Colloque international ULF 20 ans · Science, technique, société - Autour de l’œuvre de F....

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Colloque international ULF 20 ans Colloque international à l’occasion des 20 ans de l’ULF Science, technique, société - Autour de l’œuvre de F. Dagognet Les 1 et 2 septembre 2016  A l’occasion de ses 20 ans, l’ULF a souhaité faire connaître au Liban l’œuvre de François Dagognet, Président d’honneur de l’Université depuis 2011. Le Colloque « Science, technique, société » qui lui a été consacré à Clemenceau le 1 er septembre 2016, a ainsi réuni 10 éminents spécialistes (du Canada, de France, du Liban) qui ont abordé différents champs étudiés par F. Dagognet. Placée sous le patronage de Monsieur Emmanuel Bonne, Ambassadeur de France au Liban, en présence de M. Bechara Khaikhallah, représentant du Président Michel Sleiman, de M. Walid Younes, représentant de l’ancien Premier Ministre Saad Hariri et du député Ahmad Fatfat, cette journée de conférences a suscité des échanges avec le public et fera l’objet d’une publication. En ouverture, Pr. Mohamad Salhab, Président de l'ULF, et Pr. Jean-Claude Beaune, Président du Conseil stratégique de l’ULF et responsable scientifique du colloque, ont rappelé l’importance de cette figure universitaire d’exception, tandis que M. Arnaud Pescheux, Chargé d’affaires a.i. près l’Ambassade de France au Liban, a notamment précisé que « Cette célébration est l’occasion pour l’Ambassade de France de saluer le succès de l’Université franco-libanaise, à trois égards au moins ». D’abord « Le modèle de gouvernance de l’Université, qui comprend un Conseil stratégique binational, le seul du genre que nous connaissions au Liban, continue aujourd’hui d’illustrer l’importance de la coopération franco-libanaise dans ce développement. », ensuite « le modèle pédagogique de l’Université libano-française est particulièrement adapté aux enjeux du moment », et enfin « l’Université libano-française réserve dans ses cursus une place particulière au français. (…) elle a établi des relations étroites avec plusieurs universités francophones (…). Elle joue ainsi un rôle essentiel dans la vitalité de la francophonie au Liban. » (voir l’intégral des mots d’ouverture ci-dessous) En prolongement, la table ronde « Pluralité et transmission des savoirs », organisée le 2 septembre sur le Campus de Déddeh de l’ULF, a été l’objet de discussions nourries en présence notamment du Doyen, des enseignants et étudiants de la Faculté de génie, ainsi que 1 / 10

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Colloque international ULF 20 ans

Colloque international à l’occasion des 20 ans de l’ULF

Science, technique, société - Autour de l’œuvre de F. Dagognet

Les 1 et 2 septembre 2016

 

A l’occasion de ses 20 ans, l’ULF a souhaité faire connaître au Liban l’œuvre de FrançoisDagognet, Président d’honneur de l’Université depuis 2011. Le Colloque « Science, technique,société » qui lui a été consacré à Clemenceau le 1er septembre 2016, a ainsi réuni 10 éminentsspécialistes (du Canada, de France, du Liban) qui ont abordé différents champs étudiés par F.Dagognet. Placée sous le patronage de Monsieur Emmanuel Bonne, Ambassadeur de Franceau Liban, en présence de M. Bechara Khaikhallah, représentant du Président Michel Sleiman,de M. Walid Younes, représentant de l’ancien Premier Ministre Saad Hariri et du député AhmadFatfat, cette journée de conférences a suscité des échanges avec le public et fera l’objet d’unepublication. En ouverture, Pr. Mohamad Salhab, Président de l'ULF, et Pr. Jean-ClaudeBeaune, Président du Conseil stratégique de l’ULF et responsable scientifique du colloque, ontrappelé l’importance de cette figure universitaire d’exception, tandis que M. Arnaud Pescheux,Chargé d’affaires a.i. près l’Ambassade de France au Liban, a notamment précisé que « Cettecélébration est l’occasion pour l’Ambassade de France de saluer le succès de l’Universitéfranco-libanaise, à trois égards au moins ». D’abord « Le modèle de gouvernance del’Université, qui comprend un Conseil stratégique binational, le seul du genre que nousconnaissions au Liban, continue aujourd’hui d’illustrer l’importance de la coopérationfranco-libanaise dans ce développement. », ensuite « le modèle pédagogique de l’Universitélibano-française est particulièrement adapté aux enjeux du moment », et enfin « l’Universitélibano-française réserve dans ses cursus une place particulière au français. (…) elle a établides relations étroites avec plusieurs universités francophones (…). Elle joue ainsi un rôleessentiel dans la vitalité de la francophonie au Liban. » (voir l’intégral des mots d’ouvertureci-dessous)

