CMF Note critique sur le projet de loi sur le conseil national de la presse final 16 décembre...

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CONSEIL NATIONAL DE LA PRESSE AU MAROC NOTE CRITIQUE SUR LE PROJET DE LOI 90-13 DECEMBRE 2015

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CONSEIL NATIONAL DE LA PRESSE AU MAROC

NOTE CRITIQUE SUR LE PROJET DE LOI 90-13

DECEMBRE 2015

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Avant-propos

Le projet de loi sur le Conseil national de la presse 90-13 a été approuvé par

le Conseil du gouvernement le 29 juillet 2015, et a été par la suite déposé au bureau

de la Commission de l’enseignement, de la culture et de la communication de la

chambre des représentants le 4 novembre 2015.

Nous pensons que ce projet ne concerne pas uniquement les journalistes et

les patrons de la presse (écrite et électronique), il est aussi destiné aux citoyens car

il est dans leur intérêt que le secteur de la presse se dote d’une instance de

gouvernance qui puisse agir dans le sens du développement d’une presse nationale

professionnelle, libre, pluraliste, et responsable.

La note analyse certaines dispositions du projet que le CMF et propose des

recommandations aux parlementaires qui seront appelés à le débattre et à l’adopter.

Le projet de loi ne fait pas l’unanimité, ni des journalistes, ni les éditeurs qui n’ont publié leurs critiques du projet pour qu’il nous soit permis de les comparer. En plus, le ministère de communication qui a présidé le processus de consultation avec le Syndicat national de la presse marocaine et la Fédération des éditeurs n’a pas lancé une consultation publique, sachant que ce dernier est aussi concerné par le projet. Le CMF espère que cette note critique ouvrira un débat entre les journalistes et le public à travers les médias et les réseaux sociaux, surtout que les parlementaires seront appelés dans les mois à venir à débattre et à adopter ce projet de loi. Saïd Essoulami Président du CMF Le CMF est une association de droit marocain constituée en mars 2015. Son siège est à Casablanca.

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Introduction

Puisque il n’y a pas de prototype international de conseil de presse, cette note s’est inspirée de plusieurs modèles nationaux qui ont prouvé leur efficacité en défendant la liberté d’expression des journalistes tout en permettant aux citoyens d’accéder, comme une alternative à l’action en justice, à un mécanisme non-gouvernemental indépendant de résolution de conflits entre la presse et les personnes physiques et morales.

La plupart des modèles de conseils de presse possèdent des caractéristiques

communes. Ils sont le produit d’un acte volontaire entre les journalistes et les éditeurs, et à aucun moment les pouvoirs publics n’interviennent dans leur conception, régulation juridique ou gestion. C’est le modèle d’autorégulation qui est le plus prépondérant.

Cependant, le modèle marocain proposé a été le résultat d’un processus consultatif entre les pouvoirs publics, les journalistes et les patrons de presse. L’intervention des pouvoirs publics est allée plus loin que l’action de ‘favoriser’ « l'organisation du secteur de la presse de manière indépendante et sur des bases démocratiques.» comme l’a souligné la Constitution de 2011.1 Ils sont intervenus à tous les niveaux, depuis la conception jusqu’à la version définitive du projet de loi. Les partenaires principaux qui sont le Syndicat national de la presse marocaine et la Fédération marocaine des éditeurs des journaux contestent quelques aspects du processus de consultation ou certaines dispositions du projet actuel.

L’intervention des pouvoirs publics a mis fin à une série de tentatives

échouées de construction d’un modèle d’autorégulation de la presse marocaine.2 Ce n’est qu’en Octobre 2012, guidé par la disposition de la Constitution que le ministre de la communication a mis en place une commission scientifique consultative composée de 13 membres, présidée par l’ancien ministre de la Communication, feu Mohamed Lârbi Messari3, pour formuler des propositions sur un ensemble de projets concernant la législation de la presse écrite et électronique. Elle a formulé plus de 100 recommandations et propositions d’amendements. Parmi ces recommandations se trouvent quelques unes concernant le Conseil national de la presse.4

