Conf Juristes Etat 20040303 01

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NOTE : Le texte qui suit est une version revue et augmentée de la conférence présentée lors du Sémi interaméricain sur la gestion des langues (Québec !"#$% ao&t !%%!' MESURES LINGUISTIQUES VISANT LA PROTECTION DES CONSOMMATEURS Jean Dansereau Conseiller juridique Oi!e qu"#"!ois de la lan$ue ran%aise Le ran%ais es& la lan$ue oi!ielle du Qu"#e! ' ( Il es& aussi en )ran!e la * lan$ue de la R"+u - . /ais derri0re !es "non!"s &r0s si/ilaires se !a!1en& des r"ali&"s +roond"/en& d des +oli&iques lin$uis&iques /ises en 2u3re +ar les 4&a&s s5e6+liquen& +ar de !1a!un. e& le ra++or& en&re la lan$ue ran%aise e& la so!i"&" qu"#"!oise qui +eu& e6is&er en )ran!e ou dans d5au&res +a8s euro+"ens. en&re la lan$ue "3iden& que l5e6+ression * +oli&ique lin$uis&ique , ne +eu& +as a3oir le /7 un +a8s sou3erain. !o//e la )ran!e. 9 une r"$ion d5Euro+e. !o//e la Ca&alo$ en!ore au Qu"#e!( Dans le !on&e6&e qu"#"!ois. nous n5assis&ons +as 9 des !o di:aine de lan$ues di"ren&es. a++ar&enan& en +ro+re 9 di3ers +a8s ou qu5i +lu&;& 9 l5u&ilisa&ion de la lan$ue ran%aise !o//e l5ins&ru/en& na&ionales !on!urren&es. la qu"#"!oise e& la !anadienne( D5au!uns diraien& r"solues d5un 3ieu6 !onli& en&re deu6 lan$ues !oloniales( Au Qu"#e!. la +oli&ique lin$uis&ique a !o<n!id" a3e! l5arri3"e au6 aaires ran%aise. d"&er/in"e 9 e6er!er &ous les +ou3oirs de l54&a& +ro3in!ial( Cel !ara!&0re +lus /ili&an&. en l5asso!ian& 9 l5id"olo$ie na&ionalis&e e& 9 la !on&inue en!ore aujourd51ui 9 orien&er les +er!e+&ions( Ce&&e +oli&ique lin d5une si/+le /esure de +ro&e!&ion du !onso//a&eur( Le Qu"#e!. +ro3in!e de d des ini&ia&i3es lin$uis&iques dans &ou&e la /esure o le +er/e&&aien& ses ! no&a//en& en res&rei$nan& l5a!!0s au r"seau +u#li! d5ensei$ne/en& en lan$ue !onnaissan!e du ran%ais au6 /e/#res des ordres +roessionnels. en $aran&is ran%ais( Enin. e& !5es& !e qui ai& l5o#je& du +r"sen& e6+os". +lusieurs lan$ue du !o//er!e e& des aaires. dans la C1ar&e de la lan$ue ran%aise. au6 !onso//a&eurs de #iens e& de ser3i!es l5a!!0s 9 l5inor/a&ion u&ile sur sur les !on&ra&s qu5ils si$nen&( Dans !e !on&e6&e. il s5a$i& d5"&a#lir si l /ar!1andises sur les /ar!1"s es& +lus i/+or&an&e que!elle des !onso//a&eurs d5a3oir a!!0s 9 l5inor/a&ion sur les +rodui&s dans leur lan$ue. ou &ou& au /oins dans une B ( E& !e&&e lan$ue. au Qu"#e!. es& le ran%ais( On se +ro+ose i!i de +asser en re3ue les /esures +rises +ar la C1ar&e de la +ro&e!&ion du !onso//a&eur. d5en "3aluer l5ei!a!i&" e& les li/i&e o#s&a!les au6quels !es /esures son& !onron&"es dans le !on&e6&e nord@a/"ri ' C1ar&e de la lan$ue ran%aise. L(R(Q(. !( C@''. ar&( ' er ( Le /7/e &e6&e i$urai& 9 l5ar&i!le +re/ier de la lan$ue oi!ielle ou * loi -- , L(Q( '=> . !( F( - Cons&i&u&ion ran%aise. ar&i!le - * La lan$ue de la R"+u#lique es& le ran%ais B L5"!ri3ain Do/inique No$ue:. dans Le Monde du H ao & -??- re+ris dans Le Devoir du '?@'' ao &F a or/ul" la ques&ion dans les &er/es sui3an&s * le droi& quKon sKadresse 9 3ous en 3o&re la il sKa$i& dKune des si6 lan$ues oi!ielles de lKONU. +arl"e sur &ous les !on&inen& de &ra3ail des ins&i&u&ions euro+"ennes. F !e droi&. dis@je. 3au& #ien !elui de /ar!1andises unilin$ues dans &ous les re!oins du /onde !a+i&alis&e( ,

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NOTE : Le texte qui suit a t prsent, sous une forme lgrement diffrente, lors du Sminaire interamricain sur la gestion

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NOTE: Le texte qui suit est une version revue et augmente de la confrence prsente lors du Sminaire interamricain sur la gestion des langues (Qubec, 28-30 aot 2002)

MESURES LINGUISTIQUES VISANT LA PROTECTION DES CONSOMMATEURS

Jean Dansereau

Conseiller juridique

Office qubcois de la langue franaise

Le franais est la langue officielle du Qubec. Il est aussi en France la langue de la Rpublique, mais derrire ces noncs trs similaires se cachent des ralits profondment diffrentes. Les traits particuliers des politiques linguistiques mises en uvre par les tats sexpliquent par le contexte historique et national de chacun, et le rapport entre la langue franaise et la socit qubcoise est loin dtre le mme que celui qui peut exister en France ou dans dautres pays europens, entre la langue nationale et ltat. Il est bien vident que lexpression politique linguistique ne peut pas avoir le mme sens, lorsquelle sapplique un pays souverain, comme la France, une rgion dEurope, comme la Catalogne ou le pays basque, ou encore au Qubec. Dans le contexte qubcois, nous nassistons pas des conflits sculaires entre une dizaine de langues diffrentes, appartenant en propre divers pays ou quils partagent entre eux, mais plutt lutilisation de la langue franaise comme linstrument de la construction de deux identits nationales concurrentes, la qubcoise et la canadienne. Daucuns diraient que ce sont l les squelles mal rsolues dun vieux conflit entre deux langues coloniales.