En prolongement, la table ronde «  Pluralité et transmission des savoirs », organisée le 2septembre sur le Campus de Déddeh de l’ULF, a été l’objet de discussions nourries enprésence notamment du Doyen, des enseignants et étudiants de la Faculté de génie, ainsi que

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du Président de la municipalité de Déddeh. Ces discussions ont rappelé la nécessité pourl’ingénieur de s’interroger sur les innovations et les matières, aussi bien sous l’angle de l’étudedu vivant que celui d’une réflexion autour des déchets. En 1993, F. Dagognet déclarait en effet« Le monde des objets, qui est immense, est finalement plus révélateur de l’esprit que l’espritlui-même. Pour savoir ce que nous sommes, ce n’est pas forcément en nous qu’il faut regarder(…) Il faut donc opérer une véritable révolution, en s’apercevant que c’est du côté des objetsque se trouve l’esprit, bien plus que du côté du sujet. »

A la suite de ce colloque, toujours sous le sceau des 20 ans de l'ULF, le Conseil stratégique del'ULF s'est réuni sous la Présidence de Jean-Claude Beaune, suivi du point d'orgue, laCérémonie de remise de diplômes qui a été un franc succès. 300 diplômés présents, de trèsnombreuses personnalités locales, nationales et internationales, et le haut patronage deMonsieur Elias Bou Saab, Ministre de l’Éducation et de l'Enseignement supérieur, représentépour l'occasion par Monsieur Ahmad Jammal, Directeur général de l'Enseignement supérieur.

 

Intégral des mots d’ouverture :

Pr. Mohamad Salhab, Président de l'ULF

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François Dagognet, penseur de notre actualité

 

Durant l’année 1953, parait aux éditions Hachette, l’ouvrage d’un jeune philosophe des sciences, François Dagognet, intitulé Sciences de la vie et de la culture, rédigé, semble-t-il, sur instigation d’un disciple de Gaston Bachelard : Georges Canguilhem. L’année suivante, le même auteur fait paraitre aux PUF une Philosophie biologique , indiquant à travers les titres une orientation majeure de sa réflexion philosophique. Ce n’est que dix ans plus tard que paraitront coup sur coup aux Presses universitaires de France deux ouvrages nouveaux portant, tout deux, la marque de Bachelard : La Raison et les remèdes, dédié au philosophe décédé en 1962 , ainsi que Gaston Bachelard, sa vie, son œuvre . L’œuvre de François Dagognet se poursuivra des lors sans relâche et sans interruption jusqu’à sa disparition le 2 octobre 2015. C’est ainsi que le colloque qui lui a été consacré les 3 et 4 avril 2009, dans sa ville natale de Langres et a l’initiative du Forum Diderot-Langres, dénombre une soixantaine de livres de Dagognet et un nombre équivalent de participations à des travaux et ouvrages collectifs. Relevons au passage, dans cette œuvre dense et puissante, la publication en 1980 aux éditions Champ Vallon de Tableaux et langages de la  Chimie, ouvrage ainsi dédié : A Jean-Claude Beaune, collègue et ami, philosophe et théoricien de la technologie, tant ancienne que moderne. Cette dédicace témoigne en elle-même d’une conception historique et philosophique de la science et de la technique, portée par François Dagognet, penseur postmoderne et tout autant sur-moderne, dans le sillage de Bachelard. Reprenons quelques éléments de sa biographie telle que rédigée dans une notice qui lui est consacrée.

