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pour la gauche venues d’ailleurs Etats-Unis Le Sud contre les clandestins France “Ne m’appelez plus Mademoiselle” Design Le postmodernisme au musée www.courrierinternational.com N° 1092 du 6 au 12 octobre 2011 10 idées secouer Vous trouvez la primaire trop hexagonale ? upbybg upbybg

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France“Ne m’appelez plus Mademoiselle”

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Editorial

La politique ou la triple peine

Nous avons titré “Secouerla gauche”, nous aurionsaussi bien pu dire “secouerla droite”. Ce qui est va -lable pour un camp l’estsouvent pour l’autre. Parexemple : le rajeunissementdes cadres et des élus, la priseen compte de la génération

numérique, les formes d’organisation et de démocra-tie directe… Car c’est un fait : en France, les partisévoluent peu. Il semble tout aussi difficile de changerles formes de l’action politique que de bousculer cer-tains usages, comme l’emploi du suranné “Mademoi-selle”, une question depuis longtemps résolueoutre-Manche – voir à ce propos ce que les observa-teurs étrangers en pensent (pp. 23-24).Les partis ont une excuse : les institutions évoluenttout aussi peu qu’eux. Malgré trente ans de décen-tralisation, le rapport entre l’Etat central et le pou-voir local n’est pas vraiment optimal. En dépit d’unetentative de réforme, il y a toujours un empilementde niveaux électifs (de la commune à la région), etl’Etat garde dans les départements des structuresadministratives lourdes (à quoi servent aujourd’huiles sous-préfets ?). Il ne faut pas s’étonner ensuitesi les électeurs ne se précipitent plus dans les iso-loirs les jours de scrutin. Beaucoup d’enquêtes mon-trent en effet un décalage entre les souhaits descitoyens et les offres de la puissance publique.Mais il y a encore un troisième niveau. Après les for-mations et les institutions françaises, on trouvel’étage européen. Et là c’est peut-être pire. Les ci -toyens n’ont toujours pas digéré ni compris le traitéde Lisbonne. Et ce ne sont pas les premiers pas desnouveaux responsables communautaires (HermanVan Rompuy, Catherine Ashton) qui sauront lesconvaincre. On le voit avec la crise de la zone euro,où les responsables ont bien du mal à apporter desréponses fermes et rapides. Même si la FrankfurterRundschau, classée à gauche, a apprécié la lenteur etles hésitations de Mme Merkel (voir p. 12), on peutcraindre que ces incertitudes européennes ne jettentle continent dans un abîme sans précédent si les mar-chés financiers attaquent de nouveau. Depuis undemi-siècle, l’Union a toujours rebondi. Quand toutva de travers, les dirigeants européens font souventpreuve d’imagination. C’est tout ce qu’on leur de -mande aujourd’hui, qu’ils soient de droite ou degauche ! Sinon, le très British Spectator, hebdoma-daire eurosceptique s’il en est, pourra continuer decrier victoire (voir son article p. 30).Philippe Thureau-Dangin

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� En couverture : Energy drink. Boisson énergétique.Illustration de Joe Mageeparue dans The New York Times, Etats-Unis

n° 1092 | du 6 au 12 octobre 2011

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Sommaire

6 Planète presse8 A suivre11 Les gens

Les opinions12 Allemagne Pourquoi Merkel a raisonde douter Cuba Auto (pas) lib’ versionCastro Syrie “Dieu, nous n’avons plus que toi !” Italie Le triomphe de la justicespectacle

En couverture16 Dix idées pour secouer la gaucheAvant les primaires des socialistesfrançais, le 9 octobre, quelles sont les idées et les expériences des gauches de gouvernement en Europe et ailleurs ? Ces témoignages et débats peuvent-ils inspirer les candidats ? Mieux écouter et mieux comprendre les citoyens : c’est une tendance qui semble se dégager chez nos voisins, par exemple en Allemagne,aux Pays-Bas ou en Italie.

D’un continent à l’autre 23 France Féminisme Elles veulent tuer le “Mademoiselle“ !Conservatisme Une cause perdued’office26 EuropeRoyaume-Uni Les manifestants contre les “appels au sacrifice“Estonie Un appart pour un visaEspagne Corrida : les aficionadoss’ennuient, la fête s’éteintMonnaie L’heure de gloire des eurosceptiques32 AmériquesEtats-Unis Le Sud profond fait la chasse aux clandestins Colombie Mon nom est Parapluie et je suis né le 31 décembre

36 Asie Nouvelle-Zélande Au-delà du rugby,les sombres secrets des MaorisJapon Mamans cherchent aliments sûrs38 Moyen-Orient Arabie Saoudite Le peuple veut un peu de pouvoirBahreïn La répression divise la famille royale40 AfriqueAngola Un despote sous pression Libye Paris et Londres lorgnent les barilsde Tripoli42 Economie Internet Particulier loue domicile à la journée44 EcologieInitiative Breveter la nature pour mieux la préserverRéhabilitation On recherche castorvivant ou... vivant

Long courrier 46 Courant Requiem pour le postmoderne50 Art corporel La magie d’une seconde peau55 Le livre Jaume Cabré56 Voyage Voir du pays en compagnied’aveugles59 Insolites Les six clones du cochonmerveilleux

28EspagneLes aficionados s’ennuient, la fête s’éteint

36 Nouvelle-Zélande Les sombressecrets des Maoris

24 FranceMademoiselle ou madame ?

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Planète presse6 � Courrier international | n° 1092 | du 6 au 12 octobre 2011

L’Actualité 200 000 ex.,Canada, bimensuel. “Le plus grand magazined’information francophonedu Canada”, libéral et international est lu par un Canadien francophonesur cinq. L’Actualité est ungrand vulgarisateur qui tentede décrypter le monde et de rester à l’affût desnouvelles tendances.The American Prospect55 000 ex., Etats-Unis,mensuel. Fondé en réaction àla poussée des conservateursaux Etats-Unis dans les années 1980, le titre seveut le porte-voix des idéesde gauche outre-Atlantique. Il s’intéresse toutparticulièrement à la viepolitique américaine, maisaborde également les grandesquestions de politiqueétrangère.Bangkok Post 55 000 ex.,Thaïlande, quotidien. Fondé en 1946, ce journalindépendant en anglais,réalisé par une équipeinternationale, s’adresse à l’élite urbaine et auxexpatriés.168 Ora 42 000 ex., Hongrie,hebdomadaire. Lancé en 1988par le rédacteur d’uneémission radiophonique du même nom, “168 Heures”est un hebdomadaireindépendant, politiquementlibéral et, chose rare àBudapest, qui pratiquel’investigation.Dagens Nyheter360 000 ex., Suède, quotidien.Fondé en 1864, c’est le grandquotidien libéral du matin. Sa page 6 est célèbre pour les grands débats

d’actualité. “Les Nouvelles du jour” appartient augroupe Bonnier, le plus grandéditeur et propriétaire dejournaux en Suède. Le titreest passé en format tabloïden 2004.El Espectador 80 000 ex.,Colombie, quotidien. Créé en1887, le titre est l’un des plusdynamiques du pays jusqu’en2000. Ses prises de position,notamment contre les cartelsde la drogue, lui valent unerenommée internationale.Des difficultés financièresl’obligent à passerhebdomadaire, mais, en2008, il redevient quotidien.Sa nouvelle formule estsaluée par la presseinternationale.Focus 750 000 ex.,Allemagne, hebdomadaire.Lancé en 1993 par lepuissant groupe de presseBurda, ce newsmagazine“moderne” avec sesarticles courts et soninfographie envahissanteest un grand succès etconcurrence sérieusementDer Spiegel.Frankfurter AllgemeineZeitung 377 000 ex.,Allemagne, quotidien. Fondéeen 1949 et menée par uneéquipe de cinq directeurs, la FAZ, grand quotidienconservateur et libéral, est un outil de référence dans les milieux d’affaires et intellectuels allemands.Frankfurter Rundschau189 000 ex., Allemagne,quotidien. Le plus ancien des quotidiens nationauxallemands a un public un peu plus jeune que ses concurrents. Engagéà gauche, dans la défense des droits de l’homme et de l’environnement.Generación Y(desdecuba.com/generaciony)Cuba. Le blog de laphilologue et informaticienne

cubaine Yoani Sánchez, crééen avril 2007, a vite rencontréun immense succès sur laToile et a été classé par CNNparmi les 25 meilleurs blogsdu monde.The Guardian 364 600 ex.,Royaume-Uni, quotidien.Depuis 1821, l’indépendance,la qualité et l’engagement à gauche caractérisent ce titre qui abrite certains des chroniqueurs les plusrespectés du pays.Al-Hayat 110 000 ex., ArabieSaoudite (siège à Londres),quotidien. “La Vie” est sansdoute le journal de référencede la diaspora arabe et la tribune préférée des intellectuels de gaucheou des libéraux arabes qui veulent s’adresser à un large public.The Independent215 000 ex., Royaume-Uni,quotidien. Créé en 1986, c’est l’un des grands titres de la presse britannique de qualité. Il se distingue de ses concurrents par sonindépendance d’esprit, sonengagement proeuropéen et ses positions libérales sur les questions de société.Libya Al-Youm (libya-alyoum.com) Royaume-Uni.“La Libye aujourd’hui” est un webzine créé en 2004 pardes journalistes libyens.Mainichi Shimbun3 960 000 ex. (éd. dumatin), 1 660 000 ex. (éd. du soir, au contenudifférent), Japon, quotidien.Fondé en 1872 sous le nomde Tokyo Nichi NichiShimbun, le MainichiShimbun est le plus ancienquotidien japonais. Il a prisla dénomination actuelle en1943 lors d’une fusion avecl’Osaka Mainichi Shimbun.Centriste, le “Journal detous les jours” est letroisième quotidien nationaldu pays par la diffusion.

Nature 50 000 ex.,Royaume-Uni,hebdomadaire. Depuis 1869,cette revue scientifique au prestige mérité accueille– après plusieurs mois de vérifications – les comptesrendus des innovationsmajeures. Son âge nel’empêche pas de rester d’un étonnant dynamisme.NRC Handelsblad254 000 ex., Pays-Bas,quotidien. Né en 1970, le titreest sans conteste le quotidiende référence de l’intelligentsianéerlandaise. Libéral de tradition, rigoureux par choix, informé sans frontières.El País 392 000 ex.(777 000 ex. le dimanche),Espagne, quotidien. Né enmai 1976, six mois après lamort de Franco, “Le Pays”est une institution. Il est le plus vendu des quotidiensd’information générale et s’est imposé comme l’un des vingt meilleursjournaux du monde. Plutôt proche des socialistes,il appartient au groupe de communication Prisa.Postimees 70 000 ex.,Estonie, quotidien. “LeCourrier” a été fondé en 1857par Johan Voldemar Jannsen.C’est l’un des meilleurstirages de ce petit pays d’àpeine 1,5 million d’habitants.Público 70 000 ex., Portugal,quotidien. Lancé en 1990,“Public” s’est très viteimposé, dans la grisaille de lapresse portugaise, par sonoriginalité et sa modernité.S’inspirant des grandsquotidiens européens, il propose une information de qualité sur le monde.Al-Quds Al-Arabi50 000 ex., Royaume-Uni,quotidien. “La Jérusalemarabe” est l’un des troisgrands quotidiens panarabesédités à Londres. Toutefois,

contrairement à sesconfrères Al-Hayat et AsharqAl-Awsat, il n’est pas détenupar des capitaux saoudiens.Rasid (rasid.com) ArabieSaoudite. “L’Observateur” est consacré à la situationdes chiites d’Arabie Saoudite.Malgré sa partialité et un évident biais militantcommunautaire, le siteconstitue souvent la seulesource d’information,notamment s’il s’agit d’actesde répression contre cetteminorité confessionnelle.La Repubblica 650 000 ex.,Italie, quotidien. Né en 1976,le titre se veut le journal del’élite intellectuelle etfinancière du pays. Orienté à gauche, avec unesympathie affichée pour le Parti démocrate, il est fortement critique vis-à-vis du président du Conseil, Silvio Berlusconi.The Spectator 76 950 ex.,Royaume-Uni, hebdomadaire.“Le Spectateur” est uneinstitution de la pressebritannique. Fondé en 1828,c’est le journal de référencedes intellectuels et dirigeantsconservateurs. Réputé pourses analyses et son tonincisif, il appartient depuis1989 au même groupe que le Daily Telegraph.Der Spiegel 1 076 000 ex.,Allemagne, hebdomadaire.Un grand, très grandmagazine d’enquêtes, lancéen 1947, agressivementindépendant et qui a révéléplusieurs scandalespolitiques.La Vanguardia200 000 ex.,Espagne, quotidien. “L’Avant-Garde” a été fondée en 1881 àBarcelone par la famille Godó,qui en est toujourspropriétaire. Ce quotidienmodéré et ouvert sur le mondeest le quatrième du pays entermes de diffusion, mais il estnuméro un en Catalogne.

Parmi nossources cettesemaine

Courrier international n° 1092

Edité par Courrier international SA, société anonyme avecdirectoire et conseil de surveillance au capital de 106 400 €.Actionnaire Le Monde Publications internationales SA.Directoire Philippe Thureau-Dangin, président et directeur de la publication. Conseil de surveillance Louis Dreyfus, président. Dépôt légal septembre 2011 Commission paritaire n° 0712C82101. ISSN n° 1 154-516 X - Imprimé en France / Printed in France

Rédaction 6-8, rue Jean-Antoine-de-Baïf, 75212 Paris Cedex 13Accueil 33 (0)1 46 46 16 00 Fax général 33 (0)1 46 46 16 01Fax rédaction 33 (0)1 46 46 16 02Site web www.courrierinternational.comCourriel [email protected] de la rédaction Philippe Thureau-DanginAssistante Dalila Bounekta (16 16)Rédacteurs en chef Eric Chol (16 43), Odile Conseil (web, 16 27)Rédacteurs en chef adjoints Isabelle Lauze (16 54), CatherineAndré (16 78), Raymond Clarinard (16 77), Jean-Hébert Armengaud(édition, 16 57). Rédactrice en chef technique Nathalie Pingaud (16 25)Direction artistique Sophie-Anne Delhomme (16 31)Conception graphique Mark Porter AssociatesEurope Jean-Hébert Armengaud (coordination générale, 16 57), DanièleRenon (chef de service adjointe Europe, Allemagne, Autriche, Suisse alémanique,16 22), Chloé Baker (Royaume-Uni, 19 75), Gerry Feehily (Irlande, 19 70),Marie Béloeil (France, 17 32), Lucie Geffroy (Italie, 16 86), Daniel Matias(Portugal, 16 34), Iwona Ostapkowicz (Pologne, 16 74), Iulia Badea-Guéritée (Roumanie, Moldavie, 19 76), Wineke de Boer (Pays-Bas), SolveigGram Jensen (Danemark, Norvège), Alexia Kefalas (Grèce, Chypre),Mehmet Koksal (Belgique), Kristina Rönnqvist (Suède), Alexandre Lévy(Bulgarie, coordination Balkans), Agnès Jarfas (Hongrie), Mandi Gueguen(Albanie, Kosovo), Miro Miceski (Macédoine), Martina Bulakova (Rép.tchèque, Slovaquie), Kika Curovic (Serbie, Monténégro, Croatie, Bosnie-Herzégovine), Marielle Vitureau (Lituanie), Katerina Kesa (Estonie)Russie, Est de l’Europe Laurence Habay (chef de service, 16 36), AldaEngoian (Caucase, Asie centrale), Larissa Kotelevets (Ukraine)Amériques Bérangère Cagnat (chef de service, Amérique du Nord, 16 14),Marc-Olivier Bherer (Canada, Etats-Unis, 16 95), Anne Proenza (Amériquelatine, 16 76), Paul Jurgens (Brésil) Asie Agnès Gaudu et Franck Renaud(chefs de service, Chine, Singapour, Taïwan, 16 39), Naïké Desquesnes (Asiedu Sud, 16 51), François Gerles (Asie du Sud-Est), Ysana Takino (Japon, 1638), Zhang Zhulin (Chine, 17 47), Marion Girault-Rime (Australie, Pacifique),Elisabeth D. Inandiak (Indonésie), Jeong Eun-jin (Corées), KazuhikoYatabe (Japon) Moyen-Orient Marc Saghié (chef de service, 16 69),Hamdam Mostafavi (Iran, 17 33), Hoda Saliby (16 35), Pascal Fenaux(Israël), Philippe Mischkowsky (pays du Golfe), Pierre Vanrie (Turquie)Afrique Ousmane Ndiaye (chef de rubrique, 16 68), Hoda Saliby(Maghreb, 16 35), Chawki Amari (Algérie), Liesl Louw (Afrique du Sud)Economie Pascale Boyen (chef de service, 16 47) Sciences Anh HoàTruong (chef de rubrique, 16 40) Médias Mouna El-Mokhtari (17 36)Long courrier Isabelle Lauze (16 54), Roman Schmidt (17 48)Insolites Claire Maupas (chef de rubrique, 16 60) Ils et elles ont ditIwona Ostapkowicz (chef de rubrique, 16 74)

Site Internet Hamdam Mostafavi (chef des informations, 17 33),Marie Béloeil (rédactrice, 17 32), Mouna El-Mokhtari (rédactrice, 17 36),Pierrick Van-Thé (webmestre, 16 82), Mathilde Melot (marketing), Paul Blondé (rédacteur, 16 65)

Agence Courrier Sabine Grandadam (chef de service, 16 97)

Traduction Raymond Clarinard (rédacteur en chef adjoint, 1677),Nathalie Amargier (russe), Catherine Baron (anglais, espagnol), IsabelleBoudon (anglais, allemand), Françoise Escande-Boggino (japonais, anglais),Caroline Lee (anglais, allemand, coréen), Françoise Lemoine-Minaudier(chinois), Julie Marcot (anglais, espagnol, portugais), Marie-FrançoiseMonthiers (japonais), Mikage Nagahama (japonais), Ngoc-Dung Phan(anglais, italien, vietnamien), Olivier Ragasol (anglais, espagnol), DanièleRenon (allemand), Mélanie Sinou (anglais, espagnol)

Révision Marianne Bonneau, Philippe Czerepak, Fabienne Gérard,Françoise Picon, Philippe Planche, Emmanuel Tronquart (site Internet)

Photographies, illustrations Pascal Philippe (chef de service, 16 41),Lidwine Kervella (16 10), Stéphanie Saindon (16 53)

Maquette Catherine Doutey, Nathalie Le Dréau, Gilles de Obaldia,Josiane Petricca, Denis Scudeller, Jonnathan Renaud-Badet,Alexandre ErrichielloCartographie Thierry Gauthé (16 70)

Infographie Catherine Doutey (16 66)

Calligraphie Hélène Ho (Chine), Abdollah Kiaie (Inde), Kyoko Mori(Japon)

Informatique Denis Scudeller (16 84)

Fabrication Patrice Rochas (directeur), Nathalie Communeau (direc -trice adjointe) et Sarah Tréhin. Impression, brochage Maury, 45191Malesherbes. Routage France-Routage, 77183 Croissy-Beaubourg Ont participé à ce numéro Aurélie Boissière, Jean-Baptiste Bor,Valérie Brunissen, Isabelle Bryskier, Geneviève Deschamps,Bernadette Dremière, Catherine Guichard, Gabriel Hassan, MiraKamdar, Laurent Laget, Simon Leplâtre, Jean-Luc Majouret, CélineMerrien, Amal Neffati, Lola Parra Craviotto, Albane Salzberg,ZaplanguesSecrétaire général Paul Chaine (17 46). Assistantes : NatachaScheubel (16 52), Sophie Nézet (16 99), Sophie Jan. Gestion JulieDelpech de Frayssinet (responsable, 16 13), Nicolas Guillement.Comptabilité : 01 48 88 45 02. Responsable des droits Dalila Bounekta(16 16). Partenariats Sophie Jan (16 99) Ventes au numéroResponsable publications : Brigitte Billiard. Direction des ventes aunuméro : Hervé Bonnaud. Chef de produit : Jérôme Pons (0 805 05 01 47,fax : 01 57 28 21 40). Diffusion internationale : Franck-Olivier Torro (01 5728 32 22). Promotion : Christiane MontilletMarketing Sophie Gerbaud (directrice, 16 18), Véronique Lallemand(16 91), Sweeta Subbamah (16 89), Elodie Prost Publicité M Publicité-Publicat, 80 boulevard Blanqui, 75013 Paris,tél. : 01 40 39 13 13. Directrice déléguée : Brune Le Gall. Directeur dela publicité : Alexandre Scher <[email protected]> (13 97). Directricede clientèle : Sandrine Larairie (13 47), Kenza Merzoug (13 46) EdwigeThaler (1407). Régions : Eric Langevin (14 09). Littérature : BéatriceTruskolaski (13 80). Annonces classées : Cyril Gardère (13 03).Exécution : Géraldine Doyotte (01 41 34 83 97) Publicité site Interneti-Régie, Alexandre de Montmarin tél. : 01 53 38 46 58.

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Mise au point et rectificatifsSodexoNous avons reçu de la société Sodexola mise au point suivante : “Un article issu de la Revista do Brasilet intitulé ‘Drôle de cuisine chez Sodexo’ (CI n° 1082, p. 18)comprenait un certain nombred’inexactitudes que nous souhaitonsrectifier. Les allégations, souventtronquées et parfois mensongères,dont cet article se fait l’écho sont le fruit d’une guérilla menée depuisdeux ans contre Sodexo par le syndicataméricain SEIU. Son objectif estsimple : obtenir une exclusivité de représentation chez Sodexo, au détriment des autres syndicats, en s’appuyant sur plusieursorganisations radicales pour ternirdurablement l’image de l’entreprise à l’international. Pour crédibiliser leur discours, ils s’appuient toujourssur la même demi-douzaine de cassupposés, isolés, et dont ils biaisentgrossièrement la présentation.

Prenons deux exemples,particulièrement symptomatiques des techniques du SEIU. En Colombie,il aurait été demandé à quelquescandidates à l’embauche de passer un test de grossesse. Cette pratique est légale en Colombie pour les postesà forte pénibilité, mais le groupe y a mis définitivement fin il y a plus de dix ans, estimant qu’elle allait à l’encontre de ses valeurs. Pluslargement, l’article remet en cause lareconnaissance de la liberté syndicalechez Sodexo. Nous tenons à rappelerque le respect de celle-ci est une valeurdu groupe depuis sa création. Aux Etats-Unis, par exemple, Sodexo a signé plus de 300 accords collectifs avec 33 syndicats. Nous rejetonscatégoriquement l’ensemble desaccusations portées contre Sodexoconcernant l’emprisonnement ou le licenciement supposés de salariés pour des raisons liées à leur activité syndicale.”

PopLe quotidien Le Populaire est unjournal sénégalais et non pas ivoirien,comme nous l’avons indiqué par erreurdans notre texte de présentation (CI n° 1086, p. 5). Lancé en 1999 par le musicien Youssou N’Dour etl’entrepreneur Bara Tall, il estaujourd’hui dirigé par un pionnier de la presse privée indépendante, Pape Samba Kane. Pop, comme disentles Sénégalais, accueille dans ses pagesle chroniqueur politique le plus réputédu pays, Mame Less Camara.

Cinéma grecLe film Canine a bien remporté le prixUn certain regard au festival de Cannes, mais en 2009 et non pasen 2011, comme nous l’avons écrit dansl’article “Films étranges dans un pays encrise” (CI n° 1088, p. 26). Par ailleurs,un autre film grec cité dans l’article,Attenberg, a été présenté à Veniseen 2010 et non à Cannes en 2011.

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8 � Courrier international | n° 1092 | du 6 au 12 octobre 2011

Venezuela

Chávez ne craint pas de se montrerDepuis qu’Hugo Chávez a admis avoir un cancer, en juin dernier, les rumeurssur la gravité de son état de santé se multiplient. Pour les faire taire,le président du Venezuela affirme que sasanté “évolue bien”. Alors qu’El NuevoHerald avait annoncé le 28 septembrequ’il avait été hospitalisé d’urgence, il a multiplié les apparitions publiques.On l’a vu les jours suivants jouer au base-ball avec ses ministres dans les jardins dupalais présidentiel, en direct du Conseildes ministres à la télévision, distribuantde l’électroménager à des familles ou selaissant prendre en photo en dépit de ladégradation de son apparence physique.

Etats-Unis

Casting en cours chez les républicainsLe gouverneur du New Jersey, ChrisChristie, connu pour sa lutte contre les déficits publics, a annoncé mardi son refus de se lancer dans la course à l’investiture républicaine, selon le sitePolitico. La recherche de l’hommecapable de battre Obama lors de laprésidentielle de 2012 continue d’occuperles républicains. Un nouveau débat est organisé le 11 octobre pour départagerles candidats déclarés. L’ex-gouverneurdu Massachusetts Mitt Romney faitfigure de favori, mais la direction du particraint que, s’il est investi, il ne parviennepas à galvaniser la base, rapporte le siteInternet de CBS News.

A suivre

Myanmar

Barrage suspendu,dissidence prudenteLe président du Myanmar, Thein Sein, a annoncé le 30 septembre la suspensionde la construction, sur le fleuveIrrawaddy, du barrage hydroélectriquede Myitsone, financé en partie par la Chine. L’ancien général a, semble-t-il, entendu la mobilisation croissanted’universitaires et de militants, leur campagne Sauvons l’Irrawaddy ne cessant de gagner en ampleur. Les plus sceptiques face à la récentepolitique d’ouverture du pouvoir birmanrefusent néanmoins de crier victoire, à l’image de l’environnementaliste John U ,qui, sur le webzine Mizzimaproche de la dissidence souligne, qu’il s’agit d’une suspension et non de l’annulation du chantier. Une prudence de bon aloi alors que Pékin voit d’un mauvais œil cettedécision et a appelé à la protection de ses investissements.

Italie

Fiat dit ciao au patronat“Fiat quittera la Confindustria [le Medefitalien] à partir du 1er janvier 2012”, annoncele quotidien turinois La Stampa. SergioMarchionne, le patron de la plus grandeentreprise de la péninsule, l’a officiellementannoncé dans une lettre envoyée le 3 octobreà l’organisation patronale. Il y évoquel’“incertitude” des règles sociales dans le pays. Fiat sera ainsi libre de ne pasappliquer la convention collective de la métallurgie. Depuis l’alliance du groupeitalien avec l’américain Chrysler, SergioMarchionne prône une réformedu mode de négociationdes contrats de travail pour les rendre plusflexibles.Plusieurssyndicats ontd’ores et déjà annoncéune grève pour le 21 octobre.

Afghanistan-Pakistan

Parler aux talibans ne sert plus à rien“Les discussions avec le Pakistan oui, avecles talibans non”, titrait le 3 octobre le quotidien kabouli Hashte Sobh.L’assassinat, le 20 septembre, de Burhanuddin Rabbani, le président du Haut Conseil pour la paix chargé dedialoguer avec les talibans, a déclenchéun revirement de stratégie du présidentHamid Karzai, qui a admis l’échec desnégociations avec les insurgés. Le1er octobre, une commission d’enquêteafghane affirmait que l’assassinat auraitété planifié à Quetta, le chef-lieu de laprovince pakistanaise du Baloutchistan,où serait cachée la direction des talibans. La priorité pour Karzai est désormais de discuter avec le Pakistan, qui, de parses relations douteuses avec les groupesinsurgés, devient l’interlocuteurprincipal. Islamabad persiste à nier son double jeu avec les talibans.

Haïti

Une armée et desmauvais souvenirs“L’idée lancée par le président Martelly de créer une nouvelle force militairesoulève bien des questions”, affirme le quotidien Le Nouvelliste. Un plan intitulé Politique de sécuritéet de défense nationale prévoit le recrutement de 500 hommes dès octobre, puis la constitution d’une force armée de 3 500 soldats en trois ans et demi, qui coïncideraitavec le départ de la Mission de l’ONUpour la stabilisation d’Haïti, dont

le mandat est critiqué par une grandepartie de la population.

Mais “l’opinion publique n’y est pas préparée”,

affirme le quotidien, qui demande “un débatnational”. D’autant que beaucoup craignent

que cette armée serve de “milice gouvernementale”.

Occupation Les “indignés” de New York ont profité du coup de projecteur donné par l’arrestation de plus de 700 d’entre euxsamedi 1er octobre et font tache d’huile aux Etats-Unis. Le mouvement gagne des dizaines de villes : Chicago, Boston…

Agenda

Thaïlande

Le rizexploseles prix

Entrée en vigueur le 7 octobre en Thaïlande de la promesse électorale de Yingluck Shinawatra, Premierministre, d’acheter aux riziculteurs leursrécoltes à un prix plancher supérieur au cours mondial d’environ 50 %. Cettemesure coûtera plusieurs milliardsd’euros au pays. L’impact de cettedécision chez le premier exportateur de

riz pourrait déstabiliser le marché et luifaire perdre sa place de leader au profit

d’autres pays, comme le Vietnam.

7 octobreLa semaine des prix Nobelculmine à Oslo, avec l’annoncede celui de la paix. Une liste de 241 noms, un record, a étésoumise au comité Nobel. L’une des figures du “printempsarabe” pourrait succéder au dissident chinois Liu Xiaobo.

7 octobreManifestations pacifistes aux Etats-Unis pour les dix ans de l’offensive américaine enAfghanistan. Elle avait débuté

par des bombardements aérienset des tirs de missiles de croisière.

8-9 octobreQuarts de finale de la Coupe du monde de rugby enNouvelle-Zélande. AvecIrlande–Pays de Galles, puisAngleterre–France samedi ;Afrique du Sud–Australie etNouvelle-Zélande–Argentinedimanche.

9 octobreElections législatives en Pologne. Le Mouvement,

la formation de l’hommed’affaires Janusz Palikot, qui s’anonce libéral de gaucheet anticlérical, pourrait faire son entrée à la Diète. 11 octobreLe tribunal de Kiev, en Ukraine,rend son jugement dans le procès contre IouliaTimochenko. L’ex-Premierministre est accusée d’abus de pouvoir lors de la signaturede contrats gaziers entre la Russie et l’Ukraine. Le parquet a requis sept ans de prison.

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Certes, un parfum de jasmin a soufflé sur l’Algérie quand des milliers de jeunes sont descendus dans la rue au début de cette année. Mais, dix ans après la sanglanteguerre civile, le pays est resté pétrifié et il s’enfonce dans un silence de mort.Depuis ses débuts – en 1999, année de ses50 ans –, Boualem Sansal n’a cessé, au filde six romans et de deux recueils d’essaispubliés en Allemagne chez le petit éditeurMerlin Verla, d’écrire pour conjurerl’impuissance [face au pouvoir]. Sidifférentes soient-elles au plan littéraire,ses œuvres – du Serment des barbares àRue Darwin, son dernier roman, paruen France cette année – sont toutesreliées par un fil rouge : l’ambitionde l’auteur de se faire le chroniqueurde son pays et de la “diversité séculaire des peuples d’Algérie, censée disparaître au nom d’une arabité ordonnée d’en haut”.

Qu’il se déclare athée est perçucomme un affront. Qu’il écrive en français est source de moultcritiques. Qu’il ait brisé un tabou en s’attaquant au mythe du FLN afait culminer l’hostilité à son égard.Mais ce qui lui a valu le plusd’ennemis, c’est qu’il affiche sacompréhension de la Shoah au lieu dedénoncer “le génocide du peuple palestiniencommis par les Israéliens”. Pourquoi, dans ces conditions, rester en Algérie ? La réponsefuse : “Je me le demande tous les jours.” BoualemSansal donne l’impression qu’il pourrait à tout instant revenir sur sa décision.

A Berlin, le ministère des Affairesétrangères met en garde contre lesdéplacements en Algérie. A Francfort, le 16 octobre [dernier jour de la Foire du livre,qui ouvre le 12], les dispositifs de sécurité à la Paulskirche, l’église Saint-Paul, où Boualem Sansal recevra son prix, seronten état d’alerte maximum. Sandra Kegel

Les gens

Boualem Sansal

Algérienmaudit et auteurcouronnéFrankfurter Allgemeine Zeitung(extraits) Francfort

Il est le dernier écrivain d’Algérie à ne pasavoir encore quitté sa patrie. Bien que le lauréat du dernier prix de la Paix des librairies allemandes vive dans undanger constant, il persiste obstinémentà résider à Bourmerdès, petite localité

près d’Alger. Il n’a plus rien à perdre, dit-il,sauf la vie. Il y a longtemps qu’on lui a pristout le reste. Et pourtant ni l’interdictionprofessionnelle, ni le bannissement social, ni même les menaces de mort n’ont réussi à l’empêcher de critiquer l’Algérie. En 2003,Boualem Sansal a perdu son poste de hautfonctionnaire [au ministère de l’Industrie].Puis ce sont ses livres qui ont été interdits.Puis c’est son épouse qui a été contrainted’abandonner son métier d’enseignante. Puis c’est son frère qui a été en butte à tantde redressements fiscaux aberrants qu’il a dû fermer son entreprise.

“Nous sommes gouvernés par une bande de voleurs”, dit Sansal sur le ton de la colèrefroide. Loin des cascades de mots quiinondent ses romans, il se laisse tout au plusaller au sarcasme quand il parle des plaies deson pays, du cynisme du pouvoir, de la pertede la liberté. Le peuple algérien est bercé de mensonges sur les hauts faits héroïques du passé “alors que nous vivons depuis desdécennies sous le régime de la terreur, avec desdirigeants mégalomanes comme le furent ceux de la RDA ou de la Roumanie de Ceausescu”.

Aung San Suu Kyi, Prix Nobel de la paix et opposante birmane� Attentive“On commence à voir uncommencementde changement.”Dans une interview,elle se montre trèsprudente quant auxsignes d’ouverturemultipliés par la juntemilitaire – qui l’avaitmise en résidencesurveilléede 1990 à 2010.(BBC,

Wolfgang Bosbachs’apprêtait à voter contre.Malgré ses excuses, Pofallaest devenu la cible descritiques les plus virulentesau sein de la coalition tout entière.(Bild am Sonntag, Berlin)

Muhi Al-Din Gamal, chef du Parti naziégyptien� Inconscient“Notre objectif politiqueest de faire de la racearabe, ou desarabophones, la meilleuredes races. [Nos politiciens]seront au top niveau, et nous contribuerons à la

propagation de la languearabe dans le monde.”Son tout nouveau particompte 300 membres.(Memri, Washington)

Rick Perry, gouverneur du Texas� Belliqueux“Il faudra peut-être que l’armée américainetravaille de concert avec les autoritésmexicaines pouréradiquer les cartels de la drogue et les tenir à l’écart de nosfrontières”, a affirmé le candidat à l’investiturerépublicaine. Il s’exprimait

à l’occasion d’un meetingélectoral dans le NewHampshire, un Etat clé dans la course.(The New York Times,New York)

Mikheïl Saakachvili,président de la Géorgie� Rêveur“Je suis surtout populaireauprès des enfants. Si les enfants de trois-quatre ans avaient le droit de vote, notreMouvement national uni[au pouvoir depuis 2004]gouvernerait tout le temps.”(Vzgliad, Moscou)

Nick Clegg,vice-Premierministrebritannique� Las“La Biélorussieest un secrethonteux de l’Europe, juste à notre porte”,a-t-il affirmé à l’occasion du sommet du Partenariatoriental qui s’est tenu à Varsovie du 29 au30 septembre. Les autoritésbiélorusses l’ont boycotté,ne supportant pas que les Européens apportentleur soutien à l’oppositiondémocratique de Minsk.(Gazeta Wyborcza, Varsovie)

Ronald Pofalla, ministrede la Chancellerie,

chrétien-démocrate(CDU)

� Aimable“Je ne peuxplus voir tagueule. Tu neracontes quedes conneries.”A trois jours du vote auBundestag surle Fondseuropéen de

stabilité financière,il a appris

que soncollèguedu partiSO

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Courrier international | n° 1092 | du 6 au 12 octobre 2011 � 11

Ils et elles ont dit

� Boualem Sansal.Dessin d’AndréCarrilho(Lisbonne) pourCourrierinternational.

