée defièvre conduira à la démis-sion du gouvernement Van-den Boeynants.

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ENTRETIEN

J ean-Yves Pranchère évoque lesétapes d’une mythification, comme

il la désigne : transformer Mai 68 ensymbole d’une époque, d’un esprit,d’une pensée, avec pour conséquencede légitimer en 2018 un discours appe-lant à restaurer en France l’autorité, lesnormes et un civisme teinté de natio-nalisme.

Mai 68 naît notamment sur les cam-pus universitaires. Y a-t-il eu alors un engagement des intellectuels ?Les intellectuels ne sont pas à l’ori-gine du mouvement : la plupart desgloires de l’époque sont décontenan-cées et méfiantes. Ceux qui s’enthou-siasment (les situationnistes, EdgarMorin, Claude Lefort, Cornelius Cas-toriadis) saluent l’absence de leader-ship et la spontanéité de la prise deparole collective. Mai 68 naît à l’ini-tiative d’étudiants qui veulentrompre avec la hiérarchie et le man-darinat ; ils refusent la déférence en-vers les autorités intellectuelles,fussent-elles « révolutionnaires ». Al-thusser, qui était alors la star d’un

Jean-Yves Pran

1968-2018, 50 ans de contestationsLes chapitres du dossier :Samedi 10 févrierViolences et politique1968, la guerre au VietNams’enlise tandis que des mani-festations pacifistes se mul-tiplient aux Etats-Unis, puisen Europe. Au mêmemoment, la rue conteste lepouvoir établi, le systèmeélectoral, les appareils poli-tiques… jusqu’à la violence.En 2018, guerres et violencepolitique n’ont pas été effa-cées de la carte du monde.Pourtant, les situations ontévolué… Analyses avec Oli-vier Corten, Pascal Delwit,Pierre-Guillaume Méon,Christophe Wasinski.Samedi 10 mars École, usine, hôpital1968, les ouvriers occupentles usines, réclament plus dedroits, contestent l’autoritédes patrons et le modèlecapitaliste… La rue rejettel’autorité et revendique desvaleurs de liberté et d’éga-lité… Les hôpitaux, les écolesn’échappent pas à la vaguede contestation.En 2018, on parle d’entre-prises libérées ; on ques-tionne les maisons médi-cales ; on s’interroge sur nosécoles avec Matéo Alaluf,Elise Dermine, Daniel Du-mont, Marek Hudon,Bernard Rey.Samedi 14 avril Minorités1968, le combat pour lesdroits civiques secoue lesEtats-Unis ; en Europe del’Ouest, les étudiants dé-fendent des valeurs de liber-té, d’égalité de sexes et deraces…En 2018, les notions d’égalitéhommes-femmes, de recon-naissance des minorités,notamment ethniques ou delibertés individuelles restentd’actualité. Analyses avecIsabelle Demeestere, OlivierKlein, Valérie Piette, AndreaRea.Samedi 28 avril Contester !1968, jeunes, ouvriers, ci-toyens prennent la parole,descendent en rue, taggentles murs de slogans souventpercutants, inventent denouveaux modes d’expres-sion et de contestation.En 2018, slogans et pétitionscirculent sur Twitter, desparlements citoyens voientle jour… la contestationest-elle toujours présente ?Explications avec LauraCalabrese, Olivier Klein,Antoine Roblain, LaurenceRosier, Émilie van Haute.Le dossier est enrichi decapsules vidéo, à voir surYouTube, ULBtv, playlist« 1968-2018. 50 ans decontestations ».

I l y a cette photo de GillesCaron prise devant la Sor-

bonne, qui incarne l’époque àtravers le regard de DanielCohn-Bendit, narquois, face àl’autorité casquée. Grèves, ma-nifs, barricades, pavés, slogans,posters. Et sur la bande-son,Mick Jagger qui, dans « StreetFighting Man », chante « Thinkthe time is right for a palace re-volution » (« Je crois que lestemps sont mûrs pour une révo-lution de palais »)…

C’était hier. Il y a un demi-siècle. Une éternité.

Mai 68 a marqué une généra-tion au fer rouge et nourri dura-blement un imaginaire collectif,en France et dans une moindremesure en Belgique. Mais mé-fions-nous de l’effet de loupe…Paris fut longtemps le centre dumonde culturel et la mère pa-trie de toutes les révolutions,d’où une certaine posture fran-çaise et une historiographie au-tocentrée, les années en huit.

Il y a 50 ans, il n’y a pas quele Quartier latin qui fut pris defièvre, mais aussi l’Allemagne,l’Italie, la Hollande, les États-Unis, le Mexique, le Japon, etmême la Pologne ou la Tchéco-slovaquie, de l’autre côté du Ri-deau de fer. Et cela durant toutel’année 68.

En vissant le grand-angle plu-tôt que le zoom, en changeantd’échelle, d’espace et de tempo-ralité, le Mai 68 parisien – qui,selon la légende, démarra parceque les étudiants exigeaient depouvoir accéder aux chambresdes jeunes filles de Nanterre –apparaît même comme une fêtemobile et libertaire qui devintrapidement son propre objet,une ivresse de mots, une démo-cratisation du narcissismequelque peu futile au regard destragédies qui scandent les ac-tualités de l’année.

Une séquence d’événements,comme signifiant, produit del’action humaine et de l’histoire,nous dit toujours quelque chosedu rapport au sens et au temps,fût-ce en introduisant des no-tions comme la reconnaissance(sens) ou la rupture (temps).1968 fut une année, une acmé,de reconnaissance et de rup-tures.

Une exigence violente et uni-latérale, de reconnaissance,d’abord. De la part de catégoriessociales jusqu’alors largementnéantisées, comme les jeunes is-sus du baby-boom de 1945 – lacontestation de l’idéal desclasses moyennes est venue dece qui était un peu leur bas-tion : les universités –, ou lesfemmes, refusant plus long-temps de subir la loi d’airain dupatriarcat, revendiquant l’éga-lité des sexes pour accompagnerla révolution que représentait lamaîtrise de la reproduction.

Désir de reconnaissanceet volonté de rupture

Désir de reconnaissance de lapart d’individus en tant qu’indi-vidus, ensuite, dans leur singu-larité, en butte à des problèmesconcrets, particuliers et contin-gents, et non plus en tant quecollectifs abstraits : « les ou-vriers de Renault Billancourt »plutôt que « la classe ouvrière »– concept opaque et anonyme,cher à un Parti communiste dé-passé.

Désir de reconnaissance depeuples en tant que peuples,enfin. Qu’ils soient colonisés –l’offensive du Têt, même si ellese solda finalement par unéchec militaire pour les forcescommunistes, acheva deconvaincre le monde que le co-losse américain ne pourrait ja-mais gagner la guerre du Viet-nam. Ou néantisés dans leurpropre partie – en avril, aprèsl’assassinat de Martin LutherKing, des émeutes sanglantessecouèrent Washington, NewYork, Los Angeles ou Chicago,tandis qu’en octobre, John Car-los et Tommie Smith levaient,en Mondiovision, un poing gan-té de noir sur le podium des JOde Mexico.

Une volonté de rupture, en-suite. Rupture des rapports hié-rarchiques de droit divin, rup-ture avec la génération qui avaitfait la guerre et mis la sociétéen coupe réglée. Et révoltecontre les blocages, la pesanteuret l’hypocrisie d’un pouvoir ca-denassé – l’explication vaut enFrance comme aux États-Unis,en Pologne ou en Tchécoslova-quie.

« La vie telle que nous l’envi-sagions, la vie telle que nous lavoulions, ne correspondait pasdu tout à la vie des parents oudes grands-parents ou encore àcelle qu’imposait alors la moralede la société », comme l’a résu-mé Daniel Cohn-Bendit.

Mais tandis que les jeunesOccidentaux se prenaient d’em-pathie pour les mouvements ré-volutionnaires marxistes-léni-nistes et ânonnaient les apho-rismes du Petit Livre rouge deMao Zedong, de l’autre côté duRideau de fer – où l’oxymore« socialisme à visage humain »imaginé par le dirigeant tchéco-slovaque Alexander Dubcek se-ra écrasé par les chars du Pactede Varsovie – les étudiants vou-laient la démocratie parlemen-taire, sinon le capitalisme… Enapparence, le monde était horsde ses gonds.

Alors, de quoi 1968 fut-il lenom ? D’une insubordinationgénéralisée, bigarrée, compo-site, protéiforme, dont la ratio-nalité semble tenir en une in-terjection : « Assez ! » D’une vo-lonté de changer les rapportshumains, la vie. D’un décro-chez-moi-ça, prodrome du dé-gagisme et du populismecontemporains, aussi : « Élec-tions, piège à cons »…

Force est de constater que,toute nostalgie bue, l’écho deslointaines déflagrations de 68traverse les brumes du temps etnous arrive souvent avec uneétonnante clarté, comme onpourra s’en rendre compte dansce dossier, mais également dansdifférentes pages spéciales à ve-nir, programmées jusqu’au moisde mai et réalisées en collabora-tion avec une série de spécia-listes de l’ULB, sous la férule duPr Andrea Rea. Une mise enabyme assez passionnante desrévoltes d’hier et des combatsd’aujourd’hui. ■

WILLIAM BOURTON

Le rêved’une autre vie

Un regard qui en dit long, le 6 mai 68, devant la Sorbonne.© GILLES CARON

L’année critiqueL’année 1968 évoque unchahut révolutionnaire.Manifestations, guerres,décolonisation, assassinatspolitiques… La contestationviolente ou non est le motd’ordre.Ce supplément se proposede raconter 1968. Son his-toire. Mais aussi son pré-sent. « Le Soir » a choisi deparcourir le demi-siècleécoulé en revisitant troislieux restés mythiques : laSorbonne emblématique deMai 68, Memphis où futassassiné Martin LutherKing et Prague dont le« Printemps » finit sous leschenilles des chars russes.Les pages qui suiventconstituent l’introductionau travail conjoint mené par« Le Soir » et l’ULB. Il aabouti à l’élaboration deplusieurs dossiers qui se-ront publiés dans les pro-chains mois.On en trouvera le détailci-dessous. 15 JANVIER

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marxisme « modernisé » est dépassépar l’événement. Une figure commeJean-Paul Sartre, as-socié au couraged’un engagement an-ti-colonialiste radi-cal, a la sympathiedes étudiants : sapréface à Aden Ara-bie de Nizan est unmanifeste de la ré-volte comme véritéde la jeunesse –« osez désirer, soyezinsatiables », y lan-çait-il aux « jeunesgens », « dirigezvotre rage sur ceuxqui l’ont provoquée,n’essayez pasd’échapper à votremal, cherchez sescauses et cassez-les ». Mais Sartren’est ni une autoriténi un leader. « Soisbref », lui dit-onquand il doitprendre la parole.