Né à Langres en 1924, dans une famille modeste, François Dagognet a un parcours scolaire atypique puisqu'il réussit son certificat d’études primaires mais n’ira pas au lycée. Néanmoins, il suivra une double formation universitaire philosophique et scientifique.

Élève de Georges Canguilhem, il devient agrégé de philosophie en 1949, docteur en médecine en 1958. Il possède des connaissances précises et très éclectiques dans des domaines comme la neuropsychiatrie, la chimie et la géologie et s'est employé à réfléchir en philosophe sur les méthodes à l’œuvre dans ces disciplines. Avant d'enseigner la philosophie à l’université de Lyon III aux côtés d'Henri Maldiney et Gilles Deleuze, puis à l’université Paris I, il fut professeur de philosophie au Lycée Ampère de Lyon. Ses nombreux ouvrages traitent aussi bien de l'histoire des sciences, de l’épistémologie, de l’éthique ou de l’esthétique de l’art contemporain.

En 1993, il déclarait : « Le monde des objets, qui est immense, est finalement plus révélateur de l’esprit que l’esprit lui-même. Pour savoir ce que nous sommes, ce n’est pas forcément en nous qu’il faut regarder. Les philosophes, au cours de l’histoire, sont demeurés trop exclusivement tournés vers la subjectivité, sans comprendre que c’est au contraire dans les choses que l’esprit se donne le mieux à voir. Il faut donc opérer une véritable révolution, en s’apercevant que c’est du côté des objets que se trouve l’esprit, bien plus que du côté du sujet. »

Révolutionnaire aussi en effet est une pensée qui a su conjuguer comme nulle autre la pédagogie avec la rigueur conceptuelle. Moi-même ayant eu le privilège de suivre a Lyon les cours et leçons de François Dagognet me rappelle de l’éclat d’une parole qui semble professer que seul la difficulté est pleinement compréhensible, pleinement éclairante. Que reproche-t-il par exemple au formalisme de Kant ? De porter précisément sur les conditions de possibilité d’une science nécessairement déjà constituée et reconnue, au détriment d’une interrogation sur la science qui vit et se pratique. Autre exemple de clarté exigeante. Faut-il en rester au thème reçu depuis Max Weber sur le désenchantement du monde, ou bien interroger une nouvelle philosophie de l’image sur le monde virtuel qui se produit avec les nouvelles technologies de l’information et de la communication ? Dernier exemple, et j’en resterai la, ne revient-il pas au philosophe de réfléchir la bioéthique qui répond de la nouvelle biologie à partir des découvertes de Watson et Crick sur la structure de la cellule, sans pour autant négliger d’ailleurs les expressions fondatrices de l’histoire des sciences ?

Mesdames et Messieurs,

Nous célébrons aujourd’hui en effet un grand philosophe et une grande pensée, pensée pour notre temps, notre condition actuelle, avec ses difficultés mais aussi ses ouvertures et ses virtualités. Car François Dagognet n’était pas un philosophe triste ou résigné bien au contraire. Que de fois ne rencontre-t-on pas dans son œuvre magistrale, suite à un compte-rendu d’un fait de la science, cette expression que je reprends a la lettre : « et le philosophe s’en réjouit ». Car telle est la philosophie de François Dagognet, une philosophie de la vie, de l’esprit et de l’intelligence.

Permettez-moi enfin de me réjouir à mon tour de la présence avec nous des meilleurs savants afin de nous initier a une grande pensée et de rendre hommage à François Dagognet qui a bien voulu nous accorder l’avantage en 2011 d’être président d’honneur de notre université.

