Conférence. "Paysage et projet"

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CHANTIER 2 ACTES Conférence « Paysage et projet » par Jean-Marc BESSE ( Mercredi 03 avril 2013

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CHANTIER

2ACTES

Conférence« Paysage et projet » par Jean-Marc BESSE

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Mercredi 03 avril 2013

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SOMMAIRE

LISTE DES PARTICIPANTS

OUVERTURE DE LA CONFERENCE

I. EXPOSE DE JEAN-MARC BESSE : « PAYSAGE ET PROJET »

1. Les cinq paradigmes paysagers

2. La démarche de projet de paysage

II. DISCUSSION

1. Intervention des discutants 2. Echanges avec la salle

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LISTE DES PARTICIPANTS

BESSEJean-Marc,IntervenantBONNEFOYSerge,TerresenVillesBRIANDETClément,CAUE91BUYCKJennifer,IUG-UMRPacteDARROTCatherine,AgroCampusOuestUMRESODEBIASILaure,IAUDONADIEUPierre,ENSPDUCHARDTSolange,PNROisePaysdeFranceDUVOUXBernard,MAAF/DGPAATJULLIENBruno,ExAURANLAGANIERPhilippe,ExMAAFLECAROYvon,UMRESOLEVEQUEStéphane,CertuMARLYJean,ExCertuMarlin,IAUNOVARINAGilles,IUGOECONOMICOJuliette,DRIEEIle-de-FrancePELTEKIANRoland,DRIEEIle-de-FrancePOUSINFrédéric,ENSPSTACCHETTIChristel,TriangleVertTHIBAULTChristian,IAUTRICAUDPierre-Marie,IAUVARGASLilian,PaysVoironnaisVERDIERPascal,RennesmétropoleVEYSSETGildas,TerresenVillesVIDALRoland,ENSPWEILJoëlle,DRIEEIle-de-France

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OUVERTURE DE LA CONFERENCE Intervention de Serge BONNEFOY, secrétaire technique de Terres en Villes :

Nousallonsouvrir cetteconférencede Jean-MarcBESSEque je remercied’êtrevenu jusqu’ànous.C’estChristianTHIBAULDquivaprononcerlemotd’accueilpourl’institutd’aménagementd’urbanismeavantquejeresituelaconférencedanslecontextedelarecherche-actionformesagraires,formesurbaines,quinousoccupentmaintenantdepuistroisansentreacteursetchercheurs,etJean-MarcBESSEauraaprèslaparolepourprésentersaconférence.Christian…

Intervention de Christian THIBAULD, directeur du département environnement urbain et rural de l’IAU :

Merci, bonjour, bienvenue à l’IAU. Je me présente Christian THIBAULD, directeur du départementenvironnement urbain et rural à l’IAU. Je dirais que nous avons pris l’habitude depuis quelques annéesmaintenantd’accueillirlesréunionsparisiennesdeTERRESENVILLES.Labonnehabituded’ailleurs,j’aiécritsurmonpapier.Sachantquec’estdanslecadred’unpartenariatpartagéavecleconseilrégionaletaveclafédérationdesagencesd’urbanisme.Jevaispeut-êtrevousdirequelquesmotssurl’approchepaysagèrequiestdéveloppéeàl’institut,çapeutêtreintéressant,rapidement.Jediraisquec’estunepartieintrinsèquedenostravauxdepuistrèslongtemps,c’estmêmehistoriquepuisquejerappelleraisqu’ilyaquelquesmois,nousavionsinstallédanslehalluneexpositionsurlestravauxdeGéraldHANNING,quiétaitunéminentpaysagisteurbanisteà l’IAU,quiavaitnotammentdéveloppé laméthodeque l’onappelle« de la tramefoncière »etquiavaitconduitàélaboreràl’époquelacartedecompositionurbainequiétaitjointeauschémadirecteurde1976.Alors,jediraisquel’onaunpetitpeurégresséencettematièrepuisquemaintenant,danslesschémasdirecteursrégionauxactuels, iln’yaplusdecartesdecompositionsurbainesoupaysagèresmalheureusement.

Sinonilyaeudepubliéssurcettequestiondupaysageplusieurscahiersquisontencoredesréférences,unde1993« Paysage,grandpaysage ».Sachantquelegrandpaysage,commenoussommesuneagencededimensionrégionaleatoujourseuuneplaceimportanteàl’IAU.En1997,c’étaient« Lespaysagesd’Ile-de-France,comprendre,agir,composer »,cemotesttrèsimportant,etpuislepetitdernierdeseptembre2011« Lepaysage,duprojetà laréalité »,quiestuncahierquivoulaitmettreenavant lefaitqu’avecledéveloppementdurable,malheureusement,ilyavaituneprioritéauxapprochestechnologiquesavecpeut-êtreetmêmesansdoute,undéficitd’approchesensibleetilfallaitremettreducoupcepaysageau-devantdelascène.Ilyad’autrescahiersquel’IAUaproduitsenlientrèsfortaveclepaysagequisontégalementencoredesréférences,jepenseàunnumérodoublesurlacartographieancienne,«Troissièclesdecartographieen Ile-de-France»quiétaitparuen1997-1998,unautrecahier sur lepatrimoineen termesdeconceptetdevécuen2000-2001.Entermesd’approchepaysagère,àl’IAU,ondéveloppedesapprochesquisontintégrées.Celapeutparaîtreuneévidence,maiscelamesembleimportantdelesouligner,entermesdepaysageetd’architecture,entermesdepaysageetdepatrimoine,depaysageetdebiodiversité,depaysageetd’agriculture,sachantquel’onchercheàconcilierplutôtqued’opposerlesdisciplinescommeçapeutsefaireparfois.Uneautrecaractéristique,c’est,jecroisl’articulationdeséchelles.D’abordévidemment,leséchellesd’espacepuisqu’ilyaeutravaildugrandpaysage,maisaussiàl’échelledesprojetsdeterritoireunpeuplusfinsoudesprojetsdequartiers.Çac’estunedimensionqu’ilfautquel’onréexplore.Nousallonslancercetteannéeunchantierdeprospectiveetjecroisquelevoletpaysagerseraittoutàfaitintéressantàexplorerdecepointdevue-là.Commentlepaysagevaévoluerdanslesdizainesd’annéesquiviennent.

Justepourterminer,parmi lesapprochesrécentesouencourssur lepaysage, ilyadestravauxdefondactuellementsurlesunitéspaysagèresdelarégionetsurlesbelvédèreségalement.IlyadesréflexionsquisontliéesauSDRIFetaudocumentsd’urbanismedonc,quisontenliendirectaveclesréflexionsquel’onaiciavecTERRESENVILLES,etenparticuliersurlesquestionsdesfrontsurbainsetdelanatureenvilleausenslarge.Ilyadesdéveloppementsdeméthodeségalement,telsquel’analysefonctionnelledesespacesouvertsoutellesquedesapprochesdepointsnoirsenvironnementauxsachantquelepaysageaaussiunrôletrèsimportantdanscesquestions-là.Sansoublierdesateliersprojetsquiontétélancésaucoursdecetteannéesurlesterritoiresstratégiquesdelamétropolefrancilienne.JevoudraisremercierLaureDEBIASI,StéphanieCISOUTAMEetPierre-MarieTRICAUDpourl’organisationdelaréunionainsiqueledépartementcommunicationetlesservicesgénérauxdel’institut.

Serge BONNEFOY, secrétaire technique de Terres en Villes :

Bon, tu l’asassezdit,maisc’estencoreunnouveau témoignagecetteconférenceaprèscelledeGérardCHOUQUERdupartenariatentrel’Institutd’Aménagementetd’Urbanismedel’Ile-de-FranceetTERRESENVILLES.Tulesais,TERRESENVILLESsefélicitedecettecollaboration.OnamaintenantunbureauàParis.Onn’aplusforcémentbesoinduniddouilletdontonavaitbesoinavant.Maispournous,c’estvraimentessentieldegardercetterelationavecl’Institutd’Aménagementetd’Urbanisme,cequevousreprésentezetvules

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contactschaleureuxquel’onaavecLaureDEBIASIetvoséquipes.

TERRESENVILLES,cesont27agglomérationsdontlarégionIle-de-France.OnvaaccueillircetteannéequatreautresagglomérationsdontBordeauxet lamétropolemarseillaise.C’estdoncquelquechosequidevientassez important.Vous savez, nous travaillons sur cinq grands chantiers, la co-construction des politiquesagricolespéri-urbaines.Ledeuxième,c’estceluiquinousintéresse,laprotection,miseenvaleurdesespacesagricolespéri-urbains.Letroisième,c’estlagouvernancealimentaire,circuitalimentaire.Quatrième,Europeetcinquièmeforêtpéri-urbaine.

Onestdansungrandévénement,letermeestunpeupompeux,delarecherche-action,formesagraires,formesurbaines,quel’onacommencée,ilyatroisansgrâceàquelquesfinancementsdelaDATARetdelabonnevolontédeschercheursetdesacteurs.LeschercheursdeAgrocampusouest,del’Écoledel’UMRESO-RESO,del’universitéRennes2,del’ENSPV,VersaillesMarseilleavecRolandVIDAL,del’Institutd’UrbanismedeGrenobleetnosamissuissesdeLausanneetdeGenève,ÉcoledesHautesÉtudesdel’IngénierieduPaysageet de l’Aménagement de Genève Lullier. Cette recherche-action est scandée par des rencontres et desconférences,c’estladeuxièmeconférenceaprèscelledeGérardCHOUQUER.L’objectifgénéralduprojetestdesavoircommentvaloriseretgérerlesinterrelationsentreformesurbainesetformesagricoles,cequePierreDONADIEU et André FLEURY ont appelé les formes agriurbaines, ainsi que les usages partagés qui endécoulentdanslavilleterritoireàl’époquedesamétropolisation,auregarddetroiséchellesidentifiées.Leprojet était assez audacieux. L’échelle du grand territoire donc Grand Paris,Vallée du Rhône, l’échelle del’interfacebâti,nonbâtietl’échelledusystèmeparcellairedel’exploitationagricole.Jecroispouvoirdirequelecollectifs’estprogressivementconstituéetbienengagédansnostravaux.L’objectif,c’est d’améliorer la connaissance des modes de production, de renouvellement deformeagriurbainedelamétropolisationconfrontéeàlacrisequel’onconnaîtetàlaproblématique de la transition énergétique, écologique, etc. Expérimenter lesdémarchesdeprojet.Dansnotreaction,ilyaplacepourlesateliersprojetsetducôtéacteurd’apporterlesoutilsméthodologiquesco-construitsnécessairesàuneconduitepertinentedesprojets.Nousavonsrepéréenmatièredegestionpubliquedesespacesagricolespéri-urbainsunesoixantainedeprojetsencours,etnousavonsbienvudansles dernières années, un développement de projets publics privés en faveurd’agriculturespéri-urbainesoucequel’onappellemaintenantl’agricultureurbaine.Jevousrappellelesphasesduprojet:l’étatde l’art,lerecensementdesexpériences.Onestauniveaudelatroisièmeetdelaquatrièmephase,laphaseterrain.Nousn’avonsmalheureusementpaspuavoirlesfinancementsrecherche,noussommesentraindeleschercherpourlasuite.Analyserlasynthèseettoutcelapourarriverà2014,àunouvragefinal,àunforumfinal.Donc,cetteconférences’inscrit-j’aimislaclôture,çaneserajamaisclôturél’approchepaysagère,maisjepensequevousalleznousledire-danslaclôturedusitequel’onainitiéaveclesrencontresdeVersaillesdes11et12décembre,quiétaitconsacréàl’approchepaysagèredecesprojets.Dansunan,c’est-à-diremaintenant,find’année,onseraàGenève,jepensequel’oncroiseraapprochepaysagère et modèles économiques pour poser cette question-là avec la créationarchitecturale.

SuiteauséminairedeVersailles,vosamiscommePierreDONADIEUoucommeYvonLECAROnousontproposé de vous accueillir dans cette conférence, vous Jean-Marc BESSE qui êtes philosophe, historien,spécialistede l’épistémologieetde l’histoireetde lagéographie.Celamerappelledespropressouvenirsquandjefaisaismathèse,ilyatrèslongtemps.C’estpournoustrèsintéressantdevousécoutersurcetteaffaire-là,denousameneràprendredureculsurl’épistémologie,scienceshumainesetsocialesetdepouvoirreplacernostravaux.Onvoussolliciteraaussipourquevousportiezvotreregardparrapportànotremodesteprojet, mais qui est quand même sérieusement attendu par un certain nombre d’acteurs et je crois dechercheursdeplusenplusimpliquéssurlesquestionsdelamétropolisationetdupéri-urbain.Onadeuxdiscutants,GillesNOVARINAquivientdecomprendrelecheminementmonopolydesgaresparisiennes-onestbienàMontparnasse–professeurd’urbanismedel’Institutd’UrbanismedeGrenoble,quejeremercie,carilestundesdiscutantsfavorideTERRESENVILLES.IlétaitdéjàlàladernièrefoisavecGérardCHOUQUERetPierre-MarieTRICAUDlerégionaldel’étape.Jesuistrèscontentqu’ilyaitunreprésentantdespaysagistesde l’Institut d’Aménagement de l’Ile-de-France, pour bien montrer ce partenariat. Je ferai le modérateur.N’oubliezpasd’êtreendécembreàGenèveLullierpourcontinuercettesériederencontres.

Figure 1 : Potager du Roi, ENSP de Versailles

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I. EXPOSE DE JEAN-MARC BESSE : « PAYSAGE ET PROJET »

Jean-Marc BESSE, agrégé de philosophie et docteur en histoire, directeur de recherche au CNRS, enseignant à l’université Paris 1

Jesuisàlafoistrèsheureuxettrèshonorédepouvoirvousparleraujourd’hui,deprésenterquelquesréflexions.J’étaistrèsheureuxdevoircettephotographiedesPâquisdeGenèveparcequ’effectivementune partie de ma réflexion a été nourrie par des rencontres prolongées que j’ai pu faire à l’Écoled’ArchitecturedeGenève,àl’époqueoùcetteécoleexistaitencoredanslesitede postgrade.Pendant

plusieursannéesd’unsitedepostgradeàl’universitédeGenève,àl’Écoled’Architecture,quis’intitulait«architectureetpaysage»précisément,danslequelilyavaitunespritpluridisciplinaired’approchedupaysageenfait.Cetteexpériencepluridisciplinaireanourriengrandepartielesréflexions que je vais vous proposer aujourd’hui. Comme monsieur BONNEFOY vient de lerappeler,jesuisquelquepartunoutsiderdecettequestion.Montrajetestplutôtceluid’unphilosophe,d’unhistoriendessavoirs.JedirigeuneéquipeauCNRSquiestparticulièrementdédiéeàl’étudedel’histoireetdel’épistémologiedelagéographie.Jesuisdansunesortedetriangulationentrephilosophie,épistémologied’unepart,histoired’autrepartetgéographieenfin.C’estàpartirdecespôles-làoudecespointsdevuequej’aiétéamenéàrencontrerlaquestiondupaysage.Doncenuneperspective,vouslevoyeztoutdesuitequin’estpasetneprétend pas être directement opérationnelle, mais dans une perspective réflexive dans lamesureoùau fond–etpeut-êtreest-ce lavertuou ledéfautdesétudesphilosophiques -l’interrogationprincipalequiestlamienneestuneinterrogationsurleconceptdepaysage,sur

lesensoulessensdumotpaysageetsurlespratiquesquisontaccrochéesàcetermeaussibiendansl’histoirepasséequedanslapériodecontemporaine.

