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Conclusions

La loi « pot-pourri I » améliore-t-elle l’efficacité de la procédure ?

Xavier TaTon

Maître d’enseignement à l’ULBAvocat au barreau de Bruxelles

1. Les objectifs de la loi du 19 octobre 2015. Le résumé introductif de l’exposé des motifs de la loi « pot-pourri I » annonce expressément les objectifs qui sont poursuivis par cette loi :« Le projet vise à adapter le procès civil aux besoins de notre époque, de sorte que les procédures se déroulent plus rapidement [et efficacement]1 sans com-promettre la qualité avec laquelle la justice est administrée.Tout d’abord, le droit de la procédure civile est adapté afin que la Justice puisse se concentrer sur ses tâches essentielles et diminuer le nombre de procédures. Ces propositions ambitionnent une diminution du nombre de causes en degré d’appel ainsi qu’une diminution des affaires devant le tribunal de commerce.Ensuite, les mesures proposées visent à rendre les procédures civiles plus simples et plus rationnelles grâce à l’adaptation de règles concernant les vices de forme, une motivation plus simple, un accent mis sur les éléments essentiels en cas de défaut, une limitation de l’intervention du ministère public, une généralisation du juge unique et une informatisation de la communication au sein de la Jus-tice. »2

La loi du 19 octobre 2015 devrait donc améliorer la rapidité et l’efficacité des procédures sans compromettre la qualité de notre justice civile3.En se fondant sur les contributions qui ont analysé les principales modifica-tions que la loi a apportées au droit de la procédure civile, les présentes conclu-sions visent à déterminer si cette loi est susceptible de remplir les objectifs qui ont été annoncés.

1 Ces termes sont ajoutés dans la phrase similaire figurant à la page suivante de l’exposé des motifs (voy. la note infrapaginale 3 ci-dessous).

2 Exposé des motifs, Doc. parl., Ch., 2014-2015, no 54-1219/1, p. 3.3 C’est ce que la page 4 de l’exposé des motifs redit dans ces termes : « [l]e premier projet [dans le cadre

du Plan Justice] vise à adapter la procédure civile aux besoins de notre époque, de sorte que les procé-dures se déroulent plus rapidement et efficacement sans compromettre la qualité avec laquelle la justice est administrée ».

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2. L’exposé des motifs ne propose aucune analyse sérieuse. Dans son introduction du colloque, Jacques Englebert met en évidence le fait que l’effi-cacité de la procédure doit toujours s’apprécier de manière relative, et être évaluée au regard du respect des principes fondamentaux du procès équitable et de la qualité avec laquelle les différends sont jugés4. En soi, l’exposé des motifs ne dit pas autre chose lorsqu’il prétend améliorer la rapidité de la pro-cédure sans compromettre la qualité de celle-ci.L’exposé des motifs ne propose toutefois aucune méthode d’analyse sérieuse, que ce soit au niveau des gains d’efficacité allégués ou de celui de l’impact sur la qualité de la procédure. La plus grande efficacité des nouvelles règles est présentée comme une évidence ; et cette pétition de principe n’est accompa-gnée d’aucune réflexion qualitative5.Les affirmations péremptoires exprimées lors des travaux préparatoires sont d’autant moins fondées qu’il n’y a pas de données suffisantes pour effectuer une analyse empirique de l’efficacité de la justice civile en Belgique. Il est ainsi remarquable que la Belgique figure parmi les cinq États membres qui ne four-nissent pas de données sur le temps moyen de résolution et sur le taux de variation du nombre de litiges civils et commerciaux pour les « tableaux de bord » de la justice dans l’Union européenne6.Dans ce contexte, il est particulièrement difficile de proposer une analyse scientifique d’une réforme destinée à améliorer l’efficacité de la procédure civile. Certains auteurs acceptent comme des faits établis les constats avancés par le ministre de la Justice. Cette approche place une confiance excessive dans les déclarations des gouvernants et ne correspond pas aux standards de la méthode scientifique7.

4 J. Englebert, « Propos introductifs », in J. Englebert et X. Taton (dir.), Le procès civil efficace ? Première analyse de la loi du 19 octobre 2015 modifiant le droit de la procédure civile (dite « loi pot-pourri I »), Limal, Anthemis, 2015, pp. 7 et s., spéc. p. 12, no 9.

5 J. Englebert, « Propos introductifs », ibid., pp. 12 et 15, nos 8 et 16.6 Au niveau du Conseil de l’Europe, la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ) publie

tous les deux ans un rapport sur l’efficacité et la qualité des systèmes judiciaires européens. Ces rapports sont disponibles à l’adresse : https://www.coe.int/t/dghl/cooperation/cepej/evaluation/default_fr.asp [20 novembre 2015]. L’analyse est effectuée sur la base d’une comparaison des réponses fournies par les États membres à un questionnaire servant de grille d’évaluation de leurs systèmes judiciaires respectifs.

