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Conférence Internationale sur :

Les frontières de la question foncière : Enchâssement social des droits et politiques publiques

17 - 19 mai 2006, Montpellier, France

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Note préparée par Léonidas Hitimana ([email protected]), Agro-économiste,

Secrétariat du Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest (SCSAO) / OCDE

Version provisoire

DEPUIS 2005, LE SECRETARIAT DU CLUB DU SAHEL ET DE L'AFRIQUE DE L'OUEST (SCSAO) MENE DES

ANALYSES ET DES CONSULTATIONS SUR LA THEMATIQUE « FONCIER, TRANSFORMATION DE

L’AGRICULTURE ET CONFLITS EN AFRIQUE DE L’OUEST ». CE TRAVAIL S’APPUIE SUR LES EXPERIENCES

DE LA SIERRA LEONE, DU LIBERIA ET DE LA COTE D’IVOIRE COMME POINTS D’ENTREE EN VUE

D’IDENTIFIER LES ENJEUX ET LES APPROCHES REGIONAUX PERMETTANT D’ABORDER CES QUESTIONS AU

NIVEAU DE L’AFRIQUE DE L’OUEST. L’EXPERTISE DE PAUL RICHARDS, (UNIVERSITE AGRICOLE DE

WAGENINGEN, PAYS-BAS) ET JEAN-PIERRE CHAUVEAU (IRD, FRANCE) A ETE MISE A CONTRIBUTION. LE

PRESENT DOCUMENT S’INSPIRE LARGEMENT DE LEURS TRAVAUX ET ANALYSES REALISES DANS LE CADRE

DE L’INITIATIVE DU SCSAO. LES OPINIONS EXPRIMEES DANS CE DOCUMENT N’ENGAGE QUE L’AUTEUR ET NE REPRESENTENT PAS

NECESSAIREMENT CELLES DU SCSAO / OCDE.

Table des matières 1. Enjeux fonciers, transformation de l’agriculture et conflits ..........................................................................................................2 2. Insécurité des droits fonciers, citoyenneté et identité : quels liens avec les conflits ? ..............................................................5 3. Titre foncier : risques d’exclusion et nouvelles formes de tensions agraires .............................................................................7 4. Hyper-mobilité des jeunes populations rurales démunies et conflits au niveau régional ..........................................................9 5. Conclusions: quelles leçons régionales pour aborder les questions foncières et les conflits ? ..............................................11

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INTRODUCTION

L’insécurité foncière et l’accès précaire aux ressources naturelles en particulier l’eau, les terres de cultures et de pâturages, sont des facteurs pouvant entraver les dynamiques de transformation de l’agriculture et l’amélioration des moyens d’existence des populations rurales. Des droits inéquitables, incertains ou ambiguës d’accès à la terre et la politisation des questions foncières peuvent contribuer à l’exacerbation des conflits. Cela a été le cas notamment dans les pays du fleuve Mano (Libéria, Sierra Leone), en Côte d’Ivoire et dans les pays des Grands Lacs (République Démocratique du Congo). Des tensions entre différents groupes socio-économiques ou groupes de producteurs (entre agriculteurs et éleveurs) peuvent engendrer des épisodes de conflits violents susceptibles de dégénérer aux niveaux national et transfrontalier comme cela fut le cas au Libéria et en Cote d’Ivoire. Le Secrétariat du Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest (CSAO) considère que les questions foncières sont d’une grande importance pour la région ouest-africaine. C’est dans ce contexte qu’il a lancé en 2005 une Initiative sur « foncier, transformation de l’agriculture et conflits en Afrique de Ouest1 ». Cette initiative cherche à répondre à plusieurs questions notamment la suivante : A quel degré les questions liées au foncier ont-elles contribué aux conflits violents en Afrique de l’Ouest2 ?

Une des trois activités prévue est la Revue historique et les leçons à tirer de la comparaison entre les expériences de la Sierra Leone, du Libéria et de la Côte d’Ivoire. Cette revue se concentre sur la manière dont la cohésion sociale s’est disloquée au fil du temps et le rôle qu’ont joué les questions foncières dans la détérioration du tissu social aux niveaux local et national dans ces trois pays. Un document détaillant l’approche méthodologique est également disponible3 .

Les transformations économiques et sociales ont des conséquences sur les dynamiques de transformation de l’agriculture, l’accès et l’exploitation des ressources naturelles et minières, l’innovation agricole et la sécurité. La réglementation et les pratiques foncières en Afrique de l’Ouest et du Centre ont souvent été source de tensions agraires pouvant dégénérer en conflits violents. L’exclusion quant à l’accès à la terre, sans être la cause principale des conflits, a souvent joué un rôle non négligeable dans leur exacerbation et dans la formation des milices armées.

Le présent document aborde la question du foncier, de la transformation de l’agriculture et des enjeux pour les conflits sous quatre aspects différents :

1) Les enjeux fonciers, la transformation de l’agriculture et les conflits en Afrique de l’Ouest ; 2) L’insécurité des droits fonciers et les liens entre la citoyenneté, l’identité et les conflits ; 3) L’acquisition de titre foncier et les risques d’exclusion et de tensions agraires 4) L’hyper-mobilité des jeunes populations démunies et les conflits au niveau régional

1. ENJEUX FONCIERS, TRANSFORMATION DE L’AGRICULTURE ET CONFLITS Les facteurs de convergence concernant le foncier, la transformation de l’agriculture et les conflits sont multiples et peuvent être regroupés en cinq catégories :

� L’accès aux ressources naturelles ; � L’exploitation des ressources naturelles et minières ;

1 Pour plus de détails voir http://www.oecd.org/dataoecd/54/31/36056677.pdf. 2 Pour le CSAO, L’Afrique de l’Ouest comprend 18 pays : les 15 pays de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), la Mauritanie, le Cameroun et le Tchad. Cette précision est utile car d’autres organisations régionales ont un autre découpage géographique (pour plus de détails, voir annexe : présentation du Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest). 3 Richards P. and Chauveau JP (2005), Land, Agricultural Change and Conflict in West Africa: Regional issues from Sierra Leone, Liberia and Côte d’Ivoire, Approach paper for the Historical Overview, Sahel and West Africa Club / OECD.