Lapremièresériederemarquesquej’aimeraisfaireconcernelechampderecherchesaujourd’huisurlepaysage.Jepensequelaquestionn’estpasseulementdevenueunequestion,jediraid’actualitépratique,maisc’estaussiunequestionderechercheimportante.Denombreuxtravauxthéoriquesetdescriptifsquisesontdéveloppésdepuisunequinzained’annéesenFrancenotammentoùconvergentplusieursdisciplines,plusieursmétiers.Çatraversevraimenttoutlespectredesdisciplinesscientifiquesaussibiendans ledomainedes sciencesde lanaturequedans ledomainedes scienceshumaineset sociales,maisçaconcerneaussil’histoireetlathéoriedesartsetdelalittérature,celaconcernelaphilosophie,cela concerne bien entendu les recherches en architecture ou en agronomie. De fait, je pense quecomme moi, vous aurez noté sans difficulté l’augmentation quantitative tout à fait considérable dunombredepublicationsconsacréesaupaysageen langue françaisedepuisunequinzained’années.Toutlemondeafaitl’expérience,ilyaencorequinzeansderechercherdeslivressurlepaysagedansdes librairiesgénéralistesetfinalementd’êtreenvoyédansdesdirectionsquidoiventêtre les rayonshistoiredel’artoubienlerayonjardinageparexemple.Cequiveutdirequedanslesyeuxoudanslatêtedeslibraires,etbienfinalementlepaysagen’existaitpasentantquequantitéspécifique.Cen’estplusvraimentlecasmaintenant,mêmesic’estencorefréquent.Lepaysageparailleursestdeplusenplusprisenconsidérationdansl’environnementsocial,politiqueetinstitutionnelcommeonlevoitparcettesimpleprésenceici.Unenvironnementinstitutionnelquiestdeplusenplusattentifàlaquestiondespaysagesetdelaqualitédespaysages.Bienentendu,ilyadesinstitutionscommecellesdanslesquellesnousnoustrouvons,maisilyaaussil’apparition,vouslesavezaussibienquemoi,l’apparitiondepuisunequinzained’annéesdefilièresuniversitairesennombreimportant,quiontétédédiéesaupaysage.Il y a aussi bien entendu la création de nouvelles écoles ou de nouvelles antennes dans des écolesdéjà existantes. Bref tout ceci, je crois traduit le développement de ce que  LUGINBÜHL appelle unedemandesociale.Jenesaispasexactementcequeregroupeceterme,maisilyadefait,unedemandequis’estexpriméeetquisetraduitpar lacréationd’uncertainnombred’institutionsspécifiquementdédiées à la question du paysage, à la formation axu métiers du paysage. Et puis bien entendu lesdispositifsjuridiquesetinstitutionnelsnouveauxquiapparaissentàl’échellenationaleetinternationale.Jementionneraid’abordetavanttoutlaconventioneuropéennedupaysagede2000,quiestentréeenvigueurenFranceen2006.Bref,onpeutconsidérerqu’unevéritableculturedupaysages’estdéveloppéeenFranceaucoursdecesdernièresannéesmêmesielleestencoreembryonnaire.Orlescontoursdecetteculturesontflous,cars’ymélangentbeaucoupdechoses,beaucoupdevolontésdivergentes,desreprésentations,desrèglements,etpuisdesenjeuxquiparfoissontcontradictoires :desenjeuxsociaux,économiques,écologiques,spatiaux.Maisdesenjeuxdontl’activitésefaitsentirchaquejour.J’évoqueraibienentendulescontraintesauxquellesvousavezprobablementdéjàfaitallusionsurlesrecompositionsterritoriales des activités industrielles avec leurs cortèges de compétences sociales et spatiales. Lesphénomènesd’étalementurbainauxquelsvousêtesparticulièrementconfrontés, lestransformationsdesrelationsville-campagneetpuislescrisesenvironnementalesquisontdeplusenplussignificatives.

Figure 2 : Jean-Marc Besse

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Laquestiondel’aménagementdesterritoiresetdescadresdeviepourêtreplusexact,etlaquestiondusenspolitiqueetculturelqu’ilfautdonneràcesterritoiresetàcescadresdevieestàmonsensdeplusenplusd’actualité.Laconjonctionentrecesdeuxaspects,d’unepart,ledéveloppementd’unerechercheetd’uneréflexionsurlespaysagesouleconceptdupaysaged’unepartetpuislaréalitéducontextesocialet spatialdans lequelces recherchessedéveloppent faitapparaîtreàmesyeuxdeshorizons inéditspourlespratiquesprofessionnellesdesaménageursdespaysagistes,maisaussipourleschercheursquiseconsacrentàlaquestiondupaysage.Etdonciln’estpasétonnantdevoirapparaîtredenombreusesinterrogationsconceptuellesconcernant lespaysages,concernant leurcompréhension.Commeje ledisaistoutàl’heure,ilyadenombreusesdisciplinesacadémiquesquisesontemparéesdecettequestiondepuisdenombreusesannées.Etsil’onveutfaireunpasdecôté,lasituationestassezconfuseenréalitépuisquel’onobservequelesdiscourssontcontradictoires,difficilementharmonisés.Aufondjenesuispastoujourssûrdequoionparlequandonparledepaysageselonleslieuxdanslesquelsonsetrouve.Celagénèreparfoisdessituationsd’incompréhensionplusfréquentesquel’onnel’imagine.Etc’estjustementdansl’objectifdeclarifierlesdonnéesdecettesituationépistémologiqueetculturellequej’avaisessayédanslelivrequej’avaispubliéilyaquelquesannéesquis’intitule« Legoûtdumonde »,deproposerfinalement une sorte de cartographie, d’inventaires des discours ou des paradigmes paysagers toutsimplementafindefournirdesélémentsd’orientation.Ilm’avaitsemblé–jevaislerappelerrapidement–que l’onpouvaitdistinguerdans laculturedeceque j’appelle laculturedupaysageou laculturepaysagère,cinqgrandesorientations,quej’appelledesparadigmespaysagers,c’est-à-diredesmanièresdepenser,desmanièresdeconcevoirlepaysage,entrelesquelslesdébatscirculent,sedéveloppent.Bien entendu, ces paradigmes sont en grande partie reconstruits par moi. Ils ne cofondent pas ourarementavecdesauteursparticuliers.Ilssontplutôtcequej’appelleraidespôlesthéoriques,despôlesproblématiquesetàpartirdesquelsuncertainnombredediscourssurlespaysagessesontdéveloppés

1. Les cinq paradigmes paysagers

Je les reprends les uns après les autres. Le premier donc. Le paysage comme représentation culturelle. C’est aujourd’hui encore dans le monde de la recherche en France en particulier, en lafaveurdecirconstanceshistoriquessurlesquellesonpourrarevenir,c’estencoreaujourd’huil’optionoul’orientationthéoriquequiestlaplusrépandue.L’idéequelepaysageestunereprésentationculturelleélaboréeparl’histoire.Uneorientationquej’appelleuneorientationdutypeculturaliste.Lespaysagesdanscetteperspectivesontmoinsdesobjetsquedesimagesoudespensées.Lespaysagessontrelatifsàdessystèmesdevaleursphilosopheoureligieuse,politique,scientifique.Lespaysagessontrelatifsàdesconceptionsdumonde.Lepaysageestprésentécommeuneinterprétationoupourreprendrelemotd’undesprotagonistesdecegenredeconception,l’historienAlainCORBINcommeunelecture:« lespaysagessontdeslecturesdumonde».Onvadireunesuccessiondelecture.Danscetteperspectivethéoriqueserangentlestravauxsurl’inventionculturelleetsociale,desmontagnescommepaysage,des forêtscommepaysage,des rivagesmarinscommepaysage,etc.De très trèsnombreux travaux,dethèses,ontétépubliésdanscetteperspective-là.Pourévoquerunautreregistre,destravauxsurlerôledespaysagesdanslamiseenœuvredesimaginairesnationaux.Jepenseenparticulieraugrandouvragedel’historiensuisseFrançoisWALTERquiafaitungrandtravailsurlafonctiondelaréférenceaupaysagedanslaconstitutiondesidentitésnationalesenEuropeauXIXèmeetaudébutduXXèmesiècle.Onestdansuneépoquequ’AlainROGERavaitappeléuneopérationd’Artialisation,quifaitpasserlepaysaupaysage.Etlanotiondereprésentationquiestutiliséeici,jenevaispasladévelopper,peutêtre prise de manière très restrictive comme le font les historiens avares, qui parlent de l’histoire dupaysageenlaréduisantàl’histoiredelapeinturedepaysage.Lareprésentationestici,représentationesthétique, représentation picturale parfois même le mot représentation peut être pris dans unrapport plus élargi et l’on parlera à ce moment-là des représentations sociales, des représentationsculturelles en y intégrant des déterminations qui ne sont pas simplement esthétiques. Mais il restequedanscettemanièredepenser lespaysages.Lespaysagessontplutôtdes idéesquedesréalités.

La deuxième approche, le paysage comme territoire fabriqué et habité. Si j’avais respecté lachronologieà fond, je l’auraimiseenpremier.Elleestplusancienne.C’estuneapprocheculturalisteégalement.Elleestissuedelagéographiehumaineclassique.JepenseàtoutescestraditionsquiviennentdugéographefrançaisdudébutduXXèmesiècle,PaulVIDALdelaBLACHE,maisçavajusqu’àJulienGRACQquiestunhéritierpresquedirectdeVIDALdelaBLACHE.OnpourraitpenserauxtravauxdeshistoriensàlasuitedeMarcBLOCHparexemple.Lesunsetlesautresmettentmoinsl’accentsurlesreprésentationsdupaysagequesurlespratiquesdeproductionetsurlesusagesculturelsquiorganisentlespaysagesdemanièreàenfairedesterritoireshabitablespardesgroupeshumains.Decepointdevue-là,lepaysageestdéfinidemanièrefondamentalecommeunemanièrecollectived’habiterl’espace,d’habiterlemonde.Lepaysageestdéfinicommedemeuredeshommesoùceux-cipeuventtrouverabrietidentité,c’est-à-diresenspourleurexistence.L’histoiredespaysagesentenduedanscelongparadigmecorrespondàla

« Les paysages sont des lectures du monde »

« Les paysages sont plutôt des idées que des réalités.»

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transformationdespratiquesetdesmodesd’organisationdel’espacetelqu’ils’imprimedirectementounonsurlesol.C’estuneorientationthéoriquequiestencoretrèsprésentechezleshistoriens,chezlesgéographes,maisaussichezlesanthropologues.Voussavezquel’anthropologiedupaysagesedéveloppede manière assez importante aujourd’hui et souvent dans ce genre de perspectives théoriques .

Troisièmeorientationtoutaussirépanduedansledomainedel’aménagementetdessciencesdelaterre.etquiestdifficileàdéfinir.J’aiécritenvironnementdessociétéspournepasdirenonplusenvironnementnaturelparcequecen’estpasexactementça.Elles’articuleautourduconceptdesystèmespaysagers.Làencore,letermen’estpasforcémentadroitniexact,maiscetteapproches’illustreparexempleenpartieparlestravauxdugéographeGeorgesBERTRANDenFrance,ouparlestravauxdel’écologiedupaysagejusqu’àuncertainpoint.Cen’estpasuneapprocheetc’estsurtoutcelalepointquejevoudraissouligner.Cen’estpasuneapprochequieststrictementculturaliste.Le paysage est compris comme une réalité matérielle de type morphodynamique, à un système dans lequel s’articule des éléments d’origines naturels, mais aussi d’origine humains et sociaux, comme un système hybride. C’estpour ça que l’on n’est pas dans un naturalisme complet, même si certains en géographie physiqueauraienttendanceàadopteruneapprochetrèsnaturalisteparrapportàça,enfaisantunedistinctiontrèsclaireentrepaysagenatureletpaysageculturel.Maiscen’estpasçaquej’envisage,vousvoyez,c’estautrechose.C’estlefaitqu’ilyaitdesphénomènespaysagersquis’articulentselondeséchellestemporellesetspatialesquineseconfondentpasetquinepeuventpasêtreréduitesauxéchellestemporellesetspatiales humaines. C’est ça le point. L’idée du système paysager, elle est fondamentalement là. Elleestdanslefaitqu’ilyaunesortededevenirobjectifoudedynamiqueobjectivedespaysagesquinepeuventpasêtreconfondusavecladynamiquedel’histoireproprementsocialeethumaine.Laquestionestcelledel’articulationdutempshumainçaveutdiretempshistoriqueettempsdespaysages.Cettequestionestréactivéeaujourd’huiaveclamisesurlemarchéd’unnouveauconceptquiestleconceptdel’Anthropocène.Leconceptdel’AnthropocènedanslaversionquiestdéveloppéeparunhistorienindoaméricainquiestDipeshCHAKRABARTY,quis’estemparédececonceptpourproposeruneréécriturede l’histoire de ce qu’il appelle l’espèce humaine. Ce sont des perspectives théoriques très récentes.

Quatrième orientation  : le paysage comme expérience sensible. Une orientation qui se veutphénoménologique. Le paysage est présenté avant tout comme un événement. L’événement d’uneexpérience sensible qui peut être parfois précisé avec le mot horizon. L’expérience du paysage estrelatifàlamiseenœuvredelasensibilitéhumainelorsquecelle-ciestconfrontée,estmiseencontactaveclemonde.Danscecas-là,lepaysageestmoinsunereprésentationouunobjetqu’unaffect,uneémotion.Lepaysage,c’estmoinsdel’ordredelaconnaissancequedel’ordreduchoc.Etlà,justementon n’est pas dans la perspective d’un savoir, on est plutôt dans la perspective du refus du savoir oude l’échappement par rapport au savoir. Les paysages sont vécus comme se refusant à l’objectivité,commeétantcontrairesausavoir,àl’établissementdusavoir.Denombreuxtravauxsesontdéveloppésendéveloppantcegenred’idéesdans ledomainede lapsychologie,de laphilosophieexistentielle,delapsychiatrieparexempleoujustementcettequestiondesaffectspaysagersestsouventévoquée.Oninterrogecequel’onappellel’êtreaupaysage.Jereviendraiprobablementlà-dessustoutàl’heure.

Etpuisenfin,unedernièreorientationderecherchetrèsvivante,c’estcellequiconcerne laquestionduprojet,le paysage comme dispositif de projet,commecombinaisonentreunsiteetunprojet.Bienentendu,c’estprincipalementducôtédel’architectureetdupaysagismequecetteapprocheestdéveloppée.Ils’agitdel’interrogationhistoriquesurlesrelationsentrelebâtietsoncontexte.Ils’agitdeladéfinitiond’unmodede« projetation »pourfaireunitalianismequitientcomptedesparticularitésdu site et du contexte d’où une double interrogation sur ce que c’est qu’un site, ce que l’on définitd’unepartetsurcequ’estunedémarchedeprojetd’autrepart.Maisça,j’yreviendraistoutàl’heure.

Jeterminelàcetrèsrapideparcours.Ilestévidentquetoutpaysageréelouplutôttouterencontreavecunpaysagecorrespondenfaitàuncomposédecescinqorientations.Ellesnes’excluentpascomplètement.Souventellessechevauchentaucontraire.Toutpaysagepeutêtreconsidérédemanièrecomplexe.Lemotcomplexité,jepensequ’ilfautleprendredanstoutesarigueur,àlafoiscommeuneréalitématérielletraverséepardesvaleursetdesreprésentationsculturelles,commeunmilieudevie,commelesupportd’uneexpériencede lasensibilité,etcommeunsitequiappelledestransformations.Cesentréesaufond,cescinqparadigmes,sontdesentréesetdespointsdevue-j’allaisutiliserletermede«porte»surlepaysage-sontdesmanièresd’entrerdanslaquestiondupaysage.Dupointdevueméthodologique,ilmesembleàlafoisnécessairededistinguercesparadigmespaysagersdupointdevueintellectuel,mais toutaussinécessairede les relierpratiquementdans l’investigation.Cequi faitde l’enquêtesurles paysages, de l’interrogation sur les paysages, à la fois quelque chose de complexe et d’ouvert.

