Concevoir une ville pour tous - Courrier des maires › wp-content › uploads › 2013 › 09 ›...

56
Actes de la conférence du 19 mai 2011 Concevoir une ville pour tous

Transcript of Concevoir une ville pour tous - Courrier des maires › wp-content › uploads › 2013 › 09 ›...

Page 1: Concevoir une ville pour tous - Courrier des maires › wp-content › uploads › 2013 › 09 › conf...12 « Concevoir une ville pour tous » Pour y parvenir, nous devons respecter

Actes de la conférence du 19 mai 2011

Concevoir une ville pour tous

Page 2: Concevoir une ville pour tous - Courrier des maires › wp-content › uploads › 2013 › 09 › conf...12 « Concevoir une ville pour tous » Pour y parvenir, nous devons respecter

2 « Concevoir une ville pour tous »

Page 3: Concevoir une ville pour tous - Courrier des maires › wp-content › uploads › 2013 › 09 › conf...12 « Concevoir une ville pour tous » Pour y parvenir, nous devons respecter

3« Concevoir une ville pour tous »

Partager la ville

Notre équipe municipale et les services de la Ville de Saint-étienne, depuis 2008, ont mis en œuvre une politique volontaire pour l’accessibilité : tous nos concitoyens, quel que soit leur état de

santé, leurs difficultés de mobilité, leurs problèmes sensoriels... doivent pouvoir circuler dans la ville et accéder à nos lieux publics, à nos espaces culturels, à nos immeubles d’habitation. En un mot, la conception de notre cité doit cesser d’être handicapante.

Nous avons décidé, de plus, que l’année 2011 serait l’année de l’éco-mobilité ; c’est une manière de valoriser ce que nous avons déjà réalisé, avec Saint-étienne Métropole, pour le partage des rues et des espaces de circulation : amélioration des transports publics, facilitation de la circulation piétonne, des déplacements en vélo, de l’accessibilité. Cette année de l’écomobilité nous permet aussi de progresser dans la réflexion et les actions concertées sur tous les aspects de la mobilité des personnes au sein de la cité. Comment partager les espaces ? Comment mieux vivre ensemble ? Ce sont là nos préoccupations quotidiennes.

Appliquée aux divers types de constructions et d’espaces collectifs, la « conception universelle », présentée dans ce document, permet des approches architecturales et urbaines qui répondent aux besoins de tous et à la diversité des usages. Elle s’inscrit ainsi, sur le plan social et environnemental, dans une démarche de développement soutenable. De plus, Saint-étienne est reconnue par l’UNESCO comme « ville créative » au titre du design ; elle n’en a que plus de capacités pour être inventive et source de solutions nouvelles afin de partager la ville.

Maurice Vincent,Sénateur-Maire de Saint-étienne,Président de Saint-étienne Métropole

Page 4: Concevoir une ville pour tous - Courrier des maires › wp-content › uploads › 2013 › 09 › conf...12 « Concevoir une ville pour tous » Pour y parvenir, nous devons respecter

4 « Concevoir une ville pour tous »

Remerciements : Florent Pigeon : Adjoint délégué à l’Urbanisme - Ville de Saint-étienneJacqueline Neyme : Conseillère municipale déléguée auprès des personnes

handicapées - Ville de Saint-étienneFlorent Orsoni : Directeur exécutif - TuttimobiFrancesc Aragall : Président - Fondation Design for allLaurent Saby : Chargé d’études en accessibilité - CertuRégis Herbin : Directeur - CRIDEV

Page 5: Concevoir une ville pour tous - Courrier des maires › wp-content › uploads › 2013 › 09 › conf...12 « Concevoir une ville pour tous » Pour y parvenir, nous devons respecter

5« Concevoir une ville pour tous »

Sommaire

Introduction 7 Jacqueline Neyme : Concevoir la ville pour tous, un projet de la ville de Saint-étienne 7 Florent Orsoni : quels défis à relever pour concevoir la ville pour tous ? 9 Francesc Aragall : principes de la notion de Design for All 10

Historique de la notion de conception universelle / Design for All 11

Principes du Design for All 12

Faire de l’accessibilité un atout de confort et d’attractivité 13

De la « ville accessible » à la « ville pour tous » : quel rôle pour les usagers ? 16 Nécessité du partage de bonnes pratiques 20

Laurent Saby : la loi sur l’accessibilité : un pas vers la conception universelle 21

Problématique 22

Historique de la notion d’handicap et d’accessibilité 23

La notion de la chaîne du déplacement 25

La concertation 26

De l’accessibilité à la conception universelle 27

La notion de qualité d’usage 28

Sites de ressources 29

Régis Herbin : la démarche Haute Qualité d’Usage 30

Problématique : une notion mal prise en compte 31

L’usager handicapé révélateur des problématiques de conception 34

Prévoir, Produire, évaluer, Enrichir 37

Questions diverses 43

Conclusion : Florent Pigeon 52

Page 6: Concevoir une ville pour tous - Courrier des maires › wp-content › uploads › 2013 › 09 › conf...12 « Concevoir une ville pour tous » Pour y parvenir, nous devons respecter

6 « Concevoir une ville pour tous »

Page 7: Concevoir une ville pour tous - Courrier des maires › wp-content › uploads › 2013 › 09 › conf...12 « Concevoir une ville pour tous » Pour y parvenir, nous devons respecter

7« Concevoir une ville pour tous »

Notre démarche consiste à tout mettre en œuvre pour rendre la cité ouverte à tous, et ceci en lien avec l’ensemble des représentants, des associations, des personnes en situation de

handicap.Il est important de ne pas réfléchir, de ne pas prendre de décisions, de ne pas réaliser de projets à la place des personnes concernées. Trop souvent, on confisque la parole. Pour ne pas le faire ce soir, je vais vous lire un court extrait du préambule de la charte que nous avons rédigée ensemble pendant près d’une année, un travail laborieux pour lequel nous nous réunissions une à deux fois par mois et où se retrouvaient autour de la table vingt associations qui représentaient tous les types de handicap, y compris les handicaps invisibles comme la maladie psychique ou l’autisme.« Chaque personne est un citoyen à part entière, quel que soit le type de handicap : mental, physique, sensoriel, cognitif ou psychique. Par cette charte, nous voulons instaurer une concertation féconde entre les instances communales (élus, services) et les associations représentant les personnes handicapées, afin de définir les objectifs et les projets qui permettront une intégration de chaque personne au cœur de notre ville.Ce texte est un cadre de référence pour tous les acteurs de la cité, un engagement fort et militant, une volonté partagée pour une ville ouverte et accueillante.En effet, il faut souligner que l’amélioration du cadre de vie bénéficiera à tous les habitants dans leur ensemble, y compris à ceux qui sont fragilisés par l’âge ou frappés par les aléas de la vie, d’une manière temporaire ou plus durable, sans oublier les proches qui les accompagnent au quotidien.Vivre ensemble, c’est de manière indéfectible tout mettre en œuvre pour changer le regard sur le handicap, redécouvrir ce qui nous rassemble, la part d’humanité qui est inaliénable au cœur de la vie de chaque personne ».Nous avons cette impérieuse nécessité ensemble, élus, professionnels, représentants des associations, de répondre à ces attentes et à cette espérance légitime. C’est collectivement que nous devons rendre accessibles, doux à vivre les lieux d’habitation, d’éducation, de soin, les transports, les rues, les espaces publics, les lieux culturels, sportifs, sans négliger la question de l’intégration par l’emploi.

Jaqueline Neyme : Concevoir la ville pour tous, un projet de la ville de Saint-étienne

Introduction

Page 8: Concevoir une ville pour tous - Courrier des maires › wp-content › uploads › 2013 › 09 › conf...12 « Concevoir une ville pour tous » Pour y parvenir, nous devons respecter

C’est possible, c’est essentiel pour améliorer la qualité du vivre ensemble et c’est aussi un devoir moral.Pour conclure, comme un clin d’œil à notre invité catalan, et pour introduire notre réflexion et nos échanges, je vais vous lire un court extrait de la déclaration de Barcelone de novembre 1995, conférence ministérielle euro-méditerranéenne :« Le handicap est un concept dynamique, résultat de l’interaction entre la capacité individuelle et les conditions de l’environnement dans lesquelles cette capacité doit se manifester. La communauté et son organisation sociale sont, par conséquent, responsables de la promotion des conditions les plus favorables pour le plein développement des personnes, en évitant et en éliminant les causes le rendant difficile ou en l’empêchant.La Ville, comme forme d’organisation sociale largement répandue dans toutes les cultures de notre planète, doit être pourvue des moyens et ressources nécessaires pour faciliter et favoriser l’égalité des chances, le bien-être et la participation de tous ses habitants ».

8 « Concevoir une ville pour tous »

Page 9: Concevoir une ville pour tous - Courrier des maires › wp-content › uploads › 2013 › 09 › conf...12 « Concevoir une ville pour tous » Pour y parvenir, nous devons respecter

9« Concevoir une ville pour tous »

Florent Orsoni : quels défis à relever pour concevoir la ville pour tous ?

L’obligation impérieuse de « concevoir la ville pour tous » pose quelques questions auxquelles les interlocuteurs présents, sollicités à la demande de la ville de Saint-étienne et de l’association Tuttimobi dans ce séminaire, sont appelés à répondre. La population est diverse, il faut répondre à différents usages au-delà de la question du handicap, que ce soit en direction des enfants, des personnes étrangères, des personnes âgées, etc. Face à cette diversité, toutes les personnes ont le désir, le besoin et le droit d’être indépendantes, de choisir leur manière de vivre sans que les barrières de leur environnement ne les empêchent de le faire. Donc, comment fait-on pour adapter ces environnements, ces produits et ces services à la diversité humaine et à ses besoins ?

• En pratiquant tous les jours le métier de l’accessibilité, en accompagnant les acteurs sur le terrain, en les aidant à réaliser des diagnostics ou des espaces urbains, pensez-vous que cette notion de « concevoir la ville pour tous » est une utopie ou une réalité ? Peut-on concilier tous ces usages ou toutes les spécificités liées au handicap ?

• Par ailleurs, « concevoir la ville pour tous » est-ce vraiment l’objet de la loi sur le handicap du 11 février 2005 ? Ou faudrait-il à nouveau légiférer pour parvenir à cette nouvelle conception de la ville pour tous ?

• Ensuite, existe-t-il des modèles reproductibles ou des méthodologies pour concevoir la ville pour tous, et quels sont-ils ? Enfin, comment faites-vous, pour relever ce défi, peut-être impossible, de partage des usages et de ce que l’on pourrait appeler la « conception universelle » ?

Page 10: Concevoir une ville pour tous - Courrier des maires › wp-content › uploads › 2013 › 09 › conf...12 « Concevoir une ville pour tous » Pour y parvenir, nous devons respecter

“”Idées fortes• Concevoir pour tous nécessite de dépasser la notion

d’accessibilité pour arriver à la notion de design for all ou de conception universelle.

• La concertation joue un rôle fondamental pour trouver des solutions de compromis.

• Les répercussions économiques de l’accessibilité pour tous, à travers la conception universelle, sont importantes sur le développement de la vie d’un quartier.

Francesc Aragall : Principes de la notion de Design for All

10 « Concevoir une ville pour tous »

Page 11: Concevoir une ville pour tous - Courrier des maires › wp-content › uploads › 2013 › 09 › conf...12 « Concevoir une ville pour tous » Pour y parvenir, nous devons respecter

11« Concevoir une ville pour tous »

Historique de la notion de conception universelle / Design for All

Je vous propose de commencer en faisant un peu d’histoire. Aux Etats-Unis, dans les années 90, le concept « Universal Design » se développe contre l’idée que l’on doit créer des espaces ou des produits spéciaux pour les personnes handicapées. Il s’agit de préciser qu’au moment de la conception de produits, il faut considérer aussi l’usage pour les personnes âgées et handicapées.En même temps, le concept de design trans-générationnel, également en provenance des Etats-Unis, développe le fait que les produits doivent tenir compte des personnes âgées.Au même moment, en Angleterre, apparaît le concept d’Inclusive Design visant à inclure les personnes âgées et handicapées.Et aux alentours de 1992, en Italie, se développe le design qui se veut le « design d’utilisation élargie1 » visant à considérer la question des personnes âgées, des personnes handicapées et des enfants.En 1995, Barcelone a organisé le congrès « La ville et les personnes handicapées », mais aussi l’Assemblée Générale de « European Institute Design and Disability(EIDD) ». J’ai organisé cette conférence et nous avons commencé à parler de Design for All. Il s’agissait de penser non seulement aux personnes âgées, aux usagers porteurs d’un handicap et aux enfants, mais également considérer que tous les humains ont un parcours vital qui commence et se termine avec un certain handicap, que nous devons tous vivre ensemble, et que les raisons de l’exclusion ne sont pas seulement le handicap, mais aussi l’âge, le genre, la taille, la race, la valeur aux yeux de la société. Ainsi, tous ces aspects doivent être pris en compte lors de la conception des villes.Aujourd’hui, ces mouvements divers sont pratiquement tous reliés aux Etats-Unis, au Japon, en France, etc. On parle de design for all, d’universal design, de conception universelle, mais il existe un accord clair entre tous pour créer des produits, des services, des environnements adaptés à la diversité, au respect du droit de chacun à vivre sa vie de manière indépendante et à participer et jouir de toutes les actions sociales, culturelles, économiques.

