COM DIE DE CAEN - CDN DE NORMANDIE Direction...

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COMÉDIE DE CAEN - CDN DE NORMANDIE Direction Marcial Di Fonzo Bo Saison 2020-2021 --------------------------------------------------------------------------------------------------- BALDWIN/AVEDON : ENTRETIENS IMAGINAIRES Mise en scène Élise VIGIER Texte Kevin KEISS Élise VIGIER, librement inspirés d’interviews et d’essais Spectacle créé le 23 mai 2019 à la Comédie de Caen-CDN de Normandie hors les murs Salle Robert Métairie / Thury-Harcourt © Vladimir Vasilev

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  • COMÉDIE DE CAEN - CDN DE NORMANDIEDirection Marcial Di Fonzo BoSaison 2020-2021

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    BALDWIN/AVEDON : ENTRETIENS IMAGINAIRES

    Mise en scène Élise VIGIERTexte Kevin KEISS Élise VIGIER, librement inspirés d’interviews et d’essais

    Spectacle créé le 23 mai 2019à la Comédie de Caen-CDN de Normandie hors les mursSalle Robert Métairie / Thury-Harcourt

    © Vladimir Vasilev

  • Avec Marcial DI FONZO BO et Jean-Christophe FOLLY

    Production Comédie de Caen-CDN de Normandie

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    Tournée 20/2124 novembre, LeRayon Vert, Saint-Valéry-en-Caux2 février, Scène nationale 61, d’Alençon7 mars, Musée Würth, Erstein13 au 15 mars, Théâtre des Quartiers d’Ivry-CDN------------------

    CONTACTS PRODUCTION - DIFFUSION

    JACQUES PEIGNÉ 02 31 46 27 41 - [email protected]

    EMMANUELLE OSSENA (EPOC productions)06 03 47 45 51 - [email protected]

    CONTACTS PRESSE

    YANNICK DUFOUR – Agence Myra06 63 96 69 29 - [email protected]

    LUCIE MARTIN – AGENCE MYRA06 83 21 84 48 - [email protected]

    LES PORTRAITS DE LA COMÉDIE DE CAENLes Portraits de la Comédie de Caen sont des créations itinérantes, portées par un ou deux acteurs – parfois en compagnie d’un musicien. Ils proposent un regard sur un auteur, un artiste, un intellectuel, un scientifique. À partir d’œuvres, de biographies, les portraits croquent de manière vivante et ludique une figure majeure de notre temps.

  • « À quel point la question de l’intimité a-t-elle influé sur la vie d’Avedon, de Baldwin? Ils comptèrent parmi les artistes de la fin du XXe siècle qui s’exposèrent le plus. Avedon et Baldwin firent connaissance au lycée DeWitt Clinton dans le Bronx. »

    Hilton Als

    « C’est le visage des autres qui m’apprend ce qu’est le mien. »

    « Un portrait n’est pas une amabilité, mais une opinion »

    Richard Avedon

    « Humainement, personnellement la couleur n’existe pas. Politiquement elle existe. Mais c’est là une distinction si subtile que l’Ouest n’a pas encore été capable de la faire. »

    James Baldwin

  • « Après tout, les photos parlent vraiment de ce qu’est fondamentalement la vie, un tissu de contradictions et d’énigmes non résolues. Même la mort ne met pas fin à l’histoire. »

    Nothing Personal de James Baldwin et Richard Avedon est un ouvrage-dialogue entre deux amis qui ne parlent pas la même langue artistique : l’un est auteur et l’autre photographe. Si on les résument à leur fiche d’état civil : l’un est noir et homosexuel, l’autre blanc et juif. Tous deux sont américains, et portent sur les États-Unis un regard qui n’élude pas la douleur, un regard amoureux, d’une clairvoyante lucidité.James Baldwin décrit infatigablement les maux d’un pays rendu fou par sa propre histoire : la co-existence de l’extermination des indiens et de l’esclavage tout en s’auto-revendiquant pays de la liberté. Richard Avedon, après avoir été le photographe des stars et des tops modèles, décide de photographier les corps des américains. Leur nudité. Les corps ne mentent pas. Ils sont éloquents sans les mots. Leurs faiblesses et leurs secrets décrivent sensiblement les histoires minuscules de la Grande Histoire impérialiste américaine. Baldwin et Avedon ont en commun une extrême délicatesse et une sensibilité rare mais surtout une grande tendresse, une sensualité électrique dans l’autopsie d’un pays en crise identitaire. Ils ont l’obsession d’une responsabilité envers les générations postérieures en étant des témoins, des passeurs. Quel monde laisserons-nous aux enfants, à ceux qui viendront après nous ? Et quand ils chercheront des réponses dans les obscurités qui seront les leurs, vers quoi pourront-ils se retourner pour chercher des réponses ?

    Durant les années de la création de Harlem Quartet, nous avons — la metteuse en scène Élise Vigier et l’auteur/traducteur Kevin Keiss — nous aussi entamé un dialogue, comme autant de routes de traverses pour parler de l’identité, de nos identités complexes, troubles, éclatées, fragiles. Une totale immersion dans l’œuvre et la réflexion politique humaniste de Baldwin. Des constellations de livres, de films : les images vibrantes de Jonas Mekas. La Forêt d’Appelfeld et ses « tâches de mémoires ». La façon dont le rire est toujours présent dans la tragédie.

    Comment, au travers des photographies, les événements politiques et l’intime se tissent-ils? Quelles images s’effacent et quelles images restent?

    Faire dialoguer Baldwin et Avedon par ce qu’on sait d’eux — les multiples interviews qu’ils ont laissé — mais aussi troubler le réel en superposant à leurs voix, les nôtres, nos voix en même temps que celles des deux acteurs : Marcial Di Fonzo Bo et Jean-Christophe Folly. Se dessine dès lors une carte de l’intime et du politique : quelque part entre Harlem et Barbès, la Normandie, Buenos Aires et le Togo. Entre les États-Unis en 1964, et nos enfances des années 70, et 80 - et la France d’ici, celle dans laquelle nous vivons aujourd’hui.

    Car à travers Baldwin et Avedon, c’est le rapport à nos origines sans origine qui s’impose et la façon dont nos obsessions artistiques sont les témoins du monde que nous aussi nous laisserons.