Pourcequimeconcerne,depuisquelquetemps,jechercheàdévelopperuneréflexionsurlespaysagesquisedéveloppentdansdeuxdirections.D’unepart,ils’agitd’uneinterrogationsurlesrelationsentre

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laquestiondupaysageet laquestiondubien-êtredespopulationsquiyvivent.Peut-êtreaussi,uneinterrogationsurlerôledespaysagesdansladéfinitiondecebien-êtreàlafoisindividueletcollectif.D’autrepart,jechercheàdégagerdesélémentsconstitutifsdecequej’appelleunelogiqueduprojetdepaysage.Jeprécisetoutdesuitequejemeplacedansuneperspectiveépistémologiqueetnonpassociologiqueoutechnique.C’est-à-direqu’àcausedemonparcoursetdemaformation,c’estunintérêtquiestancienpourmoi. J’ai toujoursassocié l’interrogationsur leprojetd’unepartet l’interrogationsur la logique de construction des connaissances d’autre part. Pour être encore plus explicite, entant qu’historien des savoirs scientifiques puisque c’est la pratique, je dirai quotidienne, je suis partid’une perspective épistémologique selon laquelle la connaissance et en particulier la connaissancescientifiqueestuneactivitéelle-mêmeconstructiveetprojectuelle.C’estde làque jesuispartipourensuiteenveniràuneanalysedeladémarchedeprojetetdeprojetdepaysageentantqu’opérationdeconstructiondesconnaissancessurlespaysagesetdesterritoires.Ilyadoncunsystèmedesymétrie.La connaissance est une activité de construction, une activité projectuelle et à l’inverse le projet estuneactivitédeconstructiondesconnaissances.C’estdanscettecircularité-làquejem’installeetquejepensequ’ilestpossibleentantqu’épistémologueetspécialistedel’histoiredessavoirsscientifiquesd’interrogerlalogiqueduprojetdepaysage.Jereviensàcettequestiondubien-être.Laquestiondubien-êtreauneportéepolitique.Elleestunedimensionfondamentaledesréflexionsquiontaccompagnéet qui continuent d’accompagner la conception et la mise en œuvre de la convention européennedu paysage des années 2000. Je relis un passage important du préambule de cette convention quiprésentelepaysageprécisémentcommejecite:unélémentessentieldubien-êtreindividueletsocialetquiinsistedanscetteperspectivedubien-être,d’unepartsurlanécessitédeprotéger,derestaureret aussi de promouvoir des paysages de qualité et d’autre part qui insistent sur la responsabilité dechacunevis-à-visdesesexigences,onvadirepolitiquesetéthiques.Donc, lestransformateurset lescréateursdepaysagesquesontenparticulierlespaysagistes,lesarchitectes,lesurbanistesnepeuventque se sentir interpellés me semble-t-il par cette espèce de responsabilité morale, politique et toutsimplementhumaine,qui leurestassignéeparmitouteslessignificationsdeleuractivitédeprojet, ilya lapréoccupationdubien-être,despersonnesetdesgroupesquivontêtreamenésàvivredansdes paysages fabriqués, aménagés, transformés, entretenus. Immédiatement, un certain nombre dequestionspréjudiciellesseposeconcernantlasignificationdestermesquisontutilisésparlaconvention.

Comment comprendre la notion de bien-être et en particulier lorsqu’elle est appliquée au paysage.Quesignifielanotiondequalitépaysagère ?Commentlepaysagea-t-ilpuetpeut-ilencorerépondreàuneexigencedebien-êtrequiestprésentéeselonlestermesdelaconventioneuropéennecommeconstitutive de son projet. En vérité, cette perspective éthique et politique du bien-être paysagern’est pas née avec la convention européenne. Elle procède d’un courant de pensée plus général,plusancien,quirefused’enfermerlepaysagedansdesapprochesquiseraientstrictementpurementartistiquespourfairevite,ouesthétiques.Ils’agiraitaucontraired’articulerlesréflexionssurlepaysageavecdesinterrogationsdetypesocial,économiqueouculturelparexemple.Lepaysagenepeutpasêtreconsidéré simplement,ouentoutcasuniquementcommeunobjetesthétiqueoucommeunchamp d’exercice artistique. Mais il contient aussi des enjeux sociaux, culturels, économiques, voirepolitiquesetaussi sansdoute,onenaprisconscienceaujourd’huiquandmêmeenvironnementauxetsanitaires.C’estdansl’ensembledecescomposantesquelanotiondebien-êtreprendunsens.C’estdansl’ensembledelaconsidérationdecesregistresquelanotiondebien-êtreprendunesignification.

Alors à quoi renvoie «  philosophiquement  » la notion de bien-être de manière générale. Premièreanalyse,onpourraitdirequelefaitd’êtrebien,desesentirbienrenvoieàlasatisfactiondesbesoins,desbesoinsdedifférentesnatures.Jevaisyrevenirtoutdesuite.Ilrestequ’êtrebien,c’estêtredansunétatagréable.Autrementdit,lanotiondebien-êtrecorrespondàladisparitionouàl’absenced’unétatdemanque,unétatdemanquequiquantàluiestunedouleur,unesouffranceouaumoisunmalaise.Danslebien-être,ilyal’idéeduplein,delasatiété,delaplénitude.Ilyal’idéed’uneespèced’attentequiaétéremplie,detellesortequel’onnedemandeplusriend’autreaumoinsprovisoirement.Cardanslecadredesbesoinspurementphysiologiques,ilyaunedimensioncycliquequevousconnaissezbien.Commevous lesavezsansdoute, lesphilosophesSOCRATEetPLATONsesontbeaucoup interrogéssurcequepeuventêtreunevraiesatisfactionetunvraibien-êtreetcommentonpeutlesatteindre.Quelleest l’activitéetquelobjetpeuventpermettreà l’êtrehumaind’êtrebien,desesentirbiendemanière durable sinon permanente. Bref d’être réalisé, pleinement accompli. Comme vous voyez cegenredeconsidérationspourraientnousmenertrèsloinsurlesrelationsentrepaysageetphilosophie,mais,bienentendu,jenevaispasrentrerdanscegenredeconsidérationici.Entoutcass’agissantdeladescriptiondecesbesoinsauxquelslepaysagepourraitrépondre,jetrouvechezl’historiendupaysageaméricain dont je fais constamment la promotion, John BRINCKERHOFF JACKSON, une indicationprécieuse. Je vais citer un passage d’un ouvrage traduit en français sous le titre «  De la nécessitédes ruines  ».Voici ce que dit JACKSON. C’est ainsi dit-il que l’on devrait considérer les paysages, passeulementenfonctiondeleurapparenceoudeleurcoformationàtelleoutelleidéalesthétique.Mais

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aussid’aprèsleurfaçondesatisfairelesbesoinsélémentairescommeceluidepartagercertainesdecesexpériencessensoriellesdansunendroit familier.Deschansonspopulaires,desplatspopulaires,uneespèceparticulièredeclimatcensésnesetrouvernullepartailleurs,unsportouunjeuspécialquinesepratiqueraientqu’àcetendroit.Ceschosesnousrappellentquenoussommesouquenousvenonsd’unlieuparticulier,unpays,uneville,unquartier.Unpaysagedevraitétablirdesliensentrelesgens,lelienquecréelalangue,lamanière,lapratiquedumêmegenredetravailoudeloisirs.Maissurtoutunpaysagedevraitcontenirlegenred’organisationspatialequifavorisecesexpériencesetcesrelations.Des espaces pour se rassembler, pour célébrer et des espaces pour la solitude. Des espaces qui nechangentjamaisetdemeurenttoujourstelsquelamémoirenouslesdépeint.Cesontlàquelques-unesdescaractéristiquesquidonnentàunpaysagesoncôtéunique,quiluidonneunstyleetquifontquenousnouslerappelonsavecémotion.Voyezlesbesoins,jereviensàmonpropos-ilfaudraitcommenterlonguementetévaluerlaportéedesproposdeJACKSON,lesmettreenperspectivedirai-je-maisentoutcasilestclairquelesbesoinsauxquelspourraitrépondrelepaysageselonJohnB.JACKSONnesontpas seulement biologiques. Ils sont aussi politiques, ils sont sociaux, symboliques, affectifs, spirituels.C’estladiversitédecesbesoinsauquelildoitrépondrequifaitlarichesseetlacomplexitédupaysagedupointdevuedel’expériencehumaine.Sil’onpeutdirequelepaysagefaitpartiedelaviedetoutun chacun, qu’il n’est pas simplement une image à contempler même s’il peut être aussi cela, c’estjustement parce que le paysage est profondément impliqué dans l’interrogation humaine socialeindividuelleetcollectivesurlesensdel’existenceetsurlesbesoinsqu’ilfautsatisfairepourvivrebien.Autrementdit,lepaysageestprofondémentimpliquédanslavaleurdenotrevie,dansnotremanièred’être au monde et d’y habiter. Je m’excuse de ces propos un peu emphatiques mais je suis prêt àles justifier.Lepaysagisteetdemanièregénérale lesacteursqui interviennentdans la fabrication, latransformation, dans l’entretien des paysages sont pour ainsi dire particulièrement responsables desespacesquisontdesconditionsnécessairesàlasatisfactiondesbesoinsdansnotreexistencecollective.

Laquestionàposeraujourd’huiconcernant lanotiondesoutenabilitéoudedurabilitédespaysagesseraitaussi,celle-cimesemble-t-il«sur quelplandevons-nousnousplacerintellectuellementparlant,mais pas seulement pour accéder à cette manière d’envisager le paysage ?  » C’est-à-dire commefaisant partie de notre vie et comme accompagnant l’expression et la satisfaction de nos besoins.Comment pouvons-nous comprendre au sens fort de ce terme que le paysage est intégré à nosexistences,qu’iln’estpas simplementune imageextérieureouunespaceà transformer?Autrementdit comment prendre au sérieux l’idée selon laquelle le paysage peut être générateur de bien-être.Envérité,jepense,jecrois,qu’ilnepeutpasyavoirdevéritablesconsidérationsdubien-êtrepaysagers’iln’yapasdemanièrepréalableàungoûtpour lepaysage,pluspréciséments’iln’yapasennousune sorte de disposition favorable, positive envers les paysages, autrement dit, il faut une sortedesympathiepour lespaysages,unedispositionàse laisser toucherpareux. Il faut savoir se rendredisponibleaupaysageetsavoiralleràleurrencontre.C’estcequej’appelleicilegoûtpourlepaysage.

Commentdéveloppercegoûtpourlepaysage ?Jerepartiraid’uneautreobservationdel’historienetthéoricienJohnBRINCKERHOFFJACKSON.Voicicequ’ildit dansunautreouvragetraduitenfrançais« Aladécouvertedupaysagevernaculaire ».Jelecite :« nousnevoyonspluslepaysagecommeséparédenotreviedetouslesjours,etenréaliténouscroyonsmaintenantquefairepartied’unpaysage,ypuisernotre identité,estuneconditiondéterminantedenotreêtre-au-monde,ausens leplus solenneldumot.C’estcettesignification,considérablementélargie,dupaysage,quirendunenouvelledéfinitiontellementnécessaireaujourd’hui».EtlediagnosticdeJACKSONquejepartageesttoutàfaitclair.Nousavonsbesoind’unenouvelledéfinitiondupaysage,etcettenouvelledéfinitionengageunenouvellecompréhensiondelaprésencehumainedanslepaysage.PlusprécisémentlepaysageestdésignéparJACKSONnonpascommecequiestdevantl’êtrehumain,commeunobjetàregarderouàtransformer.Maisaucontrairecommeunedimensionmêmedesonêtre.Etalorssilepaysagefaitpartiedenotreêtreaumonde,s’ilestundesélémentsconstitutifsvoire fondateursdenos identitéspersonnellesetcollectives, plus encore s’il est corrélatif de la formation et de la formulation de besoins existentiels,nousnepouvonsplusenparleruniquementdanslestermesdelavue,duspectacle,danslestermesde l’extériorité et de la distance. Au contraire, il semble nécessaire d’envisager le paysage avec desnotionsdifférentes tellesquecellesd’«engagementdans»,oud’«implicationdans» lepaysage.Nous«sommesaupaysage»seraitlaformuleéquivalenteà«noussommesaumonde».Ilyasivousvoulez,unesubstantialitédupaysageàlaquellenousparticipons,etc’estcettenotion-làqu’ilfaudraitpouvoirexplorer.Nousdevrionsnoushabitueràl’idéequelespaysagessontdesmilieuxdanslesquelsnoussommesplongés,avantd’êtredesobjetsàcontemplerouàtransformer. Ilsnesontpasfaitsd’abordpourêtrevus.Noushabitonslespaysagesavantdelesvoir.Plusprécisément,ilfaudraitdirequemêmesi nous regardons le paysage, nous ne pouvons prétendre le voir de l’extérieur, dans une sorte dereprésentationsouveraine.Nouslevoyonsdel’intérieurenquelquesorte,noussommesdanslesplisdu paysage, ce qui correspond le mieux à la notion d’une implication dans le monde. C’est ce queditd’uneautremanièrel’anthropologueetquis’intéresseaupaysageTimINGOLD–dontontraduira

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prochainementenfrançaisuncertainnombredetextestrèsimportantssurlaquestiondupaysage–voicicequ’ildit :«Le paysage n’est pas une totalité sur laquelle vous ou qui que ce soit d’autre peut porter le regard, il est plutôt le monde à l’intérieur duquel nous nous tenons en prenant un point de vue sur ce qui nous entoure.»Etc’estdanscecontextedecetengagementattentifdanslepaysagequel’imaginationhumaine travaille, en élaborant des idées à son sujet. Car le paysage, pour emprunter une phrase àMERLEAU-PONTY,n’estpastantl’objetquelapatriedenospensées.Alors,silepaysagecorrespondànotreimplicationdanslemonde,celaveutdirequ’iln’estpasloindenous,àl’horizon,puisqu’aucontraireilestproche,quenoussommesàsoncontact,qu’ilnousenveloppepourainsidire.Onpourraitmêmeallerjusqu’àdirequec’estcecontact,cetensembledecontactsaveclemondeenvironnant,brefcetteexpériencecorporelle,quifaitpaysage,quifaitlepaysage.Jenedéveloppepascepointpourl’instant.

2. La démarche de projet de paysage

J’abordedoncladeuxièmequestionquejevoulaisévoquerquiestlaquestiondefiguredeprojetdepaysage.Cettepartiedemonexposéàuncaractèretoutàfaitexpérimentaletprospectif.Doncjeseraitrèsheureuxd’avoirvosréactions.Ilmesemblequeleprojetdepaysagesedéploieparrapportàunestructureenquatrepôlesquipourraitêtre formellement représentéparun carré,ceque j’appelle lecarréduprojet.Quatrepôles :situation,savoir,référence,idée.Avantd’entrerdansl’analysedechacundecespôlesquisonten interactionpermanente lesunsavec lesautres.Deuxremarquespréalables.On a affaire à un système d’interaction entre ces différents pôles, c’est-à-dire que ce système est enéquilibredynamiqueetlecaractèrespécifiqued’unprojetvaêtredéfiniparl’accentquivaêtreportésurunpôleaudétrimentdesautres,c’estcequel’onpourraappelerlestyled’unprojet.Desprojetsquivontêtreplacésplutôtducôtédelasituationetd’autresquivontêtreplacésplutôtducôtédel’idée,etc.Onpeutfaireunesortedecartographiedesstylesdeprojet.Ladeuxièmeremarquepréliminairequejevoudraisfaire,làencorecelarestelargementàdébattreàmesyeux,unprojetestuneréponseàunproblème,qu’ilsoitspatial,socialculturel,écologique.Autrementditqueladémarchedeprojetestunedémarchedetypestratégique,unedémarchederésolutiondeproblèmes,quipassepartouteunesériedephasesquevousavezévoquées–jevousrejoinslà-dessus–analysedesdogmesetdesproblèmes, ladéfinitiondessolutionsetdesobjectifset larecherchedesmoyens.Maisc’estdanscecadre intellectuel, celui d’une épistémologie constructiviste et problématisante que ce que j’appellelecarréduprojetprendsasignification.Lespôlesquej’ai indiquésfontpartiedesmoyensmobiliséspour la résolution du problème. Le style du projet comme je le disais il y a un instant est relatif aupôlequiaétéprivilégiéparleconcept.J’analysemaintenantchacundecespôles.Dansunesituationplutôtquedansunsitecommeonleditsouvent.Pourquoi?Parcequ’ilsembleenréalitésurlabased’observationsquej’aipufaire,desprojetsdespaysagistes,desparticipationsd’enseignementoudedéfinitionsdeprojetsparlesétudiants,onserendcomptequelanotiondesiteestunenotionassezinsuffisante.Elleesttroputiliséedemanièrenaturalisteetstatique.Ilmesemblequelemotsituationestplusricheparcequ’ilestplusdynamiqueetsurtoutpluscomplexe.Lasituationcomprendunensembleorganisédedonnéesquisontplusoumoinscontraignantesetquivontconstituer,cequel’onappellele contexte de l’activité du projeteur. On peut distinguer différentes composantes de la situation,les données topographiques, géographiques, biologiques, climatiques, qui sont caractéristiquesprécisémentd’unlieudonné,c’est-à-direlesconditionsbiotiquesetabiotiques.Ilyadesdonnéesquifont partie du site que l’on néglige trop souvent. Quand j’entends des paysagistes qui parlent de lagéographieenidentifiantgéographieetgéographiephysique,lagéographied’unsitecelamehérisseunpeu,jenevouslecachepas.Jepensequedansunsite,précisément,ilyaaussidesdonnéessociales,socio-économiques. Il y a une organisation de l’espace, il y a des acteurs, il y a des habitants, il y adesopérateurséconomiquesetpolitiquesetçafaitpartiedecequ’unpeupar facilité,onappelle lesite,maisque j’appelleraispourcequimeconcerne, lasituation.Enfin,d’autresélémentsquisont lecontexte de la commande, les objectifs du donneur d’ordre, etc. et enfin le contexte réglementairejuridiqueetpolitique. Ilyaunedimensionquasiexpérimentaledans ladémarchedeprojetausensoùon intervientsurunesituation,quiestunesituationà la foishumaineetnaturellepour fairevite,enmodifiantdesparamètres,etau fondonmesurecommentçabouge.Oncréedesdispositifsquifontbougerdessituations.Lavraiequestion,c’estcelledes indicateurset lafiabilitédes indicateurs.