1 - Design d’utenza ampliata.

Page 12: Concevoir une ville pour tous - Courrier des maires › wp-content › uploads › 2013 › 09 › conf...12 « Concevoir une ville pour tous » Pour y parvenir, nous devons respecter

• respectueux, pour l’ensemble des usagers,• sûrs, afin que personne ne puisse se blesser, • sains, sans risque pour la santé,• fonctionnels, faciles à utiliser,• faciles à comprendre, par la signalétique ou l’intuitivité

d’utilisation (exemple du métro japonais),• et esthétiques, intégrés au patrimoine existant.

12 « Concevoir une ville pour tous »

Pour y parvenir, nous devons respecter six principes généraux, à savoir :

Créer des produits et services

Principes du Design for AllLe design pour tous est fondamental pour 10 % de la population en situation de handicap. Cela est valable, si l’on ne tient pas compte des personnes qui portent des lunettes, ni des gauchers, mais seulement les personnes handicapées. Il est nécessaire pour 40 % de la population si l’on englobe les personnes vieillissantes, celles qui ont des amis avec un handicap ou celles qui ont un handicap temporaire. En Europe, on considère qu’une famille sur quatre a en son sein une personne avec un handicap, donc est directement concernée.Finalement, cette conception de Design for All représente un confort pour 100 % des gens. Donc, nous devons clairement développer cette idée de réaliser des espaces pour tous.

Page 13: Concevoir une ville pour tous - Courrier des maires › wp-content › uploads › 2013 › 09 › conf...12 « Concevoir une ville pour tous » Pour y parvenir, nous devons respecter

13« Concevoir une ville pour tous »

Faire de l’accessibilité un atout de confort et d’attractivitéL’accessibilité est souvent peu appréciée par les utilisateurs et ne rime pas toujours, sur le terrain, avec qualité architecturale. Mais cela peut changer. A titre d’exemple, il faut que les chambres d’hôtel soient accessibles ainsi que les chambres d’hôpital. Cependant, beaucoup d’utilisateurs refusent d’occuper les chambres dites « adaptées ». A Berlin, il est obligatoire que 20 % des chambres d’hôtel soient accessibles. Et pour éviter de les laisser vides quand les personnes handicapées ne les occupent pas, il a été décidé d’appliquer le design for all afin que les chambres soient attractives pour toute la population. C’est une des clés pour la réussite des politiques d’accessibilité.

Les confusions autour du mot universel

Il est important de souligner que, dans le cadre du design pour tous, il ne s’agit pas toujours d’utiliser la même solution pour toutes les personnes. Le mot « universel » paraît ici mal choisi. Par exemple, un bus à plate-forme surbaissée peut être mis en place pour les personnes en fauteuil roulant et pour toute la population, mais ce n’est pas la seule solution car il existe des personnes avec des problèmes de conduite et sans mobilité qui ne peuvent pas utiliser les transports en commun. Or, la ville a obligation de trouver une solution pour ces personnes. Donc, en plus des bus à plate-forme surbaissée, il faudra un transport public individuel pour répondre à différentes situations. En effet, pour reprendre l’exemple du bus à plate-forme surbaissée, on aura résolu le problème. Mais si l’arrêt se trouve sur une pente de 15 %, lorsque la personne descend, elle ne peut plus se mouvoir. Donc, il est nécessaire de prévoir des aménagements ou services complémentaires pour résoudre ce problème. Il faut être flexible dans les solutions à proposer plutôt que chercher « une solution universelle » qui n’existe pas.

A titre d’exemple, je vous cite une erreur habituelle : les personnes aveugles ont besoin de se repérer lorsqu’elles croisent une rue. Pour ce faire, elles ont besoin d’une signalisation tactile au sol, on leur demande donc comment elle doit être installée. Mais a-t-on demandé ce qu’en pensent les femmes qui portent des talons ou les personnes qui tirent une valise à roulettes ? Nous devons donc retenir que les usagers ne sont pas seulement les personnes porteuses d’un handicap, mais que nous sommes tous des usagers et que les solutions doivent être compatibles avec tous.

Page 14: Concevoir une ville pour tous - Courrier des maires › wp-content › uploads › 2013 › 09 › conf...12 « Concevoir une ville pour tous » Pour y parvenir, nous devons respecter

14 « Concevoir une ville pour tous »

3 règles pour que la conception pour tous soit un vecteur de croissance économique et de qualité de vie

Une conception au bénéfice de la qualité de vie

La conception universelle est un droit, mais pour parvenir à la mettre en place, il faut convaincre que chacun a quelque chose à y gagner. Sans cela, les entreprises n’y adhéreront pas, ne se sentiront pas impliquées, elles se contenteront de mettre en place des petites actions.Ainsi, grâce à la conception universelle, on peut démontrer qu’il y a une croissance par exemple de l’attractivité touristique de la ville. Par ailleurs, une ville bien aménagée, avec le mobilier urbain organisé, a moins d’accidents entre les voitures, les piétons, etc. Nous pourrions faire une longue liste de tous ces avantages. Ainsi, il s’agit de définir les bénéfices pour tous les usagers. Donc, pour savoir ce qu’il est possible de gagner avec la conception universelle, il convient d’identifier qui sont tous les usagers.

Une étude très intéressante, réalisée par l’urbaniste Richard Rogers, fait ressortir que l’âge auquel les enfants vont seuls à l’école ne cesse d’augmenter. A mon époque, nous allions à l’école tout seul à 7 ans, aujourd’hui il est criminel de la part des parents de laisser leurs enfants aller seuls à l’école à 7 ans. En revanche, à Tokyo, une agglomération de 50 millions d’habitants, les enfants de 5 ans vont seuls dans le métro. Cela est lié à la sécurité et à la qualité de vie, et également à l’accessibilité des lieux.

Observer les usagers

Donc, nous devons connaître ce qui se passe dans la ville, quels sont les risques, qui sont les usagers, quelles sont les contraintes et les limitations quelles sont les habitudes. Par exemple, je suis sûr qu’à Saint-étienne comme ailleurs, tous les matins, à l’heure où commence l’école, on peut voir une file de voitures déposant les enfants devant l’école. On pourrait y aller à pied, mais c’est ainsi. Jouer sur l’accessibilité pourrait permettre de diminuer ces files de voitures.

Donc, tous ces usages doivent être identifiés pour voir comment ils entrent en relation avec la ville. Il y a des personnes aveugles qui s’orientent avec une canne, mais aussi des cyclistes qui se garent précisément là où la personne avec la canne va passer. Il y a des

Page 15: Concevoir une ville pour tous - Courrier des maires › wp-content › uploads › 2013 › 09 › conf...12 « Concevoir une ville pour tous » Pour y parvenir, nous devons respecter

15« Concevoir une ville pour tous »

automobilistes qui s’arrêtent à un endroit, mais c’est précisément là où le trottoir est surbaissé et donc là où le piéton va passer.Il convient donc de lister tous ces conflits pour les améliorer. Mais comme l’argent n’est pas infini, ni illimité, on doit établir des priorités. Qui doit les établir ? Les citoyens avec les techniciens et les politiques.

Rôle de la concertation

La concertation est fondamentale car l’action sur la ville, du fait de ses interactions, relève d’une décision collective.Lorsque nous avons décidé où nous devons aller et ce que nous devons faire, c’est le moment de faire le design de la solution. L’erreur habituelle consiste à inviter les citoyens et à présenter ce que l’on a décidé. Toutefois, j’ai pu constater ce matin, avec les services techniques, qu’à Saint-étienne, vous ne faites pas cette erreur.

La participation consiste à réunir les citoyens pour connaître leurs besoins, leurs désirs et composer le contexte social et technique permettant de présenter les premières solutions, de les discuter pour finalement arriver à un projet technique. Si l’on suit cette démarche, ce sera satisfaisant pour tous les usagers. Cependant, il ne faut pas oublier de bien communiquer sur les solutions. C’est un vrai processus de design.

évaluer le résultat

Je vais vous raconter une anecdote qui s’est déroulée à Barcelone. La ville a décidé de prévoir des taxis accessibles aux personnes handicapées. Ils ont souhaité les appeler « les taxis amis », ils trouvaient cette appellation claire.

C’est ainsi que les citoyens ont refusé de partager le même taxi qu’une personne handicapée, certains parce qu’ils avaient peur de la maladie, et d’autres plus solidaires qui ne voulaient pas monopoliser un taxi pouvant être utilisé par une personne avec un handicap. Le résultat a été que les taxis accessibles avaient moins de clients que les taxis non accessibles.

En conclusion, il est nécessaire d’évaluer le résultat. Cela ne consiste pas seulement à se féliciter d’avoir bien utilisé l’argent, mais à trouver ce qui, grâce à la conception universelle, a vraiment amélioré la notion de ville pour tous.

Page 16: Concevoir une ville pour tous - Courrier des maires › wp-content › uploads › 2013 › 09 › conf...12 « Concevoir une ville pour tous » Pour y parvenir, nous devons respecter

16 « Concevoir une ville pour tous »

Aujourd’hui, le thème « une ville en partage », « une ville accessible à tous » ne semble concerner que peu de citoyens, principalement handicapés. Pour changer cet état de fait, il convient de communiquer d’une manière différente et d’éviter quelques erreurs. À Saint-étienne, vous faites beaucoup de projets pour rendre la ville plus accessible, plus harmonieuse. Je peux vous affirmer qu’à Barcelone, là où des projets d’accessibilité se sont réalisés, les commerces ont constaté une croissance commerciale grâce à la meilleure accessibilité de l’environnement.

Donc, nous devons communiquer sur ces améliorations pour faire comprendre aux citoyens qu’il est possible d’améliorer socialement et économiquement la ville grâce à l’accessibilité pour tous. Il ne s’agit pas d’un projet « pour le handicap » mais d’un projet de ville pour tous.

L’idée est d’interroger les utilisateurs, de les écouter, de les observer, tout en se souvenant qu’ils ne sont pas toujours raisonnables. En effet, à titre d’exemple, beaucoup de personnes achètent encore des maisons avec des escaliers intérieurs, ainsi en vieillissant, elles doivent déménager.

Exemples de conception universelleLa photo ci-dessous vous montre qu’il existe des objets design dans tous les domaines pour améliorer l’accessibilité. Ainsi, vous voyez une machine à laver avec une ouverture inclinée.

Figure 1 machine à laver

avec une ouverture inclinée. Tous droits

réservés, design for all

foundation

De la « ville accessible » à la « ville pour tous » : quel rôle pour les usagers ?

Page 17: Concevoir une ville pour tous - Courrier des maires › wp-content › uploads › 2013 › 09 › conf...12 « Concevoir une ville pour tous » Pour y parvenir, nous devons respecter

17

Ce bâtiment est une école dans un patrimoine protégé. La solution immédiate aurait été d’installer une machine près des escaliers pour permettre aux enfants en fauteuil roulant de les monter. Ou alors, avec davantage d’argent, nous aurions pu mettre un ascenseur en place.

Nous avons observé ce qui se passait à l’intérieur. Or, en observant cette école avec les deux tours à côté, vous imaginez qu’à l’heure de la récréation, tous les enfants se retrouvent dans le couloir et descendent en courant les escaliers. Nous avons donc trouvé une autre solution. Sur la photo de gauche, vous voyez une fenêtre sur le plan quasi souterrain avec des escaliers. Nous avons éliminé les escaliers en abaissant le couloir, nous avons fait des rampes qui descendent et nous avons transformé les fenêtres en portes. Ainsi, pour faciliter le fonctionnement de l’école, tous les enfants qui vont à la récréation empruntent désormais les 8 portes-fenêtres, ce qui permet également de rendre l’école accessible aux personnes handicapées. Telle est l’approche de la conception universelle.

« Concevoir une ville pour tous »

Figure 2vue de l’école avant et après les aménagements, tous droits réservés,

design for all foundation

Maintenant, je vous propose un jeu. Sur la photo, vous voyez deux bâtiments identiques, celui de gauche n’est pas accessible et celui de droite l’est. A vous de trouver les différences.

Page 18: Concevoir une ville pour tous - Courrier des maires › wp-content › uploads › 2013 › 09 › conf...12 « Concevoir une ville pour tous » Pour y parvenir, nous devons respecter

18 « Concevoir une ville pour tous »

Un autre exemple concernant les distributeurs de tickets. Tous les fournisseurs nous expliquaient avec arrogance que la loi de la gravité veut que, lorsqu’on met une pièce en haut, le ticket arrive en dessous, et que la distance entre les deux doit être nécessairement longue. Je les ai donc crus et longtemps, j’ai cru que les personnes handicapées ne pourraient pas utiliser les distributeurs de billets.

Or, lorsque je suis allé au Japon, j’ai vu les Japonais jeter leur pièce dans une machine et prendre leur ticket 5cm en dessous. J’ai donc bien compris que la loi de la gravité japonaise était différente de celle des européens ! Ou bien qu’à force de concertation avec les industriels, ou de compréhension des enjeux sociaux économiques, ce qui semble a priori techniquement impossible devient possible.

