Compte-rendu d’un groupe de travail

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pOUr Un enSeignemenT pAr LA recherche Compte-rendu d’un groupe de travail Didier LEsEsvrE sun Yat-sen university Tangjiawan, Zhuhai, guangdong, Chine (rPC) school of mathematics (Zhuhai) [email protected] REPERES - IREM. N° 121 - octobre 2020 matiques pourrait tirer des activités et du fonc- tionnement du monde de la recherche. L’enseignement supérieur des mathématiques en france, forgé depuis l’université impériale sur le modèle des classes préparatoires et des corps techniques, se focalise sur le développe- ment d’une culture érudite et d’une virtuosité technique. Cependant, les objectifs des étu- diants de classe préparatoire ne sont pas ceux des étudiants de l’université, et il est nécessai- re de prendre en compte ces différences. il Introduction Deux mondes : l’enseignement et la recherche il existe deux mondes à l’université, qui se côtoient à nos yeux sans guère se voir : celui de la recherche et celui de l’enseignement. Leurs objectifs sont différents ; les compé- tences et priorités pour l’un ne le sont pas pour l’autre. Toutefois, ces deux mondes transverses demeurent deux pratiques d’une même disci- pline, l’un explorant et l’autre enseignant les mêmes concepts et idées. Cela mène à s’inter- roger sur ce que l’enseignement des mathé- 45 résumé. nous proposons une séquence pédagogique d’un semestre qui permet de mêler appren- tissage et recherche dès les premières années d’université. Cette approche s’est révélée capable de développer de nombreux savoir-faire et savoir-être nouveaux et fondamentaux pour le futur mathé- maticien comme pour le futur ingénieur ou responsable, constituant ainsi une démarche pertinen- te pour la formation en mathématiques à l’université. Par-delà une discussion théorique de cette approche inductive et expérimentale, s’appuyant fortement sur les recherches récentes en pédagogie et en didac- tique, cet article présente le compte rendu d’un groupe de travail suivant ce modèle qui a eu lieu en 2019 à l’université sun Yat-sen, en Chine, mêlant étudiants de licence et chercheurs. Ce texte est également consultable en ligne sur le portail des irem, onglet : repères irEM http://www.univ-irem.fr/

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pOUr Un enSeignemenT

pAr LA recherche

Compte-rendu d’un groupe de travail

Didier LEsEsvrE

sun Yat-sen university Tangjiawan, Zhuhai, guangdong,

Chine (rPC)

school of mathematics (Zhuhai) [email protected]

REPERES - IREM. N° 121 - octobre 2020

matiques pourrait tirer des activités et du fonc-tionnement du monde de la recherche.

L’enseignement supérieur des mathématiquesen france, forgé depuis l’université impérialesur le modèle des classes préparatoires et descorps techniques, se focalise sur le développe-ment d’une culture érudite et d’une virtuositétechnique. Cependant, les objectifs des étu-diants de classe préparatoire ne sont pas ceuxdes étudiants de l’université, et il est nécessai-re de prendre en compte ces différences. il

Introduction

Deux mondes : l’enseignement et la recherche

il existe deux mondes à l’université, qui secôtoient à nos yeux sans guère se voir : celuide la recherche et celui de l’enseignement.Leurs objectifs sont différents ; les compé-tences et priorités pour l’un ne le sont pas pourl’autre. Toutefois, ces deux mondes transversesdemeurent deux pratiques d’une même disci-pline, l’un explorant et l’autre enseignant lesmêmes concepts et idées. Cela mène à s’inter-roger sur ce que l’enseignement des mathé-

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résumé. nous proposons une séquence pédagogique d’un semestre qui permet de mêler appren-tissage et recherche dès les premières années d’université. Cette approche s’est révélée capable dedévelopper de nombreux savoir-faire et savoir-être nouveaux et fondamentaux pour le futur mathé-maticien comme pour le futur ingénieur ou responsable, constituant ainsi une démarche pertinen-te pour la formation en mathématiques à l’université. Par-delà une discussion théorique de cette approcheinductive et expérimentale, s’appuyant fortement sur les recherches récentes en pédagogie et en didac-tique, cet article présente le compte rendu d’un groupe de travail suivant ce modèle qui a eu lieu en2019 à l’université sun Yat-sen, en Chine, mêlant étudiants de licence et chercheurs.

Ce texte est également consultableen ligne sur le portail des irem, onglet : repères irEM http://www.univ-irem.fr/

équipe, ou encore la prise de décisions. Ces com-pétences sont évidemment hors du cadre de laformation en classes préparatoires compte tenude l’aspect purement technique des concours.néanmoins, ces savoir-faire et savoir-être noussemblent pertinents pour faire partie intégran-te de la formation en mathématique à l’universitéau même titre que les connaissances discipli-naires, y amenant une diversité à la fois utileet nécessaire. Ces compétences sont fonda-mentales et partie intégrante de la pratiquescientifique. De plus, de nombreux étudiants deces filières auront un avenir dans le monde del’entreprise, l’industrie, le conseil ou le mana-gement, et tous ces domaines sont des mondesoù la capacité d’initiative, la prise de décisionset le travail d’équipe sont cruciaux et valorisés.

Par ailleurs, le monde de la recherche resteun temple dont les portes demeurent ferméesaux profanes : si les activités de vulgarisationscientifique, les séminaires et les revues culturellesne manquent pas, la réalité du terrain et de lapratique de la recherche restent impénétrables.Les enseignants à l’université ne sont guèreplus des chercheurs une fois devant leurs classes,l’interface entre les étudiants et le monde de larecherche n’existe pas. Pourtant l’universitédevrait être le lieu privilégié de contact entreles étudiants et la recherche, à l’image du mondeanglo-saxon où les opportunités de mener desactivités de recherche sont plus systématiquesdès les premières années de l’université, commeen témoignent les séminaires étudiants ou lesrevues qui leurs sont destinées. Cette distancemène à une incompréhension du fonctionnementde la recherche induisant en particulier uneperte de crédit et de poids social pour les cher-cheurs ; et un désarroi plus grand pour lesjeunes étudiants en thèse, abandonnés à eux-mêmes aux portes de l’inconnu. Cette incom-préhension et cette peur induisent une fortereproduction sociale dans le monde acadé-mique, alors que les composantes de recherche

n’est pas raisonnable de suivre un même modè-le pour des formations aux finalités et aux tem-poralités différentes ; cela ne fait que contribuerà la dévolution de la qualité des enseignementsà l’université et à l’apparence d’un systèmeredondant mais à deux vitesses. Les étudiantsde classes préparatoires sont armés pour desconcours et formés à la résolution en duréelimitée de problèmes bien formatés. Les cha-pitres sont fragmentés pour pouvoir dispenserl’enseignement nécessaire dans toutes les direc-tions possibles, abordant tous les sujets demanière fonctionnelle et efficace, au point quecertains professeurs affichent un syllabus de cin-quante chapitres pour une année de classe pré-paratoire. Ces choix permettent à la fois une gran-de culture et une grande capacité technique, toutesdeux fondamentales en mathématiques et dansleurs applications : nous soulignons que notrepropos n’est pas ici de remettre en question cesystème. Toutefois cette orientation se fait,comme tout choix, au détriment d’autres aspects.il est notamment flagrant de constater quel’enseignement en écoles d’ingénieurs ou de com-merce, débouchés naturels des classes prépa-ratoires, se fait de manière radicalement diffé-rente, comme si la virtuosité des préparationnairesn’avait de raison d’être que la réussite auxconcours. force est alors de constater que l’uni-versité peut et devrait peut-être faire le choixde la différence : la raison d’être de cet articleest de rappeler que d’autres portes demeurentouvertes pour l’enseignement universitaire etméritent examen.

Parmi les compétences ignorées dans l’ensei-gnement actuel des mathématiques en classespréparatoires ou à l’université se trouvent de nom-breux aspects propres au monde de la rechercheet à l’éthos professionnel des chercheurs, ainsil’exercice de l’esprit critique, le développe-ment de la curiosité, l’habitude de l’explorationbibliographique, la capacité de gestion de pro-jets à long termes, la découverte du travail en

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se développent à grande vitesse dans toutes lesbranches du monde professionnel. De plus, lesdirecteurs de thèse eux-mêmes sont souventbien peu conscients du monde nouveau queleurs étudiants doivent découvrir, démunis deplan de formation aux compétences utiles, sinonnécessaires, au chercheur. une ouverture plussystématique au monde de la recherche permettraitainsi non seulement meilleure préparation aumonde professionnel, mais aussi une réelle for-mation des chercheurs.

Certaines initiatives, ainsi La Main à laPâte devenue la norme dans l’enseignementprimaire, les expériences épistémologiques deLakatos dans l’enseignement secondaire oul’association Maths.en.Jeans dans certainslycées, proposent de telles activités d’initia-tion à la recherche et d’approche plus inducti-ve des savoirs, se concentrant sur la démarched’investigation et l’implication active des étu-diants. Toutefois, ces activités restent à la margede l’enseignement, ces modules parascolairesne rentrant jamais à part entière dans la formation,et demeurent quasiment inexistantes dans lemilieu universitaire. La recherche en didac-tique, en pédagogie et en sciences cognitives fleu-rit, regorge toujours plus d’expériences lucideset de constats flagrants sur la nécessité de réfor-mer les méthodes d’enseignement, mais leursapplications n’en sont pourtant qu’à leurs bal-butiements, en particulier à l’université. nousabondons dans le sens de telles initiatives et pro-posons ici une activité d’investigation et d’appren-tissage par la recherche, pouvant être intégréeà un cursus de premier cycle universitaire.alors que les lycées sont contraints par les pro-grammes, que les classes préparatoires ne peu-vent être un terreau fertile pour la recherche péda-gogique, et que les concours généraux et autresolympiades sont réservés à une élite, l’univer-sité apparaît comme le lieu idéal pour se démar-quer de telles normes et proposer un ensei-gnement plus novateur.

Le problème des puissances croissantes

L’objectif de cet article est de proposerune approche nouvelle de l’enseignementdes mathématiques universitaires, permet-tant de développer des connaissances éru-dites mieux maîtrisées tout en apportant devéritables compétences propres à la démarched’investigation et de recherche. il ne s’agiten aucun cas de proposer un changement desystème d’enseignement des mathématiquesà l’université, mais bien de suggérer la miseen place de certains modules ayant un fonc-tionnement différent avec des fruits simi-laires en termes de connaissances mais unevéritable plus-value en termes de compé-tences transverses, contribuant ainsi à une for-mation plus riche.

La psychologie cognitive contemporaine nouspermet de comprendre l’apprentissage commeun processus actif plutôt qu’une simple trans-mission de connaissances. il est important dedévelopper dès les premières années d’univer-sité une autonomie et une profondeur de com-préhension allant au-delà de la simple mémo-risation. un tel objectif exige la création deconnexions nouvelles entre savoirs et méthodesainsi que la mise en contact avec des situa-tions inédites. Le module proposé s’articuledonc autour d’un problème mathématique pré-cis, fil conducteur et moteur de l’étude. La for-mulation de ce problème est accessible sans lemoindre bagage technique bien que les direc-tions de résolution ne soient pas évidentes,situation archétypique de la théorie des nombreset plus généralement des mathématiques :

Existe-t-il un entier s ≥ 1 tel que tout nombre naturel suffisamment grand s’écrive sous la forme

(1) , avec x2, ..., x

s∈ N ?

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Cette question, connue comme le problè-me de Waring pour les puissances croissantes,est l’un des résultats auxquels s’est attaquée lathéorie analytique des nombres pendant le XXe

siècle. Ce problème est abordé par une métho-de classique due à Hardy et Littlewood : la métho-de du cercle. La mise en œuvre de cette métho-de requiert de nombreux arguments et outils,tous accessibles dès la première année d’uni-versité, mettant en jeu dénombrement, analy-se réelle, arithmétique modulaire, intégrationet analyse de fourier. L’objectif premier resteainsi fondé sur un objectif académique classique,celui d’apprendre la méthode du cercle, qui seratoutefois prétexte à explorer de manière trans-versale de nombreux autres champs mathé-matiques.