Deuxième pôle , ce sont les savoirs qui sont mis en œuvre par les projeteurs dans la situation.Il s’agit d’envisager là, l’ensemble des outils intellectuels et pratiques qui sont mis en œuvre par lesprojeteurs dans leurs démarches de résolution des problèmes. Le concepteur est doté d’un certainnombre de compétences de divers ordres qu’il va mobiliser, ce qui pose la question justement desa formation,quipose laquestionde la formationdans lesécoles. Jepensequec’estunpointqu’ilfaut absolument prendre en considération. Donc savoir scientifique, science de la nature et sciencesociale, savoir technique. Savoir scientifique, savoir des sols, des végétaux, mais aussi sciencespolitiques, histoire, philosophie. Savoir technique : dessin, maquette, cartographie, informatique,communicationverbaleetécrite,toutesceschosesqui fontpartiedesprogrammesd’enseignement

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ou qui devraient pouvoir en faire partie. Ce que j’appelle les savoir-faire, c’est-à-dire l’expérienceacquiseaucontactduterrain.Ilestbienclairetc’estlepointdecommentairesquejevoudraisinsérericiquecessavoirsnesontpasdéveloppésdansuneperspectivepurementacadémique,c’est-à-direpour elle-même. Mais ces savoirs sont mobilisés dans les perspectives opérationnelles du projet.

Troisièmepôlequej’appellelesréférences.Toutconcepteurdéveloppeconsciemmentounoncequej’appelleraiun imaginaire,quivientnourrirunstylepropre.Cet imaginairese formepardes lectures,par la fréquentationdesœuvresd’art,dans tous lesdomaines,artplastique,artvisuel,etc.,aussiparl’observationdesprojetsetdesréalisationsdupassé.Autrementdit,cequejeviselà,c’estlacultureetlestyleduprojeteur.Oncomprendlàencoretoutel’importancedelaformationàlaculturegénéraledanslesécolesdepaysage,danslesécolesdeprojetdemanièregénérale.Etenfinlepointsurlequelj’aimeraisinsister,c’estcelui-ci,c’estcequej’appellel’idéedemanièrevolontairementlapidaire.Iln’yapasdeprojetsansidée.Onpeutlesouhaiterentoutcas.Maisc’estquoiuneidée ?Maisc’estquoiuneidéedeprojet ?Onpeutdire,unpointdevue,uneforme,uneréponseorganisée,articulée,quiseproposecommeundispositifderésolutiondeproblèmes.C’estlemomentdelacréativitéàproprementparler.Laquestion,cen’estqu’uneidée.J’yreviens.J’aitoujoursétéfrappéparunpassagedela«Critiquedelaraisonpure»deKANTquilorsqu’ilessaiededéfinirprécisémentcequ’estuneidée,enparlecommed’unpaysage.C’estfrappant.Uneidée,c’estunpaysage,c’est-à-direunpointdevue–jedéveloppeensubstancecequeditKANTdansla« Critiquedelaraisonpure »–C’estunpointdevueorganisateur,uneforme,unemanièredevoirquiembrasseetquiestcapabledesaisirdesrelationsentredesélémentsquipeuventparaîtreaprioridispersés.Onpourraits’interrogersurcommentnaissentlesidéesdeprojet.Pourcequimeconcerne,dansl’ouvrageauquelj’aifaitallusionaudébutdecepropos,j’aiessayéderéfléchirendirectiond’uneanalysedecequel’onappelleleslogiquesabductives,quin’estpaslalogiqueinductiveetquin’estpaslalogiquedéductive.Cesontdeslogiquesquimettentenœuvredesprocessusd’analogie.Abductive,c’estl’abduction.Peut-êtredansladiscussion,j’yreviendraissivousvoulez.C’estunaspectdeladémarchelogiquequiestsouventméconnu,quiest la logiquedel’inventiontoutsimplementetquimériteraitàmonavisd’êtremieuxconnu,sionveutréfléchirprécisémentsurcequ’estlacréativitéd’unprojet.

Ma position sur cette question de l’idée, de sa naissance et de son rôle projectuel est à peu près lasuivante.Leprojetestàlafoisdescriptionetinvention,vraimentàlafois.Alafoispropositionetrévélationd’uneformeetd’undispositifquisontdéjàlàesquissésmaispotentiellementdanslasituation.Ils’agitdansleprojetdemettreàjourcetteformeetcedispositif,delesrévélerenlesdessinant.Doncc’estuntravaild’explicitationetdecréation.Jevaisreformulerlaquestiondelamanièresuivante,onpourraitdire:«projeter,c’estimaginerleréel».Formulequiestvolontairementambiguë.Projeterlepaysage,ceseraitàlafoislemettreenimageoulereprésenter,onestdanslaprojection,c’estimaginercequ’ilpourraitêtreoudevenir:laprojetation.Cetteambiguïtéoucettesingularitéestconstitutivejepensedelanotionmêmedeprojetdepaysage.Ellemetenvaleurlesdeuxdimensionsquisontcontenuesdans l’acte de projet. Témoigner d’une part, modifier d’autre part. Ambiguïté, qui se retrouve dansdeux termeségalementutilisésdans ladémarchedeprojetetdans lapédagogieduprojet.Décrireet inventer. J’y reviens. Décrire, c’est à la fois faire l’inventaire, le géographe, le naturaliste, décriventle monde en faisant l’inventaire, mais c’est aussi construire en dessinant, si je prends le sens dans lagéométrie.Ondécritunecauseenladessinant.Fairel’inventaireetconstruire.Sijeprendsl’autreterme,inventersijemeplacecommemettonsarchéologue,c’esttrouvercequiétaitdéjàlàenledéterrant,etformulerquelquechosedenouveau.Cesontdesmotsquisontparticulièrementambivalents,maisdont l’ambivalencedoitêtrepriseausérieux.Parcequ’ellesignifieprécisémentàmonaviscequiestenjeudansladémarchedeprojet.Trouvercequiestdéjàlà,etinventerquelquechosedenouveau.

Effectivement, la situation intellectuelle du paysagiste ou du projeteur de paysage est paradoxalepuisqu’ils’agitdefabriqueroud’élaborercequiestdéjàprésentetqu’onnevoitpas.Ondoitconstruirepourvoircequiestlà,pourdécouvrircequiestlà.Ondoittracerpourvoircequel’onveutvoiretcequel’onveutdessiner.Voilàleparadoxe,çajevouslerépète,leprojetdepaysage,c’estcréerquelquechosequiétaitdéjàlà.Encesens,leprojetdepaysageaunedimensionassezparticulière.Ilestdel’ordredecequej’appelleunecartographie.Ilestunecartographie,enmêmetempsqu’unerequalificationdelasituation.Danscesens-là,ilnefaudraitpasopposerdemanièreunschématiqueleréeletlepossible.Maisilfaudraitenvisagerdemanièrecomplexeetprofondeleréeldanslaperspectivedespossibilitésqu’ilcontientetqu’onapudécrire.Leprojet,c’estlasaisiedespossiblesdansleréeletleurreformulationexplicite. Et c’est leur explicitation dans une proposition formelle, c’est-à-dire dans une forme et undispositifquiconstituelanaturemême,l’enjeudel’activitédeprojet.Jetermineraiencitantquelqueslignes d’un article écrit par GillesTIBERGHIEN dans les Carnets de paysage, en 2005. C’est un articleintitulé« Formeetprojet ».Lepaysagisteperçoitlesitesurunmodedynamique,commeuneformeendevenir,dèslorsl’intentionprojectuellen’aderéalitéquesielles’exercesurunsitedéterminéetdelamêmefaçonquelesiten’adesenscommetel,quepourl’intentionprojectuelle,danslamesureoùsescontraintespropresdeviennentoccasionsetpossibilitésdeprojeter.L’intention formativetransforme

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« Projeter, c’est imaginer le réel »

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lesrésistancesmêmedusiteenpossibilités,occasions,incitations,etparlàmêmenefaitd’unecertainefaçonqu’enprolongerlanature.C’estdansuneimbricationentrelesdonnéesdelasituationetl’intentionprojectuellequevéritablementtoutsenoue.Jevaism’arrêterlàpourlaisserlaplaceàladiscussion.Jevousremerciedevotreattention.

II. DISCUSSION1. Discutants

Réaction de Gille NOVARINA - Discutant, IUG et UMR- PACTE :

Jevoulaisd’abordremercierJean-MarcBESSEpourcettetrèsbelleconférence.C’estsansdouteassezdifficiled’engagerladiscussiontantilyadepointsquiontétéabordéstoutaulongdesonpropos.Jevaisrevenirsurcertainspointsdediscussionsliéesàmespropresexpériencesoumespropresfamiliaritésavecdessituationssoitderecherches,soitdeprojets,quej’aipu développer depuis que je fais de l’urbanisme et que jeréfléchissurl’urbanisme.Jevoulaispartirdecequiaétéditàlafin.Unedesidéesquisemblentressortirdecetteintervention,c’estl’idéequelepaysageestdifficileàcomprendre.Vousavezparléd’unesituationd’incompréhensionetquequelquepart,c’est quelque chose qui est de l’ordre du paradoxe ou del’entre-deux. C’est quelque chose, entre différentes choses,vousavezbeaucoupinsisté,entrelessciencesdelanatureetles sciences sociales, entre l’intuition et la connaissancescientifique,entrelaconnaissanceetleprojet.Jetrouvequeçac’est une idée, qui est une idée très riche, à la fois pour laréflexionscientifiqueetpourleprojet.

J’aiétéassezséduitparlescinqpôlesparadigmatiquesquevousavezdéveloppésquandvousavezparlédesparadigmescontemporainsdupaysageetsurtoutsurlefaitquecesontdespôlesàpartirdesquelss’organisent leprocessusdesconnaissancesdupaysage,etquecespôlesnes’excluentpas,qu’ils secombinent.Peut-êtrequ’ilsnecombinentpastouslescinq,çac’estuneréflexionquel’onpourraitavoir,maisqu’ilssecombinentdeuxàdeuxoutroisàtrois.J’avaisdéjàremarquélefaitquelavision«française»dupaysageétaitquelquechosed’assezparticulierparcequ’elleétaiteffectivement,essentiellementculturaliste,etquandilyaeul’introductiondelajournée,onaencoreinsistésurlefaitqu’ilfallaitopposeràtoutprixuneapprochesensibleetuneapproche«scientifique».Celafaitvraimentpartiedelaculturedesécolesdepaysage,celafaitpartiedelaculturedespaysagistesfrançais.Iln’yapasuneconférenced’unpaysagistefrançaissansqu’ilnereviennelà-dessus,endisantquelepaysage,c’estquelquechosedevécu,quirelèvedesreprésentations,quirelèvedelaculture,quirelèved’unsystèmedevaleurs.Ilnepeutpasêtreabordéàtraversdesapprochesplus« scientifiques ».Quandonpasselesfrontières,qu’onvadansdespaysaussidifférentsquedespaysanglo-saxons,enItalie,onaunetouteautreapproche.Parexemple,l’écologiedupaysagequevousavezcitéeestuneréférence,quiestuneréférencepermanente,àlafoisdesconnaissancesdespaysagesetdelapratiqueduprojetdanslechampdel’urbanisme,danslechampdupaysage.J’aitrouvétrèsfécond,lefaitquevousdisiezqu’ilyaunenjeu,àcombinercesdeuxchoses.Peut-êtrequelesFrançaisontunevisiontellementobjectivedelaconnaissancescientifique,qu’ils en viennent à refuser toute idée de combinaison entre l’intuition artistique et la connaissancescientifique, pour faire vite. Là je trouve qu’il y a une réflexion, qui est une réflexion très féconde.C’étaitmonpremierpoint.Jetrouvequ’ilyaunevraieinterrogationàavoirlà-dessus.Jepensequedansd’autrespayseuropéens, l’approchehybride,cellequimet la relationentreenvironnementscommemilieu, et environnement comme milieu social. L’interrelation entre les deux. La non-séparation aconsidérablementalimentélesdémarchesdeprojets,cequin’estpastoutàfaitlecasenFrance.C’étaitmonpremierpointderéflexion.

Mondeuxièmepointderéflexion,vousavezinsistésur le lienentrepaysageetbien-être,paysageetensembledebesoinsetvousavezconclutrèsjustementquelepaysagen’estpasunextérieur,unobjetàtransformeretqu’iln’estpasloindenous,ilfaitpartiedenous.Onestimpliquédanslepaysage.C’estunmilieudoncagirsurunmilieudontonfaitpartie,c’estpluscompliquéqu’agirsurquelquechosequinousestextérieur.Çaveutdireaussiqu’uneconnaissancepurementobjectivedecetobjet-là,onpourraitappliquerlamêmechoseàlavilleouauterritoire,c’estpluscompliquéquequandonimaginequel’onpeutleregarderàl’extérieuretcomplètementledominer.J’aibeaucoupaiméquevousparliezdespôlesparadigmatiquescommedesportesplutôtquedesfenêtres,jepensequelaréférenceétaittrèsclaire.

Figure 3 : Jean-Marc BESSE et Gilles NOVARINA

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Decepointdevue-là,mêmel’histoiredel’artnousdonneuncertainnombredechoses,parexemple,ilyatouteunepartiedesartistesquel’onregroupesousletermedelandart,plutôtlesAnglaisquelesAméricainsd’ailleursquiontbienmontréàquelpointlepaysage,onpouvaitlepercevoiràtraversunecertaineintimitéetqu’ilavaitaussiuncaractèremodeste,qu’onledécouvraitencheminantplutôtqu’enletransformantavecunbulldozer.Jesuisentrainderelirel’ouvragedeGillesTIBERGHIENsurlelandart,quiestunmagnifiqueouvrage,ilestàlabibliothèque,parcequej’enaiassezquelesétudiantsmeparlentdulandartsansleconnaître.Decepointdevue-là,ilfaitbienladistinctionentrelesAméricainsetlesAnglaisetcelarenvoieunpeuaurapportquel’onpeutavoiraupaysagequiestassezdifférent.