Au niveau de l’Union européenne, la Commission européenne se fonde principalement sur ces travaux de la CEPEJ pour établir des tableaux de bord de la justice dans les États membres. Ces tableaux de bord utilisent certains indicateurs relatifs à l’efficacité des procédures, à la qualité de la justice et à l’indépendance du système judiciaire. La Belgique figure parmi les États membres qui fournissent le moins de données pertinentes pour les indicateurs d’efficacité de la justice (voy. Communication de la Commission du 9 mars 2015 au Parlement européen, au Conseil, à la Banque centrale européenne, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, Le tableau de bord 2015 de la justice dans l’Union européenne, COM(2015) 116 final, p. 55). En particulier, il n’y a pas de donnée sur le temps moyen de résolution des contentieux civils et commerciaux ou sur le taux de variation du nombre d’affaires civiles et commerciales pendantes dans notre pays (ibid., pp. 11 et 12).

7 Voy. les propos introductifs de G. de Leval, J. van Compernolle et Fr. Georges, « La loi du 19 octobre 2015 modifiant le droit de la procédure civile et portant des dispositions diverses en matière de

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Comme l’analyse empirique est impossible faute de données suffisantes, la seule démarche envisageable consiste à rechercher objectivement l’impact probable des nouvelles règles au regard des buts légitimes qu’elles sont censées poursuivre.3. Les critères d’appréciation sont la rapidité, l’efficience et la préser-vation des droits des parties. En terme de méthode, toute évaluation législa-tive doit d’abord identifier les critères d’appréciation qu’elle entend appliquer. En effet, des notions telles que l’efficacité et la qualité ne sont pas univoques et peuvent donc être utilisées dans des sens et avec des résultats divergents. Sous l’angle de l’efficacité, l’exposé des motifs vise en réalité à obtenir des pro-cédures plus rapides et plus efficientes8. Le critère de rapidité n’appelle pas de commentaire particulier, et renvoie au temps nécessaire pour qu’une action soit définitivement jugée9. L’efficience détermine, de manière générale, si la règle emporte les plus grands bénéfices au moindre coût10. Si la notion d’effi-cience est appliquée au contexte judiciaire, une procédure peut être qualifiée de plus efficiente pour l’État si elle permet de régler un même nombre d’af-faires pour un coût budgétaire moindre11.

justice », J.T., 2015, pp. 785 et s., spéc. p. 785, qui accueillent favorablement les objectifs poursuivis par la loi du 19 octobre 2015, sur la seule base des déclarations faites par le ministre au cours des travaux préparatoires. À titre d’illustration, ces auteurs reprennent sans vérification le constat ministériel selon lequel « la Belgique ne compte pas moins de magistrats et de personnel de greffe par habitant que les autres pays ». Or, le tableau de bord de la Commission européenne montre que la Belgique se classe en 18e position sur vingt-sept États membres pour le nombre de juges à temps plein pour 100.000 habi-tants (COM(2015) 116 final, p. 39). Comme le ministre de la Justice ne cite aucune source documentaire à l’appui de ses déclarations, il est impossible de déterminer si cette divergence entre la déclaration du ministre et le tableau de bord de l’Union européenne provient d’une différence dans les méthodes de calcul, ou si l’affirmation du ministre est simplement inexacte. Alors que le caractère vérifiable de l’information est l’un des critères essentiels de la démarche scientifique, les auteurs précités n’effectuent aucune vérification des propos du ministre.

8 Ce critère d’efficience est repris dans le titre du Plan Justice de Koen Geens : Une plus grande efficience pour une meilleure justice, 18 mars 2015, disponible à l’adresse : http://justice.belgium.be/fr/nouvelles/autres_communiques/ news_2015-03-18.jsp [22 octobre 2015]. En outre, ce critère est confirmé par la version néerlandaise de l’exposé des motifs dans les termes « de procedures sneller en efficiënter ver-lopen ». Selon toute vraisemblance, ce sont ces termes qui ont été traduits par « les procédures se déroulent plus rapidement et efficacement » dans la version française de l’exposé des motifs (Doc. parl., Ch., 2014-2015, no 54-1219/1, p. 4).

9 Cette définition de la rapidité de la procédure correspond à celle de l’arriéré judiciaire, c’est-à-dire au retard dans la fixation des causes mises en état et dans le jugement des affaires prises en délibéré (J. Englebert, « La mise en état de la cause et l’audience des plaidoiries », in J. Englebert (dir.), Le procès civil accéléré ? Premiers commentaires de la loi du 26 avril 2007 modifiant le Code judiciaire en vue de lutter contre l’arriéré judiciaire, Bruxelles, Larcier, 2007, pp. 73 et s., spéc. p. 77, no 7).