Je vous remercie et vous souhaite d’excellents travaux. Je signale enfin qu’une publication des contributions de ce colloque est prévue aux éditions de notre université.

 

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Pr. Jean-Claude Beaune, Président du Conseil stratégique de l’ULF et responsable scientifique du colloque

Le Colloque et la Table ronde qui se tiennent à l’Université de Technologie et Sciences appliquées de Beyrouth-Tripoli sont voués à la mémoire du président d’honneur du Conseil stratégique, le Pr François Dagognet, décédé voici quelques mois. Il ne s’agit pas d’ailleurs d’une célébration hagiographique des œuvres de ce grand savant et philosophe (il n’aurait pas aimé cela) mais d’une réflexion menée à partir de son travail, « à travers celui-ci » en choisissant des points d’ancrage particuliers et même singuliers. Car c’est la multiplicité et l’originalité qui furent, tout au long de sa vie, ses implications de méthode portées sur son principal objet : l’objet lui-même donc ni directement le sujet, la métaphysique, l’idéalisme ou encore le religieux. En tant qu’ « objectologue » (lui-même se définissait ainsi), il revendiqua une position réaliste (certains disaient matérialiste) mais hors de toute implication idéologique. Dagognet était… Dagognet, cela « suffisait » et c’est son regard personnel qu’il portait sur son objet ou son concept ramené à cette modalité pratique pour en tirer le sens qui devait éclairer son lecteur.

Il est évident qu’un tel enseignant et chercheur est doté de quelque mystère même s’il voulait qu’on le considère de manière directe et sans ambages. Avant de céder la place aux intervenants, nous allons tenter en quelques lignes de formuler trois questions principales en guise d’Introduction :

1 – qui était-il, pour autant que son « secret » puisse retentir dans sa vie ?

2 - quelles furent ses principales orientations et peut-on suggérer non une unité mais une cohérence de son immense champ de savoir et de recherche ?

3 - quelles sont les chances de prolonger ses orientations en conservant le sens de son travail et la fécondité de son optique de connaissance, tant sur le plan philosophique que scientifique et technologique ?

Une note s’impose d’emblée quant à l’immensité et la variété de son écriture : qui veut s’en persuader n’a qu’à ouvrir le Wikipédia qui lui fut consacré à sa mort : il trouvera quatre pages très serrées, près de cent ouvrages de sa main et des quantités d’articles, de participations à des ouvrages collectifs, de notes sur des auteurs, des documents de toute sorte.

1 – François Dagognet est né à Langres en 1924 – ville où naquit en 1713 Denis Diderot, célèbre encyclopédiste, lui aussi passionné des « choses » et des artifices ( voir le recueil de ses planches), philosophe de la nature mais aussi des situations humaines (voir son beau texte sur les sourds-muets). Dagognet ne renia jamais cette inspiration et écrivit même deux textes alphabétiques même si le Dictionnaire n’était pas son fort : il le considérait comme une sorte de « huis-clos » et son Encyclopédie à lui (mieux vaudrait parler d’ « encyclopédisme ») devait conserver une part d’ouverture, de classification originale et même de contingence. Très peu mathématicien, ce sont les sciences des matières qui le passionnèrent d’abord, la physique et plus encore la chimie – sans renier pour autant la biologie et la médecine. Agrégé de philosophie en 1949, il obtint en 1958 le titre de médecin, neuropsychiatre, qu’il mit à l’épreuve  avant de choisir d’enseigner la philosophie tout en présentant un ouvrage célèbre sur Pasteur et plus tard des perspectives sur la Maîtrise du vivant où il prenait des positions très modernes, scandaleuses aux esprits bien-pensants. Il s’est plongé dans la philosophie et l’épistémologie, explorateur des pans de « Histoire et des « histoires », celles des faits dans leur milieu.