De plus, ce module permettrait d’amenerles étudiants à se mettre en position de chercheurs-apprenants, d’exégètes de textes scientifiques,visant une compréhension profonde allant au-delà de la seule lecture, qui ne serait que limi-tée à vérifier passivement les calculs, à lesrecopier sans pouvoir les adapter. La lecture visée,inductive, à rebours de l’écriture et en phase avecle déroulement de l’activité de recherche, per-met de dégager de nombreux principes géné-raux concernant la méthode du cercle. Ces prin-cipes permettent de prendre du recul sur lesméthodes et outils utilisés, servant ainsi tant àapprendre une théorie nouvelle qu’à consoliderles acquis précédents. Plus généralement,l’affrontement de situations inconnues susciteune attitude proactive face aux textes scienti-fiques, aux difficultés ou concepts nouveaux.La passivité des apprenants est un fléau del’enseignement des mathématiques, nourrie parle mythe qu’il suffirait d’expliquer pour que lesélèves apprennent, de transmettre pour qu’ilscomprennent. il y a déjà un siècle, Jean Piagetmontrait que le savoir est construit et non reçu,l’activité de l’individu étant indispensable pourse l’appréhender. L’approche proposée met les

étudiants en situation constante d’utilisationdes connaissances, leur donnant vie, nécessitantune posture active, une attitude nouvelle.

Ce module est ainsi articulé autour d’unemission inédite cherchant à assurer ce chan-gement d’attitude : celle d’adapter la métho-de du cercle, que l’on apprendrait de maniè-re livresque aussi rapidement qu’on l’oublieraitdès l’examen achevé, à une légère variationdu problème de Waring pour les puissancescroissantes :

Existe-t-il un entier s ≥ 1 tel que tout nombre naturel suffisamment grand s’écrive sous la forme

(2) , avec x2, ..., x

s∈ N ?

il s’agit du problème des puissances crois-santes paires. Cette variation ne change en rienl’applicabilité de la méthode étudiée dans le casdu problème de Waring classique et ses diffé-rentes étapes, de sorte que le niveau de diffi-culté ainsi que l’autonomie requise des étu-diant restent raisonnables. De plus, de tellesvariations sont légion et sont une intarissablesource de tels projets originaux. Cependant,l’adaptation à une telle variation inédite serévèle impossible sans avoir fait l’effort dedigérer suffisamment les arguments des articlesoriginaux. C’est cette démarche par essais et erreurset cette confrontation aux situations inédites quisont fondamentales épistémologiquement,comme l’a déjà souligné Lakatos, et qui sontla base d’un apprentissage par la pratique.

nous faisons dans cet article le bilan del’importance épistémologique de cette approche,de l’utilité sociologique de démystifier l’acti-vité de recherche, mais aussi de l’efficacitépédagogique et méthodologique d’une telleactivité d’investigation ainsi que son applica-bilité à l’enseignement supérieur.

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organisation de l’article

La première section de l’étude est dédiéeà une esquisse théorique de la méthode ducercle et à la structure du groupe de travail, demanière à fournir les clés nécessaires au lecteur :une démarche éminemment spiralaire permetde dégager les limites de chaque article à la lumiè-re du suivant, et souligne les améliorations suc-cessives pouvant être résumées en une métho-de nouvelle ou un résultat particulier. De plus,la lecture d’articles de recherche authentiquesdemande une véritable compréhension deschoix qui sont faits dans les méthodes utiliséesainsi que dans les calculs réalisés. Ce défi ainsique le problème de recherche inédit passent doncpar une démarche d’investigation, d’essais etd’erreurs, rendant facile la participation de cha-cun à travers des tâtonnements à faire chez soiainsi que des discussions pendant les classes,suscitant l’implication de tous.

nous dressons dans la section suivantele bilan des compétences qui nous sont appa-rues être le fruit d’une telle activité. nous sui-vons les propositions des travaux récentsconcernant l’évaluation des étudiants et for-mulons précisément les compétences déve-loppées par ce module en se fondant sur lesretours d’expérience et les difficultés ren-contrées par les étudiants. nous établissons desniveaux de maîtrise pour chaque compétenceidentifiée. une telle évaluation par compé-tences permet d’y associer l’étudiant toutcomme ses camarades, en faisant un outil deprogression et non plus seulement de chiffra-ge. une telle démarche permet ainsi de mettreen place une grille de lecture pour de telles acti-vités d’introduction à la recherche.

La dernière section, plus technique, maispouvant être comprise dans sa structure sans avoirà affronter les calculs, fait un bilan plus détailléde certaines séances du groupe de travail. Elle

présente le calendrier précis des sessions, dis-cutant quatre moments différents de la démarche,ayant permis de dégager une compréhension tech-nique passées sous silence dans les articles étu-diés. Cela est l’occasion de souligner le dérou-lement dialectique émergeant naturellement ducontact avec une situation inédite et de la struc-ture de projet de groupe.

remerciements

nous tenons à remercier Kuan Chan ieonget Xiao Xuanxuan, sans qui ce groupe de tra-vail et cette expérience pédagogique n’auraientpu prendre place, ainsi que les trois étudiantsqui ont participé assidûment pendant toute ladurée du projet. Par ailleurs, le format de cegroupe de travail est né des pratiques obser-vées dans l’équipe d’Harald Helfgott à göt-tingen, en allemagne, que nous tenons à hono-rer ici. après ces premiers pas dans le mondede la méthode du cercle, le groupe de travaila grandement profité des lumières apportéespar Jörg Brüdern sur le sujet. Enfin, nousremercions les relecteurs pour leurs com-mentaires constructifs ayant permis d’amé-liorer la lisibilité de cet article.

Cadre de l’étude

nous commençons par une introductionde la méthode du cercle, avant de présenter lecorpus choisi et les directions d’étude. Lesdétails techniques et le déroulement de cetteétude sont essentiellement relégués à la der-nière section.

Méthode du cercle

L’une des idées centrales de la théorie ana-lytique des nombres est de remplacer l’étude d’unequantité arithmétique ou géométrique par celled’un objet analytique contenant autant d’infor-mations. C’est par exemple le cas en considé-

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rant sa fonction génératrice de fourier définiepar, en posant e(x) = exp (2iπx),

ƒ(𝛼) = r(n)e(n𝛼)

ainsi, la quantité recherchée est le coeffi-cient de fourier

r(n) = ƒ(𝛼)e(–n𝛼)d𝛼 (*)

introduisons l’ensemble K des puissancesapparaissant dans le problème considéré, ainsiK = {2, 3, …, s} dans le cas des puissances crois-santes (1), et K = {2, 4, …, 2s} dans le cas despuissances croissantes paires (2). notons r(n)le nombre de manières de représenter n∈N sousla forme (1) ou (2), de sorte que la question estd’assurer qu’il existe un s ≥ 1 tel que r(n) > 0pour n ∈ N suffisamment grand.

une méthode systématique est de considérerles fonctions génératrices définies par, pourtout k ∈ K,

ƒk(𝛼) = e(𝛼xk), 𝛼 ∈ R

La fonction ƒ = ƒk

apparaît comme

la fonction génératrice des r(n). En effet, en déve-loppant et en regroupant les sommes de puis-sances donnant la même valeur,

ƒ(𝛼) = e(𝛼( )) =

= r(m)e(𝛼m) + …

Cela donne une formulation analytique der(n), quantité a priori éminemment arithmétique.il reste à comprendre suffisamment ƒ pour esti-

an>0

#1

0

axk<nx Hn

q kHK

qkHK

x22 1 x33 1 ... 1 xss

am<n

mer l’intégrale (*). La fonction est une sommed’exponentielles, et de telles sommes sont par-ticulièrement grandes lorsque 𝛼 est proche derationnels a/q à petits dénominateurs, ce quis’observe par exemple numériquement.

figure 1 - Comportement typique d’unefonction similaire à ƒk Les valeurs les plusélevées sont représentées en noir, puis enbleu, etc. on constate que la valeur la plusélevée est atteinte en 1, puis la deuxième

en 1/2, puis en 1/3 et 2/3, etc.

Cela motive le découpage du segment [0,1]en voisinages de ces rationnels à petits déno-minateurs. introduisons des paramètres entiersY > X ≥ 1 et 1 ≤ a ≤ q ≤ X où PgCD(a,q) = 1.Définissons l’arc majeur autour de a/q commel’ensemble des points du segment [0,1] suffi-samment proches de a/q, plus précisément :

𝔐(q, a) =

L’ensemble des arcs majeurs est la réunionde ces arcs pour q ≥ X, autrement dit :

ea H 30,1 4 : ` a 2 a

q` # 1

qYf

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La motivation pour cette définition préci-se des arcs majeurs est dévoilée dans la dernièrepartie de cet article, comme l’un des fruits dugroupe de travail. on définit l’ensemble des arcsmineurs comme le complément de ces arcsdans le segment [0,1], c’est-à-dire

𝔪 = [0,1] – 𝔐 .

Corpus de l’étude

Depuis les premiers pas de la méthodedu cercle au XXe siècle, une vaste littératurea été publiée concernant le problème deWaring et ses généralisations telles celleconsidérée ici. L’ouvrage principal sur laméthode du cercle est le livre de vaughan,dont la première vingtaine de pages est suf-fisante pour comprendre la méthode ducercle et son application au problème deWaring de manière autocontenue. Cela en faitune base théorique tout adaptée et en phaseavec le contenu académique d’un cours demathématiques à l’université.

une fois les bases théoriques et les idéesde la méthode du cercle comprises, tous les outilssont disponibles pour s’attaquer aux diffé-rents travaux de recherche traitant du problè-me des puissances croissantes. Ces brefs arti-cles couvrent un demi-siècle d’aventuresmathématiques et sont dus à roth, Thani-gasalam, vaughan, Brüdern et ford. Ce der-nier a obtenu les meilleurs résultats actuels surle sujet, avec la valeur s = 15. Ces articles sontde plus suffisamment proches du cadre présentédans le livre de vaughan pour susciter une fami-liarité avec le sujet. Les améliorations durésultat sont dues à un progrès technique trèslocalisé sans que le reste de la preuve ne chan-ge de manière significative, aidant à la navi-gation et à la comparaison entre les articles,suscitant ainsi une véritable dialectique entreles différents cadres.

L’étude de tous ces articles n’est bienévidemment pas nécessaire compte tenu de leurforte proximité, et nous avons opté pourl’étude d’un article ancien et très proche deprésentation du livre de vaughan, à savoirl’article de Thanigasalam qui est déjà suffi-sant pour une première manipulation desoutils et leur adaptation à notre cas inédit despuissances paires ; puis l’étude de l’un des der-niers articles en date, le premier article de ford,permettant d’atteindre essentiellement l’étatde l’art actuel.

ainsi, plutôt qu’une avalanche théorique,nous adoptons une approche spiralée, privilé-giée par les pédagogues et cognitivistes contem-porains, trop peu présente dans les enseignementsuniversitaires. outre les synthèses régulières etles raffinements successifs permis par une tellestructure, il est important de garder à l’esprit unaspect psychologique important : le sentimentde décrochage touche beaucoup d’étudiantsqui, très souvent, se retrouvent condamnés parce désarroi. La structure spiralaire de ce corpusest alors l’occasion de recommencer l’étudedu même sujet régulièrement, redonnant sachance à chacun. outre l’acquisition de connais-sances nouvelles, ce corpus permet donc aux étu-diants de s’investir de manière participative etde se mesurer aux dimensions alors inconnuesde la démarche scientifique.

Pythagorisme et exégèse

Dès les premières lectures des articlesdu corpus transparait une certaine obscurité,non pas des arguments mathématiques maisdes choix réalisés dans la démarche, que l’onpourrait qualifier de pythagorisme. L’écritu-re scientifique est parfois faite de sorte à nela réserver qu’aux seuls initiés, fermant laporte aux profanes n’ayant pas eu encadrantset directeurs de thèse spécialistes leur donnantles clés de lecture adéquates. La présenta-

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tion des résultats est sèche et efficace, déduc-tive plutôt qu’inductive, bien loin de toutobjectif pédagogique, ne mentionnant en rienla démarche de compréhension et de matura-

tion des idées. ainsi, regardons par exempleles premières pages de l’article de Thaniga-salam, qui est par ailleurs limpide dans ses argu-ments et particulièrement détaillé.

figure 2. introduction de quantités et de choix de constantes dans l'article de Thanigasalam.