Sa compréhension de la Shoah lui a valu de nombreux ennemis

Londres)

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Les opinions

Allemagne

Pourquoi Mme Merkel a raison de douterLe 29 septembre, après bien des atermoiements, la chancelière a pu rassembler sa majorité pour voter l’aide à la Grèce. Une performance saluée par la presse de gauche.

Frankfurter Rundschau (extraits) Francfort

La crise de l’euro est pleine d’incertitudes. Pourtant, les hommespolitiques regorgent de certitudes sur la question. Ni les oppo-sants ni les défenseurs [de l’élargissement des missions du Fondseuropéen de stabilité financière (Fesf), voir ci-contre] ne laissentplaner le moindre doute sur la justesse de leur position. Ni lesuns ni les autres ne laissent supposer que cette crise dépasse tous

les problèmes jamais soumis jusqu’ici au débat parlementaire. Aucun d’entreeux n’admet qu’ils ignorent certaines choses. Que sont les marchés, com-ment réagissent-ils ? Qui sont les spéculateurs, sur quoi vont-ils miser laprochaine fois ? Que disent les agences de notation et de qui vont-ellesdégrader la note la prochaine fois ?

Comparées aux dilemmes de cette crise, les décisions relatives au réar-mement, à l’Ostpolitik, à la réunification allemande ou à la politique nucléairesemblent aussi faciles à prendre qu’un pion sur un jeu de dames. Si ce débatavait laissé poindre ne serait-ce que l’ombre d’un doute sur la justesse de ladécision de l’un ou de l’autre, on pourrait se montrer compréhensif face audésarroi des parlementaires. Ils ne peuvent pas savoir ce qu’ils font puisquecette crise est sans précédent. Or le débat sur la crise de l’euro fait parfoispenser à une croisade des chevaliers blancs contre les infidèles. Pourtant,chaque certitude peut cacher un doute. Si on avait ouvert le grand parapluieil y a un an, la pression sur la Grèce, sur l’Espagne, sur l’Italie aurait-elle étéassez forte pour que ces pays mettent un terme à la gabegie ? Les Etats euro-péens seraient-ils aujourd’hui prêts à réfléchir à un transfert de leurs droitset de leurs compétences à l’Union européenne ? Ou bien l’attitude hésitante

du gouvernement allemand a-t-elle tout simplement coûté beaucoupd’argent et multiplié, pour le contribuable allemand, le coût de la crise ?

Voilà les questions que se pose le citoyen. Il semble que la citoyennesuprême, Angela Merkel, se les soit aussi posées. Elle s’est refusée à prendredes décisions précipitées. Peut-être se trompe-t-elle, c’est possible. Maispeut-être pas. Elle a choisi de ne faire que ce qu’elle pouvait assumer pointpar point en son âme et conscience. Cela la rend vulnérable. Mais peut-êtrepourrait-on interpréter cela comme une forme de constance et de résis-tance aux pressions.

Le 29 septembre, après des mois de controverses, elle a su gagner laconfiance du Parlement sans même avoir à poser la question de confiance.Ceux qui jusqu’ici se sont contentés de beaux discours, persuadés que l’onrésoudrait la crise grecque à coups de centaines de milliards d’euros tirésde la poche du contribuable se sont eux aussi trompés. Le chemin moinsémotionnel choisi par Merkel convainc finalement mieux les citoyens parcequ’elle suit leur rythme pas à pas. L’Allemagne a une chancelière qui necraint pas de modifier son point de vue, voire d’en changer carrément. Celava jusqu’au revirement confinant au cynisme dans la politique nucléaire,après la catastrophe de Fukushima. Une telle attitude met son parti à rudeépreuve et provoque aussi l’opposition. Les citoyens ont-ils conscience dela chance qu’ils ont d’avoir une dirigeante qui se permet de douter ? Peuprobable… Peut-être pourra-t-on lui reprocher un jour de s’être trompée.Mais pas d’avoir agi à la légère ! Brigitte Fehrle

Cuba

Autolib’version CastroLe gouvernement cubain vient d’autoriser la vente libred’automobiles. Une mesure de plus censée contribuer à l’instauration d’une économie de marché. Sauf qu’elle nebénéficiera qu’à quelques privilégiés, toujours les mêmes…

Generación Y La Havane

La publication, le 28 septembre, du décret 292, portant sur le trans-fert de propriété des véhicules à moteur [par achat, vente ou dona-tion entre les Cubains résidant dans l’île et les étrangers résidentsou temporaires], marque l’apogée d’une attente qui dure depuisplusieurs décennies. Obtenir une automobile a constitué troplongtemps une prébende soumise à l’adhésion inconditionnelle

à l’idéologie. Aujourd’hui, les autorités viennent d’ajouter une pincée de cetingrédient qu’on appelle “le marché” à un mécanisme encadré depuis undemi-siècle [ jusque-là les Cubains ne pouvaient vendre ou acheter que desvéhicules enregistrés avant 1959]. Pourtant, en dépit de cette dernièreréforme législative, la grande majorité des citoyens cubains auront seule-ment la possibilité d’acquérir une voiture d’occasion, ce qui à Cuba désigneun véhicule en service depuis plus de quinze ans, des marques Lada, Fiat(de fabrication polonaise) ou Moskvitch, jadis commercialisées dans le cadrede la méritocratie. Quelques véhicules modernes utilisés par les services del’Etat seront vendus à quelques privilégiés remplissant des conditions strictes– appartenir à une institution publique et avoir montré sa fidélité au gou-vernement. Quant aux véhicules parfaitement neufs, importés de fraîchedate, ils seront réservés à une élite révolutionnaire ayant en poche de l’ar-gent béni par les voies officielles. Conduire une Citroën ou une Peugeotétincelante de l’année en cours restera un signe extérieur d’appartenanceaux circuits du pouvoir.

Ce décret renferme un autre détail révélateur, le texte insistant de façonrépétée sur le concept de “départ définitif” pour ceux qui sont installés àl’étranger. Si, comme l’a déclaré Raúl Castro lui-même, nous allons vers uneréforme de la législation migratoire, de quelle envergure pourra-t-elle êtresi elle n’en finit pas officiellement avec cette catégorie ignominieuse ? Ceuxqui quitteront Cuba pourront seulement transmettre leur voiture à leursproches, mais certainement pas la vendre avant leur départ.

� L’auteureBrigitte Fehrle est rédactrice en chefde la FrankfurterRundschau.� ContexteLe 29 septembre, le Bundestag a adopté à une large majoritél’élargissement des missions du Fondseuropéen de stabilitéfinancière (Fesf). Sur les 611 députésprésents, relate DieZeit, 523 ont voté pour ;315 voix sont venuesdes rangs des partis dela coalition au pouvoir(226 de l’Union, 89 des libéraux duFDP). Seuls 10 députésde l’Union et troislibéraux ont votécontre. Angela Merkel a donc été suivie “parsa propre majorité”,sans l’aide des voix de l’opposition, qui a toutefois largementvoté dans le mêmesens. Seule Die Linke(La Gauche) a voté contre.

La Grèce “concentrée” par l’Union européenne

� Face aux mesures d’austérité toujours plus draconiennes réclamées par les inspecteurs de la “troïka” (Union européenne, Fonds monétaire international, Banque centrale européenne), le gouvernement de Papandréou a annoncé un nouveau tour de vis budgétaire et validé la création d’une “réserve de travail”, où 30 000 fonctionnaires seront placés pendant un an avec une allocation, avant d’être licenciés. La colère monteen Grèce, comme en témoigne ce dessin provocateur. (Haircut) Coupe (budgétaire). (Spreads) Ecarts de tauxd’intérêt. Dessin de Michael Kountouris paru dans Eleftheros Typos, Athènes.

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Les opinions

La pénalisation à l’émigration reste ainsi en vigueur. Mais le plus pré-occupant reste bien la forme qu’est en train de prendre cette piñata [figureremplie de cadeaux et de bonbons qu’on attaque à coups de bâton lors desfêtes], distribution de voitures qui sortiront des circuits du tourisme et desentreprises pour n’être vendues qu’à des individus triés sur le volet. L’exis-tence d’un tel mécanisme ne manquera pas d’alimenter la corruption et le“socialisme”. Pas de doute : à cette fête qui se prépare, nous, Cubains, nesommes pas tous invités. Yoani Sánchez

Syrie

“Dieu, nous n’avonsplus que toi !”En puisant leurs slogans dans leur héritage religieux etculturel, les Syriens veulent signifier qu’ils s’opposerontjusqu’au bout à leur tyrannie porteuse de mort.

Al-Hayat Londres

Comme pour conjurer le sort, la révolution syrienne réin-vente son propre vocabulaire, inspiré de son héritage popu-laire. On peut s’arrêter à ce propos sur ce que certainsconsidèrent comme un retour à la religion chez ce peupleabandonné à lui-même face à la machine de mort qui lefauche depuis plus de six mois. Il s’agit en fait d’une aspi-

ration collective à la liberté, malgré la réalité désespérante. Une telle aspi-ration est nécessairement liée à l’éducation religieuse et à la culture durecours au Tout-Puissant comme seul sauveur possible.

“Dieu, nous n’avons plus que toi !” ou “Nous ne nous agenouillons que devantDieu !” sont des slogans que l’on entend de plus en plus dans les manifes-tations. Mais ces appels lancés au milieu de foules où s’entremêlent des braslevés s’apparentent à une célébration rituelle telles les danses des commu-nautés humaines primitives qui affrontaient les dangers de la nature et lamort. Ils se réfèrent précisément à ce que Claude Lévi-Strauss qualifie demémoire collective de l’instinct de survie, à travers des rites carnavalesquesqui varient d’une époque à l’autre et d’une civilisation à l’autre.

Dans leur recours à Dieu, devenu le seul espoir contre la tyrannie, dansleur appel “Allah Akbar !” (Dieu est le plus grand !), les Syriens demandentl’aide du puissant punisseur contre le régime bourreau et tueur car ils n’ontà offrir que leurs poitrines nues et leur vie pour leur liberté. Ceux qui veu-lent voir dans ces appels rituels au secours de simples symboles religieuxconfirmant leurs craintes que la révolution ne tombe dans le piège de l’ex-trémisme islamiste ignorent les réalités de la société syrienne. La questiondes slogans rappelle dans une large mesure les premiers temps de la révolte,quand la protestation, partie des mosquées, a été perçue comme d’inspira-tion islamiste. La réalité est tout autre, puisque la mosquée reste en effetle seul lieu de rassemblement possible pour échapper au contrôle des ser-vices de sécurité. On ne peut exiger du désespéré qu’il cherche un soutienéloigné de son environnement et de ses références culturelles. Le seul etunique recours ici c’est Dieu. Les voix et les gorges arrachées par les sbireset les tortionnaires du régime [comme celle du chanteur des manifestationsIbrahim Qachouch] sont le symbole évident de la volonté d’étouffer les crisdes manifestants. Certes, les craintes à l’égard du mouvement de contes-tation si la situation actuelle devait perdurer sont légitimes. Un régimes’obstinant dans sa répression quotidienne et une opposition désunie neparvenant pas à occuper le vide politique pousseraient le peuple syrien àtirer des conclusions, ouvrant ainsi la voie à des solutions redoutables.

Toutefois, les slogans religieux, la culture, les références et les méthodesde chaque peuple ne peuvent être remplacés du jour au lendemain par desconcepts modernistes. La créativité dont font preuve les Syriens dans leurmanière de protester provient d’un enracinement dans leur héritage reli-gieux populaire et de la volonté de faire triompher la culture de la vie surcelle de la mort. Ils se défendent comme ils peuvent par instinct de survie.Face aux tueries et aux armes, ils répondent par des célébrations collectives

accompagnées de prières et d’appels à Dieu. Ce recours, qui ressemble enapparence à un fatalisme, est en réalité une tentative de contournement.En confiant leur sort à Dieu, ils veulent dépasser les humains dans une formeextrême de lutte contre la mort. Il s’agit d’une négation de la négation. Dieuseul peut leur ôter la vie et les hommes ne leur font pas peur.

“Dieu, nous n’avons que toi !” Par cette adresse, le peuple signifie au régimesyrien : nous n’avons plus rien à perdre et nous nous opposerons jusqu’à lamort à cette tyrannie. Samar Yazbek

Italie

Le triomphe de la justice spectacleCondamnée en première instance à vingt-six ans de prison,la jeune Américaine Amanda Knox a été acquittée dumeurtre de sa colocataire britannique. Le procès,surmédiatisé, a fini par éclipser la victime, estimeLa Repubblica.

La Repubblica (extraits) Rome

Innocents. Comme le souhaitait une grande partie de l’opinion publique.Comme le voulait, en fin de compte, une affaire dont les preuves étaienttout sauf irréfutables. Pour Amanda et Raffaele, la cour d’appel a prisune décision qui change le cours de leur vie ; mais, pour les millions decurieux, pour les médias avides d’informations, pour ceux qui sontconvaincus de la culpabilité ou de l’innocence, ce n’est que la fin d’une

énième histoire macabre que le public suit avec une passion froide et glauque.On se croirait arrivé à la fin de l’un de ces films pour ados, comme

Twilight, où les protagonistes sont jeunes, beaux, impénétrables, innocentset coupables à la fois, mais jamais condamnés, car il y aura certainementdes séquelles pour eux. On a pu voir, par exemple, au cours de cette longueet spectaculaire journée suivie en direct dans le monde entier, la corres-pondante de Newsweek en Italie juger, comme une critique de cinéma, laprestation des deux accusés : “Sollecito n’a rien de spontané, Knox s’en sortbien mieux.” Au point de mériter un oscar, peut-être ?

La gorge tranchée de la pauvre Meredith, les baisers d’Amanda et Raf-faele, Rudy Guédé, l’Ivoirien condamné en appel à seize ans de prison pourcomplicité de meurtre, une agrafe de soutien-gorge sur laquelle des tracesd’ADN humain ont été relevées, un couteau, un oreiller, une trace de sang :tous ces éléments captivent depuis quatre ans la moitié du globe, divisé irra-tionnellement par des sentiments nationalistes. D’un côté, les Américains(à commencer par Hillary Clinton) clament l’innocence de la fille du pays,Amanda, et de son présumé complice, Raffaele (avec moins d’enthousiasme).De l’autre, les Britanniques prêchent la culpabilité de l’accusée, tel un moyende racheter la mort tragique de Meredith l’Anglaise. Il y a deux ans, à l’époquede la condamnation en première instance à vingt-six ans de prison (pourAmanda) et vingt-cinq ans (pour Raffaele), la passion internationale a pro-voqué le chaos habituel qui tord la réalité et transforme le moindre événe-ment tragique en fiction pour la télévision, plus banale, jusqu’à ce que soitrendue non pas la justice, mais une justice qui conforte l’opinion populaire.

Déformations, inventions, insinuations, experts bavards à n’en plus finiret surtout disparition de l’image et de la mémoire d’une fille de 22 ans, quien aurait 26 aujourd’hui si sa vie n’avait pas été brisée d’un coup de couteauà la gorge, le 1er novembre 2007, dans un petit appartement de Pérouse. Petità petit, la curiosité populaire et la frénésie de l’information l’ont oubliée,comme si son existence n’avait de sens que par le fait qu’elle s’était bruta-lement arrêtée, jetée dans l’ombre d’Amanda et Raffaele. Dans ces sinistresaffaires criminelles réinterprétées par la cruauté populaire, la victime n’estpas intéressante. Elle ne peut pas intervenir dans une émission de télévi-sion : ceux qui comptent sont les vivants, les suspects, les accusés, les cou-pables condamnés, puis innocentés et libérés. Meredith est à nouveau seuledans le cœur de ceux qui la pleurent. Il faudra bien un jour trouver ses véri-tables assassins ; seul en prison, Rudy ne suffit pas. Natalia Aspesi

� L’auteureLa philologue YoaniSánchez a commencéson blog Generación Yen avril 2007 à La Havane. Elle a très vite acquisune notoriétéinternationale et gagnéde nombreux prix. Elle forme et encourageaussi toute une génération de blogueurs cubains.

� L’auteureNée en 1970 à Jableh,en Syrie, Samar Yazbekest romancière,critique et scénariste.Elle est l’auteure de plusieurs romans et recueils de nouvellesencore inédits enfrançais, parmi lesquelsMoufradat imraa (Lesmots d’une femme,2000), Silsal (Argile,2005), Raihat Al-Qirfah(L’odeur de la cannelle,2008) et Laha Maraya(Dans ses miroirs,2010). Ancienneéditrice du magazine en ligne Women of Syria (nesasy.org), Samar Yazbek est aussiconnue pour sonimplication dans le combat pour les droits de l’homme.

� ContexteLe lundi 3 octobre, la cour d’appel de Pérouse a acquittél’Américaine AmandaKnox, 24 ans, du meurtre de sa colocatairebritannique. Son petitami, l’Italien RaffaeleSollecito, égalementaccusé du meurtre a lui aussi été libéré. La jeune femme avaitété condamnée en première instance,en 2009, à vingt-six ansde prison, pour avoirporté le coup fatal à Meredith Kercher, à la suite d’une nuitalcoolisée durantlaquelle la Britanniquen’aurait pas accepté de participer à des jeuxsexuels. L’affaire avaitdéchaîné la presse de part et d’autre de l’océan Atlantique.Mardi, Amanda Knoxs’est envolée pour les Etats-Unis, tandisque le parquet italien a annoncé qu’il allait sepourvoir en cassation.

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10 idées pour secouerla gauche�Avant les primaires des socialistes français, le 9 octobre,quelles sont les idées et les expériences des gauchesde gouvernement en Europe ? Ces témoignageset débats peuvent-ils inspirer les candidats ?� Mieux écouter et mieux comprendre lescitoyens : c’est une tendance qui semblese dégager chez nos voisins, par exempleen Allemagne(p. 17), aux Pays-Bas (p. 18)ou encore en Italie (p. 21).

En couverture

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Courrier international | n° 1092 | du 6 au 12 octobre 2011 � 17

Mais le signe majeur de ce renversementde tendance est incontestablement la quasi-implosion de la coalition gouvernementale alle-mande d’Angela Merkel, qui rassemble libérauxet chrétiens-démocrates. Outre-Rhin, une suitede défaites cuisantes aux élections régionalesa fait passer le pouvoir du côté des sociaux-démocrates et des écologistes – parfois soutenuspar Die Linke.

Si le président Nicolas Sarkozy et la droitefrançaise perdent l’élection présidentielle au printemps 2012, comme cela semble probable, etsi les sociaux-démocrates et les Verts remportentles élections au Bundestag en 2013, les centres dupouvoir au sein de l’Union européenne serontrepassés à gauche.

Les partis conservateurs allemands s’oppo-sent à toutes les propositions visant à mettre enplace une grande union économique qui permettede soutenir les pays en difficulté financière. Tandisque les sociaux-démocrates et les Verts soutien-nent l’idée des euro-obligations et réclament

En Europe, le vent politiquechange de sens

Il faut tirer les leçons du succès des Pirates aux élections du 18 septembre à Berlin. Leur entrée fulgurante au Parlementrégional tient avant tout à leurauthentique proximité avec les citoyens. Donc avec les électeurs.

Spiegel Online (extraits) Hambourg

Comment expliquer le succès duParti des pirates aux électionslégislatives locales de Berlin [le18 septembre] ? Voilà la ques-tion que tout le monde se posedepuis dimanche 18 heures.

Chaque parti y est allé de son explication,citant en vrac Internet, Berlin ou l’en-thousiasme naïf de la générationnerd. Et, comme en politique ilfaut toujours trouver quelquechose, tout le monde s’empressede dire n’importe quoi.

Pour comprendre la popularité duParti des pirates, les responsables poli-tiques allemands n’auraient pourtant qu’àse regarder dans un miroir. En 2010, le jour-naliste américain Clay Shirky mettait en gardecontre une erreur fondamentale du débat “Inter-net et la politique”, qui consiste à surestimerl’importance de l’accès à l’information par rap-port à celle de l’accès aux personnes. Cetteremarque visait les réseaux sociaux dans desEtats non démocratiques, mais elle vaut égale-ment pour les partis allemands et leur utilisa-tion du Réseau. Internet offre en effet uneproximité inédite avec les citoyens. Pour la géné-ration qui suit les tweets de Britney Spears ouchatte avec des entreprises comme Coca-Cola,rien de plus naturel que d’entretenir la mêmeproximité avec la classe politique.

Conscients de cette attente, les dirigeantspolitiques ont immédiatement réagi, avec desoutils du siècle dernier. “Plus proche des gens” estdésormais le nouveau slogan de la CDU [Unionchrétienne-démocrate d’Angela Merkel], et lespersonnalités de presque tous les partis sontpassées aux médias sociaux, s’empressant d’an-noncer cette nouvelle sensationnelle aux jour-nalistes… par fax. Résultat, les partis laissent àdes agences de communication plus ou moinsexpertes le soin de simuler un rapprochementnumérique avec les électeurs (à quelques heu-reuses exceptions près). Or il est à peu près aussiinstructif – et aussi agréable – de parler avec lecollaborateur d’un responsable politique sur Face-book que de prendre un café avec une poupée

qui parle.Le Parti des pirates fonctionne exac-

tement à l’opposé : la proximité numé-rique avec les citoyens – du moins les

citoyens connectés – est la règle.La percée électorale de ce partirepose moins sur le débat géné-

ral à propos d’Internet que sur l’unedes possibilités offertes par Internet, à

savoir l’établissement de liens directs.Autrement dit, la réussite du Parti des pirates

s’explique essentiellement par le fait que lesautres partis ne comprennent pas cet enjeu. Lesresponsables politiques ont un problème de com-munication. Ce n’est un secret pour personne :ils ont atteint un niveau critique d’inintelligibi-lité. Cela ne date pas d’hier : le sociologue Viccovon Bülow en parlait déjà en 1975. A présent, viaInternet, le discours politique peut être en phaseavec la vie réelle des citoyens. Pourtant, seul leParti des pirates utilise réellement cette possibi-lité et a développé une stratégie de communica-tion sur tous les médias.

Régulièrement critiqués pour leur manque deprofessionnalisme, les Pirates se défendent enrépliquant : “OK, je ne sais pas, mais je vais

l’adoption d’une stratégie économique différente,qui mette l’accent sur une croissance durable àl’échelle européenne. Dès lors, il est significatifque les libéraux allemands, qui ont flirté avec l’euroscepticisme dans une tentative désespéréede récupérer des électeurs, aient accusé un fortrecul lors des récentes élections locales à Berlin.Mieux, au Danemark, en Suède et ailleurs, la popu-larité des partis xénophobes d’extrême droite com-mence à flancher – phénomène en partie dû au choc suscité par les attentats de cet été en Norvège.

Cependant, c’est une chose de dire que lebalancier politique semble pencher de nouveauvers la gauche en Europe ; c’en est une autred’affirmer que le centre gauche sera capable dedonner une nouvelle orientation à la stratégieéconomique et sociale européenne. De fait, sile centre gauche ne parvient pas à empêcher l’Europe de poursuivre sa dérive vers une nou-velle récession, voire une dépression généralisée,il pourrait essuyer un retour de bâton désastreux.John Palmer

Comprendre la génération numérique

1Alle

magneEd Miliband : la barre à gauche

Le discours d’Ed Miliband au congrès du Labour, le27 septembre, a provoquéde fortes réactions dans la presse britannique. Il a été perçu de manièreunanime comme un coup de barre à gauche, alors queMiliband entendait se situer “au centre”. Pour le reste, les avis sont trèspartagés. Sa volonté de taxer différemment“producteurs” et “prédateurs”, bonnes etmauvaises entreprises – tout en restant vague sur le contenu de chaque catégorie – lui a attiré les sarcasmes de la presse conservatrice. “La têtedans les nuages”, titrait The Daily Telegraph,tandis que The Times rappelait qu’en affaires “on ne gagne pas toujours de façon morale”.La presse de centre gauche a été plus réservée.The Guardian saluait “l’analyse la plus radicaled’un leader travailliste depuis 1945”,mais s’interrogeait sur une stratégie périlleuse.The Independent reconnaissait “un pascourageux” vers la rupture avec le New Labour,mais pointait l’absence de propositions concrètes. � 18

Accordcompliqué auDanemark

Après l’élection du 15 septembre, qui a ramené la gaucheau pouvoir au Danemark, HelleThorning-Schmidt a enfin pu former un gouvernement le dimanche 2 octobre.Mais “elle n’a toujourspas expliqué en quoiconsistera sa politiqueéconomique”, estime le journal de centregauche Information.Autre difficulté : HelleThorning-Schmidt,dont le parti, les Sociaux-démocrates(SD), a fait un mauvaisscore – perdant mêmeun député –, est à la tête d’une coalition qui en compte quatre. Cette situations’annonce difficile à gérer.

� Dessin de Boligán,paru dans El Universal, Mexico.

Après une décennie à droite, l’Europesemble pencher de nouveau vers la gauche. Mais attention au retourde bâton, prévient le quotidien londonien.

The Guardian (extraits) Londres

Un peu partout en Europe, la droiteprospère et la gauche recule.Douglas Alexander [secrétaired’Etat au Développement inter-national du Royaume-Uni, Partitravailliste] l’a rappelé lors de la

conférence du Parti travailliste à Liverpool, le25 septembre. “Pendant une décennie, au Royaume-Uni, le centre gauche l’a emporté sur la droite. Aujour-d’hui, le centre droit prend le dessus sur la gauche”,a-t-il déclaré.

Il s’agit là d’une des principales tendancespolitiques de ces cinq dernières années dansl’Union européenne. Et cet essor explique que ladroite, majoritaire au Conseil des ministres età la Commission européenne, soit parvenue à bloquer ceux qui s’opposaient aux politiquesd’austérité économique voulues par plupart desgouvernements européens. Cela étant, DouglasAlexander semble ne pas avoir perçu les indicesde l’actuel renversement de tendance : d’une part,mi-septembre, la victoire aux élections législa-tives danoises de la coalition formée par le Partisocial-démocrate, le Parti populaire socialiste etl’Alliance rouge et verte [extrême gauche] ; d’autrepart, fin septembre, le succès inattendu de l’al-liance des socialistes et des Verts au Sénat fran-çais, après une série de victoires éclatantes auxélections cantonales de mars 2011.

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étudier le dossier.*” Cette phrase constituela réponse la plus honnête et la plus constructiveque l’on puisse donner dans la vie réelle en pareilcas. Dans le paysage politique, pourtant, il estpresque inconcevable de l’entendre ailleurs quechez les Pirates. Le discours politique est totale-ment déconnecté de la vie réelle. En revanche, leParti des pirates défend un discours politique nésur la Toile, là où se trouve toujours quelque spé-cialiste auteur d’une thèse sur le sujet en ques-tion et s’y connaissant mieux que vous. Un aveud’ignorance suscite toujours plus de sympathieet de respect que l’ignorance démasquée. Lesinternautes les plus malins l’ont vite compris.

Le choix du Parti des pirates est donc un votecontestataire. Les 9 % d’électeurs berlinois quilui ont donné leur voix ont voulu dénoncer lesartifices des hommes politiques dont le discoursse réduit, pour de nombreux citoyens, à des débatstélévisés, à de petites phrases taillées pour le petitécran et à des communiqués de presse aussi infor-matifs que le manuscrit de Voynich [texte ancienrédigé dans un alphabet inconnu]. Il s’agit d’unsérieux carton rouge contre un style politique enrupture totale avec la réalité.

Les hommes politiques pourraient et devraients’inspirer du Parti des pirates tant dans leurs poli-tiques vis-à-vis d’Internet que dans leur façon defaire de la politique avec Internet. Cela impliquede s’imprégner sans affectation de cet outil qui,en dépit de tous les préjugés, reflète à peu prèsnotre mode de communication de tous les jours.Sascha Lobo**

* Allusion à l’attitude d’Andreas Baum, tête de liste desPirates berlinois (http://berlin.piratenpartei.de/), lorsd’un débat : il n’était pas en mesure de donner le chiffreexact de la dette de Berlin. Après coup, le site du partia affiché et actualisé en permanence ce montant.** Blogueur (saschalobo.com), il se dit “de sensibilitésociale-démocrate”.

A Amsterdam, un député social-démocrate a décidé d’exercer une activité parallèle de médiateurde rue dans un quartier difficile.

NRC Handelsblad (extraits) Amsterdam

Des gens connaissent [le Néer-landais] Diederik Samsomcomme député et stratège duPvdA [social-démocrate], dansl’opposition depuis les élec-tions de 2010. Cela fait déjà

un an qu’il exerce aussi, secrètement, lesfonctions de straatcoach [coach oumédiateur de rue, une fonction entrevigile et éducateur de quartier]. Ilse rend dans des familles quiont des enfants difficiles pourmettre les parents en face des réa-lités. C’est ce que l’on appelle un tra-vailleur familial. Il consacre à cetteactivité de dix à douze heures par semaine,ce qui l’amène à sillonner régulièrementAmsterdam la nuit jusqu’à 2 heures du matin.Dans ce journal, il en parle pour la première fois.Pourquoi ce travail en parallèle ?Diederik Samsom Nous nous sommes retrou-vés à nouveau dans l’opposition. J’étais déçu, insa-tisfait. On peut toujours continuer à fonctionnercomme avant, mais moi je cherchais autre chose.Mais pourquoi straatcoach ?Parce que l’histoire de mon parti révèle deuxgigantesques points faibles. Si les électeurs sonten colère contre nous, et ne votent plus pournous, c’est à cause de l’insécurité qui règne dansla rue et de la déshumanisation du secteur public.Cette insécurité culmine sous la forme dequelques symboles, notamment celui que consti-tue le cas des jeunes Marocains. Et ce n’est pasparce que Geert Wilders [dirigeant du Parti pourla liberté, extrême droite populiste] nous en rebatles oreilles. Cela n’a strictement rien à voir avecl’islam. Plus ils sont croyants, moins ils créentd’ennuis. Je voulais simplement me rendre comptepar moi-même de la situation. Maintenant je lesais. Ce triomphalisme chez ces jeunes, la convic-tion d’être intouchables, ce qui est d’ailleurs lecas, cela vous fait grincer des dents. Je vais vousdonner un exemple. Je travaillais un jour avec uncollègue straatcoach, Mohammed, et nous avonseu des ennuis. On nous a frappés, nous avonsrépliqué… enfin, c’est-à-dire que j’ai poussé quel-qu’un. Mohammed a porté plainte, il s’est dit : cejeune gars va changer de ton. Il ne s’est rien passé.Il a fallu mettre en place toutes sortes de choses :la réinsertion, l’aide pour surendettement, etc.Mais le garçon ne s’est rendu compte de rien.Quand on sent cette vacance du pouvoir, on com-prend qu’il ne s’agit pas d’un cas isolé. Cela érodel’assurance de la police, l’assurance des Pays-Bas.Ce sont de grands mots.C’est pourtant ce que ressentent certaines per-sonnes. Un habitant d’Amsterdam vous dira : dequoi se plaint-on ? Mais son voisin y verra unexemple d’une dégradation plus générale de lasociété dans laquelle il vit. Il perd la certitudeque nous pouvons ensemble maintenir unclimat paisible.

Pourquoi avez-vous décidé d’en parlermaintenant ?D’abord, cette activité me tenait à cœur. Jen’avais pas envie de m’en servir à des fins poli-tiques. Mais on ne vaut rien en tant que politi-cien si on ne raconte pas ce que l’on ressent etce que l’on pense.Alors ?Ce qui m’a frappé, c’est la distance considérablequi existe entre ces familles et les Pays-Bas. Vousconnaissez cette vision romantique de l’intégra-tion, l’idée que nous apprenions à nous com-prendre, que nous nous mettions de plus en plus

à nous ressembler ? Ce n’est pas le cas.C’est pour cela que le travail d’un straatcoach

est si délicat : il faut prendre la bonne ini-tiative au bon moment, faire le bon

geste pour asseoir son pouvoir dansla rue. Sans recourir à la violence.Quand vous vous y prenez bien,

après chaque rencontre, vous avezgagné, mais eux n’ont pas perdu. Vous

ne devez pas les humilier, mais lesremettre à leur place. Il n’y a pas besoin de

les faire descendre de leur hauteur, mais seu-lement d’un cran. C’est un travail inestimable.Mais on trouve difficilement des gens [pour cetravail] : la rue paye mal, le bureau paye bien. Nousavons mal organisé les choses.J’ai vu un jour un agent distribuer en quatreminutes trois amendes [à une même personne].Un vélo sur le trottoir, le refus de s’arrêter et desinsultes à un agent de police. Là, c’est une défaite.Que faut-il faire ?Il faut se mettre sur la trajectoire du vélo et regar-der la personne de façon à ce qu’elle descende. Jesuis fier que notre Etat de droit offre tant degaranties pour éviter l’arbitraire des pouvoirspublics. Mais les instruments de cet Etat de droitsont totalement inadaptés pour intervenir dansces cas-là. Nous l’avons reconnu trop tard. Par-fois, il n’y a pas moins de sept organismes qui s’oc-cupent du jeune, mais qui vient sonner chez lui ?Personne. Vous savez, toutes ces histoires où l’onoppose une approche toute en douceur et uneapproche musclée, c’est ridicule. Aucune de cesdeux approches ne fonctionne. J’ai vu de jeunesMarocains rire des pantalons courts et des che-mises à manches courtes de la police. Mais je neveux pas non plus d’un pays où les agents de policeont des AK-47 suspendus à l’épaule.Les pères sont impuissants. Je les plains vraiment,mais cela me met aussi terriblement en colère. Ily a par exemple un père qui est parti seul pendanttrois mois au Maroc… il s’était tout simplementenfui. Son fils était resté ici.Il y a aussi quelque chose qui m’intrigue. J’ai étéstraatcoach plusieurs fois dans le quartier nordd’Amsterdam. Là-bas, la violence vient des Néer-landais autochtones. Quand des querelles écla-tent, autant appeler tout de suite l’ambulance enmême temps que la police, ils arrivent toujours àen frapper un si fort qu’il atterrit à l’hôpital. Laviolence dans ce coin est plus brutale que chezles Marocains, mais les gens en ont moins peur.Moi aussi. Est-ce parce que nous connaissons lesnuisances des Blancs et que celle des allochtonesest nouvelle et donc plus angoissante ? Ou bienest-ce la peur intrinsèque de tout ce qui est dif-férent ? Je ne sais pas. Derk Stokmans

En couverture 10 idées pour secouer la gauche18 � Courrier international | n° 1092 | du 6 au 12 octobre 2011

2Pays-Bas

Mieux connaître la rue

Suivie d’abord avec scepticismeet ironie, la primaire socialistecommence à attirer l’attentiondes journalistes étrangers.Il se passe quelque chose dans lagauche française. Les médiasétrangers sont nombreux à leconstater. Il y a quelques semainesencore, la primaire socialiste étaitavant tout pour eux prétexte àragots et bons mots. Ils s’amusaientde voir François Hollande croiserle fer avec Ségolène Royal, sonancienne compagne et la mère de ses quatre enfants. Mais plusl’échéance des 9 et 16 octobreapproche, plus ils suivent sur le fond la compétition de 2012.Au fil de la campagne, lesprésidentiables du Parti socialiste(PS) ont montré qu’ils avaientencore à dire et à proposer. La bonne tenue de leur deuxièmedébat télévisé, le 28 septembre, a retenu l’attention. Le quotidienespagnol El País salue ainsi “un échange constructif d’idées.Et la Frankfurter AllgemeineZeitung s’étonne de voir que les“élephants” peuvent faire mentirleur réputation :“Depuis que Nicolas

Sarkozy avait pris le pouvoir, ilspassaient même pour desdinosaures. Leurs idées semblaientdater du Déluge. Leur incapacité à résoudre les luttes de pouvoirinternes avait conforté la ‘machineà perdre’ du PS”, se souvient lequotidien allemand. Mais “avec laprimaire, le PS emprunte finalementla voie de la modernisation qu’iln’avait pas eu la force de suivrealors qu’il était dans l’opposition”,poursuit-il. “L’élan provoqué par la primaire ébranle le campprésidentiel, qui s’attendait à voirles socialistes continuer à sebattre eux-mêmes, comme par le passé.” “Le plus remarquable, à propos du débat télévisé, c’est tout simplement qu’il a eulieu”, commente pour sa partForeign Policy. Pleine d’ironie, la revue américaine s’amuse de voirles socialistes français s’inspirerdes Etats-Unis pour organiser leurprimaire. “Bien que Sarko se soittoujours vanté d’être un candidatdans le style américain, ce sont lessocialistes qui, malgré leur horreurde la vulgarité capitaliste, ont adopté notre système.”

