Chroniques 48-une modifie?e.qxp:Chroniques 33 - BnF · de Bussy-Saint-Georges. Elles restent...

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chroniques de la Bibliothèque nationale de France N°48 mars-avril 2009 www.bnf.frn Agenda en pages centrales Exposition Controverses Photographies à histoires

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  • chroniquesde la Bibliothèque nationale de France N°48 mars-avril 2009

    www.bnf.frn

    Agenda en pages centrales

    Exposition

    Controverses Photographies à histoires

  • 2 - Chroniques de la BnF - n°48

    ’exposition Controverses, photographies à histoires,présentée à la BnF du 3 mars au 24 mai 2009, fait la une de ce numéro de Chroniques. De quoi s’agit-il ?

    D’une histoire juridique et éthique de la photographie, d’un choix d’images qui, au cours des temps, ont été au cœurde polémiques, de procès, de scandales. Montrées et « racontées » au fil du parcours, elles invitent à déplacer le regard de l’image aux questions qu’elle pose : sur le droitd’auteur, sur le droit de chacun à sa propre image, sur les limites du montrable et de l’acceptable. L’exposition a déjà suscité mainte réaction lors de sa création au musée de l’Élysée de Lausanne il y a tout juste un an; elle alimenteaujourd’hui le débat public en France.Deux autres expositions commencent en ce printemps : Jeux de princes, jeux de vilains à la bibliothèque de l’Arsenal estconsacrée à la passion du jeu, du Moyen Âge jusqu’à la Révolution. Henri Rivière, entre impressionnisme et japonisme,site Richelieu, met en lumière l’œuvre trop peu connue de ce peintre-graveur, grand admirateur des maîtres del’estampe japonaise, qui a su mettre son amour de la couleurau service d’une prodigieuse maîtrise des techniques de l’estampe.À l’occasion du Salon du livre, dont le Mexique est l’invitéd’honneur, Chroniques présente à ses lecteurs la littérature et la culture de ce grand pays : au fil des pages, un éclairagesur les collections de littérature latino-américaine de la Bibliothèque, un zoom sur quatre écrivains mexicainsd’aujourd’hui, un avant-goût de la conférence que donnera à la BnF le grand écrivain Carlos Fuentes, ou encorel’exposition de l’Institut culturel mexicain sur les liensculturels de la France et du Mexique, auquel la Bibliothèquea prêté de nombreuses œuvres.Enfin, une nouvelle rubrique dédiée à l’Actualité de la numérisation présente désormais les évolutions de la bibliothèque numérique. Gallica a fait peau neuve et offre aux internautes un accès plus performant encore aux documents de la BnF, mais aussi d’autres bibliothèques.Il faut à présent y ajouter les œuvres sous droits, consultablesvia les sites des «e-distributeurs» partenaires de ce projet mis en place depuis le Salon du livre 2008 : le bilan de l’expérimentation menée au cours de cette première annéeva, j’en suis sûr, permettre de développer ce nouveaudispositif.

    Bruno Racine,président de la Bibliothèque nationale de France

    Sommaire/Éditorial >

    Édito

    « Chroniques de la Bibliothèque nationale de France » est une publication bimestrielle.Président de la Bibliothèque nationale de France : Bruno Racine. Directrice générale : Jacqueline Sanson. Délégué à la communication : Marc Rassat.Responsable éditoriale : Sylvie Lisiecki : [email protected] : [email protected]. Comité éditorial : Élizabeth Giuliani, Jean-Loup Graton, Thierry Cloarec, HélèneRichard, Anne-Hélène Rigogne, Romuald Ripon.Rédaction : Sandrine Le Dallic, Sylvie Lisiecki, Anne Dutertre, Laurence Paton

    Ont collaboré à ce numéro : Sylvie Aubenas, Mathias Auclair, Arnaud Beaufort, Jocelyn Bouraly, Adelaïde de Chatellus, Catherine Dhérent, Jean-Loup Graton, André Gunthert, Scott Hillier, Guillaume Fau, Marie de Laubier, Olivier Loiseaux, Ève Netchine, Clément Pieyre, Martine Reid, Nira Reyes Morales, Anne-Hélène Rigogne, Michèle Sacquin, Françoise Simeray, Valérie Sueur-Hermel.