Jevoudraisdirequesil’ons’intéresseauprojet,ilmesemblequecetteexpériencesensiblenesuffitpasniàconnaître,niàagir.J’aiaussiassezétéinfluencéparunesthéticienitalienquis’appelleBenedettoCROCE, dont l’origine thibérienne fait aussi une traduction que l’on ne connaît pas assez. C’est sansdoutecequiamèneàuneréflexion,maispar lasuite il fautallerplus loin.Toutcelamerenvoie– jem’excused’êtreunpeulong–surlaquestionduprojetquifaitpartiedemonuniversdechercheuretdeprofessionnel.Jediraiquesuisassezd’accordaveccecarré.Onpeutimaginerd’autresnominationsgéométriques. Moi j’avais imaginé plutôt des cercles qui se superposaient et qu’à l’intersection deschoses, il y avait des idées qui sont des idées intéressantes. Je suis assez d’accord avec les quatrepoints,parcontrej’aiuncertainnombredepointsdedésaccord.Unpointdedésaccordprincipal, jenepensepasqueleprojetsoituneréponseàunproblème.Vraiment,jenesuispasd’accordavecça.Leprojet,c’estunefaçondeposerunproblème,d’identifierunproblème.C’estpourquoijenemettraispas à la commande le contexte réglementaire dans la situation. Quand on est professionnel, mêmesi on travaille avec d’autres acteurs, on n’est pas là pour répondre à une commande, on est là pourvérifier que les problèmes qui nous ont été posés sont justes ou pour identifier des problèmes quel’ondoitimaginer.Parcequel’expériencesensiblenousmontreunintérieurquiestplutôtdésorganiséet dans le projet, il y a une dimension de connaissance d’organisation de la réalité qui nous estexterne. Je serai plus nuancé que vous sur cette question-là. Ce n’est pas moi qui l’ai inventé. LesconnaissancesdessociologuesdelaconnaissanceaméricainscommeSCHONontbeaucoupexpliquélesdifférencesentre lesapprochesqui résolventdesproblèmesetcellesquiposentdesproblèmes.Peut-être qu’entre site passion et site, on peut reprendre la vieille théorie de l’urbanisme de POETEet LAVEDAN, qui montre que la question est à l’intersection des deux, situation étant un peu plusglobale que le site, c’est plutôt la façon dont ça se pose par rapport à des grands phénomènes. Lesite,c’estplutôtunedimensionplus localisée.C’estpeut-êtreà l’intersectiondesdeuxque l’onpeuttrouveruncertainnombredechoses,maisjepensequecen’estpastrèsloindecequevousavezdit.

C’étaitun certainnombred’interrogationsque j’avais,ycomprisquandonfaitunenseignementduprojet.Parexempledansunsited’urbanisme,onprendlasituationou lesite, l’intersectionentrelesdeux.Ilfautavoirdesconnaissancesscientifiques,etjemettraisaussi,danslesconnaissances,avoirdessavoirs.Jemettraisoutrelessavoir-faire,savoirartistique,quisontuneréférencecommelascience.Avoirdesréférences,jepenseque,parexemple,lapenséeurbanistique,architecturale,paysagistefrançaiseétaitbaséeenpermanencesurl’amnésie.Quandonarrivesurunterritoire,onoubliesystématiquementlesprojetsquiontétéfaitssurceterritoire.D’autresculturesprofessionnellesinsistentsurlefaitqu’ilfautd’abordfaireuneespèced’archéologiedesprojetspourconcernerceterritoire.Lafaçondontilsétaientdessinés,pensés,lafaçondontilssontappliquéssurleterritoire,çam’apparaîtquelquechosedetoutàfaitessentieletjevousremerciedel’avoirsouligné.Jesuisaussitoutàfaitd’accordavecvoussurl’idéequ’il fautsortirdel’inventioncommel’idéeenavant-gardeetquel’invention,c’estpeut-êtreunpetitdécalageparrapportàuneréalité,etquecelanevapastoujoursavecl’egodescréateurs.

Réaction de Pierre-Marie TRICAUD, IAU :

Jeveuxaussivousdireplusieurschosesdansplusieursdirections,aprèsvousferezletri,lechoix.C’estbien de la part des organisateurs de cette rencontre d’avoir des discutants d’origines différentes. Jene suis pas chercheur. Je suis ici à l’IAU. AvecTERRES ENVILLES, on a en commun d’être dans unepratique,quiestdifférentedecelleclassiquedupaysagistequifaitunprojetavecunecommandebiendéfinie,quidoitleréaliser.C’estbiend’avoirdeschercheursdansledomainedupaysagequiviennentnousparler,deschercheursquineparlentpasqu’auxchercheurs,etquineparlentpasqu’auxfiguresprofessionnellesdupaysage.Parcequeleschercheursdanslesécolesdupaysage,ilyenadepuisuncertaintemps.J’étaisl’élèvedePierreDONADIEU,ilyatrenteans.Danslesécoles,ceuxquel’onappellelespaysagistessontceuxquisontestampillésprofessionnelsdupaysage,ontdéjàunefréquentationdumondedelarecherchedanslecadredeleursétudes.Danslesdomainesdupaysageplusflous,sijepuismepermettred’employerceterme,commeonenfaitici,l’IAUadesrelationsavecleschercheursdansledomainedel’urbanismedepuispasmaldetemps.OnaaussiinnovéavecPierre,ilyavingtansavec le numéro des cahiers qu’évoquait ChristianTHIBAUD, «  Paysage, grand paysage  ». Cela partait

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d’unerencontrequel’onavaitorganiséeavecPierreDONADIEUauchâteaudeVillarceauxenmettantenconclaveuncertainnombredeprofessionnelsetdechercheurspour leurdemanderde réfléchirsur les paysages à acteurs multiples, ceux justement où il n’y avait pas un commanditaire identifié.

JevoulaisremercierlesorganisateursetJean-MarcBESSEparcequejepensequec’esttrèsutile,trèsfécond.Etpuisaussidevotreproposparcequej’yentendsdeschosestrèsintéressantessurcettenotionde projet qui réconcilie beaucoup de contradictions, de tensions, que l’on peut avoir entre les gensquisontdansleprojetplusopérationnel,demaîtrised’œuvreetceuxquisontdanslaplanificationetentre lesapprochesdes ingénieurs,des techniciens,desscientifiqueset lesapprochesdescréateursqui ont beaucoup tendance à s’opposer, beaucoup trop depuis deux siècles. On a l’impression quechaqueexcèsalimentel’autreentredestechnicienstrèsfroidsetdénuésdesensibilitéetdescréateursqui ne veulent pas entendre parler des questions de faisabilité. Mais surtout entre des approchesdéductivesetinductives,c’estpourçaquejevousaifaitrépétercemotquim’intéressebeaucoup,jesensqu’ilyaunenotiontrèsopérante.Vousexprimezbienquelquechosequejeressenssanssavoiry mettre les mêmes mots que la démarche sur un lieu et pas seulement sur un lieu. Je pense quebeaucoup de démarches doivent être un aller-retour entre la déduction et l’induction. Je vois tropde mauvais projets qui sont d’abord une analyse, et une fois que l’on a fait l’analyse, comme si ellepouvaitêtrefaiteindépendammentdetoutprojet,onvaendéduirecequel’onfait.Çafaitévidemmentdes projets d’une grande pauvreté à l’inverse des projets qui prétendent se passer de cette analyse.Je pense qu’il faut des démarches rigoureuses. Même la recherche scientifique se fait de cettefaçon. Elle n’est pas purement déductive. Mais le fait d’avoir cette démarche qui n’est pas toujoursdéductive n’empêche pas d’être rigoureux. Je pense que les pistes que vous donnez permettent deréconcilierdiverseschoses.Jepenseque ledébatdans lasallepourraévoquertoutescesquestions.

Je trouve intéressant de sortir de nos frontières, de savoir ce que disent les autres. C’est vrai qu’engénéralonconnaîtbien,onestenFrance,onsaitcequ’ontécritAlainROGERouAugustinBERQUE,Anne CAUQUELIN. On connaît moins JACKSON et d’autres. Inversement, je crois que les auteursfrançaissontpeutraduitsetquelesAnglo-saxonslesconnaissentinsuffisamment.Ilyaévidemmentdescontextesquisontdifférents.C’estuneremarquequejemefaisaisenvousentendant.L’influenceartistique,elleexistemêmesielleestremisemaintenantdansuncontexteunpeuplusvaste.C’estvraiqu’enFrance,danslespayslatins,européens,onestinfluencéparlapeinture.Jevoisqu’enanglais,lesmotsfontplusréférenceauthéâtrequ’àlapeinture.Onparlededramatiquelàoùonditspectaculaire,les Américains parlent de paysage scénique. Est-ce que cela introduit des notions différentes? Il y aaussiévidemmentl’originedesmots,descontextes.Lepaysagedansleslangueslatines,landscapeetc.Vousavezabordécettequestion,pasaujourd’hui,maisdansd’autresécrits.Çac’estquelquechosequim’intéressebeaucoupparcequ’onentenddepuisquelquesannées justementuncertainnombredechercheursfrançaisfaisantréférenceàdestravauxanglo-saxons.J’aientendu,iln’yapastrèslongtempsune conférence de Serge BRIFFAUD, c’est aussi le contenu des derniers livres d’Yves LUGINBÜHL surle paysage, le mot même de paysage qui renvoie non pas à une représentation, mais à un moded’organisationduterritoirequiseraitapparuauxconfinsdesPays-Bas,del’Allemagne.S’ilpouvaitnousdireaussiquelquesélémentsdeplussurcepoint,jepensequecelapeutêtreégalementassezintéressant.Déjà quelques pistes de débats. L’appétit intellectuel ne sera limité que par l’appétit de l’estomac.

Réaction de Jean-Marc BESSE :

Merci à Gilles NOVARINA et à Pierre-Marie TRICAUD de leurs remarques qui me permettent deréagir et d’approfondir un certain nombre de points. Merci à Gilles NOVARINA de son point dedésaccord. J’en tiendrais compte. Vous dites mieux que moi ce que je pensais devoir dire. Doncc’est parfait. Cette question d’identification des problèmes me semble tout à fait essentielle.Pour essayer d’organiser mes réponses, d’abord un premier point. Là je parle sous contrôle dela salle et en particulier de Pierre DONADIEU qui a été un acteur important de cette histoire.Le premier est la situation aujourd’hui de la recherche et des discours sur le paysage dans lemonde académique en France. Et quelles sont les relations avec ce qui se fait dans d’autres pays ?

Comme je le disais tout à l’heure, les recherches sur le paysage se sont développées de manièreabsolumentconsidérablenonseulementenFrance,aussibienenEurope,qu’enAmériqueduNord,Amérique du Sud. Il y a de très nombreux travaux, publications là-dessus. Nous serions me semble-t-ilàunmomentoùlesaxesprincipauxdecetterecherchesurlepaysagesontentraindes’infléchir.Mais c’est valable dans le domaine plus général des sciences sociales probablement. Si je veux faireunechronologieentroisétapes,s’agissantdupaysage.NoussommespartisauXXèmesiècleetjusquedanslesannées70aumoinsou80d’uneapprochequicorrespondeàmonentrée2,sivousvoulez,àmadeuxièmeporte,àuneapprochetrès représentéedans lemondede lagéographiehumaine,de

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la géographie culturelle également, c’est cette idée du paysage comme un produit, une œuvre quiest parfaitement illustrée par JACKSON. Puis vous avez vu apparaître dans le domaine des sciencessocialeshumaines,danslesannées70-80,l’émergencedelaproblématiquedesreprésentations.Etc’estautourdecetteproblématiquedesreprésentationsqu’aumomentdelacréationdufameuxDEAdelaVillette,leschercheursdontPierrefaisaitpartie,sesontressemblés,avecdesdifférencesdesensibilitéoudeparcoursautourdecequej’appelleraiceparadigme-là.Etçaadonnélieujustementauxtravauxd’AugustinBERQUE«Lesraisonsdupaysage»ouceuxd’AlainROGERquisontbienconnuspourça.Il me semble que l’on est en train de sortir de cette époque-là. Même s’il y a encore de nombreuxtravauxetquecetteapprochereprésentationnelledupaysageestencoretrèsvivanteetproduitencoreénormémentdechosesparcequ’onyaapprisbeaucoupdechoses.C’estqu’effectivement,ilyaunecréativitéàl’œuvredanslesculturespaysagères.Ilmesemblequ’ilyaaujourd’huiunglissementouunretourouentoutcasunemiseenreliefplusévidentequ’auparavantsurlespratiques,surlesusages,surlesdimensions,onvadiresociales,politiques-c’étaittrèsévidentdanslapositiond’AlainROGER-alorsque ces dimensions-là étaient considérées comme secondaires. De ce point de vue-là, la rechercheenFrancerejointcequisefaitdans lespaysanglo-américains.C’estcommeçaque jesens lachose.

Uneautrechosepar rapportàça.Effectivement, ilmesemble,et je reviensà lapremière remarquede Gilles NOVARINA, que le paysage ne peut pas être réduit à une approche trop culturaliste ausens représentationnel, au sens des représentions sociales et culturelles. Ce n’est pas suffisant parceque précisément il est entre, pour reprendre votre expression. Il est toujours à côté. Peut-être quel’intelligenceparticulièreduprojeteur,elleestdanscettecapacitéàsedéplacerdemanièrepermanenteentre ces différentes entrées, entre ses différentes portes. Au sens où c’est un type de pensée quiest relationnelle ou un type de pensée qui est complexe, un type de pensée qui ne cherche pas àclore un discours sur le paysage mais qui se dit, il y a autre chose. Et il faut accepter, je pense – çac’est une position philosophique personnelle - la pluralité des mondes et des discours et accepterleur irréductibilité éventuelle. Je ne fais partie de ceux qui pensent que l’on pourrait recouvrer dansquelquesdomainesquecesoit l’ensemblede la réalitéparunethéoriequipourrait réduire.Cen’estpasmasensibilitéphilosophique. Je l’assumecommeça. Jepenseques’agissantdupaysage, il fautreconnaîtrequ’ilyadesvéritésrelativesetlesvéritésrelativesnesontpasnécessairementdeserreurset encore moins des fautes. De fait, du coup effectivement, il faut reconnaître cette hybridation ouhybriditéfoncière,fondamentaledecequel’onappellelepaysage.Ilfautreconnaîtrequecen’estpasunobjetunifié,maisplutôtunchamp,quelquechosequiéclatedepartout,maispourdebonnesraisons ?

Unautrepointsurlequelj’aimeraisrevenir,c’est,commentpeut-onagirdansunmilieudanslequelonestimpliqué.Làjepensequec’estunequestionquimériteraitunlongdéveloppement.Çanousrenvoieenfaitàlamanièredontnousconcevonscequec’estqu’agiretaumodèledel’actiondeprojet.L’oppositionentrecheminementetbulldozer,elleestunpeumassivemêmesicelacorrespondeffectivementàdespratiques reconnues comme telles. Il y a dans le livre de Philippe DESCOLA qui s’appelle « par-delànatureetculture»,uneréflexionquejetrouveextrêmementintéressanteoùDESCOLAexplique,jenesaisplusdansquelendroitdelaplanète,l’idéetrèsoccidentale,moderne,dufaitquenousproduisonsdesobjetsàpartirdesmatièresàforme,quiestconstitutived’unecertainemanièredeconcevoirl’actionsurleschoses.Uneréalitéinforme,nouslafabriquons,nousluidonnonsuneforme,etnousavonsunproduitfini.Cetteidée-làdit-ileststrictementincompréhensiblepourlespopulationsaveclesquellesilvitenAmazonie,etc.Aufond,celadonnebeaucoupàréfléchirsurlemodèleintellectuel,lemodèlequenousmettonsenœuvrelorsquenousutilisonslemotagir.Agir,est-cepournoussimplement partird’unematièreinformeàlaquellenousdonnonsensuiteparnotreactivité,enfonctiondenosidéesuneformedéterminée?Nouspourrionstrèsbienimaginerunautreparadigme,unautremodèled’actionsquiestprécisémentceluidel’agricultureoudujardinage.Laconfrontationaveclevivantoùl’onadéjàunedynamique,onn’estpasdevantunematièreinforme,onestdevantunensembleorganisé,desêtresorganisésetl’actionconsisteà–c’estprécisémentlesensdumotcultivé,vouslesavez–prendresoin.C’estlesensmêmeétymologiquementlatindecultiver.C’est,onprendsoinetonaideaudéveloppementdequelquechosequiestdéjàlà.Pourvousrépondre,jediraiqu’ilestpossibled’agirdansunmondeauquel nous participons ou dans lequel nous sommes impliqués à condition de reconnaître que lamodalitédenotreactiondoittenircomptedufaitquenoussommesfaceàdesensemblesorganisés.C’est-à-direquelemodèlequejevaisappelerproductivisteestmalutilisé,lemodèledel’actioncommeproductionn’estpasforcémentceluiquiestleplusappropriépourrendrecomptedel’activitédeprojetme semble-t-il. Peut-être que le modèle de la «  cultivation  », je ne sais pas comment on peut dire,le modèle du soin tout simplement serait plus approprié au sens de ce que j’appelle le modèle dujardinage. Peut-être ce serait plus approprié pour rendre compte de la démarche de projet et je disbienàtoutes leséchelles.Le jardinageétant icinonpasà réserveràunespacedepetitedimensionourelativementpetitedimension,maisjel’envisageplutôtcommeunecertainemodalitédel’action.