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Pour revenir à sa vie-même, enfant d’une famille pauvre, il obtint le Certificat d’Etudes mais non le Baccalauréat avant ses nombreux titres universitaires ; ce qui manifeste peut-être déjà son originalité, son goût profond des réalités y compris sociales et morales et la solitude affirmée de sa pensée ainsi que de son travail d’information et de réflexion considérable, – ce qui ne veut pas dire qu’il reniait les formes collectives et institutionnelles de la philosophie et des diverses manifestations auxquelles il participait. Enseignant à l’Université Jean Moulin (Lyon III) puis à la Sorbonne, il produisit en ce même temps nombre d’ouvrages qui orientaient sa pensée et surtout la développaient en explorant les objets qu’il a choisis, mais aussi des problèmes fondamentaux, jusqu’à sa mort.

Pendant cette période, il acquit le titre de Président du Jury d’Agrégation qu’il occupa très longtemps, participa au CNU et autres institutions. Sa personne et son engagement furent longtemps fondamentaux pour la philosophie française mais il demeurait modeste, peu désireux de participer à des cérémonies « titrées », soucieux d’user de son autorité pour faire progresser la philosophie et d’abord les étudiants et thésards (le nombre de thèses qu’il dirigea est considérable). S’il reste un « mystère » en ce cas, c’est la liaison qu’il établit entre son travail d’enseignant et sa recherche apparemment disparate mais aussi très retirée et rigoureuse. Il exprime lui-même cette harmonie en disant : « J’ai été un bourreau de travail. Mais le secret c’est la régularité ». Son dernier ouvrage paru porte sur « le travail », c’est plus qu’une coïncidence.

2 – Dagognet eut pour maîtres principaux les historiens, témoins, conteurs qui saisissaient pour lui l’objet qui devenait le sien. Lui-même se voulait artisan et il aimait par-dessus tout les « ingénieux » comme Marey auquel il consacra un magnifique ouvrage illustré où il montre que ce dessinateur des mouvements des oiseaux, cet inventeur d’instruments de mesure de fonctions vitales, aboutit presque au cinéma des frères Lumière. Il aimait par-dessus tout sonder les matières nobles ou triviales (voir son concept du « jetable ») ainsi le verre, les adhésifs, les colles, les couleurs chimiques, l’argent, bien d’autres thèmes encore. Un de ses derniers ouvrages « Les noms et les mots » témoigne du soin qu’il apportait à bien dire la chose qui du coup se mettait à nous parler pour se dire au mieux d’elle-même. Ses grands maîtres furent Aristote (qu’il préférait nettement à Platon et même par la suite à Descartes trop « égotiste », Diderot et certains de ses compagnons (Condillac) ou Claude Bernard pour sa conception de l’expérience. Mais ses deux principaux maîtres, collaborateurs, pour lui presque les seuls, furent en premier lieu Gaston Bachelard qu’il valorise en sa conception d’une science critique, dialectique, nourrie de l’ « abstrait-concret » - avec quelques réserves pour la poétique et la psychanalyse des éléments présocratiques que celui-ci développa. Dagognet fut toujours un homme du fait, de la chose, de l’objet, de la mémoire, du jetable, mais aussi (pour nous) du truc et du machin. D’autre part, Bachelard fut très discret sur la Vie qui resta toujours l’un des principaux piliers des études et pratiques de Dagognet. Ses études sur la Peau, les faces et interfaces, la physiognomonie sont à la fois des hypothèses mais aussi des affirmations justifiées malgré quelque provocation de sa part. Cette part de « vitalisme » et de lecture des connaissances, il la doit à son ami Georges Canguilhem, grand résistant, médecin, philosophe et homme des institutions – Dagognet prolongea souvent son audience et ses fonctions… même s’il était plus « mécaniste », moins épris du pathologique  que celui-ci.  Vu ces deux inspirations, il faudrait parfois le considérer selon ses refus et ses inquiétudes : les idéalistes, les hommes du « sujet transcendantal », les finalistes, également en partie les structuralistes (Lévi-Strauss) et les « archéologues » (Foucault). Son registre, on le voit, est celui de la philosophie française pour des raisons d’enseignement sur le terrain et sa volonté de percer un domaine très vaste où il était un bricoleur (selon ses termes) mais aussi un intense « découvreur ». Il serait ici absurde de limiter sa qualité à « ces objets » évidemment assez fascinants. Qu’on parcoure son œuvre, on y trouvera de grandes perspectives plus complexes et méthodologiques (« Ecriture et iconographie », « Mémoires pour l’avenir » ainsi que de très nombreuses indications sociales et morales (« Comment se sauver de la servitude », « Questions morales » et même « Comment faire de la philosophie ».