10 L’efficience se distingue de l’efficacité, considérée au sens strict, qui mesure la pertinence du moyen choisi par le législateur pour atteindre l’objectif visé, et de l’effectivité, qui analyse la mesure dans laquelle la règle a orienté les comportements de ses destinataires dans le sens voulu. Sur ces différentes notions, voy. notamment A. Flückiger, « L’évaluation législative ou comment mesurer l’efficacité des lois », Revue européenne des sciences sociales, tome XLV, 2007, no 138, pp. 83 et s., spéc. pp. 85-86.

11 Ceci est confirmé par la déclaration suivante du ministre de la Justice en commission : « il devrait être possible, dans le secteur de la Justice, de maintenir et même d’améliorer les prestations avec moins de moyens financiers » (rapport de la première lecture, Doc. parl., Ch., 2014-2015, no 54-1219/5, p. 47).

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L’exposé des motifs identifie la notion de qualité de la procédure comme l’ab-sence de compromission des droits des parties12. Dans ce contexte, ce sont les droits procéduraux des parties qui sont visés, à savoir leurs droits de défendre leurs intérêts et d’obtenir un jugement de leur différend dans des conditions conformes aux principes fondamentaux du procès civil13.L’analyse qui suit vise donc à identifier l’impact qui peut être objectivement anticipé à la lecture des nouvelles règles, tant en termes de gain de rapidité et d’efficience que d’atteinte à la qualité de la procédure. Elle suit l’ordre dans lequel l’exposé des motifs annonce les effets des nouvelles règles.4. La diminution du nombre d’affaires en degré d’appel. Deux nou-velles règles sont concernées par l’allégation d’une réduction du nombre d’ap-pels : l’absence d’appel immédiat contre les jugements avant dire droit et le caractère exécutoire des jugements contradictoires.Frédéric Lejeune émet, à juste titre, des doutes sur la capacité de ces règles à provoquer une diminution substantielle du nombre d’appels14. La première règle n’empêchera pas l’appel contre les décisions définitives des jugements mixtes, en ce compris tous les jugements qui ordonneront une mesure d’instruction et qui auront ainsi tranché – au moins de façon implicite – la question de la recevabilité de la demande principale. En outre, cette règle aura pour effet de reporter les contestations sur l’opportunité de la mesure d’instruction au-delà du prononcé du jugement définitif. La possibilité d’appel n’est pas supprimée mais seulement retardée. Sauf à considérer que la durée plus longue de la première instance découragerait un nombre significatif de parties à critiquer encore la mesure d’instruction après le jugement définitif – ce qui n’est pas établi –, l’effet sur le nombre d’affaires en appel devrait rester marginal. En cas d’appel, la durée totale du litige pourrait d’ailleurs augmenter sous l’empire de cette nouvelle règle puisque l’affaire n’aura pas pu être dévo-lue au juge d’appel dès la décision avant dire droit mais uniquement après la décision définitive en première instance.En théorie, la seconde règle devrait permettre d’éviter l’introduction de cer-tains appels visant exclusivement à retarder l’exécution de la condamnation prononcée en première instance. Cependant, même cet effet limité ne peut pas être garanti. En effet, il ne peut pas être exclu qu’une partie condamnée

12 Exposé des motifs, Doc. parl., Ch., 2014-2015, no 54-1219/1, p. 4. 13 Cette définition des droits des parties à prendre en considération peut se prévaloir d’une application

par analogie de la jurisprudence relative à la condition de grief au sens de l’article 861 du Code judi-ciaire (voy. H. Boularbah et X. Taton, « Les vices de forme et les délais de procédure. Régime général et irrégularités spécifiques », in H. Boularbah et J.-Fr. van Drooghenbroeck (dir.), Les défenses en droit judiciaire, Bruxelles, Larcier, 2010, pp. 101 et s., spéc. pp. 109-110, no 14).

14 Fr. Lejeune, « Simplification de la procédure par défaut et métamorphose de l’appel, pour quelle effica-cité ? », in J. Englebert et X. Taton (dir.), Le procès civil efficace ? Première analyse de la loi du 19 octobre 2015 modifiant le droit de la procédure civile (dite « loi pot-pourri I »), op. cit., pp. 107 et s., spéc. p. 149, no 84.