Pourcequiconcernel’histoiredumot,jesuistrèsheureuxqueLUGINBÜHLetd’autresreprennentça.

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C’étaientdestravauxde KennethOLWIG,ilyaencorequelquesannées.Jesuistrèsheureuxd’avoirpulesdiffusercommeça. KennethOLWIGestungéographeethistoriend’originesuédoisequiaécritdeslivres et des textes extrêmement importants qui renouvellent l’histoire du paysage dont les travauxcommencent à être connus. Il n’y a aucun texte traduit en français encore, j’espère pouvoir le faireprochainement. Il se base sur ses enquêtes d’archives, il s’est intéressé principalement à l’Europe duNord, du Danemark à l’Allemagne du Nord, qui sont des documents plutôt juridiques. Déplacementdesarchives,déplacementdesairesd’observations.Onn’estplusdanslesmuséesdepeinture.Etcelaaproduitceseffetscognitifsextrêmementimportants.Ilmontretoutsimplementquelafamilledemotsautourdecequel’onappelleraenallemand« landschaft »,maisquipeutêtre« landsrap »,« landskap  »,qui peut être, etc., . etc. ou «  landscape  » dans le vieil anglais, cette famille de mots renvoie à deuxchoses.D’abordaufaitquecequel’onappellerapaysageenfrançaispourfairevitecen’estpasautrechosequ’unterritoireorganiséparunecommunauté,unterritoiredepetitetaille.Cequicorrespondprécisémentcequel’onappelleraitaujourd’huiunpayssivousvoulez.Lemot« landschaft »désigned’abordça.Mêmepasunerégioncommedanscenon-sensactuelallemand,maisunterritoiredepetitetailleorganiséparunecommunautéenfonctionderèglescoutumièresnonécrites.EtontrouvedanslesdocumentsjuridiquesduXIVèmesiècleenAllemagne,cettementionquele« landschaft »estpartiàlavilledéfendresesdroits.Parcequec’estaumomentoùseposelarédactiondescoutumes,etc.Doncceladésigneuneentitésocialeetpolitique. Jesuisallé tropvitedansmadémonstration. Ilyadeuxchoses,d’abordunterritoireorganiséetensuitelacommunautéquiorganiseceterritoire.« Landschaft »,c’estd’abordça,quicorrespondàunetraditionquej’appelleraipays,quel’onpeutappelerlescommunsen Angleterre, etc. OLWIG montre bien à partir de ce moment-là que l’approche que l’on peut fairel’histoiredepaysage,desarchivesquel’onpeutsolliciterquandonfaitcettehistoiredepaysage,nesontpasnécessairementd’aborddesarchivesartistiques,maiscesontd’aborddesarchiveséconomiques,juridiques,etc.Etquefinalement, lesmédecins, lesarchitectes, les ingénieursonteudesrôlestoutàfaitdécisifsdans lamiseenplaceà la foisdespaysages réelsetdesdiscours sur lepaysage.Onestenvoyé dans une approche de l’histoire des paysages qui est assez éloignée de l’approche mettonsdes historiens d’art. On pourrait dire, non et bien d’accord, Europe du Sud, c’est comme ça, EuropeduNord,c’estcommeça.Ceseraitunpeufacileparcequ’enréalité,c’estpluscompliquéqueça.CequemontreOLWIG,c’estqu’àdesmomentsstratégiques,ilsesitueparexempleaudébutduXVIIèmesiècle en Grande Bretagne, il y a une politique très consciente de la part de la monarchie anglaisequi va devenir monarchie britannique, qui prétend devenir monarchie britannique. Justement, il y auneactionouunprojettrèsconcret,trèsexplicitequiconsisteàlafoisàmettreenplaceunpouvoirmonarchique de type absolu et diffuser une image de la Grande Bretagne en tant que pays unifié.La Grande-Bretagne, pas l’Angleterre plus l’Écosse. La Grande-Bretagne, c’est-à-dire un pouvoir royal,monarchiquequiva remettreencause jedirai lespouvoirs locaux.OLWIGétudietouteunesériedemanifestationspubliquesdefait,despiècesdethéâtrecommandéesparlamonarchieoùl’onvoitqu’ilyauneimportationdesmodèlesitaliensenAngleterre,enGrandeBretagne,desmodèlesesthétiquesquisontmisauserviced’undiscoursdetypeabsolutisme,monarchique,centralisateur,etc.Etc’estàcemoment-làquelemot« landscape »disparaîtdanssonsensancien,qu’ilestremplacéparlemot« landscape »ausenscontemporainduterme,maisdansunsensquiestdifférent,quiestlesensvisuel,lesensbelvédère,lesenspanoramiqueauquelonesthabituémaintenant.Alorsqu’auparavant,lemot« landscape »quiétaitutiliséenAngleterreavaitlesens« landschaft »,« landskap»,etc.,lesenslocal.

On a une histoire qui est écrite du paysage et qui montre plusieurs choses, qui montre que lepaysage, il faut le parler en plusieurs langues d’abord, et sentir, saisir la différence des sensibilitésculturelles et des enjeux politiques qui sont attachés à ces mots. D’autre part, l’histoire du motest également une histoire de vie politique, et pas seulement une histoire qui serait de typeesthétique. Je renvoie aux travaux de Kenneth OLWIG et vous aurez à mon avis des chosesimportantes dans cette perspective-là. JACKSON disait à peu près la même chose de manièrebeaucoup moins informée du point archivistique, mais il disait à peu près la même chose.

Pour ce qui concerne maintenant déduction, induction. Alors pourquoi abduction  ? À quoi celacorrespond. D’abord, cette notion d’abduction n’est pas une notion récente. C’est une notion qui aétéélaboréedèslafinduXIXèmesiècleparunphilosopheetlogicienaméricainquis’appelleCharlesPEIRCE,quiestconnuparailleurspoursathéoriedusigne,lathéoriedelasignification,carildéveloppaittouteuneréflexionsurlalogique,etquis’estposélaquestiondel’émergencedeshypothèses.Quelleestlalogiqueintellectuellequinousconduitàfairedeshypothèses.Lalogiqueabductive,c’estlalogiquedel’invention,c’estlalogique,ladémarcheintellectuellequinousconduitàfairedeshypothèses.Alors,ilyaunetraditionderecherchesquiaétédéveloppéelà-dessus,quiestrepriseauXXèmesiècleparuncertainnombred’auteurs.Iln’estpeut-êtrepasnécessairequejevousdonnetoutescesréférences.Ladémarcheabductiven’estpasidentiqueàdémarchedéductiveoudémarcheinductive.Jereprendsrapidement  ! Démarche déductive, nous avons une loi, un énoncé et nous tirons logiquement lesconséquences de ce qui est contenu à l’intérieur de l’énoncé de départ. C’est le modèle euclidien

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classique qui fournit le domaine. On peut dériver l’ensemble de la géométrie à partir d’un certainnombre de propositions de départ, posées comme des axiomes ou des principes. Ce n’est pas unedémarchequiestinventivepuisquec’estunedémarchequiestprécisémentexplicativeoùils’agitdedéplier,dedévelopperquelquechosequiestcontenuaudépart.Ondéveloppesimplementetc’estle principe même de l’explication, le développement de quelque chose qui était d’abord impliqué.C’estpourçaque l’onpeutconsidérerque lagéométrien’estpassoumiseà laquestiondutemps. Ilyauneatemporalitédelagéométrie.Jenevaispasdéveloppercepoint.Onestdans lemodèledela déduction. Dans l’induction, on part d’un certain nombre d’observations empiriques, on constateun certain nombre de rapprochements possibles, de ressemblances, sur la base de critères que l’onpeutétabliretpuisonendériveuneaffirmationdetypegénéral.L’abduction,c’est,onobserveunesituation, on constate une anomalie dans la situation. On se dit, si je pensais cela, si j’adoptais telpoint de vue alors l’anomalie disparaîtrait. Devant une anomalie, on recherche le point de vue quinouspermettraitderecoudre lasituationetdefairedisparaîtrel’anomalie.Onréordonne.C’estuneactivitéquichercheàréordonneràpartirdelapropositiond’unnouveaupointdevue.Ladémarcheabductive est la recherche de ce point de vue ou de cette forme organisatrice ou réorganisatrice.

Comment ça marche  ? Ça marche par le mécanisme de l’analogie, par la métaphore. On se dit sij’adoptaistelpointdevue,c’est-à-diresijevoyaislasituationcommececipeut-êtrequeçarésoudraitlasituation.Jeprendsdeuxexemples :unancien,unplusrécent.COPERNICsetrouvecommelaplupartdesastronomesdesontempsdevantlasituationsuivante :lesystèmegéocentriquedePTOLEMEE.Ilesttrèsbienorganisé,laterreaucentre,lemondeestcirculaire,lesplanètestournentsaufune :mars.Onobserveetpuisonvoitqu’àunmomentMarss’arrête,repartenarrière,s’arrête,repartenavant.Celaaennuyépournepasemployerunautreterme,depuisl’Antiquité,quidéveloppetouteunesériedesystèmesd’explicationsplusoumoinsartificiellespourrendrecomptedeça.COPERNICdéveloppeunedémarcheabductiveàpartirdecetteanomalie,ilchangedepointdevue,ilimaginequelepointdevueneserapluslepointdevued’unterrien,maislepointdevued’unhabitantdusoleil.EtiltrouvequecequelesTerriensvoientcommeétantunmouvementenreculdelaplanèteMarsestdûenréalitéàladifférencedesvitessesqu’ilyaentrelaTerreetMars.Ilretrouvel’ordremaisenchangeantdepointdevue.Autreexempleplusrécent,ledéveloppementdecequel’onaappelél’analysespatiale.C’estquoi ?Je schématisebienentendu  !C’est l’utilisationd’unemétaphorequiest lamétaphorenewtonienne.Onfaitcommesileslieuxétaientdesêtresphysiqueseninteractionetl’onvaappliquercetteanalogienewtonienne pour rendre compte de ce que l’on va appeler les lois de l’espace concernant mesinteractionsspatiales,lesquestionsdedistance,etc.Cesontdesexemplesdedémarchesditesabductives,quicherchentàexpliqueruneréalitéencherchantdespointsdevue,doncdesformesorganisatricespermettantderésoudrelesanomaliesquel’onpeutvoirdanslaréalité.Jenesaispassijesuisassezclair…

Enquoiladémarcheprojectuelleestunedémarcheabductive ?Parcequ’ilyaetc’estlaraisond’êtremesemble-t-ildesprojetsquelsqu’ilssoient,desanomaliesdansdessituations.Ladémarcheprojectuelleconsisteàproposerdesformes,desdispositifs,despointsdevue.Onferaitcommeci,desformesquiseraienthypothétiques,etalorsl’anomaliedisparaîtrait.Maisledernierpointquejedoisrajouter.C’estqu’aussibiendupointdevue scientifiquequedupointdevueprojectuel,onestdans l’hypothèse.Il reste ensuite - si je me place du point de vue scientifique - à s’engager dans toutes les épreuvesde la vérification, de la validation, du contrôle, etc. Donc ça c’est une autre histoire. De la mêmemanière,leprojet,c’estlamiseenplaced’undispositifhypothétiqueàpartirduquellaréalitépourraitànouveauseréordonner.Maisresteraàvalider,contrôler,etc.Ilmesemblequel’onaaveccemodèledelalogiqueabductiveunélémentdecompréhensiondesdémarchesdeprojetquiàlafois,nousfaitéchapper à une sorte d’opposition un peu ruineuse comme disait monsieurTRICAUD tout à l’heureentreinductions,abduction,etc.,maisaussiquinouspermetdemieuxrendrecomptedesmécanismesintellectuelsetpratiquesquisontmisenœuvre,ycompriscollectivementdanslesopérationsdeprojet.

2. Echanges avec la salle

Jennifer BUYCK, IUG :

Jesuisarchitecteetmaîtredeconférencesàl’Institutd’UrbanismedeGrenoble,anciennementLilloisedoncnousnoussommesdéjàcroisésàl’Écoled’ArchitecturedePaysagedeLille.J’aiunetoutepetitequestion, qui m’inquiétait beaucoup au début. Je me demandais pourquoi dans votre présentationquandilyavaitlemotidée,ilétaitausingulier,cequipeut-êtreaunvraisenspourvousausingulier.Finalement« situations »étaitaupluriel,« références »étaitaupluriel ,« savoirs »aupluriel,et jemedemandes’iln’yapaslàundépassementetmêmeundépassementdumotd’idéeparcequefinalementquandvousexplicitezceprincipederéflexionparabduction,c’est« hypothèse »quiestderrière.Jemedemandesicen’estpasunblocagederestersurcemotd’idéeparcequetoutcequevousavezracontéderrièren’allaitpasforcémentdanscesens-là.Entoutcasmoi,çacontinuedem’interrogerceterme-là.

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Intervenant de la Région Île-de-France:Une remarqueouuneperplexitéquestionnante, remarqued’actualité.Onse souvient tousfin2011,début 2012 de l’expression assez péremptoire : « l’environnement ça commence à bien faire ! » ouquelquechosecommeça !Hiermatindansl’émission« LesmatinsdeFranceCulture »étaientinvitésunancienministre,unéconomiste,des journalistes,et ilyaunquartd’heurequiétaitconsacréà lasimplification administrative et réglementaire dans laquelle effectivement les exemples qui ont étédonnés étaient unanimement simplifiés parce qu’il faut absolument tout simplifier. Quelles sont lesentraves,quelssontlesobstacles?C’estcequiatraitauxespècesprotégées,auxhabitatsetaupaysage.Grossomodojefaissimple.C’esttrèsintéressant.

Jean-Marc BESSE :

J’aieulamêmeréaction !

Intervenant de la Région Île-de-France:

Doncçam’abeaucoupfrappéetjemedis,lasimplificationouietàquelprix,etavecquelrésultatetquelseralefusible ?Laquestionperplexeoulaperplexitéquestionnante,çaatraitaussiàuneautreactualité.C’estleprojetdeschémadirecteurdelarégionIle-de-France,quiestencoursd’enquêtepubliquequiesttrèscourte,quivas’acheveràlafindumois.Donctoutesremarques,avisqu’ilestpossibledefournirsur internet, sur enquetepubliqueiledefrance.fr sera certainement la bienvenue. Le projet de schémadirecteur,c’estpourcroiseraveccequevousavezévoquésurlebien-être.Ilyasixpagesdanslefasciculequis’intitule« Projetspatial,objectifdéfi »,ilyasixpagesconsacréesàl’attractivitédenotrerégion.Alafoisleconstatdel’attractivitéetlesconditionsoulescaractéristiques,lesfacteursdesonattractivité.Estrappeléque50%duterritoireestagricole,que25%estd’expressionnaturelleetforestière,etc.Ilyauntoutpetitpassageconsacréàl’aspectculturelpatrimonial,maissousunangleplutôtdesonproduittouristiqueetdesonproduitéconomique.Sijerésumegrossomodolefrancilien,onluiassumeunrôled’homooeconomicuscommelequalifieDanielCOHEN.C’estàpeuprèsça,cequiestattendu.Etpasunmotsurlecadredevie,lebien-être,lepaysage.Jevoudraisprolongereninfinimiroir,bien-être,mal-être,onsaitqu’ilyaquandmêmedescaractéristiquesdemal-êtreenIle-de-Francequinesontpassignalées,quinesontpasévoquées.Etattractivité,répulsivité:qu’est-cequecelarévèle ?Est-cequeleterritoirequiesttroplarge,est-cequel’expressionécritequin’estpasledroitcoutumierneseprêtepasàcetteréflexion,est-cequel’abductionn’apasfaitpartiedelaremiseenquestion,lechangementd’angle,laperspectivenouvellea-t-ellesuffisammentalimentélaréflexion?Voilà.