Son désir est celui de la découverte et de l’instruction.

Dagognet nous a donné bien des chemins pour y parvenir « un peu » car il ne nous facilite pas la tâche, mais c’est ce qui le rend si intéressant, jamais il ne nous décroche de l’objet, de la situation, même de la fiction. Il est aussi un « conteur », presque un fabuliste. Ces différentes ouvertures ne désignent pas seulement un voyageur autour de sa chambre mais un encyclopédiste des mots imagés qui joue avec les « faces, surfaces, interfaces » pour faire surgir et prospérer un « esprit Dagognet » dont nous sommes les porteurs et les tenants en tant que nous voulons qu’il se maintienne comme un réseau de méridiens et de parallèles, un accès cohérent et non systématique au monde, une géologie des sens successifs des couches objectales à percer et reconstruire. Pour en finir, s’il est une autre cohérence, ce ne fut qu’à travers son « nouveau monde », son Amérique à lui, jamais il n’est en position irrationnelle. Ceci n’empêche en rien les masses d’information, les transformations des matières (chimie, remèdes, philosophie des traditions et des mœurs). Pas plus que les analyses des techniques et de la technologie trop souvent délaissées par les philosophes. Sans doute faut-il à cet égard ramener son discours à son champ historique où il parle mais celui-ci même en partie limité par son objet du moment ne contrevient pas à ce principe. Ainsi, dit-il, « L’être vivant dépasse la stricte matérialité mais sans la renier ». Cet impératif – et quelques autres déjà esquissés – s’applique à l’ensemble de sa recherche où un désir profond mais préconscient réanime en son langage quelque version de la science universelle. C’est le fait de tous les totalisateurs du savoir et de tous les classificateurs du réel. Dagognet en fit une ruche, une toile plus qu’un réseau formel. Une philosophie de ce genre n’a jamais existé avant lui et on pense qu’elle a peu de chances, malgré les progrès informatiques de dépasser sa sphère. Il n’y aura pas d’autre, avec sa mémoire, sa raison et son imaginaire liés dans une même synthèse, syncrétisme et cohérence tout en refusant un taylorisme théorique et pratique.

3 – Que peut-on dire et penser de Dagognet aujourd’hui ? Peut-on le « continuer » ?

On devine qu’il y a là un enjeu difficile et conçoit sans mal à quel point de philosophe atypique fut souvent mal reçu par ses contemporains. D’autre part il fut porteur d’une très belle générosité : mais jamais il n’oublia, même s’il n’en parlait pas, ses origines personnelles plus que modestes dans un monde souvent élitiste sinon héréditaire – et il pouvait être également vigoureux, parfois il faisait peur. Son carcan de solitude volontaire qui dit haut et fort ses arguments inquiétaient.