    Coordination graphique : Françoise Tannières.Iconographie : Sylvie Soulignac.Maquette et révision : . Impression : Stipa ISSN : 1283-8683

    Retrouvez Chroniques sur www.bnf.frn

    Le Mexique, à l’honneur au Salon du livre, est l’invité de ce numéro de Chroniques.Cette icône vous le rappellera au fil des pages.

    Couverture• Image extraite du travail de MickaelLight, 100 Soleils, sur les essais atomiques,à partir des archives nationales du gouvernement américain. Michael Light,OAK/8.9 Megatons/Enewetak Atoll/100 Suns, 1958. © Michael Light

    Expositions P. 5• Controverses, photographies à histoires• Henri Rivière, entre impressionnismeet japonisme • La passion du jeu

    Conférences P. 12• Les femmes, oubliées de l’histoire littéraire • La Servante maîtressede Pergolèse : un opéra-comique inédit• Bienvenue au nouveau cinéma européen • Le monde multipolaire de Carlos Fuentes

    Agenda P. 14Collections P. 16• Le fonds de langues et littératures latino-américaines • Zoom sur quatreécrivains mexicains d’aujourd’hui• Francis Coplan : objectif BnF • Le manuscrit du Mystère de la chambrejaune retrouvé • Chez les Zola à Médan• L’atelier d’écriture de Claude Ollier

    Actualités de la numérisation P. 24• Mise en ligne de décors d’opéra du XIXe siècle • Numérisation des vues surverre de la Société de géographie • Gallica, une bibliothèque et une plateforme

    Focus P. 28• Piedra de Sol, d’Octavio Paz

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    En bref >

    Le 29e Salon du livre, dont le Mexique est l’invité d’honneur, se tient du 13 au 18 mars 2009, Porte de Versailles. Comme chaque année, la BnF y est présente (stand G 17) au côté d’autres grands établissementsculturels. Outre une présentation de l’offre éditoriale et commerciale de la Bibliothèque, les visiteurspeuvent y découvrir un espacemultimédia qui permet la consultationde l’offre numérique proposée sur le site bnf.fr: Gallica, archivagenumérique, dépôt légal du web,

    catalogues en ligne, conférences,manifestations culturelles et expositions du moment sur lesdifférents sites de la BnF, informationset actualités sur la vie de la Bibliothèque, blogs interactifs,expositions virtuelles et dossierspédagogiques… Des équipes de la BnFsont constamment à la disposition des visiteurs pour leur présenter cetteoffre et les guider dans leur navigation.

    Hommage à Pierre-André Boutang

    À la suite d’une défaillancetechnique de l’alimentationélectrique du bâtiment, 2, rue de Louvois qui abrite le département de la Musique, la Société française dephotographie, l’Institut derecherche sur le patrimoinemusical en France (IRPMF) et le Centre de documentationClaude-Debussy sont fermésdepuis le 25 octobre dernier. En effet, une inspectiontechnique de l’alimentationélectrique de l’ensembleimmobilier du site Richelieu etde ses annexes a conduit la BnF à fermer momentanémentce département afin de prévenirtout risque d’incendie. Le remplacement des systèmesdéfectueux nécessitant destravaux de plusieurs mois, la Bibliothèque a mis en place,durant cette période, des modalités de consultationdes collections du départementde la Musique : les microformesen Salle de références (située dans la salle Ovale, 58, rue de Richelieu), du lundi au vendredi de 9h à 18h et le samedi de 9h à 17h.pour plus de précisions :