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� Les dynamiques de transformation de l’agriculture ; � L’accès à l’innovation agricole ; � La sécurité humaine.

Accès aux ressources. Ceux qui utilisent la terre font face à une réglementation et à des pratiques régissant les droits fonciers qui, à certains moments, peuvent se chevaucher ou entrer en concurrence. L’application des textes de même que la circulation de l’information entre les niveaux local et national sont essentiels pour le règlement des différends et la sécurisation des droits fonciers des groupes spécifiques ou des individus. La prise en compte des droits dérivés du foncier comme par exemple les droits de plantation et d’utilisation des arbres et leurs fruits a rarement fait l’objet d’une attention particulière.

Exploitation des ressources naturelles et minières. Le système de gestion et d’organisation du travail dans le secteur des ressources naturelles et minières (les mines alluviales de diamant au Sierra Leone, la récolte du caoutchouc et l’exploitation du bois au Libéria, les plantations de café et de cacao en Côte d’Ivoire) est également fondé sur des formes d’exploitation du travail d’ouvriers peu qualifiés et sur le métayage. Il en découle que ce secteur ne représente pas souvent une alternative viable d’amélioration des moyens d’existence pour les jeunes travailleurs ruraux. C’est ainsi qu’on observe des migrations saisonnières, temporaires, circulaires4 ou définitives des jeunes ou d’autres individus qui font face à des difficultés d’accès aux ressources naturelles. Ces jeunes sont parfois obligés de naviguer entre exploitations agricoles et l’exploitation minière en fonction des opportunités de travail qui s‘offrent dans ces deux secteurs. Dynamiques de transformation de l’agriculture. Plusieurs facteurs sous-tendent la rapide transformation de l’agriculture, qui crée des tensions dans les relations agraires actuelles. Dans les zones rurales, l’accès des petites exploitations familiales – majoritaires dans la région5– à la terre et aux ressources naturelles dépend généralement des autorités locales et traditionnelles. Au sein des ménages, les femmes, les migrants et la jeunesse ont tendance à être désavantagés dans l’allocation des ressources productives et l’accès aux facteurs de production.

Foncier et innovation agricole. L’accès à l’innovation agricole est l’un facteur important contribuant à l’amélioration du niveau de vie et au développement économique.6 L’accès équitable à la terre et aux innovations agricoles, notamment pour les femmes et les jeunes, est indispensable pour créer des opportunités d’emplois durables dans les zones rurales. La terre fournit également une base pour l’investissement dans l’agriculture. Augmenter l’accès à l’innovation agricole et la valeur ajoutée de l’agriculture peut aussi permettre d’empêcher l’apparition de nouveaux foyers de violence dans des pays en sortie de crise ou en phase de reconstruction. Les plantations d’arbre et les cultures intensives de riz dans les bas-fonds exigent un certain niveau de sécurité foncière en grande partie accessible uniquement aux indigènes. Les migrants au Liberia et en Sierra Leone sont n’ont pas ce niveau de sécurité foncière. Les villages des indigènes produisent des « docteurs et des juristes et non des exploitants agricoles » (Hanson-Alp 2005). Les plantations de cacao et de café permettent aux propriétaires terriens une accumulation de capital dans le temps. Ce capital est généralement réinvestit dans l’éducation des enfants qui, au final, quittent la terre. Au Libéria les jeunes populations rurales sans droits sécurisés sur les terres sont souvent doublement victimes des pratiques coutumières et de faible 4 On parle de migration circulaire lorsque les quatre conditions suivantes sont remplies : (i) possession de papiers, (ii) phénomène collectifs de migration appartenant à un réseau (comme les migrants maliens), (iii) avoir un niveau de qualification du migrant lui permettant d’avoir un statut privilégié privilégié dans le pays d’accueil et le pays d’origine et (iv) avoir espoir dans la situation du pays de dapart notamment pour réaliser des investissements 5 Les exploitations familiales sont prédominantes en Afrique de l’Ouest en dépit de l’émergence de l’agro-business. Elles se caractérisent souvent par des foyers composés de nombreuses personnes vivant ensemble, gérant les ressources productives et les activités de manière coordonnée, et entreprenant des activités diverses pour réduire les risques et s’adapter à un environnement en constante évolution. Voir www.oecd.org/sah/transformationagri. 6 Trois types d’innovation sont pris en considération: (i) institutionnelle et organisationnelle; (ii) physique et matérielle; (iii) connaissance et

pratiques. Voir les travaux du SCSAO sur l’innovation agricole: http://www.oecd.org/sah/transformationagri

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revenu tirés de l’économie de plantation comme main-d’œuvre. En Côte d’Ivoire, au contraire, la sécurité des contrats de faire-valoir indirect, tant sur les cultures vivrières (location à durée limitée, généralement calée sur le cycle de culture) que sur les cultures pérennes (métayage, souvent renouvelé d’années en année) explique qu'il y a eu beaucoup d'innovations dans la production vivrière en zone forestière (notamment la diffusion du maïs, de variétés d’igname et les cultures maraîchères,). Ces innovations ont été davantage portées par les « étrangers » que par les autochtones qui disposaient d’une main d’oeuvre familiale limitée. Ces innovations techniques ont été facilitées par des innovations institutionnelles (diversification des contrats d'accès à la terre à travers de nouvelles règles de location/métayage, associant cultures pérennes et cultures vivrières) et par la mise en valeur des bas-fonds (traditionnellement peu utilisés à des fins agricoles par les autochtones). Ainsi, une trop forte ingérence administrative dans des arrangements locaux efficaces, risquerait de provoquer des stratégies d’accaparement de rente.