    Élise Vigier et Kevin Keiss

  • EXTRAIT DU TEXTE BALDWIN/AVEDON : ENTRETIENS IMAGINAIRES(au 23 janvier 2019)

    RICHARD AVEDONC’est passé tellement viteFranchementJ’étais très occupé vous savez Je suis étonné d’avoir cinquante ans C’est pas du tout comme je l’imaginais Cinquante ans

    Quand j’étais adolescent ça me paraissait vieux OuiVraiment vieux Ça me semble oui Inimaginable d’avoir de l’âge

    Tu fermes les yeuxLe temps passe Les autres deviennent beaucoup plus jeunes Tu vois ce que je veux dire

    JAMES BALDWINMoi j’étais pas boxeur Je n’étais pas chanteur Je n’étais pas danseur J’étais drôlement coincé La seule chose que je pensais c’était que peut-être je pouvais devenir écrivain Mais je n’ai jamais pensé sérieusement à cela jusqu’à ce que je quitte la maison J’avais dix-sept ans quand j’ai quitté la maison Et j’ai regardé le monde autour de moiEt pour moi Jimmy il n’y avait pas grand-chose Et il a fallu essayer de devenir écrivain

    ****

    RICHARD AVEDONComment s’est passé le moment où quelqu’un t’a expliqué que tu étais noir ?

    JAMES BALDWINOn m’a pas expliqué que j’étais noir J’étais en train de me bagarrer avec des blancs parce que eux ils savaient que j’étais noir mais moi je savais pas Et comme tous les garçons noirs On demande aux parents À sa mère son père On demande pas pourquoi on m’appelle « nègre »On demande qu’est-ce que ça veut dire « sale nègre »

  • ****

    JAMES BALDWINÇa veut dire quoi pour toi être photographe ? Est-ce que ça modifie ta façon de regarder ?

    RICHARD AVEDONJe crois que je vois les gens comme les musiciens entendent C’est-à-direD’une manière extrasensorielle Sans porter de jugement

    Par exemple moiJe ne fais pas la différence entre la laideur et la beauté Ma perception ce n’est que la répétition La confirmation Des nombreuses choses qui me sont nécessaires

    Photographier, c’est un élan C’est un geste qui relève de l’obsession Donc c’est inexplicable

    Je suis un photographe instinctif au premier degré dans le sens où photographier c’est mon langage je m’exprime avec mes photographies d’une manière complète et plus profonde qu’à travers des mots

    ***

    RICHARD AVEDONJimmy, tu penses quoi de l’amour ?

    JAMES BALDWIN Qui peut savoir ça ? Derrière le visage de la personne aiméeSur la personne que nous avons aimée et que nous aimerons toujoursLe temps n’as pas de priseL’amour ne connaît pas la mortLe temps et l’amour sont étrangers l’un à l’autreCar derrière le visage aiméSi vieux soit-ilSi ruiné et parcheminé soit-ilSe trouve le visage du bébé que fut autrefois votre amour et c’est ainsi qu’il restera toujours pour vous. L’amour aide, si la mémoire ne le fait pasEt la passionExcepté dans son intense relation avec l’agonie, travaille à l’ombre de la mort.

    ***

  • AVEDON Quand j’étais enfantMa famille faisait particulièrement attention à nos clichés instantanésOn prévoyait nos photos On en faisait des compositionsOn choisissait des vêtements exprès On empruntait des chiens On prenait la pose devant des voitures de luxe et des maisons qui n’étaient pas à nous Dans presque chacune de nos photos de famille il y a un chien emprunté Et ce chien est à chaque fois différentIci sur ces pages les photos ont été prises par ma mère par ma sœur ou moi Ça nous nous semblait nécessaire de faire comme si les Avedon avaient un chienIl n’y a pas longtempsAlors que je regardais en détail nos photos instantanées dans notre album de familleJ’ai compté onze chiens différents en une annéeOn prend la pose devant des auventsDes PackardAvec des chiens empruntésEt nous sourions pour toujoursNous sommes souriants pour l’éternitéToutes les images de notre album de famille sont construites autour d’un mensonge sur ce que nous étions Mais elles révèlent une vérité sur ce que nous voulions être.

    ***JEAN-CHRISTOPHE : En 1964, James Baldwin et Richard Avedon, qui étaient amis au lycée DeWitt Clinton dans le Bronx se retrouvent MARCIAL : En 1964, ils sont tous les deux devenus des artistes reconnusJC : Et ils travaillent ensemble à un ouvrageM : Ils l’intitulent Nothing Personal. Dans ce livre fait de textes et de photos, ils posent tous les deux un regard acéré sur leur pays JC : 1964 c’est aussi l’année du Civil Rights Act, le 3 juillet 1964, le président des États-Unis, Lyndon Baines Johnson, déclare illégale la discrimination reposant sur la race, la couleur, la religion, le sexe, ou l’origine nationaleM : Ça c’est tout juste un an après le coup d’envoi du grand mouvement pour les droits civiques avec les manifestations de Birmingham pour la déségrégation des établissements publics aux USAJC : C’est après les grands discours du président Kennedy qui impose les deux premiers étudiants noirs dans les université d’AlabamaM : Et après l’assassinat de John Fitzgerlard à Dallas et la fin du plan de lutte contre la pauvreté qu’il avait engagéM : C’est l’année de la rupture diplomatique totale avec CubaJC : En France Charles de Gaulle est au pouvoir et célèbre l’instauration du canal de Moselle!M : Nelson Mandela et sept autres membres de l’African National Congress (ANC) sont condam-nés à la prison à vie pour trahison. Mandela refuse d’être libéré en échange de son renoncement à la lutte armée contre l’apartheid.JC : En France Richard Anthony chante « à présent tu peux t’en aller », Sylvie Vartan « La

  • plus belle pour aller danser », Sheila « Vous les copains je ne vous oublierai jamais », Les Beatles chantent « A Hard day’s night »JC : Martin Luther King reçoit le prix nobel de la paix M : Jean-Luc Godard sort « Band à part » avec Anna Karina et Samy Frey et Claude Brasseur…il y a la scène mythique où il danse ensemble JC : « Les parapluies de Cherbourg » de Jacques Demy remporte la palme d’or à CannesM : En France on regarde le « Manège enchanté » à la télévisionJC : Aux USA on manifeste à Birmingham pour que les droits civiques soient étendus à toute la population des états unis, c’est le début de la discrimination positive dans les écoles M : Glenn Gould décide d’abandonner la scène à 34 ans pour se consacrer à l’enregistrement. JC : Le téléphone rouge entre le Kremlin et Washington ne fonctionne pas

  • Le photographe américain au regard fulgurant est mort vendredi à 81 ans.