    bnf.frn

    Fermeture provisoire du département de la Musique

    Le Mexiqueau Salon du livre 2009

    La rénovation du quadrilatère Richelieu commen-cera en février 2010 par la zone située du côté dela rue de Richelieu. Elle se fera en plusieurs phases,mais le site restera ouvert. Le département desManuscrits et celui des Arts du spectacle sont direc-tement concernés par cette première phase de tra-vaux. Ils ne sont toutefois pas les seuls à déplacerdes collections pour libérer la zone Richelieu. Lescollections aujourd’hui les plus communiquées res-teront pendant toute la durée des travaux à Riche-lieu ; celles qui sortent du quadrilatère sont stoc-kées sur le site François-Mitterrand, et sur le sitede Bussy-Saint-Georges.Elles restent cependant accessibles au public àRichelieu : les documents temporairement stockésà l’extérieur seront mis à la disposition des lecteurs,

    dans un délai compris entre 24 et 72 heures, grâceà la mise en place d’un système régulier de navettes.La liste des collections est disponible dans les sallesde lectures des départements ainsi que sur la paged’accueil du site web de la BnF (rubrique BnF pra-tique). Les informations y sont régulièrement misesà jour en fonction de l’avancement des transferts.Les lecteurs qui viennent ponctuellement à Riche-lieu peuvent s’assurer à distance de la disponi-bilité des collections et préparer leur venue en se mettant en relation avec les départements : [email protected] ; [email protected] ; [email protected] ; [email protected]

    RichelieuCollections transférées mode d’emploi

    Le 23 mars prochain, une soiréerend hommage à Pierre-AndréBoutang, documentariste etréalisateur français, disparu enaoût 2008. Fils du philosophePierre Boutang, il a été l’un desdirigeants de la chaîne Arte aprèsavoir compté parmi ceux de La Sept. Collaborateur de l’ORTFdepuis les années 1960, il yproduisait et réalisait, outravaillait pour des émissionsculturelles (Les Écrans de la ville, Le Journal du cinéma, Dim Dam Dom, Bibliothèquede poche, L’Invité du dimanche,Italiques). Il a aussi filmé ungrand nombre de portraits depersonnalités du monde des artset des lettres pour Les Archivesdu XXe siècle. À partir de 1987 il devient responsable desémissions culturelles de FR3 etd’Océaniques, qui lui valent deuxSept d’or. Après 1992, il estnommé directeur délégué auxprogrammes de La Sept-Arte qui devient Arte-France, avantd’être chargé pour Arte denombreuses soirées « Thema » etdu magazine culturel Metropolis.Parmi ses créations importantes,L’Abécédaire de Gilles Deleuze,Sartre par lui-même, 13 journéesde la vie de Picasso, AlexandreSoljenitsyne, Depardieu, le regard des autres, Mao, unehistoire chinoise, Le Musée duQuai Branly, La Joconde souritaux primitifs, Jeanne M (2008),un portrait de Jeanne Moreau,Claude Lévi-Strauss par lui-même.

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    La salle Ovale du site Richelieu.

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    En bref >

    Exposition du 8 avril au 2 août 2009, 12h-19h du lundi au samedi, 10h-20h le dimanche, le jeudi jusqu’à 22h.Plein tarif 8 € Tarif réduit 6.5€ (Tarif réduit accordé à tous les publics de la BnF munis d’un billet de moins de un mois ou d’une carte d’abonnement de la BnF) Cinémathèquefrançaise, 51, rue de Bercy, Paris 12e. Tél : 0171193333 -www.cinematheque.fr Métro Bercy lignes 6 et 14

    Rez-de-jardin : extension de l’accès àInternet par réseau filaire

    Le samedi 21 ou le dimanche 22 mars 2009, le site François-Mitterrand ouvre gratuitementses portes. Visitez les coulisses et découvrez les métiers de la Bibliothèque, ses collectionsde livres, de journaux, de filmset de documents sonores, ses ressources numériques.Site François-Mitterrand pour plus de précisions :

    bnf.frn

    Journée portes ouvertes à la BnF

    Installées dans le hall Ouest de labibliothèque, les deux nouvellesmalles pédagogiques proposentune découverte ludique etcréative du livre « dans tous ses états », par des approches à la fois matérielles, historiques,sensibles et imaginaires. Lesateliers, d’une durée de 2h, sontdestinés aux jeunes de 8 à 13 anset seront ouverts le week-endaux individuels à partir du moisd’avril 2009. RenseignementsCécile Cayol 01 53 79 89 66.