Les primaires en France

Une cure de jouvence ?

17 �

“Agora”, la France vue du monde

Agora, c’est le titre de la nouvelleémission d’actualitéde France Ô, en partenariat avecCourrier international,chaque samedi à 18 h 45. Cettesemaine, Jean-MarcBramy et ses éditorialistesdébattront, entre autres sujets,des primairessocialistes.

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Courrier international | n° 1092 | du 6 au 12 octobre 2011 � 19

Rajeunir la classe politique

Au Royaume-Uni et ailleurs, la vied’un individu est toujours déterminéepar le milieu où il est né.

The Guardian (extraits) Londres

Le thème des classes sociales est tabouen politique. La Grande-Bretagnefait preuve de la même malhonnê-teté politique que les Etats-Unislorsqu’elle masque des disparités derevenus de plus en plus importantes

en affirmant que tout le monde ou presqueappartient à la “classe moyenne”. Plus de 70 %des Britanniques considèrent maintenant qu’ilsfont partie de la classe moyenne. On peut blâmerles politiques, qui leur ont mis cette idée dansla tête, et le postsyndicalisme [érosion des struc-tures traditionnelles de lutte sociale], qui faitque les gens ne savent plus où se situer surl’échelle des salaires.

Le mythe de la société sans classes qui pré-vaut actuellement s’avère pratique pour les poli-tiques. C’est aussi une idée moderne et branchée.On peut pourtant affirmer sans se tromper quele milieu dont est issu un individu détermine sadestinée de manière encore plus certaine qu’il ya cinquante ans. Selon une étude comparant lesort d’enfants nés en 1958 et celui d’enfants nésen 1970, la destinée de ces derniers serait encoreplus fortement influencée par le milieu dont ilssont issus. La réussite des enfants britanniquesdépend plus fortement du statut de leursparents que celle des enfants de la plupart despays développés. L’origine sociale est doncencore aujourd’hui déterminante pour l’avenird’un individu. Si l’on admire autant ceux quiréussissent malgré leurs origines modestes,c’est qu’ils sont rares. Parmi ceux qui exercentune profession ou occupent de bons emplois,la majorité était prédestinée à le faire. Mon pèreétait écrivain et journaliste : est-ce que j’écriraiscet article si je n’avais pas eu cette longueurd’avance ? Il est présomptueux, de la part de ceuxqui réussissent, de nier la chance qu’ils ont euede naître dans un milieu favorisé ou d’être dotésd’un talent particulier. Ils s’empressent trop sou-vent de mettre la différence de salaire et de classesur le compte de l’“effort” et d’ignorer le rôle dela chance dans leur réussite.

Le Labour tente généralement d’éviter lesconfrontations à ce sujet. Il préfère affirmer – cequi est probablement plus sage – que l’importantn’est pas d’où l’on vient, mais ce pour quoi l’onse bat, même s’il ne cache pas qu’il existe souventun lien entre les deux. Et le New Labour avait tel-lement peur d’être identifié à un parti d’ouvriers,au parti des industries agonisantes du Nord, queTony Blair a déclaré que la lutte des classes étaitterminée. Il a cru qu’il était nécessaire, d’un pointde vue électoral, de reprendre le mythe conser-vateur selon lequel il n’existe qu’une vaste classemoyenne indifférenciée. Polly Toynbee

Les élections législatives duprintemps dernier ont changé la facede la démocratie canadienne enprovoquant une déferlante de jeunesdéputés de gauche. Et le parti de cesnouveaux venus tente maintenant de leur apprendre le métier.

L’Actualité (extraits) Montréal

On est loin des Zinédine Zidaneet des David Beckham au tour-noi de soccer [football] quiréunit chaque printemps unequinzaine de députés fédérauxde tous les partis. Lors de ce

tournoi amical qui oppose les élus à desjournalistes et à des diplomates étran-gers, les députés sont même parfoishilarants, tant ils ne savent quefaire de ce ballon qui arrive sou-dainement au bout de leur pied !Mais, attention, la “vague orange”[voir l’encadré] qui a déferlé sur le paysce printemps a balayé également le ter-rain de soccer, modifiant l’allure du tournoi– cette même vague orange qui a redéfini levisage la Chambre des communes en lui appor-tant jeunesse, vigueur et talent.

Avant les élections générales du 2 mai dernier,le Parlement canadien comptait deux députés demoins de 30 ans. [Mais le scrutin a tout changé :la nouvelle Assemblée compte 103 députés duNouveau Parti démocratique (NPD, gauche).]Aujourd’hui, vingt d’entre eux sont dans la ving-taine, et onze dans la trentaine. Et, parmi eux, cer-tains ont grandi en jouant au soccer : c’est le casdes députés du NPD Hoang Mai, 37 ans, et EvePeclet, 22 ans. Hoang Mai est même l’entraîneurd’une équipe dans la banlieue sud de Montréal.

Membre actif du parti depuis quelquesannées, Hoang Mai, notaire montréalais né deparents vietnamiens, a rapidement impres-sionné les vétérans de tous les partis par sonsang-froid à la Chambre des communes etpar son enthousiasme.

Non seulement la vague orange a rajeuni laChambre, mais elle a amené à Ottawa des jeunesà l’aise avec les réseaux sociaux et aptes àatteindre les électeurs là où ils se trouvent. Et,avec cette jeune relève, le NPD n’aura pas de diffi-cultés à se démarquer des autres partis fédéraux.

Le NPD tente de s’établir sur la scène fédé-rale comme un prétendant crédible au pouvoir.Et telle l’équipe de sport professionnelle, le partientend faire “monter” ses meilleurs espoirs. Dèsle lendemain de l’élection, le NPD a mis en œuvreune stratégie pour s’assurer que ses nouveauxélus apprennent leur métier en commettant lemoins d’erreurs de débutants possible, tant àOttawa que dans leur circonscription.

On a affecté un mentor à chaque recrue.Pour Hoang Mai, il s’agit d’Olivia Chow, qui

représente une circonscription torontoisedepuis 2006. Eve Peclet, quant à elle,

apprend son métier aux côtés deNiki Ashton, députée du nord du

Manitoba depuis 2008.Hoang Mai confirme que les

nouveaux élus ont pris au sérieuxleurs premières séances à la Chambre.

“Il y avait de la pression, beaucoup de gensespéraient qu’on se casse la gueule.”Après s’être trouvé un pied-à-terre à Ottawa,

les députés ont dû trouver des bureaux, embau-cher des adjoints et faire connaissance avec lesautres élus locaux. Puis ils sont allés à la rencontrede leurs électeurs.

La prochaine étape : utiliser le système d’en-vois postaux offert gratuitement par la Chambredes communes et par Postes Canada pour inon-der les boîtes aux lettres de leurs électeurs demessages politiques. “Ce sont ces détails [tactiques]qui font que les autres partis ont tant de difficultés àdéloger les députés néodémocrates”, affirme le direc-teur national du parti, Brad Lavigne.

Pour espérer ravir le pouvoir aux conserva-teurs en 2015 [date des prochaines élections],le NPD devra compter sur ses recrues, mais aussisur d’autres nouveaux candidats, pour occuperles quelques dizaines de sièges supplémentairesnécessaires à la formation, à tout le moins, d’ungouvernement minoritaire. Daniel Leblanc

3Canada

� Contexte

Les élections généralesau Canada, qui se sontdéroulées le 2 mai, ont produit un résultatdes plus inattendu. Le Nouveau Partidémocrate (NPD, gauche), qui ne disposait que de 37 sièges avant la dissolution du Parlement, comptemaintenant 103 députés.C’est au Québec qu’est née cette vagueorange, la couleuremblématique du NPD. Les électeurs de la Belle Province ont massivementappuyé le parti, et le NPD y a fait élire59 députés.La plupart s’étaientportés candidats sanscroire à leurs chances,et le parti qui formeaujourd’hui l’oppositionofficielle à Ottawa se compose donc de néophytes souventbeaucoup plus jeunesque les élus des autrespartis.

4Royaume-Uni Relancer

l’ascenseur social

� “Mind freshner”.Rafraîchisseur mental.Illustration de JoeMagee, Royaume-Uni.

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La concurrence ne s’oppose pas à lajustice sociale, bien au contraire,estime le philosophe Daniel Inneraritydans une chronique d’El País.

El País (extraits) Madrid

Il suffit qu’un gouvernement socialisteagisse pour favoriser la logique du marché,et il passe aussitôt pour un traître aux prin-cipes essentiels. Un tel raisonnement cor-respond à une perception fausse etancienne du marché, que l’on considère

comme une réalité antisociale, une source d’in-égalités. Je pars du principe que le marchéest une conquête de la gauche et que laconcurrence est une valeur authenti-quement de gauche, face auxlogiques de monopole et aux pri-vilèges. De ce point de vue, lesréformes en faveur du marché(pour qu’il fonctionne mieux, avecune plus grande capacité à créer desemplois), n’impliquent pas nécessairementmoins de justice sociale. Bien au contraire, detelles réformes peuvent être de gauche dans lamesure où elles réduisent les privilèges.

Seule une social-démocratie qui a le couraged’accroître les débouchés pour tous et de contri-buer à un système fondé sur une véritable méri-tocratie peut à bon droit affirmer qu’elle luttepour les plus défavorisés. Ces mêmes objectifsqui ont été ceux de la gauche européenne doi-vent l’amener à adopter des mesures en faveurdu marché. La réglementation des marchés,l’une des priorités traditionnelles de la social-démocratie, ne vise pas à abolir ces marchés,mais à les ancrer dans la réalité, c’est-à-dire àles mettre au service du bien public et de la luttecontre les inégalités.

Aujourd’hui, la gouvernance juste des mar-chés n’a plus grand-chose à voir avec la politiquesociale-démocrate classique, qui reposait sur uneforte intervention de l’Etat. Insister sur cette stra-

ne pas vivre aux dépens des retraités et des tra-vailleurs de demain – autrement dit que nosaccords de redistribution n’aillent pas à l’encontredes intérêts des absents.

La principale conséquence sociale de la criseéconomique appelle une profonde révision denotre modèle de croissance. A cet égard, il est par-

faitement logique que la sortie de crise soit liéeaux impératifs écologiques. La convergencede l’économie et de l’écologie n’est pas le fait

du hasard  : elle nous indique que nousdevrions aborder l’économie avec un ensemble

de critères que nous avons appris dans la gestiondes crises écologiques. Nos sociétés sont parve-nues à penser les problèmes d’environnement demanière systémique ; il va falloir qu’elles appren-nent à aborder la gestion de l’économie dans lemême esprit.

Ce que je propose, c’est que la rénovation del’agenda social-démocrate naisse de ce compro-mis entre libéralisme (abolition des privilèges surle marché), socialisme (souci de l’égalité) et éco-logisme (perspective systémique et développe-ment durable).

La confrontation entre la gauche et la droitene met pas aux prises aujourd’hui les partisansde l’Etat et ceux du marché, mais ceux qui ont leplus à perdre avec l’échec du marché et ceux quisurvivent mieux quand les marchés n’assurentpas l’égalité. De quelque point de vue qu’on seplace, le marché est une invention de la gauche.Daniel Innerarity

En couverture 10 idées pour secouer la gauche20 � Courrier international | n° 1092 | du 6 au 12 octobre 2011

Les socialistes hongrois sont au bordde la rupture. L’ancien Premierministre Ferenc Gyurcsány vient decréer sa propre plate-forme. Il fautressouder et élargir la gauche, estimele célèbre éditorialiste Akos Mester.

168 Ora (extraits) Budapest

Si les socialistes hongrois n’arrêtentpas de se chamailler, leurs sympa-thisants se retourneront contreeux. Ils doivent proposer sanstarder un programme de renou-veau limpide qui leur permette de

tourner la page. Tant que l’unité restera un vœupieux, toute tentative d’explication dégénéreraen dispute. Certains disent que la route est assezlarge à gauche. Certes, mais à mon avis il y a uneroute encore plus large : celle qui réunit des gensde différentes tendances et idéologies. Une routeoù plusieurs partis peuvent avancer de concert.La gauche modérée, les centristes déçus d’eux-mêmes, les conservateurs qui disent non aux

délires du pouvoir… Il y a de la place pour lesécologistes, les ONG, les syndicats, les

retraités, les étudiants, les chômeurs ettous ceux qui pensent autrement. Il y

a de la place pour tous ceux quiveulent participer à une grandecoalition morale, beaucoup plus

large qu’un Parti socialiste scindéen deux. Seul un tel rapprochement

peut empêcher la Hongrie de continuerà décliner. Akos Mester

tégie reviendrait à oublier que souvent la régle-mentation excessive, la défense de certains pri-vilèges, la perpétuation d’un secteur public quibénéficie aux nantis et non aux plus pauvres, toutcela est à la fois aberrant économiquement etsocialement injuste. Trop souvent, un Etat bien-veillant n’a fait que produire de nouvelles injus-tices, dans la mesure où il a favorisé ceux quin’avaient pas besoin de lui en excluant systéma-tiquement les autres.

Dans certains cas, garantir l’emploi à tout prixest une exigence qui doit être contrebalancée parles coûts que cette protection représente pourceux qu’elle empêche d’entrer sur le marché du

travail, créant ainsi de nouvelles inégalités.Même si elle se drape dans la défense des

acquis sociaux, la critique sociale peut êtreconservatrice et inégalitariste, ce qui

explique qu’aujourd’hui la gauchesoit associée à la conservationd’un statu quo.

Par quoi tout cela se traduit-ildans la crise économique actuelle ?

Jusqu’à présent, le principal échec de lapolitique a été d’oublier sa responsabilité en

matière de risques systémiques. La crise nousfait découvrir que la protection contre les risquessystémiques est aussi décisive que la lutte contreles inégalités sociales et que cette dernière n’estpossible que si l’on se prémunit contre lesditsrisques.

Tel serait le premier défi du nouvel ordre dujour social-démocrate : les contrats sociaux quenous devons renouveler ne nous lient pas seu-lement aux gens d’ici (notre génération, lesfonctionnaires, les salariés en général), mais éga-lement à ceux que l’on pourrait appeler des semi-absents (les citoyens de n’importe quel pays dela zone euro, les jeunes qui n’ont pas encore putravailler, nos enfants, les générations futures).

Le problème est de savoir comment penserla redistribution quand, pour le dire de manièreimagée, les droits de ceux qui sont à l’intérieur seheurtent aux droits de ceux qui sont à l’extérieur.Ce qui devrait nous importer avant tout, c’est de

6Suède

5Espagne

Baisser l’impôtsur le revenu

Le Parti social-démocrate destravailleurs (SAP) a beau rester une forceidéologique importanteen Suède, c’est le Moderaterna (particonservateur) qui, depuis les électionsde 2010, revendique la “défense destravailleurs” et celle de l’Etat providence. Le magazineconservateur Axessse demande commentles sociaux-démocratessuédois pourraientregagner de l’influenceaprès avoir perdu deux fois les élections,en 2006 et en 2010. Il constate que la Suède,au bout de cinq ans de gouvernement de droite, reste le paysdu monde où lesimpôts sur le revenusont le plus élevés.D’après Axess, il faudrait baisser cet impôt radicalement,jusqu’à 30 %, etaugmenter les impôtssur le capital et laconsommation. “L’Etatprend les deux tiers du salaire d’un cadresupérieur, mais neprend qu’un tiers du rendement desactions”, constate le magazine, quipoursuit : “HåkanJuholt [le nouveau chefdu Parti social-démocrate] a fermé la porte à une réformenécessaire des impôts,de peur d’être accusé de faire une politique de droite.” Et le journalde conclure : “C’estdommage pour lui, pour le parti et pour la Suède.”

� “On est venu, on a vu, on a facturé.” Dessin d’Arendt,Pays-Bas.

Rester unis

7Hongrie

Le marché n’est pas un gros mot

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Vainqueur de la droite en maidernier, le nouveau maire de Milan,Giuliano Pisapia, est un adepte des référendums. La gauche italienneobserve de près les méthodes de ce communiste bon teint.

La Repubblica Rome

Le tournant purement symbolique descent jours de Giuliano Pisapia à latête de Milan impose à l’équipemunicipale un premier bilan qui,comme on pouvait s’y attendre,se focalise essentiellement

sur les questions budgétaires. Mais, pour Pisapia, un bon

gouvernement découle d’uneconsultation continuelle desélecteurs. De ce point de vue, lanouvelle mairie a fait le maximumpour honorer ses promesses électo-rales. Comme le montre ce qui se passeactuellement avec l’Ecopass [mis en placeen 2008, ce péage urbain inspiré par celui deLondres va être renforcé et a fait l’objet d’uneconsultation par référendum des habitants deMilan]. Les titres des journaux, non sans raison,pointent du doigt l’aspect économique, mais lemaire précise que “l’objectif d’Ecopass n’est pas derapporter de l’argent à la ville, mais de réduire lesembouteillages et de rendre l’air plus respirable”.Pour arriver à ce résultat et respecter le résul-tat du référendum citoyen, quatre scénarios ontété mis au point par un groupe d’experts et ilsseront discutés au sein des différentes circons-criptions et dans les assemblées de citoyens. Puisla politique assumera toutes ses responsabilitésen faisant ce qu’on lui demande de faire avanttoute chose : prendre des décisions. Celles-cisembleront peut-être contraignantes pour la

plupart des gens, insatisfaisantes pour lesautres, mais si les dirigeants prennent le tempsde les expliquer, elles seront comprises. Cetteméthode, Pisapia l’a appliquée autant de fois quel’occasion s’est présentée [la ville a récemmentconsulté les Milanais pour avoir leur avis sur lemaintien d’une œuvre controversée de l’artisteitalien Maurizio Cattelan – un gigantesque doigtd’honneur dressé place de la Bourse]. L’équipemunicipale, malgré les difficultés économiques,n’a donc pas renoncé à son slogan de campagned’écouter davantage les citoyens et la ville, et devaloriser les expériences et compétences qui envalent la peine. Comme le montre cette autre

initiative [de l’adjoint au tourisme] qui aconsisté à proposer aux Milanais d’envoyer

des cartes postales pendant leursvacances pour signaler ce qui fonc-

tionne à l’étranger et qui pourraitêtre appliqué à Milan. D’aprèsles quelques cartes que les quo-

tidiens ont publiées, on s’aperçoitque, parmi les nombreuses sugges-

tions, il y en avait quelques-unes que lamairie pourrait reprendre à son compte :

construire une piste cyclable le long de l’ave-nue Sempione [à proximité d’un parc du mêmenom situé en plein centre de Milan], diminuerles prix des transports en commun pour les usa-gers occasionnels… Autant de petites choses auservice d’une ville plus agréable à vivre, un objec-tif que tout le monde devrait se fixer, y comprisles adversaires de Pisapia. Bien sûr, comme ledit le dicton, il reste toujours le problème de l’ar-gent. Mais, pour que le dialogue avec les citoyensse poursuive également à ce sujet, il suffirait quele budget de la ville soit consultable par tous afinque l’on sache si les euros qui viennent d’êtreinvestis dans l’Ecopass serviront bel et bien àfinancer ce plan de mobilité durable. La parti -cipation citoyenne doit bien être récompenséede temps en temps. Filippo Azimonti

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Consulter les citoyens

Janusz Palikot

“Je veux être le nouveaumessie de la gauche”,déclare Janusz Palikot,47 ans, dans les pagesde l’hebdomadaireNewsweek Polska.Cet homme d’affairespossède, entre autres,une maison d’édition et une fabrique de vodka. Il s’est mis à la politique il y a cinqans à peine. Figureemblématique du partilibéral au pouvoir, la Plate-forme civique,il a décidé de fairecavalier seul.Aujourd’hui, il dirige sa propre formation, Le Mouvement. Selonlui, le gouvernementest devenu l’otage del’Eglise. “Environ 77 %des Polonais sont pourl’imposition du clergé,70 % pour lalibéralisation de l’IVG.”Il défend l’euthanasieet veut autoriserl’adoption chez lescouples homosexuels.Il est contre lecatéchisme à l’écolepublique. Janusz Palikot pourraitcréer la surprise aux législatives du 9 octobre.

Et si l’on bougeait un peu ? Il faudraitfavoriser la mobilité professionnelleentre les pays de l’UE, estime un journaliste suédois.

Dagens Nyheter (extraits) Stockholm

On entend souvent dire que lazone euro n’est pas ce que l’onpourrait appeler une unionmonétaire optimale. C’est juste.Les prix comme les salaires ysont trop rigides, la producti-

vité et la compétitivité diffèrent trop d’unpays à l’autre, les politiques économiquesnationales empêchent toute évolution,et Bruxelles est dans l’incapacité de veniren aide à ceux qui en ont véritable-ment besoin. Mais une unionmonétaire peut-elle réellementêtre optimale ?

Les petits pays européens– et nous sommes tous petits, ycompris ceux qui ne s’en sont pasencore rendu compte – présententdes déséquilibres régionaux importants,qui sont atténués tant bien que mal par destransferts [de richesses] et des subventionsde Bruxelles.

La communauté européenne se fait appeler“union” alors qu’elle ressemble plus à uneconfédération au sens classique du terme – unmodèle politique dont l’Histoire nous a montréqu’il ne fonctionnait jamais.

Ce qui ne fonctionne pas en Europe fonc-tionne toutefois dans une fédération comme lesEtats-Unis. Et cela tient notamment à un para-mètre fondamental : la mobilité professionnelle.Derrière cet euphémisme se cachent bien sûrdes individus comme vous et moi. Pendantquelques années, j’ai vécu en Virginie, unerégion particulièrement riche et prospère desEtats-Unis. Mais il me suffisait de parcourirquelques kilomètres et de mettre le pied en Virginie-Occidentale pour arriver sur des terrestotalement abandonnées. Tout le monde étaitparti. Le travail se trouvait ailleurs. On peutpenser ce que l’on veut, mais c’est à cela queressemble un marché de l’emploi dynamique.

On ne bouge pas d’ici ! Voilà quel était notreslogan quand j’étais jeune. C’était le cri deguerre des rebelles du Norrland à l’époque oùl’on voyait bien que le travail était ailleurs – dansle Sud, toujours. Je crains que ce ne soit là uneréaction typiquement européenne. Le plom-bier polonais qui a essayé de penser autrementa été accusé en France de voler le pain desFrançais. En Europe, le fait d’aller là où il y adu travail est considéré par les citoyens commeune contrainte, presque comme un affront, etpar les pouvoirs publics comme un exode.Richard Schwartz

8Italie

La méthode intergouvernementale se révèle stérile, estime Andrew Duff,député européen britannique du Parti libéral-démocrate.

Financial Times (extraits) Londres

Les efforts désespérés des dirigeantsde l’Union européenne pour fairede l’Allemagne le centre de décisionde la politique économique n’indi-gnent pas que les Grecs : ils condui-sent les Etats de la périphérie de la

zone euro droit dans le mur. A mesure que lesconséquences politiques se feront sentir, la plu-part des gouvernements des Etats membres neseront plus que de précaires coalitions soumisesaux caprices de la politique intérieure, à desannées-lumière des véritables impératifs

d’une politique élaborée à l’échelon européen.Il est de plus en plus évident que, livrés à eux-mêmes, les dirigeants des pays de l’Union euro-péenne se révéleront tous incapables deproposer des mesures économiques sus-ceptibles de restaurer à court terme laconfiance des marchés et celle descitoyens en la démocratie. L’appro-fondissement du fédéralismeapparaît comme une solutionalternative à la poursuite decette méthode intergouverne-mentale manifestement stérile.Point crucial : il appartient à la Com-mission européenne et au Parlement deStrasbourg d’emprunter la voie du fédéra-lisme, empêchant du même coup le putsch duConseil européen qu’appelle de ses vœuxHerman Van Rompuy [actuel président duConseil européen]. Andrew Duff

9Union

européenne

Accepter le plombierpolonais

Pour un fédéralisme européen

10Union

européenneD

R

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France

du temps leur “nom de jeune fille”, commesi adopter le nom de son époux était d’uneévidence implacable. C’est pour cetteraison que deux organisations féministes[Osez le féminisme ! et Les Chiennesde garde] ont relancé [le 26 septembre] la

bataille pour en finir avec le terme“mademoiselle”.Cette polémique est close depuis long-

temps dans les pays anglophones (où lepréfixe Ms. a remplacé Mrs. ou Miss), demême qu’en Allemagne, où les jeunesfemmes ne sont plus guère appelées Fräu-lein, et même en Italie, où seuls le nom etle prénom – et non le titre de civilité –

sont exigés sur les formulaires. Mais laFrance est un pays extrêmementconservateur. Alors que, au Québec,des mots tels que “auteur” et “écri-vain” ont été féminisés, l’Académiefrançaise continue de retenir enotage “auteure” et “écrivaine”, etleur utilisation reste marginale : onpeut être actrice, mais pas autrice.Et comme le langage est parti- culièrement révélateur desmœurs, l’usage de “madame”ou de “mademoiselle” renvoieles femmes à leur conditionsociale supposée et diffé-renciée : celle de f e m m e smariées (c’est-à-dire quiappartiennent à leur mari,selon le sens premier duterme) ou non. Il en va demême pour le “nom de

jeune fille”, affirmentles deux organisa-tions féministesimpliquées. “C’est

un reliquat de l’époque où les femmes étaientconsidérées comme des mineures, et ne pou-vaient donc rien faire sans l’approbation deleur mari.”

En théorie, la campagne n’a aucuneraison d’exister  : plusieurs circulairespubliées en 1967 et 1974 sont censées avoirréglé la question. Pourtant, dans les faits,la distinction entre “madame” et “made-moiselle” continue de s’appliquer. Faudrait-il donc une loi  ? Non, répondent lesanimatrices de la campagne, d’autant qu’uncertain nombre de documents officiels pré-cisent depuis longtemps déjà que ces deuxtermes n’ont aucune base juridique. Il suffi-rait de publier une nouvelle circulaire quimette une bonne fois pour toutes un termeà cette distinction dans l’administrationpublique. Le reste devrait suivre. A com-mencer par les banques, où il est encoreimpossible de choisir le titre de “madame”sur son chéquier si l’on n’est pas mariée.Une nouvelle marque de sexisme ordinaire,affirment les organisations féministes.“Demande-t-on à un homme s’il est marié ?”Rarement, en effet, et certainement pas surles formulaires.

Est-ce une bataille indispensable  ?Selon certains défenseurs des droits de lafemme, comme Olivia Cattan [la prési-dente de l’association Paroles de femmes],pas tant que ça : il serait plus utile de luttercontre les violences et les discriminationsplutôt que de se battre pour une revendi-cation sémantique, aussi justifiée soit-elle.Giampiero Martinotti* En français dans le texte

www.madameoumadame.fr, lesassociations ont mis à dispositionune lettre type à adresser au ministère de l’Intérieur, afin qu’il revoie ses formulaires dans ce sens et donne ainsi l’impulsion.

Les faits. La campagne“Mademoiselle, la case en trop”,lancée le 27 septembre, vise à obtenir la suppression de la case“mademoiselle” sur les documentsadministratifs. Sur le site

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Deux associations réclamentque le terme soit supprimé des documents administratifs,ce qui signerait la fin d’unespécificité bien française.

La Repubblica Rome

�M esdames, Mesdemoiselles,Messieurs”* : la formule estrestée la même depuis plu-

sieurs siècles. On a beau la savoirdésuète, il n’empêche qu’elle est tou-jours employée lors de discours plusou moins formels. Comme il est toujoursnécessaire de cocher la case madame,mademoiselle ou monsieur sur le moindreformulaire, administratif ou autre : pour ledire autrement, Isabelle Dupont est tenuede dévoiler si elle est mariée ou non, dèslors qu’elle veut faire ses achats en ligneou entreprendre une démarche à la mairie.Dans la patrie qui se réclame des droits del’homme – souvent à juste titre, mais par-fois aussi à tort –, les femmes sont encorecataloguées selon le vocabulaire de l’An-cien Régime. Certes, au XVe siècle, Made-moiselle était la fille de Monsieur, le frèredu roi. Mais, depuis le XVIIe siècle, ce titredésigne les femmes célibataires. Il s’agitbien là d’une discrimination, puisque per-sonne ne donnerait de nos jours du“damoiseau” à un jeune homme, sinon parplaisanterie.

Et pourtant, dans la France de 2011,les femmes doivent encore et toujoursrépondre à cette sempiternelle ques-tion : madame ou mademoiselle ? Etqui plus est, en précisant la plupart

La polémique relancée à propos du terme“mademoiselle” est suivie avec beaucoup de curiosité parnos voisins britanniques.“Tu m’as dit ‘madame’/ Ça m’afendu l’âme/D’un coup de pieddans mon réveil/J’avais pascompris/Suis plus une fille.”Attention, danger ! Pourexpliquer à ses lecteurs l’emploidu mot “mademoiselle”, Adam Sage, le correspondant du Times de Londres, a choiside citer une chanson de JaneBirkin intitulée Madame. “Enthéorie, on ne devient ‘madame’qu’une fois mariée. Mais, dans la conversation courante, les demoiselles se font appeler‘madame’ dès qu’elles avancenten âge et quel que soit leur

statut marital. Le passage sefait généralement vers l’âge de 30 ans, mais il n’y a pas de règle stricte et il faut un certain discernement pour éviter les faux pas”,prévient le journaliste.Adam Sage n’est pas le seuloutre-Manche à avoir relayé la campagne lancée en Francecontre l’emploi administratif du mot “mademoiselle”. Une foisde plus, la nouvelle a servi de prétexte pour examiner les particularitéssocioculturelles qui séparenttant Français et Britanniques.“Le problème ne porte passeulement sur l’attitude des hommes français et unecertaine condescendancebureaucratique ; il concerne

également la façon dont les Françaises se voient elles-mêmes et perçoivent la relationhommes-femmes”, souligneainsi Kim Willsher dans The Guardian. Or “la dansedes sexes suit son propre rythmeet sa propre dynamique en France, où l’on n’a jamais toutà fait remis en cause cette idéehéritée de l’Ancien Régime quiveut que les hommes soientgalants et séducteurs, et lesfemmes séduisantes et prêtes à être séduites, poursuit la journaliste, installée à Paris. En acceptant cela, lesFrançaises considèrent souventque leur relation avec le sexeopposé est plus sophistiquée et plus éclairée que celles des Américaines ou des

Britanniques, parfois tenuespour ternes, politiquementcorrectes et puritaines enmatière d’amour et de passion.”A tort ? Agnès Poirier, dans The Independent, est l’une des rares à ne pas trouvercondescendant l’emploi du mot“mademoiselle”. Tout au plus unpeu “vieux jeu”, reconnaît cetteFrançaise établie à Londresdepuis 1995 et collaboratricerégulière de la pressebritannique. “Tous les cinéphilesse souviennent de cette scène,dans Le Troisième Hommede Carol Reed [1949], où quatresoldats des forces alliées vontarrêter Alida Valli en pleine nuit,avance-t-elle à titre d’exemple.Les hommes attendent devantla porte pendant qu’elle

s’habille. Alors qu’elle prend sonsac et commence à les suivre, le soldat français ramassequelque chose par terre et lui dit : ‘Votre rouge à lèvres,Mademoiselle.’ Cette scène faittoujours gentiment sourire.”Pour celles qui voudraienttoutefois être traitées à l’égaldes hommes, par le recours à appellation unique, AgnèsPoirier avance une solutiontoute faite. “J’ai une propositionplus radicale à faire à messœurs françaises. Remettons à la mode le mot ‘citoyen’,comme en 1789. Cela nous feraitcertainement du bien de nousinterpeller à nouveau avec lestermes ‘citoyen’ et ‘citoyenne’. Je pense que Simone deBeauvoir aussi apprécierait.”

Débat

Mauvais genre

� Dessin d’Otto paru dans The Guardian,Londres.

Féminisme

Elles veulent tuer le “Mademoiselle”!

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France

non (cette personne n’avait aucun moyende savoir si j’étais l’épouse de quelqu’un.Elle savait juste que j’étais jeune). J’ai pro-noncé l’apostrophe à haute voix, en pesantsa signification. Ce titre de civilité, qui aun lien étymologique avec “damoiselle”, asans nul doute une connotation médiévale.Il subsiste incontestablement quelquechose de dépréciatif dans le mot, désignantune femme vierge, pas encore mariée. Pasétonnant que cet héritage patriarcal donneaux Françaises le sentiment d’être traitéesavec condescendance. Ce casse-tête n’exis-terait pas en Angleterre, où on l’a coutumed’utiliser “Ms” par défaut quand ons’adresse à une inconnue.

J’imagine que l’absence d’alternative apour origine quelques truismes sur la cul-ture française, dans laquelle la coquetterie

féminine est portée au pinacle – au pointqu’elle devrait figurer sur la liste desemblèmes nationaux. Nous [les Français]sommes également très attachés à une éti-quette vieillotte et fastidieuse dans nosrelations sociales. Demandez à n’importequel étranger qui a eu un jour à contacterun supérieur hiérarchique en France : lenombre de règles à respecter pour écrireet signer convenablement une simple lettrevous donne le vertige. La plus légère fautepourrait offenser mortellement votre cor-respondant. En comparaison, la simplicitédes protocoles anglais et américains est unsouffle d’air frais.

Toute réticence à changer peut êtreaussi imputée à la révolution féministefrançaise, qui s’est déroulée d’une manièrebeaucoup plus calme et réservée que dans

le monde anglophone – presque comme sielle avait honte d’elle-même. Les groupesde défense des droits de la femme militenten vain depuis des décennies pour l’aban-don du mot “mademoiselle”, leur reven-dication étant généralement escamotée pardes médias qui adorent les ridiculiser.

Malgré toutes les discussions qui onteu lieu en France sur la “parité politique”,n’oublions pas que Ségolène Royal a été lapremière femme à devenir une candidatesérieuse à une élection présidentielle. Lesprogrammes d’études sur la problématiquehommes-femmes sont rares. Le féminismereçoit les louanges des journalistes et deshommes politiques lorsqu’il s’applique àdes initiatives visant à “sauver” les mino-rités féminines d’elles-mêmes [allusion àla polémique sur le port du voile isla-mique], et non à étudier les inégalitésstructurelles qui perdurent dans tous lesmilieux sociaux. Les groupes féministesparviennent à obtenir une bonne couver-ture médiatique, mais sans jamais avoir lepoids suffisant pour convaincre les politi-ciens. Personnellement, je n’ai jamaisété traitée dans le monde du travail auRoyaume-Uni avec autant de condescen-dance qu’en France, où les hommes d’uncertain âge avaient une sérieuse tendanceà manifester des problèmes d’audition dèsque j’ouvrais la bouche.