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La lecture de telles pages est déjà rebu-tante. Cette observation apporte une clé surles documents à produire pendant ce groupede travail, motivant et dessinant petit à petitles objectifs finaux : il faut que la rédactionsoit claire et lisible, que les choix soient jus-tifiés et compris. on écrit pour être lu et c’estlà un fait important qui change la manière d’écri-re sauf lorsque, comme dans le cas d’articlesde recherche, on ne s’adresse qu’aux experts.La lecture de ces quelques lignes demanded’emblée un changement d’attitude : l’incom-préhension doit susciter la curiosité plutôtque la démotivation, apporter une myriadede questions face à ces choix arbitraires quiresteront tout au long de l’article sans aucu-ne justification ni raison apparente : pour-quoi la borne inférieure dans la somme ƒn ?pourquoi toutes ces quantités qui n’apparais-sent pas naturellement même en connaissantla méthode du cercle ? pourquoi considérer Wplutôt que la fonction génératrice habituelle ?pourquoi un traitement particulier de ƒ20 ?pourquoi le choix pourtant crucial de X = n 4/5 ? de Y = n 14/71 ? pourquoi ce u ?

ce choix de K1? Cette numérologie demeureraune frustration tout au long de l’article, et netrouvera jamais de justification ni ici ni ailleurs,hormis auprès de la dizaine de spécialistes dusujet dans le monde qui auront su, d’unemanière ou d’une autre, lire entre les ligneset reconstruire la démarche non dévoilée.

il y a donc ici déjà une attitude qui doit naîtreface au document : l’esprit critique, la curiosi-té, le questionnement sans répit. Loin de lavictimisation culpabilisée de l’étudiant quipense qu’il n’est pas à sa place, il doit apprendreque ses questions sont normales et constructives,que c’est le sens de l’étude que de commencerpar ne pas comprendre, et la seule voie vers uneplus grande compréhension. Le professeur doitlui aussi faire partie de cette recherche : il necomprend pas non plus car, à la seule lecturede ces lignes, rien ne justifie ces choix, mais cesraisons existent vraisemblablement et c’est lamission du lecteur d’en comprendre le détail :c’est le début d’une quête d’investigation. Ladémarche proposée par ce module s’apparen-te donc aux « situations-problèmes » de l’école

figure 3. introduction de quantités et de choix de constantes dans l'article de Thanigasalam.

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primaire, rendant l’étudiant actif et expéri-mentateur. Pour reprendre la description luci-de de giordan, il est évident qu’ « organiser letravail scolaire n’a aucun rapport avec la sur-veillance de travaux forcés  » mais que, aucontraire, le rôle de l’enseignant doit être « deconcevoir et de distribuer des tâches qui vontmobiliser les élèves et les confronter à des obs-tacles qu’ils auront envie de vaincre, pas d’esqui-ver ». C’est ainsi un véritable travail deutéro-nomique et exégétique auquel les étudiantssont amenés à prendre part, montrant que le tra-vail même des scientifiques, moines modernes,est de réécrire, digérer, raffiner les connais-sances. La marche de la science se fait parnombreuses petites mains, et il est important desaisir l’ampleur et la réalité de cette entrepri-se. ne pas comprendre redevient la norme,l’effort et l’étude se trouvent enfin réhabilités.

Déroulement du groupe de travail

Le groupe de travail était constitué de troisétudiants en troisième année d’université ainsique trois jeunes chercheurs, dont aucun neconnaissait la méthode du cercle au-delà deson existence. nous espérons que cette expé-rience permettra de poser les premiers jalons d’unmodule original d’initiation à la recherche etd’apprentissage de la théorie analytique desnombres, réalisable par groupes d’une dizained’étudiants pendant un semestre en L2 ou en L3.une telle expérience pourra également donnerdes idées aux écoles doctorales et aux directeursde thèse pour mettre en place des activités deformation pour les apprentis chercheurs.

Le projet s’est déroulé pendant un semestre,de mars à juin 2019, à l’université sun Yat-sen,à Zhuhai, en Chine. il consistait en des séanceshebdomadaires ayant lieu tous les mercredis de16h30 à 18h sous la forme d’un groupe d’étudearticulé autour d’une ou deux présentationscourtes au tableau par séance. Le déroulement

a été structuré en plusieurs phases, chronolo-giquement :

— 4 sessions sur la méthode du cercle, baséessur le livre de vaughan,

— 3 sessions sur l’article de Thanigasalam,

— 3 sessions sur une première adaptation auxpuissances croissantes paires,

— 2 sessions sur l’article de ford,

— 3 sessions sur l’adaptation finale aux puis-sances croissantes paires.

Le contenu peut être aisément adapté auniveau des étudiants et au temps disponible.notamment, d’autres possibilités pourraientêtre d’étudier seulement le livre de vaughan surla méthode du cercle, ou encore de se concen-trer seulement sur une introduction provenantdu livre puis sur le premier essai des puis-sances croissantes dû à roth . Toutefois, leplan ci-dessus s’est révélé bien calibré en termesde temps comme de contenu pour un semestre.

L’objectif du groupe de travail n’était pasde lire linéairement le corpus de manière pas-sive, mais bien d’en améliorer notre compré-hension en adoptant une attitude active de cher-cheur. Par-delà l’objectif de lire le corpusbibliographique et de rattraper l’état de l’art surle problème posé, le but principal était celui decomprendre, menant les étudiants non pas seu-lement à connaître quelques bribes théoriqueset intuitions vagues, mais également à savoir refai-re, adapter à des variations, privilégiant ainsiles strates élevées des classifications modernesdes évaluations de compétences, visant la maî-trise des concepts plutôt que leur étalementsuperficiel. Par ailleurs le fonctionnement en grou-pe est non seulement une source de motivationsupplémentaire mais également un facteurd’apprentissage : cela est l’un des fruits de lathèse socioconstructiviste de vygotski, qui sou-ligne l’importance de l’interaction dans la

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construction de la connaissance, non seule-ment de l’interaction avec le professeur maisaussi et surtout de l’interaction entre différentsapprenants. Cette diversification des compétenceset de leurs niveaux de maîtrise forment unedirection fondamentale que doit prendre l’ensei-gnement pour répondre à une plus grande riches-se des élèves et des corps de savoirs, et surtoutpour intégrer le besoin fondamental d’action desélèves. ainsi que le reconnaît le socle communde connaissances,

« Chaque grande compétence du socle estconçue comme une combinaison de connais-sances fondamentales pour notre temps, decapacités à les mettre en œuvre dans dessituations variées mais aussi d’attitudes indis-pensables tout au long de la vie, commel’ouverture aux autres, le goût pour la recherchede la vérité, le respect de soi et d’autrui, lacuriosité et la créativité. » (socle commun deconnaissances, 2006)

Chaque séance était articulée autour d’unpoint technique spécifique dont l’orateur avaitpour mission de faire l’exégèse, présentant lesidées, les arguments précis, l’insertion dans lecontexte plus large de l’article étudié, et dediscuter des limites et avantages de la métho-de. Cela se faisait notamment à la lumière duprojet inédit proposé : en quoi la méthode est-elle générale ou très spécifique au cas del’article ? peut-on faire des choix différents etcomment s’assurer de l’optimalité de son appli-cation dans l’article étudié ? Les autres membresdu groupe de travail devaient lire les parties pré-sentées avant la session, pour avoir une idée dela démarche et des arguments et pouvoir seconcentrer sur le tout en prenant du recul. untel fonctionnement force une mise en situationautonome des étudiants, ne pouvant se conten-ter de suivre passivement, développant leurconfiance en eux, forçant leur investissementdans la préparation et ouvrant la voie à des

discussions. L’emphase était donnée à la com-préhension des arguments techniques, à leur laplace dans la démarche globale ainsi qu’à la rai-son pour laquelle le choix de méthode étaitprivilégié. Les variations et tentatives de géné-ralisation étaient toujours attendues, vivementencouragées et guidées. La structure des acti-vités proposées étaient ainsi conçue de sorte àfavoriser l’implication des étudiant et l’inter-activité des sessions, mettant ainsi en place uncadre d’expérimentation de groupe.

La mémoire précise de cette étude origi-nale, d’un point de vue pédagogique commesociologique, nous a paru être un élémentimportant. Le groupe de travail a donc étéaccompagné d’un journal d’étude, mis à jouraprès chaque session par un membre autreque l’orateur, où le contenu de l’exposé, lesremarques heuristiques, les difficultés, réflexionset idées ont été consignés. Ce journal étaitalors relu par les autres membres, amendé oucomplété si nécessaire, donnant ainsi un outilde travail complet, personnalisé et adapté auxmembres du groupe. Cette formalisation col-lective a été l’occasion d’un moment systé-matique de synthèse, de bilan des connais-sances acquises et de leurs limites, cristallisantune importante prise de recul réflexive dechacun comme du groupe. Ce journal se révè-le ainsi, tout comme le projet de recherche inédit,comme un « texte intermédiaire » si fondamentalà l’appropriation active des connaissances.

Pluralité des compétences

il nous semble important de synthétiserici les arguments théoriques en faveur de ladémarche adoptée au cours de cette activi-té proposée, identifiants les savoirs, savoir-faire et savoir-être développés par une telleapproche. Ceux-ci se sont dévoilés tout aulong du groupe de travail, dont l’expérien-ce a permis de mettre au jour les besoins, les

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attentes et les compétences nécessaires auxétudiants.

nous soulignons notre attachement à lanotion de compétence, qui permet de rendrecompte des différentes dimensions que nous cher-chons à dégager : l’évaluation doit cesser d’êtrecette vision unidimensionnelle chiffrée à laquel-le on souhaiterait réduire les individus. il estprimordial de rendre l’évaluation multidi-mensionnelle comme le sont les compétenceset comme le sont les étudiants. C’est la raisonpour laquelle nous avons suivi les recomman-dations des évaluations formatives provenantdes études récentes en sciences de l’éduca-tion, visant à faire progresser les étudiants enidentifiant le niveau de maîtrise et en clarifiantles attentes.

Pour chaque compétence identifiée lors dugroupe de travail, nous avons choisi de nous ins-pirer des classifications de Bloom ainsi que deBiggs et Collins en termes de formulation, dequalification du degré de compréhension atten-du ainsi que de critères d’évaluation. nousespérons qu’un tel choix facilitera la lecture descompétences ainsi dégagées, et fera de ce bilanun outil fonctionnel de mise en pratique futu-re. ainsi, pour chaque compétence serontdétaillés :

— un retour d’expérience ;

— la formulation de la compétence identifiée ;

— le niveau de maîtrise attendu ;

— des critères d’évaluation en quatre niveaux :insuffisant, acquis, maîtrisé, surpassé.

L’intégration d’un niveau « surpassé »,correspondant à un étudiant allant au-delàdu niveau décrit dans la compétence, noussemble importante. Cela permet de valoriserle dépassement des critères, toujours limités,de l’évaluation.

une telle segmentation en niveaux paraîtpertinente pour améliorer la lisibilité de l’éva-luation. sa clarté, sa simplicité et sa précisionrendent également possible une auto-évaluationainsi qu’une évaluation par les pairs. Cetteassociation des étudiants à leur propre évalua-tion permet de forcer une posture réflexive etcritique, de nouer un dialogue entre professeuret étudiant concernant les attentes de chacun,et de rendre compte de la progression tout aulong de l’année. L’étudiant est ainsi acteur desa formation comme de son évaluation, lui per-mettant d’embrasser les attentes et de se res-ponsabiliser. une évaluation par compétenceset par niveaux d’attentes permet ainsi de fairede l’évaluation un outil pédagogique, un guidede progression pour l’étudiant, amené à com-prendre les attentes et à gérer ses efforts enayant conscience de ses forces et de ses faiblesses.

savoir-faire

gestion de projet

retour d’expérience. La première difficultése manifestant, compte tenu du format du grou-pe de travail, est celle de la gestion d’un pro-jet à long terme. Le groupe s’attaquant à un pro-blème riche et complexe, il est nécessaired’être capable d’en structurer l’étude en sous-questions autonomes, en étant conscient ducalendrier et des tâches restantes, exigeant defaire des choix. Chaque orateur était ainsi char-gé de réfléchir aux possibles suites à donner àson exposé, présentant différentes pistes pourl’orateur suivant, devant ainsi prendre conscien-ce des difficultés, de la longueur, de la marchegénérale des arguments ; en un mot : êtrecapable de situer la connaissance nouvelledans un cadre global. Chaque phase disposaita priori de quatre semaines allouées, donnantune idée de ce qui était faisable ou non, touten restant adaptable aux envies et besoins.

