College Roi Baudoufa

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COLLEGE ROI BAUDOUIN Rue Victor Hugo, 50 1030 Bruxelles Les oeuvres littéraires inspirées par la deuxième guerre mondiale Anthologie Travail présenté par Krystian Konopko comme travail individuel sur l'anthologie du cours de Français de Mme Van Muysewinkel 1

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COLLEGE ROI BAUDOUIN

Rue Victor Hugo, 501030 Bruxelles

Les oeuvres littéraires inspirées par la deuxième guerre mondiale

Anthologie

Travail présenté par Krystian Konopkocomme travail individuel sur l'anthologie du cours de Français de Mme Van Muysewinkel

Cours de Français Année scolaire 2012-2013

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Table de matières1. Introduction.............................................................................................................................3

2. Anthologie...............................................................................................................................4

a) Miserere (Krzysztof Kamil Baczynski) (1940)..................................................................4

b) L'étrange défaite (Marc Bloch) (1940)...............................................................................5

c) Le Silence de la mer (Vercors) (1941)................................................................................6

d) Journal (Anne Frank) (1942 - 1944)...................................................................................7

e) Lettre à un otage (Antoine de Saint-Exupéry) (1943)........................................................8

f) Le Musée Grévin (Louis Aragon) (1943)...........................................................................9

g) Le Chant des partisans (Anna Marly) (1943)...................................................................10

h) Violences (Pierre Molaine) (1944)...................................................................................11

i) Si c'est un homme (Primo Levi) (1945)............................................................................12

j) L'Espèce humaine (Robert Antelme) (1947).....................................................................13

k) Mémoires de guerre (Charles de Gaulle) (1956)..............................................................14

l) Au nom de tous les miens (Martin Gray) (1971)..............................................................15

m) Maus (Art Spiegelman) (1992)........................................................................................16

n) Etre sans destin (Imre Kestész) (1997).............................................................................17

o) Un secret (Philippe Grimbert) (2004)...............................................................................18

3. Conclusion............................................................................................................................19

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1. Introduction

Comme sujet de cette anthologie j'ai choisi le thême de la deuxième guerre mondiale.

Pourquoi? La première raison de ce choix est le fait du goût, ou alors mieux, d'une préférence

personnelle. J'étais profondement marqué par cet évenêment au cours d'histoire polonaise et

donc je voudrais faire une certaine sorte ''d'hommage'' pour tous les auteurs des oeuvres

littéraires qui ont motivé tous ceux qui se sont opposés à l'envahissement de Hitler ou encore

ont eu le courage de raconter tout ce que s'était réelement passé au cours de l'occupation

Allemande. Ils se sont tous opposés de manières différentes, Anne Frank a écrit un journal

intime, Louis Aragon appartenant à La Résistance a écrit une série des poèmes et Anna Marly

a créé le Chant des Partisans qui a été l'hymne de la Résistance Française.

La deuxième raison est le fait que je voudrais découvrir plus profondement les oeuvres de ces

temps, savoir quel était le point de vue des auteurs, personnes qui ont eu le malheur de naître

dans cette époque difficile. A travers les biographies des nombreux écrivains présentés dans

ce travail, on voit qu'un grand nombre d'entre eux est mort pour leurs pensées, pour ce qu'a été

écrit, chanté dans leurs oeuvres. On ne veut surtout pas que ceux-ci soient oubliés.

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2. Anthologie

a) Miserere (Krzysztof Kamil Baczynski) (1940)

Krzysztof Kamil Baczyński, poète polonais né à Varsovie le 22 janvier 1921 et mort le 4 août

1944. A 19 ans, il était un des soldats du groupe d'assaut "Zośka" faisant parti à la résistance de

Varsovie. Il a écrit un grand nombre de poèmes dont cinq cents ont échappé à la déstruction.

Dans ses oeuvres, il s'était inspiré sur les créations de Rilke et Baudelaire. Tous les trois ont eu

des points communs, comme la pureté et beauté de la langue, passion de la transcendance. 1

Miserere2

Nous sommes-là, plantés sur une terre tragique.Le champ de bataille fume : décoction de souvenirs et de songes fracassés.

Avec des questions visqueuses et sanglantes,nous enlevons les casques soudés à nos têtes.

Nos têtes – roses rouges – nous les attacherons aux cimiers des générations.Je vois : le temps envahi des panaches de fumée,

Je vois le temps : acropole couverte d’herbes, forêt vierge.Hâte-toi, dernier Caïn, jette-toi sur le dernier Abel,

étrangle-le !

Au retour des funérailles du dernier homme,je lance comme défi

cette poignée d’air – l’alouette – dans le cielet je laisse tomber la terre comme tombe une larme sur l’univers.

Printemps 1940

"Qu'est-ce que se serait passé s'il n'avait pas péri dans l'Insurrection de Varsovie? Qui se serait soucié d'un vieux, gros Baczynski qui mange une soupe au poulet avec les nouilles?"

~ Auteur anonyme

1 Sources: fr.wikipedia.org (Entrée: Krzysztof Kamil Baczynski)

arfuyen.fr (Entrée: Krzysztof Kamil Baczynski)

larousse.fr (Entrée: Krzysztof Kamil Baczynski)

2 Livre: Kr. K. BACZYŃSKI, Testament de feu, Traduit et présenté par Cl.-H. DU BORD et Chr. JEREWSKI, Collection Neige n°12, 2006

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b) L'étrange défaite (Marc Bloch) (1940)

Marc Bloch, né le 6 juillet 1886 à Lyon, tué le 16 juillet 1994 à Saint-Didier-de-Formans, historien

français, il était un combattant de la Première Guerre mondiale décoré de la Croix de guerre, il était aussi

un membre de la Résistance pendant le Deuxième Guerre mondiale. 3

Extrait du livre "L'étrange défaite" (Marc Bloch)4

Le 18, au matin, le bruit se répandit que l’ennemi approchait. Notre bureau était situé sur un boulevard, dans le haut de la ville. De l’autre côté de la chaussée, une rue descendait vers le centre. Là cantonnait mon ordonnance. Vers onze heures du matin, j’allai le trouver pour l’inviter à fermer, en toute hâte, mes valises. Après l’avoir quitté, je remontais la rue, lorsque j’aperçus, à son extrémité, une colonne allemande qui défilait sur le boulevard : entre le bureau et moi, par conséquent. Pas un coup de feu. Des soldats français, des officiers regardaient. J’appris plus tard que lorsque les Allemands croisaient, par hasard, un soldat armé, ils se contentaient de le forcer à briser son fusil et à jeter ses cartouches. J’étais farouchement résolu, depuis longtemps, à tout tenter pour ne pas me laisser faire prisonnier. Si j’avais pu me croire ; encore utile, j’aurais eu, je l’espère, le courage de rester à mon poste. En l’absence de toute résistance, mon inutilité devenait flagrante ; ou plutôt il m’apparaissait clairement que le seul moyen de continuer à servir, en quelque façon, mon pays et les miens était de m’échapper, avant que le piège achevât de se refermer.