Roland PELTEKIAN,chef du Pôle paysage à la DRIEE (Direction Régionale Interdépartementale de l’Environnement et de l’Énergie) :

Juste un point qui rejoint les remarques qui viennent juste d’être faites, et pour lequel vous m’avezrassurédansvotrediscours,c’estqu’iln’ya-t-ilpasaujourd’huiautraversdel’utilisationdumotprojet,unedictatureduprojet.Quandj’aidébutédansletravaildel’aménagement,onm’aapprisqu’unenjeu,c’étaitcequejegagneoujeperdsàfaireouànepasfaire.Toutàl’heureunedesinterventionsavaitévoquéqueleprojetdanslepaysagec’estfaireémergercequiestdéjàlà.Jeledisensubstance.Jepensequ’ilfautêtretrèsattentifàçaparcequ’effectivementcequiestentraindesetrameraujourd’huic’est un absolutisme du faire et au travers duquel tout ce qui permet d’être le cadre des choses enquelquesorte,decebien-êtredupaysage,estvucommeuneentrave.Cequej’aibeaucoupappréciédansvotredernièreintervention,c’estquevousparlezduprendresoinplutôtquedufaire.

Yvon Le CARO, géographe à l’université de Rennes :

Je voudrais montrer comment tout ça soulève tout un tas d’opposition binaire de dialogique qu’ilfautsavoirdépasserdontbeaucoupontétéévoqué.Jetermineraisurune, jepensequ’ilyamatièreà discussion et à question. En géographie, on a la chance d’avoir une discipline où l’on peut assezfacilementdépasserlesdialogiquessciencesdelanature,sciencesdel’hommeetdelasociétépuisqu’ona lesdeuxdansnotrediscipline. Ilyadesdisciplinespasserellessurcetypedeclivage.Parcontre lagéographie a eu un problème, elle est obligée de faire un peu un retour du refoulé sur le sensiblepuisqu’auniveaudel’évaluationdeschercheursdepuislesannées60,toutcequiestdusensiblerenvoieviaLaBlache,àl’écoletraditionnellequemoij’aibeaucouplue-JeanBRUGNE,CarlSAUER-etilyaunprocèsenscientificitéquifaitqu’ilyauneautoflagellationdesgéographessurlesensible.Disonsquesurleshumanitésengénérallaréférenceàl’histoire,laréférenceàlalittératureestmalvueengéographie.

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Çarevientunpeumaisilfautunefortepersonnalitépourpouvoirleporter.Moiparexempleauniveaude licence,celase traduitpar ladisparitionprogressivedetouscescours-là, j’aidemandéetobtenucetteannée la réintroductiond’uncoursdedessinengéographie.Coursqui s’appelle« Croquez lesterritoires ».Celaintroduitdusensiblemaisaussidurôtissementsurlesjouesdemescollèguesquandletitreaétéaccepté.« Croquezlesterritoires »c’est-à-direallerdansunerelationvraimentd’implicationdel’étudiantdansunespacepourqu’ilarriveàlasaisiràs’ensaisir.C’étaitunélémentimportant.Surl’approche, ladialogiqueesthétique/usageesttrèsfortesur lesquestionsdepaysagedont jenesuispasspécialiste.Monapprocheestquecettedifférencequiesttrèsforteparexempleentrel’approcheanglaise et l’approche française du paysage d’aujourd’hui vécu par les acteurs, en particulier par lesagriculteurs, on peut la triangulariser un peu en introduisant l’écologie. J’ai écrit un papier sur unecomparaison,unpapierquin’aaucuneprétentionmaisquiessaiedevoircommentj’aiperçulamanièredont lanatureordinaire,agricole,étaitconstruiteenAngleterre,enFranceetauJapon,autourd’unepondérationdifférentedecestroispôles.Nonpasseulementd’esthétiqueetusage.Esthétique,usageet perception écologique du vivant dans le paysage. Dernier point sur lequel cela va créer plus dedébat,c’estdans lerapportentreacteurhabitantd’uncôtéetpuispaysagisteprojeteurde l’autre, jesimplifieunpeu,onaeffectivementunequestionautourduprojet,delanotionmêmedeprojet.Est-cequeleprojet,c’estpourrévéleretvaloriserlesexpériencesetcompétenceshabitantesc’est-à-direquelque chose qui relèverait du maïeutique du territoire, du maïeutique de l’existant. On parle biend’unexistantvécuetqu’est-cequeleprojetpeutfairelà-dedans.Doncuneambitionjediraiauserviced’unterritoirevivant.Lerisqueestévident,leprojetcommeélémentvenudel’extérieur,peutbousculerdes compétences sociales, les rendre inopérantes puisqu’elles ne s’actualisent pas dans les mêmestemporalités.Parexemplelesgensvontinvestirpourtransmettredesbiensàleursenfantsalorsqueleprojeteurveutquedanscinqans,ilyaitdeschoses.JepenseàGillesCLEMENTquej’appréciebeaucoupparailleurs,quandilditqu’ilfautmettredesroncesdansleschamps,c’estvraiquelesgensn’ontpasforcémentenviedetransmettredeschampsderonceàleursenfants.Ilpeutyavoir,quandcesontdesbiensprivés,despetitshiatusdetemporalité.Etaussidesspatialitésparcequeleprojetsegèreàl’échelleduprojetquiestvariableetpuislesindividusparexemplepeuventtravaillerplussurleurpropriétéquiestpeutêtreéclatéedansl’espaceousurdesespacesd’attachement.Moijetravaillesurdesapprochestopologiquesdoncdespointsd’ancragetrèsparticuliersquisontdifficilesàpercevoirpourleprojeteur.Enparlantdesoinsetdejardinage,jetrouvaistrèsintéressantqueJean-MarcBESSEaitdonnédefactolamainauxhabitantsparcequ’ilspratiquentcelatouslesjours.Enpermettantintellectuellement,endébloquantquelquechosequipermettraitaupaysagiste,auprojeteurdedireonvaprendresoin,onpeutpeut-êtreréassortircesdeuxvisionsetdonnerdesélémentsdedéfensedelalogiquedeprojet,quiesttrèsattaquéeaussi,quiabeaucoupdedéfauts.Ilyadestasdegens,jepenseparexempleàlaSCOPlePavéquifaitdesconférencesgesticuléescontreleprojetparcequeleprojet,c’estlamanièrededésarticulerlessociétéslocales,c’estlamanièredechangerdefocale,defaçonàcequeleprojeteurdeviennecompétentetquel’habitantdevienneincompétent.Etça,c’estunvraiproblèmepournoustousquandon intervient sur le territoireaveccettehistoiredesoin,de jardinagecomme image,onpourraitpeut-êtredépassercettedialectique-là.Avoir.

Roland VIDAL,École Nationale du Paysage de Versailles :

Dansunouvragequevousavezdirigéilyapasmaldetemps,quis’appelle« Écrirelepaysage »,c’étaitàl’universitédeLille,j’avaisparticulièrementappréciéunarticledeJean-FrançoisLYOTARDquis’appelait«Scapeland».DanscetarticleLYOTARDnousexpliquequ’iln’yapasdepaysagesansdépaysement.Il établiune sortede lienconsubstantielentre lesdeuxdont ilditquec’estunepropositionquiestréciproque,iln’yapasdépaysementsanspaysage.Bref,onretrouveunefaçonquim’asembléeassezfondatrice,uneidéequiestreprisepard’autresauteurs,l’idéedureculquel’onretrouveparailleurschezbeaucoupd’autres.Orcetteidéededépaysementquiseraituneconditiondupaysage,onnelaretrouvepasdanslaconventiondeFlorence,entoutcaspasexplicitementetjenel’aipasretrouvénonplusdansvotreexposécommes’ilétaitpassédemode,quecelanefaisaitpluspartieduchampconceptueldupaysage.Doncmaquestionestsimple :qu’enest-ildudépaysementaujourd’hui?

Lilian VARGAS,chargé de mission à Grenoble Alpes Métropole et Pays Voironnais :

Vousnousavezdemandéderegarderavecpeut-êtreplusd’intérêtlafindevotreexposénotammentce qui a trait au carré du projet. Donc je l’ai fait. Situation, savoir, référence, idée. Cherchez l’intrus.Franchementidée,jerejoinsvotreposition,sonnebizarrementparrapportauxtroisautres.Laquestionquejemeposais,est-cequeidéecen’estpasunpeul’expressionpolicéedudésirdanscettenotiondeprojet.Pourmoi,lanotiondeprojetvientbousculeretinterrogerfortementlanotionmêmedepaysageausensoùlepaysagepuisquevousl’avezbiendécritaudébut,lepaysageestconstitutifdel’hommecomme l’homme est constitutif du paysage. En fait quand on travaille sur le projet du paysage, on

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travaillesurleprojetdel’homme.Ducoup,qu’est-cequ’onsouhaite,qu’est-cequ’ondésirepournotrepropreaveniretlà-dessus,lanotiondeprojetdécriéeparlaSCOPLePavé,estunpeutropformaliste.Vousavezditdel’idéequec’étaituneréponsecréativeorganisée.Est-cequejustementonn’estpastroporganiséetquelepaysagen’apasbesoind’unpeudeliberté,d’inventivitéetd’absencedeformalisme.Est-cequel’onneveutpastropenfermerlepaysagedansunprojetformel,tropcarré ?

Jean-Marc BESSE :

Quand j’ai fait ma longue intervention, j’avais oublié quelque chose, et comme on a abordé cettequestion-là, celamesemblebiende le réaborder. J’avaisaussi lu laconventiondepaysagepourunprojetderecherchescomparativesentrelaFranceetl’Italie.Cen’estpastellementlanotiondebien-êtrequim’avaitsautéauxyeux,maislefaitqu’oninsistaitsurlepaysageordinaireparrapportaupaysageremarquableetqu’on référait aussi lepaysageordinairepar rapportauxcommunautés locales.VousavezabordéçaàtraversJACKSONetlelieuparticulier.C’esttrèsprésentdanslapenséedesarchitectesanglaisquiparlentdesenseofplace.Est-cequelebien-êtrenepeutêtreobtenuquedansl’insertiondansunecommunautélocale ?Est-cequ’iln’yapascetteconception-làquiestenfaitderrièrecettenouvelleformederecherchessurlepaysagequiestentraind’émerger?

Pierre DONADIEU :

Ilyapleindequestionsque jevoulaisposer,quiontétéposées.Jevoudraisdireunechose,c’est larelecturedescinqpôlesparadigmatiques,carjen’enaipaslamêmeinterprétationquetoi. Cestroispôlesmeparaissentparfaitementjustifiés,maisenfaitc’estlerésultathistoriqued’unestratification.Malectureestaujourd’huilasuivante,quiestàpeuprèscomparableàlatienne,maisavecunenuance.Lepointdedéparteffectivement,c’estlepointdedépart.Territoireconstruit,fabriqué,lesgéographess’ensontemparés,ilss’enréemparentaujourd’hui,ilsl’éclairentmieux,tul’asdit.Verslesannées70,laquestionquis’estposée,çaaétélacriseenvironnementale.Etcettecriseenvironnementale,elleafaitapparaîtreetémergerlessciencesdel’environnement.Etvousvoussouvenezceuxquiontlu,d’unouvragequis’appelait«lamortdupaysage».Lamortdupaysageaimmédiatementappelécequiétaitdisponibleàl’époque,quiétaiteffectivementl’histoiredel’art,l’histoiredesreprésentations,delapeinture,delalittérature,etc.Maisceux-ciétaientopposésàl’émergencedessciencesdel’environnement,ets’ilyaeucetteréactivitéenFranceetcecourantensuitederecherchesquiaémergé,ilaémergécontrecequi était perçu comme une menace pour le paysage, à savoir une explication unilatérale unique etmonopolistiquedelaquestiondupaysageàtraverslessciencesdelanature.Çaajouéunrôleimportant,sibienque lepaysagecommeenvironnement, tu l’asditmaisdemanièreparfoispeut-êtrepas trèsradicale,moi je l’exprimaisd’unemanièreplus radicale.Aujourd’hui, il yaeuunpoint important, lessciencesdel’environnement,lessciencesdelanaturesontdominantescommeréférenceaupaysagedans les loisdeGrenelle,sibienqu’iln’estpas faciled’y réintroduire le territoire fabriquéhabitéet lepaysagecommereprésentation.Sibienquelesdeuxdernierstermes,expériencesensibleetdispositifsontfinalementcollésensembleparlesformationsetlesformationsdepaysagiste,etc.Aujourd’hui,onaeffectivementdececôté-làunesorted’instrumentalisationdecetteoppositionécologie,approcheécologiste, approche environnementaliste, scientifique, supposée désincarnée etc., et approchesensible.Donc,onrepartfinalementdecettepratique,del’émergencedesidéesdansleprojet.Alors,tuasutilisélemotidée,effectivementdiscuté.Jepensequelespaysagistesutilisentplusfacilementselonlesécoles,lemotconcept.Çac’estuneautrechose.Enfait,ilnefautpasprendrecescinqpôlescommeétant finalement l’expression simplifiée d’une complexité, mais comme l’émergence, la stratificationactuellequivaeffectivementauboutdedixouvingtanspeut-être,setraduireparquelquechosedepluscomplexe.Etpourterminer, ilyauneémergencepraticiennequiestextrêmement intéressanteet qui fait son affaire de la coalescence de l’ensemble, qui est l’urbanisme paysagiste, «  landscapeurbanism »,quiaémergédepuisdixans.Apartird’undoublepôleeuropéenetaméricainquiassociepar rapport à la commande les architectes paysagistes, les urbanistes, les architectes, les écologues,les environnementalistes etc., etc., les graphistes. Donc les approches pragmatiques anglo-saxonnesnousdonnentunexempledecequiaujourd’huivaprobablementêtrelefuturimmédiatdetoutescespenséesetpratiques,c’est-à-direunehybridationassezgénéraliséedeceschoses-là.

Jean-Marc BESSE :

Jevaiscommencerpar lafin.Effectivement,pourprendrecequedisaitPierre, je suisassezd’accordsur la nécessité d’historiciser un tel schéma. Ce n’était pas mon propos au début. J’étais plutôt danslaperspectived’unecartographie.Jeteremerciedetesremarques,quimontrentbienquec’estunesituationintellectuellequiaeusadynamiquepropre.Jepensequ’ilfautlerappelertoujours.Àproposd’idée, idéeconcept, idéedésir.Jesuiscontentquemapetiteprovocationaitmarchéquandmême.