Au Qubec, la politique linguistique a concid avec larrive aux affaires dune classe moyenne de langue franaise, dtermine exercer tous les pouvoirs de ltat provincial. Cela lui confrait demble un caractre plus militant, en lassociant lidologie nationaliste et la fivre des annes1970, ce qui continue encore aujourdhui orienter les perceptions. Cette politique linguistique va donc bien au-del dune simple mesure de protection du consommateur. Le Qubec, province de droit civil, a mis en uvre des initiatives linguistiques dans toute la mesure o le permettaient ses comptences traditionnelles, notamment en restreignant laccs au rseau public denseignement en langue anglaise, en imposant la connaissance du franais aux membres des ordres professionnels, en garantissant le droit de travailler en franais. Enfin, et cest ce qui fait lobjet du prsent expos, plusieurs dispositions du chapitre sur la langue du commerce et des affaires, dans la Charte de la langue franaise, nont dautre but que dassurer aux consommateurs de biens et de services laccs linformation utile sur les produits quils achtent et sur les contrats quils signent. Dans ce contexte, il sagit dtablir si la libert des fabricants doffrir leurs marchandises sur les marchs est plus importante que celle des consommateurs davoir accs linformation sur les produits dans leur langue, ou tout au moins dans une langue quils comprennent . Et cette langue, au Qubec, est le franais.

On se propose ici de passer en revue les mesures prises par la Charte de la langue franaise pour la protection du consommateur, den valuer lefficacit et les limites, et de relever au passage certains obstacles auxquels ces mesures sont confrontes dans le contexte nord-amricain.

I. Le droit du consommateur linformation

Principes gnraux

La Charte prvoit, parmi les droits linguistiques fondamentaux, celui du consommateur dtre inform et servi en franais. Les consquences pratiques en sont prvues par le chapitre sur la langue du commerce et des affaires. Mais les dispositions de la Charte en cette matire sont le plus souvent passes sous silence ou noyes dans le bruit des controverses sur laffichage public ou la langue de lenseignement. Il existe certes des dfis intellectuels plus stimulants que ceux que prsentent les emballages des botes de biscuits. Pourtant, les choses ne sont pas si simples, certains enjeux sous-jacents existent, quon aurait tort de ngliger, et chacun comprend que si les fabricants ne prsentent pas leurs produits en franais sur le march qubcois, il doit y avoir cela dautres causes que leur ignorance des termes franais appropris. Le vrai problme ici nest pas dordre terminologique, et le fait que ltat offre gratuitement des ressources terminologiques ne sera jamais, lui seul, une vritable solution. La valeur conomique dune langue se mesure ou devrait se mesurer aussi sa prsence dans tous les aspects de la vie quotidienne, et le fait doffrir au consommateur des produits prsents en franais demeure une faon sre de respecter son autonomie et ses choix. Tel est le vritable enjeu.

Il y a ici parfaite convergence en effet avec lune des rgles centrales du droit civil, qui fait du consentement la base du contrat. Si le consentement est requis pour la formation du contrat dachat, il importe aussi que le consommateur connaisse les caractristiques du produit quil achte et quil puisse sen servir normalement. Tout cela est dj consacr depuis longtemps dans la Loi sur la protection du consommateur, une loi, il faut le souligner, qui ne prvoit rien sur la langue de ltiquetage des produits, et qui ne confie en cette matire aucun mandat particulier lOffice de la protection du consommateur. La seule rgle linguistique quelle comporte concerne les contrats de consommation, la loi prvoyant, larticle26, que le contrat et les documents qui sy rattachent doivent tre rdigs en franais, quils peuvent tre rdigs dans une autre langue si telle est la volont expresse des parties, et que sils sont rdigs en franais et dans une autre langue, au cas de divergence entre les deux textes, linterprtation la plus favorable au consommateur prvaut. Cette loi, tout en exigeant une version franaise, fait donc prvaloir en dernire instance lintrt du consommateur sur le statut de la langue franaise, pour le cas o il y aurait un conflit entre ces deux valeurs, mais ce faisant elle parat tenir pour acquis que le consommateur a compris le sens des deux textes, pour choisir celui qui lui est le plus favorable. Elle tient aussi pour acquis que le commerant lui a offert ce choix.

Quant au Code civil du 1erjanvier1994 il ne prvoit non plus aucune rgle sur la langue des contrats, sauf en matire de baux de logement. Nous y reviendrons. Il comporte nanmoins des dispositions sur la scurit des produits, qui pourraient avoir des consquences de nature linguistique, car larticle1468 prvoit que tout fabricant ou intermdiaire commercial peut tre tenu de rparer le dommage caus par un dfaut de scurit du bien, larticle1469 prcisant que le dfaut de scurit inclut labsence dindications suffisantes quant aux risques et dangers quil comporte ou quant aux moyens de sen prmunir. La garantie linguistique est donc ici de nature implicite.

Affichage et imprims publicitaires

Laffichage est la forme la plus vidente de linformation transmise au consommateur. Lensemble des affiches et des panneaux publicitaires composent un paysage disparate form de noms dtablissements, de slogans, de marques de commerce. Tous ces messages ne sont au fond que des offres de biens et de services, et la distinction traditionnelle entre les raisons sociales et les autres formes daffichage public tend aujourdhui sattnuer, parce que les noms dtablissements eux-mmes obissent aux rgles du marketing de masse et du franchisage. La premire loi non crite en matire daffichage devrait donc consister, pour les commerants, sadresser leurs futurs clients dans une langue que ceux-ci comprennent. Pourtant, au Qubec, une loi a t ncessaire pour accomplir ce qui, dans tout autre contexte, irait de soi, cest--dire pour faire en sorte que les commerants respectent la langue de leurs clients. Rappelons que lorsque la Cour suprme du Canada a statu en1988 sur la validit constitutionnelle de lusage exclusif du franais dans laffichage public, elle a examin la porte de la garantie relative la libert dexpression. Or, pour dterminer que cette garantie ne sapplique pas seulement au discours politique ou religieux, mais aussi lexpression commerciale, elle a li son analyse au droit linformation commerciale, donc la protection du consommateur. Il faut voir en quels termes sest exprime la Cour:

Au-del de sa valeur intrinsque en tant que mode dexpression, lexpression commerciale qui, rptons-le, protge autant celui qui sexprime que celui qui lcoute, joue un rle considrable en permettant aux individus de faire des choix conomiques clairs, ce qui reprsente un aspect important de lpanouissement individuel et de lautonomie personnelle. La Cour rejette donc lopinion selon laquelle lexpression commerciale ne sert aucune valeur individuelle ou sociale dans une socit libre et dmocratique et, pour cette raison, ne mrite aucune protection constitutionnelle.

Ce passage est le point tournant de la dcision. Cest donc la possibilit pour les consommateurs de faire des choix conomiques clairs qui sert de toile de fond, le droit du consommateur linformation commerciale tant prsent comme la garantie de la libert dexpression du commerant. Mais cet argument, valable peut-tre dans dautres contextes comme linformation sur les prix, parat trange en matire linguistique. Car si lexpression commerciale protge autant ceux qui coutent que ceux qui sexpriment, il serait tonnant que les premiers soient aussi bien protgs que les seconds, quand le message exprim est dans une langue quils ne comprennent pas. Quoi quil en soit, la Cour a reconnu que la libert dexpression des commerants pouvait valablement tre restreinte, sur le plan constitutionnel, par une rgle imposant la nette prdominance du franais dans laffichage, pourvu quelle ninterdise pas dautres langues.