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Compétence. Prendre des décisions ; organiserun calendrier ; préciser les tâches de chacun.

niveau de maîtrise attendu. Proposition d’unobjectif clair pour l’exposé suivant ; capacitéà estimer le temps et la faisabilité.

Critères d’évaluation. La compétence est

— insuffisamment développée si aucune pro-position n’est faite ou si elle se limite à suivrechronologiquement le texte de manièrenon pertinente ;

— acquise si l’étudiant propose le contenuou la direction avec laquelle poursuivrede manière pertinente ;

— maîtrisée si l’étudiant propose une voiredeux possibilités de continuation en l’insé-rant en perspective dans le projet, appor-tant des délimitations claires et des réfé-rences précises, ayant une idée du contenude sorte à en estimer l’intérêt, la lon-gueur et la difficulté.

Écriture d’un journal de recherche en LaTeX

retour d’expérience. L’écrit comme l’oral doi-vent être réhabilités dans leurs aspects consti-tutifs de l’action, et non plus comme vecteurspassifs de la copie ou de la réponse mécaniqueet limitée à quelques mots : l’appropriation desidées et des connaissances passe par leur for-mulation écrite et orale. Le modèle proposé, arti-culé autour d’un journal, a ainsi créé un cadrede manipulation et de synthèse systématiques,écrit comme oral.

Chacun a dû réfléchir à la manière detenir un journal de recherche, écrire au fur età mesure les difficultés identifiées commecelles qui ont été vaincues, synthétiser lesexposés de ses camarades. Cela nécessite defaire des choix de structuration et d’avoir un

esprit de synthèse, mettant en mots les idéessimples et rendant compte des démarches etdes techniques rencontrées, y compris demanière partielle. il a notamment fallu seconfronter aux codes de la rédaction scienti-fique tant pour le journal que pour le projet final :comprendre les conventions de ponctuation deséquations, de citations bibliographiques, de struc-turation du corps du texte, de l’écriture des intro-ductions, etc. Par ailleurs, cela a été l’occasionpour les étudiants de s’initier à LaTeX, letraitement de texte utilisé par la communau-té des chercheurs en mathématiques, infor-matique et physique. Cette mise en situationremplacerait aisément un cours magistral dou-teux dédié à l’utilisation d’un logiciel de trai-tement de texte.

Compétence. synthétiser les informationsmathématiques ; respecter les conventions derédaction ; utiliser LaTeX.

niveau de maîtrise attendu. résumés contenantl’essentiel des arguments mathématiques desexposés des camarades ainsi que quelquesremarques heuristiques, rédigés dans un fichierLaTeX fonctionnel.

Critères d’évaluation. La compétence est

— insuffisamment développée lorsque denombreux arguments mathématiques sontmanquants ou faux, ou que le fichier LaTeXdysfonctionne ;

— acquise lorsque le contenu des exposés estessentiellement repris dans le documentet que le fichier LaTeX est compilable ;

— maîtrisée lorsque l’étudiant est investi dansla rédaction du journal qui est mis en forme,clair et complet, et qu’il manifeste un tra-vail de synthèse des contenus. il doit éga-lement participer activement à la relectu-re, aux propositions et aux critiques de cequi est rédigé par ses camarades.

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— C’est ici un exemple où le critère « surpassé »trouve une bonne illustration, et pourraits’appliquer à un élève investissant du tempspour développer une maîtrise de biblio-thèques particulières de LaTeX, ainsi Tikzqui permet de dessiner des schémas quiserviraient à illustrer de manière synthétiquela compréhension de certaines preuves oude la démarche globale.

Présentation des exposés

retour d’expérience. Le cœur des sessions dugroupe de travail demeure la présentationd’exposés. Ces exposés sont un défi conséquentpour les étudiants : outre leur aspect tech-nique et leur longueur, ils nécessitent toutd’abord de faire des choix de présentation etde faire preuve d’esprit de synthèse, le tempsimparti ne permettant pas d’exposer tous lesdétails. Ces choix doivent être guidés par unminimum de compréhension globale de lastructure de l’article et de ses nouveautéscomparées aux travaux précédents, nécessi-tant une certain réflexivité permanente surl’état d’avancement de l’étude. De plus,l’exposition orale constitue un exercice à partentière, demandant de vaincre sa timidité,gérer son temps, utiliser l’oral pour faire vivrel’écrit qui n’est alors qu’un support, utiliserl’espace au tableau à bon escient, et être réac-tif et proactif dans sa relation avec l’auditoi-re. Cet exercice, complet et exigeant, est undéfi trop rarement proposé aux étudiants —pour des raisons évidentes de temps et delogistique — mais nécessaire. repousser cettedifficulté à des moments pesants que sont lessoutenances de mémoires de master ou dethèse, qui ont rarement pour objectif princi-pal le développement de ces compétences,crée des situations difficiles à gérer pourl’étudiant. Les exposés réguliers au sein du grou-pe de travail permettent donc de proposer

plus d’opportunités de prises de parole auto-nomes au tableau pour des exposés formels,dans une ambiance moins pesante que celled’une présentation notée, et d’accompagnerles étudiants dans leur progression.

Compétence. Présenter un exposé mathématiqueclair.

niveau de maîtrise attendu. faire des choix deprésentation en cohérence avec son niveau decompréhension et le temps disponible ; parleret écrire distinctement en ayant conscience dela présence d’un auditoire ; gérer efficacementson tableau ; susciter des questions et y appor-ter des éléments de réponse.

Critères d’évaluation. La compétence est

— insuffisamment maîtrisée lorsque l’expo-sé est difficilement intelligible ou queles arguments sont présentés avec unmanque de compréhension ou de cohé-rence évident ;

— acquise lorsque la présentation est faitemais demeure proche de notes écrites, don-nant un exposé plutôt magistral ;

— maîtrisée lorsque les exposés sont clairs etque l’interaction avec le public est fluideet pertinente, notamment concernant laréponse aux questions et la synthèse des idéeset arguments, mais aussi l’alimentation dela discussion avec les camarades concer-nant les parties qui ont été préparées par tous.

Lecture de littérature scientifique

retour d’expérience. un autre aspect conséquentde ce module est la nécessité d’affronter la lec-ture d’articles de recherche. Le livre de vau-ghan est elliptique. La recherche bibliogra-phique parallèle fait donc partie intégrante desactivités de préparation du groupe de travail, etnécessite en particulier d’être capable de se

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repérer dans un article qui n’est pas lu dans sonintégralité. Ces renvois bibliographiques sontune réalité de tout terrain scientifique, et lalecture des articles de recherche ou des ouvragesmathématiques se fait essentiellement de maniè-re non linéaire.

C’est aussi un premier contact avec l’ampleurde la littérature existante, nécessitant de fairele deuil de la maîtrise absolue, illusion classiquedes cours bien ficelés pour un semestre dontla bibliographie est limitée à un polycopiélisible du début à la fin, linéairement et sanszone d’ombre.

La lecture en anglais est également néces-saire, et demeure inévitable dans le milieuscientifique. un niveau d’anglais très élé-mentaire permet de comprendre les articlesmathématiques, dont la syntaxe et le vocabu-laire sont somme toute assez limités. il va sansdire que les lacunes en anglais ainsi que lapeur d’affronter des documents dans cettelangue sont répandues parmi les étudiants demaster et jeunes thésards, et constituent unobstacle conséquent à surmonter. il nous sembleinsensé de ne jamais aborder les deux disciplinesde pair, alors que c’est un besoin des étudiantset un outil incontournable pour la majorité desmétiers scientifiques.

Compétence. Lire des articles scientifiques enlangue anglaise ; être capable de récupérer desinformations et de comprendre la structure d’unarticle de manière ciblée, sans en lire l’intégralité ;être conscient des arguments prouvés et des résul-tats admis.

niveau de maîtrise attendu. Comprendre l’impor-tance des références bibliographiques, déci-dant de la nécessité de présenter ou non une preu-ve, choisissant le niveau de détail.

Critères d’évaluation. La compétence est

— insuffisamment développée si les articlesconnexes ne sont pas consultés, que lespreuves sont présentées en mimant sans com-prendre chaque argument incomplet ;

— acquise lorsque les informations sont recher-chées et identifiées sans être nécessairementremises en contexte ni explorées ;

— maîtrisée lorsque les exposés sont auto-contenus et que les arguments d’autoritébibliographique laissent la place à des idéessimples et claires résumant les preuveslues ailleurs, la recherche bibliographiqueétant réalisée en autonomie et condenséeavec un esprit de synthèse.

Programmation

retour d’expérience. Les articles les plusrécents de ford font appel à des algorithmesnumériques. si ceux-ci peuvent être comprisà la lecture des articles comme des outils exis-tants et explicites, ils doivent nécessairementêtre implémentés lors de l’adaptation au pro-blème inédit proposé. ainsi, cela a été l’occa-sion pour certains d’entre nous de s’initier aulangage informatique Python ou à l’interfacemathématique sage, et d’affronter des pro-blèmes de temps de calcul conséquent néces-sitant de l’optimisation algorithmique. un pre-mier contact avec ces langages de programmationet avec l’interaction possible entre mathéma-tiques théoriques et expérimentation numé-rique est un atout qui devrait être plus systé-matiquement mis en avant dans l’enseignementdes mathématiques, ainsi qu’il le devient en clas-se préparatoire ou à l’agrégation. De plus, desbases de programmation et la capacité de se ser-vir de l’outil informatique pour expérimentersur des théories abstraites et comprendre lalimite des modèles utilisés est un regard critiqueattendu dans de nombreux métiers scienti-fiques et techniques, en phase avec les tech-nologies disponibles.

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Compétence. implémenter de manière simpledes algorithmes donné, en sage ou en Python ;se servir de ces outils comme une base d’expé-rimentation.

niveau de maîtrise attendu. Être capable decoder dans un langage informatique ; expéri-menter et explorer la situation inédite étudiéeen se basant sur le problème initial et lesremarques heuristiques des articles lus ; com-menter le code et vérifier sa correction.

Critères d’évaluation. La compétence est

— insuffisamment développée lorsque l’implé-mentation n’aboutit pas ;

— acquise lorsque l’implémentation est fonc-tionnelle et que la vérification des donnéesfournies dans les articles est réalisée ;

— maîtrisée lorsque l’étudiant est de pluscapable de faire des simulations variées etde présenter des résultats pertinents susci-tant la discussion et contribuant au pro-blème initial.

savoir-être et attitudes

Esprit critique

retour d’expérience. L’esprit critique, érigéen modèle de la pensée scientifique depuisDescartes, est dans cette entreprise assuré parla présence d’un public investi dans le mêmeprojet. Le caractère inédit de la mission évitede se reposer sur un texte déjà écrit que l’on suitpassivement par une certaine paresse intellec-tuelle de vérifier les détails des calculs et argu-ments. C’est en se préparant aux questions dupublic, qui fait office de malin génie cartésien,que l’on doit se conformer au critère d’honnê-teté intellectuelle : il devient nécessaire de seposer des questions sincères sur la raison d’êtredes concepts, la limite des théorèmes, la raisondes choix. Cela n’interdit pas l’incompréhen-

sion, mais exige qu’elle soit déclarée honnête-ment comme telle, permettant de montrer les dif-ficultés et de profiter des points de vue extérieurs.il est ainsi nécessaire de contrôler la validité desarguments, les compléter au besoin, et identi-fier clairement l’importance et la valeur devérité de chaque étape tout en étant conscientde la limite des preuves proposées.