Les recommandations ont été transmises au Ministère de la communication

qui les a remises à une commission interministérielle dite juridique regroupant les ministères de la Justice, de l’Intérieur, des Affaires étrangères, de la Communication et le Secrétariat général du gouvernement. Le texte actuel a été approuvé par le

1 L’article 28 de la Constitution de 2011 stipule que « …Les pouvoirs publics favorisent l'organisation du secteur de la

presse de manière indépendante et sur des bases démocratiques, ainsi que la détermination des règles juridiques et déontologiques le concernant… ». 2 Une tentative qui avait vu le jour en l’an 2000 et réunissait le Syndicat des journalistes et des organisations de la société,

avait échoué faute de moyens. Deux autres tentatives n’ont pas abouties sous les ministres de la communication Mrs Mohamed Nabil Ben Abdellah, et Khalid Naciri. Voir le projet de 2007 de Mr. Khalid Naciri critiqué par le CMF : http://www.slideshare.net/SaidEssoulami/critique-du-projet-de-loi-sur-le-conseil-national-de-la-presse-marocaine-2007 3 La commission scientifique réunissait, selon Mr. Mustapha El Khalfi, ministre de la communication, “des personnalités de

différentes sensibilités, représentant la majorité et l’opposition parlementaires, les professionnels des médias, éditeurs et journalistes, les départements ministériels concernés, les ONG de défense des droits de l’Homme et des académiciens.” 4 Sur le projet de loi sur le Conseil de la presse nationale, d’autres consultations ont été poursuivies séparément avec le

Syndicat des journalistes, la Fédération des éditeurs et tout récemment avec la Fédération marocaine des médias.

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Conseil du gouvernement le 29 juillet 2015. Il a été déposé au bureau de la Commission parlementaire de l’enseignement, de la culture et de la communication de la chambre des députés, le 4 novembre 2015. Jusqu’à présent aucune date n’a été fixée pour la tenue du débat parlementaire sur le projet de loi.

Le Contexte Le texte du projet peut être considéré comme un modèle de co-régulation

coercitive, joignant la contrainte de la loi (projet préparé par le gouvernement et sera soumis au vote du Parlement) et l’indépendance des membres du Conseil à travers la formulation de leur propre code de déontologie5 et la gestion financière et administrative du Conseil. Ce modèle à été peut être dicté par le contexte spécifique de la presse marocaine qui n’encourage pas l’autorégulation, en particulier à cause de l’absence d’une stratégie commune entre journalistes et patrons de presse.

La critique de la performance de la presse marocaine s’est intensifiée depuis plus d’une décennie à cause de ce que les autorités appellent son manquement au respect des principes d’éthiques et la perte de sa crédibilité et de la confiance du publique. Les professionnelles rétorquaient à cette critique en avançant que la responsabilité et la jouissance de la liberté d’expression sont des principes fondamentaux qui ne peuvent être séparés.

Cependant, la critique de la presse se porte en général sur la dégradation du

professionnalisme de la presse dont une partie est devenue un instrument de violations des droits de l’homme, en particulier l’intrusion dans la vie privée, l’atteinte à la réputation des personnes, le non respect de la présomption d’innocence, le racisme envers les minorités, surtout les migrants sub-sahariens, ainsi que les attaques répétées contre les droits des femmes, et la propagation des discours de la haine. D’autres journaux, instrumentalisés par leurs propriétaires, sombrent dans les règlements de comptes et alimentent les conflits et tensions entre les élites politiques ou économiques.

La presse électronique, aujourd’hui reconnue par la loi, est aussi souvent

critiquée pour son amateurisme, falsification des faits, plagiat ou sensationnalisme pour gagner plus de « clicks ».