Figure 3Distributeurs de tickets actuels abaissés, tous droits réservés, design for all foundation

Page 19: Concevoir une ville pour tous - Courrier des maires › wp-content › uploads › 2013 › 09 › conf...12 « Concevoir une ville pour tous » Pour y parvenir, nous devons respecter

19« Concevoir une ville pour tous »

La photo suivante montre une lampe en toile. Une personne âgée qui veut la nettoyer ou changer l’ampoule doit monter sur une chaise pour y arriver et risque de chuter et de se casser le col du fémur, qui ne résiste pas à cet effort, avec toutes les complications que cela peut engendrer. Or, si la lampe peut descendre avec une commande à distance , c’est plus facile.

Tous ces exemples sont des produits japonais.

Figure 4Placard s’adaptant aux différentes tailles des utilisateurs, tous droits réservés, design for all foundation

Figure 5lampe pouvant s’abaisser à hauteur des usagers, tous droits réservés, design for all foundation

Autre exemple, il semble logique que, pour accéder aux ustensiles de cuisine, ce soit l’armoire qui descende et non l’utilisateur qui monte jusqu’au placard.

Page 20: Concevoir une ville pour tous - Courrier des maires › wp-content › uploads › 2013 › 09 › conf...12 « Concevoir une ville pour tous » Pour y parvenir, nous devons respecter

20 « Concevoir une ville pour tous »

Nécessité du partage de bonnes pratiquesPour anticiper le futur et relever ce défi d’une réelle complexité, nous devons nous ouvrir aux expériences des autres. Je peux dire que j’ai vu que Saint-étienne avait beaucoup de choses à partager avec les autres villes du monde. Il n’est pas nécessaire de réinventer la roue, beaucoup de choses existent déjà. L’idée est donc de regrouper la connaissance du monde. L’objectif de la fondation, notre démarche, notre compromis consiste à regrouper la connaissance mondiale autour de la conception universelle, du design pour tous, du design for all, de l’Universal design pour la rendre accessible à tous ceux qui veulent la trouver.Comme nous ne pouvons pas être les seuls à mettre l’information sur notre site, nous invitons tout le monde à le faire.Comme je suis très respectueux des différences culturelles et des langues, je crois que la dominance anglaise n’est pas une chose à suivre. Ainsi, ce site sera multilingue. Si, un jour, il y a un article en chinois, grâce aux traducteurs automatiques, il sera possible de comprendre plus ou moins ce qu’il contient.L’idée est de rassembler les connaissances autour des aspects civiques, de la ville, des commodités, du business, de l’éducation et de la qualité de vie individuelle.Le nom du site est le suivant : www.townsandcities.designforall.orgLa version française est quasiment prête. On peut y chercher l’information, et s’inscrire à la newsletter.

Page 21: Concevoir une ville pour tous - Courrier des maires › wp-content › uploads › 2013 › 09 › conf...12 « Concevoir une ville pour tous » Pour y parvenir, nous devons respecter

21« Concevoir une ville pour tous »

“”Idées fortes• La loi sur l’accessibilité permet d’avoir des outils pour

aller vers une meilleure qualité d’usage, mais respecter la réglementation n’est pas le seul gage de qualité.

• La question de l’accessibilité ne se limite pas aux personnes handicapées.

Laurent Saby : la loi sur l’accessibilité : un pas vers la conception universelle

Le CERTU est un centre d’études sur la ville, rattaché au ministère du développement durable. Au sein de son programme de travail, le projet transversal « ville accessible à tous » s’intéresse notamment aux questions d’accessibilité pour les Personnes à Mobilité Réduite.

Page 22: Concevoir une ville pour tous - Courrier des maires › wp-content › uploads › 2013 › 09 › conf...12 « Concevoir une ville pour tous » Pour y parvenir, nous devons respecter

«Problématique« Rendre les bâtiments accessibles aux personnes ayant des incapacités, c’est la conception adaptée aux personnes handicapées. Rendre les bâtiments plus sûrs et plus confortables pour tous les usagers y compris les personnes ayant des incapacités, c’est la conception universelle ».

S. Golsdmith, 2000 «

22 « Concevoir une ville pour tous »

La question qui me semble être posée ce soir dans le cadre de cette table ronde concerne la ville accessible telle que nous la prévoyons aujourd’hui, telle que nous sommes censés la réaliser du point de vue des obligations législatives et réglementaires qui s’imposent à nous depuis la loi de 2005. Je suis un agent de l’Etat, donc je suis là pour rappeler ces notions, même si je ne vais pas m’appesantir sur les aspects réglementaires mais plutôt sur les principes de la loi.

Cette accessibilité, prônée par cette loi, permet-elle de concevoir une ville pour tous ? Ou sommes-nous dans une stigmatisation, même positive, du handicap ? Telle est la problématique que je me suis fixé et à laquelle je vais tenter de répondre ce soir.

Au regard de cette notion de conception universelle, qui à mon avis est plutôt devant nous que derrière nous, et pour répondre trivialement à la question posée par Florent ORSONI sur le fait de savoir si la loi de 2005 donne des outils pour faire de la conception universelle, je dirais plutôt que la loi de 2005 est un premier pas qui nous permet de réfléchir à ce que nous faisons d’accessible. La question suivante consiste à savoir si, d’accessible, nous passons à universel.J’ai trouvé une citation de Goldsmith dans une présentation en ligne de Louis-Pierre Grosbois, l’architecte qui travaille sur l’accessibilité depuis fort longtemps, qui oppose la notion d’accessibilité à celle de conception universelle. Il dit : « Rendre les bâtiments accessibles aux personnes ayant des incapacités, c’est de la conception adaptée aux personnes handicapées. (C’est de la stigmatisation, de la prothèse architecturale). Rendre les bâtiments plus sûrs et plus confortables pour tous les usagers, y compris les personnes ayant des incapacités, c’est de la conception universelle ».

Je me demande si nous sommes réellement dans cette opposition. Par ailleurs, est-ce que l’accessibilité s’oppose à la conception universelle ? Est-ce que l’accessibilité est une première marche vers une conception plus universelle de nos villes ? Ou si nous sommes encore plus optimistes, est-ce-que l’accessibilité et la conception universelle sont deux notions à peu près identiques ? C’est à ces questions que je vais tenter de répondre.

Page 23: Concevoir une ville pour tous - Courrier des maires › wp-content › uploads › 2013 › 09 › conf...12 « Concevoir une ville pour tous » Pour y parvenir, nous devons respecter

23« Concevoir une ville pour tous »

Je comprends ce que dit Goldsmith dans la citation présentée précédemment, mais il me semble que la manière dont l’accessibilité a été envisagée dans le cadre de la loi du 11 février 2005 est plus intelligente. Cette loi donne un certain nombre de principes qui me semblent aller dans le sens d’une conception universelle.

Ainsi, l’article 2 donne la définition du handicap au sens de la loi, et met l’accent sur les limitations d’activité ou les restrictions de participation à la vie en société, subies dans un environnement par une personne, en raison d’une altération d’une fonction physique, sensorielle, mentale cognitive ou psychique2. Cela renvoie à un changement de paradigme ou de concept qui diffère des années 70 où le handicap était vu comme un attribut de la personne. En effet, la personne était handicapée, le handicap lui était rattaché, il fallait donc réadapter la personne : faire remarcher les personnes en fauteuil dans la mesure du possible, faire réentendre les personnes sourdes, faire revoir les personnes aveugles. Je caricature à peine, l’idée était que la responsabilité du handicap était entièrement portée par la personne. Ainsi, l’approche du handicap était très médicale.

A la fin des années 70 et au début des années 80 est apparu un autre courant de pensée sur le handicap, une approche anthropologique qui a développé la notion de handicap situationnel ou de situation de handicap, et qui sous-entend que la situation de handicap est le résultat entre les capacités plus ou moins importantes d’une personne et les actions qui sont requises par son environnement. A partir du moment où il y a inadéquation entre les deux, vous êtes dans une situation de handicap.Je fais une parenthèse pour vous indiquer que j’illustre souvent mes propos par le handicap auditif car j’ai fait ma thèse de doctorat sur la question de l’accessibilité pour les personnes sourdes et malentendantes, donc j’y suis un peu plus sensibilisé.

A titre d’exemple, vous pouvez être en situation de handicap auditif parce que vous êtes sourd de naissance ou que vous êtes malentendant à cause de l’âge, mais une personne sans déficience auditive comme moi et qui se trouve dans un avion en partance pour l’Espagne avec un pilote espagnol qui parle un anglais avec un accent que j’ai du

Historique de la notion d’handicap et d’accessibilité

2 « Constitue un handicap, au sens de la présente loi, toute limitation d’activité ou de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une

ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant ». Art. 2, loi du 11 février 2005.

Page 24: Concevoir une ville pour tous - Courrier des maires › wp-content › uploads › 2013 › 09 › conf...12 « Concevoir une ville pour tous » Pour y parvenir, nous devons respecter

24 « Concevoir une ville pour tous »

mal à comprendre, et ce dans un micro qui crachote, se retrouve également en situation de handicap auditif. Tout cela pour vous dire que, dans la loi, est reconnue cette notion de situation de handicap qui élargit considérablement la question de l’accessibilité et la population à laquelle on s’adresse ; déjà parce que l’ensemble des familles de handicap est représenté, mais aussi du fait de cette notion de situation de handicap.

Francesc Aragall

La personne handicapée peut être le mari de la secrétaire d’Etat des Etats-Unis, ou l’ex-Président des Etats-Unis ou une personne que nous sommes habitués à voir en fauteuil roulant comme Stéphan HAWKING que nous voyons en train de voler parce qu’il a été invité dans un avion de gravité zéro. Donc, il est clair que cela nous concerne tous et que la limitation dépend de l’environnement.Par ailleurs, nous sommes constamment face à des préjugés. A titre d’exemple, vous voyez une personne âgée de 70 ans, mais si c’est Charlie WATTS, le batteur des Rolling Stones, il ne se considère pas comme personne âgée.Nous devons donc retenir que nous ne pouvons pas étiqueter les personnes en fonction de tel ou tel critère.

L’article 45 3 de la loi dépasse aussi la notion de personne handicapée pour parler des personnes à mobilité réduite. Si, aujourd’hui, beaucoup de professionnels continuent de penser que l’appellation « personnes à mobilité réduite » constitue le langage politiquement correct pourparler des personnes en fauteuil roulant, je rappelle qu’une directive européenne indique que les PMR sont toutes les personnes qui ont des difficultés pour utiliser les transports, parmi lesquelles on retrouve les personnes souffrant de handicap sensoriel, intellectuel ou moteur, mais aussi les personnes de petite taille, les personnes âgées, les femmes enceintes, les personnes qui transportent des bagages lourds, les personnes avec enfants, y compris enfants en poussette.

Pour des raisons durables et temporaires, nous sommes tous ou nous allons tous, nous retrouver dans une de ces situations. Cela élargit considérablement le champ des personnes bénéficiaires de la loi sur l’accessibilité de 2005.

3 L’ article 45 de la loi 2005 - 102, stipule notamment que : « la chaîne du déplacement qui comprend le cadre bâti, la voirie, les aménagements, les espaces publics, les systèmes de transport et leur intermodalité est organisée pour permettre son accessibilité dans sa totalité aux personnes handicapées à mobilité réduite ».

Page 25: Concevoir une ville pour tous - Courrier des maires › wp-content › uploads › 2013 › 09 › conf...12 « Concevoir une ville pour tous » Pour y parvenir, nous devons respecter

25« Concevoir une ville pour tous »

La notion de la chaîne du déplacementIl existe une autre notion incluse dans l’article 45, celle de chaîne du déplacement qui comprend tous les éléments du cadre de vie : le cadre bâti, la voirie, les espaces publics, les systèmes de transport. Cette chaîne du déplacement doit être organisée pour permettre son accessibilité dans sa totalité. L’idée est que, si un maillon casse, l’ensemble de la chaîne est rompu.

Les personnes handicapées le vivent souvent. En effet, lors d’un déplacement prévu, depuis sa chambre jusqu’à la conférence de ce soir par exemple, en passant par un ensemble de rues, un tramway, un train, des espaces publics, il suffit que cela ne passe pas à un endroit pour que la personne n’arrive jamais à la conférence. Dans cette notion de continuité de chaîne de déplacement, c’est bien l’usager et son déplacement qui sont placés au centre des préoccupations de l’accessibilité et qui obligent les techniciens des collectivités à dépasser les logiques sectorielles classiques.

Au CERTU comme dans la ville de Saint-étienne probablement, on est spécialiste de la voirie, du transport ou du cadre bâti, mais rarement de l’ensemble. Il faut que des gens traitent de l’accessibilité pour mettre le liant dans tout cela, parce que l’usager se moque de savoir que ce n’est pas le même technicien qui s’occupe de la marche du bâtiment et du trottoir juste devant.

Page 26: Concevoir une ville pour tous - Courrier des maires › wp-content › uploads › 2013 › 09 › conf...12 « Concevoir une ville pour tous » Pour y parvenir, nous devons respecter

26 « Concevoir une ville pour tous »

La concertationEncore un dernier point lié à cette loi, la concertation est fortement encouragée, avec un succès variable selon les endroits. L’article 46 crée des commissions communales et intercommunales pour l’accessiblité aux personnes handicapées (CAPH) dans toutes les villes et les établissements de coopération intercommunale qui regroupent plus de 5 000 habitants. Dans ces commissions, sont présents les représentants de la commune, élus et techniciens, des associations d’usagers et des associations représentant les personnes handicapées.