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interjette appel en vue de décourager l’exécution provisoire du jugement par la partie adverse, au regard du risque de responsabilité objective en cas d’exé-cution forcée d’un jugement ultérieurement réformé.Si les gains de rapidité et d’efficience sont douteux, ces deux règles ne semblent pas non plus porter une atteinte substantielle aux droits procéduraux des par-ties. Certes, la suppression de l’effet suspensif de l’appel est une révolution qui supprime un effet attaché de longue date au caractère ordinaire de cette voie de recours15. Cependant, les parties conserveront leur droit de critiquer les jugements avant dire droit et les jugements exécutoires en degré d’appel. En pratique, les nouvelles règles augmenteront toutefois la position de force rela-tive de la partie qui aura obtenu un jugement en sa faveur. Vu l’absence d’appel immédiat contre le jugement avant dire droit et le caractère exécutoire du jugement au fond, la partie victorieuse en première instance pourra imposer cette situation à son adversaire, avec l’espoir que celui-ci renonce à poursuivre la défense de ses intérêts devant le juge d’appel16. En bref, ces nouvelles règles modifient les rapports de force entre les parties et les analyses tactiques de celles-ci après le prononcé d’un jugement en première instance. Rien n’indique toutefois que ce nouvel équilibre suscitera une dimi-nution substantielle du nombre d’appels ou une altération significative des droits procéduraux des parties. 5. La diminution des affaires devant le tribunal de commerce. La nouvelle procédure de recouvrement par les huissiers de justice des créances incontestées entre entreprises vise à réduire le nombre d’affaires introduites devant le tribunal de commerce.Comme démontré par Jean-Sébastien Lenaerts, il n’est pas certain que cette procédure de recouvrement extrajudiciaire attirera un grand nombre de créan-ciers. En effet, elle ne sera pas nécessairement plus rapide qu’une demande en débats succincts ; et elle impliquera des coûts supplémentaires en cas de contes-tation de la part du débiteur17. Les gains d’efficience annoncés ne se concréti-seront donc peut-être pas dans la pratique.Vu le caractère facultatif de la procédure pour le créancier, et vu le droit du débiteur de contester la dette dont le créancier poursuit le recouvrement, les droits procéduraux des deux parties ne semblent pas compromis par cette voie de recouvrement extrajudiciaire.

15 Fr. Lejeune, ibid., p. 148, no 84.16 En lien avec cette constatation, le juge de première instance devra apprécier avec soin l’opportunité de

faire exception à l’exécution provisoire de son premier jugement, d’ordonner la constitution d’une garantie ou de maintenir l’autorisation du cantonnement, au regard des risques qu’une exécution immédiate du jugement emporte pour la partie succombante et de l’intérêt qu’elle présente pour la partie victorieuse.

17 J.-S. Lenaerts, « Le recouvrement extrajudiciaire des créances incontestées », in J. Englebert et X. Taton (dir.), Le procès civil efficace ? Première analyse de la loi du 19 octobre 2015 modifiant le droit de la pro-cédure civile (dite « loi pot-pourri I »), op. cit., pp. 25 et s., spéc. pp. 51-52, nos 44-47.

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6. La réforme de la théorie des nullités. Selon l’exposé des motifs, toutes les autres modifications apportées au Code judiciaire, en ce compris la suppres-sion des nullités absolues, sont censées simplifier et rationaliser la procédure civile.Dans sa contribution, Marc Baetens-Spetschinsky a identifié les erreurs tech-niques qui ont été commises par le législateur à l’occasion de cette réforme de la théorie des nullités18. En contrariété avec l’objectif poursuivi, l’abrogation des articles 864, alinéa 2, et 867 du Code judiciaire empêche probablement toute couverture des délais prescrits à peine de déchéance autres que ceux prévus pour former une voie de recours19, et laisse dans un vide juridique le régime de sanction applicable aux modes erronés de signification20.Au-delà de ces erreurs, la suppression des nullités absolues ne me paraît pas constituer, en elle-même, une mesure favorable au bon déroulement de la pro-cédure. En effet, le caractère absolu de certaines nullités se justifiait par l’impor-tance des formalités concernées pour le bon déroulement de l’instance, ainsi que par l’inadéquation de l’exigence d’un grief causé à la partie adverse. À titre d’exemple, la condition de signature des actes de récusation par un avocat ins-crit depuis plus de dix ans au barreau vise à prévenir les abus de la procédure de récusation21. La méconnaissance de cette exigence était sanctionnée de nul-lité absolue22, et pouvait donc être soulevée d’office et en l’absence de grief causé à la partie adverse23. Tel n’est plus le cas désormais. Un acte de récusation signé par une partie ou par un avocat n’ayant pas dix ans de barreau ne sera plus frappé de nullité si la partie adverse ne soulève pas l’exception et si elle ne parvient pas à démontrer que ce vice lui cause en lui-même un grief 24. Une formalité qui vise à protéger le bon déroulement de la procédure contre les demandes de récusation intempestives risque donc de ne plus être autant sanc-

18 M. Baetens-Spetschinsky, « Notification, signification, représentation des parties et théorie des nulli-tés : une communication plus moderne entre acteurs de la justice et une procédure moins formaliste », in J. Englebert et X. Taton (dir.), Le procès civil efficace ? Première analyse de la loi du 19 octobre 2015 modifiant le droit de la procédure civile (dite « loi pot-pourri I »), op. cit., pp. 53 et s., spéc. pp. 70-73, nos 31-37.