    Avec Richard Avedon, mort vendredi matin à San Antonio (Texas) des suites d’une hémorragie cérébrale, disparaît l’un des photographes les plus fulgurants du XXe siècle, un esprit révolutionnaire qui aura inventé la science vision en bouleversant les règles et le rituel du portrait conventionnel. Il avait 81 ans et préparait pour The New Yorker un portfolio sur les élections présidentielles. « Un homme qui a le don du regard », écrira l’écrivain Truman Capote (1), lorsqu’il le rencontre un dimanche d’hiver dans son atelier silencieux, et remarque « ses yeux marron et trompeusement normaux, qui mettent une telle ardeur à déceler le caché et à saisir l’âme, à suivre la piste d’une vérité, d’un état d’esprit, d’un visage. Ses yeux et sa passion innée pour son métier, la photographie, sans laquelle les yeux exceptionnels et l’intelligence des nerfs sensitifs qui leur donne leur puissance, ne sauraient diffuser ce qu’ils absorbent goutte à goutte ».

    Certains jugeront ce regard cruel, voire sensationnel, et ne verront dans ses photographies que de vulgaires dissections sur papier. Une simple mascarade, sans chaleur humaine, sans pitié. Mais Avedon n’est pas un croque-mort, il est juste d’une extrême lucidité, au plus près de l’invisible, comme lorsqu’il saisit, à l’hôpital, le dernier souffle de son père Jacob. Après le deuil, le fils de Jacob confiera combien cette « véritable collaboration (...) nous donnait la possibilité d’apprendre à nous connaître réciproquement. (...) Ce qui se jouait entre mon père et moi était important pour nous deux, mais dénué de signification pour l’image. Elle a sa force

    d’expression et, très singulièrement, nous ne lui pesons pas ».

    C’est à 10 ans que le petit Dick, né le 15 mai 1923 à New York, commence à s’amuser avec son appareil photo en capturant le voisin de ses grands-parents, un certain Rachmaninov, qu’il écoute jouer des heures entières caché dans les poubelles de son escalier de service. Il préfère l’ombre à la lumière : « Quand j’étais enfant, j’ai le souvenir de m’être caché dans une chambre aux volets clos. Les enfants du voisinage jouaient au ballon sous ma fenêtre. (...) Être à l’intérieur de cette chambre noire, avec sa vue sur la rue ensoleillée, était un peu comme être à l’intérieur d’un appareil photo, et ce que je voyais à l’extérieur s’imprimait en moi. J’ai été ma première surface sensible. »

    Autopsies. À 12 ans, son Kodak Brownie autour du cou, il pose fièrement dans Central Park avec ses copains du club photo des YMHA (Association de jeunes garçons juifs). Sur les murs de sa chambre, des images de mode et des portraits d’acteurs signés Martin Munkacsi, Edward Steichen, Man Ray. Il aime déjà la mode (son père possède un magasin de mode sur la Cinquième Avenue), moins les études. Deux années de philosophie à la Columbia University, et, en 1942, il s’engage dans la marine marchande («l’armée des illettrés», lui dira son père qui l’avait rêvé en homme d’affaires) au service des autopsies, puis des photos d’identité : il a 19 ans.

    Haute couture. En 1944, de retour à New York, il entre à la New School for Social Research. Alexey Brodovitch, directeur artistique du Harper’s Bazaar et futur gourou de toute une génération, y enseigne

    LE DON AVEDONPar Brigitte Ollier, Libération 2 octobre 2004

  • la photographie expérimentale. Le jeune Avedon s’y révèle un étudiant si doué et enthousiaste que, très vite, il devient le photographe en titre du magazine féminin (il y restera jusqu’en 1965). En 1946, installation de son studio à New York. Puis, l’année suivante, pour le Bazaar et pour la première fois, il vient à Paris pour photographier les collections de haute couture. Il en profite pour visiter l’Europe, et séjourne en Italie, à Rome, Palerme et Noto ; là, il se fond dans la rue et se heurte à sa réalité comme un papillon ébloui par la lumière. De cette année 1947 datent ses instantanés d’enfants dignes du néoréalisme et qui feront l’événement lors de sa grande rétrospective à Milan, en 1993, année où paraît An Autobiography.

    Dans les années 50, Avedon photographie Marilyn Monroe, Coco Chanel, Dorothy Parker. Les portraits ne sont guère flatteurs (« Un portrait n’est pas une amabilité, mais une opinion », dira le maître), mais au moins ces femmes ont l’air éloquentes et pas momifiées comme le sont aujourd’hui les célébrités. A cette époque, ce portraitiste exigeant représente aussi le photographe de mode idéal, il en est l’essence même, l’archétype. Pas étonnant donc, qu’il soit conseiller visuel pour le film de Stanley Donen Funny Face, avec Fred Astaire, sa doublure sur écran, amoureux d’Audrey Hepburn. En 1959 paraît Observations, son premier livre avec un texte de Truman Capote et un graphisme explosif. Tous ses livres nourris au biberon de Brodovitch seront à l’image du premier, exceptionnellement vivants, ironiques et sincères.