Cela signifie-t-il qu’il n’y a pas une pensée 68…

en 1968 ?La formule même de« pensée 68 » n’ap-paraît qu’en 1985,lorsque sort l’ou-vrage homonyme deLuc Ferry et AlainRenaut : sous cenom, les auteurs re-construisent à tra-vers une série decoups de force etd’amalgames, le mo-dèle d’une penséequ’ils veulent dénon-cer et qui serait re-présentée par Fou-cault, Lacan, Bour-dieu, Derrida, pré-tendument unis parun même « anti-hu-manisme ». Ce mon-tage baroque quitélescope des confi-gurations intellec-tuelles, des trajec-toires politiques et

des temps sociaux profondément hé-térogènes, revient à transformer« Mai 68 » en une sorte de simple« logo » pour les grandes « tendancesculturelles » qu’on croit pouvoir diag-nostiquer après coup.

Ce « logo Mai 68 » est avant toutfrançais ?Oui, l’opération est sans doute facili-tée par le fait qu’en France, Mai 68semble condenser en un mois, sousune forme spécialement éruptive, desprocessus qui se sont ailleurs davan-tage étalés dans le temps. Avec ces au-teurs, Mai 68 cesse de renvoyer à desluttes inscrites dans des rapports so-ciaux – luttes où se sont rencontrésdifférents courants qui se sont fécon-dés mutuellement, y compris dans etpar leurs divergences – et devient lenom d’une sorte de « mal du siècle » :le seul bilan de ce moment protéi-forme serait la « montée de l’indivi-dualisme ». Ce discours minore pour-tant les percées des « années ’68 » (leféminisme, le souci écologique, les re-vendications des minorités) et inter-prète les échecs ou les reflux (l’im-

puissance de l’idée d’autogestion faceà la vague néolibérale) comme si levrai désir du mouvement s’était ex-primé en eux.

L’événement a donc connu des viesultérieures jusqu’à aujourd’hui où l’ombre de 68 continue à planersur les débats…Déjà dès la fin des années 70 appa-raît chez Bruckner et Finkielkraut ouchez Régis Debray, l’idée que Mai 68n’aurait été qu’une « ruse de la sociétéde consommation » : le vrai contenude Mai 68 n’aurait pas été l’idéal af-fiché d’une société conviviale et auto-gestionnaire, mais bien la destruc-tion libérale-libertaire des dernièresentraves que les institutions tradi-tionnelles opposaient au marchélibre. Ce discours que Serge Audier adéconstruit dans La Pensée anti-68,est aujourd’hui très diffusé ; c’estpourtant un mirage !

Un mirage ? Expliquez-nous.Ces auteurs substituent le fantasmed’une entité maléfique, « l’esprit deMai 68 » à ce qui s’explique en réali-

té par l’enchevêtrement de dyna-miques contradictoires où démocrati-sation des rapports sociaux et logiqueinégalitaire de la mondialisation ca-pitaliste ne cessent de se heurter. Enréponse, ils prônent la restaurationde l’autorité, du civisme…Il y a d’ailleurs quelque ironie à ceque tout un courant se prétendant« républicain » n’hésite pas à dénon-cer Mai 68 comme le cheval de Troiedu capitalisme et de sa déliaison so-ciale, alors même que le « républica-nisme » qu’ils proposent ne consistequ’à compléter le capitalisme actuelavec la dose de nationalisme et de« passions tristes » nécessaire au bonordre social ! En réalité, un philo-sophe comme Claude Lefort, qui tentade penser à chaud l’événement ’68comme une « brèche » montrant l’im-possibilité de domestiquer la démo-cratie, est sans doute un meilleurguide que les critiques dégrisés quicroient détenir le sens de l’histoirealors que leur rancœur ne ruminequ’un mythe rétrospectif… ■

Propos recueillis parNATHALIE GOBBE (ULB)

nchère « La pensée 1968 est un mirage »

ENTRETIEN

L e sociologue élargit la focale : 1968commence déjà en 1964 ; 1968

concerne tant Chicago que Prague,Trente ou Paris. Andrea Rea interrogenotre volonté en 2018 à prendre la paroleet à contester.

1968 est qualifiéed’année de la contes-tation. À juste titre ?Oui, la contestations’exprime en 1968 àtravers des événe-ments majeurs : l’as-sassinat de MartinLuther King, suivid’émeutes, notam-ment à Chicago, quiferont 46 victimes ;l’occupation de laColumbia Universitypour dénoncer laguerre du Viêt-Nam ;les manifestations enAllemagne, renforcéesaprès l’attentat sur leleader Rudi Dut-schke… Elle est pré-sente en France, enItalie, en Tchécoslova-quie, en Pologne… Si1968 constitue unapogée – « les enfants

du siècle prochain apprendront l’an-née 1968 comme nous avons apprisl’année 1848 », écrivait HannahArendt –, la contestation ne se limitetoutefois pas à ces quelques mois : elleapparaît dès 1964 avec le Free SpeechMovement qui proteste contre l’inter-

diction des activitéspolitiques sur le cam-pus de l’Université deBerkeley et se termineen 1969, année no-tamment de l’explo-sion sociale en Italie.

Les sujets de contestation sontnombreux…En effet, la contesta-tion contre la guerredu Viêt-Nam est forteaux États-Unis oùelle se traduit par lerefus de la conscrip-tion ; elle s’étend auJapon, en Allemagne,en Italie, pays où il ya des bases militairesaméricaines. À lamême époque, le com-bat pour les droits ci-viques secoue aussiles États-Unis : alorsque la loi est votée en

1965, les Noirs observent que leur quo-tidien ne change pas ; les manifesta-tions se multiplient ; les émeuteséclatent, elles feront, entre 1965 et1968, 250 morts, 8.000 blessés.

En Europe de l’Ouest, que revendique-t-on ?En Allemagne, le mouvement est sur-tout étudiant alors qu’en France et enItalie, il est aussi ouvrier. Les étu-diants prônent des valeurs de liberté,d’authenticité, d’égalité et rejettentl’autorité qu’il s’agisse du mandarinatà l’université, des appareils en poli-tique, du père au sein des famillesbourgeoises… Les ouvriers occupent lesusines, réclament des augmentationsde salaires et de droits, contestent l’au-torité des patrons, dénoncent le modèlecapitaliste… Contestations ouvrière etétudiante s’expriment parfois d’unemême voix comme en Italie. Au-delàdes étudiants et des ouvriers, la contes-tation naît aussi au sein même d’insti-tutions telles que l’Église catholique etles syndicats ; ou elle s’exprime contredes institutions fermées comme l’hôpi-tal psychiatrique et la prison.

Pourquoi des clivages auparavant invisibles surgissent-ils ?C’est une génération de baby-boomers :aux États-Unis, en Europe de l’Ouest,

en ’68, les jeunes sont plus nombreux, ycompris à l’université. C’est aussi unepériode où la croissance économiqueralentit et se pose la question de l’inser-tion professionnelle de ces diplômés.Les étudiants réfléchissent à des alter-natives à la société de consommation ;ils défendent des valeurs telles quel’égalité (de sexes et de races), le paci-fisme, la reconnaissance de l’autre, etc.D’abord silencieuse, la révolution vagrandir et se traduire par les événe-ments dont on parle encore un demi-siècle après. 1968 est avant tout une li-bération de la parole : qu’ils contestentle général de Gaulle, la politique amé-ricaine ou le régime communiste, cequi unit ces citoyens de Paris, Chicago,Prague ou d’ailleurs, c’est la libertéd’expression qu’ils exercent pour dire :« Je conteste le pouvoir et l’ordreétablis. »

1968 a-t-il changé 2018 ?La lame de fond ’68 a fait évoluer notredroit, notre culture, notre société qu’ils’agisse de l’égalité hommes-femmes, dela reconnaissance des minorités, de ladéfense des populations civiles dans lesconflits. Seule la question sociale a fi-nalement largement empiré. Donc, oui,en 2018, nous vivons sur un héritagede ’68. Mais, les manifestationsanti-avortement ou la question des

réfugiés, entre autres exemples, nousrappellent que rien n’est jamais ac-quis. Aujourd’hui, certes, des mobilisa-tions et des actions participatives decitoyens continuent que ce soit en poli-tique (assemblées ou mouvements ci-toyens…), dans les entreprises (coopé-ratives, circuits courts, monnaie lo-cale…) ou dans la société civile (héber-gement des demandeurs d’asile par descitoyens…). Mais les manifestations de rue, lesgrèves sont moins fréquentes et lesprises de parole collectives plus margi-nalisées, notamment en raison de lamarchandisation du monde. Alors quedans les années 60, les décisions sem-blaient être guidées par des choix poli-tiques forts, en 2018, l’art de gouvernerest dominé par la technique et la ges-tion, quand ce n’est pas par le marché,qui occultent systématiquement leschoix sociétaux sous-jacents aux déci-sions politiques. Nous avons davan-tage peur aujourd’hui du conflit qu’en’68. Or, la conflictualité aide à la poli-tisation des questions de société ; ellepeut contribuer à élargir les droits etlibertés. Cet anniversaire est à la foisl’occasion de le montrer et de nous in-terroger sur les formes de contestationsactuelles et sur leurs objets. ■

Propos recueillis parNATHALIE GOBBE (ULB)

Andrea Rea « Nous avons davantage peur du conflit »30 JANVIER

Au Vietnam,la collisionde deux mondesUn GI allumant sa cigarette àproximité d’une maison enfeu… Alliant le cynisme à laviolence, la guerre du Vietnamest à son apogée en 1968. Ellevoit les Etats-Unis, la Russieet dans une moindre mesurela Chine populaire s’affronterdans le sillage du conflit quioppose le Sud-Vietnam auNord-Vietnam communiste.Le 30 janvier 1968 commencel’offensive du Têt.La guerre du Vietnam sera lefil rouge reliant des mouve-ments contestataires mus parle pacifisme, désireux d’endécoudre avec les différentspouvoirs en place.©

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Jean-YvesPranchère

Sociologue, Andrea Rea estdoyen de la Faculté de philo-sophie et sciences socialesde l’Université libre deBruxelles où il enseigne lasociologie et la sociologiedes migrations. Ses intérêtsde recherche portent sur lesphénomènes migratoires etl’intégration des migrants.Avec Nathalie Gobbe (ULB),il est le coordinateur duprojet éditorial ULB/Le Soir« 1968-2018, 50 ans decontestations ».

Andrea Rea

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REPORTAGEMEMPHIS (TENNESSEE)DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL

Il y avait quelque chose dansl’air, à Memphis, ce 3 avril1968. Une menace impal-pable flottant au milieu decet orage de printemps cara-

biné arrivé sans crier gare sur leTennessee. « Nous l’avions toussenti, se remémore Alvin Turner,sorti ce soir-là écouter Martin Lu-ther King Jr, comme tous ses ca-marades éboueurs en grève. Il al-lait se passer quelque chose. » Lerévérend d’Atlanta, installé dansune chambre dépouillée du Lor-raine Motel, était souffrant, maisses amis l’avaient convaincu de serendre à l’église maçonnique du« Church of God in Christ » (Co-gic) redonner du courage à cesquelques centaines d’employésmunicipaux éreintés par uneconfrontation interminable avecle maire ségrégationniste HenryLoeb.