Compétence. Esprit critique ; honnêteté intel-lectuelle.

niveau de maîtrise attendu. Capacité à vérifierles preuves, à discerner les résultats entièrementprouvés des résultats admis ou reposant surdes résultats non compris.

Critères d’évaluation. La compétence est

— insuffisamment développée si le texte et lesarguments ne sont pas appropriés, si lavérification se contente d’être une vaguemimique sans pouvoir répondre à des ques-tions ou vérifier les arguments ;

— acquise lorsque les résultats admis ne sontpas entièrement explorés ou questionnés maisque la démarche est de chercher systéma-tiquement la justification des énoncés ;

— maîtrisée lorsque les vérifications sontfaites, les difficultés déclarées et com-mentées, et les dépendances des résultatsainsi que leur portée et de leurs limitesmises en avant.

Curiosité et investigation

retour d’expérience. À l’inverse de l’aspect for-maté des cours et examens habituels de l’uni-versité, l’activité de recherche est une démarched’investigation, nourrie de liberté, d’essais etd’erreurs. Le problème inédit proposé, véri-table compagnon de l’étude, devient ici lapaillasse d’expérimentation du groupe. il forcedes essais infructueux, instaurant un véritable

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« espace de réflexion inédit » permettant d’iden-tifier les obstacles et de les surmonter, plutôtque d’apprendre à mimer des solutions d’exer-cices stéréotypés. Les étudiants sont amenés àdévelopper de nouveau une certaine impunitéà faire des tentatives, à retrouver une curiosi-té perdue, une âme d’enfant n’ayant plus peurde l’échec nécessaire à la recherche. Cette inci-tation à l’audace et cette désacralisation del’échec est fondamentale et mérite de faire par-tie intégrante des compétences valorisées. sui-vons les mots de grothendieck, qui soulignentjustement que cette audace seule peut mener àla découverte :

« La découverte est le privilège de l’enfant :l’enfant qui n’a pas peur d’avoir une fois deplus tort, de passer pour un idiot, de ne pasêtre sérieux, de ne pas faire les choses commetous les autres. »

Compétence. Être force de proposition ; prendredes risques.

niveau de maîtrise attendu. Capacité à propo-ser des pistes alternatives, à faire des essaisinfructueux mais pertinents, à formuler desidées et pouvoir les explorer formellement.

Critères d’évaluation. La compétence est

— insuffisamment développée si l’étudiantse limite à répéter ce qui est déjà dans letexte, suivant systématiquement les mêmesdémarches, les mêmes calculs, utilisant lesmêmes valeurs ;

— acquise lorsque des idées sont reformu-lées et des tentatives de variations sur descalculs simples sont réalisées ;

— maîtrisée lorsque des propositions sontfaites et explorées pour comprendre leszones d’ombres des articles ou adapterles arguments au cas des puissancescroissantes.

Travail d’équipe

retour d’expérience. Le projet inédit proposéest essentiellement un travail d’équipe, que lespréparations se fassent seul ou en petit groupe.il est important de développer cette conscien-ce de l’équipe : c’est une motivation supplé-mentaire, qui exige aussi un investissementconséquent en communication et en organisa-tion, appelant à assumer des responsabilités, àaffronter une réalité de la vie professionnellede demain.

Ce fonctionnement évite également la solitudesouvent caractéristique des formations scienti-fiques, donnant une réalité sociale, et non plusseulement abstraite, à la pratique mathéma-tique. Travailler à plusieurs présente ses avan-tages tout comme ses inconvénients, requérantde partager sa réflexion, son écriture, sa vision,apprenant à collaborer et à converger vers uneprésentation et un contenu qui conviennent à tous.Cela constitue une véritable gestion de projeten groupe. La recherche reste une activité dis-cursive et communautaire, il est important depréparer les étudiants à cet aspect de collabo-ration et de partage, avec ses aspects positifscomme négatifs, qui sera aussi une expérien-ce bienvenue en entreprise.

Cela soulève aussi le problème du nombred’étudiants admissible pour un tel groupe de tra-vail. un nombre trop élevé de participants estdifficile à gérer, ne pouvant même garantir quechaque étudiant expose plus d’une fois, limi-tant a priori un tel module à une dizaine d’étu-diants. il faut trouver un juste milieu entre laséparation du travail et l’augmentation de la com-plexité de gestion et de communication au seind’une classe de taille croissante. si une orga-nisation en petits groupes permet de partagerles tâches, chacun doit cependant travailler etpréparer par soi-même, comme condition néces-saire à l’épanouissement de la discussion et à

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l’apprentissage de tous. ainsi, un groupe d’unedizaine de personnes semble être une tailleidéale, sans que cela ne condamne la possibi-lité de faire fonctionner le module avec plus,notamment en fonctionnant par petits groupesqui prépareraient ensemble les exposés et se par-tageraient les tâches équitablement. Cela néces-site une plus grande autonomie de la part desétudiants, ou un suivi plus précis de la part duprofesseur pour répartir et contrôler la réalisa-tion de chaque tâche.

Compétence. s’intégrer dans une équipe ; défi-nir des tâches et des responsabilités ; remplirson rôle ; construire sur le travail des autres.

niveau de maîtrise attendu. Travailler de pairavec les camarades plus compétents sur certainesparties, s’organiser pour séparer les tâches et fairedes exposés à plusieurs, respecter les décisionset le calendrier de l’équipe.

Critères d’évaluation. La compétence est

— insuffisamment développée si l’étudiantfonctionne de manière isolée ;

— acquise si l’étudiant n’est pas isolé et estcapable de renvoyer les questions ou les tâchesaux personnes ayant déjà travaillé sur le thèmeen particulier ;

— maîtrisée lorsque l’étudiant est un moteurpour le groupe, comprend les compétenceset disponibilités de chacun, demeure acces-sible et clair.

valeurs

Certains acquis du groupe de travail sontlimités à la mise en contact avec une situationou un environnement nouveau, ce que nouspourrions qualifier d’acquis passif. nous esti-mons que ces acquis sont également un réel apportpour les étudiants, et doivent être mis en avantcomme une expérience de vie académique, une

ouverture d’esprit et un premier contact avecd’autres réalités que la participation à un coursuniversitaire magistral. Cloîtrer les étudiants dansl’illusion que tous les sujets sont maîtrisablesintégralement avec une seule approche pos-sible ne fait que repousser des difficultés iné-luctables dans la vie d’un scientifique : seconfronter à des situations inconnues, identifierdes obstacles précis, les comprendre et y appor-ter des solutions maîtrisées.

nous mentionnons ici des modes d’êtrequi nous ont parus développés par ce moduled’exploration, et qui nous semblent importantspour le développement des étudiants, notammentconcernant leur attitude. Ces directions n’onttoutefois pas laissé place à des critères d’éva-luation précis, de sorte que nous les avons qua-lifiés de valeurs plutôt que de compétences.

Patience et persévérance

La patience et la persévérance sont parmiles clés les plus fondamentales du travailmathématique. Les concepts et outils nou-veaux ne sont jamais faciles à appréhender etil n’y a guère plus de méthode que la mani-pulation répétée, avançant par petits pas, mode-lant son intuition suffisamment pour qu’elleabsorbe le concept nouveau, forgeant sa com-préhension par la pratique.

La temporalité n’est ainsi plus celle du coursuniversitaire classique, où un théorème est prou-vé en quelques minutes, où plusieurs exercicessont faisables en une session de travaux dirigéset où toute tâche doit être terminé à la fin de lajournée. Le monde de la recherche en est à l’anti-pode et les projets mathématiques, comme lesprojets professionnels, s’étendent sur semaines,mois sinon années. il est nécessaire de soulignercette spécificité, de développer la patience, la per-sévérance, la conscience du temps long néces-saire pour venir à bout d’un problème, d’efforts

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répétés et réguliers tout en gérant le temps dis-ponible. La structure du groupe de travail, fonc-tionnant avec un rythme hebdomadaire sur un mêmeproblème, loin de la valse des chapitres et éva-luations d’un cours classique, s’insère dans cettedémarche et donne une première expérience duprojet à long terme. C’est une leçon de managementpersonnel qui ne doit pas être négligée dansl’apport de telles activités.

il ne faut plus avoir peur de l’inconnu,chacun étant condamné à rencontrer inces-samment des situations qu’il ne comprend pas,face auxquelles il ne saura pas réagir, du cher-cheur face à son problème mathématique jusqu’àl’artisan face à son défi de réalisation, en pas-sant par l’ingénieur qui doit concevoir un nou-veau produit. C’est dans l’incompréhensionque nait la connaissance, et les travaux récentsen pédagogie mettent systématiquement enavant l’importance de ce « conflit cognitif [ren-dant] possible de nouveaux apprentissages »,moment de déstabilisation nécessaire aux étu-diants pour surpasser leur niveau de maîtrise.Ce projet inédit et le module que nous propo-sons sont donc là pour apprendre à comprendre,développer la démarche, enseigner commentaffronter ce moment qui semble insurmontable.ne plus comprendre n’est plus un problème, maisdevient une norme.

Transversalité

un apport conséquent du point de vue ducontenu théorique de ce module est la transver-salité qu’il apporte entre des domaines sou-vent considérés comme indépendants : arith-métique modulaire, analyse réelle, sériesnumériques, analyse de fourier, combinatoire.Certaines des idées maîtresses de l’analyse –l’approximation – et de l’arithmétique – leprincipe local-global – sont le cœur de l’étude,s’entremêlant pour constituer pinacle de chaquegrande étape de la preuve. Ce module devient

ainsi un très bon moyen de convaincre les étu-diants de l’importance de la maîtrise desméthodes de base qui ne restent, dans les coursd’un cursus classique, que des avalanches de résul-tats théoriques et d’exercices. Ces contenus, aux-quels se limitent trop exclusivement les coursde mathématiques à l’université, ont pour seulobjectif de noter, plutôt qu’une finalité en tantqu’outil mathématique permettant d’aborderdes problèmes. La pédagogie et l’enseigne-ment contiennent aussi leur dose de psycholo-gie : le professeur enseigne à des humains et nonà des cahiers qui boiront textuellement leurs théo-rèmes, ce que l’on attend trop de nos étudiants,vivant dans un temps reculé, où ces résultatsn’étaient pas dans notre poche, sur notre télé-phone, partout dans le monde. nous suivonsMichel serres, défendant qu’il est importantd’apprendre à penser avec son temps, de libé-rer l’esprit de cette érudition maladive, pour plu-tôt apprendre à vivre, à agir, à s’organiserensemble. Et voilà que tous les étudiants setrouvent investis, voilà qu’une motivation vientde l’appartenance à un groupe, et d’une finali-té plutôt que de l’entassement de résultats. Lesconnaissances gagnent du relief, les étudiantsprennent du recul, la réflexion prend vie.

adaptabilité et différenciation

Les élèves les plus scolaires vont naturel-lement en classe préparatoire, de sorte qu’ilserait plus lucide d’essayer de tirer le meilleurdes étudiants en licence à l’université en leurproposant aussi des approches qui se démarquentde ce qui leur convenait moins dans le systè-me scolaire. En particulier, cette activité d’ini-tiation à la recherche permet une certaine liber-té d’organisation, chacun devant faire un bilanhonnête de ses compétences et de ses difficul-tés. Les étudiants suivent leur progression à lalumière des attentes rendues explicites, seconcentrent sur l’exploration de ce qui le moti-ve et le rend à l’aise, y décuplent leurs capaci-

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tés et leur donnent la motivation pour saisir ettravailler le reste, qui prend alors sens commepartie d’un tout plutôt que comme une exi-gence isolée de plus. ainsi, lors de ce groupede travail spiralaire, chaque personne se concen-trait sur l’une des parties qu’il n’avait pas explo-rées lors des articles précédents, endossant unrôle différent tout en continuant à prendre durecul sur son expérience, prenant en charge lasynthèse, la relecture, et surtout servant d’inter-locuteur privilégié concernant ses domainesde compétence déjà développés. ainsi, la cour-se aux chapitres, théorèmes et exercices estremplacée par un effort proportionné, certainsétudiants pouvant parcourir des sujets plusvariés quand d’autres préféreront devenir essen-tiellement experts dans l’un des domaines, ouavancer moins rapidement pour mieux comprendrela démarche ou s’investir plus avant dans descompétences transverses associées.

il est ainsi absolument nécessaire de « mettreen synergie les apports scolaires attendus etles apports personnels singuliers propres àchaque individu ». Ces singularités sont pri-mordiales dans la société et sont la richesse del’humanité, y compris en mathématiques etdans la pratique scientifique. Cette richesseexiste et ne doit pas être lissée par des décen-nies d’un enseignement froid, passif et forma-té, mais au contraire être exploitée pour déve-lopper la confiance et créer des synergies entreces profils variés.

savoirs

Méthode du cercle

Le cœur de ce groupe de travail demeurela méthode du cercle de Hardy-Littlewood.Par-delà les seules connaissances brutes consti-tuant cette méthode, ce que chacun pourratrouver dans les livres comme sur internet, legroupe de travail vise un niveau de maîtrise,

d’autonomie et de recul élevé, au détriment dunombre d’exemples traités, abondant dans lesens des études cognitives récentes . Le bilandes connaissances disciplinaires apprises etexplorées est similaire au contenu d’une pre-mière partie d’un cours usuel sur la méthodedu cercle, à savoir

— approximation diophantienne ;

— dissections de farey ;

— lemme de Weyl et bornes sur les sommesd’exponentielles ;

— lemme de Hua et comptage diophantien ;

— équation modulaire, série et intégrale prin-cipales ;

— initiation à l’implémentation algorithmique.