Essayer de m’enfuir vers l’ouest – à supposer qu’il me fût encore possible de découvrir une route libre – cette tentative n’eût abouti, de toute évidence, qu’à me faire prendre un peu plus loin, dans le cul-de-sac de la péninsule. Vers le sud, de même, je risquais fort de ne pouvoir passer la Loire. Du moins, ainsi raisonnais-je, sur le moment. J’ai appris depuis que, contre mon attente, les Allemands n’occupèrent Nantes que le lendemain. Aurais-je, cependant, réussi à atteindre cette ville, et comment ? Il m’est arrivé aussi de penser qu’à Brest j’aurais peut-être trouvé le moyen de m’embarquer pour l’Angleterre. Mais me serais-je cru le droit d’abandonner mes enfants pour un exil indéfini ? Quoi qu’il en soit, après quelques minutes de réflexion, sur le trottoir de la rue en pente, je choisis l’issue qui me parut la plus simple et, par suite, la plus sûre. Je me rendis dans la maison où je logeais. J’enlevai ma vareuse – mon pantalon de toile écrite n’avait rien qui évoquât particulièrement l’uniforme. De mon propriétaire qui, ainsi que son fils, fit preuve, en l’occurrence, de beaucoup de courage, j’obtins, sans peine, le prêt d’un veston et d’une cravate. Puis, après avoir pris contact avec un de mes amis, professeur à Rennes, j’allai me faire donner une chambre dans un hôtel. Estimant que l’on ne se cache jamais mieux que sous son propre personnage, j’inscrivis, sur la fiche qu’on me tendit, mon vrai nom, avec ma profession. Mes cheveux gris m’assuraient que, sous l’universitaire, personne ne chercherait l’officier. À moins que la Kommandantur ne s’avisât de confronter, avec les listes des hôtels, le tableau d’encadrement de l’armée. L’idée ne semble pas lui en être jamais venue. Sans doute, nos maîtres étaient-ils déjà blasés sur le bonheur de faire des prisonniers

"Peut être serait-ce un bienfait, pour un vieux peuple, de savoir plus facilement oublier : car le souvenir brouille parfois l'image du présent et l'homme, avant tout, a besoin de s'adapter au neuf."5

~Marc Bloch

3 Sources: fr.wikipedia.org (Entrée: Marc Bloch) marcbloch.fr (Onglet: Biographie)4 Livre électronique: M. BLOCH, L'étrange défaite, Ebooks libres et gratuits, 20095 citationspolitiques.com (Entrée: Marc Bloch)

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c) Le Silence de la mer (Vercors) (1941)

Jean Bruller (pseudonyme littéraire: Vercors) est né le 26 février 1902 à Paris et mort le 10

juin 1991, illustrateur et écrivain français. Il s'était engagé dans la Résistance française pour

faire face à l'Occupation. Dans son premier récit, le Silence de la mer, il infirme les illusions de

l'humanisme dans un monde géré par la haine. Ce texta sera devenu célèbre et aura in impact

sur la façon de pensée des gens.6

Extrait du Silence de la mer (Vercors)7

Il faisait nuit, pas très froid : ce novembre-là ne fut pas très froid. Je vis l'immense silhouette, la casquette plate, l'imperméable jeté sur les épaules comme une cape.Ma nièce avait ouvert la porte et restait silencieuse. Elle avait rabattu la porte sur le mur, elle se tenait elle-même contre le mur, sans rien regarder. Moi je buvais mon café, à petits coups. L'officier, à la porte, dit : "S'il vous plaît". Sa tête fit un petit salut. Il sembla mesurer le silence. Puis il entra.La cape glissa sur son avant-bras, il salua militairement et se découvrit. Il se tourna vers ma nièce, sourit discrètement en inclinant très légèrement le buste. Puis il me fit face et m'adressa une révérence plus grave. Il dit  : "Je me nomme Werner van Ebrennac". J'eus le temps de penser, très vite : "Le nom n'est pas allemand. Descendant d'émigré protestant ?" Il ajouta : "Je suis désolé".Le dernier mot, prononcé en traînant, tomba dans le silence. Ma nièce avait fermé la porte et restait adossée au mur, regardant droit devant elle. Je ne m'étais pas levé. Je déposai lentement ma tasse vide sur l'harmonium et croisai mes mains et attendis. L'officier reprit : "Cela était naturellement nécessaire. J'eusse évité si cela était possible. Je pense mon ordonnance fera tout pour votre tranquillité." Il était debout au milieu de la pièce. Il était immense et très mince. En levant le bras il eût touché les solives.Sa tête était légèrement penchée en avant, comme si le cou n'eût pas été planté sur les épaules, mais à la naissance de la poitrine. Il n'était pas voûté, mais cela faisait comme s'il l'était. Ses hanches et ses épaules étroites étaient impressionnantes. Le visage était beau. Viril et marqué de deux grandes dépressions le long des joues. On ne voyait pas les yeux, que cachait l'ombre portée de l'arcade. Ils me parurent clairs. Les cheveux étaient blonds et souples, jetés en arrière, brillant soyeusement sous la lumière du lustre.

Le silence se prolongeait. Il devenait de plus en plus épais, comme le brouillard du matin. Épais et immobile. L'immobilité de ma nièce, la mienne aussi sans doute, alourdissaient ce silence, le rendaient de plomb. L'officier lui-même, désorienté, restait immobile, jusqu'à ce qu'enfin je visse naître un sourire sur ses lèvres. Son sourire était grave et sans nulle trace d'ironie. Il ébaucha un geste de la main, dont la signification m'échappa. Ses yeux se posèrent sur ma nièce, toujours raide et droite, et je pus regarder moi-même à loisir le profil puissant, le nez proéminent et mince. Je voyais, entre les lèvres mi-jointes, briller une dent d'or. Il détourna enfin les yeux et regarda le feu dans la cheminée et dit  : "J'éprouve un grand estime pour les personnes qui aiment leur patrie", et il leva brusquement la tête et fixa l'ange sculpté au-dessus de la fenêtre. "Je pourrais maintenant monter à ma chambre, dit-il. Mais je ne connais pas le chemin". Ma nièce ouvrit la porte qui donne sur le petit escalier et commença de gravir les marches; sans un regard pour l'officier, comme si elle eût été seule. L'officier la suivit. Je vis alors qu'il avait une jambe raide. Je les entendis traverser l'antichambre, les pas de l'Allemand résonnèrent dans le couloir, alternativement forts et faibles, une porte s'ouvrit, puis se referma. Ma nièce revint. Elle reprit sa tasse et continua de boire son café. J'allumai une pipe. Nous restâmes silencieux quelques minutes. Je dis : "Dieu merci, il a l'air convenable". Ma nièce haussa les épaules. Elle attira sur ses genoux ma veste de velours et termina la pièce invisible qu'elle avait commencé d'y coudre.