Je doute que les Françaises aient unjour la possibilité de choisir un termeneutre, comme “Ms”. Ce serait prendrenos désirs pour des réalités que de croirequ’on va supprimer “mademoiselle” denotre vocabulaire : je ne le vois pas tomberen désuétude. D’un autre côté, je pensequ’Aurélie a raison  : se faire appeler“madame” est actuellement le seul choixqu’aient les femmes jeunes qui n’acceptentpas le statu quo. Parfois, j’aimerais vrai-ment que la France soit en phase avec lereste du monde. Jessica Reed

Conservatisme

Une cause perdue d’office

Les

archives

www.courrier

international.com Les Françaises. Elles sont belles,brillantes, libres… La presse étrangères’extasie régulièrement sur elles. Mais de tels discours ne seraient-ilspas un brin sexistes ? Courrierinternational a enquêté (n° 948, paru le 1er janvier 2009).

La chroniqueuse franco-britannique Jessica Reed douteque les féministes obtiennent la peau du “mademoiselle”.Faute d’être prises au sérieux.

The Guardian Londres

�I l y a quelque temps, j’étais à Paris,assise à la table d’un coupled’amis français. Au cours de la

soirée, mon amie s’est excusée avant depasser dans la pièce voisine pour télépho-ner à son propriétaire. Je l’ai entenduelaisser ce message sur son répondeur  :“Bonsoir, c’est Madame Aurélie Duchamp. Jevous téléphone à propos du loyer de ce mois-ci.” J’ai levé les sourcils. Depuis quand uti-lisait-elle “madame” pour se présenter ?

Vivant à Londres depuis l’âge de vingtet quelques années [après avoir grandi enFrance], je n’ai jamais eu à me présentercomme “mademoiselle”, et il ne m’étaitdonc jamais venu à l’esprit de mettre cetusage en question. J’ai demandé à monamie pourquoi elle utilisait ce terme, alorsqu’elle n’était pas mariée et n’avait mêmepas trente ans. Aurélie a levé les yeux auciel, manifestement peu impressionnée parma remarque. “C’est plus facile pour vous, del’autre côté de la Manche, avec vos ‘Miss’,‘Mrs’ et ‘Ms’. Ici, en me présentant comme“madame”, je me fais davantage respecter, enparticulier au travail, et surtout au téléphone.Les gens me prennent au sérieux, ce qui n’estpas toujours le cas quand j’utilise “mademoi-selle”. “Madame”, ça me va très bien, merci !”

J’avais oublié cette conversation jus-qu’à ce que, récemment, je reçoive un cour-riel d’une Française qui débutait par“Chère Mademoiselle”. Curieusement,cette appellation m’a agacée, car la règleveut que l’on utilise “madame” quand onne sait pas si la destinataire est mariée ou

Il peut être doux, en certainesoccasions, de se faire appeler“mademoiselle”. Le point devue d’une philosophe italienne.Madame ou mademoiselle ? Je ne sais pas. Cela dépend.Parfois, c’est seulement unequestion de contexte – même si,en général, cela ne me plaît pasdu tout d’être appelée de cettefaçon. Pour mes amis,je suis simplement Michela. Pour les autres, je voudraistoujours et uniquement être la professeure Marzano [en italien : “la ProfessoressaMarzano”]. Mais ici, en France,

c’est plus compliqué. Parce que,au-delà de la fonction qu’unefemme occupe, on s’adresse à elle en employantexclusivement le titre“madame” ou “mademoiselle”.Alors, que dire ? Eliminer une foispour toutes ce “mademoiselle”qui irrite tant les féministes ou bien faire comme si de rienn’était et se concentrer sur les inégalités entre les hommes et les femmes ?Un “mademoiselle” lancé dans la rue ou au bar me touche.Pendant quelques instants, il me permet d’avoir l’illusion

d’être encore une jeune fille.Comme si le temps s’étaitarrêté. Comme si j’étais encoreune étudiante. Et aussi parceque je ne crois pas que, dans ce type de situation, on setrouve en présence d’une formede machisme. On se le dit ainsi,un peu par jeu. Alors, il suffit de ne pas se prendre trop au sérieux et de répondre auMonsieur* qui vous adresse ainsila parole par un simple “Merci,jeune homme*”. Et on en reste là.Mais c’est différent lorsque le “mademoiselle” est employédans un contexte plus officiel,

par exemple lors d’un congrèsuniversitaire ou sur le plateaud’une émission télévisée, parce que, dans ce cas, le “mademoiselle” n’est jamaisneutre. On l’emploiedélibérément. Pour déstabiliser.Pour ne pas prendre au sérieux.Pour se focaliser sur un aspectde la vie privée qui, avec le rôlequ’il représente, n’a absolumentpas à entrer en ligne de compte.En France, on ne plaisante pasavec ces choses-là. A uneprofesseure d’université, le titrede “madame” revient de droit.Peu importe l’âge – ou le fait

qu’une femme soit célibataireou mariée. Alors, oui, à certainsmoments, être appelée“mademoiselle” m’agace. Mais,même dans ces circonstances,il ne faut pas en faire unemontagne. Votre interlocuteurse discrédite lui-même. C’est lui qui fait piètre figure en public.Michela MarzanoLa Repubblica Rome* En français dans le texte.

L’auteure : née à Rome en 1970, MichelaMarzano vit en France depuis une dizained’années. Philosophe, spécialiste du statutdu corps humain dans les sociétés, elle estchargée de recherche au CNRS et enseigneà l’université Paris-Descartes.

Témoignage

“L’illusion d’être encore une jeune fille”

� Dessin de Balaban, Luxembourg.

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Au congrès de Manchester, le Parti conservateur au pouvoirest chahuté pour sa politique de rigueur.

The Guardian, Londres

L e congrès du Parti conserva-teur s’est ouvert à Manchesterle 2 octobre par une manif es-

tation de 30 000 personnes dénonçantles coupes budgétaires du gouverne-ment et par un discours de lady Warsi[ministre sans portefeuille du gouver-nement Cameron] rendant hommage àla stratégie économique de la coalition[qui associe conservateurs et libéraux-démocrates].

Dans l’après-midi, les conservateursse sont rassemblés au palais des CongrèsManchester Central, tandis que des mani-festants défilaient dans Princess Streeten brandissant des pancartes disant “Nonaux coupes budgétaires”, “Réagissons” ouencore “Il doit partir”, un message accom-pagné de la photo de David Cameron.Baptisé “L’alternative : emplois, crois-sance, justice”, ce défilé était organisé parle TUC [Trades Union Congress, laconfédération syndicale britannique]pour dénoncer le plan de coupes budgé-taires adopté par la coalition.

Les manifestants scandaient des slo-gans tels que “Les travailleurs unis ne

Europe

seront jamais vaincus”, “Pas de si, pas demais, pas de coupes des tories” et “DavidCameron, reprends ton vélo ! Nous voulonsune grève générale”.

Dans son discours d’ouverture duCongrès, la ministre Sayeeda Warsi aabordé de front le sujet du déficit et dela réduction drastique des dépensespubliques décidée par le gouvernementdans l’espoir de le résorber. “L’an dernier,j’ai promis que nous nous attaquerions audéficit et cette année je vous promets que nous

nous tenons à nos engagements.” Dans toutle pays, a-t-elle ajouté, “des familles font dessacrifices. […] Je sais ce qu’on ressent. Monpère aussi a perdu son emploi. […] Oui, c’étaitdur.” Mais il s’agit, selon elle, de choisirentre “la bonne vie maintenant en faisantexploser sa carte de crédit” et “un avenirstable et sûr pour nos enfants”. “Nous faisonsen sorte que la génération actuelle ne mettepas la prochaine en faillite”, a-t-elle ajouté.

Mme Warsi en a profité pour lire des extraits d’un discours prononcé une

semaine plus tôt par Ed Miliband, le chefde file de l’opposition, au congrès des tra-vaillistes et s’est adressée à lui en cestermes : “Si vous croyez vraiment ce quevous dites, alors où étiez-vous donc ces treizedernières années ? C’est votre gouvernementqui a créé cette ‘culture du tout-gratuit’.[…] Faire porter à nos enfants le fardeau[du déficit budgétaire], c’est cela que j’ap-pelle la culture injuste et parasitaire du‘tout-gratuit’. Ce sont eux, ce sont les travaillistes qui l’ont créée.” Et elle aajouté : “Quand on est au pouvoir, on doitprendre les bonnes décisions, même si ellessont impopulaires.”

Le ministre des Finances, GeorgeOsborne, a observé que les défilés necontribueraient pas à améliorer l’état del’économie. “C’est votre droit démocratiquede manifester”, a-t-il dit. “Mais au bout ducompte, cela ne va pas faire repartir l’éco-nomie. Chaque emploi perdu est regrettable,mais je fais mon possible pour en créer denouveaux. Il y a eu 500 000 créations d’em-plois l’an dernier.”

Tony Lloyd, le député travailliste dela circonscription de Manchester Cen-tral, était en tête de la manifestation. “Lesgens d’ici sont en colère, mais beaucoup ontpeur, a-t-il observé. Le gouvernement privenos services publics de milliards et de milliards. Même des dirigeants conserva-teurs demandent aujourd’hui à GeorgeOsborne d’adopter un plan B et de relancerla croissance.” Paul Owen

Royaume-Uni

Les manifestants contre les “appels au sacrifice”

Estonie

Un appart pour un visaLe phénomène intrigue les autorités et les agentsimmobiliers : de plus en plus de Russes achètent desappartements sans jamais y mettre les pieds. La raison :être propriétaire leur permetd’obtenir un visa Schengen.

Postimees (extraits) Tallinn

E n déboursant 10  000  eurosauprès d’un agent immobilier,un habitant de Moscou est

devenu propriétaire d’un appartement àIda-Virumaa [nord-est de l’Estonie]. Cen’est qu’un exemple, parmi des dizainesd’autres, de Russes qui, suite à l’achat d’unappartement en Estonie et sans même yêtre installés, profitent du visa estonienque cette acquisition leur a permis d’ob-tenir pour aller faire du shopping à Paris.

Dans la région d’Ida-Virumaa, Vokaest un joli petit hameau au bord de la mer,

qui compte environ 1 000 habitants. Auxcôtés des maisons individuelles se trou-vent une douzaine d’immeubles de vingt-quatre appartements chacun. Quatrehommes à peine se partagent l’un de cesimmeubles. Presque tous les autres appar-tements ont été vendus à des citoyensrusses. Or, personne n’a jamais rencontréces nouveaux voisins venus de l’autre côtéde la frontière. Ils ne s’y sont jamais ins-tallés. “L’autre jour, j’ai parlé avec un agentimmobilier de Jõhvi [une ville proche], qui areconnu que les appartements à Voka sontpris d’assaut par les Russes”, raconte UrsiJoost, le syndic de l’une des copropriétés.

La majorité des appartements restentvides et les factures impayées s’accumu-lent. On trouve certes quelques habitantsde Moscou qui aiment venir ici passer leursvacances d’été au bord de la mer. Ou encoreceux qui arrivent de Saint-Pétersbourgpour le week-end et se réjouissent d’avoirune petite résidence à Voka car, dans leurgrande ville, les enfants manquent d’es-pace pour courir. Ils apprécient la nature

charmante et le fait de pouvoir parler russe.Mais ce sont des cas exceptionnels. Car ily a surtout ceux qui, après avoir acheté unappartement, sont partis sans mêmefermer les fenêtres pour l’hiver.

A Jõhvi, où un appartement de deuxpièces coûte environ 8  000  euros, lesRusses ont rarement cherché à payer plusde 10 000 euros. Rasmus Lumi, ex-consuld’Estonie à Saint-Pétersbourg, expulsé parles autorités russes en mars dernier, estaujourd’hui directeur général du serviceconsulaire du ministère des Affaires étran-gères. Dans le cas de Voka, il voit claire-ment un plan pour obtenir un visa. “Cen’est qu’une supposition, mais rien ne permetde l’infirmer.”

Posséder un bien immobilier en Esto-nie ne garantit pas automatiquement l’ob-tention d’un visa. Cependant, les citoyensrusses peuvent penser, non sans raison,que s’ils sont propriétaires en Estonie ilsobtiendront un visa plus facilement. Sur-tout si leur “historique” dans les fichiersSchengen est sans accroc et que l’on sait

qu’ils viennent ici pour s’occuper de leurpropriété. “Si l’on apprend au contraire quequelqu’un en abuse, il n’obtiendra pas sonvisa aussi facilement à l’avenir”, ajouteRasmus Lumi.

Le diplomate précise qu’il n’est paspossible de vérifier combien de visas ontété accordés à la suite d’achats immobi-liers, car ils ne font pas l’objet d’un enre-gistrement spécifique.

“Nous avons évoqué ces questions avecdes parlementaires, avec le ministère desAffaires étrangères, avec la police et les gardes-frontières, mais il n’y a pas grand-chose àfaire”, reconnaît le gouverneur d’pIda-Virumaa, Riho Breivel. “Légalement on nepeut rien faire. En soi, il n’y a rien de graveà ce que des Russes achètent des appartementsici, car beaucoup d’entre eux ont un pouvoird’achat élevé. Mais parfois les choses ne sontpas si simples. Le pire, c’est quand les dettess’accumulent. Les tout nouveaux proprié-taires disparaissent tout simplement, et lescopropriétés se retrouvent avec des pro-blèmes.” Tuuli Koch et Erik Kalda

� Le nouveau Premier ministre promet “l’austérité” pour sauver l’économie britannique.“Austérité ? Un peu tard chef… ça fait cinquante ans qu’elle est morte.” Dessin de Danziger, Etats-Unis.

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28 � Courrier international | n° 1092 | du 6 au 12 octobre 2011

Europe Tauromachie La France est devenue cette année le premierpays du monde à inscrire les courses de taureaux au Patrimoine culturel immatérielnational. De nombreuses

associations antitauromachie ont dénoncé cette initiative, quipermettra désormais à la corrida de bénéficier de subventions locales. En France, l’article 521-1 du codepénal sanctionne les “actes

L’interdiction de la corrida en Catalogne espagnole a priseffet le 25 septembre après un spectacle réunissant 18 000aficionados à Barcelone. Maiscet art est désormais en pertede vitesse dans toute l’Espagneet la fréquentation des arènesest en baisse.

El País (extraits) Madrid

�L orsque la corrida des matadorsJuan Mora, José Tomás etSerafín Marín s’est achevée, le

dimanche 25 septembre, les portes [desarènes] de La Monumental de Barcelonese sont fermées pour toujours. Les tau-

reaux ne reviendront pas en Catalogne. Lapolitique catalane est descendue dansl’arène et, pour des raisons qui n’ont rienà voir avec la protection des animaux (lescorrebous [courses de taureaux dans lesrues] continuent à bénéficier de la protec-tion publique), elle a donné le coup degrâce à une tradition qui certes était enperte de vitesse et trouvait peu d’écho dansla société, mais ne méritait pas pour autantune éradication définitive.

En Catalogne, la corrida a perdu lapartie à cause de la pression continuelledu nationalisme, mais aussi de la négli-gence abyssale des protagonistes de lafête. Dans le reste du pays, elle se trouveà un carrefour, presque toujours vers unevoie de garage, en raison de circonstancesvariées. Le manque d’intérêt des gou-

vernements centraux successifs, la criseéconomique, les structures obsolètes del’activité, la division des divers secteursprofessionnels, la pression politique etsociale des militants anticorrida, la fuitedes aficionados et l’ennui régnantpresque toujours dans les arènes sontquelques-uns des symptômes qui façon-nent un présent chargé d’interrogationset un avenir inquiétant.

Un “produit culturel”Nous avons publié l’été dernier les résul-tats d’une enquête sur l’intérêt que suscitela corrida dans la société espagnole : 37 %des sondés disaient être des aficionados et60 % affirmaient aimer la tauromachie. Cesdonnées contrastent vivement avec l’im-portance accordée à la corrida pendant

presque tout le XXe siècle et montrent lechangement progressif des us et coutumes,une sensibilité croissante à la protectiondes animaux et la survivance d’un spectacleenraciné dans le passé, obsolète et presquetoujours ennuyeux, qui a poussé beaucoupd’aficionados à déserter les arènes. Malgrécela, la corrida est le deuxième spectacle[après le football] qui attire autant de spec-tateurs en Espagne.

Le secteur essayait de se remettre del’interdiction catalane lorsque AlfredoPérez Rubalcaba, à l’époque vice-prési-dent du gouvernement [aujourd’hui têtede liste socialiste aux élections législativesdu 20 novembre], a annoncé que la corrida passerait de la compétence duministère de l’Intérieur – qui s’en occu-pait pour des raisons d’ordre public –

Espagne

Corrida : les aficionados s’ennuient, la fête s’éteint

OAN

KIM

/MYO

P� A la feria de Séville, on se fait prendre en photo avec un taureau empaillé.

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puissante et altière de jadis, mais un maladefaiblard qui fait de la peine. La fraude aenvahi cet univers en toute impunité. Beau-coup pensent par exemple que peu de tau-reaux entrent dans l’arène avec les cornesintactes, et les substances (en fait, desdrogues) qui modifient leur comportementrestent un sujet tabou.

Les éleveurs sont au service des appa-rences. Ce sont des généticiens autodi-dactes qui se creusent la cervelle pour quela férocité d’autrefois (Ortega y Gassetqualifiait les taureaux de “professionnels dela furie”) ne se transforme pas en placiditébovine. Mais ils font leurs sélections sansmodèle et manipulent des facteursinstables comme la race, le courage ou lanoblesse non pas au bénéfice de la fêteelle-même, mais de leur client, le torero.

De plus, les éleveurs professionnelsne sont pas nombreux. Beaucoup de ceuxqui se consacrent à cette activité viennentdes grandes fortunes du bâtiment et necherchent pas la rentabilité, mais seule-ment le plaisir. Au registre officiel figu-rent au total 1 350 entreprises d’élevage,

réparties en 5 associations. Toutes lessources que nous avons consultées s’ac-cordent à constater que l’élevage du tau-reau de combat ne rapporte pas d’argent.Les prix de vente se maintiennent (éleverun taureau pendant quatre ans coûteentre 4 500 et 5 000 euros, le prix d’unecorrida va de 24 000 euros pour les arènesde troisième catégorie à 90 000 eurospour celles de première catégorie), et lesfrais fixes engagés dans la production necessent d’augmenter.

Coup de corneLa crise économique est un autre fardeauqui a des effets pernicieux pour la fêtetaurine. Selon des données du ministèrede l’Intérieur, le nombre de spectacles detauromachie a diminué de 34 % en troisans : de 2 622 en 2007 à 1 724 en 2010. EnAndalousie, la région la plus active dansce domaine, leur nombre a diminué de51 % au cours de la même période.

Et le gouvernement… Les gouverne-ments démocratiques de ce pays ne sesont jamais distingués par leur soutien à

La corrida réunit ses opposantset ses partisans sur un seul point : ce spectaclen’attire plus la jeunesse.

El País Madrid

�L es amateurs de tauromachiereconnaissent que les jeunes nes’intéressent plus à la corrida à

cause du prix élevé des spectacles. De leurcôté, si les défenseurs des animauxconstatent eux aussi cet éloignement dela jeunesse, ils l’estiment irréversible : lacorrida est selon eux incompatible avecla sensibilité et les préoccupations écolo-giques des jeunes.

Mariano Aguirre, président de la Fédé-ration taurine espagnole, ne mâche pas sesmots : “Assister à une corrida coûte cher, trèscher. Si une famille doit surveiller son budget,elle réduira les loisirs. Et, sans public, ce spec-tacle n’a aucun sens.” Pour Antonio GarcíaJiménez, directeur des arènes de Barce-lone, la corrida est “comme le pays, au borddu gouffre. L’avenir n’est pas si noir, mais nousdevons faire venir les jeunes et ne pas attendrequ’ils aient vieilli pour apprécier la feria.”

Les difficultés économiques queconnaît le pays affectent également lesganaderias. Carlos Núñez, président del’Union des éleveurs de taureaux decombat, relève plusieurs problèmes dansson secteur : “La crise a provoqué une réduc-tion drastique des corridas, nous avons parconséquent un excédent d’animaux. En outre,les normes sanitaires sont inadaptées auxcaractéristiques des taureaux sauvages. A cela

il faut ajouter que certaines races sont en voiede disparition et, sans mesures adéquates, ris-quent de s’éteindre. Cette situation oblige leséleveurs à agir de manière plus profession-nelle, à être plus exigeants sur la sélection età mieux appréhender la demande du publicpour offrir des spectacles attrayants.”

Opposants comme aficionados sontau moins d’accord sur une chose : lesjeunes joueront un rôle déterminant. Pourles uns, ils sont les garants de l’avenir.C’est ce qu’expliquait récemment letorero Cayetano Rivera Ordóñez dans une

à celle du ministère de la Culture. Ledécret royal régularisant ce transfert a étépublié dans le Bulletin officiel espagnol[BOE] le 31 août. Le monde taurin s’en estréjoui avec raison, ce décret reconnais-sant la tauromachie comme “une disciplineartistique et un produit culturel”, rangauquel les amateurs de corrida aspiraientdepuis toujours.

Espérons que le ministère de la Cul-ture “encouragera et protégera la corrida euégard à la tradition et à l’importance cultu-relle de cette fête”, comme le dit le décret,et que le ministère de la Culture engagerale processus administratif et législatifnécessaire pour que la corrida soit sou-mise à une TVA de 8 %, comme toutes lesmanifestations culturelles, au lieu de 18 %à l’heure actuelle.

Mais ce pas en avant, d’une importanceincontestable pour ce spectacle, ne fait pasoublier de graves carences, loin de là. Pourcommencer, celui qui a inventé la corridane reconnaîtrait même pas le taureau, sonprincipal protagoniste. Aujourd’hui, à derares exceptions près, ce n’est plus la bête

Courrier international | n° 1092 | du 6 au 12 octobre 2011 � 29

de cruauté envers un animaldomestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité”. Mais cetteinterdiction ne s’applique pas à la corrida du fait de son caractèretraditionnel dans certaines

régions de France. Cent treizecorridas ont été organisées en 2010 en France, soit 4 de plusque l’année précédente. Elles ont rassemblé plusieurs centainesde milliers de spectateurs.

Avenir

Où sont les jeunes ?

la fête taurine. Ni leurs présidents. La télé-vision publique espagnole [TVE] neretransmet plus de corridas depuis le14 octobre 2006.

Que nous réserve l’avenir ? [Le torero]José Tomás représentait l’espoir d’unerévolution nécessaire, mais un grave coupde corne à Aguascalientes a freiné pourl’instant son ardeur et celle de tous.

Le secteur a absolument besoin d’unerénovation, qui doit aller au-delà du statutde bien d’intérêt culturel accordé par laFrance, les communautés autonomes deMadrid, de Valence et de Murcie, et plu-sieurs villes. La fête doit s’adapter àl’époque. Il y a trop d’élevages, trop detoreros (on en recense 712), trop d’im-présarios (327) et, surtout, trop de com-portements individualistes et nonsolidaires. Il faut davantage de défenseursde la pureté de l’art et des intérêts desspectateurs. Les données économiquesdu secteur (2,5 milliards d’euros de chiffred’affaires, soit 0,25 % du PIB, et 200 000emplois directs) l’exigent. Antonio Lorca

OAN

KIM

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P

interview : “Les jeunes ne viennent pas parceque rien ne leur est proposé, ni en matière deprix ni en ce qui concerne l’organisation desferias. Nous n’avons rien fait pour nous rap-procher des nouvelles générations.” Pour lesautres, les jeunes sont au contraire desalliés de choix pour éradiquer la corrida.Helena Escoda est membre de la com-mission à l’origine d’une initiative légis-lative populaire pour l’abolition descorridas : “De nos jours, les jeunes sont plusrespectueux de la nature et des questions d’en-vironnement. Fort heureusement, ils ne sont

pas portés vers ce spectacle d’un autre âge.”C’est également l’avis de Juan López deUralde, fondateur du [parti écologiste]Equo et ancien directeur de Greenpeace :“La procédure d’interdiction en Catalogne aété exemplaire, avec des débats ouverts etnourris. Le résultat est plutôt logique : com-ment peut-on encore exploiter la souffranceanimale aux seules fins de divertissement ?La société est en train de changer et ce déclinen est le reflet.”

L’Union des picadors et des bande-rilleros, un collectif qui réunit un grandnombre de professionnels de la tauroma-chie (plus de 2 000), commence à s’in-quiéter. Pour Fernando Galindo, sonsecrétaire général, l’avenir de la corridas’est joué en Catalogne. “Nous n’avons pasréussi à nous faire entendre et à séduire unnouveau public. Le danger, ce n’est pas qu’oninterdise les corridas en Catalogne mais biences messages simplistes et apitoyés.” IgnacioLloret, directeur des arènes de Valenceet représentant d’une nouvelle généra-tion de chefs d’entreprise, insiste sur lanécessité de ne pas sombrer dans lecatastrophisme  : “A Barcelone, on vafermer deux endroits [deux arènes] qui mar-chaient très bien. Mais personne ne peut riencontre cette démonstration de force ni contrela crise économique. Quant aux politiques,ils n’iront jamais à l’encontre d’une sociétéqui s’exprime de manière aussi catégorique.”

Juan Diego, matador et directeur del’Union des toreros, refuse de se rési-gner : “Il n’est pas logique de vouloir sup-primer l’un des deux plus grands spectaclespopulaires de ce pays.”Rosa Jiménez Cano

� Le torero José María Manjanares dans les arènes de Séville.

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A voir la zone euro tomber de Charybde en Scylla, faut-ilconclure que l’euro estcondamné ? Certains estimentque les eurosceptiques ont gagné et demandent des comptes aux partisans de la monnaie unique.

The Spectator Londres

�D ans l’histoire, peu de factionsou de mouvements ont rem-porté une victoire aussi com-

plète et aussi écrasante que celle desconservateurs eurosceptiques aujour-d’hui. Ils apparaissent désormais commeles maîtres du jeu. Non seulement ils onteu raison quant à la monnaie unique,principal enjeu économique de notretemps, mais ils ont eu raison pour lesbonnes raisons.

Ils avaient prévu avec une luciditéquasi prophétique comment et pourquoil’euro allait entraîner dans son sillage ladévastation financière et l’effondrementdes sociétés. Pendant ce temps, les pro-européens se retrouvent dans la mêmesituation que les pacifistes en 1940, ou lescommunistes après la chute du mur deBerlin : parfaitement KO. Penchons-noussur le cas du Financial Times, qui se targued’être la meilleure publication économiquede Grande-Bretagne. La plus grosse erreurconcerne l’euro. Le FT s’est jeté à corpsperdu dans le camp des pro-euro, adhé-rant à leur cause avec une ferveur toutereligieuse, sans laisser aucune place audoute. Ecoutons un peu ce que nous disaitLex dans sa chronique, le 8 janvier 2001,au sujet de l’entrée de la Grèce dans lazone euro : “Comme les échanges avec laGrèce se feront désormais en euros, peu degens pleureront la disparition de la drachme.Appartenir à la zone euro est le garant d’unestabilité économique à long terme.”

Europe

Le FT a également réservé un accueilchaleureux à l’Irlande. Même en mai 2008,alors que le boom économique en Irlandecommençait à montrer des signes de fai-blesse, le journal gardait la foi : “L’Unionmonétaire européenne est sortie de sa chry-salide et a pris son envol”, s’enthousiasmaitle FT. “Et si sur le papier le projet parais-sait des plus improbables, il a abouti dans lavraie vie.”

Pour un quotidien qui prétend faireautorité en matière financière, cette éva-luation de la monnaie unique a été desplus catastrophiques. Qu’en est-il de laBBC ? Au cours des neuf semaines avantle 21 juillet 2000, au plus fort du débatsur l’euro, l’émission Today a interrogé121 intervenants sur le sujet : 87 d’entreeux étaient favorables à l’euro et 34 yétaient hostiles.

Les chiffres, interviews et petitesphrases qui défendaient la cause del’euro étaient deux fois plus nombreuxque les autres. Les journalistes de la BBCavaient tendance à présenter la position

pro-euro elle-même comme une voiemédiane. Par conséquent, les voix mêmemodérément eurosceptiques faisaientfigure d’extrémistes et étaient balayéesavant d’entrer dans le débat. La BBCadoptait systématiquement un ton alar-miste, agitant le spectre d’une catas-trophe économique ou industrielle pourle cas où le pays ne rejoindrait pas lazone euro. Mais lorsque ces prévisionsse sont révélées fausses, elle n’a pas prisla peine de corriger le tir.

De fait, le Royaume-Uni a enregistrédes niveaux records d’investissementsétrangers, mais lorsque les chiffres duBureau des statistiques nationales l’ontconfirmé, la BBC en a à peine parlé. Ceparti pris allait effectivement très loin.Rod Liddle, alors rédacteur en chef del’émission Today sur Radio 4, se souvientd’une rencontre avec un très haut res-ponsable de la BBC pour traiter des accu-sations de partialité portée par leseurosceptiques. “Rod, vous devez absolu-ment comprendre que ces gens sont cinglés.”

En réalité, les eurosceptiques étaientparfaitement sains d’esprit. S’exprimantà la Chambre des communes en 1936,Winston Churchill – qui était à l’époqueune personnalité marginale et largementméprisée – disait : “Se lamenter sur le passé,c’est mener une action efficace dans le pré-sent.” Quelles sont donc les leçons à tirerdu débat au Royaume-Uni sur l’euro ? Enpremier lieu, nous devrions chérir ce traitde caractère on ne peut plus britanniquequ’est l’excentricité. Au plus fort du débatsur la monnaie unique, on a souvent vules tenants de l’euro vitupérer leursdétracteurs en les traitant d’excentriques.

Voici ce que disait Andrew Rawnsley,de l’Observer, dans une chronique du31 janvier 1999 : “Dans le camp des pro-euro, les milieux d’affaires, les syndicats, despersonnalités politiques de premier plan,influentes, raisonnables. Dans l’autre camp,une ménagerie de vieilles gloires, d’illustresinconnus et de fous à lier.” Mais de fait, cesont encore et toujours les solitaires, lesentêtés, ceux qui refusent l’orthodoxiede l’establishment, qui finissent par avoirle dernier mot. Il reste essentiel pournotre démocratie que le point de vue pro-euro se fasse entendre.

Mais, avant toute chose, les partisansde l’euro doivent nous dire pourquoi ilsont essayé de pousser la Grande-Bretagnesur la voie calamiteuse de l’adhésion à lamonnaie unique. Revenons sur une re -marque faite par Danny Alexander, pre-mier secrétaire au Trésor, qui a déclaréque ceux qu’il qualifiait d’isolationnistesou de nationalistes européens étaient des“ennemis de la croissance”. Pendant cinqans, M. Alexander a fait campagne enfaveur de l’euro et, s’il était arrivé à sesfins, il aurait mené la Grande-Bretagnedroit à la catastrophe. Comment a-t-il oséstigmatiser ainsi les eurosceptiques ? Ilserait grand temps que les partisans del’euro rendent des comptes.Peter Oborne, Frances Weaver

Monnaie

L’heure de gloire des eurosceptiques

Elysée 2012 vu d’ailleurs

La campagne présidentielle vue de l’étranger chaque semaine avec

avec Christophe MoulinVendredi 14 h 10, samedi 21 h 10 et dimanche 17 h 10

“Le Royaume-Uni doit-il organisermaintenant un référendum sur son maintien dans l'UE ?” Répondezau sondage de presseurop.eu,le premier site d’information multilingue européen.

� “Tiens ! Attrape !” Dessin de Horsch paru dans Handelsblatt, Düsseldorf.

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Le ministère de la Justice américain avait engagé une action pour contester le texte, et tout indique maintenant que la bataille se poursuivra jusqu’à la Cour suprême.

32 � Courrier international | n° 1092 | du 6 au 12 octobre 2011

Amériques Tribunal Par décision du 28 septembre,une juge fédérale a confirmé la majoritédes dispositions inscrites dans la loianticlandestins adoptée par l’Alabama,rapporte The New York Times.

L’Alabama, la Géorgie et la Caroline du Sud prennentdes mesures très dures enversles sans-papiers. L’économie de la région dépend pourtant de cette main-d’œuvreabondante et bon marché.

The Observer (extraits) Londres

�L e mobile home où vivent NancyLugo et ses deux enfants peutsembler modeste. Il est parqué

en bordure d’un chemin de terre, prèsd’un ruisseau qui s’écoule lentement, à lasortie de la minuscule bourgade d’Uvalda,en Géorgie. Il est entouré de champs foisonnants d’oignons vidalia, la spécia-lité locale. Mais, pour Nancy Lugo, 34 ans,ce logement est le symbole d’une viemeilleure aux Etats-Unis. Ici, en Géorgie,loin de son Mexique natal, elle a un tra-vail stable, elle envoie ses enfants à l’écoleet elle adore le rythme de la vie à la cam-pagne. La parcelle qu’elle a achetée poursa remorque était un terrain vague avantqu’elle s’y installe. Elle a creusé un puitset installé une fosse sceptique, se créantun petit chez-soi en pleine nature, dansla grande tradition américaine. Mainte-nant, tout cela risque de disparaître.

Car Nancy Lugo est une femme sanspapiers dans le Sud profond. Pris d’un vifsentiment anti-immigrés, plusieurs Etatsde la région ont adopté des lois tellementstrictes à l’encontre des clandestins qued’aucuns craignent un retour à l’“ère JimCrow” [ce surnom vient de la chansonJump Jim Crow, popularisée au XIXe sièclepar Thomas D. Rice, le premier artisteblanc à se produire en se noircissant levisage pour se moquer des Noirs ; l’ex-pression est associée aux lois ségréga-tionnistes depuis le début du XXe siècle],époque où la ségrégation était inscritedans le droit d’une grande partie de l’an-cienne Confédération sudiste.

En Géorgie, en Alabama et en Caro-line du Sud, de nouvelles lois récemmentratifiées répriment plus durement quepartout ailleurs aux Etats-Unis les immi-grés clandestins, qui, dans leur majorité,sont des Hispaniques d’Amérique latine.

La police s’est vu accorder de trèslarges pouvoirs. Elle est désormais tenue,tout comme les employeurs, de vérifier siles immigrés sont en règle avec la loi. EnAlabama, porter assistance aux sans-papiers, les prendre à bord de sa voitureou les héberger, constitue un délit grave.Nombreux sont ceux pour qui cesmesures rappellent le douloureux passédu Sud profond, en adressant aux per-

sonnes d’une couleur de peau différentece message : on ne veut pas de vous ici.“Nous replaçons ces mesures dans une pers-pective historique”, explique AndrewTurner, du Southern Poverty Law Centre,un observatoire des mouvements d’ex-trême droite. “La loi est employée pour chas-ser et marginaliser une minorité ethnique.”

Un argument que réfutent les parti-sans des nouvelles législations : ils ne fontsoi-disant que demander le respect desprocédures d’immigration. Pourtant, cettenouvelle politique place les Etats du Suden conflit direct avec le gouvernementfédéral. La Maison-Blanche a récemmentdécidé de suspendre l’expulsion de nom-breux sans-papiers, une démarchecontraire à celle suivie dans le Sud.

C’est ce qui explique pourquoi NancyLugo s’est décidée à parler. Certes, elleest en situation irrégulière, mais elle s’in-surge contre la haine qu’elle sent remon-ter d’une société à laquelle elle contribue.Elle exerce un travail pénible, mal payé,

dans une usine qui fabrique du matérielpour l’armée américaine. Après l’adoptionde la nouvelle loi anticlandestins en Géor-gie, elle a été licenciée par un directeurqui redoutait des poursuites judiciaires.Pourtant, moins d’un mois plus tard, ellea été réembauchée. Personne ne voulaitde son poste. Cela lui a soudainement faitprendre la pleine mesure de la précaritéde sa nouvelle vie. “Nous avons peur que,pour cause de délit de faciès, on nous arrêteet qu’on nous renvoie chez nous. Mais je doisrester ici pour mes enfants. Je ne sais pas com-ment je vais faire mais je resterai. Je suisinquiète. Mais, surtout, je suis furieuse”,confie-t-elle.