    Trois ans avant d’être engagé par le magazine Vogue, Avedon photographie en 1963 le mouvement pour les droits de l’homme, dans le sud des Etats-Unis. Dans son objectif, des manifestants, des racistes, et les patients d’un hôpital psychiatrique. Portraits tragiques, et toujours intimes, où s’inscrit comme par mégarde le souvenir de sa soeur cadette Louise, son modèle préféré qui mourra à 30 ans dans un asile, détruite par «l’effet de sa beauté».Juste avant son départ du Bazaar, où il aura fait poser la première femme noire, Donyale Luna, Avedon est le rédacteur en chef et l’unique photographe invité du numéro d’avril 1965, totalement nourri de pop art. Sur la couverture, Jean Shrimpton dans un cadre rose, cligne de l’œil. Mars 1966, première couverture pour Vogue avec Barbra Streisand, yeux de biche, sourire de midinette et jonquille à la bouche ; et, le même mois, le portrait de Jean Genet, tête baissée, comme s’il passait par accident dans le cadre. De plus en

    plus, Avedon renonce aux prises de vue en extérieur et à la lumière naturelle : « J’aurais l’impression de mentir si je photographiais en lumière du jour dans un monde de Hilton, d’aéroports, de supermarchés et de télévision. La lumière du jour est une chose que je vois rarement, une chose à laquelle je dois renoncer comme je dois renoncer à l’enfance. » Mais, même coincés sur un mur blanc dans un studio, ses mannequins ne cessent de s’agiter et de vivre leur vie à fond la caisse, symboles palpables d’une mode énergétique.

    En 1970, avec Instants de ma vie, il sort de l’ombre Jacques-Henri Lartigue et ses instantanés trépidants de gosse de riche. Et loue ce photographe instinctif qui a su mémoriser sa propre vie : «C’était un amateur dont la spontanéité ne fut jamais entravée par l’ambition ou le désir d’être sérieux. » Un geste généreux et surprenant, loin du portrait-robot du biographe de la gentry, indifférent aux autres. Juste après, en 1971, trois ans avant la fin de la guerre du Vietnam, Avedon montre les victimes du napalm. Visages défigurés, corps martyrisés, une fois de plus, c’est l’électrochoc de la condition humaine et l’échec flagrant d’une démocratie en danger. « Le Vietnam, dira-t-il, est, hélas, un prolongement de tout ce qu’il y a de malade en Amérique. »

    En 1979, nouvelle preuve de son audace, avec la chercheuse Laura Wilson, il se lance un défi avec In the American West. 17 Etats visités, 752 portraits réalisés sur un fond blanc, et, au bout du compte, un roman-fleuve paru en 1985, qui dresse le portrait d’une Amérique anonyme, où chaque portraituré a son nom et sa profession inscrits. De Roberto Lopez, ouvrier sur un gisement pétrolifère (Texas) à Patricia Wilde, gouvernante (Montana), c’est une Amérique sans héros qui défile, une Amérique curieusement familière et peuplée de gentils cinglés, comme Ronald Fischer, l’employé de banque qui élève des abeilles pour son plaisir. Mélange d’August Sander (pour sa rigueur) et de Diane Arbus (pour les exclus), le plus beau projet de Richard Avedon, pourtant plein de franche humanité, est accueilli fraîchement. L’Amérique n’est pas si belle en son miroir... « Il y a quelque chose d’extrêmement cruel, de vicieux même », écrit ainsi Fred McDarrah dans Photo District News, « dans le fait de faire poser un malade mental handicapé moteur, un fermier estropié, un prisonnier manchot portant des traces de coups de couteau, une épave alcoolique pathétique, tous pour le plaisir de produire des portraits à sensation... Il y a là une accumulation

  • malsaine, qui exprime les peurs intimes d’Avedon et ses épouvantables cauchemars. »

    Confidence. De 1985 à 1992, Richard Avedon travaille en exclusivité pour Egoïste, la revue singulière à parution irrégulière créée par Nicole Wisniak. Dans le numéro 9, il est en couverture, yeux noirs sans sourire, pas commode, très puissant. C’est cet autoportrait extrêmement tendu que l’on aimerait garder de lui, quand il a l’air de se faucher les bras, de tout envoyer balader, comme si, au fond, tout cela n’avait aucune importance. Echo à cette confidence d’un jour de novembre 1993, où le fils de Jacob se rappelait qu’enfant, il avait toujours eu confiance « dans le langage du regard » plus que dans les mots : « Après tout, les photos parlent vraiment de ce qu’est fondamentalement la vie, un tissu de contradictions et d’énigmes non résolues. Même la mort ne met pas fin à l’histoire. »

    (1) in Portraits et impressions de voyage, Gallimard.

    Brigitte Ollier

  • Durant la décennie turbulente des années 60, le visage et la pensée de James Baldwin ont illuminé le paysage culturel américain tel un éclair descendu droit des cieux. Parcours de ce prophète de la lutte pour l’égalité qui a choisi l’Europe pour mieux observer son pays.

    Né le 2 août 1924 dans la partie la plus pauvre de Harlem, Baldwin est l’ainé de neuf enfants. C’est aussi un enfant illégitime. Sa mère, qui s’est remariée alors qu’il avait trois ans avec un prédicateur très strict, refusera toujours de lui révéler l’identité de son père biologique. Lecteur vorace, il commence très tôt à écrire. A 14 ans, il devient prédicateur prodige mais il choisit de quitter l’église et le foyer à 17 ans, s’installe dans le Greenwich Village bohème où il vit de jobs mal payés tout en publiant des critiques littéraires dans des revues progressistes. Il trouve un soutien de poids en la personne de Richard Wright, le grand écrivain noir, qui l’aide à obtenir une bourse pour un projet de roman. Mais ne supportant plus le climat racial étouffant de New York, le 11 novembre 1948, il quitte brusquement les Etats-Unis pour la France.

    Premier exil parisien« En Europe, j’ai rencontré tout un tas de gens. Je me suis même rencontré moi-même. »

    En un peu de moins de dix années parisiennes, Baldwin va analyser l’étendue de sa complexité particulière. Il publie énormément: deux romans autobiographiques - Go Tell It On The Mountain (La conversion) en 1953, sur la destinée d’une famille noire dans le Harlem des années 30 et Giovanni's Room (La chambre de Giovanni) en 1956, sur l’émoi homosexuel d’un expatrié blanc à Paris, ainsi que la

    pièce de théâtre Le coin des Amen en 1954, sur le milieu de la religion afro-américaine et le recueil d’essais Note of a Native Son (Chronique d’un pays natal) en 1955 dans lesquels apparaissent déjà ses thèmes de prédilection : la quête de l’identité, les relations raciales et les liens entre l'Amérique et l'Europe. Dans la conclusion d'un essai fameux intitulé Prise de conscience de la condition d’Américain, il écrit:« L’Europe possède ce que nous n’avons pas encore: un sens du mystérieux et des limites inexorables de la vie, bref, un sens de la tragédie. Quant à nous, nous avons ce qui lui manque le plus, une conscience neuve des possibilités offertes par l’existence.Dans cette entreprise destinée à combiner la vision du Vieux Monde à celle du Nouveau, c'est l'écrivain, et non l'homme d'Etat, qui joue le plus grand rôle. Bien que nous n'en soyons pas encore persuadé, la vie intérieure st une vie réelle et les rêves intangibles de l'homme ont un effet tangible sur le monde. »