"L'humanité n'est pas un état à subir. C'est une dignité à conquérir."8

~Vercors

6 Sources: fr.wikipedia.org (Entrée: Jean Bruller)

larousse.fr (Entrée: Jean Bruller)

7 Livre: VERCORS, Le silence de la mer, Livre de poche, 1990

8 evene.fr (Entrée: Vercors)

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d) Journal (Anne Frank) (1942 - 1944)

Anne Frank est née le 12 juin 1929 en Allemagne et est décedée dans le camp de concentration

en mars 1945. Elle fut une adolescente allemande juive qui a vécu une grande partie de sa vie

en Amsterdam. Anne a écrit un journal dans lequel elle présentait de sa façon les évenêments

dans la capitale des Pays-Bays de 12 juin 1942 jusqu'au 1 aôut 1944. Ce journal a été publié par

son père en 1947.9

Samedi 11 juillet 194210

Papa, Maman et Margot ont encore du mal à s’habituer au carillon de la Westertoren, qui sonne tous les quarts d’heure. Moi pas, je l’ai tout de suite aimé, et surtout la nuit, c’est un bruit rassurant. Il t’intéressera peut-être de savoir quelle impression cela me fait de me cacher, eh bien, tout ce que je peux te dire, c’est que je n’en sais encore trop rien. Je crois que je ne me sentirai jamais chez moi dans cette maison, ce qui ne signifie absolument pas que je m’y sens mal, mais plutôt comme dans une pension de famille assez singulière où je serais en vacances. Une conception bizarre de la clandestinité, sans doute, mais c’est la mienne. L’Annexe est une cachette idéale, et bien qu’humide et biscornue, il n’y en a probablement pas de mieux aménagée ni de plus confortable dans tout Amsterdam, voire dans toute la Hollande. Avec ses murs vides, notre petite chambre faisait très nue. Grâce à Papa, qui avait emporté à l’avance toute ma collection de cartes postales et de photos de stars de cinéma, j’ai pu enduire tout le mur avec un pinceau et de la colle et faire de la chambre une gigantesque image. C’est beaucoup plus gai comme ça et quand les Van Daan nous rejoindront, nous pourrons fabriquer des étagères et d’autres petites bricoles avec le bois entreposé au grenier. Margot et Maman se sentent un peu retapées, hier Maman a voulu se remettre aux fourneaux pour faire de la soupe aux pois, mais pendant qu’elle bavardait en bas, elle a oublié la soupe qui a brûlé si fort que les pois, carbonisés, collaient au fond de la casserole.

Hier soir, nous sommes descendus tous les quatre dans le bureau privé et avons mis la radio de Londres, j’étais tellement terrorisée à l’idée qu’on puisse nous entendre que j’ai littéralement supplié Papa de remonter avec moi ; Maman a compris mon inquiétude et m’a accompagnée. Pour d’autres choses aussi, nous avons très peur d’être entendus par les voisins.

(...)

C’est le silence qui me rend si nerveuse le soir et la nuit, et je donnerais cher pour qu’un de nos protecteurs reste dormir ici.

Nous ne sommes pas trop mal ici, car nous pouvons faire la cuisine et écouter la radio en bas, dans le bureau de Papa. M. Kleiman et Miep et aussi Bep Voskuyl nous ont tellement aidés, ils nous ont déjà apporté de la rhubarbe, des fraises et des cerises, et je ne crois pas que nous allons nous ennuyer de si tôt. Nous avons aussi de quoi lire et nous allons acheter encore un tas de jeux de société. Evidemment, nous n’avons pas le droit de regarder par la fenêtre ou de sortir. Dans la journée, nous sommes constamment obligés de marcher sur la pointe des pieds et de parler tout bas parce qu’il ne faut pas qu’on nous entende de l’entrepôt. Hier nous avons eu beaucoup de travail, nous avons dû dénoyauter deux paniers de cerises pour la firme, M. Kugler voulait en faire des conserves. Nous allons transformer les cageots des cerises en étagères à livres.

On m’appelle.

Bien à toi,

Anne

"Ne me juge pas mal, mais considère-moi plutôt comme quelqu'un qui de temps en temps a le coeur trop lourd".

~Anne Frank11

e) Lettre à un otage (Antoine de Saint-Exupéry) (1943)

9 fr.wikipedia.org (Entrée: Anne Frank)10 larevuedesressources.org (Entrée: Le journal d'Anne Frank)11 babelio.com (Entrée: Anne Frank)

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Antoine de Saint-Exupéry est né le 29 juin 1900 et est disparu en vol le 31 juillet 1944, il était

membre de Mort pour la France, mais particulièrement écrivain, poète et aviateur français. En

écrivant ses premiers romans, il s'était inspiré sur l'aviation. En 1939 il a été mobilisé dans

l'armée de l'air et grâce à ses nombreux voyages (notamment au Portugal, Sahara et Etats-

Unis), en 1943 publie la Lettre à un otage.12

Extrait du chapitre II (Lettre à un otage)13

La France, décidément, n’était pour moi ni une déesse abstraite, ni un concept d’historien, mais bien une chair dont je dépendais, un réseau de liens qui me régissait, un ensemble de pôles qui fondait les pentes de mon cœur. J’éprouvais le besoin de sentir plus solides et plus durables que moi-même ceux dont j’avais besoin pour m’orienter. Pour connaître où revenir. Pour exister. En eux mon pays logeait tout entier et vivait par eux en moi-même. Pour qui navigue en mer un continent se résume ainsi dans le simple éclat de quelques phares. Un phare ne mesure point l’éloignement. Sa lumière est présente dans les yeux, tout simplement. Et toutes les merveilles du continent logent dans l’étoile. Et voici qu’aujourd’hui où la France, à la suite de l’occupation totale, est entrée en bloc dans le silence avec sa cargaison, comme un navire tous feux éteints dont on ignore s’il survit ou non aux périls de mer, le sort de chacun de ceux que j’aime me tourmente plus gravement qu’une maladie installée en moi. Je me découvre menacé dans mon essence par leur fragilité. Celui qui, cette nuit-ci, hante ma mémoire est âgé de cinquante ans. Il est malade. Et il est juif. Comment survivrait-il à la terreur allemande ? Pour imaginer qu’il respire encore j’ai besoin de le croire ignoré de l’envahisseur, abrité en secret par le beau rempart de silence des paysans de son village. Alors seulement je crois qu’il vit encore. Alors seulement, déambulant au loin dans l’empire de son amitié, lequel n’a point de frontières, il m’est permis de me sentir non émigrant, mais voyageur. Car le désert n’est pas là où l’on croit. Le Sahara est plus vivant qu’une capitale et la ville la plus grouillante se vide si les pôles essentiels de la vie sont désaimantés.