Ces connaissances académiques classiquessont évaluables et ne sont pas détaillées fautede pertinence avec les objectifs de cet article,préférant mettre l’emphase sur les aspects nova-teurs et divers des autres compétences développées.un cours typique sur la méthode du cerclecontiendrait quelques applications supplé-mentaires, par exemple certains des chapitresillustratifs du livre de vaughan. Ceux-ci ont étéremplacés ici par le projet inédit du problèmede Waring pour les puissances croissantes etl’étude des deux articles de recherche, per-mettant d’étudier en profondeur la portée etles limites de chacun des outils étudiés lors dela première partie, se concentrant sur la capa-cité à mettre en relation les idées, comparer lesméthodes et généraliser les acquis théoriques.

ainsi, la connaissance livresque demeuredans les livres et chacun est invité à la consul-ter, mais les heures en présentiel deviennentdédiées à la plus-value apportée par le professeur,endossant le rôle d’encadrant et d’accompa-gnateur, créant le cadre d’épanouissement etd’évolution des élèves. L’inerte et le mécanique

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sont donc relégués au travail à la maison, cha-cun pouvant l’affronter et l’embrasser à son ryth-me, alors que les approches et compétences nou-velles reviennent au cœur de l’enseignementet du rôle du professeur, surpassant le rôle derépétiteur et de lecteur qui lui est habituelle-ment assigné. Élèves comme enseignants sor-tent de la passivité pour instaurer un échangesincère faisant vivre les connaissances sur unmode nouveau.

un sujet actuel

La simplicité de l’énoncé du problème etdes outils utilisés fait de la méthode du cercleun sujet souhaitable pour de plus jeunes étudiants,qui pourraient ainsi y trouver une motivationpour l’étude des outils théoriques des pro-grammes de licence, y trouvant une premièreinstance de problème de recherche à la foisactuel et accessible, attisant leur curiosité et don-nant du sens à leurs études. En effet, le fait d’étu-dier des articles de recherche récents voireencore actifs est une forte motivation. La métho-de du cercle est au cœur de nombreuses recherchesactuelles : de brillants résultats conjecturésdepuis plus d’un demi-siècle ont été récem-ment obtenus avec la preuve du théorème de lavaleur moyenne de vinogradov par Bourgain,Déméter, guth et Wooley ; des évolutionsnovatrices ont été apportées par Munshi ; et HaraldHelfgott a obtenu de très bonnes avancées dansla direction de la conjecture de goldbach en prou-vant sa version ternaire grâce à la méthode ducercle. Cela donne ce qu’il manque souventdans les formations théoriques en mathématiques :du concret, des perspectives, du sens ; un ancra-ge dans le monde et dans le temps.

La méthode du cercle et le cas particulierétudié constituent donc des sujets des plusactuels, mais se fondant toutefois sur desconnaissances élémentaires de début de premiercycle universitaire. L’étude et l’utilisation

conjointes des notions les éclairent l’une-l’autre,ce que nous illustrons dans la section suivanteà travers quelques exemples plus précis dedéroulement de sessions du groupe de travail.

Bilan du groupe de travail

utilisation de la méthode du cercle

Cette section, plus technique, se destine à un lec-torat plus expert ou plus curieux. nous rappe-lons dans un premier temps la structure de lamise en œuvre de la méthode du cercle, qui consis-te en trois étapes d’approximations successivesde cette quantité, puis une étape d’estimationdirecte des quantités ainsi approchées.

Étape 1. il s’agit de prouver que la contributiondes arcs mineurs est négligeable. Pour ce faire,on utilise des bornes intégrales explicites. noussommes alors réduits à estimer

r(n) = ƒ(𝛼)e(–n𝛼)d𝛼 + ƒ(𝛼)e(–n𝛼)d𝛼

r(n) ~ ƒ(𝛼)e(–n𝛼)d𝛼 .

Étape 2. sur les arcs majeurs, concentrés par défi-nition autour de rationnels a/q, chaque fonction ƒkest assez proche de sa valeur en a/q. il devient doncnaturel d’introduire une approximation de ƒk avecun facteur oscillant autour de a/q. Plus précisément,on définit la version approchée fk de ƒk par :

sk(q, a) =

dk(b) =

fk(𝛼) = sk(q, a) dk(b) .

aq

m51e a a

q mk b

am5n

1k

m121>k e1bm 21

q

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La deuxième étape consiste alors à remplacerles fonctions ƒk par leur approximation fk, auprix d’un terme d’erreur suffisamment petit. Celanécessite essentiellement des estimations d’ana-lyse des fonctions d’une variable réelle et desommes d’exponentielles.

on est ramené à considérer, en introduisant

la fonction f = ƒk

approchant ƒ,

r(n) ~ ƒ(𝛼)e(–n𝛼)d𝛼 ~ f(𝛼)e(–n𝛼)d𝛼

Étape 3. Les intégrales de sommes d’expo-nentielles sont plus faciles à estimer sur tout lesegment unité plutôt que sur les arcs majeurs,de sorte que la troisième étape est de montrerqu’on peut ajouter les compléments de chaquearc majeur ci-dessus au prix d’un terme d’erreur,et de fait montrer

r(n) ~ f(𝛼)e(–n𝛼)d𝛼 ~ f(𝛼)e(–n𝛼)d𝛼

Étape 4. il se trouve que cette dernière expres-sion se réduit à un comptage de solutionsd’équations diophantiennes modulo des puis-sances de nombres premiers, problème beau-coup plus abordable que la question initiale. Lesconnaissances disponibles sont alors suffisantespour prouver que cette expression est le termeprincipal, et à vérifier qu’il est asymptotique-ment strictement positif, de sorte que r(n) eststrictement positif à partir d’un certain rang.

nous illustrons dans cette section quelquesaspects qui ont accouché des discussions menéeslors du groupe de travail, lors des différentesétapes mentionnées, soulignant le déroulementet mettant en évidence les compétences en jeu,dégageant des compréhensions originales,absentes des articles de recherche ainsi que du

qK

#1

0

livre, pourtant introductif, de vaughan. Lessessions détaillées du groupe de travail sont lessuivantes, chacune comprenant un moment dediscussion, de recherche, d’essais de preuves dif-férentes, de corrections, ou d’améliorations :

— Livre de vaughan 1. introduction à la méthode du cercle2. outils pour les arcs mineurs3. approximation et complétion sur les

arcs majeurs4. série et intégrale singulières

— Premier article de Thanigasalam 5. introduction à Thanigasalam et arcs

mineurs6. approximation et complétion7. Contribution principale

— Premier essai pour le problème des puis-sances paires8. Tentative d’adaptation au problème

des puissances paires9. approximation sur les arcs majeurs

10. Contribution principale, s = 1200

— Premier article de ford 11. introduction à ford12. Théorèmes de valeurs moyennes, arcs

mineurs et algorithmes13. Traitement des arcs majeurs

— raffinement pour les puissances paires14. Détermination de K_115. Termes d’erreurs, s = 21016. raffinements de ford, s = 74

Le bilan a été réalisé de manière qualita-tive à partir des fruits de compréhension du grou-pe de travail, et des retours et discussionsfinaux concernant le projet. L’idée d’un ques-tionnaire précis pour synthétiser quantitative-ment les apports de ce groupe de travail a étéabandonnée compte tenu de la faible taille del’échantillon et de la disparité du public, cer-tains déjà chercheurs et d’autres participant àleur première activité d’investigation. Toute-

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fois, d’autres instances d’une telle séquence péda-gogique d’initiation à la recherche suivrontcelle-ci et, nous l’espérons, pourront bénéficierde ces premiers retours d’expérience. En par-ticulier, les compétences dégagées ci-dessus pour-ront servir à établir une grille de lecture et deprogression plus claire à la fois pour les enca-drants et pour les élèves.

nous dressons en particulier le bilan decertaines séances, essayant de dégager pourchacune

— le cadre mathématique et méthodologiquedans laquelle elle se place ;

— la question soulevée et les difficultés asso-ciées ;

— le déroulement de la séance et les fruitsrecueillis.

Cette dernière étape a été présentée demanière aussi synthétique que possible, afin d’évi-ter les enlisements techniques tout en restant auto-contenue à partir des idées de base sur la métho-de du cercle mentionnées ci-dessus. Enfin, lejournal complet du groupe de travail, détaillantle contenu de chaque séance, est disponiblesur la page internet de l’auteur.

Comprendre la méthode

Cadre. une première approche de la métho-de du cercle peut rebuter, à cause du grand for-malisme qui y transparait. Toutefois il estimportant, comme pour tout sujet d’étude,en mathématiques ou ailleurs, de se forger uneintuition forte des idées, une familiarité avecles notations, une habitude des objets. Cela sefait par une lecture de l’ouvrage de référen-ce de vaughan. Cette première étude servirade base, demeure utile pour toute instancede la méthode du cercle et aurait été le cœurd’un cours classique dédié à ce sujet. Cette basesera raffinée sans cesse au cours des études

suivantes, illustrée à la fois par certains cha-pitres du livre, les articles étudiés ou encoreles essais faits dans la direction du projetd’adaptation inédit. Les deux premières ses-sions se concentrent donc sur la compréhen-sion du cadre de la méthode du cercle et deses motivations.

Première question. Dès les premières recherchesbibliographiques, une question se dévoile :pourquoi parle-t-on de « méthode du cercle »,alors que la méthode ne fait apparaître aucuncercle explicitement ? Le cadre introduit dansla deuxième section fait apparaître une intégralesur le segment [0,1]. Ce segment peut certai-nement être interprété comme un cercle, puisquel’exponentielle paramètre le cercle à partir dusegment, mais une telle explication alambi-quée est loin d’être satisfaisante.

Déroulement et fruits. une recherche plus pré-cise à travers la lecture d’articles introductifssur internet et dans les préfaces d’ouvragesdédiés à la méthode du cercle permet de décou-vrir que l’intégrale considérée était originelle-ment une intégrale sur sur le cercle unité du plancomplexe. En effet, avant la formulation, dueà vinogradov, de la méthode du cercle entermes de fonctions génératrices de fourier,les fonctions génératrices étaient introduitessous forme de séries entières. nous avionsdonc à considérer la fonction

de sorte que, pour isoler le coefficient recher-ché de manière analytique, on faisait appel au

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théorème intégral de Cauchy qui permet d’écri-re, pour tout n ∊ n,

et l’intégrale obtenue apparaît comme uneauthentique intégrale sur un cercle. vinogra-dov introduit par la suite la vision moderne, pos-siblement motivée par les outils disponibles pourestimer les sommes d’exponentielles. Cela a ainsipermis une meilleure connaissance historiquedu développement de la méthode, une entréedans le monde de l’analyse complexe, uneprise de conscience de l’existence d’autrespossibilités, d’autres choix de fonctions géné-ratrices qui pourraient demeurer plus utilesdans d’autres cadres.

seconde question. une autre question qui appa-raît à la lecture du cadre général de la métho-de, est de comprendre ce qui motive la formedes arcs majeurs et les choix de notations. Pourcela, il faut comprendre plus profondément ceque signifie quantitativement la notion de « petitdénominateur » mise en avant comme motiva-tion intuitive de la méthode.