Les imprims publicitaires constituent un autre vhicule dinformation, pour lequel la Charte impose galement lemploi du franais, sans interdire lemploi dautres langues, condition que le franais soit prsent de faon au moins quivalente. Dans ce cas, la Cour suprme, dans un autre arrt rendu le mme jour, a conclu que la libert dexpression du commerant tait certes compromise, puisquil est tenu dutiliser une langue qui nest peut-tre pas la sienne, mais pas au point de porter atteinte ses droits constitutionnels, puisquil conserve aussi la libert dutiliser dautres langues. La Cour a appliqu la mme analyse aux factures, bons de commande et documents analogues, viss par larticle 57.

Prsentation des produits

Bien plus encore que laffichage public, ltiquetage et lemballage des produits, ainsi que leurs notices dutilisation, sont en rapport direct avec le droit des consommateurs dtre informs sur les biens quils achtent ou, pour reprendre les termes de la Cour suprme, le droit de faire des choix conomiques clairs. Dans un jugement de1976, la Cour dappel du Qubec avait dailleurs invoqu largument de la loyaut des transactions pour reconnatre la validit des exigences du Qubec en ce qui a trait ltiquetage en franais des produits alimentaires. Tous les aspects de notre vie quotidienne sont touchs par ltiquetage et lemballage des produits dont nous faisons usage, quil sagisse des plus ncessaires ou des plus superflus. Ltiquetage peut devenir un enjeu politique ou idologique, comme on le voit avec le dbat sur les organismes gntiquement modifis (OGM), ou celui sur le label biologique, et il peut mme prsenter des connotations religieuses comme dans le cas des produits cachres.

Lentre en vigueur des dispositions relatives ltiquetage des produits en franais, dabord dans la Loi de1974, et ensuite dans la Loi de1977, a institu au Qubec une sorte de march distinct, form de sept millions de consommateurs dont limmense majorit sont de langue franaise, ce qui ne reprsente tout de mme que 2% de lensemble de lAmrique du Nord. On peut mme se demander si, dans lesprit de certains de nos partenaires commerciaux, le march qubcois existe bel et bien, celui-ci tant le plus souvent considr comme une partie intgrante du march nord-amricain. Bien sr le franais est la langue officielle du Qubec, et la langue dusage de plus de 82% de sa population, mais ce sont l des ralits qui, pour tre videntes nos yeux, doivent constamment tre rappeles tous les intermdiaires commerciaux. Lorsquils offrent des produits au Qubec, ils le font trs souvent en donnant effet des dcisions prises lextrieur du Qubec, et applicables tout le march canadien.

Depuis la suppression des exigences linguistiques qui portaient spcifiquement sur ltiquetage des aliments, et si on fait abstraction du rgime trs particulier qui vise les matriaux de rembourrage, la disposition-cl en cette matire demeure larticle51 de la Charte :

Toute inscription sur un produit, sur son contenant ou sur son emballage, sur un document ou objet accompagnant ce produit, y compris le mode demploi et les certificats de garantie, doit tre rdige en franais. ()

Le texte franais peut tre assorti dune ou plusieurs traductions, mais aucune inscription rdige dans une autre langue ne doit lemporter sur celle qui est rdige en franais.Ce texte est en vigueur depuis le 26aot1977 et na pas subi de modifications depuis cette date. Sa formulation impose certaines limites. Par exemple, les appareils tlphoniques (tlphones et rpondeurs) ont recours des messages parls. Comme le texte lgislatif ne vise que les inscriptions, donc des textes crits, ces messages vocaux nont pas tre traduits. Quant aux inscriptions elles-mmes, elles devraient tre en franais, sous rserve bien sr des exceptions prvues par le Rglement sur la langue du commerce et des affaires. Lune de ces exceptions, prvue larticle 3,6e de ce texte, vise les messages gravs, cuits ou incrusts, ou encore rivets ou souds au produit, ou qui y figurent en relief (sauf les messages ayant trait la scurit). La prsence dune telle exception sexplique manifestement par le souci de tenir compte de certaines inscriptions faisant corps avec le produit, et pour lesquelles les changements ncessaires doivent, le cas chant, tre apports ds ltape de la fabrication du produit. Or, pour diverses raisons, cette exception a parfois reu une porte exagre qui a pu avoir pour effet de rduire le domaine dapplication de la loi lgard de produits dusage courant comme les lectromnagers, les appareils lectriques, les composantes lectroniques, les priphriques dordinateurs, les quipements de bureau. De plus, dans le cas particulier des appareils lectromnagers comme les cuisinires et les rfrigrateurs, le dplacement des activits de fabrication vers les tats-Unis a entran de ce fait une rgression du bilinguisme dans les messages qui figurent sur les produits, mme si ces messages concernent la scurit.

ce propos, on peut trouver au Qubec toutes sortes de marchandises et dquipements prsents en anglais seulement, et accompagns de consignes de scurit dans cette langue. Il faut souhaiter que le public qubcois, pour sa propre scurit, connaisse le sens du mot anglais warning, surtout quand il est suivi des mots injury or death may occur. Les fabricants sont certes soucieux de respecter la lettre les consignes de scurit lorsquils vendent des produits aux tats-Unis, soit parce que des textes officiels les imposent, ou peut-tre parce quils craignent des poursuites en dommages. Pourtant, il semble quils ne soient pas convaincus pour autant que les acheteurs qubcois doivent toujours bnficier des mmes mises en garde en franais. Cest le cas par exemple pour les pneus, pour les automobiles (tableaux de bord), pour certains quipements industriels, ou pour les produits inflammables. En cette matire, lOffice qubcois de la langue franaise na jamais accept que la scurit des usagers de langue franaise soit assure par de simples pictogrammes, l o lusager de langue anglaise pouvait compter sur une mise en garde rdige en toutes lettres.

Contrats dadhsion

Larticle55 de la Charte prvoit que:

Les contrats dadhsion, les contrats o figurent des clauses-types imprimes, ainsi que les documents qui sy rattachent sont rdigs en franais. Ils peuvent tre rdigs dans une autre langue si telle est la volont expresse des parties.

Dans laffaire Nol Parent c. British Aviation, le tribunal sest bas sur cet article pour juger inopposable lassur une clause dexclusion qui ntait rdige quen anglais, mme si le courtier avait offert de donner des explications en franais. Dans une autre affaire, qui concernait un contrat de distribution de machinerie agricole, la Cour suprieure a jug que cette forme de contrat primprim devait bnficier des garanties que la Charte prvoit en matire de contrats dadhsion.

Contrairement au contrat de gr gr, o les parties ngocient dgal gal, le contrat dadhsion fait en sorte que lune des parties na que le choix daccepter ou non les termes du contrat. Mme ce choix tout fait lmentaire est souvent illusoire: pensons par exemple aux abonnements des services publics, auxquels les usagers nont gure la possibilit de renoncer. Dans ce cas, nous disent les auteurs, il y a un risque que le plus fort dicte sa loi au plus faible, et lintervention de ltat se justifie par le souci de faire contrepoids lingalit conomique, et dviter ainsi que le vhicule contractuel ne devienne linstrument dune exploitation. Le Code civil du 1erjanvier1994 en donne plusieurs exemples, que ce soit dans les rgles dinterprtation, qui en cas de doute jouent en faveur de celui qui adhre au contrat (art.1432C.c.), que ce soit pour prvoir la nullit des clauses externes dont ladhrent naurait pas eu connaissance (art.1435C.c.), ou la nullit des clauses illisibles ou incomprhensibles si ladhrent en souffre prjudice (art.1436C.c.). On a pu conclure que leffet global de ces rgles dictes par le nouveau Code civil a t dtendre lensemble des contrats dadhsion la philosophie applicable jusque-l au seul droit de la consommation. Il reste que toutes ces garanties au bnfice de ladhrent ne valent rien si le contrat est rdig dans une langue que celui-ci ne comprend pas. Face un rgime de protection toff mais ne comportant aucune garantie linguistique expresse, les rgles prvues par la Charte viennent ici suppler au silence du Code civil.