"La guerre n'est pas une aventure. La guerre est une maladie. Comme le typhus"14

~Antoine de Saint-Exupéry

f) Le Musée Grévin (Louis Aragon) (1943)

12 fr.wikipedia.org (Entrée: Antoine de Saint-Exupéery) antoinedesaintexupery.com13 Livre électronique: A. SAINT-EXUPÉRY, Lettre à un otage, Ebooks libres et gratuits, 200414 fr.wikiquote.org (Entrée: Antoine de Saint-Exupéry)

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Louis Aragon est né le 3 octobre 1897 à Neuilly-sur-Seine et mort le 24 décembre 1982 à Paris. Il

a soutenu le Parti communiste français depuis 1930. Il était un membre du mouvement Dada et

du mouvement surréaliste. Pendant la Deuxième Guerre mondiale il était membre de la

Résistance.15

Je vous salue ma France16

Je vous salue ma France arrachée aux fantômesÔ rendue à la paix Vaisseau sauvé des eaux

Pays qui chante Orléans Beaugency VendômeCloches cloches sonnez l’angélus des oiseaux

Je vous salue ma France aux yeux de tourterelleJamais trop mon tourment mon amour jamais trop

Ma France mon ancienne et nouvelle querelleSol semé de héros ciel plein de passereaux

Je vous salue ma France où les vents se calmèrentMa France de toujours que la géographie

Ouvre comme une paume aux souffles de la merPour que l’oiseau du large y vienne et se confie

Je vous salue ma France où l’oiseau de passageDe Lille à Roncevaux de Brest au MontcenisPour la première fois a fait l’apprentissage

De ce qu’il peut coûter d’abandonner un nid

Patrie également à la colombe ou l’aigleDe l’audace et du chant doublement habitée

Je vous salue ma France où les blés et les seiglesMûrissent au soleil de la diversité

Je vous salue ma France où le peuple est habileÀ ces travaux qui font les jours émerveillésEt que l’on vient de loin saluer dans sa villeParis, mon coeur, trois ans vainement fusillé

Heureuse et forte enfin qui portez pour écharpeCet arc-en-ciel témoin qu’il ne tonnera plus

Liberté dont frémit la silence des harpesMa France d’au-delà le déluge salut

"La littérature est une affaire sérieuse pour un pays, elle est, au bout du compte, son visage." 17

~Louis Aragon

15 fr.wikipedia.org (Entrée: Louis Aragon)16 Livre: L. ARAGON, Le Musée Grévin et autres poèmes, Le temps des cerises, 201117 evene.fr (Entrée: Louis Aragon)

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g) Le Chant des partisans (Anna Marly) (1943)

Anna Marly est née le 30 octobre 1917 à Pétrograd et morte le 15 février 2006 à Palmer. Elle

s'était engagée dans les Forces françaises libres et en 1942 a composé la musique du Chant des

partisans et les paroles originales russes. Celui-ci a été fait avec des paroles françaises par

Joseph Kessel et Maurice Druon et très vite est devenu "la Marseillaise de la Résistance".18

Le Chant des partisans19

Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines?

Ami, entends-tu les cris sourds du pays qu'on enchaîne?

Ohé partisans, ouvriers et paysans, c'est l'alarme!

Ce soir l'ennemi connaîtra le prix du sang et des larmes.

Montez de la mine, descendez des collines, camarades,

Sortez de la paille les fusils, la mitraille, les grenades;

Ohé franc tueurs, à la balle et au couteau tuez vite!

Ohé saboteur, attention à ton fardeau, dynamite!

C'est nous qui brisons les barreaux des prisons, pour nos frères,

La haine à nos trousses, et la faim qui nous pousse, la misère.

Il y a des pays où les gens au creux des lits font des rêves,

Ici, nous vois-tu, nous on marche et nous on tue, nous on crève.

Ici chacun sait ce qu'il veut, ce qu'il fait, quand il passe;

Ami, si tu tombes, un ami sort de l'ombre à ta place.

Demain du sang noir séchera au grand soleil sur les routes,

Sifflez, compagnons, dans la nuit la liberté nous écoute.

Ami, entends-tu les cris sourds du pays qu'on enchaîne?

Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines?

"L'amour comme la guerre, on le fait avec des chansons."20

~José Hernandez

18 fr.wikipedia.org (Entrée: Anne Marly)19 ac-lyon.fr (Entrée: Le Chant des partisans)20 1001-citations.com (Entrée: guerre)

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h) Violences (Pierre Molaine) (1944)

Pierre Molaine (pseudonyme: Léopold Faure) est né le 29 avril 1906 à Voiron et mort le 17

octobre 2000, c'était un écrivain français, mais a fait une carrière militaire pendant la

Deuxième Guerre mondiale. Il a écrit des nombreux romans qui s'opposaient à l'Occupation.21

Extrait du chapitre III (Violences)22

Vogue la nuit. Voguera-t elle longtemps encore, vieux vaisseau rasé, vieux ponton tout nu, Satan en poupe, à travers les espaces de Dieu, avec sa chiourme en cale et son désespoir enragé ? J'ai ouvert ma fenêtre. Je me penche sur la ville. Je renifle son odeur. L'humanité est aux fers, là-bas, en tas, au fond. Quelles sueurs et quel sommeil, quelles fièvres ! Et tout ça roule et tangue, du grand tangage et du grand roulis du monde. Ciel lointain, lumineux, glacé. Un petit vent bruit dans les étoiles. Le sol est encore jonché des reflets du jour. Là, demain, batailleront encore les sexes, les âges, toutes les forces ennemies. Je regarde. J'écoute.

J'écoute mon cœur. Je viens de vivre une aventure. Je veux vous la conter, jusqu'à mourir, puisqu'il est temps. Il fait froid. Je suis nu. J'ai ôté ma chemise. L'envie m'est venue de contempler, dans l'eau tranquille du miroir, un visage, des épaules, un torse que ne pare plus l'éclat de la jeunesse. Enfant, moins haut qu'un épieu de chasse, j'ai joué avec des oursons. Je me souviens de leurs caresses, de leur tendresse maladroite, de leurs rires muets, qui brûlaient mes joues. Je me souviens aussi des luttes à main plate qui nous opposaient, jeunes hommes, sur une aire de vannage au soleil de midi, à l'heure où le ventre de la terre fume sous la lumière, et les filles étaient là, en cercle, coude à coude, à admirer des yeux et du cœur les garçons hardis qui se battaient pour elle.