Ce qui semble rejoindre la notion de conception universelle, c’est que les bénéficiaires finaux sont associés à la démarche dans une logique de concertation. Elle correspond à la conciliation des besoins que chacun fait remonter et des contraintes de la collectivité ; la collectivité devant comprendre les attentes des individus, et les individus devant comprendre les contraintes de la collectivité.

Par ailleurs, dans les CAPH, il n’y a pas que les personnes handicapées qui sont associées pour regarder ce qui se passe en termes d’accessibilité, mais 3 collèges :

• les représentants de la commune,• les représentants des personnes handicapées,• et les associations d’usagers.

Parmi eux, nous pourrons retrouver les parents d’élèves, les associations de cyclistes, les associations de personnes âgées, etc…

Page 27: Concevoir une ville pour tous - Courrier des maires › wp-content › uploads › 2013 › 09 › conf...12 « Concevoir une ville pour tous » Pour y parvenir, nous devons respecter

27« Concevoir une ville pour tous »

De l’accessibilité à la conception universelleVoici un exemple plus personnel sur cette notion d’accessibilité qui mène vers la conception universelle. Je vais vous parler d’un projet de recherche auquel j’ai pris part suite à ma thèse, le projet Sur Dyn pour Signalétique d’Urgence Dynamique. L’idée est de créer une signalétique visuelle et animée pour indiquer un certain nombre de perturbations dans les transports aux personnes sourdes ou malentendantes qui n’ont pas l’information par le canal auditif. En général, quand un train change de quai en dernière minute, c’est annoncé par haut-parleur et ce n’est pas indiqué sur les écrans.

Donc, à travers ce projet, nous avons commencé à travailler sur les besoins des personnes sourdes et malentendantes, et petit à petit nous testons nos messages sur toute la population. Il faut avoir conscience que ce n’est pas parce que nous avons l’idée géniale de transformer une information en format visuel que c’est facile à faire.

Donc, nous sommes d’abord dans une démarche d’accessibilité puisque la loi de 2005 impose que les informations soient accessibles à tous. Il convient donc aussi de penser aux personnes sourdes et malentendantes dans ces situations particulières dans les transports en commun. Et petit à petit, nous commençons à rechercher de quelle façon mettre en place une signalétique animée permettant aux personnes handicapées mentales de la comprendre et surtout éviter qu’elles la comprennent à l’envers, car ce serait un problème et ce serait pire si elles agissaient à l’envers du but recherché.

Par ailleurs, nos messages ont été repris par un collègue chercheur en Australie qui les teste sur des Australiens. Il se trouve que les Australiens n’ont pas la même habitude de prendre le train que les Européens, donc quand ils se retrouvent face à ces messages, c’est un peu la rencontre du troisième type ! Or, notre idée est que ces messages servent également à des personnes qui ne comprennent pas la langue française.

Donc, vous voyez comment, d’une problématique spécifique d’accessibilité des personnes sourdes et malentendantes, nous arrivons à une interrogation plus générale qui est aussi plus compliquée à gérer.

Page 28: Concevoir une ville pour tous - Courrier des maires › wp-content › uploads › 2013 › 09 › conf...12 « Concevoir une ville pour tous » Pour y parvenir, nous devons respecter

28 « Concevoir une ville pour tous »

La notion de qualité d’usageAu final, accessibilité et conception universelle renvoient à la notion de l’usage et à la variété possible des usages. En effet, la compréhension des usages et des besoins en la matière des personnes handicapées est indispensable pour comprendre les prescriptions réglementaires. Ainsi, dans le ministère auquel j’appartiens, une circulaire illustrée4 expliquant les prescriptions réglementaires en termes de cadre bâti indique la raison pour laquelle telle largeur de couloir ou telle aire de rotation ont été imposées. Cela permet de comprendre que ces mesures correspondent à un usage des personnes. Donc, lorsque nous imposons une aire de rotation à tel endroit, c’est pour permettre à une personne en fauteuil roulant de tourner. L’objectif final est d’obtenir une qualité d’usage optimale, la qualité d’usage étant définie comme la capacité d’un lieu à répondre aux besoins et aux attentes des usagers et des utilisateurs. La qualité d’usage est une notion qui a été beaucoup travaillée par mes collègues au CERTU, qui est plus générale et qui se prête moins à une standardisation que l’accessibilité. Elle permet de prendre en compte non seulement le public mais aussi les gens qui font la maintenance d’un bâtiment, les professionnels qui travaillent à l’intérieur, etc.Pour en revenir à mon propos du début, la conformité à la réglementation relative à l’accessibilité telle qu’elle a été pensée aujourd’hui et la réponse à l’usage peuvent aller de pair, mais les deux peuvent aussi être dissociéesVoici un exemple d’aménagement conforme en termes d’usage, mais pas en termes de réglementation accessibilité : un obstacle en saillie qui se trouve sur le cheminement n’est pas à 2,20m, mais à 2,10m. Cependant, avant que quelqu’un de 2,10m ne heurte l’obstacle, il y a un peu de marge !

Parfois, des choses ne sont ni conformes sur le plan de l’accessibilité, ni compréhensibles en termes d’usage. Et, dans d’autres cas, ce qui est pire et pourtant inévitable lorsqu’on fait une standardisation et qu’on tente de créer un texte qui s’applique à toutes les situations, on se retrouve avec des choses conformes, mais qui ne fonctionnent pas du point de vue de l’usage. Cela peut être temporaire. Prenons l’exemple de la partie surbaissée d’un guichet avec une partie creuse dessous devant permettre à une personne en fauteuil de s’approcher. Sauf que dans un hôtel parisien, j’ai pu voir que les gens s’en servaient pour stocker les valises des personnes en journée. C’est donc contre-performant. Ceci dit, il suffit d’enlever les valises, donc ce n’est pas trop grave.

Autre exemple plus embêtant, c’est quand on ne comprend pas l’usage qui se trouve dernière le standard. Ainsi, il est dit dans la règle qu’il faut mettre une barre de transfert au bord des cuvettes de toilette, mais il n’a pas été dit qu’il fallait que ce soit suffisamment près pour qu’elle facilite le transfert.4- Annexe 8 : circulaire interministérielle pour l’accessibilité dans les établissements Recevant du Public .

Page 29: Concevoir une ville pour tous - Courrier des maires › wp-content › uploads › 2013 › 09 › conf...12 « Concevoir une ville pour tous » Pour y parvenir, nous devons respecter

29« Concevoir une ville pour tous »

Sites de ressourcesJe vous précise qu’il existe un site du CERTU, ainsi qu’un autre site de notre ministère concernant mes collègues de la Délégation ministérielle à l’Accessibilité (DMA). Ils font un travail important pour mettre en ligne beaucoup d’informations sur l’accessibilité et sont aussi à l’œuvre au sein d’un observatoire interministériel de l’accessibilité et de la conception universelle. Ces travaux ne font que commencer pour faire la passerelle entre l’accessibilité et la conception universelle. Il devrait d’ailleurs être organisé une grande journée sur la question à l’automne. Cet observatoire va aussi permettre de rassembler de la matière et des bonnes pratiques comme le fait, à l’échelle européenne, la Design for All Fondation, avec une grande démarche de recueil des bonnes pratiques sur l’accessibilité.

Je termine ma présentation en indiquant que nous sommes au sein du ministère du développement durable et que l’accessibilité peut être une part du développement durable. De plus, l’accessibilité peut avoir des retombées économiques intéressantes, les grandes enseignes l’ont bien compris quand elles prévoient des portes automatiques et des accès de plein pied pour avoir plus de clients à l’intérieur de la boutique.

Néanmoins, il ne faut pas faire dans l’angélisme, parfois l’accessibilité peut s’entrechoquer avec des préoccupations plus environnementales ou plus économiques. J’entends parfois dire que l’accessibilité participe au développement durable par son action sociale. Non, faire du développement durable quand on fait de l’accessibilité, c’est s’assurer que le pilier social de la non-discrimination, qui est évidemment un enjeu de l’accessibilité, s’associe bien avec les piliers économiques et environnementaux, et qu’on ne fait pas de l’accessibilité en ignorant complètement les questions économiques et environnementales.

Page 30: Concevoir une ville pour tous - Courrier des maires › wp-content › uploads › 2013 › 09 › conf...12 « Concevoir une ville pour tous » Pour y parvenir, nous devons respecter

“”Idées fortes• l’accessibilité est trop centrée sur la question du handicap,• la question de la qualité des espaces de vie permet de

répondre aux besoins des personnes handicapées.

30 « Concevoir une ville pour tous »

Régis Herbin : la démarche Haute Qualité d’Usage

La démarche de Haute Qualité d’Usage (HQU) est à distinguer de la Haute Qualité Environnementale (HQE).Je dirige le CRIDEV qui est un bureau d’études associatif dont le conseil d’administration est composé de l’ensemble des associations de personnes handicapées, de personnes âgées, de personnes qui défendent la famille, de la sécurité routière, etc. Ce sont donc les représentants de tous les types d’usagers.Personnellement, je travaille dans l’accessibilité depuis 1970 et j’ai participé comme expert à la création de la loi de 1975. Je vous parlerai de cette évolution et de la raison pour laquelle nous sommes arrivés à cette démarche de Haute Qualité d’Usage.

Page 31: Concevoir une ville pour tous - Courrier des maires › wp-content › uploads › 2013 › 09 › conf...12 « Concevoir une ville pour tous » Pour y parvenir, nous devons respecter

31« Concevoir une ville pour tous »

Problématique : une notion mal prise en comptePourquoi l’espace de vie n’est pas en adéquation avec la demande des usagers ? C’est quand même surprenant que des spécialistes et l’ensemble des professionnels n’arrivent pas à concevoir correctement des espaces qui répondent aux besoins de tous. Cela semble aberrant, et nous pouvons nous demander si l’usager est vraiment présent dans la conception de nos professionnels.

Ces questions se posent lorsque nous entendons des stars de l’architecture nous dire récemment : « quelle est cette législation qui handicape notre créativité ? ». Nous constatons qu’il y a encore beaucoup de travail.

Il a donc fallu plusieurs années pour faire comprendre aux différents experts qu’il existait une autre façon de voir l’accessibilité et que ce n’était pas un problème de handicap, mais une opportunité de changer la qualité de nos espaces. Cela commence à s’entendre un peu. Toutefois, cela reste léger car les étudiants en France en moyenne reçoivent une demi-journée d’enseignement sur l’accessibilité sur cinq années de formation. Certains ayant plusieurs journées de formation, cela indique que d’autres ont à peine une petite heure.

Nous avons voulu lancer, il y a une vingtaine d’années, des formations auprès des architectes, et nous avons travaillé avec le GEPA sur des formations du type « architecture et handicap ». Ce fut une catastrophe. En effet, sur 49 000 architectes en France, nous avons réussi, au bout de plusieurs mois de bagarre, à réunir 8 architectes pour faire une formation. Et quand nous leur avons demandé pourquoi ils étaient venus, l’un nous a répondu que son fils était handicapé, l’autre son neveu, l’autre son père, etc. Ils n’étaient donc pas les plus urgents à former puisqu’ils étaient déjà assez conscients du problème. Aujourd’hui, nous en sommes encore là. Donc, interrogeons-nous vraiment sur la raison qui fait que le message ne passe pas.

Page 32: Concevoir une ville pour tous - Courrier des maires › wp-content › uploads › 2013 › 09 › conf...12 « Concevoir une ville pour tous » Pour y parvenir, nous devons respecter

32 « Concevoir une ville pour tous »

De la nécessité de se centrer sur la qualité des espaces de vie

En fait, lorsque l’on parle d’accessibilité, les gens voient immédiatement le handicap, donc le fauteuil roulant avec tous les autres types de difficultés, les contraintes et les ennuis.

Pourquoi la fameuse HQE a autant séduit nos professionnels et nos confrères, alors qu’aucune législation, aucun décret et aucun texte ne l’impose ? Dans ce domaine, lorsqu’on lance des formations, tout le monde se précipite, ils sont tous prêts à payer, alors que pour des formations à la HQU, il faut les payer pour avoir une participation. Je pense que le problème de fond, l’erreur dans laquelle nous avons erré depuis plus de 30 ans, ce fut de centrer l’accessibilité sur le handicap. En effet, la haute qualité environnemental a centré son exigence sur la qualité de l’environnement à développer et pas sur la pollution, ni sur les aspects négatifs. C’est donc une question de qualité d’usage qu’il faut développer.A titre d’exemple, vous utilisez tous une prothèse pour personne handicapée sur laquelle vous vous précipitez en rentrant le soir chez vous. Il s’agit de la télécommande de votre télévision. En effet, elle est issue de la recherche pour les personnes handicapées. Or, lorsque vous avez acheté votre télévision, si le vendeur vous avait demandé si vous preniez la prothèse pour handicapé, l’auriez-vous achetée ? Non. Cet objet a été vendu comme un outil facilitant l’usage, comme un outil qui améliore la sécurité et le confort de tous. Donc, il faut arrêter de centrer notre propos sur l’accessibilité au handicap.