Bien lui en avait pris : son fié-vreux discours, long de quaranteminutes, avait électrisé l’assis-tance, sourde à la pluie battante etaux coups de tonnerre déchirantle ciel alentour. Prophétique, ilavertissait ses frères « de joursrudes à venir ». « Mais cela n’estpas bien grave (…). Comme n’im-porte qui, j’aimerais vivre unelongue vie (…). Mais je ne me sou-cie pas de cela. Je veux réaliser lavolonté de Dieu. J’ai vu la terrepromise. Je ne l’atteindrai peut-être pas avec vous. Mais je veuxque vous sachiez ce soir que nous,

tout notre peuple, nous parvien-drons en terre promise. Donc jesuis heureux ce soir. Plus rien neme préoccupe. Je ne crains aucunhomme. »

Luther King avaitretrouvé le sourire

Changement d’ambiance, lelendemain. La tempête passée, lesavocats de la cause revenaient de« Downtown » avec une bonnenouvelle : la mairie, usée aussipeut-être par cet interminablebras de fer avec un syndicat récla-mant un meilleur traitement pourles sanitation workers charriant

des poubelles jour et nuit, pour unsalaire de misère, avait consenti àlaisser se dérouler la manifesta-tion prévue le 5 avril. Informé decette victoire, Martin Luther Kingavait retrouvé le sourire, à défautd’une meilleure santé, et plaisan-tait avec ses proches. Memphis in-carnerait, qui sait ?, une victoiredepuis si longtemps attenduedans la lutte contre les discrimi-nations de race et de classe. Si leséboueurs, tout en bas de l’échelle,pouvaient l’emporter dans ce coinde Dixieland...

Il avait consenti à sortirquelques minutes sur le balcon,échanger quelques mots avec ses

phète de non-violence et bêtenoire du patron du FBI John Ed-gar Hoover, n’était déjà plus de cemonde.

Le tueur, James Earl Ray, 40 ansau moment des faits, parvien-drait, lui, à s’échapper, malgré lebouclage du périmètre par descentaines de policiers présentsdans les parages. Les émeutes quiéclatèrent dans les jours suivants,dans 125 villes, de New York àSeattle, allaient mettre l’Amé-rique à feu et à sang. Exactementce que le disciple du mahatmaGandhi, contesté sur sa gauchepar les tenants survoltés du« Black Power », avait toujoursvoulu éviter, souvent démuni faceau déchaînement des foules,comme le 28 mars précédent dansla cité de Memphis, où 3.800 sol-dats de la garde nationale avaientdû être déployés en urgence.

300.000 personnesaux funérailles

Le 9 avril, à Atlanta, 300.000personnes assistaient à ses funé-railles, conscientes d’assister à lafin d’une époque. De plonger dansl’inconnu. Le Vietnam, le meurtredu sénateur démocrate BobbyKennedy Jr, la révolte des campus,l’élection triomphale du républi-cain Richard Nixon à la prési-dence allaient bouleverser dura-blement une Amérique en pleineébullition.

Tout cela n’était pourtant rienen comparaison du calvaire à ve-nir de Memphis : la mort violente,

tragique de King sonnait son arrêtde mort. Un « nuage noir » allaitassombrir le ciel pour longtemps.Le flux de ses résidents les plus ai-sés, quasi exclusivement blancs,vers les faubourgs, ces nouveauxespaces résidentiels suburbains,entamé avec la construction despremières Interstate (autoroutes)à la fin des années cinquante, pre-nait désormais des allures de fuiteéperdue tandis que les noirs en co-lère brûlaient leurs propres quar-tiers. Un monde disparaissait.Bientôt, Downtown Memphis necompterait plus que 500 âmesune fois la nuit tombée, une poi-gnée de bars et de restaurants en-core ouverts. Beale Street, antredu blues, faisait peine à voir. « Ilfallait du courage pour oser s’ypromener », sourit tristementTim Sampson, revenu vivre ado-lescent dans le comté.

Symbole maudit de cette dé-chéance, le Lorraine Motel, cetétablissement multiracial de Mul-berry Street qui, naguère, ac-cueillait les noirs quand d’autresleur fermaient les portes, entre lesmurs duquel furent composéesdes mélopées légendaires (« TheMidnight Hour » de Wilson Pi-ckett, et « Knock on Wood » d’Ed-die Floyd), entamait la même des-cente aux enfers. Repaire de toxi-comanes et de prostituées, il se dé-clarait en faillite en 1982 etéchapperait de peu à la boule dedémolition… pour être sauvé dejustesse par le collectif « Save theLorraine », désireux de restaurerle souvenir du révérend King et deson dernier combat. « Lorsque jevivais ici, en 1976, la ville avaitvoulu raser le bâtiment, contel’historien Michael Honey. Ilsvoulaient oublier ce qui s’y étaitpassé. »

C’est peut-être cette année-là,

admirateurs se pressant devantson auto et suggérer à un musiciendans la foule de ne pas oublier. Ilétait 18 heures. Martin LutherKing tourna les talons, et dans laseconde où claquait un coup defeu sonore, s’effondra sur le dos,les yeux vers le ciel. Tirée à 30mètres de distance à peine, un jeud’enfant pour un sniper profes-sionnel, la balle meurtrière luiavait traversé la mâchoire et lecou, sectionnant sa colonne verté-brale. Les premiers soins prodi-gués, son évacuation précipitéevers l’hôpital le plus proche n’ychangeraient rien : à 39 ans, lePrix Nobel de la paix 1964, pro-

Le jour où une balle tua l’esLe 4 avril 1968, Martin Luther King est abattu à Memphis

par un suprémaciste blanc. L’assassinat entraînera une vagued’émeutes raciales dans le pays.

Chaque année, le « Martin Luther King Day », jour férié aux USA, rassemble des centaines de personnesà Memphis. © MIKE BROWN/EPA.

L’offensive du Têt, un tournantL’« offensive du Têt » débute fin janvier 1968. Le généralGiap lance une offensive surprise majeure contre lesforces américaines et sud-vietnamiennes à la veille descélébrations du Nouvel An lunaire. Militairement, l’opé-ration n’aboutit pas. Toutefois, elle aura un impact im-

portant sur l’opinion politique américaine désormais deplus en plus convaincue de l’enlisement du conflit. Laphoto, prise par le photographe Eddie Adams, du chefde la police de Saigon abattant à bout portant un Viêt-cong capturé demeurera célèbre.

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1ER FÉVRIER

Martin Luther King assassinéLe pasteur et Prix Nobel de la paix Martin Lu-ther King est assassiné sur la terrasse d’unmotel, à Memphis, Tennessee. Sa mort provo-quera une vague d’émeutes raciales qui feratrembler la moitié des villes américaines.La culpabilité de son meurtrier, James Earl Rey,un ségrégationniste blanc arrêté près d’un moisplus tard à l’aéroport de Londres Heathrow etcondamné à perpétuité l’année suivante, n’ajamais entièrement convaincu, et les thèses d’uncomplot plus vaste n’ont cessé de fleurir.

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en 1988, que Memphis commençaà redresser la tête. « La ville, ou cequ’il en restait, commençait à réa-liser qu’il fallait cesser de rasertous les souvenirs du passé »,fussent-ils lugubres, soupire« Queen » Carolyn Michael-Banks, une épatante guide localequi trimbale les touristes occa-sionnels dans un van marron toutconfort. Ou était-ce deux ansavant, en 1986, lorsque fut décidéeune journée annuelle de commé-moration, le « MLK Day » ? Etpourquoi ne pas faire du Lorraine,avec son enseigne vintage rouge etjaune, ses tons pastel et son mobi-lier sixties, ses Cadillac toujoursrutilantes, un musée national desdroits civiques ?

Ce fut chose faite en 1991. « Dumal peut ressortir le bien », ré-sume Tim Sampson, qui a long-temps couvert ce lieu pour le ma-gazine Memphis Flyer. « Soutenirles efforts de convertir le Lorraineen musée est la meilleure chose quela ville de Memphis ait jamaisfaite », renchérit Michael Honey,l’historien du cru.

Dans ce Tennessee fou de reli-gion, à 83 % « chrétien » (essen-tiellement évangéliques « bornagain »), la rédemption de Mem-phis passait par la sanctuarisationdu Lorraine Motel, aussi célèbreque le Texas School Books Deposi-tory, ce bâtiment en plein cœur deDallas (Texas), par une fenêtreduquel Lee Harvey Oswald abattitle président John Fitzgerald Ken-nedy, le 22 novembre 1963.

Et le tueur de King, justement ?Arrêté après une longue et chan-ceuse cavale à l’aéroport Hea-throw de Londres, au Royaume-Uni, James Earl Ray, un supréma-ciste blanc fraîchement évadéd’un pénitencier de haute sécuri-té, avait tout d’abord confessé son

crime, voyant sa condamnation àmort commuée en prison à perpé-tuité, avant de se rétracter et deplaider la manipulation d’Etat,jusqu’à sa mort en 1998. Sans quejamais ne cessent les théories ducomplot : pourquoi les policiersprotégeant le motel avaient-ils,juste avant l’heure fatidique, or-donné aux pompiers de la caserneattenante de rentrer chez eux sansraison ? Comment Ray avait-il pupasser aussi aisément entre lesmailles du filet ? Un procès civilorganisé à la demande de la fa-mille de King en 1999, et sur im-pulsion du président Bill Clinton,n’avait pu établir le moindre com-mencement d’une preuve allantdans le sens d’un complot d’Etat,malgré une épaisse documenta-tion résumant les nombreusesanomalies de l’enquête.

A Memphis, les soupçons de-meurent. Toutes les personnes in-terrogées accréditent la thèse d’unassassinat sur commande. « Hoo-ver voulait sa peau, et avait passéle message : Martin Luther Kingne doit pas sortir vivant de Mem-phis », assène Carolyn, qui précisedans un souffle que « tout lemonde ici pense comme (elle) ».

Peu importe finalement. Ce lun-di 15 janvier, une foule bon enfant,endimanchée, se presse devant lemotel-musée pour célébrer le fa-meux Martin Luther King Day.Ecoles fermées, week-end prolon-gé pour les bambins réjouis etleurs parents tentés de revisiterl’histoire mouvementée du grandcombat pour les droits civiques.Cette année 2018 marque le cin-quantenaire de la mort de MartinLuther King. Les commémora-tions culmineront le 4 avril, avecune certitude : le président Do-nald Trump évitera Memphis cejour-là. Noirs et démocrates ne

veulent pas de lui, surtout aprèsses propos déplacés sur les « paysde merde » africains, le jour mêmeoù il déclamait devant les camérasson admiration pour King.