Il est aussi reconnu que les conditions de travail des journalistes et les

violations de leur droit à la liberté d’expression sont des obstacles à l’achèvement d’un haut standard de professionnalisme. Le Syndicat national de la presse marocaine (SNPM) rend compte dans ses rapports annuels de plusieurs cas d’abus: licenciements injustifiés, salaires ne respectant pas le minimum prévu par les conventions collectives, payements irréguliers, non contribution par les patrons à la

5

Le CMF préfère dans ce contexte le terme déontologie à celui d’éthique. « (l)e mot déontologie désigne l’ensemble des

devoirs et des obligations imposés aux membres d’un ordre ou d’une association professionnelle. Comme les règles de droit, les règles déontologiques s’appliquent de manière identique à tous les membres du groupe, dans toutes les situations pratiques. Une autorité est chargée de les faire respecter et d’imposer des sanctions en cas de leur violation… L’éthique, au contraire, invite le professionnel à réfléchir sur les valeurs qui motivent son action et à choisir, sur cette base, la conduite la plus appropriée. » http://gpp.oiq.qc.ca/distinction_entre_ethique_deontologie.htm

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caisse de sécurité sociale (CNSS), non-respect du droit syndical, retrait de la carte de presse etc.6

Les violations des droits des journalistes sont aussi inquiétantes: poursuites judicaires pour diffamation, attaques corporelles contre les journalistes lors des couvertures de manifestations, interdiction d’accès aux sources publiques d’information, etc. On peut ajouter à tout cela la crise de confiance du public envers la presse, qui se manifeste, entre autre, par la chute continue des ventes.

Cette situation peut changer (théoriquement) en confiant aux professionnels la responsabilité de trouver des solutions aux « dérapages » déontologiques, aux violations de la liberté de la presse et à la crise de confiance du public. Le besoin d’un Conseil de presse est devenu une urgence.

L’utilité d’un conseil de presse L’UNESCO a élevé l’autorégulation de la presse à l’échelle des indicateurs

d’évaluation du niveau de développement des médias. Pour cette institution onusienne, l’autorégulation « joue un rôle pivot pour encourager un journalisme de qualité et respectueux des normes professionnelles les plus rigoureuses..Elle peut aider les reporters, les rédacteurs et les organes de presse à se protéger contre les actions judiciaires, mais aussi leur permettre d’interagir avec les usagers des médias et d’apporter une réponse appropriée à leurs plaintes. »

L’UNESCO ajoute que l’autorégulation « vise à favoriser le comportement

éthique et le professionnalisme des journalistes, de telle sorte que le public bénéficie d’une information impartiale, exacte et fiable. L’autorégulation renforce par là même la responsabilisation des médias et la confiance des citoyens dans les journalistes et les organes d’information. »7.

Pour l’organisation internationale « Article 19 », « les objectifs fondamentaux

de l'autorégulation des médias devraient fournir une protection pour les membres de la profession de journaliste. »8 Cette précision d’ « Article 19 » est importante car les journalistes sont parfois la cible d’attaques violentes en raison de leur implication personnelle en tant qu’agents de propagande et d’incitation à la haine et à la violence.

Plusieurs instituions internationales, ainsi que des Conseils de presse et des

chercheurs ont décrit les mérites de l’autorégulation de la presse ainsi que les facteurs qui risquent de l’affaiblir. Nous les résumons ici. Pour la presse, l’autorégulation vise à :

encourager un journalisme de qualité et respectueux des normes professionnelles les plus rigoureuses ;

6 Voir www.snpm.org

7 http://www.unesco.org/new/fr/communication-and-information/events/calendar-of-events/events-

websites/journalism-ethics-and-self-regulation-in-europe-new-media-old-dilemmas/ 8 Freedom and Accountability: Safe guarding free expression through media self-regulation », 2005.

https://www.article19.org/pdfs/publications/self-regulation-south-east-europe.pdf.

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assurer une information diversifiée et de qualité pour rétablir la confiance du public ;

accepter la juridiction de ses pairs, c’est-à-dire que le journaliste se protège contre les actions en justice en corrigeant à l’amiable des erreurs factuelles ou des violations de droits des personnes ;

protéger les droits des journalistes dans les conflits avec les patrons de la presse.

Pour le public l’autorégulation est bénéfique car elle permet:

d’avoir le sentiment que la presse est responsable et fonctionne dans l’intérêt général ;

d’accéder à une information diversifiée et de qualité ;

de garantir le respect de la dignité et la réputation de la personne, ainsi que sa vie privée, et d’autres droits de l’Homme;

de recevoir des compensations (morales ou matérielles) pour les préjudices causés par les journalistes sans passer par les tribunaux dont la procédure est à la fois longue et couteuse.