Sécurité humaine. La sécurité des personnes dans tous ses aspects (économique, social, politique, physique, etc.) est importante, notamment en ce qui concernent les soldats démobilisés et la jeunesse impliquée dans les conflits. Il en est de même au niveau de leur réinsertion dans la société à travers les programmes de désarmement, démobilisation et réintégration, les processus de réinstallation et de reconstruction socio-économique. Il a été démontré que la plupart des pays en sortie de crise rebasculent dans la violence lorsque la gestion des ressources naturelles n’est pas assurée de façon équitable et durable comme cela fut le cas au Libéria. C’est dans ce cadre que le conseil de sécurité des Nations Unies interdit en 2003 l’exportation du bois en provenance du Libéria pour éviter que les ressources forestières ne servent à financer à l’achat des armes et à financer la guerre comme ce fut le cas dans le passé au Libéria.

Au-delà de ces cinq catégories de facteurs, d’autres thèmes transversaux sont à prendre en compte : les enjeux politico-économiques ; les dynamiques de conflit aux niveaux régional et transfrontalier; et les changements de stratégie des acteurs en réponse aux contextes et aux opportunités. Le schéma suivant illustre les facteurs de convergence entre le foncier, la main-d’œuvre agricole, la transformation de l’agriculture et les conflits dans les trois pays concernés. Les éléments mis en avant dans le schéma concernent tant les questions des droits des personnes que celles de développement.

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Schéma : les facteurs de convergence des questions foncières et des conflits en Afrique de l’Ouest et du Centre

Source : Chauveau J.P. et Richards P., Land, Agricultural Change and Conflict in West Africa: Regional Issues From Sierra Leone, Liberia and Côte d’Ivoire, Historical Overview, SWAC / OECD, à paraître

2. INSECURITE DES DROITS FONCIERS, CITOYENNETE ET IDENTITE : QUELS LIENS AVEC LES CONFLITS ? Il existe une longue tradition de mouvements de population ou de migration intra-régional saisonniers, circulaires ou définitifs. Ces mouvements à caractère économique (échanges, emplois saisonniers, transhumance) ou politique (réfugiés, déplacés) sont facilités dans les zones transfrontalières par les liens familiaux des populations souvent de même origine ethnique. Ces mouvements rendent difficiles la comptabilisation de la population et l’établissement des papiers d’identité. Dans certaines circonstances, des conflits peuvent naître ou s’aggraver autour de l’accès à la terre entre populations dites autochtones et celles qualifiées à tort ou à raison de migrants. Dans plusieurs pays du Sahel, la citoyenneté des pasteurs est parfois difficile à prouver. Leur mode de vie et de production liées à l’élevage transhumant les obligent à traverser régulièrement les frontières et leur citoyenneté est parfois remise en cause en cas de tensions agraires7 comme

7 Trémolières M. et Gnisci D., (2004), une vie transfrontalière en pointillée : les migrants involontaires mauritaniens de la vallée du fleuve Sénégal, Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest / OCDE.