Page 33: Concevoir une ville pour tous - Courrier des maires › wp-content › uploads › 2013 › 09 › conf...12 « Concevoir une ville pour tous » Pour y parvenir, nous devons respecter

33« Concevoir une ville pour tous »

L’exemple du tramway de Grenoble : une solution d’accessibilité intégrée au service de la qualité du réseau

Ce qui nous a fait changer fondamentalement dans le processus, ce fut la construction du tramway de Grenoble. Je rappelle que c’est le premier tramway au monde accessible. Le maire de l’époque, a demandé un tramway accessible aux personnes en fauteuil, mais pour qu’elles puissent utiliser l’espace comme tout le monde. La première proposition faite par ALSTHOM consistait à installer un élévateur comme dans le TGV où, sur 500 places, il y a une voire deux places pour les personnes en fauteuil. Si un groupe de six personnes en fauteuil veut se rendre à Paris, elles ne peuvent pas y aller dans la même journée.

Donc, à Grenoble, il a été répondu qu’il n’était pas question de mettre un élévateur, afin d’éviter de mettre en exergue la personne handicapée et d’éviter qu’elle handicape les autres usagers qui devront attendre que l’élévateur soit actionné. Cette solution n’est donc pas de l’accessibilité, mais revient à se centrer sur un type de personne, sans rendre service aux autres. Il a été demandé à ALSTHOM de se débrouiller pour que tout le monde entre de plain pied entre le quai et l’intérieur du tramway. Il a fallu discuter, mais nous y sommes arrivés.

Ainsi, depuis l’installation de ce tramway, non seulement les personnes handicapées y entrent comme tout le monde, mais tout un chacun y entre également plus facilement, y compris les parents avec des poussettes, les personnes âgées... De plus, il n’y a plus d’accident à la montée et à la descente. C’est ainsi qu’il a été gagné 10 % du temps sur le fonctionnement du tramway. Cela signifie que, sur une ligne, on met 10 % moins de temps parce que, grâce à cette accessibilité, tous les usagers montent et descendent plus vite. Donc, économiquement, c’est 10 % de matériel et 10 % de chauffeurs en moins pour rendre le même service aux usagers.

Page 34: Concevoir une ville pour tous - Courrier des maires › wp-content › uploads › 2013 › 09 › conf...12 « Concevoir une ville pour tous » Pour y parvenir, nous devons respecter

34 « Concevoir une ville pour tous »

L’usager handicapé révélateur des problématiques de conceptionDonc, vous voyez que l’accessibilité est quelque chose d’économique et qui rapporte. Par conséquent, arrêtons ces stigmatisations sur le handicap, et partons du principe que la personne handicapée n’est pas celle qui apporte un problème supplémentaire. Elle nous révèle un problème que nous avons tous, elle nous révèle l’inaccessibilité, l’imperceptibilité, l’inconfort de l’espace. La personne handicapée ou déficiente est tout simplement la personne qui démultiplie les problèmes de chacun. C’est le révélateur.

Quand je travaille avec une personne aveugle, je ne travaille pas avec quelqu’un qui ne voit pas clair. Je travaille avec un expert en acoustique, un expert en tactile, un expert en podotactile, un expert en olfactif, quelqu’un qui grâce à sa situation de handicap a su démultiplier et développer des compétences et des perceptions, et qui peut nous apprendre énormément de choses. Mes meilleurs professeurs n’ont pas été ceux de l’école, les personnes handicapées m’ont appris en architecture beaucoup plus sur la perception, l’utilisation, etc.

J’ai dit à un élu à Grenoble, François SUCHOD, qui était handicapé infirme-moteur-cérébral (IMC), avec une très grosse difficulté d’élocution, que je trouvais dégradant pour lui que ses propos soient systématiquement traduits en conseil municipal. Je lui ai donc proposé qu’il parle directement aux personnes. On a donc arrêté de traduire ses propos et il a présenté son projet en chuchotant. Dans la salle, les gens se sont mis à écouter, le silence s’est installé et tout le monde était beaucoup plus à l’écoute.

Il est donc extrêmement important de voir que chacun, quel que soit le niveau, peut nous apprendre. De plus, comme il avait des difficultés de parole, il avait appris à dire en quelques mots et en quelques phrases très bien ciblées ce qu’il avait à dire, ce qui n’est pas toujours le cas de certains élus. Je pense donc que nous avons tous à apprendre des personnes handicapées. Ce qui nous intéresse, c’est la richesse de la différence.

Intégrer la différence dans la conception

Donc, arrêtons les normes, les modèles. L’architecture a été conçue en permanence pour des modèles. Je suis désolé pour les dames, mais le modèle est un homme de 1,83m, 80kg, 30 ans, svelte, certainement riche et intelligent. Il a tout pour plaire, le seul problème est qu’il est très minoritaire. Donc, si l’on conçoit pour ce type de modèle, dès que l’on est un peu plus gros, un peu plus grand, un peu moins intelligent, avec quelques difficultés cognitives, mentales, quelques problèmes de perception, on est exclu ou mis en difficulté.

Page 35: Concevoir une ville pour tous - Courrier des maires › wp-content › uploads › 2013 › 09 › conf...12 « Concevoir une ville pour tous » Pour y parvenir, nous devons respecter

35« Concevoir une ville pour tous »

Notre grande erreur a été de créer, en 1975, un troisième modèle, celui du modulor (homme idéal) assis dans un fauteuil roulant. Puisque le modulor mettait en difficulté les personnes en fauteuil roulant, on a décidé de mettre le modulor en fauteuil roulant. C’est ainsi que la hauteur a été calculée de 1,30m jusqu’à 40cm. Or, les personnes âgées n’arrivaient pas à ramasser leur courrier à 40cm parce que c’était trop bas pour elle. De plus, on a décidé de relever tous les WC pour que les personnes en fauteuil puissent faire leur transfert. Sauf que les personnes de petite taille ne peuvent plus aller aux toilettes dans les restaurants car les WC sont trop hauts.On a également abaissé les trottoirs pour permettre de descendre sur la chaussée, mais les personnes âgées chutent et perdent l’équilibre plus facilement. Donc, ce n’est pas une solution.

Donc, arrêtons de répondre individuellement à telle ou telle catégorie de personnes, sans s’occuper des autres. Il n’est pas question, au nom de l’accessibilité, de résoudre des problèmes d’accessibilité pour telle catégorie et mettre en situation de handicap d’autres personnes. Il faut changer la méthodologie. Une solution d’accessibilité est quelque chose qui ne se voit pas, qui est bien intégrée et qui sert à tout le monde.

L’homme standard n’existe pas, rassurez-vous la femme standard non plus. Si l’on croit qu’on a été standard et idéal à un moment de sa vie, ce ne fut qu’un bref instant car, avec l’âge, les choses changent.De plus, l’accessibilité est aussi un problème pour les enfants. A titre d’exemple, lorsqu’il a fallu trouver une solution pour éviter que les voitures se garent sur les trottoirs et empêchent les personnes handicapées de passer, il a été proposé de mettre des « crottes de mammouth », c’est-à-dire des grosses bornes en ciment arrondies. Mais les personnes aveugles butaient dedans, ce n’était pas très pratique. Un technicien a suggéré de mettre un tube le long du trottoir. Ainsi, cela arrêterait la roue des personnes en fauteuil risquant de tomber, et cela constituerait un guide pour les personnes aveugles. A cela, j’ai répondu que les personnes mal voyantes se déplaçant sans canne allaient s’empiéger dedans et tomber côté chaussée, ce qui serait encore plus dangereux. Il a donc enchaîné en proposant de les peindre en jaune fluo pour qu’on les voie bien. Mais les enfants turbulents risquaient de s’amuser à marcher en équilibre dessus et tomber sur la chaussée.

Cela s’est soldé par la réflexion suivante : « vous n’êtes jamais content. On vous fait des propositions et elles ne conviennent jamais ».Vous pouvez constater que, suivant la façon dont on aborde le problème, cela ne peut pas fonctionner. Il faut vraiment trouver une autre méthodologie.

Page 36: Concevoir une ville pour tous - Courrier des maires › wp-content › uploads › 2013 › 09 › conf...12 « Concevoir une ville pour tous » Pour y parvenir, nous devons respecter

36 « Concevoir une ville pour tous »

La solution a été de changer l’inclinaison du trottoir et rehausser les bordures pour que les voitures ne montent pas sur le trottoir.

En réfléchissant à ces problématiques en amont de chaque conception, cela permet d’intégrer les dimensions de sécurité et de qualité d’usage pour tous les usagers.

De l’accessibilité à la convenance des espaces de vie

L’idée suivante porte sur le fait que l’accessibilité n’est pas un problème de minorité. En effet, d’après des statistiques de l’INSEE datant de 2000, 42 % de la population française a des difficultés, ce qui n’est pas négligeable. Et ce pourcentage n’inclue pas que ceux qui portent la carte de personne handicapée. Cela montre que tout le monde a plus ou moins une déficience quelque part.

Et quand on voit l’évolution de la population des personnes âgées, c’est plus d’une personne sur deux qui est concernée par le problème de l’accessibilité. Le changement de terminologie est une étape importante dans la démarche de Haute Qualité d’Usage. Nous ne parlerons plus d’accessibilité, mais de convenance des espaces de vie. Ce n’est pas simplement du politiquement correct. Il est très important d’entrer dans une phase de prévention. Quand on parle de convenance, on va immédiatement vers autre chose, car il est à présent difficile de détacher la notion d’accessibilité à celle de handicap.

Jusqu’à présent, nous nous centrions sur l’usager handicapé, avec le risque d’amener des défauts. Or, l’usager handicapé ou déficient ou en difficulté a le droit d’être intégré, et nous devons le prendre tel qu’il est, avec ses contraintes et ses richesses. Nous ne devons pas y toucher. Donc, si nous voulons jouer sur l’espace de vie, nous ne disposons que de 3 facteurs : l’usager lui-même qui se trouve dans cet espace, l’espace lui-même et l’usage que nous faisons de cet espace.

Si nous ne voulons pas changer la personne handicapée, c’est-à-dire toute la conception médicale en améliorant les prothèses qui est un raisonnement dans lequel nous ne voulons pas entrer, il faut travailler sur l’espace et c’est toujours par rapport à l’usage que nous allons nous positionner. Ce sont donc des démarches de développement de la qualité d’usage que nous allons tenter de mettre en place.

Page 37: Concevoir une ville pour tous - Courrier des maires › wp-content › uploads › 2013 › 09 › conf...12 « Concevoir une ville pour tous » Pour y parvenir, nous devons respecter

37« Concevoir une ville pour tous »

Figure 6 : une démarche de développement social durable : la démarche HQU® de Régis Herbin

Prévoir, Produire, Evaluer, EnrichirIl s’agit de démarches qualité très classiques qui sont des PDCA (prévoir, produire, évaluer, enrichir en français). L’enjeu consiste à déterminer la façon dont on entre dans un processus permanent de développement de la qualité, en sachant qu’il faut garantir ses acquis et que ce n’est pas une démarche ponctuelle, mais permanente.

Abordons à présent le parallèle entre la démarche HQU et la démarche HQE. La Haute Qualité Environnementale consiste à regarder comment intégrer le cadre bâti dans l’environnement en respectant la différence de chaque environnement, et comment utiliser les richesses de cet environnement pour améliorer la qualité du cadre bâti.

La Haute Qualité d’Usage consiste à regarder comment intégrer l’usager dans le cadre bâti, comment respecter les différences de cette personne et comment utiliser les richesses de sa différence pour améliorer la qualité du cadre bâti. Rendre un espace sensoriel, c’est une amélioration sans conteste du cadre bâti. Or, aujourd’hui, on travaille l’architecture essentiellement sur le plan visuel et physique, mais très peu sur le plan sensoriel, olfactif, etc…

Page 38: Concevoir une ville pour tous - Courrier des maires › wp-content › uploads › 2013 › 09 › conf...12 « Concevoir une ville pour tous » Pour y parvenir, nous devons respecter

38 « Concevoir une ville pour tous »

Ces deux démarches représentent deux regards différents. À titre d’exemple, sur une porte d’entrée, en matière de Haute Qualité Environnementale, il nous est demandé qu’elle résiste aux courants d’air pour ne pas perdre de la thermique. Cette résistance doit être de 8kg/force. Cependant, les personnes à l’équilibre précaire, très déficientes doivent pouvoir ouvrir facilement la porte. Donc, nous ne voulons pas plus de 2kg/force. Le législateur ne s’est pas embêté, il a additionné 2+8 qui est égal à 10 et il a divisé par 2, ce qui fait 5. Donc, la législation française dit que la résistance d’une porte est de 5kg/force. Ainsi, ni les gens de la HQU, ni ceux de la HQE ne sont contents.

Donc, méfions-nous des normes, l’enjeu est de remettre dans le contexte. L’idée consiste à ne pas mettre la porte d’entrée face au courant d’air, donc pas face au vent dominant. Toutes les civilisations dites ancestrales, sous-développées ou primitives construisent ainsi depuis des millénaires. Alors que nous nous croyons tellement forts que nous nous permettons de mettre les portes face aux courants d’air, et ensuite on met de la résistance quitte à handicaper tout le monde. C’est dans ce raisonnement global qu’il faut réfléchir et tout remettre à plat.

La complexité des symboles

L’enjeu est de travailler, dès le départ, avec les personnes handicapées et avec tous les usagers pour bien prendre en compte les besoins, des besoins qui peuvent être très subtils.