Furieux, Paul Bridges, maire d’Uvalda,l’est également. “J’estime que ce n’est pas àl’Etat de me dire qui j’ai le droit de fairemonter dans ma voiture. Pas plus qu’il ne peutm’ordonner de demander à voir les papiersde mes visiteurs avant de les faire entrer dansma maison”, s’insurge-t-il.

Plus tard, parcourant en voiture lesrues tranquilles, un jour où la tempéra-ture dépasse 38 °C, où l’air est aussi lourdque la mélasse, Paul Bridges pointe dudoigt les quartiers où vit la communautéhispanique d’Uvalda. Il montre fièrementles maisons qui ont été remises en étatpar une famille hispanique ou les terrainsvagues désormais occupés par des résidences. Si l’élu fait preuve de tolé-rance, il défend avant tout les intérêts desa ville, car qui dit nouveaux logements

dit nouvelles recettes fiscales pour lebudget municipal. “Dans un même foyer,on peut avoir un citoyen américain, un sans-papiers et un individu en possession d’un visaavec permis de travail”, souligne-t-il.

Mais, un peu partout dans les Etats duSud, les Hispaniques plient bagage. AUvalda, plusieurs familles empaquettentleurs effets, vendent leur maison ou bienchoisissent de la murer. En Alabama, cesdéparts n’étonnent plus personne.

L’Etat a promulgué la législation anti-immigration clandestine la plus sévère du pays. Celle-ci autorise les policiers àcontrôler les papiers d’immigration desautomobilistes après les avoir interpellés[s’ils ont un “soupçon raisonnable” que lapersonne appréhendée est un clandestin].Elle interdit de transporter des personnesnotoirement en situation irrégulière oude leur louer un logement.

Tous les Etats ne sont pas allés aussiloin. En Géorgie, les tribunaux locaux ontdésavoué des dispositions tout aussirigoureuses, mais les autorités ont faitappel de cette décision et leur remise envigueur n’est donc pas à exclure. Quant àla Caroline du Sud, elle se contente derenforcer les contrôles d’identité et l’obli-gation pour les employeurs de vérifierplus soigneusement le statut de leurs sala-riés. Mais beaucoup estiment que l’impactest le même dans l’ensemble de la région.Les parents, inquiets, hésitent à inscrireleurs enfants à l’école [la loi oblige lesécoles publiques à vérifier si leurs élèvesrésident de manière légale aux Etats-Unis]. De nombreux Hispaniques redou-tent de prendre le volant, de crainte decroiser des policiers sur leur route. Si l’onen croit les militants hispaniques, la par-ticipation de la police à la lutte contre

Etats-Unis

Le Sud profond fait la chasse aux clandestins

É T A T S - U N I S

Golfe du Mexique

La Nouvelle-Orléans

AtlantaBirmingham

TuscaloosaGÉORGIE Uvalda

CAROLINEDU SUD

FLORIDE

ALABAMA

Columbia

500 km

Des Etats répressifs

Dans son éditorial, un quotidien de l’Alabamadénonce les mesures prisescontre les sans-papiers.Il y a dans tout le pays environ300 000 personnes en attente d’être expulsés et les structures d’accueilsont débordées. La nouvellepolitique fédérale consiste à expulser en priorité lesclandestins qui ont un casierjudiciaire ou qui menacent la sécurité des citoyens ou du pays. Le dossier des autresclandestins sera examiné

au cas par cas et, s’il n’y aaucune raison particulière deles reconduire à la frontière,ils pourront rester en attendant la résolution de leur situation. Dans unegrande partie du pays, ilspourront même demanderun permis de travail et travailler ainsi en toutelégalité.Mais qu’en sera-t-il enAlabama, où une nouvelle loidoit entrer en vigueur dans quelques semaines ?Les travailleurs clandestins

pourront-ils postuler pourobtenir un permis de travail,sachant que le simple fait de reconnaître qu’ils n’ontpas de papiers pourrait les envoyer directement en prison ? Et quelle seraitalors la situation ? Si lesclandestins emprisonnés enAlabama n’ont pas commisd’autre crime que celui de ne pas avoir de papiers, lesautorités fédérales ne vontpas venir les chercher pourles expulser. Ces immigrésseront donc coincés dans

un vide juridique : illégaux en Alabama, mais nonexpulsables au regard dela politique fédérale.Déjà la police locales’inquiète d’une éventuellesurpopulation carcérale,conséquence inévitable de la loi anti-immigration.Dans les autres Etats, les immigrés travailleront et paieront des impôts,tandis qu’en Alabama ils moisiront en prison, à la charge du contribuable.The Tuscaloosa News

Vu d’Alabama

Des immigrés illégaux non expulsables

Les Hispaniques plientbagage et vendentleurs maisons

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l’immigration clandestine ferait que certains délits ne seront pas dénoncés :les gens préfèrent éviter toute situationpouvant mener à une vérification de leursituation. Les conséquences sont consi-dérables pour la lutte contre les violencesdomestiques, les méfaits des gangs outout acte de délinquance auquel un His-panique aura assisté. “Trouver un témoinlatino  ? Autant arracher une dent à unlézard”, ironise Isabel Rubio, directrice dela Hispanic Interest Coalition of Alabama(Hica), une organisation d’assistance à lacommunauté hispanique. Certaines acti-vités de la Hica pourraient même théori-quement devenir illégales. Dans un bureausitué près d’un centre commercial endécrépitude, dans la banlieue de Birmin-gham, l’association a récemment organiséune réunion de femmes. Toutes les parti-cipantes étaient en situation irrégulière.Mais, à l’instar de la plupart des personnesqui s’adressent à la Hica, elles prennentdes cours d’anglais et reçoivent une assis-tance juridique, ainsi que des conseils,pour faire face aux violences domestiques.Isabel Rubio secoue la tête à la pensée desrépercussions possibles de la législation.“C’est un terrible retour en arrière. Aprèstous les progrès réalisés sur les questionsraciales, voilà que tout ça arrive. Par où dois-je commencer ?” demande-t-elle.

Puis elle montre une copie du textede loi et attire l’attention sur un passageparticulièrement choquant. Le texte pré-voit une exemption pour les services àdomicile, en vertu de laquelle toute per-sonne qui a engagé une aide ménagèreimmigrée n’est pas considérée comme“employeur” par la loi. Voilà qui nousramène tristement à d’anciennes réalités

sociales. Ça veut dire qu’on s’est arrangépour que vous puissiez garder votre domes-tique hispanique.”

A Uvalda, en Géorgie, Howard Morrisn’a pas cette chance. Adossé à son trac-teur, le visage ruisselant de sueur dans lachaleur de cette fin d’après-midi, HowardMorris est préoccupé. Il possède plus de16 hectares de champs d’oignons, maiscraint de ne pas pouvoir faire la récolte.“Les gens que nous embauchons habituelle-ment ne sont tout simplement plus ici”, selamente-t-il.

Howard Morris sait que de gros pro-blèmes l’attendent si les Hispaniques quisont partis ne reviennent pas. “Les oignonspourriront dans les champs”, prévient-il. Lerisque ne se limite pas à Uvalda. A encroire le Georgia Agribusiness Council,l’organisation professionnelle du secteuragricole, la pénurie de main-d’œuvre esttelle que de nombreuses récoltes n’ont

pas été faites et que leur perte a coûté1 milliard de dollars. Un tiers des tra-vailleurs requis manquent pour leur bondéroulement. Les candidats ne se bous-culent pas pour les remplacer, démon-trant, si besoin était, que les clandestinsne volent pas leur travail aux Américains,comme le prétendent certains. L’agricul-ture n’est pas le seul secteur touché. EnGéorgie, la restauration souffre égalementde cet exode. Selon Karen Bremer, chef de la Georgia Restaurant Association, le

quart des établissements membres de l’organisation professionnelle ont du malà faire face au manque de personnel. “Lemal est fait. Les mauvaises nouvelles se sontdéjà répandues”, déplore-t-elle.

D’un point de vue économique, le votede lois aussi contraignantes équivaut àmarquer un but contre son camp. Parexemple, une violente tornade s’est abat-tue en avril sur la ville de Tuscaloosa, enAlabama, détruisant tout sur son passage.Mais le départ en masse des Hispaniquesde l’Etat a été si important que les entre-prises de BTP ont toutes les peines dumonde à embaucher suffisamment d’ou-vriers pour la reconstruction.

Malgré tout, le durcissement des poli-tiques migratoires survient trop tard pourrenverser un fait désormais bien établi :la communauté hispanique fait aujour-d’hui partie intégrante du tissu écono-mique et démographique du sud desEtats-Unis. A l’exception de la Floride, lesEtats de la région n’étaient pas une terred’immigration pour les Hispaniques. Mais,maintenant, à la faveur de l’immigrationclandestine, cette communauté continuede croître rapidement. C’est là un boule-versement démographique de grandeampleur, dans une région marquée par lescombats contre la discrimination raciale,l’exploitation économique et la préserva-tion de la culture propre dans le sud desEtats-Unis. “Le temps est venu d’agir”, martèle Dulce Guerrero, 18 ans, brillanteétudiante née au Mexique, qui vit auxEtats-Unis depuis l’âge de 2 ans. “Je suisaméricaine à 100 %, sauf que je n’ai pas depapiers. Je parle mieux anglais qu’espagnol.Je ne me souviens de rien de la vie auMexique.” Paul Harris

Courrier international | n° 1092 | du 6 au 12 octobre 2011 � 33

1769 Le roi Charles III d’Espagne lancedes expéditions vers la “NouvelleEspagne” (le Mexique) pour y établirdes colonies sous l’égide de l’Eglisecatholique. 1824 Après avoir acquis sonindépendance vis-à-vis de l’Espagne,en 1821, le Mexique publie sa Constitution : le Texas, le Nouveau-Mexique et la Californie sontrépertoriés comme “provincespionnières”.1850 Le Mexique cède la Californie aux Etats-Unis en 1848, au termed’une guerre de deux ans. A la suite de la ruée vers l’or de 1849, la Californie devient, en 1850, le 31e Etat admis dans l’Union.1904 Les Etats-Unis créent la première“patrouille des frontières”, chargéed’arrêter les travailleurs pénétrant sur le territoire national depuis le Mexique.1910 La révolution mexicaine provoque l’afflux de milliersd’immigrés aux Etats-Unis.1932 Le président Herbert Hoovernomme Benjamin Nathan Cardozo à la Cour suprême, premier jugehispanique à siéger dans la plus hauteinstance judiciaire des Etats-Unis.1954 Des milliers de ressortissantsd’Amérique latine, dont de nombreuxsans-papiers, sont expulsés dans le cadre de l’“opération Wetback”(“wetback”, littéralement “dos mouillé”, est le surnom donné aux clandestins qui traversent à lanage le Rio Grande, le fleuve séparantle Mexique des Etats-Unis).1959 L’immigration en provenance de Cuba augmente spectaculairementdans les années qui suivent la révolution cubaine.1994 En Californie, lors d’unréférendum organisé dans l’ensemblede l’Etat, les électeurs approuvent la proposition 187, qui prive les immigrés illégaux de l’accès aux services publics. La propositionsera annulée quatre ans plus tard .2003 Le dernier recensement aux Etats-Unis montre que la communauté hispaniqueconstitue la première minoritéethnique du pays.2010 Pour lutter contre l’immigrationclandestine, l’Arizona adopte une loitrès controversée qui autorisel’interpellation de toute personnesusceptible d’être un clandestin.Plusieurs volets de ce texte sont bloqués par un juge fédéral.

Chronologie

Les Latinosindésirablesdepuis un siècle

� Lyons, Géorgie. Un travailleur immigré dans un champ d’oignons vidalia.

Faute de main-d’œuvre,les récoltes ne sont pas faites

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34 � Courrier international | n° 1092 | du 6 au 12 octobre 2011

Des milliers d’Indiens Wayuusont été “baptisés” par desfonctionnaires indélicats Marijuana, Parapluie,

Alka-Seltzer… et de bien d’autres noms du même acabit. Une avocatedemande réparation.

El Espectador Bogotá

J ’ai cru pendant longtemps que tous les Wayuus étaient nés un31 décembre”, raconte de sa voix

posée l’écrivaine et avocate EsterciliaSimanca Pushaina, qui est l’une des prin-cipales représentantes de la communautédes Wayuus. “Vers la fin de mes études dedroit, je suis tombée sur des cartes d’identitéaux noms de Raspahierro [gratte-fer], CositaRica [petite chose adorable], Arrancamuela[arrache-dent], John F. Kennedy ou MarilynMonroe. Et ces cartes portaient toutes la men-tion : ‘Né(e) le 31 décembre’, déclare ne passavoir signer, . J’ai commencé à m’intéresserà la question. Je me suis rendu compte qu’il yavait – et c’est encore le cas aujourd’hui – desdistributions massives de cartes d’identité etque l’absence d’interprète connaissant la languewayuunaiki avait entraîné de nombreuseserreurs. J’ai vu des noms qui portaient atteinteà la dignité de mes compatriotes et j’ai com-pris que l’objectif était de distribuer des cartesd’identité à un grand nombre d’Indiens afin deparaître efficace. Les fonctionnaires de l’étatcivil ont ainsi fait preuve d’une grande inhu-manité”, conclut-elle.

Parmi les noms donnés aux IndiensWayuus, on trouve encore Candado[cadenas], Tabaco [tabac], Arena [sable],Teléfono [téléphone], Popo [caca], Tigre,Monja [religieuse], Pescado [poisson],Capuchino et bien d’autres sobriquetsqui se moquent ostensiblement de l’iden-tité des personnes.

50 000 cartes d’identité“Toute ma famille s’est mise en file avec desgens qui venaient d’autres ranchs pour rece-voir le bout de plastique qu’ils appellent‘carte d’identité’. Ce jour-là, j’ai appris quemon oncle Tanko Pushaina s’appelait TarzánCotes, que Dorila s’appelait Espina [épine]et que Castorila s’appelait Cosita Rica ; Anu-wachón était John F.  Kennedy  ; Arepuí,Cazón [chien de mer] ; Cotiz, Alka-Seltzer ;et mon cousin Matto s’appelait Bolsillo[poche]”, raconte Coleima Pushaina, lanarratrice de Manifiesta no saber firmar[Déclare ne pas savoir signer], le conteécrit par Estercilia Pushaina, qui a été ins-crit en 2006 sur la liste d’honneur d’Ibby(International Board on Books forYoung People).

Si ces situations ne se produisent plusaujourd’hui, Estercilia Pushaina estimecependant que le mal est déjà fait.

Amériques

“J’ai d’abord songé à engager des pour-suites au niveau pénal, mais le fonctionnairede l’état civil avec qui tout a commencé,Roldan Jímenez, est aujourd’hui décédé.Nous avons donc décidé de faire pression surle gouvernement pour qu’il procède à des rec-tifications massives [des cartes d’identité].Pour l’instant, les Wayuus doivent se rendrepar leurs propres moyens au bureau de l’étatcivil le plus proche. Cela implique du tempset de l’argent. Les distances sont grandes,qu’on aille à Maicao ou à Riohacha. Et, puis-qu’on doit en plus prendre une photo et payerpour toutes les démarches, il faut compterenviron 200 000 pesos au total [75 euros].Pour une famille de cinq personnes, celareprésente 1 million de pesos [380 euros]”,affirme-t-elle.

La version des faits de Martín Fer-nando Salcedo Vargas, fonctionnaire responsable du Registre civil et de l’iden-tification, est différente : “Il ne faut pascroire que ce sont les fonctionnaires duRegistre qui leur ont donné ces noms. Ils ontsimplement pris en note les prénoms et lesnoms de famille de ceux qui sont venus s’ins-crire ou demander une carte d’identité. Lesgens choisissent eux-mêmes leur nom.”

Il soutient aussi que les membres dela communauté wayuu de La  Guajirachangent souvent de nom et tentent d’ob-tenir plusieurs cartes d’identité. “Chaquefois que des fonctionnaires allaient là-baspour distribuer des cartes d’identité, parfoisà des fins politiques, les Wayuus avaient lapossibilité d’obtenir un nouveau document.Ils en profitaient alors pour changer leurnom pour diverses raisons. La première, c’estqu’il s’agit d’une société matriarcale et queplusieurs portent le nom du père, comme le

prévoit la loi colombienne. La seconde, c’estque, dans certains ranchs, on change de nomlorsqu’on se marie.”

D’après Estercilia Simanca, la plai-santerie dure depuis les années  1950.Même s’il n’y a plus de nouveaux cas, denombreuses personnes possèdent encoreaujourd’hui plusieurs documents d’iden-tité. “La communauté wayuu compte envi-ron 245 000 personnes réparties entre laColombie et le Venezuela, et j’estime à plusde 50 000 le nombre de cartes d’identité tron-quées. Les délivrances de papiers d’identitéqui ont déjà eu lieu cette année n’ont pasdonné lieu à des anomalies, j’ai pu le vérifier.”

Interêts politiquesSi certains de ceux qui avaient l’argentnécessaire ont fait corriger leurs papiersd’identité, les membres de la commu-nauté continuent souvent d’employerleur ancien nom. “Raspahierro a fait chan-ger son nom pour Rafael. En tant que cheftraditionnel, il a beaucoup souffert. Il dit quec’est une femme du Registre national qui luia donné ce nom. Dans sa communauté, c’estlui qui décide de la répartition des ressources,et on se moquait de lui chaque fois qu’on l’ap-pelait Raspahierro Pushaina”…

La tradition des Wayuus veut qu’à lanaissance chacun se voie attribuer un nomqui corresponde à sa mission sur terre.Ainsi, Toushi a pour tâche de prendre soinde la terre, Juya, des eaux, et Noshua a laresponsabilité d’apaiser les âmes. Il estdès lors plus important pour eux deconserver leur véritable identité qued’avoir en leur possession un bout de plas-tique censé l’attester. Cela, PriscillaPadilla l’a compris. Cette documentariste

colombienne a voulu rendre compte de cequi s’est passé dans les ranchs de La Gua-jira. “Je viens tout juste de terminer mondocumentaire et je l’ai intitulé Nacimos el 31de diciembre [Nous sommes nés un31 décembre – qui doit être présenté au festi-val de cinéma de Bogotá le 10 octobre]. J’étaisà La Guajira pour travailler sur un autre filmqui sortira bientôt et cette histoire a attirémon attention. Je n’y croyais pas vraimentavant de discuter avec Payaso [clown], Coito[coït] et plusieurs personnes portant des nomsde cet acabit. J’ai aussi parlé à de nombreusesfemmes qui avaient obtenu leur carte d’iden-tité à l’âge de 12 ou 13 ans. Elles m’ont montréleur photo d’identité de gamine et j’ai com-pris qu’il y avait là un problème de droits dela personne à traiter.”

D’après la documentariste, les autori-tés avaient procédé à des distributions decartes d’identité aux citoyens wayuus pourservir leurs propres intérêts politiques.“Avant la Constitution de 1991, les Indiensn’avaient pas de carte d’identité. Ils disaienteux-mêmes qu’ils n’avaient pas besoin d’unbout de plastique pour attester leur identitéwayuu. L’Etat n’a jamais accordé d’impor-tance aux Indiens, sauf pour les tromper et lesmaltraiter. Mais les hommes politiques ontpris conscience que de nombreuses voix étaientperdues et se sont mis à leur distribuer despapiers. ‘Les cartes d’identité ont uneutilité pour les hommes politiques, paspour nous’, m’ont dit les Indiens.”

En cette année électorale [les élec-tions municipales et régionales aurontlieu le 30 octobre], la communauté d’Es-tercilia Simanca Pushaina a d’ailleursdéjà reçu la visite de candidats… Alfonso Rico Torres

Culture Peuple amérindien d’originearawak, les Wayuus vivent en majorité dans la péninsule aridede la Guajira, à la frontière de la Colombie et du Venezuela.

Ils ont aujourd’hui un mode de viesemi-nomade et vivent dans despetites communautés regroupées parclans baptisés rancherias dont laréférence est la famille matrilinéaire.

Colombie

Mon nom est Parapluie et je suis né le 31 décembre

Bogotá

COLOMBIE

600 km

LaGuajira

� Dessin de Ray Bartkus paru dans The New York Times Book Review, Etats-Unis.

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Un pays vert et tranquille ?Oubliez cette image idyllique. La Nouvelle-Zélande abrite aussi des gangs maoris quise nourrissent de violences etprospèrent sur fond d’inégalités.

The Independent (extraits)Londres

�L ’après-midi touche à sa fin àWairoa, petite ville rurale de larégion de Hawke’s Bay. Dans le

parc, plusieurs dizaines d’adolescents fontdes pompes, histoire de s’échauffer pourleur entraînement de rugby. Une scène quicontraste fortement avec les événementssurvenus quelques jours plus tôt, à l’issued’un match de championnat, lorsque lesmembres d’un gang maori, le Mongrel Mob[Bande de bâtards], ont sorti un fusil àcanon scié et tiré en l’air. Il n’y a pas eu deblessés mais l’incident, apparemment pro-voqué par la présence dans les tribunesd’un gang rival, le Black Power [Pouvoirnoir], a terrorisé le public, essentiellementfamilial. Ces événements pourront sem-bler incongrus dans une ville de 4 000 habi-tants ; mais la Nouvelle-Zélande possèdeune culture de gangs bien établie.

C’est là une face du pays que les fansde rugby ont peu de chances de découvrir.Si elle demeure en général confinée dansl’ombre – et en ce sens les coups de feu deWairoa étaient inhabituels –, elle reflète lesaspects les moins reluisants d’un paysperçu comme propre, vert et sûr.

Présents dans tout le paysLes gangs prospèrent dans des zones oùvit une forte population de Maoris et depersonnes originaires des îles du Pacifique,avec une criminalité, une pauvreté et untaux de chômage élevés. Les Maoris, par-ticulièrement, se situent au bas de l’échellesocio-économique de la Nouvelle-Zélande.Ils sont aussi largement responsables destaux consternants de violence conjugale etde maltraitance des enfants – les “sombressecrets” du pays, pour reprendre les mots

Asie

de Silvia Cartwright, qui fut [de 2001 à2006] gouverneur général [chef de l’Etat,celui-ci représente la reine Elisabeth II,reine de Nouvelle-Zélande]. Les gangs sontprésents dans toute la Nouvelle-Zélande,y compris dans les petites communautésrurales. Wairoa est un bastion du MongrelMob. Frasertown, huit kilomètres au nord,fait partie du territoire du Black Power. Cesdeux gangs – ennemis irréductibles à majo-rité maorie – ont une réputation de sauva-gerie et un passé de meurtres, de violscollectifs et de “vengeances” impitoyables.

Ces derniers temps, toutefois, les gangsont tenté de redorer leur blason : certainschefs ont renoncé à la violence et prêchentles valeurs qui ont cours dans le reste de lasociété. Le problème, c’est que tout le monden’entend pas le message. Et à Wairoa lesgens en ont plus qu’assez. “C’est comme àOK Corral, confie un cafetier. On a eu deuxmorts par balle et trois personnes défigurées,et tout ça rien que l’année dernière.”

Le Mongrel Mob et le Black Power sontles plus grands et les plus redoutés desgangs maoris. Ils se sont constitués quandcette population a émigré en masse vers

les villes, après la guerre. Plus tard, lesréformes économiques radicales menéesen Nouvelle-Zélande dans les années 1980ont engendré un chômage à grande échellequi a principalement touché les Maoris.Les adultes se sont trouvés arrachés à leursracines et à leur culture, confrontés à l’alié-nation et à la discrimination, et les famillesse sont effondrées. L’absence des pères

est devenue courante et une épidémied’alcoolisme, de drogue et de violenceconjugale s’est propagée. Pour les jeunes,les gangs masculins sont devenus unesorte de famille de substitution. Porte desortie, ils offrent un statut, une protectionet même une carrière à travers la ventede drogues. La violence qui y règne s’estdé versée en retour dans les foyers. Lesfemmes néo-zélandaises subissent le tauxde violence conjugale le plus élevé dumonde développé et le taux d’infanticideest aussi l’un des plus importants de l’Or-ganisation de coopération et de dévelop-pement économiques [OCDE].

Bruno Isaac, un ancien chef du Mon-grel Mob, a écrit un livre sur ce gang,intitulé True Red [Vrai Rouge, d’après lacouleur du gang]. L’ouvrage déborde d’his-toires épouvantables. “Les femmes devaientnous faire notre kai [repas] et nous donner duplaisir – ce n’étaient que des objets, de la viandequ’on pouvait consommer, puis recracher”,écrit-il. Pour obtenir le patch, le droit deporter l’emblème du gang sur ses vête-ments ou de se le faire tatouer, les recruesdevaient réussir des épreuves, par exemple“boire de l’urine et des excréments dans unebotte en caoutchouc, violer quelqu’un ou sebattre contre trois types à la fois”.

Modèle spécial gangs ?Selon Rex Timu, président de la branchedu Mongrel Mob de Hastings, près deNapier, la guerre des gangs de Wairoatrouve son origine dans un différend trèsancien entre tribus ennemies, dont lanature exacte est tombée dans l’oubli. Descousins, voire des frères, peuvent appar-tenir à des gangs rivaux. Greg Newbold, unspécialiste en criminologie de l’universitéde Canterbury, attribue la violence à la glo-rification de l’“esprit guerrier” maori quis’illustre dans le haka, ou danse de guerre,que les All Blacks dansent avant chaquematch. “La culture du guerrier est très puis-sante dans leur mentalité, affirme-t-il, et lesMaoris glorifient toujours la dominationmasculine et le machisme.” Jim Anglem, duCentre de recherche sur la violence, n’estpas de cet avis. Les femmes et les enfantsétaient vénérés dans la société maorie tra-ditionnelle, rappelle-t-il. De plus, il n’y avaitpas de signe de violence familiale chezles Maoris entre les années 1950 et 1970.Les familles maories de la classe moyennen’étant pas plus violentes que les familleseuropéennes, ce qui atteste que ce sontles facteurs socio-économiques qui sontessentiels.

Mane Adams, président de la branchedu Black Power à Napier, veut croire quela nouvelle approche [lutte contre le traficde drogues de synthèse, réunions avec lapolice et les autorités locales] séduit 70 %des membres de son gang. “Le temps d’unchangement de paradigme est arrivé.”Kathy Marks

Nouvelle-Zélande

Au-delà du rugby, les sombres secrets des Maoris

Les gangs sont bienimplantés en Nouvelle-Zélande. Une branche des Hells Angels a été fondée à Auckland dès 1961 :il s’agissait alors de lapremière émanation hors de Californie, leur berceau,où ils sont nés en 1948. Au fil des ans, des dizainesd’autres gangs ont fait leur

apparition : motards,skinheads, etc.Les origines exactes duMongrel Mob sont inconnues.Pour ses membres,l’organisation – aujourd’huiforte de centaines, peut-êtrede milliers de personnes – estnée d’un petit groupe dejeunes pakehas (non maoris)qui s’étaient fait traiter

de “bande de bâtards”à leur libération d’un centrede détention dans lesannées 1960. Le Mongrel Mobcompte plus de trentebranches dans tout le pays.Ses membres sereconnaissent à leur couleur,le rouge, et à leurs symboles,entre autres la croix gamméeet le bouledogue anglais.

Le Black Power était à l’origineconnu sous le nom de BlackBulls (Taureaux noirs) : cegang a été fondé par un petitgroupe de jeunes Maorisen 1970 pour rivaliser avec le Mongrel Mob, qui était enmajorité blanc à ses débuts.La plupart de ses membressont maoris et polynésiens et son symbole est un poing.

Gangs

“Bande de bâtards” contre “Pouvoir noir”

� Dessin de Luis Parejo paru dans El Mundo, Madrid.

NOUVELLE-ZÉLANDE

BaieHawke

40° SHastings

Napier

FrasertownWairoaRégion de

HAWKE'S BAY

50 km

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Wellington

Auckland

Des villes aux villages

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Depuis l’accident de Fukushima,la population s’inquiète avant tout de la contamination des aliments. En première ligne :des mères de famille qui, faute de données fiables, vont à la pêche aux informations.

Mainichi Shimbun (extraits)Tokyo

�D es mamans accompagnées deleurs jeunes enfants se rassem-blent dans la salle de réunion

d’un immeuble de l’arrondissement deKita, à Tokyo. Munies de gâteaux et degourdes, ces mères de famille qui nes’étaient jamais rencontrées auparavantpartagent leurs inquiétudes à l’égard dela pollution radioactive. “Donnez-voussystématiquement à votre enfant une gourdelorsqu’il sort jouer ?” “Connaissez-vous desmagasins de bento [casse-croûte] qui utilisentdes produits sûrs ?” Les sujets ne manquentpas. Elles ne peuvent pas en parler avecles autres mères qu’elles connaissent vial’école ou la maternelle : c’est pourquoices “goûters” sont des moments précieux.L’organisatrice de cette réunion, MikiEgawa, est la représentante de l’Associa-tion de protection des enfants de l’arron-dissement de Kita contre les radiations.Selon elle, il y a de plus en plus de réunionsorganisées dans la capitale. Une autre mèreau foyer de Yokohama me confie, en memontrant une pièce de sa maison où s’en-tassent des cartons remplis de bouteillesd’eau : “J’avais tellement peur que je n’ai paspu m’en empêcher.” Elle raconte que, depuisle séisme, elle n’utilise plus l’eau du robi-net. Elle s’est procuré grâce à Internet dessacs permettant de conserver le riz pen-dant un an et 90 kg de riz récoltés l’annéedernière. “J’essaie de réduire autant que pos-sible la quantité de substances nocives qu’in-gurgite mon enfant”, dit-elle. Toutefois, ellene s’inquiète pas outre mesure des platsqu’ils mangent au restaurant car ils n’y vontque rarement. “Je ne veux pas que ce combatdevienne ma raison d’être”, soupire-t-elle.Une autre maman, qui travaille dans unbureau, explique qu’il lui est impossible decontrôler tous les aliments que consommesa fille. Elle confesse qu’en entendantses collègues dire qu’ils boivent l’eau du robinet et qu’ils ne sélectionnent pas leursaliments elle se sent rassurée sans tropsavoir pourquoi. Il faut dire que leurs marisse déchargent sur elles de la responsabilitédes repas familiaux.

Une autre femme au foyer, habitant àMiyagi, dans la zone des 80 km autour dela centrale, a décidé pour sa part d’“ache-ter au supermarché” les aliments que mangesa fille de 3 ans. Le taux de contaminationdans sa commune, sans être comparableà celui de Fukushima, est d’un niveau

équivalent à celui des “points chauds” dela capitale. Dans la mesure où elle habiteune région agricole, les produits vendussur le marché sont presque tous issus descultures locales. “Au moins, les aliments dusupermarché sont contrôlés”, explique-t-elle.Son mari est lui-même fils d’agriculteur. Ilne peut s’empêcher de se sentir concernépar ce qui se passe car, même si l’Etatgarantit l’innocuité de ces aliments, lesconsommateurs restent réticents. Voir lesmontagnes de sacs de riz de Fukushimadélaissés dans un coin du supermarché– alors qu’ils ont été récoltés en 2010 –, lemet en rogne et il rentre chez lui dépité,un sac de riz sous le coude. Chez lui, onprie tous les jours pour que les gens semontrent un peu plus compréhensifs àl’égard des agriculteurs.

L’Etat a fixé des normes provisoirespour le césium radioactif contenu dans lesaliments : un maximum de 200 becquerelspar kilo (Bq/kg) pour l’eau potable et lesproduits laitiers, et de 500 Bq/kg pour leslégumes, la viande, les œufs et le poisson.

Selon les autorités, “il n’y a pas de risque sile produit affiche une radioactivité inférieureà cette norme”. Or beaucoup craignent quele contrôle ne soit pas assez rigoureux. Legouvernement n’est pas parvenu à dissi-per cette inquiétude. Depuis qu’on a décou-vert que de la viande de bœuf dépassantles limites de radioactivité autorisée avaitété commercialisée [au mois de juillet],tout le monde se pose la même question :comment s’assurer que les autres alimentssont sans danger ? La question est gênante,

le sujet délicat : une femme ayant un filsd’une vingtaine d’années m’a racontéqu’elle avait été sèchement traitée d’“insou-ciante” parce qu’elle utilisait l’eau du robi-net, contrairement à une autre qui faisaitla vaisselle avec de l’eau minérale. Elle mur-mure en soupirant : “Si l’on savait exacte-ment ce qui est absolument sûr et ce qui ne l’estpas, on pourrait en discuter. Mais, commechacun en est réduit à ses convictions, je neveux pas créer d’embarras. Le mieux est encorede ne pas en parler.”

Depuis le 11 mars dernier, KunikazuNoguchi, maître de conférences à l’uni-versité Nihon (Tokyo), spécialiste de laprotection contre les radiations, a été invitéà plus de 130 conférences sur ce thème.“Les normes provisoires fixées par le gouver-nement pour les produits alimentaires corres-pondent au niveau supportable. La plupart desaliments mis sur le marché contiennent desquantités de césium beaucoup plus faibles, voireindétectables. Le niveau actuel ne signifie pasqu’il ne faut pas manger ces produits ni qu’ilfaut absolument se résigner à les consommer.Tout en respectant certaines précautions visantà réduire les substances radioactives, commelaver les aliments, les cuire ou les ébouillanter,je vous conseille de collecter calmement desinformations”, explique-t-il. Sadao Horigu-chi, directeur de l’hôpital Aiiku et obsté-tricien, donne quant à lui des “conseilsd’urgence sur la radioactivité” destinés auxfemmes enceintes et aux nourrissons.“Tant que le taux de radioactivité des alimentsen rayon se situent en deçà des normes, il n’ya pas lieu de s’inquiéter outre mesure ; maison ne peut pas aujourd’hui garantir une sécu-rité absolue. Il faut écouter l’avis des spécia-listes, se faire sa propre idée et agir enconséquence”, conseille-t-il. Mais combiende temps cela va-t-il durer ? Les soupirs desmamans risquent de ne pas cesser de sitôt. Shoko Tamura

Japon

Mamans cherchent aliments sûrs

de subventionner l’achat de détecteurs de radioactivité qui permettraient de contrôler lesrepas servis dans les écoles”, relate le Nihon Keizai Shimbun.

le riz, dans l’eau de robinet, etc.L’Etat est en train de mesurer la contamination des cultures du rizproduit dans dix-sept préfectures. “Le ministère de l’Education a décidé

Rappel Après l’accident deFukushima, de l’iode et du césiumradioactifs ont été relevés dans les produits alimentaires de l’est del’archipel : dans les épinards, le lait,

Courrier international | n° 1092 | du 6 au 12 octobre 2011 � 37

Le mot de la semaine

“konwaku”Le désarroiTrente-huit heures : tel serait le délaiaprès lequel la fusion du cœur desréacteurs redémarrerait inexorablementà Fukushima en cas de défaillance du dispositif de refroidissement mis enplace après la catastrophe du 11 marsdernier. Cette estimation, publiée lasemaine dernière par Tepco, l’exploitantde la centrale, vient confirmer une évidence : six mois après le séisme, rien n’est véritablement sous contrôle.Bien sûr, si l’on excepte les contréesdévastées, la vie quotidienne a repris son cours. Les Japonais fréquentent de nouveau les restaurants, les cafés etles bars à karaoké – ils reviennent vers les menus plaisirs qui agrémentent la vie de tous les jours. Depuis l’été, les médiass’excitent sur les déboires d’un comiquedéchu ; les politiques se vautrent dansla tiédeur apaisante de la médiocrité ; les plus jeunes, quant à eux, se pâmentdevant les fillettes du groupe AKB48.Mais de ce quotidien retrouvé sourdinévitablement le désarroi. Comment en serait-il autrement ? Ce semblant de quotidien ne fait que reposer sur unesituation d’urgence qui, s’étirant dans le temps, engendre une sorte de béance au sein de laquelle viennent se logerdeux sentiments contradictoires maisinséparables : d’une part, une suspicionfondamentale et légitime sur l’état des éléments vitaux que sont l’air, l’eau et la nourriture, avec pour effet lastigmatisation des régions contaminées ;d’autre part, le besoin, non moins justifié,de croire coûte que coûte à la résorptionde la crise, au risque de duper les personnes sinistrées et le reste dumonde, au risque de se duper soi-même.La défiance est de rigueur, mais c’est en toute sincérité qu’on épouse le slogan“Mangeons Fukushima”. L’archipel serasans doute longtemps prisonnier decette ambivalence. Kazuhiko Yatabe Calligraphie de Kyoko Rufin-Mori

� Dessin de Chappatte paru dans Le Temps, Genève.