Cependant les facteurs qui risquent de faire échouer l’autorégulation sont nombreux :

La perte de crédibilité quand l’autorégulation ne concerne qu’une partie des médias et des journalistes qui y adhèrent et surtout si l’adhésion à son code déontologique est volontaire ;

La perte de l’indépendance lorsque l’Etat, les puissants médias, ou les partis politiques se mêlent à la gestion de l’autorégulation;

Le non respect des décisions par les médias ou lorsque les sanctions sont excessives ou sans effets ;

L’intervention des pouvoirs publics dans le choix des membres du Conseil ou lorsque le système d’élection ou de désignation des membres n’est pas transparent ;

L’incompétence des personnes chargées de la médiation.

Critique du projet de loi

Le projet de loi 90-13 contient 56 articles divisés en 5 parties. La première partie définie les fonctions et les prérogatives du Conseil (articles 2-3). La seconde partie définit sa composition et son organisation administrative (article 4-18). La troisième partie définit son organisation financière et administrative (articles 19-23). La quatrième partie donne des détails sur ses fonctions de médiation et d’arbitrage (articles 24-34). La cinquième partie concerne les sanctions disciplinaires (articles 35-51). Enfin, des dispositions transitoires concernant l’observation des élections des membres du Conseil (articles 52-56).

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Le champ d’action du Conseil

L’article 1 du projet de loi qui est formulé en tant que préambule manque de référence à l’article 28 de la Constitution de 2011, et aux convections internationales des droits de l’Homme ratifiées par le Maroc. L’article 1 énonce que la tâche du Conseil est de faire respecter par les journalistes et les entreprises de presse un code de déontologie et les lois et règlements en vigueur sur la presse. L’article 1 définit aussi le champ d’intervention du Conseil à la presse écrite et électronique ainsi que les journalistes professionnels. Mais, le préambule ne précise pas si l’adhésion par les entreprises de presse et les journalistes au Conseil est obligatoire ou volontaire.

Le CMF considère que ces deux champs d’intervention posent deux questions fondamentales qui demandent une réflexion approfondie.

D’abord en ce qui concerne la presse, le CMF pense qu’il serait juste d’intégrer aussi les extensions de la presse dans les réseaux sociaux, en particulier Facebook et Twitter, ainsi que d’autres extensions dans des applications mobiles (par exemple distribution des nouvelles par SMS – service de messages courts).

En ce qui concerne les journalistes professionnels9, le CMF considère que cette classification classique des journalistes n’est plus valable aujourd’hui. Car le métier de journaliste ainsi que l’activité du journalisme sont devenue un sujet de débats en raison des bouleversements dans les technologies de l’information et la communication. En effet, la définition du métier de journaliste n’est plus basée sur les critères liés à l’existence ou non d’un revenu régulier, à l’obtention d’un diplôme, ou à l’adhésion à un syndicat ou le fait d’être titulaire d’une carte de presse.

Selon la description du Rapporteur spécial des Nations unies sur la promotion et la protection du droit à la liberté d'opinion et d'expression, « les journalistes sont des personnes qui observent et décrivent des événements, et qui enregistrent et analysent des faits, des déclarations, des politiques et toutes les affaires pouvant affecter la société, avec comme objectif : catégoriser ces informations, recueillir des faits et des analyses dans le but d’informer toute ou une partie de la société. » Selon le rapporteur, cette définition du journaliste « englobe tous les professionnels des médias et le personnel de soutien, ainsi que les acteurs des médias communautaires et ceux que l’on nomme les « journalistes citoyens », quand ils remplissent momentanément ce rôle. »10

Le Comité des droits de l’homme des Nations unies va dans la même sens lorsqu’il déclare dans son Observation Générale No.34 que le « journalisme est une fonction exercée par des personnes de tous horizons, notamment des reporters et analystes professionnels à plein temps ainsi que des blogueurs et autres particuliers