C'était le temps où l'on se sentait plus fort et plus libre d'être dévêtu. Maintenant...

Si j'entreprends de dénombrer mes cicatrices, j'en compte vingt, très exactement. Elles glissent, comme des couleuvres, sous mon poli. Cinq coups de sabre, sept balles, cinq éclats de grenade et trois éclats d'obus. Elle sont là, tapies en chair vive, et c'est à cause d'elle que j'aime caresser mes flancs et mes seins. Un médecin, l'autre soir, a hoché la tête en le regardant, en parcourant du doigt et des lunettes le glorieux texte qu'ont inscrit sur ma peau des années d'aventure.

- C'est ce cœur, a-t-il dit, ce satané cœur, mon bon.

Moi, je n'avais d'yeux que pour une chose, une volumineuse loupe au milieu de son crâne, protubérance ovoïde, aux tons de vieil ivoire, surgie du cuir chevelu comme le champignon nommé vesse-de-loup surgit d'un gazon ras tondu. Le cabinet du bonhomme était humide et sombre. j'entendais tousser et chuchoter les gens dans la salle d'attente. Le médecin me dit encore qu'il ne fallait pas boire ni fumer, ni connaître trop fréquemment la femme. Il prononçait des mots savants. Il rédigea enfin son ordonnance. Il écrasait la table de tout le poids de sa myopie. Son crâne m'apparaissait dans sa rondeur, sa nudité couleur de moisissure, avec, en relief et en évidence, sa bosse obscène et saugrenue. Je m'entendis dire tout a coup : « Une très belle loupe, docteur. Voilà qui attire le regard. » « Sortez ! » hurla-t-il. Sa vieille main tremblait sur l'ordonnance. Je suis sorti. Et me voici, moi, Ter Korsakoff.

"Le métier d'homme de guerre est une chose abominable et pleine de cicatrices, comme la poésie."23

~Blaise Cendrars

21 fr.wikipedia.org (Entrée: Pierre Molaine)22 Livre électronique: P. MOLAINE, Violences, In Libro Veritas, 201323 1001-citations.com (Entrée: guerre)

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i) Si c'est un homme (Primo Levi) (1945)

Primo Levi est né le 31 juillet 1919 à Turin et mort le 11 avril 1987 dans cette même ville, un

écrivain italien et un des plus célèbres survivants de la Shoah. Il est devenu écrivain pour

partager son expérience du camp de concentration d'Auschwitz.24

Chapitre IV - Häftling25

« Häftling: j'ai appris que je suis un Häftling. Mon nom est 174517; nous avons été baptisés et aussi longtemps que nous vivrons nous porterons cette marque tatouée sur le bras gauche. »

« L'opération a été assez peu douloureuse et extrêmement rapide : on nous a fait mettre en rang par ordre alphabétique, puis on nous a fait défiler un par un devant un habile fonctionnaire muni d'une sorte de poinçon à aiguille courte. Il semble bien que ce soit là une véritable initiation : ce n'est qu' " en montrant le numéro " qu'on a droit au pain et à la soupe. Il nous a fallu bien des jours et bon nombre de gifles et de coups de poing pour nous habituer à montrer rapidement notre numéro afin de ne pas ralentir les opérations de distribution des vivres il nous a fallu des semaines et des mois pour en reconnaître le son en allemand. Et pendant plusieurs jours, lorsqu'un vieux réflexe me pousse à regarder l'heure à mon poignet, une ironique substitution m'y fait trouver mon nouveau nom, ce numéro gravé sous la peau en signes bleuâtres. »

« Ce n'est que beaucoup plus tard que certains d'entre nous se sont peu à peu familiarisés avec la funèbre science des numéros d'Auschwitz, qui résument à eux seuls les étapes de la destruction de l'hébraïsme en Europe. Pour les anciens du camp, le numéro dit tout la date d'arrivée au camp, le convoi dont on faisait partie, la nationalité. On traitera toujours avec respect un numéro compris entre 30000 et 80000: il n'en reste que quelques centaines, qui désignent les rares survivants des ghettos polonais. De même, il s'agit d'ouvrir l'œil si on doit entrer en affaires avec un 116000 ou un 117000: ils ne sont plus qu'une quarantaine désormais, mais ce sont des Grecs de Salonique, et ils ont plus d'un tour dans leur sac. Quant aux gros numéros, il s'y attache une note essentiellement comique, comme aux termes de "bleus" ou de "conscrits" dans la vie courante : le gros numéro par excellence est un individu bedonnant, docile et niais, à qui vous pouvez faire croire qu'à l'infirmerie on distribue des chaussures en cuir pour pieds sensibles, et qui est capable sur votre instigation d'y courir séance tenante en vous laissant sa gamelle de soupe "à garder"; vous pouvez lui vendre une cuillère pour trois rations de pain; vous pouvez même l'envoyer demander (comme cela m'est arrivé!) au Kapo le plus féroce du camp si c'est bien lui qui commande le Kartoffelschälkommando, le Kommando d'Epluchage de Patates, et s'il est possible de s'y faire enrôler. »

"Peut-être que ce qui s'est passé ne peut pas être compris, et même ne doit pas être compris, dans la mesure où comprendre, c'est presque justifier."26

~Primo Levi

24 fr.wikipedia.org (Entrée: Primo Levi)25 Livre: Pr. LEVI, Si c'est un homme, Pocket, 198826 babelio.com (Entrée: Primo Levi)

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j) L'Espèce humaine (Robert Antelme) (1947)

Robert Antelme est né le 5 janvier 1917 à Sartène et mort en 1990. C'était un poète et membre de la

Résistance française. Il a été déporté aux camps de Dachau et Buchenwald. Après son retour, il a

écrit l'Espèce humaine, qui sert maintenant comme un livre de référence sur les camps de