    Retour du fils prodigue

    Libéré du rôle de victime, et empli d'une vision claire de sa mission, Baldwin rentre aux Etats-Unis en 1957 et s’implique dans le mouvement naissant des droits civiques. Il se fait un interprète sensible de la situation des Afro-américains. Ses deux recueils d’essais Nobody Knows My Name (Personne ne sait mon nom) en 1961 et, surtout, The Fire Nex Time (La prochaine fois, le feu) en 1963 - un texte prophétique qui lui vaudra une célébrité mondiale - exposent le fossé qui se creuse entre l’Amérique blanche et noire et le risque d’une explosion de violence de la part d’une communauté injustement mise à l’écart.

    James Baldwin (1924-1987)

    LE GRAND TÉMOIN

  • L’exil définitif

    L’assassinat des trois principaux leaders noirs Medgar Evers, Malcolm X et, surtout, Martin Luther King le blesse profondément et font douter Baldwin de la capacité des Etats-Unis à pouvoir se réformer. Il va désormais passer la majeure partie de son temps en Europe, s’installant d’abord à Istanbul, de 1965 à 1967, puis, en France, à partir de 1970. Il faudra attendre le roman If Beale Street Could Talk (Si Beale Street pouvait parler) en 1974, pour voir l’écrivain renouer avec un certain optimisme et adopter un nouveau credo : l’amour comme ultime moyen de survie. Son dernier chef-d’œuvre, Just Above My Head (Harlem Quartet) en 1979, nous présente en une symphonie fantastique, toute la gamme des sentiments humains.

    Dans les années 80, James Baldwin part enseigner la littérature à l’Université du Massachussetts et, le 23 mars 1986, il est désigné comme conférencier d’honneur lors de la journée mondiale pour l’élimination de la discrimination raciale à l’U.N.E.S.C.O. La même année, il reçoit des mains du président François Mitterrand la cravate de Commandeur de la Légion d'honneur.

    Baldwin décède à 63 ans d’un cancer de l’estomac le 1er décembre 1987 à Saint-Paul de Vence, où il réside depuis 17 ans. Il recevra à titre posthume le Premier Prix de l’amitié France-Etats-Unis. Samuel Légitimus

  • ÉLISE VIGIER

    Comédienne et metteur en scèneElise Vigier a suivi la formation de l’École du Théâtre National de Bretagne. En 1994, elle crée avec les élèves de sa promotion Les Lucioles, un collectif d’acteurs.Depuis 2015, elle est artiste associée à la direction de la Comédie de Caen – CDN de Normandie et à partir de 2016, et artiste associée à la Maison des Arts de Créteil.Elle co-met en scène plusieurs spectacles avec Marcial Di Fonzo Bo, notamment des pièces de Copi, Rafaël Spregelburd, Martin Crimp, Petr Zelenka Avec Frédérique Loliée, elle joue et met en scène en duo l’écriture de Leslie Kaplan, « Déplace le ciel » et « Louise, elle est folle », « Toute ma vie j’ai été une femme ». Comme actrice, elle joue principalement dans des mises en scène de Marcial Di Fonzo Bo, Pierre Maillet, Bruno Geslin, Brigitte Seth et Roser Montlló Guberna. Dans le cadre d’un projet européen, elle réalise un documentaire Les femmes, la ville, la folie 1. Paris. Elle co-réalise également, avec Bruno Geslin, un moyen métrage La mort d’une voiture et écrit , avec Lucia Sanchez et Frédérique Loliée, à la réalisation de films courts intitulés « Let’s Go» dans lesquels elles jouent également.Elle a mis en scène Harlem Quartet d’après le roman Just Above My Head de l’auteur américain James Baldwin créé à la MAC de Créteil à l’automne 2017. Et M… comme Méliès en co-mise en scène avec Marcial Di Fonzo Bo en janvier 18 à la Comédie de Caen. Et Kafka dans les villes en co-mise en scène avec Frédérique Loliée et la collaboration de Gaetan Levêque pour le cirque dans le cadre de Spring en Mars 18 sur une composition de Philippe Hersant pour l’Ensemble Sequenza 9.3 à partir de Premier Chagrin de Franz Kafka.En 2020 elle crée Le Royaume des animaux de Roland Schimmelpfenning avec Marcial Di Fonzo Bo à la Comédie de Caen.Et Buster Keaton en janvier 2021 avec Marcial Di Fonzo Bo à la Comédie de Caen.

    Ses propos sur James Baldwin

    Élise Vigier : « Les paroles de James Baldwin sont encore d’une pertinence incroyable »L’invitée culture - France Culture - 24 mars 2018www.franceculture.fr/emissions/linvite-culture/elise-vigier

    James Baldwin, l’exhibition des mots La compagnie des auteurs - France Culture - 19 avril 2018www.franceculture.fr/emissions/la-compagnie-des-auteurs/james-baldwin-44-lexhibition-des-mots