9 Le statut des journalistes professionnelles ne reconnait quatre catégories : 1. Le journaliste professionnelle qui exerce le

métier du journalisme de façon principale et régulière dans un ou plusieurs médias écrits, ou audiovisuels, ou électroniques, ou dans une agence d’information publique ou privée ayant son siège principal au Maroc et dont le salaire principale est tiré. 2. Le journaliste libre qui travaille sur commande ayant un salaire principalement tiré de son métier de journaliste même si ce n’est pas fixe. 3. Le journaliste stagiaire n’ayant pas deux ans d’expérience, ou une année si possédant un diplôme au niveau de maitrise ou d’une école de journalisme d’une institution d’enseignement supérieur publique ou privée. 4. Le journaliste honoraire retraité ayant exercé le métier pendant une période de 21 ans et plus. Le journaliste professionnelle souligne le Statut du journaliste est reconnu par la carte de presse. 10

http://www.ohchr.org/Documents/HRBodies/HRCouncil/RegularSession/Session20/A-HRC-20-17_en.pdf. Para.4

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qui publient eux-mêmes le produit de leur travail, sous une forme imprimée, sur l’Internet ou en adoptant d’autres manières …»11

Il va de même pour l’UNESCO12 et plusieurs ONG internationales de défense de la liberté de la presse et d’expression dont « ARTICLE 19 ». Cette dernière recommande que « toute définition du terme «journaliste» doit être large, pour inclure toute personne physique ou morale qui est régulièrement ou professionnellement engagée dans la collecte et la diffusion de l'information par tout moyen de communication de masse.»13

Le CMF recommande un amendement de l’article 1 comme suit : 1. Introduire une référence à l’article 28 de la Constitution et aux conventions

des droits de l’Homme ratifiées par le Maroc ; 2. Supprimer la référence au respect des « lois » car le Conseil n’est pas

une autorité publique pour s’assurer du respect de la loi, en particulier le code de la presse. Sa responsabilité est de veiller à l’application par les journalistes du code de déontologie ;

3. Couvrir aussi les extensions de la presse dans les réseaux sociaux, en particulier Facebook et Twitter et d’autres applications mobiles ;

4. Définir le journaliste comme toute personne physique ou morale qui est régulièrement ou professionnellement engagée dans la collecte et la diffusion de l'information par toute sorte de moyen de communication de masse ;

5. Enfin, une précision est nécessaire sur le statut de l’adhésion au Conseil. Est-elle obligatoire ou volontaire pour les entreprises de presse et les journalistes? Ce point devrait être clarifié par le projet.

Les tâches du Conseil

Le projet de loi définit dans l’article 2 une série de tâches dont les plus importantes sont :

1. Exercer le rôle de médiation dans les conflits entre les professionnels et entre ceux-ci et les personnes morales ou physiques ;

2. Exercer le rôle d’arbitrage dans les conflits entre les professionnels ; 3. Octroyer la carte de presse ; 4. Statuer dans les affaires disciplinaires liées aux professionnels accusés de

manquement à leur devoir professionnel, au code de la déontologie, ou au règlement intérieur du Conseil;

5. Donner son avis sur les projets de lois et décrets que lui soumet le gouvernement

6. Proposer les mesures appropriées pour le développement du secteur de la presse;

11

http://www2.ohchr.org/english/bodies/hrc/docs/CCPR.C.GC.34_fr.doc. Para. 44. 12

L’UNESCO reprend la définition du rapporteur des Nations unies sur la liberté d’opinion et d’expression

http://unesdoc.unesco.org/images/0022/002223/222363f.pdf 13

https://www.article19.org/data/files/medialibrary/3733/Right-to-Blog-EN-WEB.pdf. Page 2.

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7. Préparer et publier des études sur le secteur de la presse; 8. Contribuer à l’organisation de la formation continue pour les journalistes et

autres employés du secteur de la presse et la publication.

L’article 3 souligne que le Conseil prépare un rapport annuel (à publier dans le journal officiel) sur les indicateurs du respect de la liberté de la presse et sur la situation de la presse et des journalistes.

Le CMF considère que le terme « tâche » doit être remplacé par celui de « responsabilité » qui est susceptible de donner au Conseil des pouvoirs de décision, et implique aussi le devoir de rendre compte au public de ses actions.