concentration.27

Extrait de l'Espèce humaine (Robert Antelme)28

A côté de moi, il y a une ombre et un bout de cigarette rouge. De temps en temps, une bouffée éclaire une bouche et un nez comme un phare lointain.Le tison s'est écarté de la bouche qui rentre alors dans le noir. Il s'approche de moi. Je ne fais pas attention. Un coup de coude dans mon bras. Le tison se rapproche. Je prends la cigarette. Je tire deux touches. La main la reprend.— Merci.C'est le premier mot. J'étais seul. Je ne savais même pas qu'il existait. Pourquoi cette cigarette vers moi?Je ne sais pas qui il est. Le tison rougit de nouveau à sa bouche, puis il s'en écarte et s'approche de nouveau de moi. Une touche. Nous sommes ensemble maintenant, lui et moi: on tire sur la même cigarette. Il demande.— Franzose?Et je réponds:— JaIl tire sur sa cigarette. Il est tard. Il n'y a plus aucun bruit dans la chambrée. Ceux qui sont sur le banc ne dorment pas mais se taisent. Moi aussi je demande:— Rusky?— Ja.Il parle doucement. Sa voix semble jeune. Je ne le vois pas.— Wie Alt? ( Quel âge? )— Achtzehn. ( Dix-huit )Il roule un peu les r. Il y a un silence pendant qu'il tire sa bouffée. Puis il me tend la cigarette et disparaît de nouveau dans le noir. Je lui demande d'où il est.— Sébastopol.Il répond chaque fois docilement, et dans le noir, ici, c'est comme s'il racontait sa vie.La cigarette est éteinte. Je ne l'ai pas vu. Demain je ne le reconnaîtrai pas. L'ombre de son coprs s'est penchée. Un moment passe. Quelques ronflements s'élèvent du coin. Je me suis penché moi aussi. Rien n'existe plus que l'homme que je ne vois pas. Ma main s'est mise sur son épaule.A voix basse:— Wir sind frei. ( Nous sommes libres)Il se relève. Il essaye de me voir. Il me serre la main.— Ja.

"La puissance du bourreau ne peut être autre qu'une de celles de l'homme: la puissance de meurtre. Il peut tuer un homme, mais il ne peut pas le changer en autre chose."29

~Robert Antelme

27 fr.wikipedia.org (Entrée: Robert Antelme)28 desordre.net (Entrée: Estrait de l'Espèce humaine de Robert Antelme)29 babelio.com (Entrée: Robert Antelme)

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k) Mémoires de guerre (Charles de Gaulle) (1956)

Charles de Gaulle est né le 22 novembre 1890 à Lille et mort le 9 novembre 1970. Il était un

général, écrivain et homme d'Etat français, il était un commandant des Forces françaises libres

et premier président de la cinquème république. En 1956 il écrit ses Mémoires de guerre.30

Extrait des Mémoires de guerre31

Vers 4 heures et demie, je vais, comme prévu, entrer à Notre Dame. Tout à l'heure, rue de Rivoli, je suis monté en voiture et, après un court arrêt sur le perron de l'Hôtel de Ville, j'arrive place du Parvis. Le cardinal archevêque ne m'accueillera pas au seuil de la basilique. Non point qu'il ne l'eût désiré. Mais l'autorité nouvelle l'a prié de s'abstenir. En effet, Mgr Suhard a cru devoir, il y a quatre mois, recevoir solennellement ici le maréchal Pétain lors de son passage dans Paris occupé par les Allemands, puis, le mois dernier, présider le service funèbre que Vichy a fait célébrer après la mort de Philippe Henriot. De ce fait, beaucoup de résistants s'indignent à l'idée que le prélat pourrait, dès à présent, introduire dans la cathédrale le général de Gaulle. Pour moi, sachant que l'Église se considère comme obligée d'accepter « l'ordre établi », n'ignorant pas que chez le cardinal la piété et la charité sont à ce point éminentes qu'elles laissent peu de place dans son âme à l'appréciation de ce qui est temporel, j'aurais volontiers passé outre. Mais l'état de tension d'un grand nombre de combattants au lendemain de la bataille et ma volonté d'éviter toute manifestation désobligeante pour Mgr Suhard m'ont amené à approuver ma délégation qui l'a prié de demeurer à l'archevêché pendant la cérémonie. Ce qui va se passer me confirmera dans l'idée que cette mesure était bonne.

A l'instant où je descends de voiture, des coups de fusil éclatent sur la place. Puis, aussitôt, c'est un feu roulant. Tout ce qui a une arme se met à tirer à l'envi. Ce sont les toits qu'on vise à tout hasard. Les hommes des forces de l'intérieur font, de toutes parts, parler la poudre. Mais je vois même les briscards du détachement de la 2e Division blindée, en position près du portail, cribler de balles les tours de Notre Dame. II me paraît tout de suite évident qu'il s'agit là d'une de ces contagieuses tirailleries que l'émotion déclenche parfois dans des troupes énervées, à l'occasion de quelque incident fortuit ou provoqué. En ce qui me concerne, rien n'importe davantage que de ne point céder au remous. J'entre donc dans la cathédrale. Faute de courant, les orgues sont muettes. Par contre, des coups de feu retentissent à l'intérieur. Tandis que je me dirige vers le choeur, l'assistance, plus ou moins courbée, fait entendre ses acclamations. Je prends place, ayant derrière moi mes deux ministres : Le Troquer et Parodi. Les chanoines sont à leurs stalles. L'archiprêtre, Mgr Brot, vient me transmettre le salut, les regrets et la protestation du cardinal. Je le charge d'exprimer à Son Éminence mon respect en matière religieuse, mon désir de réconciliation au point de vue national et mon intention de le recevoir avant peu.

Le Magnificat s'élève. En fut il jamais chanté de plus ardent ? Cependant, on tire toujours. Plusieurs gaillards, postés dans les galeries supérieures, entretiennent la fusillade. Aucune balle ne siffle à mes oreilles. Mais les projectiles, dirigés vers la voûte, arrachent des éclats, ricochent, retombent. Plusieurs personnes en sont atteintes. Les agents, que le préfet de police fait monter jusqu'aux parties les plus hautes de l'édifice, y trouveront quelques hommes armés ; ceux ci disant qu'ils ont fait feu sur des ennemis indistincts. Bien que l'attitude du clergé, des personnages officiels, des assistants, ne cesse pas d'être exemplaire, j’abrège la cérémonie. Aux abords de la cathédrale, la pétarade a maintenant cessé. Mais, à la sortie, on m'apprend qu'en des points aussi éloignés que l'Étoile, le Rond Point, l'Hôtel de Ville, les mêmes faits se sont produits exactement à la même heure. Il y a des blessés, presque tous par suite de bousculades:

Qui a tiré les premiers coups? L'enquête ne pourra l'établir. L'hypothèse des tireurs de toits, soldats allemands ou miliciens de Vichy, paraît fort invraisemblable. En dépit de toutes les recherches, on n'en a arrêté aucun. D'ailleurs, comment imaginer que des ennemis auraient pris des cheminées pour cibles au lieu de me viser moi même quand je passais à découvert? On peut, si l'on veut, supposer que la coïncidence des fusillades en plusieurs points de Paris a été purement fortuite. Pour ma .part, j'ai le sentiment qu'il s'est agi d'une affaire montée par une politique qui voudrait, grâce à l'émoi des foules, justifier le maintien d'un pouvoir révolutionnaire et d'une force d'exception. En faisant tirer, à heure dite, quelques coups de fusil vers le ciel, sans prévoir peut être les rafales qui en seraient les conséquences, on a cherché à créer l'impression que des menaces se tramaient dans l'ombre, que les organisations de la Résistance devaient rester armées et vigilantes, que le « Comac », le Comité parisien de la libération, les comités de quartier, avaient à procéder eux mêmes à toutes opérations de police, de justice, d'épuration qui protégeraient le peuple contre de dangereux complots.