19 À titre d’exemple, l’article 1334 du Code judiciaire prescrit à peine de déchéance le délai de quinze jours dans lequel une demande de délais de grâce doit être introduite en cas de saisie effectuée en vertu d’un acte authentique autre qu’un jugement. Dans certaines circonstances, il a été jugé que la déchéance résultant du non-respect de ce délai pouvait être couverte (voy. H. Boularbah et X. Taton, « Les vices de forme et les délais de procédure. Régime général et irrégularités spécifiques », op. cit., p.  148, no  85). Tel n’est plus le cas sous l’empire de la loi du 19 octobre 2015 (G. de Leval, J. van Compernolle et Fr. Georges, « La loi du 19 octobre 2015 modifiant le droit de la procédure civile et portant des dispositions diverses en matière de justice », op. cit., p. 795).

20 M. Baetens-Spetschinsky, « Notification, signification, représentation des parties et théorie des nulli-tés : une communication plus moderne entre acteurs de la justice et une procédure moins formaliste », op. cit., p. 73, no 37.

21 Cass., 30 novembre 2012, R.G. no C.12.0557.N.22 Anciens articles 835 et 862, § 1er, 2°, du Code judiciaire.23 Ancien article 862 du Code judiciaire. 24 Nouveaux articles 861 et 864 du Code judiciaire.

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tionnée qu’auparavant. Dans ce cas, la réforme me semble réduire l’efficience de la procédure.Au lieu d’imposer une nouvelle version de la théorie des nullités, le législateur aurait fait une œuvre plus utile à la protection des droits procéduraux des par-ties en menant une réflexion d’ensemble sur la cohérence du régime des sanc-tions en droit judiciaire. En effet, il existe actuellement tant de régimes de sanctions que ceux-ci ne peuvent être appliqués sans l’analyse préalable d’une jurisprudence et d’une doctrine abondantes25. 7. La nouvelle structure des conclusions et l’obligation de motiva-tion. Dans notre contribution commune, Gaëlle Eloy et moi-même avons montré les limites des nouvelles règles relatives à la structure des conclusions et à l’obligation de réponse à celles-ci. En pratique, ces règles devraient principa-lement servir à réduire le nombre de recours en cassation pour défaut de réponse, et à fournir aux juges un motif supplémentaire de ne pas répondre aux conclusions qui sont tellement mal structurées qu’elles en perdent toute cohé-rence26. À l’inverse, une application excessive et formaliste des nouvelles exigences de structure réduirait non seulement la qualité de la procédure de manière subs-tantielle, mais constituerait de surcroît une violation du droit au procès équi-table consacré par l’article 6, § 1er, de la Convention européenne des droits de l’homme27.8. La modification de l’office du juge statuant par défaut. L’office du juge statuant par défaut faisait l’objet d’une longue controverse avant la loi du 19 octobre 2015. L’analyse de Frédéric Lejeune montre que le nouvel article 806 du Code judiciaire suscite déjà de nouvelles incertitudes, en parti-culier au sujet de la mission de vérification procédurale du juge statuant par défaut28.Cette pérennité de la discussion sur le défaut s’explique probablement par les enjeux du débat sous-jacent. En effet, la question des pouvoirs du juge statuant par défaut dépend d’un choix de politique judiciaire. Faut-il à l’heure actuelle considérer qu’une partie défenderesse qui ne comparaît pas conteste la demande introduite à son encontre, ou au contraire, faut-il présumer de son absence

25 H. Boularbah et X. Taton, « Les vices de forme et les délais de procédure. Régime général et irrégula-rités spécifiques », op. cit., p. 155, no 98.

26 X. Taton et G. Eloy, « Structure et contenu des conclusions, chose jugée et mesures d’instruction : nouvelles responsabilités des parties », in J. Englebert et X. Taton (dir.), Le procès civil efficace ? Pre-mière analyse de la loi du 19 octobre 2015 modifiant le droit de la procédure civile (dite « loi pot-pourri I »), op. cit., pp. 77 et s., spéc. p. 106, no 28.

27 X. Taton et G. Eloy, « Structure et contenu des conclusions, chose jugée et mesures d’instruction : nouvelles responsabilités des parties », ibid., pp. 95-97, no 17.