Le CMF note aussi l’étendue de ces responsabilités qui peuvent nécessiter des moyens financiers et humains considérables pour leur accomplissement et peuvent avoir un impact négatif sur l’efficacité du Conseil. De nombreux conseils limitent leurs interventions dans: la résolution des conflits entre la presse et les personnes physiques ou morales, l’organisation de débats publics sur les sujets se rapportant à l’évolution de la pratique journalistique et ses incidences sur la déontologie, l’intervention dans la réforme de la législation relative aux médias, et la défense de la liberté de la presse.

Le CMF recommande de revoir les « responsabilités » suivantes :

1. Remplacer le terme tâche par responsabilité ; 2. La formation continue doit être focalisée seulement sur la compréhension du

code déontologique et sa mise en œuvre par les journalistes. Toutes les autres formations sont déjà offertes par plusieurs institutions publiques et privées de formation des journalistes;

3. Le Conseil peut aussi prendre l’initiative de donner aussi son avis sur les politiques publiques ayant une incidence sur la liberté de la presse ;

4. Le rapport annuel devrait se limiter à présenter un compte rendu détaillant les diverses activités entreprises par le Conseil et les jugements rendus durant l’année.

La Composition du Conseil

La composition des différents conseils varie d’un pays à un autre. Mais en général, les conseils possèdent une composition tripartite : Les représentants des éditeurs, des journalistes et du public (personnalités ou représentants de la société civile). Le modèle marocain devrait aller dans ce sens. Le Conseil est composé de 21 membres dont sept élus parmi les journalistes et 7 parmi les éditeurs. Les sept autres membres sont désignés par le Conseil supérieur de la magistrature, le Conseil national des droits de l’homme, le Conseil national des langues et la culture marocaine14, l'Association des barreaux d'avocats, l’Union des écrivains, un ancien éditeur nommé par l’association des éditeurs la plus représentative, et un journaliste honoraire nommé par le syndicat des journalistes le plus représentatif.15

14

Ce Conseil est prévu par la Constitution de 2011 mais n’existe pas encore. 15

Il est étonnant de constater que le choix des membres du Conseil n’a pas fait l’objet d’un débat national. Les citoyens ont le droit de donner leurs avis sur cette question.

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En ce qui concerne la candidature aux élections du Conseil, le projet de loi impose comme condition aux professionnels, une expérience de 15 ans pour pouvoir se présenter à de telles élections.

Le CMF, sans remettre en cause ce choix de la composition du Conseil, s’interroge sur les critères adoptés pour le choix des membres qui n’appartiennent pas à la profession, ainsi que sur le mérite d’avoir un journaliste et un éditeur retraités désignés respectivement par les associations des journalistes et des éditeurs les plus représentatifs. Le CMF recommande donc:

1. Que le choix des membres non-journalistes soit basé sur des critères transparents de compétence ;

2. De considérer la possibilité de représentation d’autres associations de journalistes et d’éditeurs qui sont aussi actives au Maroc ;

3. Que l’administration ne soit pas représentée dans le Conseil, même à titre consultatif afin de préserver l’indépendance de cette institution vis-à-vis des pouvoirs publics ;

4. La condition de 15 années d’expériences imposée aux candidats journalistes aux élections du Conseil est non seulement discriminatoire mais n’est plus considérée comme un critère de compétence. Elle doit donc être supprimée.

Les commissions du Conseil

Le projet de loi prévoit dans son article 12, la mise en place de cinq commissions : éthique et affaires disciplinaires ; carte de presse, formation des journalistes, études et partenariats, médiation et d’arbitrage, et enfin entreprise de presse et mise à niveau du secteur.

Le CMF recommande les amendements suivants :

1. La fusion de la commission de la formation et études avec celle de la mise à niveau de l’entreprise de presse. La formation des journalistes et la préparation des études générales ou sectorielles font partie intégrante de la mise à niveau du secteur de la presse.

2. L’introduction dans la loi d’une nouvelle commission chargée de la défense de la liberté de la presse, en particulier la sécurité des journalistes.

Les finances du Conseil

L’article 19 du projet de loi prévoit un financement du Conseil émanant de sources diverses. La contribution des entreprises de presse écrite et électronique, une fois qu’elles deviennent membres du Conseil, est fixée à 1% de leur profit net. L’Etat contribue aussi, mais le pourcentage de sa contribution par rapport au revenu du Conseil n’est pas précisé. Le financement des fondations internationales n’est pas prévu par le projet.