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cela fut le cas en Mauritanie et au Sénégal en 1989. Un conflit éclate entre éleveurs peuls et agriculteurs soninkés à cause de la divagation des troupeaux. La mort de deux sénégalais et de plusieurs blessés déclenche alors des massacres dans plusieurs villages et villes des deux pays. Ce conflit entre agriculteurs et éleveurs ouvre la brèche à des tensions politiques et provoque l’expulsion des populations négro-mauritaniennes de la rive droite du fleuve Sénégal considérées alors comme des sénégalais. Une crise à l’origine entre agriculteurs et éleveurs, s’élargie aux autres catégories professionnelles. En Mauritanie, les fonctionnaires négro-mauritaniens perdent leur emploi et les populations d’origine sénégalaise ne peuvent plus exercer leurs métiers de commerçant ou artisans. La confusion s’installe au niveau de la citoyenneté et des populations d’origine sénégalaises subissent des expropriations sous prétextes qu’ils ont acquis la nationalité mauritanienne de manière « frauduleuse ». La crise atteint également les capitales des deux pays Dakar et Nouakchott. Le conflit pris une ampleur nationale et régionale puisque les relations diplomatiques entre les deux pays sont rompues de 1989 à 1991. Les rapatriés mauritaniens ne pouvant formellement prouver leur nationalité ont des difficultés à réclamer leurs terres et les droits découlant de leur citoyenneté. Cette situation fragilise davantage les jeunes générations nées à l’extérieur du pays dont l’identité est encore plus compliquée à prouver en l’absence de papiers officiels. Elles deviennent ainsi facilement manipulables par les leaders politiques. Cet exemple montre à quel point un simple conflit local de gestion foncier entre agriculteur et éleveurs peut déclencher des violences à caractère national, puis régional. Le phénomène d’exclusion génère des violences par exacerbation de sentiments racistes et l’appartenance ethnique. Il en est de même lorsque les enjeux fonciers deviennent trop importants. En Mauritanie, la mise en valeur des terres et la réforme domaniale de 1983, dont une loi encourage l’accès à la propriété privée, l’aménagement et l’irrigation des terres a fortement contribué à attiser les tensions entre les utilisateurs des zones de cultures et des zones de pâturages. Il s’en est suivi l’expulsion des pasteurs Haalpulaar. En Sierra Leone, lorsque le Front Révolutionnaire Uni (Revolutionary United Front, RUF) envahi le pays pour la première fois, le gouvernement tente de décrédibiliser le mouvement arguant que c’est un groupe de mercenaires libériens sans aucune revendication ni légitimité politique. Le RUF était un mouvement mené par quelques jeunes idéologues qui avaient le sentiment d’avoir perdu leur identité en tant que citoyen sierra léonais. Certains provenait des familles exclut ou marginalisé de la vie politique depuis plus d’un siècle. La colonisation britannique avait exclut de la vie politique toutes les familles qui s’étaient rallier aux leaders locaux de mouvements contre l’administration indirecte britannique. Plusieurs de ces combattant avaient même passé plusieurs années en exile au Libéria ou en Cote d’Ivoire et n’étaient pas reconnus par le pouvoir central post–Siaka Stevens. Au Libéria, le Front Patriotique National du Libéria (National Patriotic Front of Liberia, NPFL) forme son mouvement de combat avec les jeunes population du conté de Nimba, point de rencontre entre le Libéria, la Cote d’Ivoire et la Guinée. De la même façon, le LURD (Liberians United for Reconciliation and Development) recrute parmi les jeunes populations rurales Mandingue descendant d’esclaves mises à l’écart de la vie politique nationale. Leur citoyenneté libérienne et l’accès au foncier sont difficilement reconnus. En République Démocratique du Congo (RDC), déjà au 19ème siècle, une proportion importante de population parlant le Kinyarwanda (langue du Rwanda) vivaient en RDC dans les hautes terres de la région du Nord du Kivu. Les mouvements migratoires du Rwanda et même du Burundi vers l’actuel RDC ont été encouragés au début du 20ème siècle par la colonisation belge pour servir dans les plantations agricoles et dans les zones minières. Dans le Nord Kivu, les populations rwandophones et kirundophones sont considérées au début des années 1900 comme des autochtones et obtiennent le droit d’avoir leurs propres chefs locaux. Mais les autres groupent ethniques s’y opposent. Dans le Sud Kivu, les populations d’origine essentiellement rwandaise sont toujours considérées comme des « étrangers » et la concurrence sur les ressources foncières est restée une source importante de tension entre les populations locales et les Rwandophones. A partir des années 1990, les conflits locaux dans la région du Kivu prennent une dimension

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régionale suite aux flux de réfugiés en provenance du Burundi et du Rwanda. Les populations rwandophones, les Banyamulenge, installées depuis deux siècles dans la région sont alors politiquement considérées comme des « étrangers » responsables de l’insécurité de la zone. Ce qui était une tension agraire entre les populations locales et les immigrés se transforme en crise politique nationale, puis régionale sur fond de polarisation ethnique, identitaire et citoyenne. En Côte d’Ivoire, cependant, force est de noter que la protection administrative dont ont longtemps joui les migrants et surtout leur capacité à mobiliser de la main d’œuvre familiale ou originaire de leurs régions d’origine en ont fait des planteurs souvent plus prospères que les planteurs autochtones (dans l’Ouest notamment) et les principaux utilisateurs des bas-fonds (que les autochtones utilisaient très peu à usage agricole). La législation foncière de 1998 relative aux droits coutumiers renforce maintenant la reconnaissance des droits issus des revendications d’autochtonie. L’enjeu consiste à éviter que la mise en oeuvre de la loi n’aboutisse pas à un retour brutal de balancier, qui redresserait des injustices anciennes en en créant de nouvelles tout aussi dangereuses, notamment au niveau sous-régional. La question foncière est étroitement liée à la question de l’intégration et de la coopération des différentes communautés au sein des collectivités locales. Celle-ci est liée à la question de la citoyenneté, mais aussi au renforcement de l’état de droit dans la gestion des affaires publiques locales et dans les rapports entre les collectivités multi-ethniques locales et les autorités de l’État. La loi de 1998 se fonde sur la volonté des tuteurs autochtones et encourage la reconnaissance des droits d’exploitation par des étrangers, qu’ils soient naturalisés ou pas. Cette approche purement juridique et technique risque d’ouvrir la voie aux rapports de force locaux. Les droits fonciers sont indissociables des questions d’identité et de citoyenneté des populations locales. Ces exemples montrent que les enjeux fonciers sont au cœur de l’intégration et de la coopération des différentes communautés au sein des collectivités locales, quelle que soit leur origine régionale et leur nationalité. Bien plus qu’une simple question technique de réforme foncière, cela nécessite le renforcement de l’état de droit (au niveau central et décentralisé) dans la gestion des affaires locales y compris l’accès au foncier et dans les rapports entre les collectivités multi-ethniques locales et les autorités politiques. Il serait nécessaire que l’identification des droits tienne compte des principes de justice tels qu’ils sont perçus, conçus et généralement acceptés dans toute la région de la Guinée forestière (Richards P. et Chauveau J.P. à paraître). En RDC, une préoccupation importante des populations rurales a été l’attitude oppressive des services publics, notamment les services judiciaires et les services de cadastres, parfois sur base ethnique, qui ont contribué à la spoliation des terres. En clair, les instances politiques ont interféré dans la dépossession et l’insécurisation foncière. 3. TITRE FONCIER : RISQUES D’EXCLUSION ET NOUVELLES FORMES DE TENSIONS AGRAIRES Depuis quelques décennies, une attention particulière est portée sur l’acquisition des titres de propriété comme moyen de stimuler les investissements et la croissance de la production et de la productivité du secteur agricole. Plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest et du Centre ont adopté une réglementation dans ce sens mais celles-ci a de multiples conséquences, parfois contradictoires pouvant même générer des tensions agraires. La systématisation de lois permettant d’accéder au droit de propriété n’est pas une condition suffisante pour la sécurisation foncière et la création d’un environnement dynamique en faveur de la transformation de l’agriculture, de l’amélioration des moyens d’existences des populations rurales y compris de la lutte contre la pauvreté. Plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest comme le Mali et le Niger, ont fait beaucoup d’effort pour élargir la réglementation des droits contractuels en reconnaissant et en favorisant les contrats et arrangement locaux d’exploitation garantis et en offrant aux institutions locales la possibilité de gérer les conflits qui pourraient survenir concernant ces contrats. En Sierra Leone, la loi voté en 2005 sur les l’usage commercial des terres, the Commercial Use of Land Act, autorise tout citoyen sierra léonais à acheter ou à louer des terres dans tout le pays. Ces contrats de vente sont matérialisés par un acte légal enregistré au niveau du District. Le Chef de

