Comment enseigner et développer l’entrepreneuriat dans les grandes écoles ?

La création d’entreprises est un sujet central de réflexion dans les sphères politiques et économiques. En effet, l’entrepreneuriat est synonyme de création de richesse et donc d’emplois, à un moment où le chômage et la perte de dynamisme industriel et commercial minent le corps social et les comptes des principales économies européennes. Il est donc crucial de s’intéresser à cette question, notamment sous l’angle de la formation dans l’enseignement supérieur, et dans nos grandes écoles en particulier.

Les grandes écoles ne sont pas nées pour former des entrepreneurs

Historiquement, former des entrepreneurs n’est pas la vocation première des grandes écoles, davantage tournées vers la formation de cadres destinés à intégrer les grands groupes, les PME, la fonction publique ou les grands corps de l’Etat.

Ainsi, la proportion de créateurs d’entreprise parmi les diplômés des grandes écoles reste encore très modeste. D’après la dernière enquête insertion professionnelle de la Conférence des Grandes Écoles, qui a sondé près de 27 000 diplômés issus de 167 établissements membres, seulement 1% des jeunes managers, et 0,4% des jeunes ingénieurs se lancent dans l’aventure. Parmi eux, les hommes sont trois fois plus nombreux que les filles.

La demande des étudiants portée par la crise et les nouveaux héros du high-tech

Mais depuis cinq ans, il semble que l'entrepreneuriat intéresse de plus en plus les étudiants. A l’échelle de Télécom Ecole de Management, on a pu l’observer au nombre d’étudiants souhaitant intégrer l’incubateur du campus ou réalisant leur stage dans des startups.

Ce phénomène est sans doute dû à la crise économique, qui contracte les débouchés traditionnels dans les entreprises, mais aussi à la forte croissance de l’industrie digitale.

Les grandes écoles, dont la mission est d’analyser les nouveaux marchés et les débouchés professionnels porteurs pour leurs étudiants, concentrent de plus en plus leurs activités sur ce secteur. Pour Télécom Ecole de Management, qui partage son campus avec l’école d’ingénieurs Télécom SudParis, le digital est un terrain d’expression naturel depuis sa fondation en 1979. Des pionniers du web et du numérique, comme le fondateur de Club Internet (fournisseur d’accès) ou Linagora (services pour les logiciels libres), sont sortis des bancs de notre école.

Caractérisé par l’innovation technologique de rupture, le digital a fait naître de nouveaux géants industriels aussi bien américains (Apple, Amazon, Google, Facebook...) que français (Meetic, Vente Privée, Criteo, Free…) autour desquels gravitent un vaste écosystème de startups. La réussite de ces entreprises est incarnée par de jeunes entrepreneurs qui ont réveillé le mythe du « self made man ». Les étudiants d’aujourd’hui sont fascinés par ces nouveaux héros du high-tech.

L’enjeu du formateur

La tendance est bien là. Les cursus et concours en entrepreneuriat ont fleuri ces dernières années dans les grandes écoles. Pour les formateurs que nous sommes, la question est de savoir quels dispositifs pédagogiques peuvent efficacement susciter l’esprit d’entreprendre chez les jeunes étudiants, et comment nous pouvons les aider à réussir leurs projets entrepreneuriaux ?

Définir le concept d’entrepreneuriat

Il nous faut commencer par définir succinctement le concept d’entrepreneuriat.

Sa compréhension doit beaucoup à l’économiste Joseph Schumpeter. Pour Schumpeter, un entrepreneur est une personne qui veut et qui est capable de transformer une idée ou une invention en une innovation réussie. L’entrepreneuriat conduit à une « destruction créatrice » dans les marchés et les secteurs de l’économie parce que de nouveaux produits et/ou nouveaux modèles économiques arrivent et remplacent les anciens.

Pour Frank Knight (1967) et Peter Drucker (1970), l’entrepreneuriat consiste à prendre des risques. L’entrepreneur est une personne qui est prête à mettre en jeu sa carrière et sa sécurité financière pour mettre en œuvre une idée, à mettre son temps et son capital dans une entreprise risquée.

Enfin, Verstraete et Fayolle (2005), proposent une définition du concept : « L’entrepreneuriat est une initiative portée par un individu (ou plusieurs individus s’associant pour l’occasion) construisant ou saisissant une opportunité d’affaires (du moins ce qui est apprécié ou évalué comme tel), dont le profit n’est pas forcément d’ordre pécuniaire, par l’impulsion d’une organisation pouvant faire naître une ou plusieurs entités, et créant de la valeur nouvelle (plus forte dans le cas d’une innovation) pour des parties prenantes auxquelles le projet s’adresse. »

Comprendre le processus entrepreneurial

Ensuite, il est essentiel de bien comprendre le processus de l’acte entrepreneurial, dont la complexité est inhérente à l’étendue des connaissances que l’entrepreneur doit maitriser, tant au plan managérial que technologique. Dans ses travaux réalisés en 2004, Sanjy Ramboatiana de l’association « Vouloir Entreprendre » distingue sept étapes chronologiques bien distinctes :

1. Faire émerger une idée qui permettra de passer de la détection d’un besoin à l’opportunité d’entreprendre (effort de créativité).