Déroulement. Chacun a dû préparer des réflexionssur les différents résultats connus d’approximationdes réels par des rationnels et faire dialoguer cesconnaissances avec la forme particulière choi-sie des arcs majeurs. Certains souvenirs despremiers cours d’arithmétique sur ce sujetmènent naturellement au théorème d’approxi-mation diophantienne de Dirichlet, qui énon-ce que tout nombre peut être approché par unrationnel à petit dénominateur :

Lemme. (Dirichlet) soit Y > 0. Pour toutnombre 𝛼 ∊ [0,1], il existe 1 ≤ a ≤ q ≤ Y avecPgCD(a,q) = 1 tels que

En d’autres termes, il existe une approxi-mation rationnelle de 𝛼 avec une borne sur lataille du dénominateur, ainsi qu’un contrôlesur la qualité de cette approximation en fonc-tion de la borne imposée sur q. D’un autrepoint de vue, en se donnant une qualité d’ap-proximation 1/Y dans, tous les nombres ducercle peuvent être approchés par un nombrerationnel à dénominateur inférieur à Y.

Ces remarques donnent des indices sur lamanière d’appréhender les idées de « petit » ou« grand » dénominateur, on est poussé à quan-tifier : pour tout X < Y, les rationnels a/q avecq ≤ Y sont considérés comme des rationnels àpetits dénominateurs, tandis que les autres sontconsidérés comme moins significatifs. Les pre-miers constituent les arcs majeurs et les seconds,les arcs mineurs. ainsi, tout nombre du segmentd’intégration se trouve approché par un ration-nel a/q à 1/qY près, avec q dans l’une des deuxsituations

1 ≤ q ≤ X (arcs majeurs)ou

X < q ≤ Y (arcs mineurs)

Chacun ayant rencontré le lemme de Diri-chlet en première année d’université se souvientassurément d’une étonnante singularité au seind’un cours, ne venant de nulle part ni n’allantnulle part. Désormais, un tel résultat élémen-taire d’analyse diophantienne est vu au détourd’un projet cohérent plutôt que comme unepropriété parmi tant d’autres d’un programmequi n’en fera pas usage. outre des savoirs mieuxfixés, ils seront muris par la pratique, réviséssans cesse, de sorte à en développer une aisan-ce technique et intuitive.

Enfin, une motivation importante est queles arcs majeurs sont disjoints. ils doiventl’être, sans quoi la méthode ne peut fonction-ner, les termes principaux s’additionnant plu-sieurs fois à cause du chevauchement des arcs

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majeurs et ne donneront pas le résultat escomp-té. L’objectif est donc de garantir, avec lechoix de paramètres X et Y, que les arcsmajeurs restent disjoints au moins pour n suf-fisamment grand. ainsi, il est possible de rai-sonner asymptotiquement et de supposer queX tend vers l’infini avec Y, et on peut suppo-ser pour simplifier que X se met sous la formed’une puissance de Y. nous tirons de cettereformulation précise du problème le critère sui-vant de disjonction des arcs majeurs, où nousrappelons que la notation ƒ ≪ g est un syno-nyme de la relation de domination ƒ = o(g).

Lemme. Pour suffisamment grand, les arcsmajeurs sont disjoints si X ≪ Y 1/2.

La preuve consiste à contrôler la distanceentre deux centres d’arcs majeurs différents, etd’assurer qu’ils sont plus éloignés que la sommedes rayons des arcs majeurs.

ainsi, pour a/q ≤ a’/q’, les arcs majeurs sontdisjoints si

autrement dit, si X < (Y/2)1/2, donc asympto-tiquement X ≪ Y 1/2. Cette preuve, aussi élé-mentaire soit-elle, est souvent escamotée dansles ouvrages académiques et les articles alorsqu’elle ne requiert qu’une simple vision géo-métrique du problème. Cela est d’une impor-tance cruciale, puisque le caractère disjoint desarcs majeurs assure que tout 𝛼 ∈ 𝔐 appartientà un unique 𝔐(q,a), de sorte que le couple(a,q), qui contient l’information arithmétique,est entièrement déterminé.

Ces manipulations au cours de deux séancessur les idées générales de la méthode du cercleont permis de digérer beaucoup du formalis-me, et de donner du sens à ces nombreux para-

mètres. il est ainsi important de travailler le for-malisme pour en développer une habitude, uneintuition, pour qu’il devienne un outil et nonplus une barrière, sans cacher que c’est unvéritable travail, nécessaire et qui demandedu temps. Ce travail est le procédé de maturationdes idées, si cher à tous les scientifiques : cher-cher des limites, des interprétations, et confron-ter sa compréhension à la pratique en gardanttoujours un regard critique.

Conclusion. Ces premières sessions ont permisaux idées de chacun d’être confrontées à lacompréhension et à la critique des autres, per-mettant d’obtenir une intuition plus sûre et plusmûre. si aucun résultat nouveau n’en émergeni aucune preuve mathématique complexe n’aété développée, cette démarche a demandé del’autonomie, des essais et erreurs, et une inter-prétation plus personnelle des mathématiquesconcernées. nous défendons que cela a permisnon seulement de donner le ton du groupe detravail, discursif et expérimental, mais aussi aassuré une autonomie beaucoup plus grande dansles études d’articles à venir, l’interprétation deces paramètres centraux de la méthode n’étantplus une barrière à la compréhension.

arcs mineurs

Cadre. La stratégie pour montrer que la contri-bution des arcs mineurs est négligeable consis-te à décomposer la fonction ƒ en plusieurs par-ties, disons ƒ = f1f2f3, et à utiliser l’inégalitéde Cauchy-schwartz pour écrire

Tous les articles utilisent une telle décompositionet traitent les trois termes ci-dessus de manièresdifférentes, sans guère de justification, notammentconcernant le choix précis des fonctions fi .

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Question. si l’étudiant est capable de com-prendre ligne par ligne les preuves présentéesdans les articles, il n’en comprend pas suffi-samment les motivations pour pouvoir l’adap-ter au cadre inédit. Qu’est-ce qui détermineles choix de f1, f2, f3 dans les cas étudiés etcomment les déterminer dans la variation choi-sie pour le groupe de travail ? La paresse intel-lectuelle est condamnée ici par la conscienced’avoir un cas particulier inédit auquel adap-ter la preuve. un raisonnement inductif, telleune analyse-synthèse qui dévoilerait mécani-quement le bon et unique choix à faire, nemène à rien. il faut donc chercher une com-préhension au-delà de ces outils pour com-prendre les choix, en apparence injustifiés.

Déroulement. Le premier terme concernant f1nécessite des bornes ponctuelles, et celles-ci sontfournies par l’inégalité de Weyl sur les sommesd’exponentielles ƒk. Ce résultat, qui est l’occa-sion d’une étude d’une session, n’utilise que desoutils élémentaires et des estimations de sommespartielles de séries géométriques. il prend la forme,avec Q = n 1/k qui est la taille de la somme desexponentielles définissant ƒk,

Les commentaires heuristiques sont impor-tants et permettent de comprendre l’intérêt decette inégalité, d’autant plus efficace que les arcsmineurs (qui donnent une borne inférieure sur q,nécessaire pour dominer q –1) sont petits, et doncjustifient un choix d’arcs majeurs aussi grands. Deplus, le gain par rapport à la borne triviale (obte-nue en bornant chaque exponentielle par 1, menantà une borne d’ordre Q) est très faible à cause dela puissance 21 – k qui décroît très rapidement aveck, rendant l’inégalité de Weyl pertinente essen-tiellement pour les petites valeurs de k.

Cette discussion justifie que K1est amenéà être un ensemble constitué de petites valeurs

de k. Toutefois, malgré ce guide heuristique,conserver ce formalisme général permet derendre le problème d’optimisation du choix deK1 plus clair et plus souple. En gardant despuissances génériques, on obtient une borne théo-rique générale

où l’exposant général est

avec et la condition plus préci-

se .

Le deuxième terme est borné en dévelop-pant les sommes d’exponentielles, donnant

de sorte que les relations d’orthogonalité del’exponentielle prouvent que cette intégraleest exactement le nombre de solutions del’équation diophantienne

un comptage relativement grossier dunombre de solutions à cette équation mène

alors à la borne ,

où l’exposant est donné par :

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Enfin, la dernière étape fait appel à plusieursoutils, parmi lesquels les méthodes itérativesou encore les théorèmes de valeurs moyennes.Ce sont des algorithmes permettant de bornerde telles intégrales en fonction de l’intégraleavec une valeur de k en moins, de sorte que lesvaleurs initiales permettent d’obtenir les valeurssouhaitées itérativement. Des simulationsnumériques, obtenues par l’implémentationde ces algorithmes classiques dus à Davenportpuis à vaughan et Wooley permettent de consta-ter que les bornes s’améliorent avec l’aug-mentation de la taille de K3 . La borne obtenuedépend donc du nombre de puissances choisiesdans l’ensemble K3 définissant f3 , plus pré-cisément on note

La borne 𝐶(K3) correspondante nécessitedonc d’être suffisamment petite pour que laborne finale dans (4) soit plus petite que f(0)n –1,le terme principal attendu. Les trois bornesprécédentes donnent donc un problème d’opti-misation en les variables X, Y, K1, K2, K3 et squi donnent conscience, à défaut d’avoir des argu-ments théoriques d’analyse différentielle per-mettant de résoudre ce problème, du caractèreexpérimental nécessaire pour obtenir de bonnesvaleurs finales de s. L’expérimentation ainsi queles indications données par les autres étapes dela méthode donnant également des conditionssur X et K1, permettant d’obtenir des conditionssur 𝐶(K3) et donc sur s, rendant plus expliciteet motivé le choix final de s, dévoilant les rai-sons limitant le résultat.

Conclusion. ainsi, la compréhension desquelques outils que sont la loi de Weyl, lecomptage diophantien direct et la méthodeitérative se fait par essais et erreurs, parsimulations pour s’en faire une idée heu-ristique, puis grâce au formalisme pour en

tirer une compréhension théorique. La prisede liberté pour faire des essais différentsde ceux des auteurs, constater leurs défautset les limites expérimentales de chaqueméthode, et introduire de nouveaux paramètresvariables pour trouver des conditions justi-fiant les choix des auteurs, constituent de véri-tables fruits méthodologiques de ces ses-sions, par-delà les seules compréhensionsthéoriques. La manipulation de ces ques-tions face à des défis récurrents, constituésdes trois situations abordées par les textesdu corpus ainsi que du problème inédit trai-té, permet une compréhension croissante etune maturation des idées sous-jacentes, desméthodes possibles, des calculs théoriqueset formels, de la lecture de textes ainsi quede la prise d’initiative.

approximation sur les arcs majeurs

Cadre. une fois les arcs mineurs prouvéscomme étant négligeables, nous sommes essen-tiellement réduits à travailler au voisinage desrationnels à petits dénominateurs. Plus préci-sément, l’étude quantité voulue est réduite à cellede son équivalent

Question. Pour légitimer le remplacement deƒ(𝛼) par ses versions approchées f(𝛼) autourde a/q, ford utilise une méthode d’élagage desarcs majeurs, réduisant leur taille sans que cesmanipulations ne soient en rien justifiées. Com-ment rendre compte de ces choix, parfois de rem-placer directement, parfois d’élaguer les arcsavant de remplacer, parfois ne remplaçant toutbonnement pas ?