A titre d’exemple, pour la construction des nouvelles lignes de tramway, on les met dans l’herbe. On dit que c’est plus joli et plus écologique. Or, nous nous sommes rendu compte que nous touchions à des valeurs que nous n’avions pas imaginées. En effet, une personne aveugle m’a dit qu’elle a failli se faire écraser par le tramway parce qu’elle se trouvait sur un trottoir au bord de la ligne, et en entendant le tramway arriver, elle s’est jetée dans l’herbe parce qu’elle ne savait plus trop où elle se trouvait. Pour elle, l’herbe symbolise la sécurité, le calme, etc. On n’a pas réalisé qu’en mettant le tramway dans l’herbe, on changeait ce genre de valeur pour certaines personnes.

Donc, tout ce que nous touchons est très subtil et très sensible, il faut faire attention à ce que nous manipulons. Nous ne travaillons pas que sur de la matière, mais aussi sur des symboles et sur des perceptions.

Page 39: Concevoir une ville pour tous - Courrier des maires › wp-content › uploads › 2013 › 09 › conf...12 « Concevoir une ville pour tous » Pour y parvenir, nous devons respecter

39« Concevoir une ville pour tous »

Figure 7La mise en place des quatre maîtrises : un cycle de production à faire

évoluer. Tous droits réservés, Régis Herbin CRIDEV

Dans la démarche Haute Qualité d’Usage, nous allons introduire tout un processus intitulé « les quatre qualités ». Cela consiste à ne pas se contenter de la demande de l’usager pour déterminer ce que nous produisons en face, mais la demande de l’usager devient le point de départ du travail qu’il convient de traduire. En effet, un usager va s’exprimer en revendications, ce qui n’est pas entendable par un professionnel de la construction. Donc, un processus de traduction des exigences qualitatives est nécessaire pour que ce soit entendu par les professionnels, lesquels travaillent ensuite avec leurs exigences et non pas avec les personnes handicapées sur le plan technique. Puis, quand le produit a été réalisé, nous examinons cette qualité produite. Pour l’usager, ce n’est pas le produit direct qui est intéressant, mais ce qu’il en perçoit.

Vers la maîtrise d’usage

Ensuite, il convient de se demander comment réintégrer les quatre maîtrises, la maîtrise d’ouvrage et la maîtrise d’œuvre étant les deux seules grandes maîtrises qui existent dans le bâtiment, les entreprises n’étant considérées que comme des exécutants. Au Moyen Âge, on avait des maîtres maçons, des maîtres charpentiers et l’on comptait sur leur créativité. Il faut réinstaurer cela si nous voulons que toute la chaîne de production prenne bien en compte la HQU. Mais surtout il faut réintroduire la maîtrise d’usage. Les outils tels que les commissions communales d’accessibilité sont des volontés de mettre en place, à une échelle communale, la maîtrise d’usage

Page 40: Concevoir une ville pour tous - Courrier des maires › wp-content › uploads › 2013 › 09 › conf...12 « Concevoir une ville pour tous » Pour y parvenir, nous devons respecter

40 « Concevoir une ville pour tous »

A titre d’exemple, mon ordinateur est largement supérieur en qualité produite à la qualité que je demande, parce qu’il est capable de faire plein de choses. Mon seul problème est que je n’en perçois que le millième. Il est donc inférieur à ma demande de base.

Aujourd’hui, je suis atterré quand je vois le nombre d’éléments tactiles et podotactiles qui sont installés pour les personnes aveugles, mais qui ne peuvent être utilisés que si on les voit. En effet, à certains endroits, vous avez des petits morceaux de plots podotactiles pour indiquer à la personne aveugle qu’il va y avoir un danger, mais à côté il n’y a aucun changement par rapport à cet endroit. Cela signifie que la personne doit avoir vu où sont les plots pour être alertée du danger.

A l’heure actuelle, il n’y a pas 1/10ème des éléments podotactiles qui sont réellement utilisables par les personnes aveugles. Il reste un travail énorme à faire dans ce domaine.

Ensuite, la clef de la démarche Haute Qualité d’Usage consiste à travailler non pas par rapport à chaque type de handicap, mais à regarder comment développer la motricité, comment faciliter la motricité de chaque usager quel qu’il soit, comment développer la perception dans tous les domaines, la psyché, les prévenances, la sécurité, etc.A titre d’exemple, en matière de sécurité, nous n’allons pas regarder comment les gens sont en sécurité, mais surtout comment ils se sentent en sécurité. Après avoir fait l’expertise du Louvre, 42 % des usagers interrogés ne se sentaient pas en sécurité dans les sous-sols du Louvre. Les pompiers nous ont dit que nous étions fous de faire de telles conclusions car ils font des tests trois fois par an, que les gens sont en sécurité, qu’ils évacuent facilement, etc. Oui, mais ils ne le sentent pas parce que les issues de secours sont camouflées pour ne pas gêner la beauté des œuvres.

Figure 8schéma de mise

en place de la démarche HQU® :

tous droits réservés, Régis Herbin,

CRIDEV

Page 41: Concevoir une ville pour tous - Courrier des maires › wp-content › uploads › 2013 › 09 › conf...12 « Concevoir une ville pour tous » Pour y parvenir, nous devons respecter

41« Concevoir une ville pour tous »

De plus, il faut imaginer que les pavés de la voie publique vont se soulever avec des vérins pour l’évacuation. Or, même les architectes du Louvre avaient parfois du mal à imaginer le mécanisme de fonctionnement. Donc, le public ne suppose absolument pas qu’il peut évacuer aussi facilement. Donc, il ne se sent pas en sécurité car son seul souvenir est de s’être perdu pendant deux heures dans les sous-sols avant de retrouver son chemin. Il se dit qu’en cas d’incident, il sera encore plus perdu dans la panique.

Voilà comment nous allons travailler sur le ressenti et pas simplement sur les éléments.

Quelques exemples

J’illustre mon propos par cette photo. Elle représente un hall d’accueil dans un hôpital venant d’être refait. Il est majestueux, bien que les chambres n’aient rien à voir avec ce que le hall nous fait pressentir.

Les gens disent que c’est parfaitement accessible puisqu’il y a même sur le côté, un peu caché parce qu’il ne faut pas trop montrer les personnes handicapées, les abaissements de la banque d’accueil. Mais regardez cette impression que cela donne lorsque vous vous trouvez devant la porte d’entrée. Vous avez cette espèce d’épée devant vous qui vous enlève l’envie de vous faire faire une piqûre. Et qu’on ne me parle pas des problèmes

Figure 9Hall d’accueil illustrant les propos, avec l’autorisation de Régis Herbin

Page 42: Concevoir une ville pour tous - Courrier des maires › wp-content › uploads › 2013 › 09 › conf...12 « Concevoir une ville pour tous » Pour y parvenir, nous devons respecter

42 « Concevoir une ville pour tous »

financiers, puisqu’il y a même de la lumière sur la ligne pour mieux guider les gens vers l’accueil. Or, le public contourne et n’ose pas aller droit devant parce qu’il se sent trop intimidé et trop anxieux face à cet étalage de prétention.En examinant bien la photo, on distingue deux sols différents. La première partie qui n’est pas brillante et la deuxième qui l’est. Comme c’est un hôpital, c’était quand même ennuyeux que, tous les 15 jours en moyenne, quelqu’un se casse la jambe en glissant sur le sol parfois un peu mouillé. Ils ont donc fait changer le sol sur une partie parce que c’était trop dangereux.Par ailleurs, si nous regardons la photo d’un autre angle, nous constatons que la lumière vient autant du sol que du plafond, ce qui pose un problème pour les malvoyants qui ne distinguent plus les verticales, les murs, les sols. De plus, il y a des mélanges de couleurs ou des couleurs identiques qui font qu’on ne se repère plus. Et quelqu’un avec une difficulté intellectuelle ne peut pas se sentir à l’aise dans cet espace. Il n’a même pas été utilisé les bandes au sol qui auraient pu servir de bandes de guidage, parce qu’elles nous envoient droit dans les murs.

En conclusion, il convient de dépasser le cadre légal, où l’accessibilité serait réduite au handicap, et de développer le concept de la convenance des espaces de vie pour tous. Et l’objectif à atteindre, c’est la Haute Qualité d’Usage pour tous.

Ainsi, nous avons appliqué ce processus sur la construction de l’hôtel de la Région Rhône-Alpes, en mettant en place des groupes de participation des usagers en amont, avec les représentants de tous les types de handicap, de tous les types d’usagers qui vont être les visiteurs et les utilisateurs de l’hôtel de région, les groupes métiers qui travailleront dans l’établissement afin que chacun établisse sa demande. Ensuite, nous avons eu la mission de traduire auprès de la maîtrise d’ouvrage, de la maîtrise d’œuvre et de la maîtrise d’exécution tous les processus, et de résister car nous avons à faire face à des habitudes et des us et coutumes pas évidents à dépasser.

A titre d’exemple, nous avons un magnifique plan incliné de 80m de long qui descend vers la salle du conseil. Nous avons demandé qu’il y ait des paliers de repos, et nous avons fini par installer des espaces pour que les gens puissent se rencontrer. L’architecte a trouvé que nous avions amené, grâce à l’accessibilité, des avantages importants. Cependant, il existe des bassins qui sont à fleur du sol. Nous avons demandé de mettre au minimum des petits plots qui sont des bandes d’éveil de vigilance pour qu’on le sente podotactilement avant de tomber dans l’eau. Il a fallu se bagarrer parce qu’esthétiquement, ce n’était pas beau. Ce n’était pas un problème technique, ni économique, mais une résistance sur le plan architectural.

C’est une des illustrations de la conception universelle, toute décision est la résultante de compromis entre facteurs d’accessibilité, de sécurité, de respect des valeurs architecturales et de la faisabilité technique et économique.

Page 43: Concevoir une ville pour tous - Courrier des maires › wp-content › uploads › 2013 › 09 › conf...12 « Concevoir une ville pour tous » Pour y parvenir, nous devons respecter

43« Concevoir une ville pour tous »

1 - Les coûts

Ces méthodes exigent plus de temps et plus de moyens au niveau de la « matière grise ». Quels en sont les surcoûts ?

M. Herbin :Il existe effectivement un surcoût au niveau de la matière grise parce que cela n’est pas encore entré dans les mœurs. Il s’agit d’un changement culturel à opérer auprès des professionnels. Si l’on continue à former tous les professionnels en les limitant sur trois critères essentiels : technique, économique et esthétique, sans introduire la notion d’usage dans leur obligation de résultat, on ne s’en sortira pas.

Pourquoi n’apprend-on pas aux professionnels que, lorsqu’ils utilisent une forme, une couleur, une lumière, ils gênèrent des comportements ? Tout le problème est là.

Les professionnels manipulent de l’espace, de la matière et ils projettent leurs phantasmes dans l’espace alors qu’il faudrait qu’ils sachent quelle en est l’incidence.

J’ai fait mon doctorat sur la psycho-pathologie de l’espace et, actuellement, je travaille sur la ville neuve de Grenoble et sur les éléments où l’on ressent de l’insécurité. Or, c’est l’espace qui est générateur de cette insécurité, et cela n’aurait pas coûté un centime de plus de le construire correctement si les gens avaient été bien formés.

Aujourd’hui, malheureusement, même quand on construit du neuf, on est encore dans de la réparation, parce que les professionnels continuent à raisonner et à concevoir « à l’ancienne », et ils se posent la question de l’accessibilité au moment où ils vont déposer leur permis de construire. Ainsi, ils rajoutent un plan incliné par-ci, autre chose par-là et se plaignent que cela coûte cher, que ce ne soit pas beau et que cela constitue des prothèses architecturales. C’est un fait, mais il fallait intégrer les notions d’accessibilité en amont, c’est-à-dire découvrir cette richesse apportée grâce aux connaissances des personnes handicapées et s’en imprégner. Ensuite, il n’y a plus de surcoût, ni intellectuel, ni dans quoi que ce soit, c’est même une économie.

A titre d’exemple, dans un établissement de personnes âgées de 80 lits, nous avons réalisé le diagnostic du temps passé par le personnel à accompagner les gens pour compenser les problèmes d’accessibilité. Nous avons trouvé l’équivalent de plus de trois temps pleins. Si le personnel avait 3 temps pleins de plus pour mieux s’occuper des personnes, ce serait quand même plus intéressant. Donc, l’accessibilité, c’est un retour sur investissement, et dans tous les domaines.

Le seul surcoût que je ne contesterai pas, c’est l’augmentation de surface que cela crée en matière de logement. Mais c’est le seul point. Partout ailleurs, c’est un retour sur investissement. Mais

Questions diverses

Page 44: Concevoir une ville pour tous - Courrier des maires › wp-content › uploads › 2013 › 09 › conf...12 « Concevoir une ville pour tous » Pour y parvenir, nous devons respecter

44 « Concevoir une ville pour tous »

si nous avons tant de problèmes dans le logement, c’est parce que nous avons hérité d’une politique de concentration et de réduction de surfaces de logement telle que nous en étions arrivés à des surfaces inhumaines.

M. Aragall :Je dirai simplement que ce n’est jamais une question de coût, mais d’investissement. La preuve en est que, si l’on conçoit un arrêt de métro pour tous, le nombre de passagers va augmenter de 18 %.Je suis sûr que les « Galeries Lafayette » ne se risqueraient jamais à faire des magasins non accessibles car ils veulent une fréquentation de toute la population.