Le Code civil est moins discret en matire de baux de logement, mais les dispositions qui existent ne sont pas entirement satisfaisantes. Le Code prvoit que le bail et le rglement de limmeuble doivent tre rdigs en franais, mais quils peuvent tre rdigs dans une autre langue si telle est la volont expresse des parties, et que tout avis relatif au bail doit tre rdig dans la mme langue que celui-ci. Le Code ne mentionne pas la langue anglaise, mais en pratique cest bien dun choix entre le franais et langlais quil sagit, et dailleurs la Rgie du logement, organisme gouvernemental comptent en la matire, diffuse dans le public deux versions distinctes du formulaire, lune en franais, lautre en anglais. Dans ces conditions, les parties doivent opter pour lun ou lautre des formulaires. Un dsaccord sur ce point poserait donc un problme insoluble. Dailleurs on ne peut tre absolument certain que la version franaise soit toujours disponible et quelle soit propose la personne qui veut louer un logement. Autre inconvnient, le texte prvoit que lavis qui ne respecte pas ces exigences est inopposable au destinataire, moins que la personne qui a donn lavis ne dmontre au tribunal que le destinataire nen subit aucun prjudice. Cette formulation, voulue sans doute pour viter un formalisme excessif, peut avoir pour effet indsirable de pnaliser le locataire de langue franaise sil a une certaine familiarit avec la langue anglaise, puisque le propritaire pourra en pareil cas lui expdier des avis en anglais, et dmontrer que le destinataire nen subit aucun prjudice.

Informatique et logiciels

La Charte a t modifie en1997 pour y insrer un article consacr spcifiquement la question des logiciels en vente au dtail:

52.1. Tout logiciel, y compris tout ludiciel ou systme dexploitation, quil soit install ou non, doit tre disponible en franais, moins quil nen existe aucune version franaise.

Les logiciels peuvent tre disponibles galement dans dautres langues que le franais, pourvu que la version franaise soit accessible dans des conditions, sous rserve du prix lorsque celui-ci rsulte dun cot de production ou de distribution suprieur, au moins aussi favorables et possde des caractristiques techniques au moins quivalentes.

Le fait, premire vue surprenant, que des concepteurs de logiciels ne diffusent pas leurs produits en franais au Qubec, alors que ces produits existent dj, ne peut sexpliquer que par la nature particulire du march qubcois, souvent peru comme un prolongement du march nord-amricain de langue anglaise. La question a t mise au premier plan de lactualit lors du lancement fortement mdiatis du systme dexploitation Windows95 par la socit Microsoft, dont la version franaise avait t commercialise en France plusieurs mois avant de devenir disponible au Qubec. Selon larticle 52.1, dict prcisment dans le but de remdier ce problme, un logiciel qui existe en franais doit tre offert au Qubec en mme temps et dans des conditions aussi favorables que sa version anglaise. Ce quil faut comprendre, cest que rien noblige un concepteur offrir une version franaise qui nexiste pas. La loi nimpose donc aucune obligation de traduire un logiciel en franais avant de le commercialiser au Qubec. Par contre, la version dorigine doit tre prsente de manire conforme larticle51, donc dans un emballage en franais ou bilingue, et avec des documents daccompagnement en franais ou bilingues. Non seulement cette disposition a-t-elle permis dobtenir de certains fabricants amricains la mise en march au Qubec de logiciels qui jusque-l ntaient vendus quen France, mais en outre, larticle visant aussi les logiciels installs, les constructeurs ont ainsi t amens offrir au Qubec des ordinateurs entirement configurs en franais.

Publicit et contrats vhiculs par Internet

LOffice a aussi appliqu la loi au contenu publicitaire vhicul par Internet, deux conditions: que ce contenu provienne dentreprises tablies au Qubec, et quil soit destin au public qubcois, lemplacement gographique du serveur nayant aucune importance en lui-mme. Les tribunaux ont adopt la mme approche, et plusieurs condamnations ont t prononces. LOffice avait demble tenu pour acquis, ds juin 1997, que les dispositions gnrales de la Charte sappliqueraient des contenus diffuss par Internet, et il avait fait connatre publiquement sa position, ce qui lui avait valu des critiques acerbes dans certains journaux. Un ditorialiste en vue avait mme compar lOffice un nouveau virus sur le Web, et un autre commentateur, adoptant un ton scientifique, avait mis lopinion que le Web, tant form de codes binaires qui nont ni identit ni pays, il sensuivait ncessairement quaucune rglementation nationale ne pouvait sy appliquer.

Depuis lors dautres organismes ont agi dans le mme sens. Ainsi, lOffice de la protection du consommateur applique aux contrats conclus par Internet les garanties prvues par la Loi sur la protection du consommateur, mme si la loi ne fait pas mention du commerce lectronique: Au Qubec, les achats effectus dans Internet auprs de commerants qubcois sont assujettis la Loi sur la protection du consommateur et sont considrs comme des contrats distance. De mme, la Commission des valeurs mobilires du Qubec, lgard des transactions faites par Internet, estime que la rglementation sur les valeurs mobilires, qui vise protger les pargnants et les investisseurs, sapplique au cyberespace au mme titre quaux modes de communication plus traditionnels; cest aussi le cas dIndustrie Canada, concernant la publicit trompeuse diffuse par Internet. Le Tribunal canadien des droits de la personne a aussi rendu il y a deux ans une dcision concernant la propagande haineuse dans Internet, lencontre du rvisionniste Ernst Zndel, et cela mme si le site Web tait exploit lextrieur du territoire canadien. Le tribunal, cette occasion, a analys en profondeur le fonctionnement du rseau pour motiver sa dcision. Il a conclu quInternet peut tre considr comme une variante du systme tlphonique. Dans une autre affaire plus rcente, le tribunal a eu examiner un argument souvent invoqu, celui selon lequel un site Web nest pas un moyen de diffusion parce que le lecteur doit lui-mme accomplir un geste et composer une adresse pour y avoir accs, et il la rejet expressment.