Pour oublier l’épouvantail sep-tuagénaire de la Maison-Blanche,suspect de sympathie pour l’idéo-logie rance du KKK, il est plutôtquestion d’honorer les sanitationworkers. Le maire démocrate, JimStrickland, a décidé en juillet 2017d’accorder une généreuse pré-bende de 70.000 dollars à tous lesgrévistes de 1968 survivants, dontquatre encore employés par laVille. Soit une enveloppe finaled’un million de dollars. « C’estpeu, sourit l’un d’entre eux, El-more Nickelberry, 83 ans dont 54à la voirie, tempes blanchies et re-gard pétillant, mais c’est mieuxque rien. » « Nous voulions corri-ger nos torts, confie Strickland,géant débonnaire, à l’envoyé duSoir devant le Lorraine Motel. Etc’est ce que nous avons fait enversces personnes formidables, qui ont

su se révolter contre une grandeinjustice, incarnée par mon pré-décesseur de l’époque. Grâce auxrisques qu’ils ont pris, la cité deMemphis est meilleure aujour-d’hui. Il a fallu le temps, mais ilssont enfin traités comme les autresemployés de la ville. »

L’Amérique n’a guèrechangé

Si Martin Luther King revenaitaujourd’hui de la terre promise, lasurprise serait pourtant de taille :l’Amérique n’a guère changé en undemi-siècle. Malgré les 700 villespossédant au moins une rue bap-tisée en hommage au militant pa-cifiste, les Afro-Américains se dé-battent toujours dans la misère etcontinuent de réclamer l’égalitééconomique. Selon une étude sur« le rêve américain inachevé » en2008, le revenu moyen dans lacommunauté noire, qui représen-tait 54 % de celui des blancs en1967, plafonnait encore à 57 %. À

ce rythme, il faudrait… cinqsiècles pour atteindre la parité.

Que le combat de King conserveune telle actualité peut semblerchoquant. On peut s’en indigner,ou bien louer de modestes vic-toires, ici et là. L’une d’entre ellesest le retour en grâce de Memphis.Du traumatisme originel est ve-nue la rédemption. Cela a pris cin-quante ans, mais des quartiersmalfamés comme The Edge etSouth Memphis sortent de l’oubliet du crime. Sur McLemore Ave-nue, un coupe-gorge il y a quinzeans de cela, les défunts studios demusique soul Stax Records sontrevenus à la vie, grâce à un muséeformidable et une académie demusique, dont les gaminspauvres, qui n’avaient jamais prisl’avion avant de franchir cetteporte et de pousser la vocalise,parcourent les festivals et lemonde sur les traces de leursillustres prédécesseurs Otis Re-ding et Isaac Hayes, rendant àMemphis ses lettres de noblesse

artistique.Vétéran des temps héroïques,

Elmore Nickelberry va prendre saretraite, mais rien ne presse. Lacollecte des ordures se fait désor-mais en respectant un temps detravail raisonnable, avec un salaireet des équipements décents. Leblues et la soul, sur Beale Street etau Stax, apporte le ciment multi-racial qui manque tant à d’autrescités américaines soumises à unnouveau tourbillon de haines etd’incompréhensions. Dans lesrues, les Volunteer Days dédiés àun célèbre disparu drainent lesbénévoles motivés par un souci ci-vique : battre la chaussée pourrappeler aux citoyens le devoir sa-cré de voter, de se réapproprierl’esprit des luttes pour les droits ci-viques…« pour lequel tant de per-sonnes ont tout sacrifié », insistel’activiste Tami Sawyer, une figurelocale de la contestation politique.

« Je pense que Martin LutherKing avait un but pour Memphis,en venant ici en 1968, réfléchit« Queen » Carolyn. Cela a mistoutes ces années à se décanter. »« Nous n’y sommes pas encore,mais nous y sommes presque etnous pouvons faire un grand pasdans la bonne direction », confiaitun peu plus tôt Jim Strickland, ré-pétant sur un mode plus optimistel’antienne du révérend Jesse Jack-son qui se trouvait aux côtés deKing le 4 avril 1968 sur le balcondu Lorraine : « Nous avons faitdes progrès : nous sommes libres,mais pas égaux. » « Martin Lu-ther King serait content de nous, jecrois, se hasarde Carolyn, toutsourire. Le nuage noir est en trainde s’estomper. » La terre promise,enfin, dans ce coin de Tennesseequi commence tout doucement àfaire la paix avec son passé. ■

MAURIN PICARD

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8 AVRIL

Des émeutes dans une série de villesL’annonce de l’assassinat de Martin Luther King aprovoqué des émeutes dans une série de villesaméricaines. Pour y répondre, les autorités ontmobilisé plusieurs milliers de gardes nationaux etont décrété à certains endroits un couvre-feu.

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Memphis déboulonneses statues confédéréesIl est 21 h, ce 20 décembre 2017. Gyrophares etbarrières jaunes de police encombrent lesartères principales de Memphis. « Je me suisdemandé quel était tout ce ramdam dans lesrues », se remémore Kavaun Jay Braden, jour-naliste. L’une après l’autre, deux statues sontdéboulonnées de leur socle, celle de NathanBedford Forrest dans le Health and SciencePark, et celle de l’ex-président sudiste ThomasJefferson dans le Memphis Park. Le premier futun général « gris » célèbre, mais aussi unfervent ségrégationniste, vendeur d’esclaves,grand sorcier du Ku Klux Klan et meurtrier de400 soldats nordistes noirs désarmés lors dela sinistre bataille de Fort Pillow en 1864. De-puis des années, les défenseurs de la causenoire essayaient en vain de les faire disparaître

une bonne fois pour toutes de la mémoirecollective. Il a fallu le massacre de neuf per-sonnes dans une église noire de Charleston, enjuin 2015, par un suprémaciste blanc pourattiser la polémique sur le drapeau confédéréet les 750 monuments sudistes existant auxEtats-Unis. Memphis n’y a pas coupé. « Ce futun coup de génie, observe Tim Sampson, ancienreporter au magazine Memphis Flyer. Le faire denuit, sans prévenir, était le meilleur moyen d’évi-ter tout débordement. » Le pari a payé. Lacontre-manifestation organisée pour protestercontre l’escamotage des statues a fait longfeu : samedi 6 janvier, à peine quelques di-zaines d’exaltés nostalgiques du « Sud » confé-déré ont répondu à l’appel des organisateurs,gênés aux entournures par le soutien apportésur Facebook par des groupuscules néo-nazis.

M.P.

MÉMOIRE COLLECTIVE

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PARISDE NOTRE ENVOYÉE PERMANENTE

Regardez ! Ça ne vous rappellerien ? Le plafond de l’OpéraGarnier ? » Ce samedi-là, unguide fait visiter l’édifice histo-rique à une demi-douzaine detouristes passionnés. La Sor-

bonne est déserte, le Quartier latin en-core endormi, et l’hôte des lieux em-mène sa petite cohorte admirer le grandamphithéâtre. « C’est ici qu’EmmanuelMacron a prononcé son grand discourssur l’Europe en septembre. Ici aussi qu’aeu lieu le grand débat télévisé entre Fran-çois Mitterrand et Philippe Séguinavant le référendum sur Maastricht en1992 », dit-il. En deux heures de visite,c’est à peine si Mai 68 est évoqué. Pre-mière mention dans la salle du Péristyle.Arrêt devant les peintures de FrançoisFlameng. « On devine les graffitis qui ré-apparaissent malgré la rénovation destableaux. » On y lit : « Aux armes ! »Puis vient cette anecdote dans la grandecour de la Sorbonne. « Vous ne remar-quez rien sur cette statue de Victor Hu-go ? » La main de l’écrivain tient un par-chemin tout juste rosé. « Cette trace depeinture rouge, c’est le seul clin d’œil quireste de Mai 68 », poursuit le guide. On apeine à croire qu’ici, il y a cinquante ans,Jacques Higelin jouait du piano devantune foule de manifestants en ébullition.Zappée, la première manif du 3 mai1968 organisée en solidarité avec les étu-diants de Nanterre. Éclipsée, la ferme-ture de la Sorbonne et l’engrenage histo-rique qui s’en est suivi.

Une miraculée de 68« L’institution ne met en avant que ce

qu’elle veut bien », sourit Corinne, venueadmirer l’édifice. Mai 68, ça lui parle. Etpour cause. Elle est née… le 20 de cemois-là. « C’était à Grenoble. Ma mèremanifestait quand elle a été prise de

contractions. Il n’y avait pas d’électricitéà l’hôpital, à cause des grèves. J’avais be-soin d’oxygène. On a dû me réanimer aubouche-à-bouche. Je suis une vraie mira-culée de Mai 68 ! », raconte-t-elle enéclatant de rire.

Ces années-là, elle ne les a pas connuesmais elles l’ont marquée. « Les femmesétaient en lutte. Elles combattaient pourleurs droits, explique cette sophrologue.Les gens n’avaient pas peur de perdreleur travail pour leurs convictions. Avecles Trente Glorieuses, l’avenir était de-vant soi. Aujourd’hui, les gens ont peurde manifester », regrette-t-elle. Elle

évoque ses conversations avec sa mère,une soixante-huitarde qui s’est mainte-nant embourgeoisée, « avec jardinier etfemme de ménage ». « Aujourd’hui,quand je lui demande si elle veut mani-fester pour défendre les retraites, elle merépond : “Pour quoi faire ?” »

Cinquante ans après, le Quartier latinronronne. À l’Écritoire, les Patios ou leTabac de la Sorbonne, la plupart des ser-veurs, trop jeunes, n’ont pas connu lesévénements et les étudiants sontconcentrés sur les « partiels », les exa-mens de janvier. « Mai 68, on ne l’a dé-couvert qu’à travers les livres ou la télé.

Sur les archives, on reconnaît à peine lequartier. Des foules partout, des affron-tements avec les CRS. Tout un mondeétait en train de s’inventer », dit l’und’eux. Il avale une gorgée de bière, rési-gné : « Aujourd’hui, sur le boulevardSaint-Michel, les boutiques américainesproposent leurs soldes sous l’œil des sol-dats de Sentinelle. Tu parles d’un par-fum de liberté ! » Pour cet étudiant, letemps n’est plus à la mobilisation de rue.« Quand on s’indigne, on se réfugie der-rière les réseaux sociaux. On peut mobi-liser plus de monde que dans la vraie vieet ça permet de s’abriter derrière l’anony-mat. C’est triste mais c’est comme ça. »

« Un immense bordel ! »« En mai 68, il y avait un foisonne-

ment extraordinaire dans ce quartier, sesouvient Patrick Rotman, attablé au Hi-bou, un café cosy du quartier des édi-teurs, place de l’Odéon. Tous les troismètres, il y avait des groupes de parole.C’était un immense bordel. C’était ça, ladéflagration. Une volonté de parler jouret nuit. » L’historien et documentaristeraconterait cette époque pendant desheures. Il lui a consacré plusieurs livres,un film, et s’apprête à sortir en mars uneBD. En 68, il était étudiant en histoire àla Sorbonne (lire par ailleurs).