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famille qui possède des terres à vendre peut réaliser ce contrat après avoir consulté au préalable les membres de la famille. Les conditions de vente doivent également être approuvées par l’autorité coutumière locale. Au Libéria, cette responsabilité revient au chef de l’Etat. En Cote d’Ivoire, la loi de 1998 peut certes corriger les effets excessifs provoqués, en termes de « dépossession foncière » des autochtones et particulièrement des jeunes, par la politique de colonisation foncière poursuivie durant les cinquante dernières années dans l’Ouest forestier. Mais il n’est pas certain que cette réforme profite aux plus démunis. Par ailleurs, la production agricole marchande repose essentiellement sur le secteur de l’agriculture familiale. La mise en oeuvre de la loi de 1998 pourrait susciter des tensions entre les autochtones et les propriétaires privés de grandes plantations ou les sociétés privés qui ont profité des mesures de libéralisation pour acquérir les anciennes plantations d’État dans le Sud-Ouest et le Centre-Ouest. Des revendications sur les anciennes plantations de la SODEPALM ont déjà été enregistrées dans les sous-préfectures d’Okrouyo et Méagui. Des jeunes de la région de Tabou revendiquant une meilleure distribution de terres ont occupé une grande exploitation de palmeraie appartenant à un haut responsable politique du pays (Richards P, Chauveau J.P. à paraître). En RDC, les procédures en vigueur en matière d’accès au foncier sont établies par la loi n° 73-021 du 20 juillet 1973 fondée sur le principe du premier occupant. Mais, le décret sensé entériner le cadre d’application de cette loi qui tient compte des pratiques coutumières et protègent le premier occupant, n’a jamais été promulgué. De ce fait, le droit foncier appliqué aux terres communautaires reste toujours vague et ouvre des brèches à l’exclusion. Sur le plan juridique, les agents fonciers, au niveau des territoires et des collectivités, n’ont pas le pouvoir de décision et s’occupent des tâches d’exécution concernant les enquêtes foncières préalables à l’octroi d’un terrain. Les compétences foncières officielles des autorités régionales sont très limitées. Il en résulte des conflits sanglants fréquents liés à l’ambivalence entre le pouvoir de l’autorité locale (Mwami) et le pouvoir du conservateur des titres fonciers et immobiliers. Dans les faits, le pouvoir reste entre les mains du Mwami mais vis-avis de l’acquéreur, la terre obtenue à travers l’autorité locale, ne permet pas de jouir de tout les attributs du droit de propriété. Le droit de vente ne revient qu’au Mwami mais ces règles sont variables selon les régions. A Rutchuru et Masisi par exemple, les paysans ont le droit de vendre leur terre mais ce n’est pas le cas dans les terres de Beni et Lubero où ce droit revient toujours au Mwami. L’expérience de plusieurs pays de l’Afrique de l’Ouest et du Centre concernant l’application d’une approche standard d’enregistrement et de délivrance des titres de propriété révèle quelques limites qui méritent d’être évoquées :

• Les dimensions intrafamiliales et intergénérationnelles sont souvent ignorées. Le transfert des droits au sein des familles, les conditions de la gestion foncière intrafamiliale, les conflits familiaux et leurs possibles incidences hors de la famille comme les droits délégués à des étrangers ne sont pas pris en compte. En Sierra Leone, une loi en cours de finalisation garantie un héritage équitable (et l’acquisition du titre foncier) entre les hommes et les femmes. Mais cette la même loi précise que pour la terre, il faut d’abord en être propriétaire. Or très peu de femmes sont propriétaires de terres à l’exception d’une partie de la région Nord où les femmes ont le droit d’accéder à la propriété par héritage (Hanson-Alp, 2005).

• Les lois qui renforcent les droits des autochtones peuvent être instrumentalisées

pour servir des intérêts spécifiques. Le renforcement des “droits coutumiers conformes aux traditions” par la loi de 1998 en Cote d’Ivoire par exemple va de pair avec une idéalisation de leurs vertus. Ces “principes coutumiers" peuvent être contradictoires et constituent davantage des sources de justification et de négociation des intérêts privés et spécifiques, qui, à terme sont sources de conflits.