II. Les textes qubcois et les textes fdraux : conflits et convergences

De nombreux textes rglementaires adopts en vertu des lois fdrales imposent lusage du franais et de langlais dans ltiquetage, ce qui a eu pour effet, soit de faciliter lapplication de la Charte ou parfois de lentraver. Voici un bref aperu de ces textes. De manire gnrale, le rgime fdral est ax sur la scurit et la sant. Il vise plusieurs catgories de produits: aliments, mdicaments, produits de beaut, textiles, instruments mdicaux. La Loi sur lemballage et ltiquetage des produits de consommation vise toutes les catgories de produits, mais nexige quun petit nombre de renseignements. Quant la Loi sur les aliments et drogues, ses rglements dapplication imposent lemploi du franais et de langlais dans les listes dingrdients sur les emballages de produits alimentaires, ce qui fait en sorte quun emballage unilingue anglais ne pourrait pas tre commercialis au Canada. Dans une tude publie en 1997, le Commissariat aux langues officielles a rvl que le cot permanent de ltiquetage bilingue des produits au Canada reprsentait en moyenne un cinquime de cent par dollar de revenu.

Les autorits fdrales agissent aussi dans dautres domaines au titre de la sant publique. Par exemple, le Systme dinformation sur les matires dangereuses utilises au travail (SIMDUT) prvoit des mises en garde obligatoires en franais et en anglais, que les employeurs doivent inclure dans les fiches signaltiques fournies au personnel. Au Qubec, cest la Loi sur la sant et la scurit du travail qui donne effet ce rgime lorsquelle prvoit l'article62.4 que l'tiquette et la fiche signaltique d'un produit contrl doivent tre en langue franaise, et que le texte franais peut tre assorti d'une ou plusieurs traductions. galement, le Code canadien de llectricit exige que les avertissements et mises en garde sur les appareils soient indiqus en franais et en anglais, conformment aux normes nationales en vigueur, la Rgie du btiment assurant lapplication de ces rgles au Qubec. Toutes ces mesures ont en commun de mettre en place un rgime de bilinguisme partiel et limit, mais qui sapplique sur lensemble du territoire canadien. Comme lindique la rdaction trs gnrale de larticle 51 de la Charte (supra), le rgime qubcois en matire dtiquetage est plus ambitieux et vise linformation du consommateur en franais au moyen de toutes les inscriptions et pour tous les types de produits offerts sur le march.

Enfin, le rgime fdral et le rgime qubcois fonctionnent en parallle. La rgle gnrale de larticle51, dans la Loi101, est assortie de nombreuses exceptions prvues par rglement, qui ne sont pas les mmes que celles prvues par les rglements fdraux, ce qui donne lieu une sorte de convergence imparfaite entre les deux rgimes. Deux exemples illustreront cette situation.

Dans le domaine de linstrumentation mdicale, les rglements fdraux prvoient que les mises en garde doivent tre soit en franais, soit en anglais, sauf pour les produits vendus en libre-service, o elles doivent figurer dans ces deux langues. Dans tous les cas, la traduction dans lautre langue doit tre rendue disponible sur demande, et dans un dlai assez bref. Or ce rgime ne correspond pas celui que prvoit larticle51 de la Charte, selon lequel toute inscription en langue anglaise devrait aussi tre en franais, la loi ignorant la distinction entre les produits offerts ou non en libre-service. Dans le cas des produits cosmtiques, il ny a pas de conflit entre les textes, du moins pour le moment. La loi canadienne ne prvoit lheure actuelle aucune obligation dnumrer les ingrdients sur lemballage dun produit cosmtique, comme cest le cas aux tats-Unis, mais les autorits canadiennes ont annonc quune telle mesure entrera en vigueur incessamment. Ces renseignements sont importants pour les consommateurs, et surtout pour les personnes souffrant dallergies. Certains fabricants, sans attendre les nouvelles rgles, ont dj commenc inscrire la liste des ingrdients, en utilisant une nomenclature internationale en vigueur dans lUnion europenne. Cependant ils utilisent souvent une version amricaine de cette nomenclature, o on a ajout des mots anglais de la langue courante (oil, water, color, etc.) aux mots latins et aux codes alphanumriques de la norme europenne. Il y aura donc conflit avec la loi qubcoise, si les nouveaux rglements fdraux imposent ou mme autorisent cette nomenclature sans que les textes qubcois nadoptent la mme solution. Dans une rsolution adopte le 14fvrier1997, lOffice avait donn son accord de principe une harmonisation de la rglementation qubcoise avec la nomenclature internationale, sous rserve dune consultation pralable avec les milieux professionnels concerns. Plus rcemment, lOffice a recommand que dans cette nomenclature, si elle venait tre adopte, les termes courants en langue anglaise soient systmatiquement accompagns de leur traduction franaise.

On peut regretter cette absence de coordination entre les autorits fdrales et les autorits provinciales en matire dtiquetage des produits et de protection des consommateurs. Le partage des comptences ne devrait pas faire obstacle des mesures visant une meilleure concordance des textes, dans lintrt du public et afin que les fabricants et partenaires commerciaux puissent se faire une plus juste ide des obligations auxquelles ils doivent se conformer. Cet exercice dharmonisation aurait peut-tre un autre avantage, celui de prparer le terrain llaboration des textes destins garantir, dans un contexte de libre-change largi aux 34 pays des deux Amriques, lemploi des quatre langues qui seraient reconnues dans une telle zone de libre-change, si toutefois celle-ci venait se matrialiser.

III. Lapplication pnale de la loi

Lapplication dune loi doit saccompagner de sanctions et de pouvoirs denqute, et cet gard la Charte ne fait pas exception. Cette question comporte ici deux aspects, celui de lorganisme qui sera charg des enqutes, et celui du contenu des dispositions pnales en matire dtiquetage.

La question est dabord de savoir si, en matire linguistique, les pouvoirs denqute doivent tre confis un organisme autonome, ou sils doivent tre intgrs au mandat dun organisme exerant des pouvoirs gnraux. cette question, le gouvernement qubcois a apport depuis30 ans des rponses diverses, et parfois contradictoires. lorigine, la Loi sur la langue officielle de1974 confiait tous les pouvoirs la Rgie de la langue franaise. Avec lentre en vigueur de la Charte de la langue franaise en1977, la fonction consultative a t rserve au Conseil de la langue franaise, alors que lOffice de la langue franaise et la Commission de surveillance de la langue franaise se partageaient lapplication de la loi, le premier tant charg la fois de la politique linguistique et terminologique et de la francisation des milieux de travail, et la seconde, des enqutes. lpoque, le gouvernement avait donc paru soucieux de ne pas confondre au sein dun mme organisme le mandat de conseil auprs des entreprises et lexercice des pouvoirs denqute. En1993, le gouvernement a aboli la Commission, et il a confi les pouvoirs denqute lOffice de la langue franaise. En1997, le gouvernement a rtabli la Commission de protection de la langue franaise, tout en accompagnant cette mesure de nouvelles dispositions interdisant la vente de produits non conformes. Enfin, lOffice et la Commission ont t fusionns le 1eroctobre2002 pour former lOffice qubcois de la langue franaise.