« C’était sympathique les premiersjours et de plus en plus incontrôlable en-suite. Il faut s’imaginer ce vieil édifice àpartir du 13 mai au matin, quand Pom-pidou autorise la réouverture de la Sor-bonne. Des milliers de gens ont débarqué.Pendant des jours et des nuits, c’était unfleuve humain. Des défilés ininterrom-pus dans la cour, dans les amphi-théâtres, dans les étages. On peut direqu’il y avait deux Sorbonne occupées.Celle des badauds, qui venaient faire dutourisme de la Révolution. Ceux-làétaient dans la cour et dans le grand am-phithéâtre, bourré jusqu’à la gueule. Et

puis il y avait une autre Sorbonne, plussérieuse, celle des commissions. On te-nait des réunions très sérieuses par dis-cipline avec beaucoup de profs et demaîtres-assistants. La “commune” étu-diante a duré dix ou quinze jours avantd’être supplantée par la grève générale. Apartir du 20 mai, le mouvement a étésupplanté par des gens incontrôlables. Ily en avait même qui arrivaient avec destronçonneuses pour couper les arbres duQuartier latin. Personne ne réussissaitplus à canaliser cet immense chaos. »

Au campus de Jussieu, au vingt-deuxième étage de la tour Zamansky quidomine tout Paris, Jean Chambaz peut

La lutte collective3 MAI 13 MAI

La Sorbonne en ébullitionLe 3 mai 1968, à Paris, lapolice évacue 500 étudiantsqui occupent la Sorbonne. Lapolice contrôle les identités.Des jeunes gens se re-trouvent au poste. Le Quar-tier Latin s’enflamme au cride « Libérez nos cama-rades ! » Les émeutiers seretranchent derrière desbarricades. Barbelés, ruesdépavées, baston… Petit àpetit, l’opinion publiquerejoint le mouvement desétudiants. Les syndicatsappellent à la grève généralepour le 13 mai. La Ve Répu-blique, née dix ans plus tôt àla faveur du vrai-faux coupd’Etat d’Alger, vacille. Huitmillions de personnes semettent en grève. Au granddam des étudiants, les syndi-cats vont négocier pour leurcompte la sortie de criseavec le Premier ministreGeorges Pompidou et ob-tiennent un certain nombred’avancées sociales (accordsde Grenelle). Mais la grèvecontinue. Le 29 mai,800.000 personnes sontdans la rue. De Gaulle dé-nonce la « chienlit » et dis-sout l’Assemblée nationale.

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L’étincelleLes étudiants de la Sorbonne orga-nisent une action de solidarité avecleurs camarades de Nanterre. Là-bas, la faculté a fermé après plu-sieurs jours d’agitation sur fond deprotestation contre la guerre duVietnam. La police entre dans laSorbonne et charge. Des étudiantssont arrêtés. Les affrontementssont vifs. Tout le quartier, où lesterrasses sont alors bondées, estbousculé. La Sorbonne est ferméemais le mouvement ne faiblit pas.La nuit du 10 mai est d’une trèsgrande violence. L’opinion, révoltéepar la répression, est derrière lesétudiants. Le 13 mai, la Sorbonneest rouverte. La cour est envahiepar la foule. Dès le lendemain, lagrève générale s’étend dans lepays. Le 27 mai sont conclus lesaccords sociaux de Grenelle. Le30 juin, des législatives donnent unraz-de-marée pour le pouvoir gaul-liste. L’opinion s’est retournée.

JO.M.

LE 3 MAI 68

Jaspal de Oliveira Gill, présidente de l’Unef de Paris 1 : « A l’époque, tout semblait possible. Maintenant, le fond de l’air est libéral, le discours ambiantindividualiste. » © JO. M. / LE SOIR.

A la Sorbonne, il y a cinquante ans, l’avenir s’annonçaitradieux. Aujourd’hui, la peur du lendemain a figé

la mobilisation.

Paris

Mai 68 à BruxellesLe 13 mai 1968, la première manifestation d’envergure est organisée dansla capitale belge. Suite à une conférence de Mélina Mercouri sur le régimedes colonels en Grèce, étudiants, professeurs et assistants de l’ULB dé-cident de rester dans l’auditoire Paul-Emile Janson où est amorcée lacontestation. Ce sera le « Mouvement du 13 mai ». Il dénonce la guerre auVietnam, la société bourgeoise et exprime le désir des étudiants de se voirassociés à une gestion élargie de l'université.

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apercevoir de loin la Sorbonne. « Après68, les universités parisiennes ont étéscindées en sept, puis en treize pôles, ex-plique le président de Sorbonne-Uni-versité. Les autorités pensaient que lefractionnement en petites ou moyennesentités les rendrait plus gérables. Il yavait une peur de l’effet de masse. » Lagouvernance a aussi changé, poursuit-il,avec des représentants des profs et desétudiants qui élisent les présidents.Mais, paradoxe : peu d’étudiants parti-cipent à ces élections, dit-il. « Le pour-centage de syndicalisation est faible. »L’Unef, au premier rang en 68 et tou-jours très marqué à gauche, a été sup-planté par la Fage, une fédération d’as-sociations plus pragmatiques qui se sou-cient d’améliorer le quotidien des étu-diants. « En 68, il y avait desinsatisfactions mais c’était le plein-em-ploi. Aujourd’hui, les préoccupationssont davantage tournées vers la réus-site. » Selon lui, on a fait trop grand casde 68. « Le mois de mai a secoué la pous-sière, mais c’est après que sont venues lesréformes. » Même l’imagerie serait tron-quée, à l’en croire. « Regardez les photosde l’époque : les étudiants ont les cheveuxcourts et portent la cravate. C’est aprèsque les pattes d’éléphant sont arrivéesavec les hippies américains. »

Le monde de 2018 n’a plus rien à voiravec cette époque, insiste-t-il. Les défisposés aux universités ont eux-mêmeschangé : « Il y a une défiance vis-à-visdu savoir. L’irrationnel et les fake newssont apparus. Sans revenir à la répu-blique des clercs, notre souci est de for-mer à l’esprit critique pour éclairer lesdébats citoyens. » Un nouveau Mai 68 ?Le président de Sorbonne-Université nele redoute pas. « Le gouvernement selance dans une réforme que ni la droiteni la gauche n’a osé faire depuis 20 ans.Il se concentre sur les moyens de réussirses études pour s’insérer dans l’écono-mie. »

Une certaine nostalgieDe Mai 68, certains à la Sorbonne

conservent pourtant la nostalgie. Jaspalde Oliveira Gill est de ceux-là. Elle pré-side l’Unef de Paris 1. « Mes deux

grands-pères ont fait Mai 68, dont l’unchez Renault », raconte-t-elle au Ros-tand, le café qui était à l’époque prisépar les intellectuels du mouvement. À21 ans, cette étudiante en master de dé-mographie veut croire que le militan-tisme n’est pas mort. « Lors des actionscontre la loi Travail, on a tenu une as-semblée générale dehors, sur le parvis dela Sorbonne. L’université avait été fer-mée comme si elle avait toujours peur derevivre Mai 68 », dit-elle. La jeune mili-tante raconte aussi comment, avec sescamarades, elle s’est mobilisée contre lavenue d’Emmanuel Macron en sep-tembre pour son discours sur l’Europe.« On avait fabriqué des faux billets decinq euros pour protester contre la ré-duction des allocations de logement. Surl’une des faces, on avait écrit “Rends l’ar-gent !” » La venue d’Emmanuel Macronétait pour elle « une provocation ». Car,au contraire de la direction de l’univer-sité, elle ne décolère pas contre la ré-forme en cours de l’accès aux études su-périeures. L’an dernier, les facs n’ont paspu accueillir tous les bacheliers qui l’au-raient voulu. Il a même fallu tirer au sortles heureux élus. Le gouvernementplanche sur une réforme qui prendra ef-fet dès la rentrée. « Ce sera une sélectiondes étudiants », redoute la syndicaliste,pour qui ce serait un casus belli. Et de sesouvenir qu’en 1986, la droite avait dûretirer la loi Devaquet sur la sélection àl’entrée des universités. « Les étudiantsavaient gagné, comme en 68 ! »

Mais un demi-siècle a passé et elle saitque 2018 a très peu à voir avec le mouve-ment de Mai. « À l’époque, tout semblaitpossible. Maintenant, le fond de l’air estlibéral, le discours ambiant, individua-liste. L’humeur est sombre. Le marché dutravail est précaire. En moyenne, lesjeunes ne décrochent leur premier em-ploi qu’à 28 ans. » Le mouvement Me-Too lui donne des raisons d’espérerconquérir de nouveaux droits pour lesfemmes. Mais même là, son optimismereste tempéré. « Chaque avancée à sonbacklash. Après “Balance ton porc”, on aeu la tribune sur le droit d’être importu-née. Les forces réactionnaires sont encorebien à l’œuvre. » ■

JOËLLE MESKENS

anesthésiée par la crise

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Bob Kennedy tombe sous les balles Le 5 juin, au soir de sa victoire aux primaires démocrates deCalifornie, Robert Kennedy est assassiné à Los Angeles par unPalestinien, Sirhan Sirhan. Un million d’Américains se rassem-bleront sur le passage de sa dépouille, transportée de New Yorkà Washington DC en train. Comme celui de son frère John, sonassassinat fait toujours l’objet de controverses, notamment surle nombre de tireurs.

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Le « pavé parisien »« Sous les pavés, la plage… » L’aphorisme est célèbre. Mai 68s’est donné une poésie révolutionnaire. « Sous les pavés, laplage ! » reste avec « Il est interdit d’interdire » et « CRS=SS »l’un des slogans les plus fameux de ce mois électrique. Sa créa-tion est attribuée tantôt à un jeune gréviste nommé BernardCousin, tantôt au pamphlétaire Jean-Edern Hallier. Les aspira-tions de toute une jeunesse passent alors par le désir d’en finiravec l’ordre établi et son carcan au nom de la liberté.

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La Sorbonne,témoin de l’HistoireAu cœur du Quartier latin,le bâtiment de la Sor-bonne date du XIXe siècle.Il a été reconstruit par laville de Paris sur le site del’ancien collège théolo-gique créé au Moyen-Âgepar Robert de Sorbon. Dufait de sa proximité avecl’Église, l’institution avaitété fermée avec la Révolu-tion. Elle rouvre ensuitesous Napoléon. Lors-qu’elle est refondée auXIXe siècle, la Sorbonnerépond à une vision trèscentrale. Une associationde facultés travaillent lesunes avec les autres.Après Mai 68, au débutdes années 70, un proces-sus d’autonomie est lancéet les universités sontscindées. Plusieurs univer-sités cohabitent toujoursdans le bâtiment qui hé-berge aussi le rectorat. LaSorbonne compte 12.000étudiants. Le grand am-phithéâtre ne sert pluspour les cours. Classémonument historique, ilaccueille les grands évé-nements.