A l’hôpital, on donne des conseils d’urgencesur la radioactivité

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38 � Courrier international | n° 1092 | du 6 au 12 octobre 2011

Les énormes moyens financierset sécuritaires du royaume ont pu tuer dans l’œuf la contestation saoudienne, qui d’ailleurs ne réclamait pas la chute du régime, regrette le média de l’opposition.

Rasid Dammam

L e chômage, les problèmes delogement, la pauvreté, la cor-ruption, l’absence de liberté

d’expression et les arrestations politiquessont les grands sujets qui agitent la sociétésaoudienne. Mais une autre revendicationest de plus en plus partagée : la participa-tion politique. C’est ce que montre legrand nombre de signataires de la “péti-tion pour un Etat de droit”. Plus de10 000 personnes l’ont signée après lesrévolutions en Tunisie et en Egypte.

Le texte de cette pétition prendd’abord soin de féliciter le roi Abdallahbin Abdelaziz pour ses promesses deréformes, de justice et de lutte contre lacorruption. Ainsi, les pétitionnaires mon-trent clairement qu’ils n’ont pas de vel-léités révolutionnaires, mais veulentsimplement faire valoir leur point de vue.Toutefois, dans le fond, leurs revendica-tions sont pour l’essentiel les mêmes quecelles que l’on entend dans les autrespays arabes.

Ils réclament que le Conseil consul-tatif [Majlis Al-Choura] soit élu et dotéde toutes les compétences d’un vrai Par-lement, législatives et de contrôle de l’exé-cutif, ayant son mot à dire sur le budgetde l’Etat et pouvant engager la responsa-bilité d’un ministre ou du Premierministre. Cela implique que le poste dePremier ministre ne soit plus occupé parle roi, mais qu’il émane d’un vote de

Moyen-Orient

confiance au Parlement. Pour finir, ilsdemandent une réforme de la justice etdes mesures contre la corruption.

La réaction du régime à cesdemandes populaires a provoqué unchoc. Pour l’essentiel, il s’est contentéde signifier à la population qu’il avait suf-fisamment de moyens financiers et sécu-ritaires pour ne pas en tenir compte.D’une part, il a mobilisé près de 90 mil-liards d’euros pour financer des haussesde salaire, des programmes de logementset la création de plus de 60 000 postesdans la police et l’armée. Il a égalementrenforcé le Conseil [religieux] des grandsoulémas, allié du régime, et attribué denouveaux moyens aux centres de prédi-cation et à la Commission pour la pro-motion de la vertu et la prévention duvice [police religieuse].

D’autre part, le régime a déployé unimpressionnant dispositif sécuritaire dans les rues, encerclant les endroits

stratégiques et renforçant la surveillancepartout afin de contrer les appels à mani-fester. Le dispositif était tel que personnen’avait alors osé manifester dans la rue, àl’exception du jeune Khaled Al-Johani.Celui-ci a eu le temps d’accorder un entre-tien à la BBC [en avril], puis il a disparudans une prison. Ce jour-là marque tou-tefois une date charnière dans l’histoirerécente du royaume. Pour la première fois,on était face à l’hypothèse d’un vaste mou-vement populaire tel qu’on en a vu dansles autres pays de la région.

Si ce scénario n’a pas eu lieu, cela s’ex-plique notamment par le fait qu’on nesavait pas d’où émanait l’appel à manifes-ter [beaucoup soupçonnaient une opéra-tion confessionnelle chiite, voire un piègedu régime]. De même, il n’y a pas de partisd’opposition qui pourraient lancer un telmouvement. Par ailleurs, dans l’esprit desSaoudiens, le spectacle d’une manifesta-tion de rue est associé à la demande de

chute du régime, demande qui n’existe passous cette forme en Arabie. Finalement,si personne n’a manifesté, c’est aussiparce qu’on savait très bien ce qui atten-dait celui qui l’aurait osé.

Ainsi, le régime a pu dire, le lende-main, que tout allait bien. Toutefois, ila mal posé le problème. La questionn’était pas de savoir si les gens descen-draient dans la rue, mais pourquoi ilspourraient être tentés de le faire. Car lapopulation a des griefs contre le régimeet il le sait bien. Or, comme il se pose lesmauvaises questions, il donne égalementde mauvaises réponses.

Quelque chose comme 12 000 pri-sonniers croupissent dans les prisonssaoudiennes sans avoir bénéficié deprocès équitables – la plupart à la suitedes violences que nous avons connuespendant vingt ans [essentiellement de lapart d’islamistes]. D’autres ont pour seultort d’avoir exprimé leur opinion sur lagouvernance du pays. De même, le minis-tère de l’Intérieur a réduit à néant le peude liberté d’expression qui pouvait exis-ter dans la presse ces dernières années.Les affaires de corruption n’ont pas ététraitées comme il fallait, malgré les coupsde menton du gouvernement. Bref,l’Etat continue de gérer des problèmes toujours plus importants avec une men-talité d’antan.

Autour de nous, dans le monde arabe,tout change et il faudrait chez nous aussiengager des réformes. L’actuelle généra-tion de dirigeants aurait la légitimité dele faire [les trois frères : le roi Abdallah,86 ans, le prince héritier Sultan, 83 ans,et le second prince héritier Nayef, 77 ans].Or l’avenir paraît incertain et lourd demenaces. La peur que cela inspire n’estpas seulement justifiée et légitime, elledécoule qui plus est d’une envie de par-ticipation politique. Ali Al-Dhafiri

Arabie Saoudite

Le peuple veut un peu de pouvoir

Dans les pays du “printemps arabe”, lesévénements se précipitent, isolant Israëlet préparant la reconnaissance d’un Etatpalestinien, seule l’annonce du vetoaméricain faisant encore obstacle à celle-ci. Dans ce climat, l’Arabie Saoudite sesent mal à l’aise. Ses dirigeants continuentde proposer des initiatives stérilesauxquelles Israël ne prend jamais la peinede répondre. Or Riyad essaie de se fairepasser pour l’avocat de la causepalestinienne, en “menaçant” les Etats-Unis pour le cas où ceux-ci opposeraientleur veto à la création d’un tel Etat. Leroyaume n’a pas été capable de formulerces menaces par la bouche de sonministre des Affaires étrangères, Saoud

Al-Fayçal, mais a chargé son frère, TurkiAl-Fayçal, le porte-parole officieux de ladiplomatie saoudienne, de cette tâche.Celui-ci a donc publié un article dans lapresse américaine [The Washington Postdu 12 juin] pour notifier que les Saoudienspourraient mettre un terme à leursrelations spéciales avec Washington. Si les Américains devaient refuser la reconnaissance de l’Etat palestinien,explique-t-il, les Saoudiens pourraient deleur côté refuser d’ouvrir une ambassadeà Bagdad et de coopérer avec legouvernement de Nouri Al-Maliki malgréles pressions américaines. Voilà ce que les Saoudiens présentent comme unemenace contre Washington. Ils oublient

peut-être que le sort du peuple irakien ne dépend pas de la présence ou del’absence d’une ambassade saoudienne à Bagdad. Ces “menaces” ne vont pasplus loin pour la simple raison queles Saoudiens sont dépendants des Etats-Unis, et pas seulementmilitairement. En matière économiqueaussi : les revenus des surplus de pétrolesont toujours placés dans les banquesaméricaines et la monnaie saoudienne, le riyal, est liée au dollar. Bref, l’ArabieSaoudite ne fera pas grand-chose unefois que les Etats-Unis auront usé de leurdroit de veto contre un Etat palestinien.Les Arabes en ont assez de ceux qui utilisent la question palestinienne

comme fonds de commerce. Cela apparaîtra encore plus clairementaujourd’hui, alors qu’une puissance non arabe [la Turquie] soutient lesPalestiniens en actes, et pas seulementen paroles. Quels que soient les arrière-pensées et les intérêts en jeu, Ankara a fait sien le projet de briser le blocus de Gaza et les Turcs ont payé un lourdtribut humain. [Neuf citoyens turcs ontété tués lors de l’assaut israélien contre la flottille pour Gaza, le 31 mai 2010.]Pendant ce temps, l’Arabie Saoudite etl’armada américaine qui la protège sontrestées à l’écart, dans des eaux pluscalmes. Madhaoui Al-Rachid Al-QudsAl-Arabi (extraits) Londres

Stratégie

Lorsque Riyad “menace” l’Amérique

� Dessin de Dave Brown paru dans The Independent, Londres.

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Repères La majorité de la population du royaume de Bahreïn est chiite (75 %), mais la famille royale, appuyée par l’armée, est sunnite. Les manifestations qui ontcommencé à la mi-février

ont été violemment réprimées.L’opposition, essentiellementchiite, réclamait des réformespolitiques et notamment de pouvoir élire tout le Parlement,dont la moitié est actuellementnommée par le roi.

Les dirigeants de l’opposition ont été arrêtés pour connivenceavec l’étranger, à savoir l’Iran.Rapidement, les dissensionsconfessionnelles ont pris le dessus sur les revendicationspolitiques.

Courrier international | n° 1092 | du 6 au 12 octobre 2011 � 39

Les membres les plus durs de la famille royale Al-Khalifa,soutenus par l’Arabie Saoudite,ont marginalisé le prince héritierSalman ben Hamad, enclin à un compromis avec l’opposition.

The Independent Londres

D es policiers bahreïnis de hautrang, suspendus pour avoirtorturé des détenus, ont été

réintégrés en hâte dans leurs fonctions.C’est le signe d’une lutte pour le pouvoirde plus en plus âpre au sein de la familleroyale Al-Khalifa, divisée au sujet de l’in-tensité de la répression contre les mani-festants partisans de la démocratie.

Par ailleurs, à en croire des sourcesde l’opposition, 90 policiers jordaniens– enrôlés dans les forces de l’ordre deBahreïn – qui auraient infligé de mauvaistraitements aux prisonniers voient leurscontrats rompus et sont renvoyés en Jor-danie. D’après ces mêmes sources, detelles mesures auraient pour but soit depurger les forces de sécurité des élé-ments les plus violents, soit de se débar-rasser de témoins des actes de torturesystématiquement pratiqués lorsque le“printemps arabe” a été écrasé à Bahreïn,en mars dernier.

Des mesures contradictoiresTandis que les déclarations du roi Hamadben Issa Al-Khalifa visant à apaiser lamajorité chiite ne sont suivies d’aucuneaction, la famille royale semble de plusen plus divisée. Même si le roi a invitédes sociétés publiques et privées à réin-tégrer les 2 500 salariés qu’elles avaientlicenciés pour avoir participé aux mani-festations, beaucoup d’entre eux n’ontpas retrouvé leur emploi.

Le gouvernement prend égalementdes mesures contradictoires. Au débutdu mois, il a mis à pied plusieurs hautsresponsables de la police, dont cer-tains membres de la famille Al-Khalifaau pouvoir, après qu’ils ont été accusésd’être impliqués dans la torture de pri-sonniers. L’un d’entre eux occupait unposte important au commissariat depolice de Riffa, tristement célèbrepour son recours à la torture ; un autreétait chef de section dans la policejudiciaire. Les manifestations des sun-nites à Riffa en faveur des policierssuspendus ont été immédiatement sui-vies de la réintégration d’au moins l’unde ces hommes.

Les durs du régime ont à leur tête lechef des armées, Khalifa ben Ahmed, etson frère, le ministre de la Cour royale,Cheikh Khalid ben Ahmed. Ils étaientautrefois en conflit avec le Premierministre, Cheikh Khalifa ben Salman,en poste depuis le départ des Britan-niques, en 1971, mais ils ont resserré lesrangs en février, quand le “printempsarabe” a gagné Bahreïn, déclenché parles soulèvements de Tunisie et d’Egypte.

Les manifestations ont eu lieu prin-cipalement sur la place de la Perle, aucentre de Manama, la capitale. Les auto-rités ont réagi comme si elles étaientconfrontées à une insurrection armée,alors même que le mouvement étaitessentiellement pacifique. En mars, uneforce militaire saoudienne a traversé lepont-digue reliant l’Arabie Saoudite àBahreïn. Répression féroce, arrestationsen masse et torture ont suivi. Des expertsmédico-légaux qui sont intervenus à l’appel d’une commission d’enquête ontconstaté que 63 détenus avaient été simaltraités que des marques de tortureétaient encore visibles trois ou quatremois plus tard.

L’aile la plus dure de la famille royale,soutenue par l’Arabie Saoudite, a essayé demarginaliser le prince héritier Salman benHamad, perçu comme le plus libéral desmembres de la famille. Avant la vague derépression de mars, celui-ci avait tenté deparvenir à un accord avec Al-Wifaq, le prin-cipal parti [chiite] d’opposition. Depuis,il a perdu une bonne part de son autorité,au même titre que le roi Hamad.

La colère des chiitesLa répression s’est accompagnée d’unecampagne de dénigrement des chiitesdans les médias d’Etat. Ces derniers ontaffirmé sans la moindre preuve quel’Iran avait fomenté une rébellionarmée contre la dynastie Al-Khalifa. Leshaines religieuses se sont intensifiées,à tel point que des sociétés privées etdes organismes d’Etat dirigés par dessunnites ont refusé de réintégrer dessalariés chiites licenciés, contre la déci-sion du roi.

Mohammed Sadiq, du mouvementJustice pour Bahreïn, assure que, parmi

Bahreïn

La répression divise la famille royaleles personnes licenciées n’ayant pasretrouvé leur poste, vingt-quatre sontdes journalistes chiites qui travaillaientpour le journal Al-Ayyam et ont été misà la porte le 16 mars. Quelque quatrecents ouvriers d’Aluminium Bahrain(presque tous chiites) ont été renvoyéset seuls cinquante d’entre eux ont étéréembauchés, en ayant dû signer de nouveaux contrats qui leur font perdretous leurs congés annuels et leur couver-ture maladie.

La répression acharnée n’a pasramené la stabilité à Bahreïn et elle n’aguère de chances de le faire. Dans lesquartiers chiites, des manifestations s’or-ganisent, réprimées à coups de balles encaoutchouc et de grenades assourdis-santes. Chaque fois que des manifestantssont tués, cela déchaîne la colère de lacommunauté chiite. Avec la mort [le31 août] d’Ali Jawad Al-Cheik, 14 ans,apparemment tué par une grenade de gazlacrymogène tirée à bout portant, lafureur a franchi un nouveau palier.Patrick Cockburn

Le Conseil de coopération du Golfe(CCG) est devenu un acteur crucial lors des crises qui secouent le monde arabe, pour le meilleur et pour le pire — et plus souvent pour lepire. Depuis sa fondation,au début des années1980, il n’a pumalheureusement seprévaloir d’aucune actiondont les habitants duGolfe puissent être fiers.Le quotidien qatariAsharq affirme que

la totalité de ses pages ne suffirait pas pourénumérer les échecs de cette organisation lors de la gestion des crises arabes.On aurait aimé que leCCG prenne clairementposition sur le Yémen,que l’Arabie Saouditefasse une déclarationsans équivoque, gèle les avoirs bancairesyéménites, propose lasuspension du Yémen dela Ligue arabe. On auraitvoulu que les Saoudiens

empêchent (le présidentyéménite) Saleh derevenir à Sanaa. Au lieude quoi, en apportant sonsoutien à Saleh, le CGC a fait de 30 millions deYéménites ses ennemis.Ils savent très bien queles Saoudiens ont faitpression sur les autrespays du Golfe pour viderles places Taghiir (placesdu Changement, lieux de rassemblement des manifestants) qui ont fleuri un peupartout au Yémen.

Analyse

L’impuissance des pays du Golfe

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40 � Courrier international | n° 1092 | du 6 au 12 octobre 2011

Après trente-deux ans aupouvoir, José Eduardo dosSantos fait face à un vent de contestation depuis le moisde mars. Ces derniers jours, les manifestations se sontintensifiées.

Público Lisbonne

�P endant très longtemps, la guerrecivile a servi de justificationpour maintenir au pouvoir

Eduardo dos Santos. Les difficultésdu pays étaient mises sur le compte del’“ennemi”… Pourtant, neuf ans après lafin de la guerre, la richesse ne bénéficiequ’à une poignée de dirigeants. Le régime,lui, montre des signes de nervosité. SelonXavier Figueiredo, journaliste portugaiset directeur du bulletin d’informationÁfrica Monitor, “la contestation devientembarrassante pour le Mouvement populairepour la libération de l’Angola [MPLA], for-mation emblématique de la résistance ango-laise à l’occupant portugais et ses dirigeants,qui cultivaient une image d’indépendance enson sein, restent discrets”. Fernando Macedo,universitaire à Luanda et ancien présidentde l’ONG Justiça, Paz e Democracia, con -firme qu’Eduardo dos Santos “est fragilisédu fait de sa longévité et de l’exercice solitairedu pouvoir” et qu’il “n’est pas en conditionmorale de combattre la corruption et de chan-ger la ligne de conduite du régime”.

En 2012, des élections législatives doi-vent être organisées, avec une questionclé : dos Santos sera-t-il tête de liste duMPLA [ce qui ferait de lui le président dela République en cas de victoire] ? Cer-tains avancent l’hypothèse qu’il pourraitdiriger la liste et laisser la place au nu mérodeux en cours de mandat. Mais son carac-tère énigmatique n’autorise aucune cer-

Afrique

titude. “Il est le seul à savoir. Même lesmembres du comité central et du bureau politique du MPLA ne sont pas tenus au courant”, note l’universitaire FernandoMacedo. “Dos Santos veut être élu, ce quin’est jamais arrivé, pour se légitimer et avoirla possibilité de sortir par la grande porte”,affirme le journaliste Xavier Figueiredo.

En 1992, du fait de la reprise de laguerre civile, le second tour de la prési-dentielle contre Jonas Savimbi, ancienleader de l’Unita [opposant historique duMPLA soutenu par les Etats-Unis durantla guerre civile (1975-2002)], n’a pas eulieu. Le directeur d’África Monitor estimequ’Eduardo dos Santos n’annoncera passon départ dans l’immédiat, “sauf si lapression est significative”. S’il quitte le pou-voir après son élection, “le nom du numérodeux est d’une grande importance”. “Il doitfaire appel à quelqu’un qu’il pourrait pré-senter comme indépendant, ‘déconnecté’ de

sa personne, mais en qui il aurait confiance”,précise-t-il. Ce qui n’est pas du tout le casde Manuel Vicente, président de l’entre-prise pétrolière [publique] Sonangol, unpilier de son cercle rapproché et un par-tenaire privilégié en affaires d’Isabel dosSantos, la fille du chef de l’Etat. Si le choixde Vicente se confirmait, une hypothèserécemment avancée, ce serait la “poursuitedu pillage en Angola”, affirme le journalisteRafael Marques. L’idée d’un chan gementpolitique par les urnes semble impossi-ble. “S’il y a des élections, elles seront à nou-veau frauduleuses”, soutient FernandoMacedo, pour qui le poids de l’oppositionau Parlement depuis 2008 (16 députés

pour l’Unita, deuxième parti en termesde votes, face aux 191 députés du MPLA)“ne reflète pas la réalité”.

La partialité des principaux médias etla déstabilisation des partis ennemis parles services de sécurité fragilisent l’oppo-sition, selon lui. Fernando Macedo s’in-quiète de voir le MPLA “tenter de fairepasser l’idée que les protestations sont mani-pulées”. “Le MPLA doit faire une lecture res-ponsable de l’époque actuelle et promouvoirles changements qui s’imposent. A défaut, ilsera confronté tôt ou tard à la violence. Celle-ci ne sera pas une violence organisée par unmouvement en particulier, mais le résultatd’une lassitude née d’un sentiment d’injustice.” João Manuel Rocha

Angola

Un despote sous pression

en Angola”], éd. Tinta da China)révèle les crimes commis par les entreprises de sécurité et l’armée dans les zonesdiamantifères. Selon Marques, rien qu’en 2010, 20 mineurs

La bête noire de dos SantosD’après Público, le dernier livre du journaliste Rafael Marques(Diamantes de sangue. Corrupçao e tortura em Angola [“Diamants de sang : corruption et torture

La contestation est arrivée en Angola. Mais, pour qu’un“printemps arabe” surgisse,il faudrait un réseau reliant lesprotestataires des différentesrégions du pays. Ou bien qu’un événement unissela population dans une mêmemanifestation, à l’image de laTunisie. Il faudrait égalementune alternative crédible,estime Fernando Pacheco,coordinateur de l’Observatoirepolitico-social angolais (OPA),une ONG angolaise. Ce n’estpas la première fois que lesAngolais manifestent : ils l’ont

fait à plusieurs reprises cesdernières années, contre lesexpulsions de mal-logés, le manque d’eau, d’électricité…Mais jamais les protestationsn’avaient débouché de façonaussi claire sur des appels à unvéritable changement politiqueet à davantage de liberté.Jamais auparavant la contestation n’avait été aussidiffuse et sans réel visage,ce qui la rend plus difficile à contenir. Elle est le fait dejeunes sans étiquette politique,indignés, une nouvellegénération qui “veut voir

et sentir les réformes”, affirmeLisa Rimli, chercheuse de la section Afrique de l’ONGHuman Rights Watch. “Ces mouvements ont renduvisibles beaucoup de choses :emprisonnements,intimidations, menaces de mort. En les mettant surla place publique, ils ont faitdisparaître la peur”,ajoute-t-elle.Le gouvernement angolaiscraint que les projecteurs dela communauté internationalene se braquent sur le payscomme ce fut le cas pour

la Libye, la Tunisie et l’Egypte.Pour dissuader la population de se joindre aux protestations,le pouvoir agite l’exemplelibyen, où l’euphorie de la révolution a débouché surune guerre civile. Bento Bento,le premier secrétaire du MPLA à Luanda, met d’ailleurs en garde contre ceux quiveulent instaurer le chaos.“L’Angola n’est pas l’Egypte,la Libye ou la Tunisie. Ceux qui tenteront de manifester seront neutralisés, carl’Angola possède des lois et des institutions, et un bon

citoyen accepte les lois,respecte son pays.”Six mois après la premièremanifestation, la motivation de ceux qui protestent pourraitrester intacte, voire augmenter.Mais beaucoup pensent que,contrairement au “printempsarabe”, le changement ne viendra pas de la rue, mais de l’intérieur du MPLA.L’aspiration à la paix et à la stabilité, après trente ans deguerre civile, peut l’emportersur le désir de changement.Ana Dias CordeiroPúblico (extraits) Lisbonne

Analyse

Vers un “printemps arabe” à Luanda ?

� Dessin de Vlahovic, Belgrade.

A N G O L A

Luanda

Enclave de Cabinda(ANG.)

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Les ressources du pays

La question du départde dos Santos estpassée. Le pouvoir, lui, agite l’idée que les protestations sont manipulées

ont été assassinés. Ces sociétésspécialisées dans la sécurité ont pourclients des multinationales commeBP, De Beers ou Exxon Mobil. Le diamant est la deuxième sourcede revenus du pays après le pétrole.

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série de fo rages terrestres programmésdans l’ouest du pays et au large des côtes,dans le golfe de Syrte, a été suspendue endébut d’année.]

Mais le Conseil national de transition(CNT) ne souhaite-t-il pas organiser diffé-remment son secteur pétrolier, peut-êtresans aucune participation occidentale ? Al’origine, Kadhafi avait expulsé les pétro-liers occidentaux, avant de les inviter à reve-nir, une fois levées les sanctions des Nationsunies [en 1999] en relation avec l’attentatde Lockerbie [21 décembre 1988]. Le pro-blème, pour le CNT, c’est que le pétrolereprésente la quasi-totalité des revenus dupays [90 % des recettes d’exportation].Même si les nouveaux dirigeants du payspréfèrent nationaliser, il est impératifde relancer la production aussi vite que

du Nord – et comme c’était le cas en Irakavant qu’ils soient écartés par Saddam Hus-sein.

Les compagnies pétrolières occiden-tales privées sont toujours très combatives,mais elles sont également sur la défensiveparce qu’elles se font peu à peu évincer auniveau planétaire par les compagnies éta-tisées dans des pays comme le Venezuela,le Brésil et la Russie. Preuve de cette évo-lution, la tentative désespérée de BP deconclure un accord d’échange d’actions avecla compagnie nationale russe Rosneft. Unetentative qui s’est soldée par un échec.

Les réserves pétrolières de la mer duNord et d’autres gisements matures sonten train de s’épuiser, et les investissementstardent toujours à affluer quand il s’agit dedévelopper des solutions alternatives pro-duisant moins de CO2. D’où l’inquiétudedes chancelleries occidentales quant auxfutures livraisons de brut. Le pétrole a étéune des facettes de la guerre en Libye et,là encore, le nouveau gouvernement de Tri-poli pourrait bien l’emporter. Terry Macalister

que la production libyenne retrouveses niveaux d’avant la guerre”,rapporte le quotidien libyenBarniq. Le 19 septembre, près d’un mois après la prise de Tripoli,

Marché “Les pays du Golfe membresde l’Organisation des paysexportateurs de pétrole (Opep) vontréduire progressivement leur production de pétrole à mesure

Courrier international | n° 1092 | du 6 au 12 octobre 2011 � 41

La relance de l’exploitation del’or noir est désormais à l’ordredu jour. Pour les nouveauxdirigeants libyens, c’est lemoment de revoir la stratégieéconomique du pays.

The Guardian (extraits) Londres

�L ’économie libyenne dépend deshydrocarbures et le gouverne-ment de transition va avant tout

veiller à remettre les puits en service. Deleur côté, et alors que la poussière des com-bats n’est pas encore retombée à Tripoli,Britanniques et Français jouent déjà descoudes pour savoir qui a droit à quoi dansce secteur – à l’instar de ce qui s’est pro-duit en Irak, où BP et Shell ont décrochéde juteux contrats dans le sillage de l’in-tervention militaire occidentale.

Si les Britanniques se sont montrésplus discrets que les Français quant à cequ’ils espèrent récolter, nous savons tou-tefois que BP et les chefs de l’oppositionse sont déjà rencontrés, et que le géantpétrolier se prépare à revenir en Libye. L’af-faire se présente plutôt bien. Un respon-sable d’Arabian Gulf Oil Company (Agoco),la compagnie pétrolière des re belles, a sou-ligné que les intérêts de Londres, Paris etRome seraient tous pris favorablement encompte au détriment de ceux qui ont hésitéà soutenir la rébellion, comme la Russie etla Chine. [BP est présent en Libye en vertud’un accord d’exploration signé en 2007avec l’ancien régime. La préparation d’une

Dans notre pays, richeproducteur de pétrole,nous vivons depuislongtemps dans unegrande pauvreté. Au nomd’un pseudo-socialisme,l’ancien régime avait abolile secteur privé et laquasi-totalité des Libyenssont devenus desfonctionnaires mal payéssans espoir de promotion.Les choses se sont encoreaggravées dans lesannées 1990, avecl’effondrement du coursdu dinar libyen face audollar. Que fairemaintenant pour que lescitoyens profitent de nosrichesses naturelles ? Lapremière option serait derelever les salaires. Maiscela ne fera qu’alimenter

l’inflation et absorberatous nos moyensfinanciers. Etant donnéque notre pays importe àpeu près tout del’étranger, notrepréférence va à une autreoption, la réévaluation du dinar face au dollar.Ramener le taux dechange à ce qu’il était il y aun ou deux ans encore acertes un coût immédiattrès élevé. Mais lesretombées de cettemesure bénéficieront àtous les secteurs del’économie et l’ensemblede la population en tireraprofit. Cela n’empêcheévidemment pasd’augmenter les salaires,mais graduellement, dansle cadre d’un projet global

encourageant l’initiativeprivée et régulant lenombre des postes dansla fonction publique, quireprésententactuellement 80 % desemplois. La réévaluationde notre monnaie est unedécision qui demande ducourage, d’autant plusque le Fonds monétaireinternational et la Banquemondiale ne manquerontpas de s’y opposer. Maispensons au combat et aucourage du peuple libyen,et notamment aux jeunes,dont la plupart seretrouvent sansressources. La priorité,c’est leur avenir.Ramadhan AhmedJarbou Libya Al-Youm(extraits) Londres

Point de vue

Renforcer le dinar face au billet vert

� Dessin de Smirnov, Russie.

Libye

Paris et Londres lorgnent les barils de Tripolipossible. - la Libye produisait 1,6 million debarils par jour, l’équivalent de 950 millionsd’euros par semaine aux tarifs actuels dubrut. De l’argent dont le CNT a désespéré-ment besoin, même s’il lui faut pour celaaccepter de partager son butin.

Quelle que soit la nature de l’accordconclu, il est peu probable qu’il ne soitqu’une nationalisation ou une capitulation.Le nouveau gouvernement va cependantchercher à imposer des conditions de par-ticipation plus rigoureuses aux compagniesoccidentales. Il est sans doute absurde decroire, comme le suggérait un article deLibération, qu’un tiers du pétrole libyen soittout simplement cédé aux Français. Pourle CNT, ce serait un suicide politique.

Ce qui s’est passé en Irak est instruc-tif. Bien que BP et d’autres aient obtenul’accès aux réserves irakiennes, les en -chères ont abouti à des “accords de ser-vices techniques”, selon lesquels BP etconsorts jouent le rôle de contractants ettouchent 1,46 euro sur chaque baril depétrole produit. Mais ils ne “possèdent”pas les réserves comme c’est le cas en mer

l’Opep a annoncé la reconnaissance du Conseil national de transition(CNT) comme représentant de la Libye en son sein.

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Economie

Ce secteur verra-t-il l’avènement d’unnouveau géant mondial d’Internet ? Pourl’instant, les grands noms du web – eBay,Amazon, Google ou Facebook – sont tousaméricains. Mais à l’heure actuelle ce sontdeux sociétés allemandes qui se battentpour la première place sur le marché de lalocation communautaire sur la Toile.

Le centre névralgique de cette cyber-vague made in Germany se situe à Berlin.C’est là, dans un morne bâtiment de briquedu quartier de Kreuzberg, que s’activel’essentiel de la centaine de salariésqu’emploie 9flats. A deux pas de là, un peuplus à l’est, l’autre challenger allemand estsur la brèche : la société Wimdu [créée en

mars dernier et présente en France], quidit compter 400 salariés, et derrièrelaquelle on trouve les frères Samwer.

Après une série de succès retentissants,Alexander, Marc et Oliver Samwer sontdevenus les grands manitous du web alle-mand. Puis ils ont trouvé sur leur routeStephan Uhrenbacher, et le duel s’esttransformé en triangulaire avec l’arrivéede l’américain Airbnb. Né en [août] 2008,ce pionnier du marché s’est longtemps focalisé sur les Etats-Unis, et ce n’estqu’aujour d’hui qu’il part à la conquête dumonde [il est lui aussi présent en France].

“Ne soyez plus un touriste !”Un bras de fer financé à coups de millions.9flats vient d’obtenir 10 millions de dol-lars [7,3 millions d’euros] ; en juin dernier,Wimdu a levé 90 millions de dollars, etAirbnb en obtenait 112 peu de temps après.La valorisation d’Airbnb s’élève désormaisà 1,3 milliard de dollars [955 millions d’eu-ros]. Reste à savoir si le marché sur lequelmisent ces investisseurs existe vraiment.Les Français, les Italiens et les Allemandsseront-ils nombreux à laisser les clés deleur maison à des étrangers ? Les révolu-tionnaires de la location de vacances sontconvaincus que le concept s’imposera. Lesbailleurs provisoires gagneront de l’argentfacilement, argumentent-ils, tandis que leslocataires pourront revoir leur budgetvacances à la baisse. De plus, il y a quelquechose d’“authentique” à être hébergé chezl’habitant. Des arguments sur lesquels9flats et Wimdu font leur publicité, avecdes slogans comme “Stop being a tourist !”[Ne soyez plus un touriste !] et “Travel like

sont disponibles, mais ce nombresera porté à 250 le 1er décembre, datedu lancement officiel, puis à 1 700d’ici à juin 2012. Le système reposesur un abonnement, auquel s’ajoutele prix de la location. Il permet de

En Ile-de-France Depuis le 2 octobre,les Franciliens peuvent tester le service d’autopartage Autolib’,concédé par la ville de Paris ̀au groupe Bolloré. Pour l’instant, unesoixantaine de voitures électriques

Les plates-formes de locationchez l’habitant se multiplient.Deux jeunes sociétésallemandes, Wimdu et 9flats,viennent défier l’américainAirbnb sur ce marché.

Focus (extraits) Munich

�V oilà déjà quinze ans – pour Inter-net, une éternité – que StephanUhrenbacher multiplie les pro-

jets sur le web. Tantôt il fonde une société,comme le répertoire communautaire debonnes adresses Qype ou le site de com- merce en ligne Avocado, tantôt il se con - tente de participer à leur lancement, commepour la pharmacie virtuelle Doc Morris oul’agence de voyage Lastminute.com. Maisson nouveau projet surpasse sans doutetous les précédents.

Baptisé 9flats, ce projet est une bourseen ligne [lancée en Allemagne en févrierdernier, puis dans d’autres pays d’Europe,dont la France] qui permet de louer sonlogement à la journée, de particulier à par-ticulier. Les débouchés sont immenses,s’enthousiasme cet entrepreneur de42 ans : “Rien qu’en Europe, le marché hôte-lier pèse 250 milliards de dollars [183 mil-liards d’euros].”

Certains particuliers louent déjà leurappartement à des voyageurs, y comprisen Allemagne, par exemple lors du salon[technologique] CeBIT de Hanovre oupendant la fête de la bière de Munich. Maisaujourd’hui les acteurs du web entendentprofessionnaliser le marché.

A la fin des années 1990, lorsqueRobin Chase et ses associéscherchaient un nom pour ce quiallait devenir le réseaud’autopartage Zipcar, ils ont vitecompris qu’il ne fallait pas parlerde “partage” [share]. “Tous les noms qui comportaient cemot étaient rejetés [lors destests] par 40 % des personnesinterrogées, se souvient-elle.Elles pensaient ‘Ça va êtreminable, sale, et je vais devoirattendre [pour ma voiture].’C’est comme si on avait parlé departage de lits pour les hôtels.”Aujourd’hui, Zipcar est l’exemplele plus éclatant d’un nouveautype de partage qui s’estdéveloppé depuis dix ans. [La société a 9 000 voitures et600 000 abonnés en Amériquedu Nord et en Grande-Bretagne.]

En 2010, quand la ville de Washington a lancé CapitalBikeshare, le plus importantsystème de vélos en libre-service aux Etats-Unis, l’accueila été enthousiaste. Parmi tous les noms testés, celui qui comportait le mot sharea emporté la mise.Maintenant, il suffit d’aller sur Internet pour trouver encoreplus de partage. Buzzcar, la nouvelle entreprise de RobinChase [qui a quitté Zipcaren 2003], permet auxparticuliers de louer en ligne leurpropre voiture sur une courtedurée. Airbnb propose la mêmechose pour les appartements(lire ci-dessus). Ces nouveauxservices sont très différents,mais tous changent notreconception de la propriété.