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• La démarche de délivrance des titres de propriété donne l'illusion d’une approche participative garantissant une procédure contradictoire. Dans les faits, les exclusions sont fréquentes notamment les titulaires des droits ou contrats d’usage de courte durée comme les migrants, les éleveurs et les femmes. La composition et le fonctionnement des commissions foncières expriment et réactivent parfois l’état des rapports de forces locaux et le degré de légitimation des autorités politiques et foncières. La simple présence de populations démunies par exemple ne garantit pas l’expression d’un désaccord le cas échéant.

• L’expérience des vingt dernières années montre que la procédure d’acquisition des titres

fonciers est coûteuse, lente et souvent inappropriée dans certains contextes. Par exemple, il a déjà été observé que certains chefs de clans lignagers signent des contrats de ventes de terres sans que les enfants ou leurs femmes n’en soient au courant même s’ils sont supposés les consulter avant toute décision de vente de terre.

• L’acquisition de titre foncier profite aux individus ayant un capital social et politique

important. La démarche concrète d’acquisition de titre foncier des individus détenteurs d’une certaines influence politique et administrative et concerne souvent des autorités morales ou religieuse bénéficiant d’un capital social et politique important.

Ces éléments peuvent servir aux pays de l’Afrique de l’Ouest qui souhaitent s’engager dans un processus de réforme foncière visant l’acquisition des titres de propriétés afin de mettre en place une approche et des institutions permettant d’atténuer ces limites pour inscrire et adapter les réformes en tenant compte du contexte dans lequel ces réformes vont être appliquées. 4. HYPER-MOBILITE DES JEUNES POPULATIONS RURALES DEMUNIES ET CONFLITS AU NIVEAU REGIONAL L’hyper-mobilité des jeunes populations en situation d’instabilité socio-économique est un facteur commun expliquant en partie les conflits armées dans la région du fleuve Mano et en Côte d'Ivoire. L’hyper–mobilité est définie, ici, comme l’impossibilité d’avoir des attaches professionnelles, familiales et sociales stables en milieu rural et/ou dans les centres urbains de la région. Cette instabilité est alors matérialisée par des mouvements fréquents entre les zones rurales et urbaines mais ces mouvements migratoire ne permettent pas aux migrant de réaliser leurs objectifs fautes d’opportunités d’emplois leurs assurant de meilleures conditions de vie. L’hyper-mobilité des jeunes combattants se traduit par le fait que les guerriers se déplacent facilement d’un pays à un autre. Les jeunes combattants en Cote d’Ivoire sont souvent des combattants démobilisés au Libéria, déçus par les conditions de leur réinsertion, et quelquefois incontrôlables par leurs patrons ivoiriens. Dans la région de l’extrême Ouest ivoirien, les factions locales des Forces Nouvelles anti-gouvernementales (MPIGO, MJP) recrutent également des jeunes Libériens et Sierra Léonais. L’existence des jeunes ruraux hyper-mobiles n’est pas une conditions suffisante expliquant les conflits armées, mais la disponibilité des jeunes hyper-mobiles pour le recrutement des milices lorsque il n’existe d’autres opportunités d’emplois est un aspect important à l’origine des insurrections armées dans le trois pays. Les analyses réalisées par Paul Richards et Jean-Pierre Chauveau dans le cadre de l’initiative du CSAO ont clairement montrées que le recrutement de jeunes combattants au Libéria, en Sierra Léone et en Cote d’Ivoire se faisait en grande partie auprès des jeunes qui migraient d’un pays à l’autre dans l’espace couvert par les trois pays. Les jeunes « hyper-mobiles » devenaient ainsi un important vivier pour le recrutement des milices armées dans la région. En effet, différents mouvements armés se sont régulièrement échangés des combattants au service de leaders politiques, mus par des objectifs et des revendications différents. Après un siècle de migration rural–urbain des jeunes des villages de l’haute forêt guinéenne vers les villes côtières, la réduction des opportunités d’emplois déclenchée en partie par les politiques