JO.M.

DEPUIS LE MOYEN-ÂGE

ENTRETIEN

H istorien et documentariste, PatrickRotman était étudiant à la Sorbonne

en mai 68. Une période qu’il a décryptéedans de nombreux documents, dont Mai 68raconté à ceux qui ne l’ont pas vécu (Édi-tions du Seuil).

Que retenez-vous de Mai 68 ?Un processus de libération in-croyable. C’était l’immense criseexistentielle d’un pays où les gensressentaient un besoin d’être recon-nus, de donner un sens à leur vie. IIn’y a pas eu que des revendicationséconomiques. Il y a eu quelquechose de plus profond. Une quête desens, c’était de l’ordre de la trans-cendance.

Pourquoi l’université devient à cemoment-là une place sensible ?A cause de l’évolution démographique. Avecles baby-boomers, les effectifs de l’universitépassent de 150.000 à 500.000. Un Françaissur quatre a alors moins de vingt ans. Lepouvoir se montre modernisateur mais restefigé dans le culte de l’autorité. La moderni-sation économique est là mais les mutationsaccélérées entrent en contraste avec les rigi-dités de la société. Les femmes n’ont pas droità un chéquier ! Le mouvement démarre avecles étudiants mais se propage à une vitessefolle. Les médecins occupent l’Ordre des mé-decins, les architectes, l’Ordre des archi-tectes, les footballeurs, la fédération de foot.Chaque catégorie s’interroge sur sa placedans la société.

En 68, la contestation était mondiale. Quelleétait la spécificité du Mai 68 français ?En France, la période a été traversée partrois crises majeures : la crise étudiante dontla Sorbonne a été le symbole, la crise ou-vrière, dont Renault a été le symbole et en-core la crise politique, dont l’Elysée a été le

symbole. C’était un « précipité ». C’est le seulpays où il y a eu un tel télescopage.

L’héritage reste très controversé. Il faut sesouvenir des attaques de Sarkozy contre68…Il faut pourtant débarrasser Mai 68 de sagangue idéologique et l’examiner comme unévénement historique. Il y a eu des choses

très positives sur la démocratisa-tion de la société mais aussi deschoses très négatives. Sur ce mou-vement joyeux s’est greffé un mani-chéisme historique : on a voulul’habiller d’une vulgate marxiste,des oripeaux du 19e siècle. C’était àla fois un mouvement moderne etun mouvement conservateur dansune partie de son idéologie avecmême en lui les germes d’un totali-tarisme. Il faut voir la complexitéde ce mouvement, c’est ça qui le

rend intéressant. On ressort parfois les slo-gans, comme « Il est interdit d’interdire » eton accuse Mai 68 de tous les maux d’aujour-d’hui. Ce sont des débats foireux. En quoi lemonde actuel aurait-il à voir avec celui de68 ? Il y avait alors un affrontement Est-Ouest, un affrontement entre le capitalismeet le communisme. Ce monde-là est caduc.C’était une période de prospérité. Le chô-mage de masse a ensuite atomisé la société.

Que reste-t-il de 68 ?Beaucoup d’associations continuent de sebattre pour des droits collectifs, mais sur dessujets précis. La différence, c’est que Mai 68était propulsé par une utopie. Même s’il yavait un individualisme (on disait « je veuxexister », « je veux m’émanciper »), cet indi-vidualisme était toujours articulé dans uncadre collectif. Le « je » allait de pair avec le« nous ». ■

Propos recueillis par Jo.M.

Patrick Rotman « Le mondede 68 est caduc, la périoden’a plus rien à voir »

29 MAI 5 JUIN

PatrickRotman. © EPA

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PRAGUEDE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL

D ’habitude, c’est elle qui estderrière l’objectif. Mais laphotographe Dana Kyndrovan’hésite pas une secondequand on lui demande de

prendre la pose devant le bâtiment de laRadio publique tchèque, rue Vinohrad-ska : le lieu stratégique et symboliqueoù les Praguois s’étaient rassemblés le21 août 1968 pour défendre leur « Prin-temps » face aux chars du Pacte de Var-sovie entrés la nuit dans le pays. Danaarbore un beau tirage noir et blancd’une photo de soldats soviétiques quesa mère avait prise ce jour-là, à quelquesmètres d’ici. Photographe dans la mai-son d’édition de cartes postales Orbis,elle s’était fait envoyer sur le terrain parson directeur : « Cela nous servira pourun livre que nous publierons sur ces évé-nements. » Il n’y eut bien sûr jamais delivre, puisque la « normalisation » quisuivit évacua le Printemps de Praguevers les oubliettes de la mémoire offi-cielle. Mais en revenant avec nous surces lieux près de 50 ans plus tard, DanaKyndrova tient le serment qu’avait faitson père lorsqu’il emmena aussi sa fillede 13 ans dans les rues : « Il faut voir, ilfaut tout retenir ! », répétait-il.

« Nous avons battu en retraite »

L’invasion soviétique venait mettrefin à la tentative d’un « socialisme à vi-sage humain » dont Alexander Dubcek,éphémère Premier secrétaire du Particommuniste tchécoslovaque, s’était re-trouvé le leader. Fin janvier de l’annéesuivante, en 1969, Dana défilera avec lesscouts à l’université Charles, devant ladépouille de Jan Palach dont l’auto-im-

molation par le feu pour protestercontre l’invasion soviétique a symboli-quement mis le point final au « Prin-temps ».

Jirina Siklova, frêle mais alerte damede 83 ans, nous reçoit sans apprêt dansson appartement praguois. Elle y avaitcru aussi. Elle y avait même participé.Assistante en sociologie à l’UniversitéCharles, elle avait accepté d’y être secré-taire du Parti communiste. « D’autres lequittaient, moi j’ai pensé que c’est del’intérieur qu’on pourrait essayer dechanger le système socialiste. Ç’auraitété l’accomplissement de la vision deKarl Marx : l’avènement du socialismedans un pays industrialisé, ce qu’étaitprécisément la Tchécoslovaquie ». Dès lanormalisation, Jirina Kyndrova a dûquitter le Parti, et plutôt que sociologue,s’est retrouvée femme de ménage dansun hôpital. C’est après la chute du com-munisme que sa carrière et sa réputa-tion de sociologue ont pris leur envol.

Petr Pithart, 27 ans en 68, y avait par-ticipé aussi de l’intérieur. Devenu en-suite opposant au régime, il fut l’un despremiers signataires de la Charte 77.Cet ensemble de textes protestantcontre la normalisation fut le socle dumouvement dissident qui, avec VaclavHavel à sa tête, n’eut plus qu’à ramasserle pouvoir lorsque les communistesl’abandonnèrent à leurs pieds en no-vembre 1989. (Voir l’entretien ci-contre.) Pithart, premier chef du gou-vernement tchèque non communiste en1989, conserve une lecture extrême-ment critique du Printemps de Prague,qu’il avait consignée dans un livre pu-blié en 1978 et qui fait toujours réfé-rence. « Je suis encore plus sévère sur lesleaders que nous avions tant adorés àl’époque. Dubcek a toujours voulu faire

croire que tout cela était planifié. Enréalité, ils n’ont fait que suivre la pres-sion populaire. Et il était clair depuis ledébut que la défaite était au bout duchemin. Seule la manière était entreleurs mains : nous aurions pu perdreavec fierté. Au lieu de cela, nous avonsbattu en retraite. » Mais bien plus queles événements de 68 et la naïveté desleaders réformateurs de l’époque, c’estla période qui a suivi, que Petr Pithartincrimine, et dont il affirme l’influenceencore aujourd’hui : « Chaque annéedepuis 1989, on voit quel impact ont eu

sur nous les 20 années de normalisa-tion, où les gens se sont suradaptés aurégime communiste. »

Le souvenir du Printemps de Praguereste-t-il un facteur constitutif de laconscience politique et sociale collectivedes Tchèques aujourd’hui ? (1) « La plu-part des gens n’y pensent plus, répond lasociologue Jirina Siklova. Désabusée, laphotographe Dana Kyndrova, qui en1991 photographia le départ des troupessoviétiques de Tchécoslovaquie, rap-pelle qu’un sondage auprès des jeunes arévélé que « la moitié des jeunes ne saitmême pas qui fut Jan Palach ».

1989, annéedéterminante

Tout est question de génération, etd’éducation. Simon Panek, fondateur etpatron de « People in need », la plusgrande ONG d’Europe centrale, fut l’undes leaders étudiants lors de la « révolu-tion de velours » de 1989 : « Mes en-fants s’y intéressent », dit-il. Lui-mêmeavait un an en 1968. C’est au hasardd’une fin de réveillon de Noël, lorsqu’ilavait 12 ans, que le compagnon de samère sortit un carton empli de photos etde journaux datant de l’invasion desforces du Pacte de Varsovie : « Ces pho-tos, ce sang : j’étais choqué ! Et jusquetard dans la nuit, mon beau-père m’aexpliqué le « communisme à visage hu-main », l’aspiration à une qualité devie, le rock’n’roll… » Pour beaucoup, cefut le chambardement culturel qui acompté bien plus que la politique. Mi-chael Zantovsky, un proche de VaclavHavel, puis diplomate et politique depremier plan après 1989, n’était pas unétudiant en philo très engagé en 1968 :« J’étais plus dans l’aspect “sexe, drogueet rock’n’roll de cette époque”. »

« Bien sûr, il y aura des commémora-tions en cette année anniversaire, ce se-ra l’occasion de débats, explique Panekqui en 1998 produisit un film à l’occa-sion du trentième anniversaire du Prin-temps. Mais je ne pense pas que cela fa-çonne encore la politique tchèque au-jourd’hui. C’est 1989 qui a déterminé lecadre actuel, la lutte entre la vision poli-tique inspirée par des valeurs morales,et celle axée uniquement sur le pouvoiret l’argent. » Une vision que tous nos in-terlocuteurs voient incarnée aujour-d’hui par le Premier ministre populistelibéral Andrej Babis, businessman àsuccès, qui a remporté les législativesmais peine à former une coalition. Etpar le président actuel Milos Zeman, lepopuliste anti-européen et pro-russe,qui pourrait bien être défait par le pro-européen Drahos lors du second tourdes présidentielles qui se tiendra di-manche en huit.