Quant au mode de rdaction des dispositions pnales, il faut rappeler que la Charte de la langue franaise avait t rdige lorigine dans le style franais de tradition civiliste, ce qui tait dans la nature des choses, et sa structure fait appel des noncs de principe, suivis de dispositions particulires destines en traduire les effets. Mais il aurait fallu quelle soit ensuite interprte selon les mmes principes qui avaient prsid sa rdaction, ce qui na pas toujours t le cas. De plus, en matire pnale les dispositions incriminantes doivent tre prcises, et cet gard, larticle 51 prsente un problme tout fait particulier. Du fait de sa rdaction au mode passif (Toute inscription doit tre rdige), le texte ne dsigne pas clairement le responsable de linfraction, moins de tenir pour tel le rdacteur des inscriptions. Or, les commerants qui vendent les produits ne fabriquent pas les emballages et ne rdigent pas les inscriptions sur les produits. Dans cette situation, o les poursuites pnales en matire dtiquetage offraient une voie sans issue, cest laffichage commercial qui a monopolis le dbat public, avec ses avatars judiciaires et ses pripties lgislatives, crant un climat danimosit et donnant la population limpression errone que la rglementation de laffichage tait la raison dtre de la loi. Pourtant, si les garanties linguistiques prvues par la Loi101 en matire dtiquetage avaient subi plus tt lpreuve des tribunaux, leurs lacunes auraient t mises en lumire et corriges plus rapidement, et les droits des consommateurs auraient t mieux protgs. Du reste les insuffisances du texte lgislatif taient dj connues depuis longtemps. Ds1985, dans un rapport de la Commission de protection de la langue franaise, le prsident de cet organisme, M.Gaston Cholette, avait dnonc labsence de dispositions pnales.

Le 1erjanvier1998, lAssemble nationale a remdi cette lacune en dictant larticle205.1 de la Charte, qui interdit la commercialisation de produits non conformes la loi:

Commet une infraction et est passible des amendes prvues larticle205 quiconque contrevient aux dispositions des articles51 54 en distribuant, en vendant au dtail, en louant, en offrant en vente ou en location ou en offrant autrement sur le march, titre onreux ou gratuit, ou en dtenant de telles fins:

1o un produit, si les inscriptions sur celui-ci, son contenant ou son emballage, ou sur un document ou un objet accompagnant ce produit, y compris le mode demploi et les certificats de garantie, ne sont pas conformes;

2o un logiciel, y compris un ludiciel ou un systme dexploitation, un jeu ou un jouet non conforme;

3o une publication non conforme.

Il en est de mme de tout exploitant dtablissement o des menus ou des cartes des vins non conformes aux dispositions de larticle51 sont prsents au public.

Il incombe celui qui invoque les exceptions prvues aux articles52.1 et54 ou en application de larticle54.1 den faire la preuve.En labsence dune telle disposition pnale, les commerants pouvaient tre tents de se livrer une comparaison entre le cot des correctifs quon leur demandait, et le montant des amendes quils risquaient de payer en refusant dapporter des correctifs. Or, vu limpossibilit de poursuivre, ce risque tait nul. Lentre en vigueur de larticle205.1 a boulevers les termes de cette comparaison au bnfice des consommateurs, et les chiffres le dmontrent. En effet les plaintes portant sur la commercialisation des produits (tiquetage) atteignent aujourdhui 40,4% du total des plaintes reues, alors que les plaintes en matire daffichage public ne reprsentent plus que 10,1% du total des plaintes reues . Aprs vingt ans dinterventions purement incitatives, le nouvel article205.1 a tabli clairement la responsabilit pnale de tous les intermdiaires de la chane commerciale. Ce changement a bien sr perturb les circuits du commerce de dtail, qui sappuient souvent sur de grands distributeurs canadiens, lesquels sont parfois rticents intgrer lexigence du franais dans la prsentation des produits quils offrent partout au Canada. Mais les rajustements ncessaires se sont faits rapidement, grce des interventions menes tous les niveaux de la chane de commercialisation: fabricants, importateurs, distributeurs, dtaillants.

Lintervention initiale chez le dtaillant est toujours ncessaire, non pas que celui-ci soit lorigine de la non-conformit des produits quil vend (puisque gnralement il ne les a pas fabriqus et emballs lui-mme), mais parce quelle est une condition pralable afin dobtenir des correctifs permanents et durables auprs du fabricant. Aucun fabricant tranger, cela va de soi, nacceptera de refaire la prsentation de ses produits, sil nest pas dabord inform que la vente de produits non conformes est interdite, sil nest pas convaincu que les rgles sont effectivement appliques, et sil na pas la certitude que ses concurrents seront soumis aux mmes exigences. Enfin les dtaillants eux-mmes sont parfois lorigine de la situation irrgulire, et il est arriv que certains dentre eux contournent le circuit officiel, o des produits entirement conformes taient disponibles, pour importer directement et moindre cot des biens destins un autre march que celui du Qubec.

Depuis le 1erjanvier 1998, sest amorc un changement que lon voudrait irrversible dans les pratiques commerciales au Qubec: lectromnagers, ordinateurs et logiciels, jeux vidos et DVD, sites Web, ont fait lobjet dinterventions. On pourrait aussi citer le cas des des fournitures mdicales (supra). Dans nos hpitaux et tablissements du rseau de la sant, vingt ans aprs lentre en vigueur de la Loi101, il ntait pas rare que les seringues, pansements et appareils mdicaux de toutes sortes soient encore dpourvus dtiquettes, de modes dutilisation et de mises en garde en franais. Les rsultats obtenus tiennent plusieurs facteurs: le suivi rigoureux des dossiers, le souci de prendre contact avec les intermdiaires commerciaux afin de trouver un terrain dentente sur les correctifs apporter, la recherche de lquit dans le traitement des dossiers touchant un mme secteur dactivits, et enfin lapplication dinterprtations constantes appuyes par des efforts de formation et dinformation du personnel. Enfin, il faut dire que les commerants, encourags en cela par le Conseil qubcois du commerce de dtail, se sont montrs dsireux de proposer des correctifs, au besoin en faisant des dmarches auprs de leurs fournisseurs. Cela dmontre, sil en tait besoin, la force du consensus social qui appuie la francisation des produits offerts au Qubec.

Le gouvernement du Qubec a donc apport plusieurs rponses, selon les poques, la question de savoir si les fonctions de conseil auprs des entreprises et celles denqute en cas de manquements la loi doivent tre exerces par des organismes distincts. Depuis le 1eroctobre 2002, ces fonctions sont exerces par le mme organisme. Ce choix administratif doit se situer dans un contexte plus large, celui du rattachement juridique des textes comportant des garanties linguistiques en matire de protection du consommateur. La question est de savoir si les droits des consommateurs en cette matire doivent tre protgs par les lois et les organismes linguistiques, ou plutt par les lois et les organismes de protection des consommateurs. Au Qubec, comme on la vu, lexigence du franais dans la prsentation des produits fait partie intgrante de la Loi101, et elle est mise en uvre par lOffice qubcois de la langue franaise. De cette manire, pourrait-on croire, la politique linguistique bnficie dun avantage, celui dtre renforce et ancre en quelque sorte dans les proccupations concrtes des citoyens. Mais cela comporte aussi deux risques. Le premier, cest que lapplication de ces mesures dinformation du consommateur, qui relvent pourtant du bon sens le plus lmentaire, ne soit contamine par certains enjeux idologiques, ce qui ne manque pas de se produire, par exemple, quand les mdias de langue anglaise critiquent sans nuances et de faon virulente le travail des inspecteurs de lOffice qui se prsentent chez certains commerants. Le second, cest dentretenir lillusion que les autres organismes publics nont aucun rle jouer dans la promotion du franais, et quils peuvent se dcharger entirement sur lOffice des responsabilits quils pourraient avoir cet gard, dans un contexte, rappelons-le, o le franais est pourtant la langue officielle.