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Le CMF recommande que :

1. La contribution de l’Etat aux finances du Conseil soit en-dessous de la moitié du total de son revenu annuel ;

2. La contribution financière des fondations internationales, en particulier européennes, dans le cadre du Partenariat Euromed et du Statut avancé du Maroc avec l’Union européenne, doit être aussi prise en considération dans le cadre des partenariats.

Les fonctions de médiation et d’arbitrage

La médiation et l’arbitrage sont les plus importantes fonctions de tous les conseils de presse. Le projet de loi lui donne une place primordiale. La commission en charge de la médiation et l’arbitrage est présidée par un juge nommé par le Conseil supérieur de la magistrature (article 12).

Le projet de loi définit (article 24) la médiation comme la résolution d’un litige

entre les professionnels du secteur et entre ceux-ci et les membres du public. Le litige doit être soumis par les deux parties concernées et l’avis du Conseil a force exécutoire, mais chacune des parties est libre d'abandonner la médiation à tout moment avant la prise de décision finale (article 29).

Par contre l’arbitrage (article 30) se fait entre les professionnels (journalistes

et éditeurs) pour résoudre un litige de travail lorsque simplement une seule partie soumet une demande au Conseil pour son arbitrage. La décision du Conseil est obligatoirement exécutoire. Et contrairement à la procédure de médiation, aucune partie ne peut se retirer dès lors qu’elle a librement accepté de soumettre le litige à l'arbitrage.16

En outre, la procédure de médiation et d’arbitrage est gratuite sauf pour

l’expertise externe à laquelle le Conseil peut faire appelle (article 34). Dans ce cas, le projet de loi ne précise pas la partie qui doit couvrir les frais de cette expertise. La non-exécution des décisions de la médiation ou de l’arbitrage peut tomber sous le coup de sanctions disciplinaires (article 32).

Dans le cas où la Commission de médiation et d’arbitrage s’aperçoit qu’un

litige qui lui est soumis nécessite une action disciplinaire, elle soumet le dossier au président du Conseil qui le transfert à son tour à la Commission de l’éthique et la discipline (article 33). Cet article ne précise pas dans quels cas les litiges peuvent nécessiter une action disciplinaire et si une telle décision doit être ou non approuvée par les parties en litige.

Dans plusieurs modèles de Conseils, il est exigé de la personne physique et

morale de demander réparation d’abord à l’organe de presse, et seulement dans le cas de non réponse, ou non satisfaction que le Conseil peut être saisi de la plainte. Le modèle marocain ne prévoit pas cette procédure.

16

Le Conseil exerce cette fonction selon les dispositions des Dahirs (décret royal) No. 1.74.447 du 28 septembre 1974 sur la procédure

civile et le Dahir du 12 aout 1913 sur les obligations et contrats (promulgué par Dahir du 9 ramadan 1331 (12 août 1913) tel que modifié.

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Le CMF recommande :

1. Ajouter un article exigeant la preuve que le requérant a d’abord sollicité réparation du préjudice auprès de l’organe de presse et seulement dans le cas de non réponse ou de non satisfaction que le Conseil de presse peut être saisi de la plainte.

2. Préciser les cas où les litiges soumis à la médiation ou arbitrage peuvent devenir sujets d’actions disciplinaires et si l’accord des parties en litige est nécessaire avant de déclencher cette procédure?

3. Ajouter que les frais de l’expertise externe, lorsque celle-ci est demandée par le Conseil dans la médiation ou l’arbitrage, est à sa charge.

Sanctions disciplinaires

Les violations commises par la presse qui nécessitent des sanctions

disciplinaires sont décrites dans l’article 36 et couvrent d’abord « toute violation des

règles, de l‘éthique et de règlements de la profession légalement adoptés par le

Conseil », puis ensuite « tout acte ou action ou activité qui porte atteinte à l’honneur

ou l'intégrité de la profession. »

Les journalistes professionnels travaillant dans les instituions de l’Etat et

établissements publics sont exclus de la procédure disciplinaire du Conseil. Ils sont

soumis aux procédures disciplinaires, prévues pour les fonctionnaires de l’Etat

(article 35). Cet article ne précise pas si ces journalistes sont soumis aussi à la

procédure de médiation et d’arbitrage prévu dans les articles 29 et 30.