Déroulement. La première étape est de vérifierque fk est bien une approximation de ƒk , ce quiest justifié par l’inégalité

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Cette borne est importante et est la clé decette démarche d’approximation. L’idée estalors d’utiliser ces majorations directes à par-tir de cette borne ponctuelle pour remplacer ƒkpar fk dans l’intégrale donnant le terme prin-cipal de r(n), ce qui est réalisé dans l’article deThanigasalam.

on doit en effet montrer que les défautsd’approximation intégrales

sont suffisamment petits, permettant un rem-placement successif des ƒk par fk par som-mation.

une méthode plus moderne, développée parBrüdern, se fonde sur le « lemme d’élagage » :à condition d’avoir des majorations par

des valeurs moyennes des

séries de fourier Y = f2f3 ... fp – 1, on obtient

la borne voulue (le gain étant attendu sur un autreterme et sera suffisant pour rendre le tout négli-geable) de la forme

Q – 1 Y(0).

Ces estimations demandent souvent l’uti-lisation des inégalités de Cauchy ou de Hölderde façon à pouvoir contrôler les hypothèsespour appliquer le lemme d’élagage. Lors del’une des sessions, chacun devait le faire indé-pendamment comme préparation. L’intérêtn’était pas nécessairement de trouver le meilleurrésultat, mais au contraire de trouver des résul-tats différents et d’essayer d’en saisir les raisons,les limites, les caractéristiques, pour avoir unrecul suffisant et utiliser l’approche la plus

1n>q 2 1>k11 1 n k b k 221

efficace pour l’adaptation à notre cadre inédit,qui demeurait la motivation et le fil conducteurde l’étude. notamment, le rôle de chacun étantde rester critique lors de la présentation des autres,vérifiant lemmes et hypothèses invoquées. Lemeilleur des résultats obtenus par l’un d’entrenous s’est révélé incomplet, puisque l’une deshypothèses du lemme d’élagage utilisé n’étaitplus vérifiée. on obtenait une bonne bornepour le terme d’erreur, mais avec

de sorte que le lemme était en fait illégalementappliqué. Cela a été l’occasion non pas d’aban-donner son résultat, qui menait aux meilleuresestimations finales, mais de faire en sorte qu’ilfonctionne : cela nous a motivé à réduire les arcsmajeurs de n 4/9 à n 1/3, de manière à réduire Qet à relâcher un peu la condition ci-dessus.Cela nécessite de contrôler la contribution desarcs intermédiaires correspondant aux déno-minateurs q entre n 4/9 et n 1/3 et qui sont en effetnégligeables avec les mêmes arguments que ceuxutilisés pour borner les arcs mineurs.

fruits. Cette étude met en lumière la flexibili-té de la méthode, et la possibilité de changer lesparamètres de la méthode en fonction desbesoins, tout en ayant conscience des impacts :ici, on réduit les arcs majeurs à un sous-ensemble𝔐1. Le lemme d’élagage devient un moteur pourles choix et un guide pour la démarche. onobtient alors, une fois cette étape réalisée pourtoutes les valeurs de k,

Cette réduction des arcs majeurs est mora-lement négative, puisque le terme attenducomme principal n’est peut-être plus suffi-

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samment significatif pour l’emporter sur lestermes d’erreurs et donner l’équivalent conjec-turé. En effet, si la réduction des arcs majeursempire in fine l’étape de complétion des arcsmajeurs, elle donne conscience de la liberté limi-tée que l’on a lors de l’élagage des arcs majeurspour les calculs précédents.

Conlusion. un écart de comportement clair semontre entre étudiants et chercheurs : si les étu-diants sont tout à fait capables de suivre les lignesde calculs et de faire varier les valeurs, com-prenant la démarche et adaptant les argumentsaprès la dizaine de séances précédentes, ilsn’osent pas modéliser le problème de maniè-re plus générale, notamment introduisant desvariables formelles à la place des valeurs par-ticulières, théorisant la question puis la traitantainsi de sorte à l’optimiser a posteriori. C’estdonc un premier contact avec ce monde del’exploration libre. La possibilité de faire desessais mène à une valorisation de l’erreur et unequalité de réflexion critique accrue. De plus,ces sessions auront permis de développer le tra-vail d’équipe, la confiance en les autres et laconscience de la richesse du groupe, la dialectiquede recherche et d’étude, ainsi que l’importan-ce de la vérification par les pairs.

Termes principaux

La dernière étape de l’argument, plus arith-métique, menant au résultat de ford ainsi qu’aurésultat obtenu pour le problème inédit despuissances croissantes paires, est basée sur uneétude plus fine de l’intégrale

Des estimations analytiques de restes de

séries explicites mènent à ,

où la série singulière est la partie arithmétiqueet est donnée par

et l’intégrale singulière i(n) est une fonction ana-lytique explicite.

L’intégrale singulière est assez simple àestimer à partir d’un comptage diophantien,alors que la série singulière nécessite descomptages un peu plus fins en travaillantmodulo pk pour ensuite remonter au nombrede solutions globales. Ces arguments sontstandard et suivent la même démarche que cesoit dans le livre de vaughan ou les articlesde roth, Thanigasalam ou encore ford. nousne les présentons donc pas ici. Ces sessionsont été une motivation pour étudier en détailscertaines parties de l’article de roth et com-prendre de nombreux arguments et résultatsd’arithmétique modulaire.

Conclusion

nous avons présenté dans cet article une acti-vité d’initiation à la recherche ayant lieu en pre-mier cycle universitaire, mettant l’emphase surla démarche d’investigation. Ce module s’estdéroulé sur une durée d’un semestre et a été orga-nisé sous forme de séminaires hebdomadairesmêlant chercheurs et étudiants. Cette initiativenous semble non seulement originale mais éga-lement fructueuse, tant du point de vue dudéveloppement des connaissances mathématiquesthéoriques que de celui de l’acquisition de com-pétences nouvelles et pertinentes dans le cadred’une formation scientifique.

Le contenu en connaissances discipli-naires se doit d’exister et demeure primordial,

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comme pour tout enseignement universitai-re. À rebours de beaucoup de programmes,le choix s’est toutefois porté sur la qualité audétriment de la quantité, préférant remplacerune pléthore d’exemples dont on ne retientque la vague idée par l’exploration en pro-fondeur d’une seule situation. sans vouloirremettre en question la pertinence des connais-sances brutes, nous défendons la nécessité defaire vivre les savoirs autrement. nous ins-pirant de la pratique de la recherche, nous avonsinséré les savoirs enseignés dans un contextesforçant à les comparer, les relier, les critiquer ;en somme : les faire vivre. Les savoirs accu-mulés parallèlement sans liens laissent alorsplace à un microcosme cohérent et discursif,menant vers un plus haut niveau de maîtri-se. une telle activité pourrait être proposéeplus systématiquement dès le premier cycleuniversitaire, et la faisabilité d’un tel projetnous semble soutenue par l’absence de néces-sité d’avoir un expert du sujet parmi les enca-drants, de nombreux sujets de recherchecourts et n’utilisant que des mathématiquesélémentaires existant dans la littérature 1.

L’objectif de cette activité n’est cependantpas réduit à former des chercheurs, ni destinéà remplacer les cours magistraux tels qu’ilsexistent actuellement, mais de proposer uneactivité pédagogique nouvelle que nous avonsmontré être utile et digne d’intérêt. Bien au-delàdes mathématiques présentes lors de ces sessions,ce sont de nombreux savoir-faire et savoir-êtrenouveaux qui ont été acquis à l’issue d’un telmodule, indubitablement fondamentaux et valo-risables dans tous les aspects du développementindividuel. Le semestre était articulé autourd’un projet de recherche inédit, abordé commeun travail de groupe. Le cadre d’un projet filé

sur le temps long est un fertile terreau pourl’évaluation par compétences qui nous apparaîtfondamentale, faisant briller la richesse appor-tée par la diversité des étudiants et valorisantleurs différents aspects. Cette activité permetdonc d’ouvrir la porte à l’évaluation formatri-ce, associant les élèves, s’assurant une com-préhension mutuelle trop souvent absente, fai-sant de l’évaluation un outil de progression. ainsi,le peu de temps perdu comparé à un coursmagistral classique est amplement compensé parla diversification des acquis des étudiants, leurgain en autonomie et le développement de com-pétences souhaitables pour tout citoyen.

Par-delà les nombreux savoirs, savoir-faireet savoir-être développés par une telle activi-té, nous tenons à mettre l’accent sur le changementde paradigme d’enseignement qu’elle permetd’amorcer et qui nous semble primordial, tenduvers un changement d’attitude des étudiants. Toutd’abord, l’activité proposée a montré qu’il étaitpossible de réduire la distance entre ensei-gnants et étudiants, mettant en place un contex-te discursif où l’enseignant est un guide, unconseiller méthodologique, un interlocuteurbienveillant plutôt que des rails sur lesquels lesétudiants resteraient contraints d’avancer. Lesapprenants, plutôt que les savoirs, reviennentau centre des attentions ; leur développement,plutôt que le programme, redevient l’objectifde la formation. L’établissement d’un tel grou-pe de recherche et de partage fait partie d’uneréelle formation à la vie scientifique et à la vieen société, et permet de remettre l’étudiant aucœur de la construction de ses connaissances.De plus, la démarche par essais et erreurs a réha-bilité l’échec, actuellement perçu négativement: les essais infructueux sont des tremplins versla compréhension et redeviennent partie d’unedémarche normale. La peur d’essayer s’effaceau profit de la curiosité et l’audace des étudiants,leur permettant d’adopter une attitude active etconstructive.

1 non seulement dans la littérature de recherche habituel-le, mais également dans les revues destinées aux étudiantsou dans les revues plus culturelles et récréationnelles tellesle bulletin american Mathematical Monthly.

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Les étudiants ne peuvent que rester condam-nés à la passivité s’ils ne rencontrent pasl’opportunité d’agir, de prendre des initia-tives, de s’épanouir librement. alors quedepuis un siècle déjà Piaget a introduit son édu-cation nouvelle et Bachelard a mis en exerguele caractère central des obstacles dans la pra-tique scientifique, il est temps de rompre le cultedes cours passifs, masquant les difficultéscomme les incertitudes, aveugles tant à l’évo-lution des connaissances qu’au changement despopulations. Le succès fulgurant de La Mainà la Pâte au primaire devrait rendre cette évi-dence éclatante et nous souhaitons fortementque de telles initiatives s’étendent et s’épa-nouissent à l’université. L’implication activeainsi que la synergie des étudiants est l’undes plus grands facteurs d’efficacité de l’appren-tissage, et nous avons pu constater le succèsdu module proposé en ce sens. Dans ce mondesi contraint par la culture et l’organisation, ilest temps de faire confiance aux professeurscomme aux élèves, de laisser chacun respirerpour l’épanouissement de tous, ouvrant laporte à la créativité.

À tous les niveaux et en particulier à l’uni-versité nous prônons un retour à l’activité,défendant ce principe fondamental de l’ensei-gnement qu’est l’action, espérant que les motsd’Henri Marion rendront justice à cette évi-dence et sauront légitimer de futures activitésdans la veine de celle présentée ici :

« Quand un enfant, dit Kant, ne met pas enpratique une règle de grammaire, peu impor-te qu’il la récite : il ne la sait pas ; et celui-là la sait qui infailliblement l’applique, peuimporte qu’il ne la récite pas. [...] agir et faire,voilà le secret et, en même temps, le signe del’étude féconde. faire agir, voilà le grandprécepte de l’enseignement. autant vaut direle précepte unique, car il contient en germetous les autres. » (Henri Marrion, 1888)

Quelle meilleure conclusion à cette expé-rience que d’invoquer les grandes maximessur l’éducation : avoir une tête bien faite plu-tôt qu’une tête bien pleine ; apprendre à l’affa-mé à pêcher plutôt que lui donner un poisson.Ces grands préceptes plusieurs fois séculaireset connus de tous érigent l’action au sommet duphare guidant l’éducation. Comment se fait-ilalors que tant d’enseignements se font encoreà rebours, mus par le modèle de l’érudition etde la passivité ? ni l’expérience ni les étudescognitives ne le justifient, il est donc primor-dial de lutter contre ces rigidités culturellespour un enseignement plus épanouissant pourles connaissances comme pour l’humain : fairemoins mais faire mieux, compensant la perte encontenu par le gain en autonomie, en méthode,en maîtrise. on aura appris à mieux lire et à mieuxapprendre : on aura appris à penser. on aura apprisà mieux justifier et à mieux argumenter : on auraappris à être critique. on aura appris à essayeret à rencontrer l’échec : on aura grandi.

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