CONCLUSION

On a dit que les tats nont que la politique de leur gographie. une chelle rduite, lemballage dun produit recle aussi une petite leon de gographie. Les mentions quon y trouve ne nous renseignent pas seulement sur le produit lui-mme, mais aussi sur les rgles crites et non-crites qui gouvernent le march o ce produit est offert. Elles nous renseignent sur les langues qui ont un statut officiel, sur celles qui ont un statut social dominant, et sur celles qui nont aucun statut. Selon quun bien de consommation comporte des mentions en deux langues comme au Canada ou au Qubec, ou dans les trois langues de lALENA, ou dans les quatre langues principales des deux Amriques, ou encore dans les onze langues officielles de lUnion europenne, il appartient de ce fait des univers diffrents. De plus, selon la nature des conseils, des mises en garde et des avertissements en matire alimentaire quon peut y lire, on pourra se faire une ide des proccupations courantes dans le pays, des excs ou des mauvaises habitudes quon veut y combattre, et mme des maladies les plus rpandues, ou les plus redoutes.

Dans la dtermination des normes linguistiques rgissant ltiquetage des produits, le Qubec subit dabord le poids conomique des tats-Unis, comme lillustre le cas de la commercialisation des logiciels, et les intermdiaires commerciaux doivent perptuellement dmontrer leurs fournisseurs que les consommateurs qubcois nourrissent des attentes relles cet gard. Les normes qubcoises sont aussi tributaires des institutions canadiennes, qui appliquent leur propre politique de bilinguisme. Enfin, le cas des ingrdients des produits cosmtiques montre que les normes europennes elles-mmes peuvent exercer une influence, mais non sans avoir t dabord reformules lintention des consommateurs amricains. En fait, la complexit des interactions entre les attentes des consommateurs qui achtent les produits, les choix politiques des lecteurs qui exigent de la part des pouvoirs publics quils fassent la promotion de la langue franaise, et aussi les rponses que proposent les acteurs politiques lorsquils dfinissent les normes et les pouvoirs des fonctionnaires chargs dappliquer celles-ci, tout cela montre que les mesures linguistiques de protection des consommateurs peuvent nourrir une rflexion utile sur la place du Qubec dans son environnement gopolitique, et sur les dfis quil doit affronter pour vivre en franais.

3.III.2004

______________________________ Charte de la langue franaise, L.R.Q., c. C-11, art. 1er. Le mme texte figurait larticle premier de la Loi sur la langue officielle ou loi 22 (L.Q. 1974, c. 6).

Constitution franaise, article 2: La langue de la Rpublique est le franais.

Lcrivain Dominique Noguez, dans Le Monde du 8aot2002 (repris dans Le Devoir du 10-11 aot) a formul la question dans les termes suivants: le droit qu'on s'adresse vous en votre langue dans votre pays, surtout quand il s'agit d'une des six langues officielles de l'ONU, parle sur tous les continents, nagure encore la principale langue de travail des institutions europennes, () ce droit, dis-je, vaut bien celui de fourguer au moindre cot des marchandises unilingues dans tous les recoins du monde capitaliste.

Charte de la langue franaise, art. 5.

Charte de la langue franaise, art. 51 et ss.

(L.R.Q., c.P40.1). Voir notamment les articles 37 Un bien qui fait lobjet dun contrat doit tre tel quil puisse servir lusage auquel il est normalement destin, et 38 Un bien qui fait lobjet dun contrat doit tre tel quil puisse servir un usage normal pendant une dure raisonnable, eu gard son prix, aux dispositions du contrat et aux conditions dutilisation du bien.

Ford c. Qubec (procureur gnral) [1988] 2 R.C.S. 712.

Ibid., p. 767.

Devine c. Qubec (procureur gnral) [1988] 2 R.C.S. 790.

Sur le rglement 683 de 1967, dict en application de la Loi des produits agricoles et aliments (1964 S.R.Q. c.119): P.G. du Qubec c. Dominion Stores Limited 1976 C.A. 310 [en appel de C.S. Chicoutimi, 43-175, 14-01-1974, non publi].

Loi sur la langue officielle, L.Q. 1974, c. 6, art. 34: Ltiquetage des produits doit se faire en franais, sauf dans la mesure prvue par les rglements; il en est de mme des certificats de garantie et des notices qui accompagnent les produits, ainsi que des menus et cartes de vins. ().

Charte de la langue franaise, L.R.Q., c. C-11.

Depuis les modifications apportes le 18mai1994 au Rglement sur les aliments, adopt en vertu de la Loi sur les produits agricoles, les produits marins et les aliments (L.R.Q., c. P-29), il nexiste plus dans ce rglement de dispositions garantissant lemploi du franais dans ltiquetage des produits alimentaires. Ces dispositions rglementaires ntaient plus appliques depuis lentre en vigueur de la rgle gnrale imposant lemploi du franais dans ltiquetage, en vertu de la Loi sur la langue officielle ou Loi 22.

Loi sur les matriaux de rembourrage et les articles rembourrs (L.R.Q., c. M-5), et Rglement sur les matriaux de rembourrage et les articles rembourrs (R.R.Q., M-5, r.1). Ces textes prvoient des tiquettes obligatoires sur tout article rembourr vendu au dtail, par exemple les gants, les anoraks, les coussins, etc. La loi est assortie dexigences relatives aux permis de manufacturier ou de rparateur, prvoit des pouvoirs dinspection, et comporte des sanctions applicables tous les intermdiaires.

Rglement sur la langue du commerce et des affaires, R.R.Q. c. C-11, r. 9.01

(1999) R.J.Q. (C.S.) 843 849.

Bertrand quipements Inc. c. Kubota Canada lte, 2002 R.J.Q. 1329 1342.

Voir Baudouin, Les obligations, 1993, p. 71.

Baudouin, ibid., p. 50.

Art. 1897 et 1898 C.c.

Tout dpend donc en pratique de la preuve offerte concernant le prjudice subi, ce quillustrent dailleurs les deux dcisions suivantes: Richard James c. France Benot-Clermont, 24mars1995 (la rgisseuse dcide que lavis donn en anglais est quand mme opposable la locataire, qui en avait obtenu la traduction auprs de la Rgie), et Robert Higgins c. Sharon Herlich, Cour du Qubec (no 500-02-022281-948), 25septembre1995 (lavis en anglais est jug inopposable au locataire, la propritaire nayant pas dmontr labsence de prjudice).

Voir notamment les jugements P.G. du Qubec c. Hyperinfo Canada inc., Cour du Qubec, Hull (1er novembre 2001, no550-61-000887-014), et P.G. du Qubec c. Reid, Cour du Qubec, Beauharnois (23mai2002, no760-61-026203-019) (confirm par la Cour suprieure le 30janvier2003, no760-36-000314-24).

