Collection Littérature Francophone

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Le chant d'Adapa

Khireddine Mourad Prix littéraire 1988

de l'Agence de Coopération Culturelle et Technique

à Rachida, Kamélia Mohamed-Anass.

Agence de coopération culturelle et technique 13, quai André-Citroën, 75015 Paris

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Agence de Coopération Culturelle et Technique (A.C.C.T.)

ÉGALITÉ, COMPLÉMENTARITÉ, SOLIDARITÉ

L'Agence de Coopération Culturelle et Technique, organisation internationale créée à Niamey en 1970, rassemble des pays liés par l'usage commun de la langue française à des fins de coo- pération dans les domaines de l'éducation, des sciences et des techniques et, plus généralement, dans tout ce qui concourt au développement des États Membres et au rapprochement des peuples.

Pays membres

Belgique, Bénin, Burkina Faso, Burundi, Canada, République Centrafricaine, Comores, Congo, Côte-d'Ivoire, Djibouti, Domi- nique, France, Gabon, Guinée, Haïti, Liban, Luxembourg, Mali, île Maurice, Monaco, Niger, Rwanda, Sénégal, Seychelles, Tchad, Togo, Tunisie, Vanuatu, Viet-Nam, Zaïre.

États associés

Cameroun, Égypte, Guinée-Bissau, Laos, Maroc, Mauritanie, Sainte-Lucie.

Gouvernements participants

Nouveau-Brunswick, Québec.

© HATIER - PARIS - SEPTEMBRE 1989

Toute représentat ion, t raduction, adapta t ion ou reproduction, même partielle, par tous procédés , en tous pays, faite s a n s autorisat ion préalable es t illicite et expo- serait le contrevenant à des poursuites judiciaires. Réf. : loi du 11 mars 1957. ISBN 2-218-02275-3

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PRÉFACE

Le Concours littéraire de l'Agence de Coopération Culturelle et Technique est à sa cinquième édition. Ce programme qui est l'un des plus anciens de la Direction Générale de la Culture et de la Communication, vise à encourager la créa- tion d'œuvres nouvelles, à promouvoir l'émulation entre les écrivains de l'espace francophone.

Par le nombre et la qualité des manuscrits reçus, ce concours témoigne de la richesse des littératures de langue française. Le prestige que confère le prix littéraire de l'Agence de Coo- pération Culturelle et Technique, tant en roman qu'en poésie, est là pour démontrer combien les créateurs sont attachés aux valeurs et aux idéaux qui fondent la francophonie.

Au moment où sort en librairie le Chant d'Adapa, qu'il nous soit permis de féliciter son auteur, Khireddine Mourad, lauréat du prix littéraire pour ce beau chant aux accents homériques. Dans cette œuvre s'exprime en effet un souffle épique qui n'est pas sans rappeler les grands textes de la littérature antique. Dans une langue pleine d'images et de métaphores, Khireddine Mourad entraîne son lecteur à la rencontre de deux héros. Le premier, Gilgamesh, triomphe du monstre de la Montagne de Cèdres, découvre la mort et entreprend la quête de l'éternité. Le second, Adapa, ignorant la mort et frôlant l'immortalité, tente de réaliser sa totale humanité. En somme, un talent de narrateur et une fraîcheur qui font de ce chant un grand poème et un hymne à l'éternité.

Ahmadou Touré Agence de Coopération Culturelle et Technique

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LE CHANT DE GILGAMESH

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D son nom égaré dans les astres ensevelis, « Celui qui a vu la source » approchant les rives

dunaires,

Du plus beau chant arraché aux soleils, Murmure le temps comme je caresse la lavande.

Et il marche l'orbe « Celui qui a tout vu », Sa pugnacité épandue sur les vierges interdites :

La fille d'un père, la fiancée d'un héros, la femme d'un mari,

Toujours à courir les corps callipyges.