Deux obsessions pourtant l’animaient :

- la première était l’ « école » et le système d’enseignement français qu’il voulait modifier sans idéal sectaire ou violent, mais en tenant compte d’une part de la continuité temporelle de l’éducation, d’autre part du respect de l’étudiant et du moindre élève qui devait « avoir sa chance » : « L’école que nous réclamons repose sur un trépied : matériel, corporel, conceptuel. C’est que nous tenons à intégrer les plus défavorisés afin que puisse être comblé l’écart entre une élite et ceux qui entrent difficilement dans le système ». S’agit-il d’une déclaration creuse ? Sûrement pas : certaine école s’était refusée à lui, il avait mesuré ce qu’il en coûtait et combien il luttait toute sa vie pour apprendre et enseigner l’utile avant le « vrai ». La disparition de l’école publique et laïque est une déclaration de mort des cultures Une civilisation qui n’assume plus sa culture et ne la « travaille » plus est quasi-morte

- La seconde l’actualité que Dagognet ne négligeait pas, au contraire et si on le suit en ses difficultés, en France au moins, notre culture risque de ne lui rendre que des miettes. L’ironie est flagrante quand on se rapporte à son discours le plus critiqué, sur la Peau. La France, sur la question de la philosophie mais bien d’autres a trop joué avec sa surface (qui n’était pas sa peau mais son plastique), elle s’est infantilisée au plus mauvais sens du mot. Mais nous, nous voulons en extraire mieux que des parcelles ou des miroirs brisés. A cet égard l’Université libanaise, malgré toutes les douleurs et difficultés permanentes, définit un pays jeune, peut-être violent mais qui exprime une demande réelle. Il ne s’agit pas seulement de la comparer à nous, aux USA, à tout autre culture mais de travailler à déchiffrer certains points nodaux, des carrefours de la pensée et des pratiques positives, là où les faits de Dagognet et d’autres selon le cours de l’histoire, deviennent des espoirs et des marques de la création et de l’invention, ce qui suppose, comme il le disait, un travail intense, continu et de qualité. S’adapter est la condition majeure de l’humanité qui progresse. Notre université, depuis ses fondements et sa création par M. Salhab, est une des premières à avoir respecté cet impératif.

 

M. Arnaud Pescheux, Chargé d’affaires a.i. près l’Ambassade de France au Liban

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L’Ambassadeur se trouvant actuellement à Paris, où il participe à la Conférence annuelle des Ambassadeurs, il m’a confié la charge des affaires et c’est à ce titre que j’ai l’honneur de le représenter pour l’ouverture de ce colloque, organisé à l’occasion des 20 ans de l’Université libano-française.

Permettez-moi, en ouverture, de vous féliciter, Mesdames et Messieurs les organisateurs, d’avoir dédié cet événement à la mémoire de François Dagognet.

Président d’honneur de l’Université libano-française, ce grand penseur nous a quittés en octobre dernier. Celui qui revendiquait pour le philosophe un rôle qui n’est pas celui « d’un mineur qui doit forer le sol » mais celui «  d’un voyageur qui se soucie de l’ensemble du paysage » a beaucoup fait pour la pensée contemporaine. Son érudition était si éclectique qu’il est impossible de l’enfermer dans un champ disciplinaire. Philosophie, médecine, criminologie, neuropsychologie, chimie, rares sont les savoirs qui ont échappé à sa curiosité encyclopédique. S’il fallait dégager un fil directeur, peut-être pourrait-on considérer que l’attention aux objets   se trouve au centre de sa pensée.

François Dagognet n’en était pas moins humaniste, puisqu’il considérait que «  c’est du côté des objets que se trouve l’esprit, bien plus que du côté du sujet ». Il paraît naturel, dans ces conditions, qu'une université, dont la mission est de préparer la jeunesse aux défis de son temps, rende hommage à un penseur confiant dans le pouvoir émancipateur des sciences et des techniques et qu’on y débatte de leur contribution à la société.

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Mesdames et Messieurs,

Ces débats consacrés à François Dagognet seront d’autant plus passionnants qu’ils marquent le 20ème anniversaire de l’Université libano-française. Cette célébration est l’occasion pour l’Ambassade de France de saluer le succès de l’Université franco-libanaise, à trois égards au moins.