    © Tristan Jeanne-Valès

  • KEVIN KEISS

    Auteur, dramaturge, metteur en scène. Formé au Théâtre national de Strasbourg. Associé au CDN de Vire avec le Collectif d’auteurs et d’autrices Traverse. Ses pièces ou adaptations sont toutes jouées, traduites en plusieurs langues, mises en ondes pour la radio ou adaptées pour l’opéra. Auteur pour les adultes mais aussi pour les enfants, il est édité chez Actes Sud-Papiers : Ceux qui errent ne se trompent pas, Ce qui nous reste de ciel, Je vous jure que je peux le faire, Actes Sud Jeunesse. Il est régulièrement accueilli en résidences d’écriture à la Chartreuse, Cnes et participe aux Rencontres d’été 2018 où il présente notamment le début d’un opéra dont il assure la mise en scène et écrit le livret Retour à l’effacement avec le compositeur gréco-suisse Antoine Fachard dans le cadre du Programme Totem(s) dirigé par Catherine Dan et Roland Auzet. Il collabore régulièrement avec la metteuse en scène Maëlle Poésy, Ceux qui errent ne se trompent pas, Festival d’Avignon IN 2016, Le Chant du cygne et L’ours de Tchekhov, Comédie-Française, Candide si c’est ça le meilleur des mondes. Comme auteur et/ou dramaturge il collabore régulièrement avec Élise Vigier (Harlem Quartet festival international de Princeton, USA), Julie Berès (Désobéir, Soleil Blanc, Théâtre de la Ville), Lucie Berelowitsch (Rien ne se passe jamais comme prévu), Alexandre Éthève, Louis Arène mais aussi avec Baptiste Guiton, Laëtitia Guédon, Kouhei Narumi (Festival Beseto, Tokyo, Japon), Charles Malet (Afrique du Sud), Sylvain Bélanger (Canada), Cristian Plana (Chili) Jean-Pierre Vincent. Avec le collectif Traverse, ils écrivent pour le collectif OS’O Pavillon Noir créé au TnBA et au Centquatre Paris. Ils donnent des ateliers d’écriture et plateau (stages afdas, ESSAD). Kevin donne de nombreux stages de jeu et d’écriture : CDN de Rouen, Caen, Vire, Dijon, Bordeaux, Toulouse mais aussi aux États-Unis (Princeton), au Canada (Université Mc Gill) ou au Chili (Centro Gabriela Mistral GAM). Sa dernière pièce, Ce qui nous reste de ciel, Actes Sud-Papiers, avril 19, est traduite en espagnol, anglais, allemand et arabe. Lauréat Jamais Lu Paris et Montréal. Rencontres d’été 2018 à La Chartreuse Cnes, Institut Français au Chili, festival Santiago Off. Elle est montée en Autriche par Cornelia Rainer et au Canada par Sylvain Bélanger. Pour la radio, il réalise le radiorama Désobéir avec Julie Bérès pour France Culture. Ainsi que la pièce miniature 1967 pour Radio Nova. Il est également professeur associé à l’université Bordeaux-Montaigne.

    © Jean-Louis Fernandez

  • MARCIAL DI FONZO BO

    Comédien et metteur en scèneDe 1991 à 1994, il suit la formation d’art dramatique de l’Ecole du Théâtre National de Bretagne. En 1994, il crée avec les élèves de sa promotion Le Théâtre des Lucioles, collectif d’acteurs. Au sein de ce collectif d’acteurs, il met en scène de nombreuses pièces, s’attachant à des auteurs contemporains tels Copi, Leslie Kaplan, Rodrigo García, Rafael Spregelburd ou Philippe Minyana. Comme comédien, il est dirigé par de nombreux metteurs en scène, entre autres, Claude Régy, Matthias Langhoff, Rodrigo García, Olivier Py, Jean-Baptiste Sastre, Luc Bondy ou Christophe Honoré.En 1995, il reçoit le prix de la révélation théâtrale du syndicat de la critique pour son interprétation du rôle-titre de Richard III mis en scène par Matthias Langhoff. En 2004, le même syndicat de la critique lui décerne le prix du meilleur acteur pour Muñequita ou jurons de mourir avec gloire de Alejandro Tantanian mise en scène par Matthias Langhoff. Il met en scène – en collaboration avec Elise Vigier plusieurs pièces de Copi, en France. Et la création de La Tour de la Défense à Barcelone (2008) puis à Moscou (2011).Au cinéma, il tourne avec Claude Mourieras, Emilie Deleuze, Christophe Honoré, Stéphane Guisti, François Favrat, Maïwenn et Woody Allen. En 2008, il entame une collaboration de longue haleine avec l’auteur argentin Rafael Spregelburd. Il met en scène avec Elise Vigier : La Connerie (2008), La Paranoïa (2009) et L’Entêtement (2011) et avec Pierre Maillet La Panique (2009) et Bizarra (2012). En 2010, il coécrit Rosa la Rouge avec la chanteuse Claire Diterzi. Pour le festival d’Automne 2010, il signe la mise en scène de Push up de Roland Schimmelpfennig, et au Théâtre de Paris, La Mère de Florian Zeller avec entre autres, Catherine Hiegel qui reçoit pour ce rôle le Molière 2011 de la meilleure interprète. En 2012, il met en scène Lucide au Théâtre Marigny à Paris. En mars 2014, il met en scène au Théâtre National de la Colline un texte inédit de Philippe Minyana Une Femme, et en juin 2014 il monte avec Elise Vigier, aux Nouvelles Subsistances à Lyon, Dans la République du Bonheur de Martin Crimp. En 2014 il réalise son premier film de fiction pour Arte, Démons de Lars Norén. En 2015 il crée au Théâtre du Rond-Point la version théâtrale. Il prend la direction de la Comédie de Caen-Centre Dramatique National de Normandie en janvier 2015, avec Elise Vigier, artiste associée à la direction et Jacques Peigné, directeur délégué. En 2016 il crée Demoni de Lars Norén au Teatro Stabile Di Genova en Italie, et Vera de Petr Zelenka à la Comédie de Caen, actuellement en tournée. En 2017 il crée Eva Peron et L’Homosexuel ou la difficulté de s’exprimer de Copi au Théâtre National Cervantès de Buenos Aires avec des comédiens argentins. En janvier 2018 il crée M comme Méliès d’après des écrits et des films de Georges Méliès à la Comédie de Caen. Et l’opéra King Arthur en avril 2018 au Grand Théâtre de Genève. En 2020 il met en scène Le Royaume des animaux de Roland Schimmelpfenning avec Élise Vigier à la Comédie de Caen. Et créera Buster Keaton en 2021, avec Élise Vigier, à la Comédie de Caen. À l’automne 2021, il réinterprétera Richard III dans une mise en scène de Matthias Langhoff.