28 Frédéric Lejeune (« Simplification de la procédure par défaut et métamorphose de l’appel, pour quelle efficacité ? », op. cit., pp. 121-123, nos 24-29) conclut à juste titre que le juge statuant par défaut doit vérifier la régularité de la procédure introduite à l’encontre de la partie défaillante, sans se limiter aux seules règles d’ordre public.

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qu’elle reconnaît n’avoir aucune contestation à formuler ? La question peut aussi être énoncée en termes de protection de la partie la plus faible. La partie défaillante doit-elle être présumée malheureuse et de bonne foi, et n’avoir pas comparu parce qu’elle ne disposerait pas des moyens financiers, matériels et/ou intellectuels pour se défendre en justice, de sorte que le juge devrait appliquer d’office tout ou partie des règles de droit pour garantir un jugement équitable de la cause ? Ou, au contraire, devons-nous penser que la partie défaillante fait preuve de négligence et ne mérite aucune protection spécifique de la part des cours et tribunaux ?Vu l’importance de ces questions pour la représentation de la fonction de juger, il semble probable que les juges continueront à adopter des approches diver-gentes correspondant à leurs conceptions respectives de leur rôle social. Si cette prémisse est exacte, le nouvel article 806 du Code judiciaire ne devrait pas modi-fier substantiellement la situation actuelle au niveau des juridictions de fond. À l’inverse, la Cour de cassation devrait se départir de sa jurisprudence tradition-nelle défendant une vision maximaliste du rôle du juge statuant par défaut, ce qui pourrait entraîner une réduction du nombre de cassations en la matière. Par voie de conséquence, on peut anticiper des gains d’efficience limités en degré de cassation, sans modification substantielle de la manière dont les affaires prises en délibéré par défaut sont traitées actuellement par les juridictions de fond.9. La limitation des interventions du ministère public en matière civile. Dans sa contribution engagée, Jacques Englebert critique la réforme des avis du ministère public qui a été opérée par la loi « pot-pourri I ». En passant d’un système d’avis obligatoires à un régime dans lequel les avis sont en règle facultatifs, et en permettant à ces avis d’être remis par écrit, l’État belge démontre qu’il « n’entend plus se donner les moyens de garantir une justice de qualité »29. En outre, Jacques Englebert met en garde les représentants du minis-tère public contre le risque qu’ils soient prochainement confrontés à de nou-velles réductions de leurs compétences pour cause de contraintes budgétaires30.À la suite de cette réforme, il est à craindre que le ministère public renonce à exercer sa compétence d’avis dans la majorité des affaires civiles, et ce en vue de réaliser les gains d’efficience qui sont requis par la poursuite de ses tâches pénales avec un cadre inférieur au cadre légal.

29 J. Englebert, « Le crépuscule de la fonction civile du ministère public », in J. Englebert et X. Taton (dir.), Le procès civil efficace ? Première analyse de la loi du 19 octobre 2015 modifiant le droit de la pro-cédure civile (dite « loi pot-pourri I »), op. cit., pp. 167 et s., spéc. p. 210, no 100.

30 En effet, les représentants du ministère public ont accepté que leur office en matière civile soit limité parce que les moyens budgétaires disponibles ne leur permettent plus d’exercer cette tâche dans des conditions de qualité suffisante. Nous craignons que ce raisonnement puisse être réitéré si l’évolution de la situation budgétaire devait prochainement mettre à mal les activités résiduelles du ministère public (voy. J. Englebert, « Le crépuscule de la fonction civile du ministère public », ibid., pp. 210-212, nos 102-104).