Sage et despotique, dominant Erech aux enclos, De ses deux tiers un dieu et du reste un homme,

Perturbant les maisons de ses visites nocturnes. Les maisons faites avec des portes pour se fermer à

l'Autre.

Les maisons d'Erech aux enclos, maisons de pierres, Où entre l'illicite par les interstices du temps.

Et il inocule sa semence dans les chairs en attente, Sans cueillir, au détour des saisons, les fruits

ardents.

Ces êtres de sang dans l'ignorance de l'arbre, Se rencontrant au hasard en astres interdits,

S'égarant ainsi que ces milliers de ruisseaux, Aux origines incertaines allant vers l'eau mêlée

des fleuves.

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M je viens aujourd'hui parler de l'autre nomade...

Ferveur des temps agités entre sables et ruines, Le cheval ourlait la gloire de dune en dune.

Le poète célébrait la vacuité fertile derrière chaque oasis.

Les chemins étaient lents et l'heure toujours aux sables.

Sable, sable, sans cesse le sable avec le vent et encore le vent,

Entre le sabre et la femme venait le rapt de l'inassouvi.

Et les gazelles blanches étonnées devant le faon Ecoutaient la flèche clandestine déchirant l'oasis.

L'impétuosité au flanc court et au jarret nerveux Porte le brigand, sage et vagabond, jusqu'aux vestiges

des passions.

Et nulle flamme n'était aussi propice aux ardeurs mortelles.

Et nul désert aussi propice aux courses impitoyables.

Les paroles perpétuaient les exploits des soifs vaincues, Jusqu'aux écrits d'ivresses débordantes de l'Ibère

converti.

Désert, tu fus un lieu de retraite et de repli, Inaccessible aux rancœurs sédentaires agenouillées

devant la pierre.

La vague déferla un jour, avec à ses cimes les felouques légères.

Le seuil du couchant bariola un paradis possible,

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Où l'oranger et le romarin aux parfums atténués A l'olive léguèrent une couleur plus secrète.

Où l'art emprunta à la corolle sa danse végétale, Pour un voyage toujours plus proche de l'humain.

Mais les palais s'hybrident et les clochers se mêlent aux minarets,

L'Hespéride s'effeuille et part tuer le quetzal.

Les cités mythiques évacuent les dieux pour une autre foi, Les maîtres s'écartent des astres et s'épanchent sur

le temps.

Les chants allient la ballade et la quête amoureuse, Et, en toute heure de peine, élèvent les soupirs vers le ciel.

Les cités accueillent et chassent l'impair énigmatique. Et les textes s'alourdissent derrière les flammes avides.

La mort se fait voyage aux promesses certaines. Les aires se précisent et les mirages se profilent.

La lumière dans sa danse appelle l'illumination, Le croissant de son éclat s'étend et s'éparpille.

Les coursiers cèdent leurs galops aux ombres inouïes. Le levant se tourne vers sa lumière et s'appuie sur

ses stèles.

Le nomade revient et secoue les dunes figées du temps, Eclabousse les oasis, défiant les saisons heureuses,

Et il s'évanouit dans les récits aux traces serpentines. Echouant, au-delà de la mer, dans les paroles du narrateur.

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R de cinnamome, de myrrhe, de camphre et de cannelle...

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L Génois douteux et fébrile inspiré d'Alfraganus Pour une plus ample aventure s'érige en maître d'astres.

Les sentiers marins usurpés au levant pour des chemins crépusculaires

Multiplient les songes auriges des découvreurs d'îles.

Clairsemant des abords marins d'amers dérisoires, Abandonnant des ressacs moins éloquents que les sternes.

Ah, errant marin épris d'anagrammes et de rébus ! Pilote tortueux pour des océans déjà écrits dans les astres.

Ergoteur et épicier sur les vaisseaux aux erres incertaines,

Le sol fut votre espoir à chaque tempête plus ardent.

Le désert se fit mer et la tentation plus sombre. Rêves de cinnamome, de myrrhe, de camphre et de cannelle.