Il existe plusieurs expressionspour désigner ce phénomène :économie empathique,capitalisme distribué ouconsommation et productioncollaboratives. Yochai Benkler,professeur à Harvard, préfèreparler de “marché social”, car ce type de modèle se fonde sur les obligations que nousressentons les uns envers les autres. Les motivations pour partager vont au-delà de la rétribution financière.C’est l’urbanisation croissante,associée à d’autres évolutionsculturelles, qui a déclenché ce phénomène. Surtout, le développement d’Internet a baissé le coût des transactionset les réseaux sociaux ont crééune nouvelle forme de richesse.Avant, on frimait en achetant

une voiture ; aujourd’hui,on frime sur Facebook. “C’estune nouvelle façon d’afficher un statut social, note RobinChase. Combien ai-je d’amis ?Combien de personnes tweetentà mon propos ? Quel est monscore pour tel jeu en réseau ?”Cela ne signifie pas que nous sommes soudainementdisposés à tout partager. La limite se situe quelque partsur ce que Yochai Benkler décrit comme un continuumconceptuel entre oranges et pommes. “Les pommes sontplus difficiles à partager. Ellesexigent un peu plus d’intimité oule maniement d’un couteau. Lesoranges, elles, ne demandentqu’à être partagées.” D’après lui,le succès ou l’échec des servicesde partage de logements

montrera jusqu’où noussommes prêts à aller.Si l’existence du marché socialsurprend, poursuit-il, c’est parceque les économistes ont su nousconvaincre que pour travaillerau profit d’un groupe nousavions besoin de systèmes decontrôle de haut en bas, commedans une économie dirigéecommuniste, ou de hausses de salaires et de primes, commedans l’économie de marché. “Ils disent que l’intérêt personnelrationnel explique tout, maisc’est faux. Nous nouscomportons comme nousl’exigeons de nos enfants sur le terrain de jeux, plutôt quecomme le prétendent les économistes.” Monica Potts The AmericanProspect (extraits) Washington

Modèle

Une nouvelle économie du partage

� Dessin de Cost, Belgique.

Internet

Particulier loue domicile à la journée

rendre la voiture dans une stationdifférente de la station de départ, à Paris et dans 45 villes de la petitecouronne. La Bluecar (qui est grise)est assemblée en Italie parPininfarina, et les batteries au

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a local !” [Voyagez comme les locaux !].Tout cela évoque les débuts du site de venteaux enchères eBay, estime Arne Bleckwenn,directeur général de Wimdu. “A l’époqueaussi, certains avaient des doutes. On sedemandait si, une fois la somme acquittée, lesgens allaient vraiment recevoir l’article qu’ilsavaient commandé.” eBay a convaincu. Maisquid des plates-formes de location ? Lesgens ne sont-ils pas plus prudents quandil s’agit de leur environnement intime ?

D’ailleurs, cette nouvelle expériencesociale a déjà connu un raté spectaculaire :aux Etats-Unis, un appartement loué viaAirbnb a été mis à sac, et l’affaire a étérelayée dans les médias du monde entier.“Nous n’avons constaté aucun fléchissementde l’activité après cet incident”, assure cepen-dant Gunnar Froh, responsable du sitepour l’Allemagne. Bien au contraire, lasociété affiche une croissance vigoureuse.Actuellement, en Allemagne, Airbnb réper-torie chaque semaine 500 locations sup-plémentaires – cinq fois plus qu’au débutde juillet. A l’international, il enregistre unehausse des inscriptions de plus de 40 % parmois. Depuis sa création, la société a traitéplus de 2 millions de nuitées. “A terme, nousaurons l’envergure d’un Amazon ou d’un Face-book”, prédit Gunnar Froh.

Une concurrence acharnéeIl y a donc beaucoup à gagner – mais pourune seule de ces jeunes sociétés. Car l’in-térêt du concept réside dans le volumed’offres proposées, tant pour les héber-geurs que pour les locataires. “Le numérodeux sera nettement plus petit”, pronostiqueArne Bleckwenn. C’est comme sur le mar -ché de la vente aux enchères : les sites nemanquent pas, mais il n’y a qu’un seul eBay.

Aussi les trois challengers se dispu-tent-ils âprement la première place.Airbnb a accusé ses concurrents de se fairepasser pour des voyageurs dans le but dedébaucher des hébergeurs – une accusa-tion qui visait vraisemblablement Wimdu.Sur des forums Internet, des propriétairesont rapporté que leur appartement avaitété répertorié à leur insu sur le site deWimdu. De telles allégations pourraienttrès bien être le fait d’un concurrent,rétorque Arne Bleckwenn, de chez Wimdu.Avant d’ajouter un bien sur son site, lasociété prend toujours langue avec sonpropriétaire, faute de quoi la transactionn’a pas lieu. De son côté, Airbnb va jusqu’àprétendre que 9flats et Wimdu seraientà vendre, ce que les deux sociétés alle-mandes démentent fermement.

La situation est confuse – et il est diffi-cile de dire qui sera demain le nouveauchampion du web. Airbnb, 9flats, Wimduaffichent tous les trois une croissance sou-tenue et promettent la meilleure qualitéde service. Mais les chiffres qu’ils avancentsont difficiles à vérifier. Selon StephanUhrenbacher, la victoire finale reviendraà celui qui aura su le mieux maîtriser lescoûts. Car il faudra peut-être encore unpeu de temps avant que le délicat businessde la location peer to peer n’enthousiasmeles foules. Joachim Hirzel

lithium métal polymère (LMP) sontfabriquées par Bolloré en Bretagne.Le groupe estime que la duréemoyenne de location sera inférieureà une heure et que l’opération sera rentable d’ici à sept ans.

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44 � Courrier international | n° 1092 | du 6 au 12 octobre 2011

Au Mexique, une biologiste veut commercialiser les gènes de bactéries vivant dans un bassin hydrographique. Le but : aider financièrement les habitants du lieu et les encourager à protéger cet écosystème.

Nature (extraits) Londres

�D ans le désert situé dans le norddu Mexique, des chercheurs s’ef-forcent de sauver une oasis de

vie avant qu’elle ne s’assèche définitive-ment. Le bassin de Cuatro Ciénegas, longde 40 kilomètres, regorge de sources, decours d’eau et d’étangs, dont certains exis-tent depuis des dizaines de milliers d’an-nées. Des organismes vivants qu’on netrouve nulle part ailleurs y prospèrent,notamment des colonies de cyanobacté-ries [une sous-classe de bactéries capablesde transformer la lumière en énergie chi-mique par photosynthèse] similaires auxpremières formes de vie qui ont peuplé laTerre. On y trouve également plus de70  espèces animales aquatiques endé-miques, comme Terrapene coahuila, la seuletortue boîte aquatique au monde.

Le gouvernement mexicain a créé danscette zone une réserve de 850 kilomètrescarrés. La pêche y est interdite mais pasd’autres formes d’activités humaines. “Lapopulation locale ramasse toujours du bois àbrûler et des plantes à cire. Quant aux che-vaux, leur crottin souille les nappes d’eau”,déplore James Elser, professeur de lim-nologie [science qui s’intéresse aux éten-dues d’eau continentales : lacs, mares, etc.]à l’université d’Etat de l’Arizona, à Tempe,et qui travaille dans la région. “La gestionde la réserve laisse à désirer.” Valeria Souza,

Ecologie

biologiste moléculaire à l’Université autonome nationale du Mexique, à Mexico,tente d’aborder le problème autrement.En juin dernier, elle a obtenu, non sanspeine, des autorités fédérales un permispour la commercialisation des gènesutiles qu’elle découvrirait dans la région.Les profits tirés des brevets seront par-tagés avec les communautés locales etMme Souza espère que cela les encourageraà préserver l’eau du bassin au lieu de l’uti-liser pour l’élevage.

Ce faisant, Mme Souza teste l’applica-tion par le Mexique du protocole de Nagoya– un traité signé lors de la Convention surla diversité biologique qui s’est tenue àNagoya, au Japon, en octobre 2010. Le

protocole vise d’une part à réglementerl’accès des scientifiques aux ressourcesgénétiques de la nature et d’autre part àfavoriser une distribution équitable desrevenus engrangés grâce à ces recherchesaux populations locales. Il définit les poli-tiques ou les réglementations nationalesque les pays signataires s’engagent à mettreen œuvre pour s’assurer que l’activité commerciale est menée selon des “termesmutuellement convenus” avec les populationslocales. A ce jour, 41 Etats l’ont signé, ycompris le Mexique et l’Union européenne,mais pas les Etats-Unis ni la Chine.

Le protocole n’entrera en vigueur quequatre-vingt-dix jours après la signaturepar un cinquantième pays. Pour autant,

certaines nations, comme le Mexique, ontdéjà commencé à explorer les pistes envi-sageables pour une mise en pratique. Parmiles gènes les plus prometteurs découvertsjusqu’ici par Mme Souza, ceux qui serventà la dégradation de composés organiquescomplexes pourraient s’avérer utiles pourla bioremédiation [la décontamination demilieux pollués grâce à des organismesvivants]. D’autres, permettant l’emploide formes de phosphore généralementinexistantes à l’état naturel, serviraient àcréer des plantes qui n’auraient pas besoind’engrais pour prospérer. Ce dernier typede gènes fera probablement l’objet du pre-mier brevet déposé pour la région.

Au cours de l’année écoulée, Mme Souzaa visité huit ejidos, ou divisions de terrescommunales, dans la région de Cuatro Cié-negas, afin de leur expliquer ses intentions.Six d’entre elles ont accepté de laisser lachercheuse prélever des échantillons devie microbienne sur leur territoire, avec lapromesse d’une future redistributionfinancière. Il faudra encore convenir dupourcentage des bénéfices revenant auxcommunautés, lesquelles décideront elles-mêmes de l’usage des fonds. Mme Souzaespère que ceux-ci serviront à la construc-tion d’écoles ou à celle de serres contri-buant à la préservation de l’eau.

Rien ne garantit que la vague pro-messe de potentiels gains financiersconstitue une motivation suffisammentforte pour mettre un terme à l’exploita-tion excessive de la nappe phréatique. Lesprojets du Mexique en matière de res-tauration des zones humides prennentenfin forme, quoique lentement, se féli-cite tout de même Mme Souza. En atten-dant qu’ils portent leurs fruits, elle veutcroire que sa “révolution biotechnologiqueen faveur des populations” servira la bonnecause. Nicola Jones

Initiative

Breveter la nature pour mieux la préserver

Organisme onusien Désormais, la biodiversité aussi a son grouped’experts. Parrainé par l’ONU, le projet IPBES – plate-formeintergouvernementale sur la biodiversité et les services

écosystémiques –, fondé sur le modèle du Giec, a été concrétisé cette semaine à Nairobi, au Kenya. Davantage d’informations sur http://ipbes.net.

Réhabilitation

On recherche castor vivant ou… vivantConsidéré comme nuisible aux Etats-Unis, le rongeur est aujourd’hui défendu par certains éleveurs à qui il est particulièrement utile.

The Wall Street Journal (extraits)New York

�C lyde Woolery ne souhaite qu’unechose : le retour de ses castors.Son ranch, situé à Beaver Creek

[ruisseau Castor], près de Kinnear, dans leWyoming (Etat de l’ouest des Etats-Unis),n’en abrite plus depuis des décennies, mais

ils lui seraient bien utiles aujourd’hui. Unepetite colonie de castors, dit-il, construi-rait des barrages, ce qui élèverait la surfacede la nappe phréatique sous ses prés etcréerait des mares pour son bétail. LaCommission de la chasse et de la pêche duWyoming nettoyant régulièrement lescanalisations d’égout de leurs rongeurs, cetéleveur de 64 ans s’est inscrit cette annéesur une liste d’attente dans l’espoir que lesautorités d’Etat lui procurent un ou deuxcastors vivants. Dans la région, les castorsont en effet toujours été chassés pour leurfourrure ou considérés comme des ani-maux nuisibles, accusés de bloquer l’écou-lement dans les canaux d’irrigation et de

causer des dégâts dans l’agriculture. Dansbeaucoup d’Etats, il est légal de les tirer aufusil dans les propriétés privées.

Or, selon de nombreux éleveurs etécologistes, beaucoup de campagnesauraient précisément besoin aujour-d’hui des compétences de ces rongeurs.Leur argumentaire est simple : ce n’estpas en tuant mais plutôt en capturantces animaux “nuisibles” qu’on permet-tra aux réserves naturelles et aux terresarables de prendre de la valeur, car grâceà eux elles disposeront de ressources eneau plus importantes. Leur retourcontribue à restaurer l’habitat des poissonset le couvert végétal, ce qui favorise la

multiplication d’animaux comme l’élanet le couguar.

“Nous nous sommes baptisés les ‘Partisans descastors’, car nous considérons que ces rongeursrestaurent mieux la nature que les hommes”,indique Celeste Coulter, intendante deNorth Coast Land Conservancy, une asso-ciation écologiste de Seaside (Oregon) quiappelle les promoteurs à abandonner cer-taines parcelles aux castors. “Nous pouvonsdépenser 200 000 dollars [147 000 euros] pourdéposer du bois dans un cours d’eau ou y trans-porter des rondins à l’aide de câbles afin deretenir l’eau. Parfois ça marche, mais parfoispas. Alors qu’avec une colonie de castors çamarche toujours.” Joel Millman

É T A TÉ T A T D E C O A H U I L A D E C O A H U I L A

Cuatro CiénegasCuatro Ciénegas

PérimètrePérimètrede la réservede la réserve

S i e r ra San Marco s

S i e r r aS i e r r ad e M e n c h a c ad e M e n c h a c a

Sierra de la Purísima

Source : College of Natural Sciences,Source : College of Natural Sciences,University of Texas (Austin)University of Texas (Austin)

M E X I Q U E

É T A T D E C O A H U I L A

Cuatro Ciénegas

Périmètrede la réserve

B a s s i n d eC u a t r o C i é n e g a s

Sierra de la Purísima

S i e r ra San Marco s

10 km1 000 km

S i e r r ad e M e n c h a c a

MEXIQUE

ÉTATS-UNIS

Cuatro Ciénegas

MexicoSource : College of Natural Sciences,University of Texas (Austin)

Une zone humide riche en biodiversité

Page 45: C.i n°1092 [ww w.vosbooks.com]

Voyage

Mal

TatouagesLe grand roman

européen d’un écrivain

d’expressi

on

catalane — p. 5

5

Le mouvement phare des a

nnées 1980 s’e

xpose à Londres — p. 4

6

L’art des “

sak yant” thaïla

ndais — p. 5

0

Partir en vacances a

vec des n

on-voyants, une ex

périence enrichiss

ante — p. 5

6

Long

courri

er

Postmodernisme

Page 46: C.i n°1092 [ww w.vosbooks.com]

The Guardian Londres

L’immeuble Sony se trouve à l’anglede Madison Avenue et de la 56e Rue,en plein Midtown de Manhattan.Avec ses 197 mètres, il domine sesvoisins immédiats, mais il y a à NewYork au moins 60 gratte-ciel plus

élevés. Il possède une façade d’une couleurcrème des plus inoffensives et un hall spectacu-laire au rez-de-chaussée. Et pourtant, en 1984,date à laquelle il fut achevé, il fut considérécomme l’édifice le plus affreux du monde. Toutcela à cause de son sommet. Il faut s’éloignerd’un pâté de maisons pour le voir. La tour,d’abord baptisée AT&T, du nom de la premièreentreprise qui en a été propriétaire, est couron-née par un fronton brisé : une entaille circulairea été creusée à la pointe du triangle qui surmontela façade. Un geste simple, plutôt beau. Maisaussi un immense acte de trahison de la part del’architecte, et la trace la plus visible qu’ait lais-sée à New York le postmodernisme, un courantartistique auquel le Victoria and Albert Museum(V&A) de Londres consacre sa nouvelle grandeexposition sous le titre “Postmodernism: Styleand Subversion 1970-1990” [voir p. 48].

Pourquoi une trahison ? L’architecte s’ap-pelait Philip Johnson. En 1932, il avait organiséau Museum of Modern Art de New York(MoMA) une fabuleuse exposition d’architec-ture. Les photographies et maquettes des réali-sations de Mies van der Rohe, Le Corbusier,Richard Neutra et d’autres poussèrent toute unegénération d’architectes à rompre radicalementavec les styles du passé et à adhérer aux prin-cipes du modernisme, dont le plus importantétait que la forme devait suivre la fonction. John-son avait baptisé cette nouvelle vague “styleinternational”, une appellation qui s’enracina àmesure que la ligne des toits des grandes villes(notamment Chicago) était transformée par desédifices de verre et d’acier, des immeubles sansornementation mettant en valeur les volumes.

Courant

Requiem pour le postmoderneCe mouvement placé sous le signe du pastiche et du clind’œil a dominé toute la culture des années 1980-1990. Il entre aujourd’hui au musée avec la grande expositionque lui consacre le Victoria and Albert Museum de Londres. Inventaire.

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Couleurs et citations1 - Pour la campagne de pubBenetton 1992, Oliviero Toscani n’a pas hésité à utiliser une photodocumentaire d’un sidéen mourant.2 - Grace Jones en robe de maternitéconstructiviste photographiée par Jean-Paul Goude (1979). 3 - La Piazza d’Italia, réalisée à La Nouvelle-Orléans par CharlesMoore (1979). 4 - Le fauteuil Bel Air de Peter Shire,membre du groupe Memphis (1982).

Long

courri

er

Radicalement utopique à l’origine, rêve d’unavenir rationnel débarrassé de la superstition etde l’ornementation, le style international étaitdevenu dans les années 1970 morne et dogma-tique. Pour chaque grande réalisation du mou-vement, comme l’immeuble Seagram de Mies etJohnson [1958], on comptait dix tours tout à faitquelconques dont l’indifférence au contextesemblait moins une expression d’universalitéque de l’arrogance des urbanistes. Le Royaume-Uni en a particulièrement pâti, et les tours d’ha-bitation de mauvaise qualité ont donné aumodernisme une mauvaise réputation dont il nes’est jamais entièrement remis.

Blague de mauvais goûtPour l’homme qui avait apporté le style inter-national à l’Amérique du Nord, orner sonimmeuble d’un fronton brisé c’était comme siMondrian avait décidé de mettre un vase defleurs dans un coin de sa trame en noir et blanc.La tour AT&T fut surnommée par dérision“immeuble Chippendale” parce que son fron-ton rappelait ceux dont les menuisiers duXVIIIe siècle ornaient souvent leurs commodeset bibliothèques. Un immeuble qui ressemblaità un meuble ? Ce devait être une blague, et demauvais goût qui plus est.

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Repères

Un mouvementen sept actes1972La démolition de la cité Pruitt-Igoe

Le monde moderne meurt à Saint Louis,Missouri, le 15 juillet 1972, à 15 h 32. Le dynamitage de la célèbre cité HLM Pruitt-Igoe retentit dans le monde entier. C’est du moins ce que dit le critiqued’architecture Charles Jencks dans son livrede 1977 Le Langage de l’architecturepostmoderne [Denoël, 2004].Après la démolition de Pruitt-Igoe, une nouvelle architecture fait sonapparition. A quoi ressemble-t-elle ?Il n’y a qu’à voir le No 1 Poultry de Londres,l’immeuble en pierre rayé rose et jaune de James Stirling. Achevé en 1997, c’est sansdoute l’édifice postmoderne le plus connudu Royaume-Uni. A l’intérieur, un sol inclinéconfère une aura Egypte ancienne, tandis que l’escalier principal cite la ScalaRegia Renaissance du Vatican. La façade est ornée d’une horloge qui cite la postecentrale de style fasciste de Naples et surmontée d’une tourelle qui ressemble à un kiosque de sous-marin. C’est unreproche adressé à tous ces immeubles de bureaux tristes à mourir avec leursmêmes chaises Le Corbusier et leursmêmes costumes-cravates. Cela ne l’a pasempêché d’être élu cinquième immeuble le plus laid de Londres.

1973Les débuts du capitalisme tardifLe monde sombre dans la récession de 1973à 1974, avec la flambée des prix du pétroleconsécutive à la guerre israélo-arabe. C’est la fin des Trente Glorieuses en Europeet aux Etats-Unis. Cette récession et cellede 1979-1983 entraînent l’effondrement de l’ancien modèle fordiste de productionindustrielle de masse. Les CDD semultiplient, les emplois se délocalisent en Pologne et encore plus à l’est. L’èreindustrielle cède la place à celle de l’information, les capitaux se déplacentplus librement dans le monde, lesentreprises se développent à l’international.Bienvenue dans le postfordisme ou, si l’onpréfère, dans l’ère du capitalisme tardif. Ces termes, à l’instar de “déconstruction” et “poststructuralisme”, sont, sinonsynonymes de “postmodernisme”, du moins synchrones avec lui. �

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48 � Courrier international | n° 1092 | du 6 au 12 octobre 2011

Mais Johnson n’était pas le seul à décou-vrir qu’il avait le sens de l’humour. Des architectestrès sérieux se mirent soudain à ajouter de la cou-leur à leurs créations, faisaient de petites allu-sions historiques, des clins d’œil. Toutes sortesde choses qui avaient été bannies refirent leurapparition : le trompe-l’œil, le vernaculaire, lepastiche. Le couple d’architectes Robert Venturiet Denise Scott Brown publia en 1972 un ouvragethéorique sur l’endroit de la planète construitavec le plus de mauvais goût, le Strip de Las Vegas,et lui donna le titre provocateur de L’Enseigne-ment de Las Vegas [éd. Mardaga, 2007]. Avec sadébauche de panneaux d’affichages et d’enseignesau néon, le Strip, affirmaient-ils, était (littérale-ment) un lieu de signes plutôt que de choses, oùles immeubles n’étaient qu’une infime partie d’unenvironnement de séductions sémiotiques conçupour être lisibles par une personne qui passeraitdevant à 50 km/h.

Voici l’essence du postmodernisme : l’idéequ’il n’y a pas d’essence, que nous évoluons dansun monde de signes et de prodiges où tout a déjàété fait et traîne tout autour de nous sous la forme

de débris culturels en attente d’être réutilisés,assemblés selon des modalités nouvelles etoriginales. Rien n’est direct, rien n’est nou-

veau. Tout est déjà passé par une médiation.Le réel, quoi qu’il soit, n’est nulle part. Le mondedes signes est fugitif, liquide, délirant, jetable. Lesgens intelligents l’abordent avec scepticisme. Lasincérité est out. L’ironie est in. L’ironie, et le style.Si le modernisme privilégiait la substance, uneconception sérieuse destinée à résoudre des pro-blèmes sérieux, dans le postmodernisme toutétait dans la manière, la démarche et l’attitude.

Les commissaires de l’exposition du V&A ontjudicieusement choisi d’écarter l’art et la littéra-ture (qui pourraient faire l’objet d’une secondeexposition) et de présenter le postmodernismecomme un ensemble de stratégies de design, àl’œuvre aussi bien dans la mode que dans le gra-phisme et le mobilier. Ils ont également eu l’ef-fronterie de le circonscrire à une période de vingtans, cadre dont ils s’affranchissent allègrementlorsque cela les arrange. Il en résulte une histoiretrès originale d’un passé culturel récent, qui estpassé de l’avant-garde aux musées sans que nousnous en apercevions.

Couleurs aciduléesPour les designers, le postmodernisme consistaità fabriquer des objets qui avaient l’air d’être dessignes d’eux-mêmes. Les Italiens facétieux dugroupe Memphis ont défini l’esthétique de la findes années 1970 et du début des années 1980 avecdes meubles et des objets qu’on aurait dit toutdroit sortis de bandes dessinées, avec des formessimples assemblées de façon absurde et des cou-leurs vives, artificielles. A Los Angeles, Peter Shirecréait du mobilier aux couleurs acidulées qui sem-blait toujours sur le point de se réfugier dans labidimensionnalité. Son fauteuil Bel Air, conçu en1982, est l’incarnation même de la légèreté post-moderne, un objet qui pouvait exister à n’importequelle échelle, au bord d’une piscine, dans unaquarium, au fond d’un verre à cocktail. Mais lepostmodernisme, protéiforme, jamais facile àcerner, ne parlait pas seulement d’un avenir debande dessinée. Le goût du pastiche historique,des cuisines rustiques et du kitsch néogéorgiens’inscrivait dans la même tendance. Les robes etles tissus Laura Ashley et les films Merchant Ivorysont à leur manière aussi postmodernes que lescréations de mode de Rei Kawakubo [le fonda-teur de la griffe Comme des Garçons] ou l’orgiegraphique qu’est l’immeuble Team Disneyd’Arata Isozaki à Orlando.

Si le postmodernisme pouvait être amusantet intelligent, il était aussi dérangeant. Dans un

monde de signes sans frictions, qu’advenait-il desvaleurs ? Cette question n’a été posée nulle partavec davantage de force que dans la campagne depub pour Benetton d’Oliviero Toscani, où desphotos volontairement provocatrices de maladesdu sida et de condamnés à mort étaient utiliséespour vendre des tricots aux couleurs pastel. Lecynisme du travail de Toscani semblait dire quenous vivions dans le monde de Vidéodrome (1983),le film d’horreur de David Cronenberg, l’histoired’un producteur de télé pas très net qui découvresur une chaîne câblée un programme à contenusexuel d’une violence inouïe. La progressionimplacable de l’argent dans le paysage cultureldes années 1980, avec des figures telles que Jean-Michel Basquiat et Keith Haring décrivant destrajectoires brèves et tragiques, semblait à cer-tains une corruption fondamentale de l’idée d’art.Pour d’autres, c’était juste marrant.

PosthumainDe façon fort appropriée pour un moment cul-turel où chacun semblait jouer son propre per-sonnage, des chanteurs postmodernes commeGrace Jones, Leigh Bowery et Klaus Nomi développèrent un style de présentation qui s’af-franchissait pour la première fois des limiteshumaines. Sur la chaîne de clips MTV (néeen 1981) et dans les pages de magazines conçuessur le nouveau Macintosh d’Apple (lancé en 1984),ils avaient l’air à la fois sur-et infrahumains,comme les réplicants du film de Ridley Scott BladeRunner (1982). Les corps postmodernes évo-quaient souvent des machines, comme dans letotalitarisme pince-sans-rire des groupes Kraft-werk et Devo. Les plus humains des actes, commedanser et chanter, furent contaminés par quelquechose de robotique et d’une inquiétante étran-geté : David Byrne avec sa danse saccadée et sescostumes trop grands, Laurie Anderson avec savoix vocodérisée chantant des berceuses surSuperman, Boy  George liquidant les genres,Madonna, la blonde canon et hyperdisciplinée quisemblait plus proche des androïdes joués parArnold Schwarzenegger que des pin-up pop de lagénération précédente, en sont de bons exemples.Les photos de Grace Jones retouchées et mani-pulées par Jean-Paul Goude, avec des membresallongés et une peau huilée évoquant le chromeet la peinture à la bombe, figurent parmi les docu-ments les plus forts de l’époque. Grace Jonesmontrait la voie vers quelque chose d’inquiétantet d’exaltant à la fois, qui, au tournant des années1990, fut codifié comme “posthumain”.

Glenn Adamson et Jane Pavitt, les commis-saires de l’exposition du V&A, mettent en avantle clip de la chanson Bizarre Love Triangle, de NewOrder, comme paradigme du style visuel post-moderne. Son réalisateur, l’artiste new-yorkaisRobert Longo, a créé un palimpseste d’imagespixellisées et décontextualisées et inséré un clind’œil à sa série Men in the Cities, qui montre deshommes et des femmes en costume de ville entrain de tomber. Après le 11 septembre 2001, onne peut pas regarder ces images sans se sentir malà l’aise, ce qui rend encore plus étrange l’allusionaux personnages de Longo que l’on trouve dansle générique de la très populaire série téléviséeMad Men, où l’on voit un homme d’affaires tomberle long de la façade d’un immeuble qui fait inévi-tablement penser aux édifices de style interna-tional les plus notoirement absents de Manhattan,les tours jumelles du World Trade Center,conçues par Minoru Yamasaki.

Pour beaucoup, les événements du 11 sep-tembre ont signé la mort du postmodernisme entant que courant intellectuel. Il est devenu évi-dent ce matin-là que “l’incrédulité envers le méta-récit”, comme Jean-François Lyotard définissaitla pensée postmoderne, était le passe-temps d’une

� 1979Parution de “La Conditionpostmoderne”Pendant ce temps, à Paris, un penseur nommé Jean-François Lyotard cesse de farfouiller sous le col roulé de sa maîtresse pour allumer sa 37e Gitanes de l’après-midi. Il expire la fumée, fait “Bah, ouais”, et se met illico à écrire son essai révolutionnaire, La Condition postmoderne[éd. de Minuit, 1979]. Il y affirme que les fondations intellectuelles de la pensée occidentale telles qu’elles ont été posées par Kant, Hegel et Marxsont chancelantes. Selon lui, les sociétésoccidentales se sont appuyées depuis les Lumières sur des “métarécits”,qui ne sont plus des récits du progrèshumain crédibles. Comme beaucoupd’autres soixante-huitards, il est déçu que l’un de ces métarécits, le marxisme,n’ait pas tenu sa promesse de paradis.Avec des gens comme Foucault, il pense que des interventions politiqueslocalisées – le féminisme, l’écologisme, les politiques identitaires – vont remplacer les mouvementsprogressistes de masse.

1984L’art colonisé par le commerceLe théoricien américain Fredric Jamesonpublie Le Postmodernisme ou la logiqueculturelle du capitalisme tardif[ENSBA, 2007], un essai où il affirme que l’art a été colonisé par le commerce.C’est avant que le publicitaire Charles Saatchi se mette à acquérir des Young British Artists et plusieursdécennies avant que Damien Hirst se vante d’avoir vendu un crâne incrusté de diamants pour 74 millions d’euros. L’art moderne cherchait à racheter le monde. L’art postmoderne est produitpar des artistes coincés dans un mondequ’ils ne peuvent guère changer.

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Fauteuil Consumer’s Rest, créé par Stiletto en 1983.

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A voir

L’exposition“Postmodernism:Style and Subversion1970-1990” a étéinaugurée le24 septembre et setient jusqu’au15 janvier 2012 auVictoria and AlbertMuseum de Londres,le grand muséebritannique du designet des arts décoratifs.Renseignements etréservation sur le siteInternet du musée(vam.ac.uk).

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1989Jeff Koons est blaséJameson a aussi écrit sur le “déclin de l’affect”, qui caractérise selon lui la subjectivité postmoderne. Jeff Koonssemble lui donner raison avec l’affiche qu’ilcrée pour annoncer son exposition au Whitney Museum de New York. Intitulée“Made in Heaven” [Fabriqué au paradis],elle montre l’artiste en pleine joute sexuelleavec sa femme, la star du porno la Cicciolina.Mais on ne peut pas dire que Koons ait l’airtransporté par la passion : son affect sembleproche de zéro à en juger par son regard vide.L’œuvre, explique Koons avec une ironietoute postmoderne, introduit le spectateurdans “le royaume du Sacré-Cœur de Jésus”.

1992La fin de l’Histoire

“Il se peut bien que ce à quoinous assistons, ce ne soit pas seulement la fin de laguerre froide ou d’une phaseparticulière de l’après-guerre,mais la fin de l’Histoire en tantque telle : le point final de l’évolution idéologique

de l’humanité et l’universalisation de la démocratie libérale comme forme finalede gouvernement humain”, écrit FrancisFukuyama dans La Fin de l’Histoire et ledernier homme [Flammarion, coll. ChampsEssais, 2009]. Selon lui, il ne peut plus y avoir de grandes guerres idéologiquespuisque “toutes les contradictionsantérieures sont résolues et tous les besoinshumains satisfaits”. Il a évidemment toutfaux, mais qu’importe, ses idées cadrentavec l’humeur postmoderne de l’époque. Si l’Occident a gagné, si toutes les valeurssont relatives et éternelles, alors il ne reste plus que des humains quipiochent stupidement dans des biens deconsommation jusqu’à ce que notre espècefasse ce qu’elle a à faire : se foutre en l’air.

L’avenirEt maintenant ? Au plus fort du postmodernisme, note David Byrne dans le catalogue del’exposition, “on pouvait tout mélanger et tout associer – ou mixer, comme on ditaujourd’hui –, et tout était une sourced’inspiration valable. Cela m’allait très bien.Un goût de liberté. C’est du moins ainsi que je l’ai pris, même si l’on voyait denouvelles règles s’établir alors même qu’onessayait de dire : ‘On n’en veux plus de cesfoutues règles.’ Il y eut très vite des règlespostmodernes. Il était temps de passer àautre chose.” Sans aucun doute. Mais quepeut bien signifier le post-postmodernisme ?Stuart Jeffries, The Guardian (extraits)Londres

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minorité, un Rubik’s cube intellectuel pour uneminuscule élite urbaine et occidentale. Visible-ment, la majeure partie des habitants de la pla-nète trouvait encore une utilité à Dieu, à la véritéet à la justice, des mots qu’ils utilisaient sansguillemets. Le directeur de la rédaction de VanityFair, Graydon Carter, fut abondamment moquépour avoir décrété que les attentats avaientmarqué “la fin de l’ère de l’ironie”, mais son utili-sation du mot clé du postmodernisme s’est avéréeprémonitoire. Si l’ironie n’a pas disparu (bien quesous la littéralité et la fausse sincérité écrasantesdes années de guerre Bush-Blair, elle a semblé unbien rare et précieux), le postmodernisme lui-même a paru soudain défraîchi.

Si l’on utilise Ngram Viewer, l’outil d’analysetextuelle de Google, pour mesurer la fréquence

du mot “postmodernisme” dans les livrespubliés depuis 1975, on observe une augmenta-tion en flèche, avec un pic autour de 1997, suivied’une dégringolade tout aussi brutale. La diffé-rence est saisissante avec le mot “Internet”.Quasiment inusité avant le milieu des années1980, “Internet” dépasse “postmodernisme” enl’an 2000 et continue de progresser. Toutes lesavant-gardes font dans le futurisme. Ellesessaient d’habiter l’espace qu’elles prophétisentet, ce faisant, lui donnent une existence. Lepostmodernisme a été, fondamentalement, unphénomène prénumérique. Avec le recul, toutesces choses qui semblaient si excitantes à ses dis-ciples – l’excès étourdissant d’informations,l’aplanissement des vieilles hiérarchies, la fusiondes signes et du corps –, Internet les a renduesréelles. C’est comme si la culture avait rêvé d’In-ternet et que, au moment où il est arrivé, nousn’avions plus besoin de ces rêves, ou plutôt queces rêves étaient devenus triviaux et qu’ils fai-saient partie intégrante de notre quotidien.Nous avons connu la fin du postmodernisme etl’aube de la postmodernité. Hari Kunzru

Stratégies de design1 - L’immeuble Sony de PhilipJohnson, achevé à New York en 1984marque la fin du style international.2 - La lampe Super de Martine Bedin,membre du groupe Memphis (1981).

L’auteur

Né en 1969 dans unefamille britanniqued’origine indienne,Hari Kunzru estromancier etjournaliste. Il a publiédes articles et destextes de fiction dansde nombreux titres dela presse anglophone,et écrit encorerégulièrement dans lequotidien TheGuardian. Son premierroman, L’Illusionniste,paru en 2003 (10/18,2006), est un succèscritique et commercial.Depuis, il a publié Leela(10/18, 2007) et Mesrévolutions (Plon,2008). Traduits en unevingtaine de langues,ses romans mettent enscène des personnagespris dans des conflitsculturels ou politiques.Son dernier roman,Gods Without Men, estsorti au Royaume-Unien août dernier et paraîtra en août 2012 en France chez JC Lattès sous le titreDieu sans les hommes.(harikunzru.com)

Repères

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Art corporel

La magied’une secondepeauTradition séculaire en Thaïlande, les tatouages rituels sont censés conférerforce et protection. Ils offrent même aux truands la possibilité de se racheter une conduite. Un livre récent nous introduit dans cet univers singulier.