"Il n’y a qu’une querelle qui vaille, celle de l’homme."32

~Charles de Gaulle

30 fr.wikipedia.org (Entrée: Charles de Gaulle)31 Livre: Ch. DE GAULLE, Mémoires de guerre, Plon, 195632 citationspolitiques.com (Entrée: Charles de Gaulle)

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l) Au nom de tous les miens (Martin Gray) (1971)

Martin Gray (Mieczysław Grajewski) est né le 27 avril 1922 à Varsovie, en Pologne, c'est un des

célèbres survivant de l'holocauste juive. Il a perdu deux fois toute sa famille, la première fois dans le

camp de concentration et la deuxième suite à une incendie de sa maison. Toutes ses expériences

douloureuses ont été décrites dans son livre populaire, Au nom de tous les miens.33

Extrait du livre Au nom de tous les miens34

Alors des Juifs sortaient des rangs et attendaient : parfois pour cinquante non-juifs servis, cinq Juifs seulement avaient droit à l'eau. Moi, immobile, j'attends patiemment dans la queue. Je serre les dents. Les hommes sont devenus des bêtes. Et ils meurent comme elles.En rentrant de la Vistule avec un seau d'eau j'ai entendu, venant du nord, du côté de Zoliborz, les bombardiers, une rumeur qui faisait vibrer le sol. Immédiatement, il y eut les explosions, la fumée envahissant le ciel, les cris ; une façade, devant moi, au bout de la rue, s'effondrant d'un seul coup ; les flammes. J'ai plongé ma tête dans l'eau, puis j'ai couru. Les bombardiers étaient passés. Une droshka brûlait et le cheval n'était plus qu'une masse couchée sur le côté, le cocher près de lui, le corps gonflé, énorme, comme une bête aussi. J'ai couru jusqu'à une autre rue, des hommes creusaient dans la poussière, j'ai creusé avec eux, et des mains se sont tendues, du fond de la terre. Alors je suis parti. Dans d'autres rues, des groupes pillaient des magasins aux façades éventrées. Des femmes remplissaient leurs tabliers de boîtes de conserve puis, les serrant contre elles, elles s'enfuyaient, avec ce ventre énorme. Près de la rue Senatorska j'ai rencontré le fils des voisins. Tadek était plus âgé que moi, nous n'étions jamais sorti ensemble, mais ce jour-là, sans nous dire un mot d'abord, nous nous sommes mis à marcher l'un près de l'autre. Nous rôdions dans les rues. J'avais faim et je sentais que c'était moi qui dirigeais. Tadek me suivait. Nous avons cherché. Dans la rue Stawki un groupe de gens gesticulait. Nous nous sommes approchés : c'était une usine de conserves de concombres, la porte était défoncée. Sur le sol, sur les étagères le long des murs, il y avait des centaines de boîtes. Je n'ai pas hésité et j'ai été parmi les premiers. De ma chemise j'ai fait un sac. Mes gestes étaient rapides, je me taisais. De temps à autre je jetais un coup d'oeil à droite, à gauche. J'avais repéré une fenêtre. Je savais déjà qu'il faut toujours prévoir par où l'on peut s'enfuir. Tadek faisait comme moi. Nous sommes partis rapidement : dans l'usine maintenant des femmes se battaient, et nous avons couru jusqu'à la rue Senatorska. Ce soir-là nous avons tous mangé à notre faim : de gros concombres aigres qui craquaient sous nos dents, qui brûlaient les gencives. Mais nous n'avions plus faim et ma mère ne m'a rien demandé. Elle aussi a mangé des concombres. Nous avons tous été malades dans la nuit, nous avons vomi, mais nous n'avions plus faim. La vie, c'était devenu cela.Le lendemain, je suis reparti avec Tadek. Dans les rues, au milieu des soldats en déroute avançaient de lourdes charrettes de paysans. Des réfugiés avec leurs sacs de toile, leurs couvertures, étaient assis sur les trottoirs. Moi, j'allais, je les voyais sans les voir : il fallait manger, vivre. Mais les magasins étaient vides, les comptoirs balayés. Des gens couraient : « A la gare, il y a un train de farine. » Nous nous sommes mis à courir aussi. J'allais devant, il fallait vivre, il fallait manger, il fallait courir. Sur la voie, le déchargement se faisait en silence : nous étions comme des fourmis, mais chacun pour soi. J'ai pris un sac que j'ai fait tomber sur les rails. Il pesait une centaine de kilos. Ce n'était pas de la farine mais des graines de courges. Nous l'avons partagé et nous avons filé avec nos cinquante kilos sur le dos. Maintenant, à la maison on m'attendait: c'est moi qui faisais vivre. Quand je suis rentré avec le sac ma mère m'a embrassé, mes frères ont sauté de joie et ont commencé à plonger la main au milieu des graines blanchâtres. Il fallait vivre. Je me suis assis, j'étais mort de fatigue, la sueur avait collé mes cheveux, je n'avais même plus faim, mais j'étais en paix, c'est une grande joie de nourrir les siens.J'ai continué, jour après jour, puis, brusquement, un après-midi, les rues se sont vidées. Les fumées des incendies couvraient encore la ville, j'étais de l'autre côté de la Vistule. Je me suis senti seul, j'ai couru. De temps à autre, je croisais des passants qui couraient aussi. A l'un d'eux j'ai crié :- Quoi ?- Les Allemands, les Allemands, nous avons capitulé. Ils avaient vaincu. Ils arrivaient.

"L'homme, s'il le veut,...peut toujours à côté d'un arbre mort planter un arbre de vie."35

~Martin Gray

33 fr.wikipedia.org (Entrée: Martin Gray)34 martin-gray.fr/en/extraits/ANTM1.htm35 babelio.com (Entrée: Martin Gray)

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m) Maus (Art Spiegelman) (1992)

Art Spiegelman est né le 15 février 1948 à Stockholm. C'est un auteur de bande dessinée et

illustrateur. En 1986 il publie Maus, une bande dessinée dans laquelle il montre l'histoire de

sa famille durant l'holocauste juive racontée par son père.36

Extrait de la bande dessinée Maus37

"- Bon... Alors la voilà, notre Hongrie...- Et pour nous tous il n'y a qu'un seul moyen de sortir... par ces cheminées..."38

~Art Spiegelman (Maus)

36 fr.wikipedia.org (Entrée: Art Spiegelman)37 bedetheque.com (Entrée: Maus)38 babelio.com (Entrée: Art Spiegelman)

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n) Etre sans destin (Imre Kestész) (1997)