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Cette amélioration de l’efficacité de la procédure est obtenue en contrepartie d’une perte de qualité, dont la réalité a été reconnue au cours des travaux pré-paratoires31. Il est évidemment difficile de quantifier la perte de qualité à asso-cier à la disparition de l’avis du ministère public en matière civile. Si les débats à l’audience perdront le bénéfice de l’opinion d’un représentant officiel de l’intérêt général, l’impact sur l’instruction des causes n’est pas aisément quanti-fiable, les expériences pouvant varier selon les dossiers et les intervenants. 10. La généralisation du juge unique. La réforme la plus spectaculaire de la loi « pot-pourri I » du 19 octobre 2015 est certainement la généralisation du traitement des affaires par des chambres à juge unique au sein des tribu-naux de première instance et des cours d’appel. Les réflexions pointues de Paul Martens décrivent avec précision les conséquences qui peuvent être attendues de ce passage de la collégialité à l’individualité de la décision de justice.D’un côté, des gains d’efficience devraient à l’évidence pouvoir être retirés de la diminution drastique du nombre d’affaires soumises à délibéré collégial. En permettant le remplacement de chaque chambre collégiale par plusieurs chambres à juge unique, la réforme serait favorable à un raccourcissement des délais de fixation et à un meilleur respect du droit à être jugé dans un délai raisonnable32. Les effets concrets de cette réorganisation devront toutefois être mesurés après son entrée en vigueur le 1er janvier 2016. En particulier, il est peu probable que la réforme permette un triplement des heures d’audience dispo-nibles au sein de chaque juridiction, si les ressources en greffiers et en locaux restent constantes. D’un autre côté, Paul Martens identifie trois catégories de conséquences néga-tives pour la perte d’une collégialité de principe au sein des tribunaux de pre-mière instance et des cours d’appel. Premièrement, la qualité des délibérés et des jurisprudences sera nécessairement affectée sous la forme d’« une perte de cohérence et une paupérisation intellectuelle »33, qui sont difficilement chif-frables mais n’en seront pas moins réelles34. Ensuite, le pouvoir qui est laissé au président du tribunal et au premier président de la cour d’appel d’attribuer d’autorité des affaires à une chambre à trois juges au regard des circonstances spécifiques de celles-ci présente une apparence d’arbitraire. L’absence de tout contrôle juridictionnel sur l’exercice de ce pouvoir fait craindre le risque de traitements discriminatoires entre affaires ou entre magistrats35. Enfin, l’aban-don de la collégialité en degré d’appel pose la question de la cohérence et de

31 Voy. les extraits des débats parlementaires cités par J. Englebert, « Le crépuscule de la fonction civile du ministère public », ibid., pp. 200-201, nos 78-79.

32 P. Martens, « Requiem pour la collégialité ? », in J. Englebert et X. Taton (dir.), Le procès civil efficace ? Première analyse de la loi du 19 octobre 2015 modifiant le droit de la procédure civile (dite « loi pot-pourri I »), op. cit., pp. 151 et s., spéc. p. 155, no 11.

33 P. Martens, « Requiem pour la collégialité ? », ibid., p. 165, no 38. 34 Ibid., p. 154, nos 9-10. 35 Ibid., pp. 156-163, nos 13-33.

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la légitimité de la procédure d’appel telle qu’elle est organisée actuellement. À quel titre la décision d’un juge d’appel unique peut-elle se voir revêtue d’une valeur juridique supérieure à celle d’un autre juge unique, voire d’un collège de trois magistrats de première instance36 ?À cette dernière question, la note de politique générale du ministre de la Jus-tice du 10 novembre 2015 répond par une proposition de réforme fondamen-tale de l’appel. L’idée est d’abandonner l’effet dévolutif élargi de l’appel pour orienter principalement cette voie de recours vers un contrôle de légalité de la décision de première instance :« Dans une première phase, l’examen porte uniquement sur la question de savoir si le premier juge n’a pas violé (tant sur la procédure que sur le fond) de règles juridiques (comme un pourvoi en cassation). Ce n’est que dans ce cas que la cour d’appel pourra, dans une deuxième phase, connaître de l’affaire même et donc également réévaluer les faits. »37

La cohérence formelle entre la loi du 19 octobre et la note de politique géné-rale du 10 novembre ne saurait toutefois nous réjouir. Au contraire, il apparaît que la loi a entamé un processus de dégradation de la qualité de la procédure civile, que la note de politique générale propose de poursuivre et d’accentuer en réduisant les possibilités de réformation en appel.11. L’informatisation de la communication entre acteurs du monde judiciaire. La dernière catégorie de mesures de simplification et de rationali-sation de la procédure civile qui est mentionnée par l’exposé des motifs concerne la modernisation des moyens de communication entre les acteurs du monde judiciaire, et principalement entre les greffes et les avocats.Comme le dit Marc Baetens-Spetschinsky, ces nouvelles dispositions doivent être approuvées. Elles permettront de réaliser des gains d’efficience sous la forme d’une diminution des frais de port et de la charge de travail des greffes, sans compromettre les droits des parties38.12. La synthèse de l’appréciation de la réforme. Le tableau ci-dessous résume sous forme de pictogrammes les constatations qui précèdent au sujet des gains d’efficacité et des pertes de qualité qui peuvent être anticipées après analyse des dispositions de la loi « pot-pourri I » du 19 octobre 2015.

36 Ibid., pp. 157-158, no 16. 37 Note de politique générale Justice du 10 novembre 2015, Doc. parl., Ch., 2015-2016, no 54-1428/8, p. 14.38 M. Baetens-Spetschinsky, « Notification, signification, représentation des parties et théorie des nulli-

tés : une communication plus moderne entre acteurs de la justice et une procédure moins formaliste », op. cit., pp. 74-75, no 41.