    © Tristan Jeanne-Valès

  • JEAN-CHRISTOPHE FOLLY

    Comédien formé à l’École Claude Mathieu puis au Conservatoire national supérieur d’art dramatique, joue sous la direction de Jean-René Lemoine (La Cerisaie, Anton Tchekhov), Claude Buchwald (Falstafe, Valère Novarina), Marie Hallet (L’Opérette imaginaire, Valère Novarina, Liliiom, Ferenc Molnár, Oui aujourd’hui j’ai rêvé d’un chien, Daniil Harms), Naidra Ayadi (Horace, Corneille), Pascal Tagmati (Dans la solitude des champs de coton, Bernard-Marie Koltès), Élise Chatauret (Antigone, Sophocle) Agnès Galan (Le Livre de Job - Ancien testatment), Irène Bonnaud (Retour à Argos, Eschyle), Robert Wilson (Les Nègres, Jean Genet), Nelson Rafaell Madel (Nous étions assis sur le rivage du monde, José Pliya) et Jean Bellotini (Karamazov, Fiodor Dostoïevski).

    Il joue actuellement dans Harlem Quartet, mis en scène par Élise Vigier. Parallèlement il a tourné dans des courts et longs métrages tels que la Maladie du sommeil d’Ulrich Kohler, Vous n’avez encore rien vu d’Alain Resnais et 35 Rhums de Claire Denis.

    © DR

  • Le blog de Médiapart, 27 février 2020

    Conversation entre deux amis d’enfance : Richard Avedon et James Baldwin

    Après « Harlem Quartet », Élise Vigier et Kevin Keiss retrouvent James Baldwin- Jean-Christophe Folly en conversation avec son ami de toujours le photographe Richard Avedon - Marcial Di Fonzo Bo. Un double portrait on ne peut plus exquis-espiègle qui s’insère dans la riche série de portraits que propose le CDN de Caen.

    Tandis qu’Élise Vigier (adaptation et mise en scène) et Kevin Keiss (adaptation) travaillaient sur le livre de James Baldwin Harlem Quartet, des amis fort bien intentionnés ont attiré leur attention sur l’amitié partagée depuis l’enfance entre l’écrivain noir, protestant et homosexuel et le photographe Richard Avedon, blanc, juif et hétérosexuel. Devenus cé-lèbres l’un et l’autre, ils allaient sceller leur amitié en 1964 à travers un livre Nothing personal réédité il y a peu en français chez Taschen sous le titre Sans allusion et enrichi d’inédits.

    Tandis que la carrière du magnifique spectacle Harlem Quar-tet (lire ici) suivait son cours, l’envie était trop forte pour Vigier et Keiss de ne pas se pencher de plus près sur cette amitié. Et c’est devenu un spectacle qui, d’une façon particulière car double, entre dans la série des passionnants Portraits que le CDN de Caen propose depuis que Marcial Di Fonzo Bo et Élise Vigier animent la maison. Après Bourdieu (lire ici), Nina Simone (par David Lescot que je n ai malheureusement pas vu), Raoul Fernandez (lire ici) et Michel Foucault (lire ici), voici donc Baldwin/ Avedon : entretiens imaginaires. Un régal tant il semble s’improviser devant nous (il n’en est presque rien, bien sûr), distillant le charme d’un impromptu.

    Ces entretiens ou plutôt cette conversation entre les deux amis est bel et bien imaginaire mais elle se fonde sur des entretiens donnés par l’écrivain et le peintre dans la presse américaine avec, ici et là, des bouts de textes de Baldwin. Ce dernier est porté par Jean-Christophe Folly qui dans Har-lem Quartet interprétait le rôle de Hall Montana. On a grand plaisir à le revoir comme on a grand plaisir à retrouver sur scène Marcial Di Fonzo Bo, lui dans le rôle d’Avedon. Et les deux acteurs ont un tel plaisir à être ensemble sur un plateau que les spectateurs en sont comme contaminés. D’autant plus que l’incarnation est ici de plus l’ordre de la citation et de l’évocation, si bien qu’après avoir parlé des enfances, ado-lescences et des rapports aux parents des deux célébrités

    et de leur vocation artistique respective, les deux acteurs en viennent à parler de leur propre enfance, Marcial à Buenos Aires, Jean-Christophe à Paris, rue d’Avron et en Normandie. Glissements progressifs du plaisir à jouer ensemble et à en jouer.

    « Il n’a jamais compris mon désir d’écrire, tu sais, mon désir d’être un artiste » dit Baldwin parlant de son père. Avedon : « Mon père voulait que je devienne un homme d’affaires. Il avait énormément souffert en tant que juif russe au début du siècle à New York ». Le projet de livre co-signé nous trans-porte en1964, l’année où Bob Dylan écrit The times they are a-changing chanté par Jean-Christophe et traduit parallè-lement par Marcial. Des petites choses comme cela du bout des doigt et de bout en bout, avec une bell décontraction dans leur aller et venir sur le plateau vaguement transformé en studio photo et à feuilleter le livre commun des deux célé-brités dont les pages sont projetées sur un écran. Bonheur de l’être là.

    Ici et là, une pointe d’émotion, juste ce qu’il faut. Par exemple, ce jour où le jeune Baldwin va voir son pote et où l’employée de maison des parents l’oblige à prendre l’escalier de service. Fureur de la mère d’Avedon qui gifle et congédie sur le champ l’employé. Une scène que Baldwin n’oubliera jamais. Tout comme Avedon n’oubliera pas sa visite, jeune photographe, à Jean Renoir dans sa maison de Beverly hills. Il prend le vieux cinéaste en photo, Renoir l’invite à sa table parmi d’autres invités. Très mal à l’aise, ne participant au babil de la conver-sation, Avedon prend congé lorsque Renoir est parti aux toi-lettes avec son déambulateur. Il salue le très vieux cinéaste à son retour, Renoir l’accompagne à la porte et a ces mots : « ce n’est pas ce qu’on dit qui compte, ce qui compte ce sont les sentiments qui s’échangent au-dessus de la table ». A travers leurs conversation et leur connivence c’est bien aussi de cela dont parlent les deux amis et les deux acteurs.

    27 févr. 2020 I Par Jean-Pierre Thibaudat I Blog : Balagan, le blog de Jean-Pierre Thibaudat

  • sceneweb.fr, 26 février 2020

    Baldwin – Avedon, un portrait croisé en toute intimité

    Dans une forme simplissime, sur le ton de la conversation et de la confidence, Marcial di Fonzo Bo et Jean-Christophe Folly portent les intimes convictions de deux artistes huma-nistes, Baldwin et Avedon.