Les voiles tournées vers l'ouest rêvaient d'un autre levant. Mais comment rendre les surfaces crépusculaires riches

de soleils ?

L'arbalète et la foudre furent divines devant l'obsidienne, Pour une leçon barbare même aux plus beaux jours de mai !

Les déserts du couchant n'étaient que promesses d'or, Et de femmes et d'esclaves et d'aras et de colibris.

Le quetzal bariolé n'erra plus dans les cimes sacrées, Et toute cité de transhumants fut effacée jusqu'aux

lisières de l'écriture.

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Et toute île fut envahie de domaines hybrides, S'enracinant face aux murmures marins à l'invite

étouffée.

Les enfances blanches grandirent à l'ombre des Mamas épuisées,

Et la liberté s'égara dans les méandres des mirages.

L'éloge vint à propos, aveugle aux autres souffrances. Voici le mot princier frappé de haute récompense.

Détourné du métis famélique riche d'une autre poésie. L'éloge est une enfance trahie, oubliée et perdue,

Tombée entre les mains de l'artisan oisif et nostalgique. Les îles du couchant furent un charnier sans écriture.

Seul fut clamé le chant des vents et des amers, Espoir d'oubli et d'errance pour le résident ergoteur.

Les chemins furent mercantiles et l'homme avide, La parole fertile pour des pages impossibles.

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N ous voici séparés par les mots Pour tenter le plus beau chant de l'humain...

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N ous sommes l'esquisse brisée des clowns assassinés, L'autre rêve dissymétrique qu'aucune géométrie n'égale.

Celui qui chante la dérision aux porteurs d'améthyste, Adorateurs de la méduse, ouvrant l'heure aux chapelets

de pierres.

Celui qui traîne avec folie le regard sismique du lynx, Lézardant de son rire les murailles pour une plus haute

incertitude.

Celui qui brise le chant des mangeurs de mandragores, Pour des déserts plus féconds qu'aucune terre d'ici.

Offrant le mat du tarot au chiffre indécidable, Et marche et court au-delà des créneaux du temps.

Désert ! désert ! l'heure est à toi et à l'impair qui te hante,

Le difforme, l'amputé, les fantômes du dehors.

L'heure du clown est un chant de désert bariolé, Et tu dis : « Où est l'omphalos des cités urbaines ? »

L'heure du clown est une parodie de la brique, Des fruits et des espérances terrés dans les celliers.

L'heure est au clown et à la faunesse nocturne, La Lilith féconde pour les songes et les déserts,

Où nulle demeure arachnide ne résiste au vent, Entre les dunes infinies et les astres labyrinthiques.

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L'heure du clown est une déroute plus riche que le Léthé. Elle est l'autre côté de la quête affranchie d'immédiats.

Elle est la mer généreuse de ses espaces solsticiaux : Sables éphémères pour les couvaisons de l'alcyon.

L'heure du clown est le vent du désert aréolaire, Laissant aux pays du soir les espoirs mégalithiques.

Je marche dans les cités au milieu des agames ornés d'améthystes,

Friands de récits fabuleux aux paroles d'égarements.

Gloire au fenouil et à la perdrix à la valence écartelée. Gloire à l'onyx indécidable dans sa tourmente indicible.

Ah, désert ! nulle pierre, nulle bête ne sont habitées d'éclats. Toujours les extrêmes se tiraillent et t'accueillent et t'exilent.

Ainsi d'un levant où le fruit est une grâce d'entre les grâces,

A un couchant où l'homme pair érode la lumière.

Tu boites et tu chantes avec des tessons de mots. Mais les blessures se cicatrisent et les chemins se

fixent.

Et tu reviens vêtu de paroles en lambeaux, Clown ! les étangs sont terribles et ne frissonnent

pas au vent.

Les murs s'écaillent et se parent de récits ennuyeux, Mais dressent leurs mousses et leurs lichens à la face

des mots.