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Cen’estpasqu’uneprovocation.Lemotidée,jel’aichoisienréférenceàuntyped’interrogationetdesproblèmesquejemepose.Ilfautentendrederrièrelemotidée,lemotidea.Celavientdeloincettehistoire,çavientduXVIèmesiècle,çavientdelathéoriedel’artqu’ontrouveenItalieauXIIIèmesiècle,celavientdumotidea.Etdanscesens,jeprendsausingulier.L’Ideaoul’idéeétantnonpassimplementunesortedereprésentationmentalefigéequel’onpourraitavoiràunmomentdonné,maisl’idéeétantprécisémentleprocessusetlerésultatdeceprocessusdanslacréationd’uneforme.L’idéeoul’ideadel’artistequandilestengagédanslafabricationd’uneœuvre.Cetteidée,elleestaudépartrelativementinchoative,confuseetprogressivement,ellevaseformer.C’estdanscesens-làquejeprendslemotidéeausingulieretc’estpourçaquefinalement,ellen’estpassimplementintellectuelleetquelemotdésir,ouentoutcasparcequevouslaissezentendreparl’ex-motconvientégalement.Onestvéritablementdansl’émergenced’uneformeintellectuellequivientrecomposerlaconceptionoulaperceptionquel’onpeutavoirdelaréalité.C’estpourçaqu’avoiruneidée,cen’estpaslamêmechosequed’avoirdesidéesausensbanalduthème.C’estpourçaquel’idée,cen’estpaslamêmechosequeleconcept.J’aieul’occasiond’endiscuterjustementavecdesétudiantsdequatrièmeannéecetteannéeàVersailles,ilyaunpetitexposésurlaquestionduconcept,non,non,l’idéeàmesyeux,c’estbeaucoupplusrichequeleconcept.Çapasseeffectivementpardesopérationsdeconceptualisation,dedéfinition,deréférenceabstraite,mais l’idée,c’est l’ensembledecemouvementoudeceprocessus temporelquipasseparl’inventionoulafabricationd’unpointdevuemental,quipermetdedonnersensouderedonnersensàuneréalitéenorganisantlaperception.Jenesaispassijesuisclair,maispourl’instant,jen’arrivepasàdiremieux,c’estpourçaquej’utiliselemotidée.Unprojeteurindividuelpeut-êtreporteuretc’estsonidéeausensoùc’estsagrandeintuition.Aufondderrièretoutça,etc’estmapositionépistémologiqueouphilosophie,moijesuistrèspartisanégalementd’uneapprocheintuitionnistedel’idée.Leprojeteurestporteurdesonintuition,c’estaufondcequivaluidonnersonidentitéentantqueprojeteur.Maisçapeut joueraussiauniveaucollectif. Jenesaispas si je répondsbien,mais jepourraisy revenir sivouslesouhaitez.Lepointquejeveuxdéfendre,c’estqu’ilyadansleprocessusdeprojet,leprocessusintellectuel,quipasseaussipardel’imagination,ilyavéritablementcetterecherchedel’expression,quivajusqu’àlapropositiond’uneformeréorganisatrice.

Je vais mettre ensemble deux remarques sur le paysage ordinaire d’une part et d’autre part sur leschémadirecteurenfinsurl’expressiondubien-être.Jepensequ’effectivementcettequestiondubien-êtreaétéplutôtportéeaudébutpardesrevendicationsenfaveurdulocal.C’estpourçaqueletextedeJACKSONquejevousailutoutàl’heureestàlafoistrèsintéressant,etpeutêtreconsidérécommemarquéparuncertaintypedelocalisme.Maisc’estvraiquej’étaisfrappéaussidansledomaineitalienparlesréflexionsetlestravauxautourd’AlbertoMAGNAGHIparexemplesurleprojetlocal.Çarésonnebeaucoup avec cette manière d’envisager la question du bien-être. Je ne pense pas négliger cetteapprochelocale,maisjepensenéanmoinsquecelapeutsejoueràplusieurséchelles,etquelaquestiondubien-être–j’aibienaimévotreréactionsurlemal-êtrejustement–ellepeutsejouerdemanièreterritoriale.Maisalors,vousavezvous-mêmelesréponsesàvosinterrogations.Çarenvoieàquoi ?Çarenvoieàrienducôtédupaysage.Çarenvoieàtoutducôtédel’économie.J’aitrèschoquéhiermatinjustementenentendantlamêmeémission.Parcequederrièretoutça,ilyaunecertaineconceptiondecequ’estl’actionpubliqueetsurtoutunecertaineconceptiondesprincipesdel’actionpublique.Onestdevantundiscoursdetypeéconomiste,maissurtoutjepensequelàoùilfaudraitêtreàl’offensif,c’estjustementsurunecertainecompréhensionetconceptiondel’économieelle-même,quiaperdutouteattacheavecl’économieentantquesciencessocialestoutsimplement.C’estlamathématisationdel’économiequiposeproblèmevéritablement.Cen’estpasl’économieentantquetelle,c’estlefaitque l’économie n’est plus une économie politique ou une économie sociale et qu’elle a coupé toutlienavecl’essencesocialeetdefait,onacegenrededésastreintellectueletpratique,àmonavis.Jepensequ’ilyauneresponsabilitépolitiqueimportantedansladiffusionetlamiseenplaced’unetelleapproche.Effectivement,jefaispartiedeceuxquidéfendentleshumanités,etjepensequec’esttoutàfaitimportantd’adoptercepointdevueenparticulierquandonseposelaquestiondubien-être,maisaussilaquestiondupaysage.

Pour ce qui concerne le dépaysement, je suis très content que vous fassiez allusion à cela. Je vaisvous raconter lagenèsedu truc.Cenuméro« Écrire lepaysage »publiéen1988,dans la revuedesscienceshumainesdel’universitédeLille,estenfaitdansunelittératureaudépart.Cenuméro« Écrirelepaysage »estlasuited’unséminairequiavaiteulieupendanttouteuneannéedansunlaboratoiredelittérature.Àlasuitedecela,ledirecteurdecetterevuem’avaitdemandédefaireunnuméro.J’avaisunelistedemotstrèslongueetj’avaisdemandéàdifférentsauteursderéagir.LYOTARDavaiteulagrandegentillessedeme faireune longuecorrespondanceautourdeça,etcequevousavezdans l’article,c’estunpetitextraitdequelquechosequiaéténourripardescorrespondances.Monattachementsurcetermeestlemotdépaysement.Alorspeut-êtrenel’ai-jepasmissuffisammentenvaleurdansmonproposaujourd’hui,maisj’yattacheunetrèsgrandeimportancedanslamesureoùpourmoi,c’estle

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signemêmequelepaysagen’estpasunobjet,ausensusuelquel’ondonneàceterme-là.C’est-à-direcommeunechaisedontonpourraitfaireletouretvéritablementquelquechosequiestinachevable.Onestdansledomainedelapenséeouverte.Etc’estçaquesignalelanotiondedépaysement.Paysagecommedépaysementçaveutdireprécisémentqu’ilyatoujoursquelquechoseenplus,quelquechoseà côté. C’est ce que j’avais essayé d’indiquer en développant cette notion d’expérience. Pour moi lepaysageestaussi fondamentalementunequestiond’expérience.C’estpourçaquepar rapportàcequetudisaisPierre,j’aiunpetitpointdedésaccordparcequecettequestiondel’expériencepaysagèren’estpasl’apanagedecequisefaitdanslesécoles,quecesoitl’architectureetlepaysagemêmes’ilyabeaucoupdedéveloppementdececôté-làencoremaintenant.C’estvéritablementquelquechosequiaétéprisencharge,paruneapprocheartistiqueausenstrèslargedutermedepuisfortlongtemps,quecesoitdanslesartsplastiques,lesartsvisuelsoulalittérature,maisaussitoutsimplementpartoutunchacun.L’expériencedupaysageestuneexpériencetrèsordinaire,lefaitd’êtreprisdansquelquechosequinoustraverse.Ilsuffitdeserendredisponible.

Deuxchoses.Onvoitbienquecequiestenjeudansnosdiscussions,c’estlesensquel’ondoitdonnerau mot projet. Effectivement, nous pouvons dire que nous croulons sous les projets, nous sommesfatiguésdesprojets,lesmotsd’ordredel’époque,domainedel’activité.JesuisauCNRS,jepassemontempsàrédigerdesprojets,àimaginerdesprojets,àcontrôlerdesprojets.C’estquelquechosequiesthallucinant.Au fond,cequ’il faudraitvéritablement interroger,c’est lesensque l’ondonneàcemotprojet,quiestunsensprécisémentproductivisteaufond,quinelaisseaucuneplaceàautrechosequiestdel’ordredel’action,quiestdel’ordredelatransformation,maisquijustement,j’aiprononcélemotjardinage,j’appelleçalesoin,j’appelleçauneautremanièred’agir.Jen’aipasdetermevéritablementdéfini,maisjepensequel’onabiencomprisdequoiils’agissait.

Unpointetceseramadernièreréponseàproposdeshabitantsetdesprojeteurs.Jepensequec’estunequestionimportante.J’aicoutumededireauxétudiantsquelepaysagistenedoitpassecomportercommeunvoleur,c’est-à-direceluiquiarrive,quifaitquelquechoseetquis’envatoutdesuite.C’estunepratiqueassez fréquentepourdes raisonsque l’onpeutcomprendreparailleurs,desnécessitéséconomiques,voilà.Mais jenecroispasque l’onpuisse faireduprojet sérieusementsanspasserdutempsdansle lieuoùl’onsetrouve.Leprojet,c’estquelquechosequidurelongtemps,quisupposequel’onrevient,quisupposequel’onhabitelà,quel’onsorteprécisémentdel’attitudedelafiguredel’expertquivientapporterlessolutions.Jepensequ’ilyavéritablementquelquechosequ’ilfautréfléchiràpartirdelà.D’autrepart,jenesuispasnonpluspouruneapprochequej’appelleraidémagogiquequidirait:«Leshabitantsonttoujoursraison».Nonleshabitantsn’ontpastoujoursraisonparcequecelaveutdirequoiavoirraison ?Celaveutdire,est-cequ’ilfautmettredesthuyaspartout,est-cequ’ilfautfermertout,empêcher…Vousvoyezcegenredeconsidérations.Decepointdevue-là,lesavoirdontestporteurlepaysagisteouleprojeteurdemanièregénéraleasadignité.Jepensequ’ilfautsortirdel’alternativeoùl’onseraittoutextérieur,outoutintérieur.Laquestionestcelledupassageconstantentreextérieuretintérieur,delaconfrontationconstanteêtrel’expertetl’habitant,maisjediraiàcompétenceégalereconnuedepartetd’autre.Çaveutdirequoi ?Jenesaispastropcequecelasignifieparceque,est-cequecelaveutdirequ’ilfaudraallerducôtédecequel’onappelleaujourd’huilaparticipation.Jepensequec’estuntermequiestpiégeant,maisquiestlemotquel’onveutprononceretquel’onn’osepasprononcerderrière.C’estlemotdémocratietoutsimplement.Ilyaunmomentoùilfautaccepterettoutlemondedoitaccepter,ilyaaussidesexpertsdanscettepopulation,desporteursd’unsavoir.Leshabitantsnesontpasforcémentlesmieuxplacéstoujours,l’expertpeutaussisetromperetc’estcequiconstitueledébatpublic,l’espacepublicetquin’estpasdestinéàêtreunespacepacifique,quiestdestinéàêtreunespacedecontroverse,unespacedeprisesdedécisionsdissymétriquesparfois.C’estpourçaquemoijeréagiraicommeçaparfois.Àcompétenceégale,ilfautreconnaîtreeffectivementlescompétencesdeshabitants,çameparaîtinéluctable,nécessaire,maisaussiilyalescompétencesdesprojeteurs.Lavraiequestion,c’estd’organiserlesdispositifsderencontre,del’ordredelamédiationausensoùonapuleprésenter,desdispositifsderencontre,decontroverse,d’échangedepointsdevue.Maisilmesemblequelacléestdansletempsquel’onpasse.Elleestdanslesconversations.C’estletempsquel’onpasse.

INTERVENANT :

Est-cequejepeuxposerunequestionquirevientsurlaquestiondedépart,quetuasposéetoutàfaitaudépartetsurlaquelletun’espasrevenu.Quelssontlessavoirscapitalisablesqueproduitleprojet ?Cesontàpeuprèslestermesaudépart,leprojetdepaysage.

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Jean-Marc BESSE :

Lesavoircapitalisable,jepensequ’ilyad’aborduneintelligencedeslieux.Unecompréhensiondecesconditionsnaturelles,géographiques,etc.etaussidesonhistoire.Jecroisquefondamentalement, jerésumeraiàça.Jeparlepourlebénéficedelacollectivité.Leprojetapporteça.C’estunélémentessentielpeut-êtrepourlapossibilitéd’unbien-être,c’est-à-direlaconnaissancedecequ’ilestpossibledefaire,de ce qu’il n’est pas possible de faire, de ce qui a été fait. Bref, la redéfinition d’une sympathie avecl’endroitoùl’onsetrouvetoutsimplement.Jepensequec’estlepointessentielpourcequiconcernelacollectivitéàlaquelleestdestinéeaufondleprojet.

INTERVENANT :

Jevoulais revenir sur lemotprojet. Jepensequesi l’onveutavoirunepenséeunpeunovatriceduprojet, il fautabsolumentdissocierprojetetchangement.Lesprojetistes italiens, ilsparlentdeprojetde conservation et de projet de transformation, et je trouve que c’est une idée intéressante. Quandonregardeuncertainnombredetravaux,detravauxdifférents, laréalité,onpeut l’imaginercommeunejuxtapositiondechosesquineproduisentpasdesens.Leprojet,c’estjustementrecomposerceschoses-làdetellemanièrequeçaproduisedusens.Celaneveutpasdireforcémenttransformer.Toutelafascinationdesarchitectes,desurbanistes,despaysagistes,c’esttoujourscetteidéequeleprojet,c’estlefutur,c’estl’anticipation,c’estl’invention,c’estl’avenir.Jepensequ’ilfautabsolumentdécouperlesdeux.Jean-Marc BESSE :

Jediraipeut-êtreunpeudifféremment,maisjepensequ’endissociant-celarésonneaveccequevousvenezd’indiquer–uneapprochequiseraitpurementtechnicienneouinstrumentaleilyadesintérêtseffectivement instrumentaux, on peut avoir une vision instrumentale du projet, mais à côté de cesintérêts instrumentaux, il yaaussi les intérêts liésau sens.Cettequestionduprojetcommeporteurdesens,unsenssocial,unsenspolitique,unsensculturel,elleestessentielle.Onnepeutlanégliger,l’oublierdansuneréflexionsur leprojet.Onnepeutpasavoirunevision instrumentaleduprojet.Jerejoinsvolontiersvotrepointdevueetjeterminerapidementl’éthiquedubien-être.C’estunehistoireassezcompliquée.Aujourd’hui,pourquoionvaparlerencestermes-là,qu’est-cequeçasignifiedansla conjoncture intellectuelle. Cela signifie un réinvestissement de toute une tradition de pensée, enparticulierenFrancequiavaitétérelativisée,lasecondearrivée,quiestl’empirisme.EnFrance,ilyaunegrandetraditionintellectualiste,DESCARTES,unecertainelecturedeKANT,la3èmeRépublique,ALAIN.Cesontdesvisionstrèsintellectualistesdel’activitéhumaine,dusensdel’activitéhumainequianégligétouteuneautretraditiontoutaussiprésente,mais,finalementbeaucoupplusprésenteenAngleterrequ’enFrancealorsqu’elleavaitses représentantstrès importantsenFrancequisontCONDILLAC,quisonttouteunesériedepenseursMAINEDEBIRAN…EtaufondlaphénoménologieduXXèmesièclereprendcethéritage-là.Ils’agitdevaloriserouderevaloriserlecorps.Jedisbienlecorps.Lecorps,cen’estpaslaphysique,lecorps,c’estl’esprit.Lepointestfondamentalàcomprendre.L’oppositionn’estpasentrelephysiqueetlemental.Onn’estpasdanscetteperspective-là.Lecorps,c’estlacompréhensiondu faitque les individushumains sontpourainsidired’unseulblocà la foiscorpsetesprit.Quandonparled’expériencecorporelle,cen’estpaslamêmechosequel’expériencepurementphysique.Laconsidérationdubien-être,c’estlaconsidérationenréalitédurôlecentraldesexpériencescorporellesdansl’appréhensionquenouspouvonsavoirdumondeetdanslesqualificationsquenouspouvonsfaireduréel.Reconnaîtrelalégitimité.Onparlaitdemal-être,ilyauninstantoudebien-être,onparlaitd’habiter,d’habitableoud’inhabitable,reconnaîtrelalégitimitédel’expériencedescorps.Jepensequec’estabsolumentfondamentalpouruneréflexionhumanisteprécisémentsurlaquestiondupaysage.

Page 26: Conférence. "Paysage et projet"

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