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Premier motif de satisfaction pour nous, l’Université est le fruit d’une coopération franco-libanaise réussie. Il est inutile de s’étendre sur les différentes étapes de cette construction – depuis les études conduites par l’Association francophone pour le développement de l’enseignement supérieur, dont le siège social se trouve à Lyon, en passant par la création du Centre universitaire de technologie de Tripoli jusqu’à la transformation en Université de technologie et de sciences appliquées libano-française. Aujourd’hui, au terme des phases successives de son développement, l’Université s’est beaucoup étendue, sur le plan des enseignements, avec la diversification des cursus proposés, mais aussi géographiquement, avec l’ouverture de 5 campus au Liban. Le modèle de gouvernance de l’Université, qui comprend un Conseil stratégique binational, le seul du genre que nous connaissions au Liban, continue aujourd’hui d’illustrer l’importance de la coopération franco-libanaise dans ce développement.

Deuxième motif de satisfaction, le modèle pédagogique de l’Université libano-française est particulièrement adapté aux enjeux du moment. Alors que la plupart des gouvernements dans le monde s’efforcent de réduire sur le marché du travail ce que les économistes appellent, en bon français, le mismatch – c’est-à-dire le décalage entre les formations et les besoins des employeurs –, l’Université franco-libanaise propose des formations de haut niveau qui assurent de véritables débouchés professionnels et développe des partenariats avec les entreprises, publiques et privées.

Troisième motif de satisfaction, l’Université libano-française réserve dans ses cursus une place particulière au français. Membre de l’Agence universitaire de la francophonie, elle a établi des relations étroites avec plusieurs universités francophones, à Lyon, Saint-Etienne, Montpellier, Toulouse ou encore Belfort. Elle joue ainsi un rôle essentiel dans la vitalité de la francophonie au Liban et démontre, contrairement à un préjugé bien ancré, que la maîtrise du français est  un atout en termes d’employabilité. Rappelons, ainsi, que le français est la 2ème langue apprise comme langue étrangère après l’anglais, la 3 ème langue des affaires après l’anglais et le chinois et la 4ème langue sur Internet. Comme l’Université, nous promouvons une vision ouverte de la francophonie, dans laquelle le français reçoit une attention particulière, aux côtés de l’arabe et de l’anglais.

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Mesdames et Messieurs,

Avant de conclure, j’aimerais vous assurer de la volonté de la France et de son Ambassade à Beyrouth de poursuivre son ambitieuse coopération universitaire avec le Liban.

Ce colloque et votre anniversaire interviennent dans une année fort symbolique à cet égard, puisque 1996 a vu la naissance non seulement de ce qui allait devenir l’Université franco-libanaise mais aussi de de trois autres institutions et programmes phares de la coopération franco-libanaise : l’Ecole supérieure des affaires, l’Institut des finances et le programme Partenariat Hubert Curien CEDRE.

Il est bon, au-delà, de rappeler que la coopération universitaire entre la France et le Liban est dense et variée, avec près de 500 conventions de partenariat conclues entre des universités libanaises et des universités françaises, des double diplômes de niveau master, des cotutelles de thèses et un soutien à la recherche.

Tous ces échanges, auxquels l’ambassade apporte son soutien, ont contribué à tisser un réseau humain et intellectuel de tout premier ordre. Sans oublier qu’ils contribuent fortement à d’autres partenariats, dans les domaines technologiques, scientifiques, industriels, commerciaux ou encore du numérique.

Je suis particulièrement heureux de constater la présence dans la salle de nombreux universitaires français, qui est la plus belle illustration de la vitalité de cette coopération. Je leur souhaite la bienvenue et les remercie d’avoir fait le déplacement pour fêter cet anniversaire avec nous.

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Mesdames et Messieurs,

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Colloque international ULF 20 ans

Le programme qui vous attend aujourd’hui est extrêmement riche et porté par des intervenants de très grande qualité. Je vous souhaite des échanges fructueux, ainsi qu’une longue vie à l’Université libano-française.

Je vous remercie de votre attention./.

Mot consultable sur : http://www.ambafrance-lb.org/L-Universite-libano-francaise-celebre-ses-20-ans-avec-un-colloque-international

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