Il est surprenant de constater le caractère étendu et l’aspect vague des termes utilisés pour définir ces violations inscrites dans l’article 36. Il est reconnu au niveau international que les seules violations qui pourraient être sanctionnées sont celles uniquement et étroitement liées au code de déontologie.

L’article 39 précise que le Conseil peut instruire une plainte à la majorité du vote de ses membres et ajoute que l’administration, les syndicats des journalistes et les regroupements des éditeurs peuvent aussi initier des poursuites contre les journalistes et les entreprises de presse.

Les sanctions définies dans l’article 46 concernent les professionnelles et les

entreprises de presse. Pour les professionnels, la loi prévoit trois sanctions d’ordre moral : l’avertissement qui n’est pas publiquement diffusé, l’avertissement que le Conseil peut décider de diffuser publiquement et le blâme. En plus, le journaliste peut se voir suspendu de l’exercice de sa fonction par le retrait de sa la carte de presse pendant une période d’un an et en cas de la récidive le Conseil peut décider d’une autre période de suspension.

Le retrait de la carte doit automatiquement conduire à la perte de travail pour

la période décidée par le Conseil. Les entreprises de presse qui continuent d’employer un journaliste sanctionné par le retrait de sa carte professionnelle peuvent être punies d’une amende de 5000 à 50.000 Dhs (article 48).

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Les autres sanctions disciplinaires à l’encontre de l’entreprise de presse sont

financières et varient entre comme pour l’article 48 entre 5.000 et 50.000 Dhs. De

plus, le Conseil peut proposer à l‘autorité gouvernementale de bloquer la subvention

octroyée à l’entreprise condamnée pour une période ne dépassant pas trois ans.

Le CMF recommande les amendements suivants :

1. les fautes professionnelles qui peuvent être sanctionnées doivent uniquement être liées aux dispositions du code de déontologie et non à d’autres règles et règlements de la profession qui peuvent exister parallèlement au code. Il faut supprimer toute référence à d’autres règles ou règlements;

2. De même pour le deuxième paragraphe « tout acte ou action ou activité qui porte atteinte à l’honneur ou l'intégrité de la profession ». Le texte ne définit ni l’acte, ni l’action, ni l’activité susceptible de porter atteinte à l’honneur ou l’intégrité de la profession. Il s’agit de termes vagues. Les seules fautes professionnelles à considérer doivent être limitées à celles qui peuvent être commises à l’occasion de l’exercice de la profession;

3. Il faut préciser dans l’article 35 si les journalistes (considérés comme fonctionnaires de l’Etat) sont soumis ou non à la procédure de médiation et d’arbitrage;

4. Il faut que les sanctions soient uniquement appliquées aux entreprises de presse et non aux journalistes qui publient sous la responsabilité des rédacteurs en chef;

5. Seul le Conseil peut instruire des plaintes. L’administration, les syndicats des journalistes ou les regroupements des éditeurs ne doivent initier des poursuites contre les journalistes et les entreprises de presse.

6. L’avertissement ou le blâme et le retrait de la carte de presse doivent être supprimés. Les sanctions qui peuvent être considérées doivent se limiter, comme c’est la pratique dans les pays démocratiques, au droit de réponse, aux excuses, au rectificatif ou dans certains cas au paiement d’une réparation financière ;

7. L’amende imposée aux entreprises de presse à titre de réparation des dommages subis par le plaignant ne doit pas être versée à la caisse du Conseil mais au plaignant sauf dans le cas où les poursuites ont été initiées par le Conseil ;

8. La sanction qui consiste à bloquer pour trois ans la subvention de l’Etat à l’entreprise incriminée doit être supprimée car elle est une sorte de punition collective, qui peut avoir des conséquences graves comme la disparition de l’entreprise de presse et la mise au chômage de ses journalistes. Ces derniers ne sont pas responsables des décisions du rédacteur en chef.

9. Toutes les décisions de sanctions doivent être rendues publiques.