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d’ajustement structurel des années 1980 a eu pour conséquence l’hyper-mobilité des jeunes sur un continuum urbain-rural à la recherche d’opportunités économiques temporaires. Ils dépendent périodiquement de la possibilité d’être réadmis dans les communautés comme exploitant agricole. L’accès au foncier pour les populations en échec urbain est essentiel dans la sécurité et la réduction des risques liés au maintien de leurs moyens d’existences. C’est pour cette raison que dans certains cas les jeunes populations en échec scolaire étaient obligées de réclamer les terres allouées aux migrants en leur absence. Dans d’autres cas, elles redevenaient des ouvriers agricoles dans des conditions d’exploitations qu’elles avaient voulu fuir en cherchant d’autres opportunités. En Sierra Leone, l’origine sociale des combattants recrutés était principalement celle des populations rurales démunies (hommes et femmes), ayant un certain niveau d’éducation mais avec un avenir urbain incertain (Humphreys & Weinstein 2004). Ces combattants se plaignent souvent d’être exploités au niveau du travail à travers les pratiques de métayage dans l’exploitation du diamant très peu rémunéré (Richards 2005) En Cote d’Ivoire, Dans la zone forestière, l’appui aux activistes les plus loyalistes est venu des jeunes populations en échec d’insertion urbaine et qui étaient retournées en milieu rural comme exploitants ou ouvriers agricoles. Ces jeunes en échec urbain sont hostiles aux planteurs en provenance d’autres régions mais aussi aux populations de génération plus anciennes qui ont donné des terres aux « étrangers ». Deux facteurs ont conduit à des conflits sporadiques mais de plus en plus généralisés et violents dans l’extrême Ouest forestier de la Cote d’Ivoire, contigu à la frontière libérienne. Il s’agit de la prépondérance démographique d’anciens migrants originaires des autres régions ivoiriennes et des pays sahéliens voisins ainsi que la présence de nombreux jeunes Libériens recrutés par les parties en conflit. Les conflits récurrents dans les régions de Zouan-Hounien, Toulépleu, Guiglo et Duékoué, de Guiglo et Tabou, attestent clairement les risques d’enchaînement des violences entre les jeunes générations d’autochtones et de migrants, attisés par les intérêts politiciens locaux et nationaux8. Si les combattants dans les trois pays sont recrutés parmi les populations qui n’ont pas pu s’intégrer dans le milieu rural ou urbain il faut également éviter des conclusions hâtives à savoir qu’il y a un lien direct entre la guerre et la rareté de la terre comme semble l’affirmer certaines thèses neo-marxistes. Les conflits dans cette zone ont d’abord couvés au Libéria, un des pays ayant encore d’importantes ressources en terres vierges et forestières. Très peu de combattants interviewés ont mentionné des problèmes de rareté de terre mais plutôt des difficultés d’accès sécurisé aux ressources foncières. Les conflits sont plutôt liés aux enjeux politico-économiques soulevés par le contrôle de l’accès à ces ressources par certains acteurs locaux qui bénéficient, d’une manière ou de la couverture du pouvoir central. Cette situation illustre l’importance d’aborder des questions institutionnelles pour traiter les conflits dans la région. Ainsi, la sécurité appelle à la justice sociale comme piliers d’une citoyenneté socialement et statutairement acceptée, la construction et la reconnaissance d’une identité qui consolide le sentiment d’appartenance, vecteur de paix. Le système de gestion et d’organisation du travail décrit plus haut est également à l’origine de phénomène d’hyper-mobilité des jeunes. Le fait que les ouvriers soient obligés de donner une partie de leur récolte (cette part pouvant atteindre 80% de la production) fait que ce secteur ne représente pas une alternative viable d’amélioration des moyens d’existence pour les jeunes travailleurs ruraux. La conséquence est la migration saisonnière et temporaire de la jeunesse, entre les exploitations agricoles et les mines en fonction des opportunités de travail qu’offrent ces secteurs.

8 Richards P., Chauveau J.P. (2006), Land, Agricultural Change and Conflict in West Africa: Regional Issues from Sierra Leone, Liberia and Côte d’Ivoire, Hisorical overview, SWAC/OECD.

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5. CONCLUSIONS: QUELLES LEÇONS REGIONALES POUR ABORDER LES QUESTIONS FONCIERES ET LES CONFLITS ? La nécessité des réformes foncières en Afrique de l’Ouest et du Centre est généralement admise. Cependant les divergences d’intérêt entre populations locales, différentes communautés et acteurs nationaux ont parfois exacerbé des tensions agraires pouvant dégénérer en conflits violents généralisés au niveau national, puis régional. La question foncière est étroitement liée à la question de l’intégration et de la coopération des différentes communautés au sein des collectivités locales, quelle que soit leur origine régionale et leur nationalité. L’amélioration des conditions d’accès à la terre pour les catégories vulnérables n’est pas seulement liée à la question de la citoyenneté, mais aussi au renforcement de l’état de droit, tant dans la gestion des affaires locales que dans les rapports entre les collectivités multi-ethniques locales et les autorités publiques. Aborder les questions foncières et la gestion des ressources naturelles uniquement au niveau national seraient insuffisant avec le risque de résurgence de conflits après quelques années de calme comme cela fut le cas pour le Libéria. Les enjeux fonciers ne sont pas simplement d’ordre purement technique à propos des types de réformes foncières à mettre en place. Ils concernent également les politiques nationales, les politiques régionales, les processus de dialogue entre différents acteurs, les questions d’identité, de citoyenneté, de libre circulation des personnes, etc.. Sous le leadership du CILSS, les organisations régionales ont entamé un processus visant la prise en compte des questions foncières au niveau des politiques agricoles, de l’organisation sociale et économique du travail et des la diffusion des conflits dans la région. Cependant, le degré d’implication des acteurs locaux dans les processus de concertation n’est pas encore clairement défini. La contribution des institutions régionales pourrait également porter sur le développement d’une perspective de long terme des questions foncières dans une approche plus globales incluant les politiques agricoles régionales (comme ECOWAP dans le cadre de la CEDEAO) et nationales des questions foncières. Trois autres aspects sont à prendre en compte dans les analyses des questions foncières et leurs implications pour la transformation de l’agriculture et les conflits9 :

� Les réformes doivent éviter le dualisme entre les droits hérités des systèmes coloniaux et les modes de production et les pratiques ouest-africains. Les réformes en cours devraient garantir les droits des communautés locales et préserver les modes de production des population locales comme les communautés de pasteurs afin qu’elles puissent encourager une meilleure gestion de ressources naturelles par les communautés elles-mêmes. Les programmes d’installation des pasteurs et celles visant à mettre en place un droit de propriété sur les terres de pâturage n’ont pas tenu en compte les modes de production des pasteurs. Pourtant, les modes de production des pasteurs éleveurs sont connus pour leur valorisation des zones arides et leur contribution à une meilleure gestion des ressources naturelles et de l’environnement. Des approches participatives de gestion des ressources naturelles comme les Conventions locales, offrent un cadre de négociation et de concertation entre les différentes catégories de population permettant de tenir compte de la diversité et de la complexité des réformes foncières. Le cas du code rural du Niger où plusieurs sessions de concertation ont lieu entre toutes les autorités administratives, les populations locales et les communautés de pasteurs en est un exemple.