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conclusion

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Réforme de la loi « pot-pourri I » Gains d’efficacité Pertes de qualité

Modifications concernant l’appel -/ü -

Recouvrement de créances incontestées -/ü -

Réforme des nullités - -

Structuration des conclusions -/ü -/

Défaut -/ü -

Limitation des avis du ministère public üü /

Généralisation du juge unique üüü

Communications entre avocats et greffes ü -

Il ressort de ce tableau que la majorité des modifications apportées n’entraîne-ront probablement que des gains d’efficacité douteux ou à tout le moins limités. Ces modifications-là ne semblent, moyennant certaines réserves39, pas de nature à compromettre les droits procéduraux des parties de manière substantielle.Seules la limitation des avis du ministère public et la généralisation des chambres à juge unique peuvent amener des gains d’efficacité appréciables, mais ce, au prix de dégradations substantielles de la qualité de notre procédure civile.Dans ces circonstances, il est permis de se demander si d’autres mesures n’au-raient pas été plus indiquées. Sans même revendiquer une revalorisation de la justice et un remplissage des cadres légaux de la magistrature, on peut penser à une meilleure informatisation de l’Ordre judiciaire, à l’amélioration de la pro-cédure d’injonction de payer, à une réforme cohérente des formes, des délais et des sanctions en droit judiciaire, à une énumération plus sélective des catégo-ries de causes communicables avec maintien d’avis obligatoires du ministère public dans ces contentieux particuliers, ou à une réflexion plus aboutie sur la composition des juridictions avec les nuances nécessaires entre les collèges déli-bérant en première instance ou en degré d’appel.13. La note de politique générale annonce d’autres modifications de la procédure civile. Outre la réforme de l’appel déjà annoncée ci-dessus, la note de politique générale du ministre de la Justice du 10 novembre 2015 pro-pose une nouvelle vision du procès civil, dans laquelle les décisions du juge sont réduites au profit de la négociation ou d’un mode alternatif de règlement du litige :« […] la citation du demandeur doit dorénavant contenir également ses moyens, la preuve qu’il apporte, la défense dont il a éventuellement connaissance de la

39 En particulier, l’absence de réponse à un moyen clairement développé en conclusions ne saurait être justifiée par un défaut de numérotation de ce moyen, sans entraîner une violation du droit à un procès équitable (voy. X. Taton et G. Eloy, « Structure et contenu des conclusions, chose jugée et mesures d’instruction : nouvelles responsabilités des parties », ibid., pp. 95-97, no 17).

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ou des partie(s) adverse(s) et sa réponse, ainsi que toutes ses pièces. Le ou les défendeurs ont un mois pour répondre. Cette réponse contient tous les argu-ments, tant sur la procédure que sur le fond de l’affaire, la preuve apportée et toutes les pièces.À l’audience d’introduction, diverses possibilités s’ouvrent ensuite, selon les circonstances : jugement par défaut, éventuel règlement immédiat d’aspects urgents de l’affaire, tentative de conciliation, (nouvelles) négociations ou pro-cédure de médiation. Ce n’est qu’à défaut, ou à défaut de réussite, que les parties sont invitées à finaliser la mise en état. Cela se passe au moyen d’un calendrier des conclusions légal qui est indépendant du timing de l’audience de plaidoirie, comme c’est déjà le cas pour le Conseil d’État et la Cour constitu-tionnelle. Si des circonstances particulières inhérentes à l’affaire le requièrent, le juge pourra adapter ce calendrier des conclusions.À l’issue du jeu de conclusions, le tribunal décide si des informations supplé-mentaires sont nécessaires et si une audience doit avoir lieu. Si aucune des parties ne demande une audience, le tribunal prend l’affaire en délibéré et statue, après avoir obtenu le cas échéant des explications supplémentaires. Le tribunal est invité à limiter son jugement, dans la mesure du possible, à ce qui permet aux parties de trouver entre elles un arrangement sur les points liti-gieux non tranchés. »40

Ce projet poursuit un objectif de privatisation partielle de la justice civile. Comme les moyens budgétaires qui peuvent lui être affectés ne permettent plus un service public adéquat de la justice, le ministre suggère de limiter les jugements à prononcer par les tribunaux, en allant jusqu’à inviter les tribunaux à ne pas trancher tous les points litigieux et à institutionnaliser ainsi le déni de justice. J’espère que dans ses aspects de droit judiciaire, cette note de politique générale restera à cet état de projet vague et excessif, que le gouvernement ne s’attachera pas à la concrétiser dans un avant-projet, et que le parlement s’y opposera en toute hypothèse au nom des valeurs fondamentales de notre procédure civile.

Le 24 novembre 2015

40 Doc. parl., Ch., 2015-2016, no 54-1428/8, pp. 13-14.