Le Printemps n’aurait-il rien à ap-prendre à ceux qui font, ou s’intéressentà la politique tchèque ? Matej Stopni-cky, 34 ans, jusqu’il y a peu chef desVerts tchèques, aujourd’hui édile muni-cipal de Prague, a consacré sa thèse dedoctorat à la liberté d’expression en1968. « Comme jeune écologiste, jem’étais intéressé aux racines du mouve-ment vert. Et comme gauchiste, j’ai vou-lu comprendre où et comment le socia-lisme avait échoué. J’ai voulu meconfronter à Pithart et à son fatalismesur l’impossibilité d’un socialisme à vi-sage humain. Or 68 a été le dernier mo-ment de grand optimisme, même plusqu’en 1989. »

Qu’y aura-t-il à célébrer en ce cin-quantième anniversaire ? Dans son bu-reau à l’arrangement sorti tout droit desarts décoratifs communistes, Josef Ska-la, député et vice-président du Particommuniste de Bohême et Moravie, serépète la question à haute voix : il a dumal à trouver une réponse. Etudiant àl’époque, membre du parti, ce person-nage jovial ne cache pas ses regrets pources « désastres » que furent tant « 68 »que la fin du communisme provoquéepar Gorbatchev : « Regardez la Chine :voilà le succès que le communisme euro-

Le Printemps de Prague neLe souvenir des événements de 68 ne hante pas les esprits à Prague. Et si quelque chose en reste de nos jours, c’est plus l’effet de la normalisation qui a suivi.

Dana Kyndrova pose devant la Radiotchèque avec une photo prise par sa mère sur les lieux il y a 50 ans. © DR.

21 AOÛT Les chars mettent finau vent de libertéDébut 1968 souffle sur la Tchécoslova-quie un vent de liberté. Les partisansd’une démocratisation sont parvenus àprendre le dessus au sein du Parti com-muniste tchécoslovaque et commencentà diffuser un « socialisme à visage hu-main ». Cet élan sera brisé tout net dansla nuit du 20 au 21 août 1968 avec l’inva-sion du pays par les chars du Pacte deVarsovie. Rien que dans les premiersjours, la répression soviétique fait unecentaine de morts. Dans les rues de lacapitale, des manifestations traduisentl’hostilité des Tchécoslovaques enversles « envahisseurs » : autobus en feu,barricades, automobiles mitraillées etincendiées, drapeaux tachés de sang,chars défilant devant des poings serréssont figés sur les images d’époque. Bien-tôt, le pays sera mis sous tutelle et une« normalisation » enclenchée. Le 16janvier 1969, Jan Palach, un jeune étu-diant s’immolera pour s’opposer à celle-ci. Il mourra quelques jours plus tard. Ala tête du Parti communiste tchécoslo-vaque, Alexander Dubcek, l’homme qui arendu possible cette entreprise réforma-trice, sera remplacé au printemps 1969.

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ENTRETIEN

P etr Pithart avait 27 ans en 1968lorsque, jeune réformiste du Parti

communiste, il participa au Printempsde Prague. Devenu dissident, il fut l’undes signataires de la Charte 77. Il parti-cipa en 1989 à la création du Forumcivique, embryon de parti créé pourrecueillir le pouvoir abandonné par leparti communiste, et devint lepremier Premier ministretchèque, encore dans le cadrede l’État fédéral tchécoslo-vaque. Il a poursuivi une car-rière politique jusqu’en 2012.Le récit critique qu’il a publiéen 1978 à l’étranger sur l’expé-rience de 1968 reste une réfé-rence. Pour la réédition de celivre à l’occasion du cinquante-naire du Printemps, Petr Pi-thart a ajouté un « commen-taire » presque aussi long que le texted’origine.

Que changez-vous ou qu’ajoutez-vousà la lecture de 68 que vous faisiez en1977-78 ?Je n’y ai pas changé grand-chose. Maisen 1977, nous n’étions encore qu’aupremier tiers des 20 ans de normali-sation. Ce n’est que maintenant quel’on peut voir l’impact que ces 20 ansont eu sur nous : l’égoïsme, l’opportu-nisme, le cynisme, et une grande im-migration tant intérieure qu’exté-rieure. Mais personne n’a trop envied’aborder de front la normalisation.

Vous dites que la société s’est sur-adaptée au régime : en quoi ?Les gens se sont suradaptés car ils nesubissaient aucun danger sinon celuide perdre leur travail, de ne pas pou-voir accéder à l’université ou de nepouvoir y envoyer leurs enfants.

Quant aux dissidents, ils étaient per-çus comme des moralistes.

Quel est le lien entre 1968 et 1989 ?Aucun. À part un petit cercle, les gensavaient eu peur de savoir, il n’y avaitaucune conscience politique. Personnene savait qui était Vaclav Havel. Dansle programme du Forum civique, il n’y

avait aucune référence à1968. Car c’était ancien, lanormalisation était passéepar là et les personnes emblé-matiques de cette époquen’étaient pas utilisables.Alexander Dubcek avait étéun accident, il avait agi parréaction aux événements,donnant alternativementdes impulsions puis descoups de frein. Il n’a pas ap-porté la moindre idée en

1968. Mais en 1989, il pensait qu’ilméritait de devenir président. (C’estVaclav Havel qui fut choisi, Dubcekayant été désigné à la présidence del’Assemblée, NDLR.) Tout simple-ment, s’il avait été ignoré, cela auraitnui à notre relation avec les Slo-vaques.

Il y a cette phrase célèbre, devenueemblématique pour les Tchèques, del’historien Timothy Garton Ash, qui adit à Vaclav Havel que « cela a pris dixans aux Polonais, dix mois aux Alle-mands de l’Est, et que cela ne vousprendra peut-être que dix jours » pourfaire tomber le régime.Oui, les Tchèques l’adorent : nousétions les meilleurs… Ridicule : nousavons été les derniers en 1989. Il n’y aeu aucune révolution : juste un trans-fert négocié du pouvoir. ■

Propos recueillis parJ.KZ

Petr Pithart « Aucun lienentre 1968 et 1989 »

Petr Pithart.© DR.

Le « mars 68 »et la purge antisémiteLa Pologne connut aussi une impor-tante lame de fond protestataire.Laquelle, comme en Tchécoslova-quie, se joua essentiellement entredeux camps internes au pouvoircommuniste. Mais avec un résultatbien différent…Déclencheur : la guerre des Six-Jours de 1967 entre Israël et lespays arabes. L’URSS ayant pris faitet cause pour le camp arabe aprèsla victoire éclair d’Israël, unegrande part de la classe intellec-tuelle polonaise, y compris au seindu Parti communiste, se rangea enfaveur d’Israël dont nombre dedirigeants étaient des juifs polo-nais. Moscou enjoignit à Varsoviede ne pas tolérer cela. Une ailedure et nationaliste se sentit dèslors pousser des ailes au sein duparti, lançant une campagne anti-sémite interne afin d’affaiblir lecamp modéré.Parallèlement, l’interdiction d’unepièce du répertoire polonais clas-sique (Les Aïeux, de Mickiewicz)par un jeune metteur en scène en

vogue suscita une protestation quiprit de l’ampleur dans les milieuxétudiants et culturels. Cela ne fitque galvaniser la réaction des com-munistes nationalistes. C’est ainsique les quelques milliers de der-niers Polonais d’origine juive ayantsurvécu à la Shoah, et leurs famillesparfois ignorantes de ces origines,furent « purgés » de tous les ni-veaux de l’Etat et de la société, etexpulsés du pays, victimes expia-toires de la lutte de clans interneau parti, et de la protestation dé-mocratique.Voilà aussi pourquoi les dirigeantspolonais ne furent que trop heu-reux de contribuer à écraser lePrintemps de Prague, dangereuxfoyer de contamination. Mais le« mars 68 » polonais jeta les basesde l’opposition démocratique qui,rejointe par la classe ouvrière aulendemain des protestations répri-mées en 1970 et 1976, mena à lacréation de Solidarité en 1981, et àla première chute d’un régimecommuniste à l’été 1989.

J.KZ

POLOGNE

5 janvier 68 : Alexander Dubcek, Premier secrétaire du Parti communisteslovaque, soutenu par l’aile réformiste, évince Antonin Novotny et est éluPremier secrétaire du Parti communiste tchécoslovaque (PCT). 5 avril :Adoption d’un programme de réformes par le PCT, alors que les dirigeantsdes autres pays communistes s’alarment de l’évolution en Tchécoslovaquie.1er mai : Dubcek prône l’établissement d’un « socialisme à visage humain ».Juin : Suppression de la censure. Juin-juillet : Manœuvres prolongées destroupes du Pacte de Varsovie. 14 juillet : Ultime mise en garde des diri-geants du bloc communiste à Dubcek. 21 août : Entrée des troupes de cinqpays du Pacte de Varsovie, arrestation et conduite à Moscou des principauxdirigeants du PCT. 23 août : Dubcek et la direction du PCT signent un proto-cole acceptant le stationnement temporaire de troupes étrangères. 27 oc-tobre : Adoption d’une Constitution fédérale accordant un statut égal à laSlovaquie et la République tchèque. 15 janvier 1969 : L’étudiant Jan Palachs’immole par le feu en protestation contre l’invasion soviétique. Il meurt le19 janvier et une foule immense assiste à ses funérailles. 28 mars : Victoirede la Tchécoslovaquie sur la Russie en hockey sur glace : démonstrations dejoie dans les rues de Prague. Avril : Gustav Husak remplace Dubcek.

CHRONOLOGIE

péen n’a pas réussi ! » Quant à l’inter-vention soviétique, « ce ne fut qu’ungrand “Bouh !” d’avertissement pournous faire faire peur. »

Un paradoxeLa résurgence de sympathies pro-

russes dans la Tchéquie d’aujourd’hui :dans le seul pays européen qui eut àsouffrir d’une intervention militaire so-viétique après 1945, le paradoxe diffici-lement compréhensible. « Il y a unevague douce de révisionnisme, com-mente Michael Zantovsky, directeur dela Bibliothèque Vaclav Havel : une par-tie de la société se dit que le commu-nisme, avec sa sécurité sociale et sonéducation, n’était pas si mauvais, quel’URSS était un allié plus crédible quel’UE et l’Otan. Et on voit dans 68 plus latentative de réforme, que la défaite. »

Quelle serait la principale leçon duPrintemps de Prague ? Même ce prochede Havel hésite un instant : « Qu’il nefaut jamais considérer que la liberté estacquise pour toujours. Mais ce messageest de plus en plus difficile de faire pas-ser. » Petr Pithart, fidèle à sa réputation,est encore plus sévère. Pour lui, les ef-fets de 68 et de la normalisation qui ontsuivi sont visibles encore aujourd’hui :« Ce sont la défiance totale à l’égard dela politique et des politiciens, l’opportu-nisme, et le refus de risquer sa positiondans un engagement. »

Reste enfin le parallèle entre les 68occidentaux, et le 68 tchèque (ou polo-nais : voir ci-contre) : « A l’Ouest, 68 aété une vague de pensée progressiste.Pour nous, ce fut la défaite du progres-sisme. Il y a eu partout un bacille de ré-bellion. Sauf qu’à l’Ouest, on a voulu in-troduire ce que nous voulions mettre àbas », explique Zantovsky. « La seulechose que les deux 68 ont vraiment eueen commun, c’est peut-être la musi-que. » ■

JUREK KUCZKIEWICZ

(1) Pour les Slovaques, c’est simple : le Printempsde 68, dont la seule réforme qui a subsisté aprèsl’écrasement fut la fédéralisation du pays, a étévu comme une affaire essentiellement tchèque.Même si Dubcek lui-même était slovaque.