Imre Kestész est né le 9 novembre 1929 à Budapest. C'est un écrivain hongrois et un des celèbres

survivants des camps de concentration. Il a été lauréat du prix Nobel de littérature en 2002

principalement pour son livre autobiographique Etre sans destin, dans lequel il raconte toutes les

atrocités rencontrées durant l'holocauste.39

Extrait du livre Etre sans destin40

Je ne l’aurais jamais cru, mais le fait est là : à l’évidence, un mode de vie ordonné, une certaine exemplarité, je dirais même une certaine vertu, ne sont nulle part aussi importants qu’en détention, justement. Il suffit de jeter un coup d’oeil dans les environs du Block I, là où habitent les vieux détenus. Le triangle jaune sur leur poitrine dit l’essentiel à leur sujet, et la lettre L qui y est inscrite indique incidemment qu’ils viennent de la lointaine Lettonie, précisément de la ville de Riga - ai-je appris. On peut voir parmi eux ces êtres bizarres qui m’avaient un peu étonné au début. Vus d’une certaine distance, c’étaient des vieillards extrêmement âgés, la tête enfoncée dans les épaules, le nez saillant, leurs loques crasseuses pendant sur leurs épaules relevées, et même durant les jours d’été les plus chauds, ils faisaient penser à des corbeaux transis de froid en hiver. Par chacun de leurs pas raides et trébuchants, ils semblaient demander : finalement, un tel effort en vaut-il la peine ? Ces points d’interrogation ambulants - car tant par leur aspect extérieur que par leur taille, je ne saurais les caractériser autrement - sont connus au camp de concentration sous le nom de « musulmans », comme je l’ai appris. Bandi Citrom m’a mis tout de suite en garde contre eux : « Il suffit de les regarder pour perdre l’envie de vivre », considérait-il, et il y avait du vrai dans ce qu’il disait, comme je m’en suis rendu compte avec le temps, même s’il fallait pour cela encore beaucoup d’autres choses.

"Ecrire la Vérité ou ma vérité ? Ma vérité. Et si ce n’est pas la Vérité ? Alors écrire l’erreur, mais la mienne."41

~Imre Kestész

39 fr.wikipedia.org (Entrée: Imre Kestész)40 Livre: I. KESTÉSZ, Etre sans destin, Editions Actes Sud, 200941 fr.wikiquote.org (Entrée: Imre Kestész)

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o) Un secret (Philippe Grimbert) (2004)

Philippe Grimbert est né en 1948 à Paris. C'est un écrivain et psychanalyste français. Dans son livre

le plus célèbre, le Secret, il décrit l'histoire d'une famille qui renait après la Shoah.42

Extrait du livre Un Secret de Philippe Grimbert43

Lorsque Tania apparaît derrière les grilles de la propriété, Maxime débite à la hache le tronc d’un arbre arraché par le vent. Il a trouvé son rythme, assure son geste et la lame s’enfonce à chaque fois plus profondément dans la blessure. Cette activité occupe son esprit, mobilise ses muscles restés trop longtemps inactifs. Georges n’est pas encore rentré de la pêche, il est installé au bord de la rivière, à l’abri d’un saule. Son seau est rempli de poissons, il imagine son arrivée dans la cuisine, la joie de Thérèse à la vue de son butin. La fille du colonel lit sur la terrasse, allongée sur une chaise longue, bercée par le choc régulier de la hache. De temps à autre elle caresse des yeux l’homme en bras de chemise, admire son effort, l’encourage de la voix.

C’est elle qui voit Tania en premier. Elle sursaute, saisie par la beauté de la jeune femme qui se tient immobile de l’autre côté du muret, un sac de voyage à la main. Une silhouette parfaite, vêtue d’une petite robe grise aux épaules droites, à la taille marquée. Elle ressent un pincement au cœur, cette présence radieuse annonce un malheur, elle en est sûre. Les deux hommes lui ont parlé d’elle et elle l’a reconnue, avant même que Maxime ne lève la tête pour l’apercevoir à son tour. Il tressaille, laisse sa hache plantée dans le tronc de l’arbre, essuie son front. Ils se font face, Maxime est debout, les bras ballants, à quelques mètres de Tania, toujours immobile derrière les grilles. Lorsque Thérèse surprend leur regard elle comprend. Un nuage traverse le ciel et vient masquer le soleil de cette après-midi.

Tania s’installera dans la chambre destinée à Simon, qui dispose de deux lits jumeaux. Maxime et Georges s’empressent auprès de leur belle-sœur, lui font faire le tour du village, l’emmènent admirer l’église et le prieuré, l’accompagnent sur les rives de la Creuse.

Peu après son arrivée elle tente d’appeler ses beaux-parents, sans succès. Elle imagine le grelot du téléphone résonnant dans le salon désert, trouant un silence de mort. Elle envoie un télégramme à Martha, pour la rassurer, mais ne veut pas penser à Robert. Comme une petite fille obstinée elle a cédé à un caprice, elle est enfin auprès de l’homme qu’elle désire. Il l’attire plus que jamais, elle lutte contre la tentation de se réfugier contre son torse, de coller sa bouche à la sienne. Rien n’a d’importance en dehors de cette force qui la possède tout entière.

Jour après jour les yeux de Maxime se font plus insistants, elle leur répond, se laisse envahir par ces vagues de désir. Elle peut se livrer encore à ce jeu troublant, l’arrivée d’Hannah et de Simon y mettra fin. À chaque fois qu’elle s’abandonne au regard clair de Maxime, elle se sait observée par Thérèse : l’institutrice réagit comme une enfant jalouse.

"Aussi longtemps que possible, j’avais retardé le moment de savoir : je m’écorchais aux barbelés d’un enclos de silence."44

~Philippe Grimbert (Un Secret)

42 fr.wikipedia.org (Entrée: Philippe Grimbert)43 Livre: Ph. GRIMBERT, Un Secret, Livre de poche, 200644 babelio.com (Entrée: Philippe Grimbert)

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Page 19: College Roi Baudoufa

3. Conclusion

Comme nous pouvons le voir à travers tous les oeuvres littéraires présentés dans cette anthologie, la Deuxième Guerre mondiale a profondement marqué les esprits et donc la littérature de ces temps et même ceux de nos jours. Ces artistes ont parlé des toutes les difficultés rencontrées durant la Seconde Guerre, ce que s'était vraiment passé dans tous ces camps de concentration, la peur de lendemain. Ces pensées ont été vraiment variées, on a pu observer les réaction d'une pré-adolescente, Anne Frank face à l'occupation des nazis, d'un homme qui a tout perdu à cause de la Shoah, d'un millitaire qui faisait des grands voyages à travers tout le monde et même d'un historien qui est devenu président de la France et d'un lauréat du prix Nobel. C'est un patrimoine qui continue encore à se propager et continuera encore, pour ne plus jamais être oublié.

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