2 - Difficultés des architectes par rapport aux contraintes fixées par le maître d’ouvrage

Un Intervenant : Je suis un architecte qui est en train de mettre en place une branche spécifique sur la programmation urbaine et la programmation de l’espace public. Je sais bien que le discours choc passe mieux, mais quand vous stigmatisez la maîtrise d’œuvre et les architectes, je vous rappelle que nos ancêtres célèbres comme Alberti s’appuyaient sur les trois piliers dont l’usage.

Il me semble que vous stigmatisez plus le « star system », parce que si l’on pose bien les problèmes et s’il y a une continuité entre la programmation et la réalisation, on n’est pas dans le même cadre de conception.

Les architectes ne sont pas tous des stars

et ils ne pensent pas tous que l’image est une façon de faire de l’architecture, nous sommes même beaucoup à ne pas le penser.

Par ailleurs, il ne faut pas idéaliser en disant que, si l’on pose bien les problèmes, on trouve des solutions. Vous avez admis qu’en termes de logement, cela pose un problème. En effet, dans le domaine des cités universitaires où l’on fait de petits logements, que reste-t-il pour l’espace de vie ?

Dès que nous nous trouvons dans certaines villes avec un certain contexte économique, le foncier est ce qu’il est. Quand nous travaillons dans des grandes villes comme Lyon ou Paris, nous ne parlons pas de mètres carrés de construction, mais de mètres carrés de foncier, c’est-à-dire d’argent.

Dans un cadre d’élus où la décision est un élément important, la méthodologie et les modes de décision interviennent grandement sur l’objet final et même le fabriquent.

Il est certain que le contexte dans lequel nous vivons aujourd’hui n’a rien d’immuable, les choses ont évolué dans le bon sens pendant 30 ans, elles évoluent dans le mauvais sens actuellement, il appartient à chacun d’entre nous à faire qu’elles évoluent dans un autre sens.

M. Herbin :Je voudrais souligner l’importance de l’idée de départ qui est la programmation. Si l’on introduit correctement en amont la demande de l’usager et tout le travail

Page 45: Concevoir une ville pour tous - Courrier des maires › wp-content › uploads › 2013 › 09 › conf...12 « Concevoir une ville pour tous » Pour y parvenir, nous devons respecter

45« Concevoir une ville pour tous »

avec lui, on arrive à de véritables programmes qui peuvent ensuite amener les éléments nécessaires. Mais, encore aujourd’hui, cette programmation n’est pas toujours bien faite.

Même si cela ne concerne pas toute la profession, il est toutefois important de montrer que nous sommes face à des résistances importantes. Et plus le projet est gros, plus nous sommes confrontés à des stars qui sont encore très réticentes.

3 - Problématiques de normes

Un Intervenant : Mon métier est d’animer les établissements et services pour personnes cérébralo-lésées, donc le témoignage sur les lignes grenobloises m’a beaucoup touché.

Vous avez attiré notre attention sur la manière dont on conçoit les espaces grand public, je ne veux stigmatiser personne, mais dans le cadre de notre association, nous sommes en train de terminer la construction d’un foyer pour adultes handicapés, et pendant toute la durée des travaux, nous avons dû nous battre avec les différents corps de métier. Pourtant, nous nous sommes inscrits dans la dimension dynamique et intéressante de HQU®, nous avons pris le soin au départ d’écrire notre programme. Donc, bien qu’il s’agisse d’un établissement assujetti à des normes clairement définies sur le plan réglementaire, nous avons dû nous battre pendant un an et demi avec tous les corps de métier qui, pour notre bien, voulaient nous imposer des aberrations.

A titre d’exemple, ils voulaient nous mettre partout des WC rehaussés, ce dont nous ne voulions pas car nos usagers ne sont pas des paraplégiques actifs qui font leur transfert seuls, mais des personnes lourdement dépendantes qui ont besoin d’être aidées par un tiers pour leur transfert. Ainsi, nous mettons un siège particulier sur la cuvette de WC qui doit être plus basse que la norme. On nous a fait un chantage parce que cela n’allait pas passer à la commission de sécurité.

Un autre exemple du même ordre, on nous a soumis une configuration de chambre avec un positionnement de radiateur qui obligeait chaque résident à mettre son lit d’une certaine façon parce que l’architecte l’avait pensé ainsi. Nous leur avons demandé de revoir la configuration de l’espace de chauffe.

Cela a entraîné des surcoûts tout au long du chantier pour notre bien parce que les corps de métier appliquaient servilement mais correctement, nous disait-on, les normes.

Page 46: Concevoir une ville pour tous - Courrier des maires › wp-content › uploads › 2013 › 09 › conf...12 « Concevoir une ville pour tous » Pour y parvenir, nous devons respecter

46 « Concevoir une ville pour tous »

4.1 - Notion de programmation architecturale et formation des maîtres d’ouvrage

Un Intervenant : Je milite pour que la programmation intervienne dans le domaine bâti en termes urbains et d’espace public, mais là on revient à la programmation architecturale.

Quand les problèmes sont bien posés, les architectes et les professionnels ne sont pas plus bêtes que les autres. Cependant, il existe un contexte économique selon lequel nous ne pouvons pas refaire quatre fois le projet. Donc, posons les problèmes au départ et la réponse sera certainement plus adaptée. De plus, le choix de l’architecte correspondra puisqu’il aura été prévenu dès le départ. Je pense qu’il est plus facile de se battre quand on en est au stade du papier que des murs qu’il faut bouger.

Il me semble que le problème de la programmation est un élément central de ce type d’approche qu’on semble découvrir. Personnellement, ma mère a fait un AVC et elle avait la chance d’être dans une grosse maison. En tant qu’architecte, je lui ai fait des beaux plans pour aménager le rez-de-chaussée. Je n’ai jamais réussi à la faire descendre ! Je ne le lui ai pas imposé non plus.

M. Herbin :Le problème est que les usagers n’ont pas la connaissance technique des professionnels. Trop souvent, ils ne se rendent pas compte de ce qu’ils ont oublié de mettre dans le programme.

C’est souvent en cours de chantier qu’ils le découvrent, ce qui se traduit effectivement par des surcoûts et des oppositions.

C’est aussi pour cela que nous créons des missions d’assistance à maîtrise d’usage (AMU), notre rôle étant d’être une interface entre les usagers et les professionnels. L’enjeu est d’avoir, dans ces nouveaux métiers que nous voulons mettre en place, des gens qui ont la compétence des professionnels, qui connaissent leur discours et qui connaissent parfaitement les besoins des usagers. Ainsi, ils peuvent traduire le besoin de l’usager et ne pas se laisser avoir par des arguments techniques, économiques et financiers sur lesquels l’usager n’arrive pas à répondre parce qu’il n’a pas la connaissance à opposer en face.

Un Intervenant : C’est essentiellement le maître d’ouvrage qui devrait avoir cette formation car c’est lui qui va faire le programme.

M. Herbin : Nous sommes d’accord, cela devrait être son rôle.

Page 47: Concevoir une ville pour tous - Courrier des maires › wp-content › uploads › 2013 › 09 › conf...12 « Concevoir une ville pour tous » Pour y parvenir, nous devons respecter

47« Concevoir une ville pour tous »

4.2 - Eclairage européen : Standard européen sur la conception universelle

M. Aragall : Je suis en train de travailler pour la commission européenne qui réalise un standard européen pour les achats publics dans le cadre de la conception universelle. S’il est bien clair que les architectes doivent connaître les aspects accessibilité et la conception universelle, nous avons constaté qu’il y avait trop de détails et que les architectes ne pouvaient pas contrôler tous les éléments. En effet, l’architecte qui s’occupe du design s’associe à un autre architecte pour la mise au point de la structure, s’associe à une ingénierie pour les affaires électriques, etc.

Donc, la commission européenne va conseiller aux administrations de prendre des experts dans le domaine de l’accessibilité et de la conception universelle pour bien préparer les appels d’offres. Souvent, l’architecte réalise le projet et, après, on pense à l’accessibilité.

Par ailleurs, dans mon pays, tous les appartements et les maisons doivent être conçus de manière à pouvoir les rendre complètement accessibles à moins de 3 000 €.

5 – Développer des outils pour évaluer les bénéfices de la mise en accessibilité

Un Intervenant : Je voudrais revenir sur les limites de la réglementation. Il existe toujours deux façons de percevoir cette dernière : soit on la craint et on essaie de s’y conformer, soit on tente de trouver tous les moyens pour y déroger. Ce sont souvent les deux questions qui me sont posées dans la pratique de mon métier.

J’ai l’impression qu’il manque un certain nombre d’outils pour convaincre. Ces gens qui voudraient déroger à cette loi sont souvent effrayés par le surcoût que cela peut engendrer. Vous parliez d’opportunités économiques auxquelles j’adhère, mais nous avons souvent du mal à trouver des ressources pour les justifier. Vous parliez de 18 % de hausse de fréquentation dans les stations de métro à Barcelone lorsqu’elles ont été rendues accessibles, du gain de temps sur le tramway de Grenoble, existe-t-il des études, autres que l’étude HID un peu vieillissante faite en 2003, sur la traduction de cette contrainte réglementaire en opportunité commerciale et économique ?

M. Orsoni :Pour la réflexion en cours sur la conception universelle, nous allons nous attacher activement à démontrer ses plus-values économiques. A cet égard, je remercie la ville de Saint-Etienne de nous donner l’occasion de débattre sur ce sujet ce soir avant la journée automnale annoncée par Laurent SABY. Il s’agit de démontrer, par exemple, que TOYOTA a

Page 48: Concevoir une ville pour tous - Courrier des maires › wp-content › uploads › 2013 › 09 › conf...12 « Concevoir une ville pour tous » Pour y parvenir, nous devons respecter

48 « Concevoir une ville pour tous »

pris en compte la conception universelle et qu’il s’est ouvert des opportunités économiques. Cette approche va être déterminante dans notre présentation de la conception universelle.

Par ailleurs, j’ai assisté à des réunions récemment où il s’avère que, si l’on commence à parler davantage de conception universelle plutôt que d’accessibilité, on a tendance à trouver un écho plus favorable auprès d’interlocuteurs historiquement très réticents à la question d’accessibilité. Il y donc un réel basculement entre la contrainte réglementaire nécessaire certes, et les nouveaux outils à développer avec la conception universelle. Je pense que nous allons raisonner avec des nouveaux outils.

Il s’agit de passer d’une approche sociale à une approche économique, de gain de confort. Il s’agit là d’un investissement.

M. Herbin : Il s’avère que cela coûte plus cher de faire un logement avec les nouvelles normes.

Les retours sur investissements sont surtout à l’usage. C’est pour cela que la démarche de Haute Qualité d’Usage est importante car elle nécessite moins d’accompagnement.

Par exemple, pour le Louvre, nous avons chiffré la réalisation de tous les travaux d’accessibilité nécessaires pour atteindre la Haute Qualité d’Usage. Il a été trouvé qu’il y aurait moins besoin de personnel pour accompagner les personnes handicapées, de moins faire de groupes de médiation spécifique. Cela

sera toujours nécessaire pour certaines personnes, mais il y aura moins besoin de ce genre de choses. Donc, nous aurons un retour sur investissement à ce niveau-là, mais les coûts sont difficiles à estimer.

Quand nous parlions du gain de temps avec le tramway de Grenoble, cela se répercute sur les gens qui mettent moins de temps pour se rendre à leur travail et qui peuvent plus facilement se distraire. Mais comment le chiffrer ? Et comment chiffrer le moins fort taux d’accidents ?

Actuellement on nous rebat les oreilles au niveau des accidents de voiture, c’est effectivement un vrai problème que nous ne nions pas, mais savez-vous à combien s’élève le nombre de morts dans les accidents de la vie quotidienne ? 20 000 en France. Bien sûr, on a descendu de 8 000 à 6 000, puis à 4 000 le nombre de tués sur la route, mais pensons aux 20 000 morts dans la vie quotidienne.

A titre d’exemple, au Louvre, 2 personnes par jour sont envoyées à l’hôpital, 70 % pour des chutes dans les escaliers parce qu’il n’y a pas de main courante pour se tenir du fait que nous sommes dans un monument historique. C’est un coût. Bien sûr, il faut payer la rampe, mais si elle est bien étudiée avec des retours horizontaux, il y aura moins d’accidents.Il est vrai que ce n’est pas grand-chose sur 10 millions de visiteurs par an, mais cela représente quand même 700 hospitalisations. Je ne parle pas de tous ceux qui se tordent la cheville et qui ne disent rien au Louvre, mais de ceux qui ont dû faire appel aux pompiers et aux médecins.

Page 49: Concevoir une ville pour tous - Courrier des maires › wp-content › uploads › 2013 › 09 › conf...12 « Concevoir une ville pour tous » Pour y parvenir, nous devons respecter

49« Concevoir une ville pour tous »

M. Aragall : L’association japonaise de conception universelle est composée de NISSAN, HITACHI, FUJITSU, c’est-à-dire des 150 grandes entreprises japonaises, et aucune administration publique parce que ce n’est pas le style de l’administration japonaise. Vous pouvez imaginer que ces sociétés ne sont pas là seulement pour des questions de solidarité, mais pour gagner de l’argent.

M. Herbin : Des études ont été faites dans le tourisme où ils ont effectivement vu qu’il y avait un potentiel important et que cela valait la peine d’investir pour les personnes âgées et les personnes handicapées. En effet, c’est un public qui a pas mal d’argent et qui a du temps.