22 AOÛT

Non à la guerre au VietnamEntre le 22 et le 30 août 1968, la policeet des manifestants s’affrontent àChicago, aux portes de la conventiondu Parti démocrate. Depuis des mois,dans de nombreuses universités améri-caines, les protestataires exigent leretour au pays des 400.000 soldatsaméricains qui combattent au Viet-nam. Ils se joignent à la lutte des Noirscontre la ségrégation raciale. Les mou-vements pacifiques et marginaux « hip-pie », « beatnick » et « underground »sont à l’avant de la scène. Auparavant,c’est la Californie qui s’est embrasée.Policiers et étudiants se sont affrontésdurement à l’université de Berkeleypendant deux nuits. Le gouverneur deCalifornie, le futur président RonaldReagan, déclare l’état d’urgence et lecouvre-feu.

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16 OCTOBREPas de trèveolympiqueLe 16 octobre, sur lepodium du 200 mètresdes JO de Mexico,Tommie Smith et JohnCarlos tendent enMondiovision un poingganté de noir lors del’exécution de l’hymnenational américain(photo de couverturedu supplément). Le 18,Lee Evans, Larry Jameset Ron Freeman réci-divent, coiffés du béretdes Black Panthers, lorsde la cérémonie proto-colaire du 400mètres…Ces JO furent ceux dela contestation avantmême d’avoir débuté.Ainsi le 2 octobre, descentaines de personnesavaient été assassinéespar les forces del’ordre, place des Troiscultures, en plein cœurde la capitale mexi-caine, lors d’une vastemanifestation pacifiquecontre l’autoritarismedu pouvoir, les inégali-tés et la crise de l’Uni-versité. Quelques joursplus tard, la cérémonied’ouverture des JO sedéroulera normale-ment, comme si de rienn’était....

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Le Japon s’enflammeAu Japon, les manifestationss’enchaînent et dégénèrent du-rant l’automne 1968. La guerre duVietnam suscite la colère de laZengakuren, l’Union nationale descomités autonomes des étudiantsjaponais. En octobre, le mouve-ment estudiantin auquel se sontjoints les ouvriers est à son som-met. Tokyo, Osaka et Kyoto s’en-flamment. Les heurts entre poli-ciers et manifestants poussent legouvernement à remettre envigueur la loi anti-émeute. L’uni-versité de Tokyo, le dernier bas-tion encore entre les mains desétudiants, « tombe » à la mi-janvier 1969.

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C’était il y a cinquante ans.C’était, semble-t-il, il y a uneéternité. La tornade qui s’estlevée autour de 1968, celle quel’on a longtemps considérée

comme pionnière de notre culturecontemporaine, ne semble plus aujour-d’hui qu’un lointain souvenir. Qu’unméchant souvenir.

Le monde a changé. La crise s’est du-rablement installée. Les intégrismes etles combats identitaires ont eu raisondes utopies et de l’esprit flower power.Plus récemment, l’affaire Weinsteinvient de siffler la fin de la récréation, endonnant le sentiment que derrière sesslogans libérateurs (« Jouissez sans en-trave », « Sous les pavés, la plage »...), lagénération 68 participa d’une escroque-rie intellectuelle. A peu de choses près,les rebelles d’hier, déguisés en baba coolou en puristes à col Mao, sont respecti-vement dépeints en gros dégueulassesou dangereux candides.

A l’heure de faire l’inventaire, ce quiapparaissait hier comme éminemmentmoderne s’est transformé en reliquatsdu vieux monde. Même la « NouvelleVague », qui misait tout sur la jeunesse,a pris un terrible coup de vieux.

Le cinéma, restons-y. Il y a cinquanteans, la Mostra de Venise célébrait lecharme vénéneux de Théorème, le filmde Pasolini. On y assistait à l’irruption,dans une grande famille bourgeoise deMilan, d’un personnage à la beauté aus-si mystérieuse que charismatique. Unesorte de Christ, fait chair, entretenaitdes rapports sexuels avec chaquemembre de la famille, fille, mère et pèrecompris. Le film provoqua alors ce quifut appelé un « bouleversement mys-tique ». Il serait aujourd’hui accablé detous les noms d’obscénité.

Les Lolitas ? Péchés mignons…1968, c’était aussi l’année de Polanski,

qui sortait coup sur coup Le Bal desvampires et Rosemary’s baby. Ce der-nier entraîna l’année suivante un bainde sang, signé par le sataniste CharlesManson, censé punir les décadents deHollywood. 1968, c’était encore l’année,toujours au cinéma, du Lauréat, danslequel un teenager se faisait allègre-ment dépuceler par une cougar, amie dela famille du jeune homme.

Génération 68. Tandis que Serge

Gainsbourg et Jane Birkin haletaient,au bord de l’orgasme, « Je t’aime moinon plus » et que Bernardo Bertoluccifilmait une scène d’agression sexuelledans Le dernier tango à Paris, DavidHamilton entamait sa carrière de pho-tographe de charme. Puis, quelques an-nées plus tard, de réalisateur de filmsérotiques. Son fonds de commerce ? Lesnymphes nues et prépubères, filméesdans un flou artistique qui sera alorsadopté par la pop culture.

Polanski, Gainsbourg, Bertolucci, Ha-milton aiment les Lolitas chères à Na-bokov. Dans ces années-là, on ne voitqu’un péché mignon, qui n’empêcherapas Gabriel Matzneff ou Daniel Cohn-Bendit de faire publiquement, souventavec la complicité aveugle des médias,l’éloge d’une forme de pédophilie, àleurs yeux noble et sacrée.

L’affaire Dutroux brisera net, en 1996,cette période d’anarchie sexuelle et deconfusion morale. Aujourd’hui, on saitce qu’il en est. Polanski demeure accusépour le viol d’une adolescente. Berto-

lucci a fait son mea culpa – lui et Mar-lon Brando avaient manipulé, en 1972,la toute jeune Maria Schneider pour ar-river à leurs fins : une légendaire scènede viol. Hamilton s’est suicidé aprèsavoir été soupçonné de viols sur mi-neures. Seul Gainsbourg reste encoreindéboulonnable… mais pour combiende temps encore ? Si son génie faitl’unanimité, on redoute pour bientôtune révision cruelle de sa vie de dé-bauche, autour de quelques angles d’at-taque : sexe, Lolitas, alcool...

Place aux représaillesCar en 2018, l’indulgence vis-à-vis

des comportements des artistes a vécu.Et l’heure est aux représailles. Pour lemeilleur – l’alibi culturel n’est plus unpasse-droit, la justice est la même pourtout le monde, idoles comme ano-nymes. Et pour le pire – la nauséabondechasse aux sorcières n’épargne ni lesexagérations ni parfois les erreurs tra-giques.

Dans une récente tribune publiée par

Et les médias ? La presse écrite ?Si on parlait de Charlie ? Enfant de

68 et de l’esprit Hara-Kiri, Charlie Heb-do est né des amours orgasmiques entrelibertaires et libertins. Cinquante ansplus tard, le fanzine satirique de jadiss’est mué en monument national, dou-blé d’un organe officiel de la résistance.On n’y rit plus beaucoup. Mais on s’ybat. On tente de survivre. On fait sur-tout face, depuis les attentats de janvier2015 qui l’ont spirituellement tué… etéconomiquement sauvé, à une armée dedétracteurs, parfois même au sein desorigines gauchistes du journal. Ses en-nemis le disent aujourd’hui moins anaret bouffeur de curés que donneur de le-çons et islamophobe.

Adieu la gaudrioleLes descendants d’Actuel, le magazine

qui fit le bonheur de la presse françaisedans les années 70 et 80, ne fument au-jourd’hui plus de pétards. L’esprit de sé-rieux et la bienveillance des enfants de2018 ont eu raison des gestes roman-tiques et des poses rebelles dessoixante-huitards. Désormais, l’aven-ture médiatique se passe « En terre in-connue », dans le respect d’autrui etavec quelques sourires de Bisounours.

1968-2018. Signe des temps : l’espritde gaudriole et d’humour potache a dis-paru. Wolinski, Reiser, Choron, Co-luche appartiennent au passé. Uneépoque qui faisait rimer, sur les pla-teaux télé de Michel Polac et souventsur fond de dérision, sexe, drogue et ro-ck’n’roll. Le sexe, qui fit la légende desmagazines de charme (Playboy, Lui,Penthouse…) est désormais sous tutelle.Le rock des origines a été enterré parl’industrie du rap. Quant à la dérision…Même la génération Canal +, héritièrede l’hédonisme trash de 68, a fait sontemps. Les élucubrations d’Antoine DeCaunes et de José Garcia, bouffons de« Nulle part ailleurs », ont fait place,désormais au sein du groupe TF1, à uneimpertinence toujours pertinente, em-menée par la bande d’un premier declasse, Yann Barthès (« Quotidien »).

Un seul slogan de 68 demeure d’ac-tualité : « A bas le vieux monde ! »Faut-il préciser que le vieux monde estdésormais celui d’il y a cinquanteans ? ■

NICOLAS CROUSSE

Libération, une chercheuse de UCLA sefait la porte-parole de nombreusesfemmes, désormais en guerre contre la« représentation odieuse », dans l’art,des violences sexuelles faites par leshommes aux femmes. L’objet de soncourroux s’exerce sur Blow up, le filmpré-soixante-huitard d’Antonioni, sym-bole pour elle d’une illustration scanda-leuse, par le cinéma, des actes d’agres-sion sexuelle, pour ne pas dire de viol.« Il y a cinquante ans, écrit-elle, les re-lations hommes-femmes telles que dé-crites dans le film étaient considéréescomme banales, voire normales. »

Muse de la génération 68, CatherineDeneuve tirait quant à elle, la semainedernière, la sonnette d’alarme. Pourelle, le monde nouveau, celui de 2018,vire au puritanisme. Elle s’inquiète du« danger des nettoyages dans les arts.Va-t-on brûler Sade en Pléiade ? Dési-gner Léonard de Vinci comme un artistepédophile et effacer ses toiles ? Décrocherles Gauguin des musées ? Détruire lesdessins d’Egon Schiele ? Interdire lesdisques de Phil Spector ? Ce climat decensure me laisse sans voix et inquiètepour l’avenir de nos sociétés. »

Le terrible coup de vieuxdes « nouvelles vagues »

La génération 68 dansait et faisait l’amour sur « La Décadanse », de Gainsbourg. Celle de 2018 attaque en justice les ambassadeurs de la décadence. La culture a changé de planète.

« Il y a cinquante ans, les relations hommes-femmes telles que décrites dans lefilm étaient considérées comme banales, voire normales », s’insurge la chercheuseLaure Murat, en visant « Blow up», le film pré-soixante-huitard d’Antonioni. © DR.

21 OCTOBRE

cjordens
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