    Noir, protestant et homosexuel, blanc, juif et hétérosexuel, si différents et pourtant amis intimement liés, l’écrivain James Baldwin et le photographe Richard Avedon ont fait oeuvre com-mune en 1964 d’une publication intitulée Nothing Personal constituée de textes et de photos mis en regard et en dialogue pour portraiturer l’Amérique telle qu’ils la voyaient. C’est à la lecture de cet ouvrage présent sur scène aux pieds des comé-diens entre autres catalogues d’art, mais aussi de vastes inter-views et essais qu’ont été pensés et élaborés par le dramaturge Kevin Keiss et la metteure en scène Elise Vigier ces entretiens imaginaires. Ils sont restitués dans un spectacle à la fois court dans sa forme – un peu plus d’une heure de représentation montée avec une simplicité telle que tout paraît naturellement évident – et dense dans son propos qui dénonce la violence intime et sociale engendrée par la haine raciale.

    Jean-Christophe Folly a joué Hall Montana, un des personnages principaux de Harlem Quartet, le célèbre roman de Baldwin adapté et porté à la scène, celui qui ouvrait la pièce par un long monologue au cours duquel il racontait, sombre et blessé, le deuil de son petit frère Arthur, retrouvé dans les toilettes d’un bar de nuit londonien, gisant dans son propre sang. Cette fois, le comédien interprète l’auteur de cette somme littéraire

    qui chronique le Harlem des années 50-70, le racisme et l’intolérance de l’Amérique avec la communauté noire. Cette Amérique, Baldwin l’a quittée en 1948, pour rejoindre la France à 24 ans. Né à New York, Richard Avedon, vient, quant à lui, d’une famille d’émigrés russes en quête d’intégration sur le territoire américain. Il touche à la photographie à l’âge de 10 ans. Il réalise des portraits de stars ou d’anonymes avec un style très identifiable prompt à traduire l’âme de ses modèles.

    En costumes noirs de gala, les deux hommes et artistes sont présentés sans trop de cérémonie mais avec une folle élé-gance. Plein de vitalité, ils se dandinent allègrement dégin-gandés sur un standard de jazz ; plein de délicatesse, ils se racontent, sans concession. A ces figures, se superposent les histoires des interprètes eux-mêmes s’appelant par leur propre prénom. De photographies de famille convoquées sur le plateau découlent des évocations elliptiques de ce qu’ils sont et de ce dont ils sont constitués.

    Le dispositif excelle à faire tout appréhender sous la forme de la rencontre et du dialogue. Dialogue entre Jimmy et Richard, dialogue entre Marcial et Jean-Christophe, dialogue entre les arts et la vie, dialogue entre Buenos Aires et Barbes, entre des époques qui n’ont malheureusement pas rien à voir en terme d’exclusion des individus et de réflexions identitaires épineuses.

    Avec fugacité, un mélange de sérieux et de décontraction, sur le ton apparemment anodin de la conversation, de nombreuses idées et valeurs importantes sont brassées et échangées. Sans appuyer, sans forcer, le propos d’une dimen-sion militante trop brutale, le discours parvient à se faire en-tendre intimement, posément, et délivre des vérités ô combien salutaires. C’est avec justesse et sensibilité que se posent les questions de l’origine, de l’amour, du passé, de la mémoire, de la mort, de la construction de soi, du combat, de la responsa-bilité, de l’art et de sa nécessité. Tels que présentés sur scène, Baldwin et Avedon sont des observateurs aigus qui invitent à modifier notre façon de regarder et d’analyser. Ils prouvent com-bien l’art permet de dire précisément, intensément, son rapport à soi, à l’autre et au monde.

    Christophe Candoni

  • Un Fauteuil pour l’Orchestre,27 février 2020

    Baldwin/Avedon : Entretiens imaginaires, de Kevin Keiss et Élise Vigier, mise en scène d’Élise Vigier, Théâtre 14Un plateau de théâtre comme un studio de photo, avec deux projecteurs, deux chaises, un flightcase, un ordi-nateur… C’est dans cet espace simple, ouvert, épuré, que vont se rencontrer Richard Avedon et James Bald-win. Anciens camarades de lycée que semble-t-il tout oppose (la couleur de peau, l’orientation sexuelle, la religion), le photographe et le poète viennent de signer à quatre mains l’album Nothing Personal, témoignage engagé sur l’Amérique des sixties. La pièce, écrite par Kevin Keiss et Élise Vigier, s’inscrit dans la série « por-traits » de la Comédie de Caen. Le texte tisse ensemble des interviews des deux artistes, donnant lieu à ces « entretiens imaginaires ».

    Jimmy et Richard, ou Marcial et Jean-Christophe : les biographies et les écrits de Baldwin et Avedon, riches, émouvants, prenants, sont aussi des prétextes, pour les deux acteurs qui les incarnent, à se replonger dans leurs propres enfances, et leurs propres racines – la Normandie et le Togo, ou encore la dictature argentine. Un fil directeur ? Les photos et les textes. Une énergie ? Celle de l’enthousiasme, de l’ivresse des rencontres, de vies en carrefour : Avedon, paralysé par une soudaine phobie sociale, qui se souvient de la gentillesse d’un Jean Renoir âgé, presque grabataire, qui a compris les raisons de son silence ; Jolly, qui se rappelle avec sidération un de ses premiers rôles, celui du Malien de service à l’accent prononcé ; Di Fonzo Bo et les chiens de hasard, qui meublent les photos de famille.

    Élise Vigier a su trouver des « trucs » pour animer cette conversation qui ne laisse jamais les spectateurs et spectatrices de côté : changer de chaise, changer d’éclairage, changer d’angle, courir, marcher, s’asseoir, réciter, ou au contraire parler très vite, mu par l’émotion du souvenir. Les effets sont souvent exhibés avec une gour-mandise pateline, les deux artistes manifestant une belle complicité pleine de malice. Di Fonzo Bo et Jolly semblent tout droit sortis de photos d’Avedon – ils sont d’ailleurs parfois intégrés aux albums de l’artiste que le public est convié à regarder en fond de scène. Élégance de la mise en scène, élégance du propos ; ce spec-tacle est drôle, fin et intelligent, mais surtout « smooth » et « sleek » comme un numéro de claquettes de Fred Astaire, couvé de l’œil par Rita Hayworth.

    Corinne François-Denève