29 condamnations en 2002, 37 condamnations en 2003, voir le site Web de lOffice (www.oqlf.gouv.qc.ca).

Alain Dubuc, La Presse, 19 juin 1997.

Marcel Ct, Dans lunivers cyberntique, Camagazine, novembre 1997.

Consulter ce sujet le dossier prpar par lOPC ladresse suivante: http://www.opc.gouv.qc.ca/publications/com_ele_accueil.asp

Consulter le document intitul Le placement et Internet: comment djouer les cyber-fraudeurs, ladresse suivante: http://www.cvmq.com/fr/publi/bulletin_pdf/Le_placement_et_l_Internet/LePlacementIntern.pdf

Bureau de la concurrence dIndustrie Canada, document soumis la consultation publique: Respect de la loi dans la publicit en ligne: Guide de conformit la Loi sur la concurrence concernant les annonceurs dans Internet http://strategis.ic.gc.ca/epic/internet/incb-bc.nsf/vwGeneratedInterF/ct02186f.html

18janvier2002: Citron et Comit du maire de Toronto sur les relations entre races et communauts c. Zndel. Le Tribunal ordonne donc la cessation de toute diffusion de messages du type de ceux quon trouve sur le Zundelsite, jugs contraires au paragr. 13 (1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne: 13 (1) Messages haineux-- Constitue un acte discriminatoire le fait, pour une personne ou un groupe de personnes agissant d'un commun accord, d'utiliser ou de faire utiliser un tlphone de faon rpte en recourant ou en faisant recourir aux services d'une entreprise de tlcommunication relevant de la comptence du Parlement pour aborder ou faire aborder des questions susceptibles d'exposer la haine ou au mpris des personnes appartenant un groupe identifiable sur la base des critres noncs l'article3.

Richard Warman et Commission canadienne des droits de la personne et Fred Kyburz, 9mai2003. Le tribunal ritre aussi les conclusions de la dcision prcite, estimant quInternet tait vis par les exigences de la Loi avant mme les modifications apportes en dcembre 2001 pour faire mention expresse du rseau Internet.

Voir notamment la Loi sur l'emballage et l'tiquetage des produits de consommation (L.R. 1985, ch. C-38), la Loi sur l'tiquetage des textiles (L.R. 1985, ch. T-10), la Loi sur les aliments et drogues (L.R. 1985, ch. F-27), la Loi sur les produits dangereux (L.R. 1985, ch. H-3), et leurs rglements dapplication, qui prvoient que doivent figurer, en franais et en anglais: sur les produits alimentaires, le nom du produit, la liste des ingrdients, la quantit nette et l'information nutritionnelle, le cas chant; sur les produits non alimentaires, le nom du produit et la quantit; sur les produits dangereux, le mode d'emploi et la mise en garde; sur les tiquettes de vtements, la composition des fibres textiles. Le Bureau de la concurrence est responsable de lapplication des deux premires lois de cette liste, les deux autres relvent du Programme de la scurit des produits de Sant Canada.

Commissaire aux langues officielles, Rapport annuel 1997. Ltude intitule Incidence financire de lemballage et ltiquetage dans les deux langues sur les petites et moyennes entreprises au Canada est accessible ladresse:

http://www.ocol-clo.gc.ca/archives/sst_es/1997/pack_emb/pack_emb_1997_f.htm

(L.R.Q., c.S-2.1). Larticle 62.4 a t ajout en 1988.

CAN/CSA-C22.2, no 0-M-91.

Loi sur le btiment, L.R.Q. c. B-1.1.

Rglement sur les instruments mdicaux (DORS/98-282), art. 23 (ce rglement est adopt en vertu de la Loi sur les aliments et drogues).

Voir ce sujet le communiqu de Sant Canada faisant suite la consultation publique:

http://www.hc-sc.gc.ca/hecs-sesc/cosmetiques/rc_consultation_merci.htm. Le document explique quen vertu de la modification propose, les fabricants et les distributeurs devront numrer tous les ingrdients du cosmtique en les identifiant par leur nom INCI du International Cosmetic Ingredient Dictionary. Cette nomenclature, connue l'chelle du globe, est un systme multilingue et multinational bas sur le latin. Elle est actuellement utilise dans les pays de l'Union europenne et aux Etats-Unis

Rsolution adopte le 3octobre2003, imposant un moratoire sur les enqutes touchant la liste des ingrdients des cosmtiques jusquau 1er janvier 2005. Signalons quau Mexique (norme NOM-050), les ingrdients des produits cosmtiques sont systmatiquement indiqus en langue espagnole, et si ncessaire les emballages dorigine sont modifis en consquence, avant de mettre les produits en rayon.

Loi sur la langue officielle, L.Q. 1974, c. 6, art. 78 et ss.

Charte de la langue franaise, L.Q. 1977, c. 5, art. 157 et ss.: La Commission de surveillance et les enqutes.

Loi modifiant la Charte de la langue franaise ou Loi no86, L.Q. 1993, c. 40, art. 44, insrant la Charte de la langue franaise les art. 118.1 118.5. cette occasion 84 dossiers denqute encore actifs ont t transfrs par la Commission lOffice (Office de la langue franaise, Rapport annuel 1993-1994, p. 26).

Loi modifiant la Charte de la langue franaise ou Loi no40, L.Q. 1997, c. 24.

Loi modifiant la Charte de la langue franaise ou Loi no104, L.Q. 2002, c. 28.

Commission de protection de la langue franaise, Rapport dactivit 1984-1985, p. 21: La Commission de protection de la langue franaise croit que la loi devrait tre amende pour interdire expressment quiconque de fabriquer, de distribuer, de louer, de vendre ou autrement disposer des produits dont les inscriptions, les contenants, les emballages et les documents daccompagnement ne sont pas en franais. On aurait ainsi la possibilit de faire porter la responsabilit pnale sur lun ou lautre des intervenants dans la chane allant des fabricants aux dtaillants.

Loi modifiant la Charte de la langue franaise, L.Q. 1997, c. 24, art. 22.

Pour lexercice 2002-2003, lOffice a reu au total 3762 plaintes (chiffres tirs du site Web de lOffice:

HYPERLINK "http://www.oqlf.gouv.qc.ca/francisation/respect/statistiques/stat20022003.html" http://www.oqlf.gouv.qc.ca/francisation/respect/statistiques/stat20022003.html. Rappelons quau total, on estime prs de 20000 le nombre des dossiers traits par la Commission de protection de la langue franaise pendant son mandat, soit de 1997 2002.

Le franais, une langue pour tout le monde, Rapport de la Commission des tats gnraux sur la situation et lavenir de la langue franaise au Qubec, aot 2001, pp. 118-122.

Pour les DVD qui comportent une version franaise, les ententes conclues avec les grands producteurs (majors) ont permis de les rendre conformes la loi; il en va de mme pour les jeux vidos sur ordinateurs ou sur consoles, selon une entente conclue le 7novembre2001.

La citation est parfois attribue Napolon.