6 - La prise en compte des autres types de handicap

Une Intervenante : Je n’interviens pas à titre professionnel, mais à titre associatif. L’accessibilité est le thème de la journée nationale des Dys en 2011. Nous en sommes encore à parler d’accessibilité et non pas de convenance, c’est-à-dire l’accessibilité aux transports, à l’autonomie. Les troubles Dys font partie du handicap invisible et concerne 8 à 10 % de la population française, dont 1 à 2 % de cas sévères. Parmi les troubles Dys, nous avons :• la dyslexie, donc des personnes qui peuvent être confrontées à des difficultés de lecture pour s’orienter dans la ville,• la dysphasie qui correspond au trouble du langage oral, donc des difficultés pour communiquer avec l’autre ou des difficultés de compréhension du langage,

• et la dyspraxie qui concerne des personnes pouvant être confrontées à des difficultés d’orientation dans l’espace.

Je voulais savoir si vous avez intégré ce type de population parmi les usagers avec lesquels vous travaillez.

M. Herbin : Nous n’avons peut-être pas eu tous les représentants de chacun, mais toutes les associations relatives au handicap mental, cognitif et intellectuel étaient représentées et s’exprimaient. Dans le projet Confluence (L’hôtel de région Rhône Alpes), il a été demandé que les gens puissent se repérer dans les bâtiments, même s’ils ne retiennent pas les explications fournies.

Nous avons mis en place des pass avec des symboles et tout un système de balisage. Ainsi, la personne qui a une difficulté pour lire, comprendre ou se diriger, a uniquement à regarder son symbole et le suivre dans le balisage pour arriver au point où elle veut aller.

Nous avons déjà essayé ce genre de système à la maison de l’autonomie à Grenoble, ou à la Maison départementale des Personnes Handicapées de Paris, mais c’est la première fois que nous allons le faire à une échelle de cette importance à la Région Rhône-Alpes. C’est de l’innovation, et c’est grâce au travail fait avec les usagers que nous avons pu trouver des solutions que nous avons testées avec eux avant de les mettre en service.

Page 50: Concevoir une ville pour tous - Courrier des maires › wp-content › uploads › 2013 › 09 › conf...12 « Concevoir une ville pour tous » Pour y parvenir, nous devons respecter

50 « Concevoir une ville pour tous »

M. Saby : Un certain nombre de handicaps ont été pris en compte dans la loi du point de vue de l’annonce qui a été faite, parce que cette loi ne concerne pas que l’accessibilité. Cependant, nous sommes encore bien loin de nous douter de tout ce qu’il y a derrière certaines familles de handicap. Pour les trois dernières qui sont citées dans l’article 2 de la loi, les troubles mentaux, cognitifs et psychiques, nous sommes bien loin de nous douter de tous les besoins en termes d’accessibilité. Ce sont des handicaps bien connus du point de vue médical, mais les spécialistes de l’accessibilité et les techniciens sont bien loin de se douter des besoins.Au CERTU, nous avons la mission de capitaliser des choses et nous sommes en train de travailler au niveau d’un groupe pour sortir des éléments clairs sur ces différents types de handicap mal connus. Je suis d’accord avec l’idée de faire de l’analyse coût-bénéfice pour convaincre, mais l’autre levier c’est la pédagogie pour expliquer ce qu’il y a derrière les mots et quelle est la variété des besoins qui se trouvent derrière les situations concernées par les différents types de handicaps pris en compte par cette loi.

M. Herbin : Le législateur a bien insisté sur le handicap moteur et sensoriel, et dans le champ intellectuel il cite cognitif, mental et psychique. Donc, il insiste bien là-dessus. En revanche, dans les décrets et les arrêtés, il n’y a rien. Donc, pour l’instant, nous sommes en pleine recherche.Il n’était pas courant jusqu’à présent que les associations et les groupements

comme vous se mettent à se centrer sur l’accessibilité. Ce n’est pas anormal que l’on ait commencé par les personnes en fauteuil roulant, car les personnes paraplégiques sont capables de s’exprimer et de bouger et ont été les premières sur le marché de l’accessibilité.Maintenant, nous commençons à voir une mobilisation du domaine du handicap sensoriel et tout le champ du handicap intellectuel. Jusqu’à présent, les demandes en matière de handicap intellectuel étaient des demandes d’accompagnement dans les établissements plutôt que de travailler dans l’espace.

Enormément de choses sont à faire, et notamment dans le domaine de la formation auprès des professionnels qui ne connaissent pas tout. A titre d’exemple, dans un établissement de personnes âgées, je voyais une personne qui faisait des allers-retours toute la journée entre une lampe sur un mur et sa porte de chambre. Le médecin m’a dit qu’elle avait la maladie d’Alzheimer et qu’on ne pouvait plus rien pour elle. Ce à quoi je lui ai répondu de constater que cette personne se dirigeait vers la lumière, qui est un mécanisme psychologique classique, mais cela l’emmène dans un mur, et quand elle veut rentrer instinctivement dans sa chambre pour se réfugier, elle se trouve face à une porte en renfoncement, dans le noir et peinte en marron foncé. Il a suffit d’enlever la lumière sur le mur, de mettre une lampe au-dessus de la porte et de peindre la porte en claire pour que la personne arrête instantanément sa désorientation.

Page 51: Concevoir une ville pour tous - Courrier des maires › wp-content › uploads › 2013 › 09 › conf...12 « Concevoir une ville pour tous » Pour y parvenir, nous devons respecter

51« Concevoir une ville pour tous »

Aujourd’hui, combien de professionnels savent qu’on peut travailler l’espace de façon aussi subtile ? La relation entre les médecins et les architectes est, pour l’instant, presque nulle.

7 - Réalisations exemplaires : existe-il une ville que nous pourrions prendre en modèle du point de vue accessibilité ?

M. Aragall : De la même manière que les supermen n’existent pas, il n’existe pas une ville parfaite, et heureusement. Il y a beaucoup de choses à apprendre dans tous les endroits du monde.

Partout, il y a des situations, des environnements et des produits exemplaires.Il ne faut pas vouloir reproduire ce que fait une ville. Une ville danoise a essayé de faire comme à Barcelone. Or, le Danemark n’a pas le même climat, et pas le même contexte social.

Pour ce qui concerne la concertation, les associations sont très importantes pour connaître les gens, mais quand je réalise un projet, je ne travaille jamais avec les associations, mais avec des personnes handicapées. En effet, aucune association ne peut me dire que tous les aveugles ont besoin de telle chose. Chaque personne aveugle a ses besoins, chaque dyslexique a sa propre interprétation du terme dyslexie.

Quand je réalise un projet où le tactile est très important, j’essaie de travailler avec une personne aveugle. Si c’est un artiste aveugle, c’est encore mieux parce que

c’est une personne sensible.S’il s’agit de prendre des choses et de les mouvoir, j’essaie de trouver une personne atteinte d’arthrose.C’est ainsi qu’on arrive à s’approcher de l’excellence.

M. Saby : En complément, d’un point de vue franco-français, un recueil de belles pratiques (parce que l’esthétique est important dans le design for all) et de bons usages devrait être lancé. Le courrier vient d’être signé par le ministre en début de semaine et j’ai officiellement le droit de vous l’annoncer ce soir. Donc, d’ici la fin de l’année, nous devrions pouvoir recueillir un certain nombre de choses qui se font un peu partout en France, et notre ministère sera à la manœuvre pour capitaliser tout cela, analyser et trier le bon grain de l’ivraie.

Et d’un point de vue plus international, au niveau du CERTU, une étude va paraître avant l’été sur un recueil de bonnes pratiques dans 11 villes européennes où nous avons pioché des idées. Je vous invite à en prendre connaissance.

Page 52: Concevoir une ville pour tous - Courrier des maires › wp-content › uploads › 2013 › 09 › conf...12 « Concevoir une ville pour tous » Pour y parvenir, nous devons respecter

52 « Concevoir une ville pour tous »

Conclusion : Florent Pigeon

Ces débats correspondent à une certaine idée que nous nous faisons, autour de Maurice VINCENT, de Saint-étienne qui doit devenir une ville laboratoire, une ville où l’on expérimente, une ville où l’on ose faire les choses différemment parce que nous en avons les moyens et la richesse humaine.

Les échanges qui ont eu lieu ce soir démontrent, sans aucun doute, la capacité que nous avons à faire évoluer les choses de cette manière, en expérimentant, en discutant, en échangeant.Cela contredit sans doute le dogme qui dit qu’il faut que la programmation soit bien faite et qu’ensuite les professionnels travaillent. Plus j’avance, plus j’ai envie de continuer à échanger tout au long du projet. Evidemment, une fois que les pelleteuses sont sur le chantier, il faut savoir s’arrêter.

J’aurais du mal à ne pas faire référence au projet qui nous occupe beaucoup aujourd’hui, de façon collective, à savoir le projet Cœur de Ville. Si je veux évoquer ce projet, c’est parce que j’ai reconnu un certain nombre d’éléments fondamentaux qui ont été exposés ce soir et qui sont au cœur de nos préoccupations. Beaucoup de villes se préoccupent de leur cœur de ville, car c’est le lieu où les choses se concentrent : l’économie, les écoles, la mairie, les espaces de fête, les espaces de rassemblement, et finalement toute l’activité économique et sociale. Paradoxalement, beaucoup de villes européennes ont des cœurs de ville qui souffrent, qui se désertifient, peut-être parce que pour absorber tous ces grands moments de la vie d’une cité, ils ont perdu en qualité résidentielle.

Donc, la paupérisation des centres villes n’est pas purement stéphanoise, c’est une réalité dans bien d’autres lieux. A titre personnel, je peux témoigner que 20 % des logements sont vacants dans mon propre quartier, à deux pas de la place Jean-Jaurès.

Donc, nous avons souhaité que cette question soit au centre de nos préoccupations, et nous en avons d’autres dans le même temps. C’est ainsi que nous devons faire face à la question de la mise aux normes de l’accessibilité pour tous – excusez-moi de le formuler ainsi, mais cela nous est présenté de cette façon par le législateur.

Page 53: Concevoir une ville pour tous - Courrier des maires › wp-content › uploads › 2013 › 09 › conf...12 « Concevoir une ville pour tous » Pour y parvenir, nous devons respecter

53« Concevoir une ville pour tous »

Par ailleurs, notre ville, malgré une deuxième ligne de tramway, perdait année après année en fréquentation dans ses transports en commun.Ce sont trois problématiques importantes : une ville accessible pour tous, la question de développement durable avec les transports en commun, une ville qui doit redevenir attractive.

Plutôt que de traiter ces questions les unes après les autres, nous avons souhaité embrasser toutes ces problématiques. Cela nécessite beaucoup de matière grise, et les équipes qui nous entourent – je fais référence à l’équipe Obras partiellement représentée ce soir - associent souvent des psychologues, des sociologues, des gens qui réfléchissent à bien d’autres choses que l’aménagement urbain. C’est indispensable parce qu’une ville est un objet complexe, vivant et nous ne pouvons pas la traiter de manière trop technique.

Le simple fait de décider politiquement que notre cœur de ville doit devenir, non pas un espace piéton, un espace réservé à une catégorie de personnes, mais un espace partagé, un lieu où tous les usages doivent savoir-vivre ensemble, avec un ordre de priorité allant du plus fragile au plus puissant (piéton, vélo, tramway, bus et quelques voitures encore autorisées à fréquenter cet hyper centre), donc le simple fait de décréter cela nous a permis cette année de constater une hausse de 6 % dans les transports en commun. Ceci améliore la rentabilité de notre réseau de transports en commun, ce qui n’est pas un mal dans un contexte où les finances publiques doivent être surveillées de très près.

Au-delà de cela, ce qui nous intéresse, c’est d’être en situation de proposer aux Stéphanois un hyper centre ville accessible à tous, où les bordures de trottoir n’existeront plus, où tout ce qui constitue un obstacle à la perception visuelle n’existera plus. évidemment, ceux qui parmi nous ont des problèmes pour se mouvoir bénéficieront en premier lieu de ces aménagements, mais sur cet espace nous pourrons enfin lâcher la main de nos enfants sans risquer de les voir confrontés à un accident de la circulation. C’est bien là l’essentiel pour nous, avoir un espace généreux qui, au-delà du fait qu’il traitera la fameuse question de la mise aux normes, deviendra beacoup plus agréable à vivre.

Page 54: Concevoir une ville pour tous - Courrier des maires › wp-content › uploads › 2013 › 09 › conf...12 « Concevoir une ville pour tous » Pour y parvenir, nous devons respecter

54 « Concevoir une ville pour tous »

Notes :

Page 55: Concevoir une ville pour tous - Courrier des maires › wp-content › uploads › 2013 › 09 › conf...12 « Concevoir une ville pour tous » Pour y parvenir, nous devons respecter

55« Concevoir une ville pour tous »

Page 56: Concevoir une ville pour tous - Courrier des maires › wp-content › uploads › 2013 › 09 › conf...12 « Concevoir une ville pour tous » Pour y parvenir, nous devons respecter

Cré

atio

n e

t co

ord

inat

ion

: d

irec

tion

Co

mm

un

icat

ion

po

ur

la m

issi

on

Han

dic

ap •

Ach

evé

d’im

pri

mer

: n

ovem

bre

201

1.