� La mise en place de politiques de réformes foncières est un processus complexe qui

s’inscrit dans la durée. Les expériences acquises montrent que les réformes foncières peuvent prendre plus de dix ans. La mise en place des institutions et des réformes foncières tenant compte de la complexité des pratiques locales en matière d’acquisition et

9 Colin J.-Ph., J.-P. Chauveau, E. Léonard, P.-Y. Le Meur, 2006. Les politiques et législations foncières à l'épreuve de la connaissance et de la reconnaissance des droits. Document de l'UR Régulations foncières, politiques publiques et stratégies des acteurs, Montpellier, IRD.

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de transfert des terres est un long processus qui ne peut se réaliser en quelques années. Les pratiques concernant l’acquisition et la gestion des terres comportent une diversité de droits et coutumes. La mise en oeuvre de ces réformes exige la mobilisation des ressources humaines et financières durant une période relativement longue. Le suivi de ces réformes est également important pour ajuster au fur et à mesure de leur évolution et prendre en compte de nouvelles questions qui émergent. Par exemple, le code rural au Niger a fait l’objet d’un long processus négocié avec les autorités à la fois locale et administratives avec une volonté de prendre en compte les intérêts et les pratiques de tous groupes de populations. Malgré tous ces efforts, de nouvelles questions commencent à se poser sur l’acquisition des titres de propriété et la spéculation autour du foncier.

� Dans le court et moyen terme il sera important que les propriétaires terriens

comprennent que les contrats et les arrangements locaux concernant le transfert, la location et les transactions fonciers ne mettent pas en cause leurs droits de propriétaire sur les terres. Ces contrats et arrangement peuvent être mis à profit à la fois pour les migrants qui souhaitent exploiter de manière temporaire certaines terres et les propriétaires terriens qui ne peuvent utiliser toutes leurs terres ; une situation gagnant – gagnant pour toutes les parties. Dans le court et moyen terme, il est essentiel de garder les autres formes d’accès au foncier en particulier pour les populations les plus démunies qui n’ont pas forcément les moyens financier de s’engager dans les procédure d’acquisition du titre foncier. Les chefs locaux jouent ici un rôle essentiel et pourraient même redéfinir leur identité et leur contribution dans la gestion foncière et le règlement des conflits. En Côte d’Ivoire, par exemple, l’héritage historique de l’administration directe pourrait faciliter l’incorporation du principe de responsabilité et de redevabilité (accountability) des chefs vis-à-vis en particulier des populations les plus mobiles.

En Afrique de l’Ouest il y actuellement un regain d’intérêt à la fois au niveau des pays qu’au niveau des bailleurs pour la réalisation d’un document de politique foncière à travers un processus participatif comme cela fut le cas au Ghana, au Mali et au Niger. Un engagement de long terme à la fois des gouvernements et des bailleurs de fonds est essentiel pour mieux articuler les réformes avec les objectifs de lutte contre la pauvreté, de croissance économique.

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Annex 1: Présentation du Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest

Le Club a été créé en 1976 à l’initiative des membres de l’Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE), en liaison avec plusieurs chefs d’États d’Afrique de l’Ouest en réponse à la sécheresse qui avait dévasté la région et la crise alimentaire qui s’en était suivie. En 2001, son Conseil d’administration a décidé d’élargir son champ d’action à toute l’Afrique de l’Ouest pour tenir compte des complémentarités entre le Sahel et les autres pays de la région. Ses activités recouvrent ainsi 18 pays : les 15 États membres de la CEDEAO, la Mauritanie, le Tchad et le Cameroun. Rattaché administrativement à l’OCDE, le Secrétariat du Club est financé par les contributions des pays membres de l’OCDE. Le Club est animé par un Secrétariat composé d’une équipe technique restreinte à Paris, qui s’appuie sur un réseau de correspondants locaux et de nombreux experts aux origines et aux compétences diverses. Le Club travaille en réseau avec des acteurs ouest-africains représentant les gouvernements, la société civile, le secteur privé et les organismes de développement et de recherche. Il entretient également des relations de proximité avec les partenaires au développement de l’Afrique de l’Ouest ainsi qu’avec des organisations internationales et régionales notamment le ROPPA, le CILSS, l’UEMOA, la CEDEAO, l’Union Africaine et le NEPAD. Le Secrétariat du Club vient appuyer de manière directe l’action de la CEDEAO en jouant un rôle de plaidoyer et en favorisant des échanges tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la région sur les futurs souhaitables et possibles de l’Afrique de l’Ouest en amplifiant la voix des africains dans divers fora. En Juillet 2004, la CEDEAO et le SCSAO ont identifié des domaines de coopération concernant le développement rural, la coopération transfrontalière ; la gouvernance, la dynamique des conflits, la paix et la sécurité ainsi que les perspectives de développement à moyen et long terme de la région. Par ailleurs, le Club travaille également en étroite collaboration avec le CILSS sur plusieurs sujets notamment la sécurité alimentaire ainsi que la transformation du monde rural. La démarche régionale adoptée depuis plusieurs année, son intérêt pour les perspectives de développement à moyen et à long terme de l’Afrique de l’Ouest, l’identification des dynamiques de transformation à l’œuvre, sa lecture équilibrée des avancées et des défis de la région, et son expérience des réalités du terrain constituent la spécificité du Club.