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L’adepteKoy, 23 ans, chef cuisinièreHaut du dos : Kao Yot (neuf piliers) Milieu du dos : Yant Phichai Sangkhram (guerrier), entouré, à gauche, de Yant Suwan Matcha (sirène) et, à droite, de Yant Kai Fa (faisan) Bas du dos : Yant Sua (tigre) et Yant Phu Son (cinq bouddhas) encadré par deux Sarika (oiseaux)

Bangkok Post (extraits) Bangkok

Ouaaaahhh ! L’homme me foncedessus, le visage tordu de douleur.Son torse nu couvert de tatouagesluit de sueur. Il hurle, il crachesa colère, mais il court droitdevant lui.” C’est ainsi que

commence le livre Sacred Skin [voir p. 51], uneintroduction accessible à l’art du tatouage rituelthaïlandais, le sak yant [de sak, “tatouer”, et yant,“prière”], qui suscite un engouement croissantdans le monde, du fait, entre autres, de l’intérêtque lui porte l’actrice Angelina Jolie.

Ces premières phrases évoquent un hommeen transe, possédé par son tatouage de tigre.La scène se déroule à Wat Bang Phra [un templebouddhiste à une cinquantaine de kilomètresde Bangkok], le jour du Wai Khru, cérémonieoù les disciples tatoués rendent hommage àleur ajarn [maître]. Le lien maître-disciple faitpartie intégrante du sak yant, comme l’expliquele livre. Quand un maître réalise un tatouage,il fixe un ensemble de règles que le disciple � 52

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Grammaire

Du sens dequelques motifsForme géométrique

Un nombreincalculablede tatouagesoffrantprotection etimmortalitéentrent dans cette

catégorie. Ce n’est pas le motif quidétermine sa fonction, mais ce qui est écrit à l’intérieur. Kao Yot, “les neuf piliers” (photode gauche), est le premier des tatouagesque les adeptes reçoivent de leur maître,généralement sous la nuque.

CharmeCes yant, qui se déclinent en unemultitude de motifs,ont pour objetd’attirer le sexe

opposé ou d’aider à choisir un partenaire. Les prostitué(e)s s’en servent pour appâterles clients. Paed Pha Yathon, un charme en forme de pénis, est réputé séduire les femmes, surtout s’il est associé à un mantra puissant.

TigreCe yant associé à laforce, à l’intrépiditéet au pouvoir est trèsprisé des militaires et des policiers. Les

hommes d’affaires pensent qu’il les aidera à écarter les concurrents. D’autres luiattribuent le pouvoir de chasser les mauvaisesprits. On peut se le faire graver n’importeoù, mais le torse reste l’endroit de prédilection. Il est parfois représentébondissant toutes griffes dehors ou à l’affût d’une proie.

GeckoDe nombreuses croyancessont associées au ChingChok. On dit en Thaïlandeque, si le gecko s’exprimealors qu’on est sur le point de partir, il vaut mieuxremettre son déplacement à plus tard. Un gecko est

censé procurer des avantages dans le cadreprofessionnel, deux geckos jouent le rôled’un charme et un gecko avec un sacd’argent dans la gueule porte bonheur.

CrocodileYant Jo Ra Ke est réputé aiderdans les affaires. En raison de sa force et de son habiletéà chasser des proies, il esttrès prisé des pêcheurs.Attention toutefois : celui qui l’arbore ne doit pas boired’alcool ni s’asseoir

près de l’eau, car il risque d’entrer en transe, de sauter dans l’eau et de s’y noyer.(Suite page 54)

Le livre

Sacred Skin – Thailand’s SpiritTattoos a été publié en juillet dernier parles éditions VisionaryWorld de Hong Kong.Le texte est signé par le journaliste et scénariste allemandTom Vater, auteur de plusieurs ouvragessur des thèmesasiatiques. Lesphotographies sont de son épouse, AroonThaewchatturat, une photographethaïlandaise qui publiesouvent dans desmagazines de voyageallemands comme Geo et Merian.Quelques noticesconcises donnent à comprendre la signification de ces tatouages quitapissent d’écritures et de motifs des corpsentiers. Mais le livretire avant tout sa forcedes photos explorantces épidermesésotériques avec le parti pris de la sobriété.(sacredskinthailand.com)

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devra suivre le restant de ses jours, fautede quoi le sak yant perdra ses pouvoirs. Lesmotifs et la graphie des tatouages ont des ori-gines et des objectifs multiples. L’astrologieet le surnaturelsont, avec lebouddhisme,au cœur de lavie de nombreuxThaïlandais, un syncrétisme qui s’exprime plei-nement dans le sak yant. “L’ancienne écriturekhmère utilisée pour les formules magiques ressembleà une langue venue d’un monde disparu. Elle oscilledu limpide à l’illisible, du poétique à l’anarchique”,écrit l’auteur du livre, Tom Vater.

Des “lignes de gribouillis antiques et de for-mules magiques” se déploient sur le cou, le torseet le dos des disciples. Les textes sont écrits enkhmer ancien, mais s’énoncent en pali [langueliturgique bouddhiste]. L’ordre des lettres estsouvent modifié, ce qui rend le texte inintelli-gible même pour les plus avertis, et les motifsdifficiles à reproduire. Certains tatoueurs uti-lisent de l’encre industrielle, mais la plupartont leur recette secrète à base d’huiles et deplantes bénies par des mantras – et, parfois, desang et de bile.

Hanuman [le dieu-singe], tigres, dragons,oiseaux, serpents, lézards, anguilles et ermitessont parmi les motifs de prédilection. Ces élé-ments issus de la mythologie indienne, dubouddhisme, du brahmanisme, de l’animismeet de la superstition ordinaire forment un cock-tail pittoresque qui “bouscule des façons plus clas-siques de concevoir la spiritualité et fait parfoisenrager les bouddhistes conservateurs, souligneVater. Mais le monde du sak yant se nourrit de ceconflit entre foi et histoire, ordre et chaos, quête desens et charlatanisme, humilité et machisme – etn’est pas près de disparaître.” Le sak yant est sou-vent associé aux truands et

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Le maître tatoueurAchan Thoy Dabot, 43 ansFace Cou et épaules : Sangwan (collier de lettres) Haut du torse : Hanuman Milieu du torse : deux Yant Sua (tigres) Abdomen : Râhu (démon de l’éclipse). Dos Nuque et épaules : Sangwan (collier de lettres) Sous la nuque : Kao Yot (neuf piliers)Entre les omoplates : trois ermites Milieu du dos : motif géométrique Bas du dos : Ching Chok (deux geckos). Bras Bras gauche : ermite sur le haut du bras,Garuda (homme-oiseau, monture ailée de Vishnu) à l’intérieur de l’avant-bras Bras droit : ermite sur le haut du bras, Phra Narai (nom thaï de Vishnu) à l’intérieur de l’avant-bras Main gauche : Kongchak (motif circulaire) Main droite : Na Yant (enseignementsbouddhistes).Jambes Mollet gauche : Na Yant, charme, Yant Phrom Si Na (le svastika représentele dieu hindou Brahma, bâtisseur de l’univers) Cheville gauche : Yant Pit Khao (motif circulaire) Cuisse droite : Yant Sua (tigre) et Yant Thotsathit (dix directions) Mollet droit : Yant Hua Chai Phra Ratana Trai(trois merveilles), Hua Chai Yant (charme).

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(Suite de la page 51)Bouddha

Yan Ong Phra offre toutessortes de protections à celuiqui le porte. Certains yant de Bouddha sont eprésentéssous la forme du Bouddhalui-même, tandis qued’autres sont composés de formes géométriques.

ErmitePho Kae (Ruesi en thaï et Rishi en hindi) vécut, dit-on, dans une forêt en Inde où il méditait, étudiaitla médecine traditionnelle et les arts. Ruesi, mentionnépour la première fois dans l’épopée hindoue

du Ramayana, a été ensuite incorporé à la mythologie bouddhiste. De nos jours,nombre de maîtres tatoueurs vouent un culte à Ruesi et affirment détenir leurspouvoirs d’une longue lignée d’ermites. Il est représenté tantôt avec le visage d’unvieil homme à longue barbe, tantôt avec une tête de vache, tantôt marchant, tantôtassis en tailleur. Ce yant confère savoir,gentillesse et sérénité.

HanumanDieu-singe, il est unpersonnage central du Ramayana. C’est un guerrier qui mène ses troupes à la victoire. Son yant aide à trouver un bon emploi et à s’attirerles faveurs de son supérieur.

Les adeptes cherchent aussi en lui ses pouvoirs de séduction.

GaneshCe dieu hindou trèspopulaire symbolise la réussite. Doté d’une têted’éléphant et d’un corpsd’homme, il élimine les obstacles. De nombreuxThaïs vouent également un culte à cette divinité,

dont le yant est connu sous le nom de Yant Phra Pik Kaned.

aux tueurs à gages, aux prostitués etaux enfants des rues, aux amateurs decourses automobiles illégales sur les autorouteset aux élèves des établissements d’enseigne-ment professionnel [réputés en Thaïlande pourleur violence endémique]. Mais, comme il estexpliqué dans le livre, si les sak yant sont “lacarte de visite des mauvais garçons, beaucoupd’entre eux se rachètent une conduite une fois qu’ilsse dotent d’un tatouage sacré”. Car les tatouagess’accompagnent d’un certain nombre de règlesqui varient d’un maître à l’autre. Le premier yantcommande les suivants. Un lien spirituel entrele maître et l’adepte est ainsi établi. Les cinqpremiers préceptes bouddhiques – ne pas fairede mal aux êtres vivants, ne pas voler, ne pasavoir de comportement sexuel inconvenant, nepas mentir et ne pas consommer de drogues nide boissons enivrantes – constituent les piliersdu yant. Loin d’être de la simple superstition,la foi dans les pouvoirs du sak yant n’est guèreéloignée des grandes religions, note Vater. “Jus-qu’à présent, nos religions établies colportent lesvérités les plus baroques auprès de leursadeptes. Dans ce contexte, croire qu’un dia-gramme mystique vieux de deux milleans gravé sur la peau peut protégercelui qui le porte n’a rien de saugrenu.”Ezra Kyrill Erker

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L’adepteDam, 43 ans, mareyeurDos Nuque : Kao Yot (neuf piliers), Takhai Pet (toile de diamants)Epaules : Ong Phra, Unalom (révélation) Haut du dos : Yant Sua (deux tigres) encadré par Takhai Pet (toile de diamants) Milieu du dos : Râhu (démon de l’éclipse), entouré de deux cygnes et de deux Yant Klom (motif circulaire) Bas du dos : Phra Isuan (Shiva) montant l’éléphant Erawan, encadré par deux Yant Mangkon (dragons), un Yant Chorake (crocodile) et un Yant Ching Chok (gecko). Bras Bras gauche : ermite.

Grammaire

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Le livre

L’Europe et le malDe l’Inquisition à Auschwitz, cinqsiècles d’histoire défilent dans le nouveau roman de l’écrivain catalanJaume Cabré. Une magistrale réflexionsur la mémoire et le pardon.

La Vanguardia (extraits) Barcelone

Avec Jo confesso* [Je confesse],Jaume Cabré a écrit l’une desœuvres les plus ambitieuses dela littérature catalane contem-poraine. Ce roman aux multiplesniveaux de lecture s’adresse

aussi bien au lecteur du Nom de la rose d’Um-berto Eco qu’à l’amateur de romans d’idées. Joconfesso est aussi une tentative de lancementinternational d’un auteur catalan qui, si elle réus-sit, pourrait faire émerger le reste des écrivainscatalanophones.

Jo confesso est un roman symphonique de998 pages dans lequel Cabré insère l’autopor-trait d’un humaniste, Adrià Ardèvol, né en 1940dans le quartier barcelonais de l’Eixample, danstout un puzzle d’histoires où se succèdent lesépoques et les personnages, et dont se dégageun scepticisme très hobbesien à l’égard de lanature humaine. Le périple d’un précieux violonStorioni qui passe de main en main sert de filconducteur au récit.

Jaume Cabré traite, comme J.M. Coetzee,Mario Vargas Llosa ou Jonathan Littell, l’un desgrands thèmes de la littérature contemporaine :le mal, mais aussi la faute et l’impossible expia-tion, l’amitié et la trahison, la cruauté et la violence, le réconfort éphémère de l’art et del’amour, le fanatisme et la quête de savoir, lavieillesse et la beauté. Le tout sur fond de find’un monde humaniste : l’érudit sort de scène àla manière du dernier moine qui a quitté lemonastère de Sant Pere de Burgal, au XIVe siècle,en emportant avec lui, comme les Juifs fuyantl’Inquisition ou les nazis, l’inutile clé de lamaison où il vécut un jour heureux.

“Jo confesso, explique Cabré, est une réfé-rence claire au J’accuse de Zola, à ceci près qu’encatalan l’expression possède au moins deux signifi-cations : confesser au sens du sacrement religieux,mais aussi avouer un délit à la police ou sa culpabi-lité à quelqu’un.”

Un violon taché de sang qui passe de mainen main sert de fil conducteur à unetrame qui traverse l’histoire de l’Europe.En fonction du regard porté sur lui, ce violon est un instrument de culture et de plaisir esthétique ou, au contraire,un objet de convoitise.Jaume Cabré Oui, le violon est un élémentsymbolique. Adrià y voit un objet de culture quicrée de la beauté, tandis que son père l’antiquaire

ne voit que sa valeur économique, celle d’unobjet qui peut aussi être la cause de malheurs etde tragédies.

Dans votre roman, vous tracez unehistoire du mal en Occident. GeorgeSteiner, un penseur juif que vous citez,disait déjà que la culture n’est pas unantidote à la barbarie – Eichmann étaitpar exemple un amateur éclairé de Bach.Toute l’histoire de l’Europe, de la civilisation occi-dentale, est une histoire de cruauté, de violence,de pays créés à l’issue de guerres, de conflits fron-taliers et de guerres de religion. L’Europe a tou-jours été une pétaudière, mais, quand on regardece qu’il se passe ailleurs, on constate que ce n’estpas très différent et que les XXe et XXIe siècles n’ontpas le monopole de la cruauté.

[Le penseur] Isaiah Berlin est un de vospersonnages…Oui, je le mets au travail dans mon roman.

Ce philosophe libéral se demandait si leshommes avaient une morale commune et universelle.Dans le roman, le père de Sara, issue d’une famillejuive qui a vécu les horreurs du nazisme, dit àAdrià : “Après tout ce que j’ai vécu, la seule chose queje veux, c’est non pas faire le bien, mais tenter de nefaire de tort à personne, de ne pas faire le mal.” Moiqui suis dans une certaine mesure un sceptique,je partage ce point de vue.

Dans votre roman, l’inquisiteur NicolauEymerich apparaît sous les traits d’un nazi et un bourreau nazi se retrouveen Catalogne au XIVe siècle.Il s’agissait pour moi de souligner que la cruautéde l’Inquisition et celle des nazis sont identiques,même si, évidemment, elles ne sont pas compa-rables dans l’ampleur du mal que chacune a causé– les nazis ont été le mal absolu.

Une autre philosophe juive, Hannah Arendt, pointait du doigt la banalité comme caractéristique du mal moderne.Je ne suis pas d’accord avec elle. La banalité dumal a toujours existé. Décapiter pour le spec-tacle ou utiliser des crucifiés comme torcheshumaines pour illuminer une fête, les Romainsle faisaient déjà.

Le lecteur a du mal au début à savoir qui est le narrateur de la confession.Il le découvrira au fur et à mesure de la lecture.Ce que je peux dire, c’est qu’il lui arrivera detomber sur d’autres narrateurs, qui utilisent desregistres et des techniques différentes.

A qui le narrateur adresse-t-il sa confession ?A Sara essentiellement, mais je préfère ne pasdévoiler l’intrigue.

Pouvez-vous nous faire un portrait de votre personnage principal ?Le roman raconte la vie d’Adrià à partir de sonenfance solitaire dans un gigantesque apparte-ment de l’Eixample, où le shérif Kit Carson et legrand chef indien Aigle noir l’accompagnentdans son imagination. On découvre sa soif deconnaissances et comment, dès l’âge de 16 ou18 ans, il sait qu’il veut être professeur d’histoiredes idées, comprendre le pourquoi des civilisa-tions, le pourquoi du mal.

Dans le livre, Adrià affirme : “L’art est mon salut, il ne peut pas être le salutde l’humanité”, et il dit aussi que l’artifice littéraire est ce qui se rapproche le plus de la vérité de l’expérience vécue. Vous partagez ce point de vue ?Oui, il y a des choses que l’Histoire ne peut pastransmettre. C’est à la littérature de les expliquer.

Dans votre livre, il y a un certain parfumde fin d’un monde humaniste.Je ne dirais pas que nous assistons à la fin del’humanisme, mais c’est un peu cela. Dans leroman, Adrià déplore que ses élèves ne sachentpas qui est Horace ou qu’ils soient incapablesde reconnaître du Bach, et qu’ils s’en fichent.Aujourd’hui, on recherche à tout prix la spécia-lisation, et ceux qui souhaitent apprendre legrec ou le latin s’entendent dire que ce sont deslangues mortes. C’est aussi idiot que d’affirmerqu’on se fiche de savoir ce qu’est un chapiteauromain parce qu’on ne l’utilise plus en archi-tecture.

L’expiation du mal est-elle possible ?Dans Jo confesso, il y a ce personnage, un méde-cin allemand, qui a fait beaucoup de mal par lepassé et qui tente ensuite de réparer les tortsqu’il a causés, mais sans se repentir ni deman-der pardon. Il ne se rachète pas.

Dans le roman de Jaume Cabré, tous les per-sonnages cachent des secrets. Adrià, le héros, agrandi sans amour, il se sent le coupable invo-lontaire d’une mort violente dont l’explicationn’est donnée qu’à la fin du récit. Il tentera,comme l’a fait Elias Canetti, de démêler laracine du mal ; de trouver dans la littérature unlivre qui change la vie du lecteur. Dans Joconfesso, presque tous les personnages pour-raient réciter le Confiteor et son fameux “meaculpa”. Ils ne le font pas.Propos recueillis par Josep Massot* Ed. Proa, Barcelone, 2011. La traduction française paraîtra chezActes Sud en janvier 2013.

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Pour le journaliste d’El País José MaríaMartí Font, “JaumeCabré (Barcelone,1947) est un écrivain à succès. Il écrit en catalan et vend des centaines de milliers de livres en Allemagne” – sonprécédent roman,Les Voix du Pamano(Christian Bourgois,2009), s’y esteffectivement vendu à plus de300 000 exemplaires.“En Espagne, il n’estpas très connu, hormisen Catalogne, mais cela devrait changer, la traduction en espagnol de sonnouveau roman, Jo confesso, ayant été tirée à 25 000 exemplaires.Spécialiste de langue et littérature catalanes,professeur de lycée, il a usé de sa plume tousazimuts : littératurejeunesse, scénarios de séries télévisées,œuvre romanesque.”Il écrit aussirégulièrement dans la presse écrite,notamment dans le quotidiencatalanophone Avui.( jaumecabre.cat)

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The Guardian (extraits) Londres

Nous voilà à Pompéi, devant ce quiétait le bordel, une série de piècesornées de fresques osées qui indi-quaient aux clients de la Romeantique les prestations qu’on pou-vait leur fournir pour leurs ses-

terces. Nous sommes une vingtaine et, avantd’entrer, l’homme qui porte un bob et une che-mise en étamine blanche a deux mots à nous dire.“Mesdames et Messieurs les guides voyants, com-mence Amar Latif, je voudrais juste vous rappelerce que j’ai expliqué au début du séjour. Vous n’êtes pasdes aidants, mais des compagnons de voyage. Et l’unedes choses les plus utiles que vous puissiez faire, c’estdécrire avec force détails tout ce qui a un intérêt visuel.C’est le moment.”

Et c’est ainsi que Maggie Heraty, une spécia-liste de la logistique humanitaire plus habituéeaux opérations de secours au Liberia ou en Haïti,se retrouve à expliquer à Jenny Tween, qui tra-vaille à la BBC et souffre d’atrophie optique (elleest malvoyante depuis l’âge de 2 ans), qu’elles sontdevant “un monsieur, allongé, avec une dame nueaccroupie sur lui”. Ici, poursuit Maggie, pas décou-ragée par les rires de Jenny, on peut voir (ou pas,bien sûr) “la position de la levrette. Et, juste à côté, ladame est encore sur le monsieur, mais cette fois elle estface à ses pieds. Hum, hésite-t-elle, désolée Jenny,

Voyage

Voir du pays encompagnie d’aveuglesUn journaliste britannique est allé en Italie avec Traveleyes, une agence qui organise des séjours associant voyants et non-voyants.Une expérience enrichissante.

j’essaie de comprendre comment fonctionne cetteposition. Je crois que je ne l’ai jamais essayée.”

Ces gens ne passent évidemment pas toutesleurs vacances à parler des mœurs sexuelles del’Antiquité. Mais ce ne sont pas non plus des tou-ristes ordinaires  : la moitié d’entre eux sontaveugles ou malvoyants, les autres sont voyants.Les premiers ont payé un peu plus cher que lanormale pour un séjour d’une semaine à Sorrente,dans le sud de l’Italie. Le forfait comprend lesbillets d’avion, les transferts, la demi-pensiondans un hôtel quatre étoiles avec piscine, un coursde cuisine et des excursions à Pompéi, Capri etPositano. Les seconds ont payé nettement moins :en échange, ils prennent chaque jour un voyageur

déficient visuel par la main (pas littéralement, cars’il y a une chose que les non-voyants et les mal-voyants détestent par-dessus tout, c’est d’êtretraités avec condescendance) et lui servent deguide. Ils lui montrent, en quelque sorte, lesattractions touristiques.

Les voyageurs voyants aident les déficientsvisuels à passer les obstacles les plus évidents :bordures de trottoir, portes et passages bas, routestrès fréquentées, escaliers. Ils leur indiquent oùse trouvent les différents aliments dans l’assiette.Et, à l’occasion, ils acceptent de décrire avec forcedétails les fresques murales du bordel de Pompéi.

Ce n’est pas difficile, c’est même amusant– et très enrichissant. “On se retrouve à faire deschoses qu’on ne ferait pas habituellement”, raconteWendy Coley, une voyageuse voyante qui a déjàpris part à plusieurs de ces expéditions. “Quandon décrit ce que l’on voit, on assimile mieux leschoses, cela les fait voir sous un autre angle. Ça apeut-être l’air bête, mais partir en vacances avecdes aveugles, ça ouvre les yeux.”

Je confirme. J’en ai fait l’expérience à l’aéro-port de Gatwick avec Amar Latif. C’est ce tren-tenaire né à Glasgow qui a lancé ce conceptoriginal et exaltant il y a sept ans après avoir perdu95 % de ses capacités visuelles en raison d’unemaladie génétique incurable appelée rétinite pig-mentaire. Il a fondé l’agence Traveleyes [Les yeuxdu voyage] parce que personne ne proposait legenre de vacances qu’il souhaitait et, à sa connais-sance, il est le seul dans le monde sur ce créneau.

Comme on s’en aperçoit très vite, il ne faitpas bon être aveugle dans un aéroport. Entre leschariots à bagages aux trajectoires imprévisibles,les voiturettes électriques, les tableaux de départsmuets et le flot incessant de voyageurs pressés,c’est le cauchemar. Et, lorsqu’on demande del’aide, déplore Amar, “on nous colle dans un fauteuilroulant. Ça nous rend dingues. Ils s’exonèrent ainside toute responsabilité, mais c’est très humiliant. Noussommes en général très autonomes et extrêmementadroits. Nous n’avons pas besoin de fauteuils.”

“Attention à la marche !”Le progrès technologique a beau avoir grande-ment simplifié la vie aux aveugles, se mouvoirdans un aéroport bondé reste pour eux une expé-rience compliquée. Amar ne se sépare pas de sacanne blanche, indispensable quand il doit “impro-viser”, mais il est parfois plus commode de se faireguider. Pour cela, on se tient à côté et un tout petitpeu en avant du non-voyant et on lui offre le bras.L’aveugle le prend (ou “clique dessus”, comme ditAmar), et c’est parti. C’est ce bras qui transmetles messages. Il faut aussi parler, bien sûr, maisc’est une conversation normale et cordiale ponc-tuée de quelques mises en garde (“Attention à lamarche. On arrive à un escalator. Passage étroit : jepasse devant”). Les aveugles se sentent maîtres dela situation quand ils tiennent votre bras, et ils lelâcheront s’ils ne se sentent pas en sécurité (c’esten tout cas ce qu’explique la brochure “Tout ceque doit savoir le voyageur voyant”, que Trave-leyes remet à ses clients).

Amar est un homme exceptionnel, et c’est àsa présence rayonnante qu’est dû le succès de sonentreprise. Ce diplômé en mathématiques et enfinance a travaillé huit ans comme contrôleur degestion avant de voler de ses propres ailes. Il a dûsurmonter un nombre incalculable d’obstaclespour créer son agence, qui marche très bien et luia valu de recevoir plusieurs prix et de serrer lamain de présidents et de Premiers ministres.

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TraveleyesA Pompéi, les touristes voyantsdécrivent ce qu’ils voient aux non-voyants.

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Pour les voyageurs voyants, les motivationssont peut-être plus complexes. Il y a deux couplesde voyants dans mon groupe, mais beaucoup sontvenus seuls. Plusieurs d’entre eux ont essayé lesséjours pour célibataires, mais n’ont pas appré-cié : il y a trop de “gens qui ne pensent qu’à eux”,“on se sent encore plus seul à l’arrivée”.

Irene Sylvester est une retraitée de fraîchedate. “Je cherchais un voyage à faire seule, raconte-t-elle, mais où je ne me sentirais pas seule.” Quant àJayn Bond, une avocate en droit du travail deCambridge, elle voulait des vacances où elle pour-rait apporter sa “contribution”.

“On rigole bien”Pour d’autres, les raisons sont moins nobles. GlynEvans, un cheminot de Rotherham, dans le nord-est de l’Angleterre, est parti une douzaine de foisavec Traveleyes – “On rigole bien. Ces gens sontsuper.” Francesca Gomez invoque des raisonssemblables. “Au travail, c’est chacun pour soi. Ici,les gens sont ouverts et honnêtes avec eux-mêmes. Pasde cinéma ou d’apparences à préserver, il n’y a quedes gens sympathiques qui ont quelques obstacles àsurmonter. C’est plus difficile que de se prélasser surla plage, mais c’est gratifiant.”

Amar Latif fait de toute évidence bien plusque proposer des vacances aux non-voyants. Ilsavait que l’idée marcherait pour l’avoir testéelui-même à l’université, avec un étudiant qui luilisait les cours : ils s’amusaient comme des petitsfous. Le premier séjour a eu lieu en 2004, dansune propriété agricole en Andalousie, et a été unfranc succès. Depuis lors, Traveleyes enregistreune croissance de 50 % par an, et plus de 60 % deses clients rempilent.

Y a-t-il parfois des problèmes ? “On pourraitse dire, explique Amar, que la perspective de vacancespas chères attire des gens qui n’ont pas le bon profil.On vérifie le casier judiciaire et on se renseigne auprèsde l’employeur. C’est un peu délicat, mais il faut êtreconscient que ces gens vont être en contact avec desadultes vulnérables. Franchement, on n’a jamais eule moindre problème.”

Les destinations sont choisies avec le plusgrand soin : elles doivent pouvoir être exploréesautrement qu’avec les yeux, mais les aveuglesapprécient beaucoup les visites de sites, souligneAmar. “Le fait de ne pas voir ne fait qu’aiguiser macuriosité. Je demande à mon guide voyant de tout medécrire dans les moindres détails. Et puis, avec les par-fums, les sons et les saveurs, mon imagination s’em-balle. Je peux repartir d’un site avec une image plusprécise qu’un voyant qui n’y a jeté qu’un rapide coupd’œil.” Il n’est pas rare, ajoute-t-il, que des clientsde l’hôtel où ils logent demandent à se joindre àleur groupe – “parce qu’ils ont vu à quel point ons’amuse, l’ambiance qui règne entre nous”.

Mais qu’est-ce que Traveleyes a donc de siparticulier ? Dick et Lizzie Bulkely, un couplequ’une autre agence a refusé à la dernière minuteparce que Lizzie a un glaucome à un stade avancé,ont une explication. “Je trouve la dynamique de cesgroupes extrêmement intéressante”, confie Dick, unpsychologue clinicien à la retraite. “La négociationconstante, le compromis, la sollicitude : il y a de véri-tables qualités humaines à l’œuvre ici, et j’appréciebeaucoup. Et puis ce n’est pas si fréquent.”

Oui, c’est cela, je crois, et c’est la raison pourlaquelle ce groupe a l’air si insolite. Ce n’est pasparce que certains sont aveugles et d’autres non ;c’est parce qu’ils sont bien décidés à passer unbon moment ensemble tout en s’entraidant. Dicka tout à fait raison : ce n’est pas si fréquent. Jon Henley

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“Le but du séjour”, nous annonce-t-il dansle car qui nous conduit de l’aéroport de Naples àSorrente, “c’est que tout le monde en profite à éga-lité. Alors, si vous êtes aveugles, ne vous en faites pas :moi aussi. Et, si vous êtes voyants, ne la ramenez pas.”

Pour les vacances, les aveugles n’ont guèred’autre choix que d’imposer encore et encore leurprésence à leurs amis ou à des membres de leurfamille. Le problème ne se pose d’ailleurs pasqu’en Grande-Bretagne : 30 % des clients mal-voyants de Traveleyes viennent d’ailleurs, notam-ment d’Amérique du Nord, d’Australie et deNouvelle-Zélande.

Apporter sa contributionDe toute évidence, Traveleyes répond à unedemande. “Je veux faire ce que je veux et aller où jeveux, me dit Judy au cours d’un dîner à l’hôtel. Jeveux pouvoir choisir. Je ne veux pas dépendre de mesproches. Ce n’est bon ni pour moi ni pour eux.”

Lors d’une promenade matinale dans unverger de citronniers à Sorrente, alors que legroupe s’arrête pour toucher et sentir les fruits,et s’étonner du parfum de citron que dégage unefeuille cueillie et frottée entre les doigts, EmmaShaw, qui en est à son quatrième séjour avec Tra-veleyes, m’explique pourquoi elle tient tant à cesvoyages. “Je souffre de dégénérescence maculaire. Jevois les contours, mais plus les détails. Je sais que c’estun arbre, mais je ne peux pas voir les feuilles. Main-tenant que beaucoup de mes amis sont mariés et quemes parents sont à la retraite, c’est très difficile departir en vacances. On finit par se sentir isolé. Et avecles nouvelles technologies, c’est tellement simple de nepas bouger de chez soi. Ces voyages me réinsèrent dansle monde, d’une certaine manière.”

Pratique

Des vacancesadaptéesL’agence britannique Traveleyes(Traveleyes-international.com)propose à son catalogue 2011-2012 une vingtaine de circuits dans diverses régionsdu monde. A noter, entre autres,un séjour de dix jours à Cuba avec possibilité de nager au milieu de dauphins ou de faire du saut en parachute. Si l’offre de Traveleyesest unique en son genre, il existe enFrance plusieurs formules de séjoursdestinés aux déficients visuels souhaitantvoyager seuls ou en groupe. L’Associationnationale des parents d’enfants aveugles(anpea.asso.fr) fournit sur son site la listedes principaux organismes du secteur.Parmi ceux-ci, l’association Valentin Haüy(avh.asso.fr), qui propose aussi bien des vacances en résidence-club avec activités culturelles et sportivesadaptées que des séjours découverte au Sri Lanka.

Ci dessus : Amar Latif, le fondateur de l’agence Traveleyes.

Toucher, sentirLe groupe parcourt un verger de citronniers à Sorrente.

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Un cochon chinois vient d’être cloné,annonce l’agence China News, mais pasn’importe lequel : celui-ci est un survivantdu tremblement de terre de 2008 dans laprovince du Sichuan, retrouvé après avoirpassé un mois enfoui sous lesdécombres.

Zhu Jianqiang, le“porc à la volonté de fer”,était devenu un sym-bole de la résistancenationale après saterrible épreuve. Cetanimal de 150 kilos auraitsurvécu dans les ruines de saporcherie en mangeant du charbonde bois et en buvant de l’eau de pluie, etétait “maigre comme une chèvre” lors deson sauvetage.

Des chercheurs de Shenzhen l’ont uti-lisé pour une expérience de clonage qui adonné naissance à six porcs possédant lemême ADN que Zhu. Les porcelets res-sembleraient comme deux gouttes d’eau à

souffert d’un grave traumatisme aprèsêtre resté enseveli pendant trente-sixjours, et il a 5 ans, soit l’équivalent de60 ans pour un être humain. “Mais lecochon merveilleux nous a encore sur-pris”, s’enthousiasme le chercheur. Ce

n’est donc pas pour son patrimoinegénétique, mais en raison de sa célébrité,

que Zhu Jianqiang a été cloné : il s’agit depromouvoir la technique du clonage.En 2008, les internautes avaient élu Zhu Jianqiang numéro un parmi les dix ani-maux ayant le plus ému la Chine, enl’occurrence grâce à sa combativité,souligne le quotidien China Daily.Mais après son accession à lacélébrité, l’animal a étévendu à un conserva-teur de musée et sonembonpoint et samauvaise humeur sontdevenus proverbiaux.Selonle personnel du musée,Zhu prend du poids et devientplus paresseux de jour en jour. Lesemployés ont de plus en plus de malà le convaincre de s’éloigner de la portepour laisser entrer les visiteurs. Espéronsen tout cas que les petits clones du “cochonmerveilleux” ne connaîtront pas la mêmeépreuve que lui. WantChinaTimes, Taipei

Fréquence canine

C’est ce qu’on appelle

une niche

publicita

ire. N

estlé a lancé un spot

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“Les chiens sont réceptif

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deux fois plus aigus que les humains”,

explique le D

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magne, le spot e

st

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s écrans autrichiens

indique la Tribune de Genève.

A requin, requin et demiCharles Wickersham, 21 ans, a été attaqué par un requin en Floride. Et c’est tout ce qu’il mérite, clame l’association de défense des animaux Peta(Pour une éthique dans le traitement des animaux), avec cette affiche portant le slogan “La rançon, c’est l’enfer”, “Devenez végétalien”. Le jeune homme a été mordu à la cuisse alors qu’il pêchait au harpon. Or “le plus grand prédateursur terre, ce n’est pas le requin, mais l’homme. Les Américains à eux seuls tuent des milliards d’animaux pour se nourrir chaque année, et notamment des poissons. Et alors que les requins blancs sont naturellement carnivores, les humains peuvent choisir ce qu’ils mangent”, a déclaré le porte-parole de l’association, célèbre pour ses campagnes provocatrices.Les militants de Peta entendaient placarder cette affiche sur les lieux mêmes de l’attaque. Ils n’ont pas trouvé d’afficheur prêt à les suivre. “Je ne vais pas m’abaisser à leur répondre, s’ils ne veulent pas manger de viande ni de poisson, ça les regarde”, s’émeut la mère de Charles Wickersham, dont lacuisse a été recousue de 800 points de suture. Cinq personnes par an en moyenne sont tuées par des requins, mais 70 millionsde requins sont pêchés chaque année, note George Burgess, de l’université de Floride. “En fait, du point de vue de la vie animale, la mer est trèsmiséricordieuse”, analyse le chercheur, qui publie chaque année un rapport sur les attaques des dents de la mer, l’“International Shark Attack File”. Daily Mail, Londres

Les sixclones ducochonmerveilleux

leur père, ce héros, possédant comme luiune marque de naissance entre les yeux,signe selon certains d’“une force et [d’]unevigueur bien plus grandes que celles d’autres

jeunes porcs”. Les clones de Zhu Jianqiangseront probablement envoyés deux pardeux à un musée et un institut de recherchegénétique. Le Dr Du Yutao, qui a dirigé leprojet de clonage, a déclaré au Sunday Morning Post de Hong Kong que l’animalétait a priori un candidat peu prometteur :il avait été castré avant le séisme, avait

AFP

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