2. Valider l’opportunité d’entreprendre pour évoluer vers la définition d’un réel projet d’entreprendre (valider l’adéquation homme/projet, le réalisme de l’idée, les ressources, les risques et la nature de l’environnement).

3. Analyser le facteur humain, l’individu ou l’équipe qui va porter le projet jusqu’à sa réalisation (révéler les potentiels et faire partager une vision entre les différents acteurs impliqués).

4. S’interroger sur la nature de l’approche avec laquelle le marché sera abordé (étude approfondie du marché).

5. Définir et valider un modèle économique d’affaires (formulation d’une stratégie de développement).

6. Evaluer les moyens et ressources disponibles qu’il convient de rassembler afin de rendre opérationnel le modèle économique d’affaires.

7. Organiser la protection des compétences distinctives de l’entreprise, car un projet entrepreneurial est très souvent porté par une innovation nécessitant la mise en œuvre d’un savoir-faire propre à l’entreprise, qui se situe à la genèse de l’avantage concurrentiel.

Définir des modes d’apprentissage : l’exemple de Télécom EM

Reste ensuite la question du mode d’apprentissage des compétences humaines en gestion d’équipe et de projet.

Télécom EM a construit sa pédagogie autour de sa formation hybride unique, qui apporte le mix de compétences managériales et technologiques nécessaires à la conduite d’un projet entrepreneurial.

Cette pédagogie se décline en quatre temps :

1. Le temps de l’apprentissage en 1ère année avec des cours de sensibilisation et des « startups shakers » pour faire germer des idées ;

2. Le temps de l’expérimentation en 2e année dans le cadre du Challenge Projets d’Entreprendre®, un concours d’innovation entrepreneuriale obligatoire d’une durée d’une semaine, où les étudiants managers et ingénieurs réunis en équipes mixtes travaillent en mode projet sur un cas réelle de création d’entreprise innovante ;

3. Le temps de l’approfondissement en 3e année au travers de la majeure Management de l’Innovation et Entrepreneuriat, près de 400h de cours qui se déroulent intégralement en alternance terrain/séminaire selon une modalité de travail en équipe permanente ;

4. Le temps de la concrétisation et de l’accompagnement où les étudiants, futurs entrepreneurs, managers et/ou ingénieurs, peuvent rejoindre notre incubateur de startups, classé parmi les meilleurs de France.

Nous sommes convaincus que seules l’expérience du terrain et la pédagogie par l’action peuvent apporter aux étudiants la maturité suffisante en termes de gestion d’équipe, de gestion des conflits et de prise de décision.

Le résultat de ce dispositif est encourageant car sur une période de 9 ans, il a débouché sur la création de 150 entreprises pérennes. Ces entreprises ont permis la création de plus de 5000 emplois directs.

Aller plus loin en favorisant les cours d’entrepreneuriat dès le secondaire

Au travers de sa pédagogie entrepreneuriale, Télécom Ecole de Management apporte, à son échelle et au cœur de sa mission d’établissement public, une réponse durable à la crise économique. C’est aussi le cas de bien d’autres grandes écoles, qui accompagnent ce mouvement porté par l’innovation du monde digital qui forge de nouveaux rêves dans la tête de nos jeunes étudiants.

Grâce à ces efforts, nul doute que les grandes écoles formeront davantage d’entrepreneurs, et que ces diplômés feront grossir la vague en transmettant leur passion et leur expérience aux promotions suivantes.

Mais ces initiatives sont encore souvent que trop « privées » et esseulées. L’État a tardé à proposer de réelles avancées dans ce sens. A ce sujet, les mesures annoncées par François Hollande lors des dernières Assises de l’entrepreneuriat pour favoriser l’esprit d’entreprise dès le collège, nous semble aller dans le bon sens.

Philippe RIVET

Philippe Rivet, est directeur adjoint de Télécom Ecole de Management en charge de la formation depuis janvier 2013. Après une longue expérience du monde de l’industrie acquise au sein de Hewlett Packard et du Groupe SIEBEC, il s’est tourné vers le monde académique où il a occupé diverses fonctions d’enseignement, de recherche et de direction au sein de Grenoble Ecole de Management et de l’ESC Rennes School of Business. Il a publié plusieurs articles et ouvrages : La psychologie du dirigeant (2007), Piloter et Réussir l’innovation en entreprise (2006), Guide du redressement de l’entreprise (2006), Evaluer le prix d’une affaire (2005).

Fondée en 1979, Télécom Ecole de Management est une grande école de commerce publique accréditée AACSB et AMBA pour son programme Grande Ecole. Reconnue pour son expertise dans les nouvelles technologies, l'école figure dans le classement mondial du Financial Times des meilleurs masters en management. Télécom Ecole de Management est la business school de l’Institut Mines-Télécom, premier groupe d’écoles d’ingénieurs de France. Elle partage son campus avec sa jumelle ingénieure Télécom SudParis. Dirigée par

Emmanuel Sartorius, Télécom Ecole de Management compte 1300 étudiants, 76 enseignants-chercheurs et 5000 diplômés. www.telecom-em.eu