    Les « malles-livres » de la BnF

    La BnF organise depuis le débutde l’année un rendez-vous inéditavec l’actualité éditoriale,chaque samedi de 17h à 18h.Des personnalités dont l’œuvre a retenu l’attention – auteurs,chercheurs, metteurs en scène,artistes… – sont invitées àrencontrer le public de la BnFdans un nouveau « salon delecture » installé dans le hallOuest du site François-Mitterrand. À travers sesdépartements et ses collections,la Bibliothèque constitue ainsi un panorama choisi de ce qui fait l’actualité des publications,écrites, sonores ouaudiovisuelles.Les rendez-vous du samediTous les samedis de 17h à 18hhall Ouest - site François-Mitterrand, entrée libre.

    Les rendez-vous du samedi

    L’association a pour missiond’enrichir les collections de la BnF et d’en favoriser le rayonnement. De nombreuxavantages sont accordés aux adhérents. Informations:comptoir d’accueil, siteFrançois-Mitterrand, hall EstTél.: 01 53 79 82 64

    www.amisbnf.orgn

    Association des amis de la Bibliothèquenationale de France

    Jacques Tati,deux temps trois mouvements

    En 2009, le réalisateur de Play-time et de Mon oncle aurait eu102ans. La Cinémathèque fran-çaise lui consacre une expositionconçue comme un labyrinthevisuel et sonore, sur une idée ori-ginale de Macha Makeïeff et Sté-phane Goudet. De la ruralitéforaine de Jour de fête à l’urba-nisme futuriste de Playtime, Tatin’a cessé d’ironiser sur notre envi-ronnement architectural. En échoà son œuvre, Macha Makeïeff aimaginé un parcours déroutant,un monde qui s’invente et se réin-

    vente. Une joyeuse expositionpour explorer l’univers de Tatiqu’accompagnent programma-tion de films, rencontres etbalades architecturales*, du bâti-ment de Frank Gehry jusqu’à laBnF de l’autre côté de la Seine enpassant par les petits pavillons dela rue de Bercy.

    (*Tous les dimanches à 11h, 11€, tarif réduit 9€ ; accès libre à l’exposition à l’issue de la balade).

    Quand la Cinémathèque se met à l’heure de Tati

    Depuis la mi-octobre, 140 placessupplémentaires dans les sallesde lecture du Rez-de-jardin sontéquipées de prises permettantaux lecteurs de se connecteravec leur ordinateur. À l’avenir,la BnF envisage l’extension duréseau filaire à l’ensemble dessalles et la mise en place du wifidans les espaces d’accueil et de circulation de la Bibliothèque.

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  • taient sans prendre parti. En cela cetteexposition est un appel à la tolérance »,commente Daniel Girardin. Ensuite s’estposée la question des droits et de leurnégociation, qui s’est souvent révéléelongue et tortueuse. L’équilibre à trouverentre les différents aspects - historiques,politiques, moraux, esthétiques - illustréspar les images a été un autre aspect, déli-cat, du projet. L’ensemble qui en résultedessine en filigrane une histoire

    Evgueni Khaldei, Le Drapeau rouge flotte sur le Reichstag, Berlin, 2 mai 1945 (image finale, retouchée).© Yevgueni Khaldeï/CORBIS.

    Détail de l’image originale, non retouchée. La montre au poignet droit, indice de pillage, a été effacée de l’image finale. © Khaldeï/URPA/Siny Most.

    Controverses.Photographies

    à histoiresL’exposition Controverses présentée site Richelieu propose une exploration, à travers plus de quatre-vingts images prises depuis les débuts de la photographie jusqu’à aujourd’hui, de leurs histoires et des débats qu’elles ont suscités.

    Peut-on tout montrer? Jusqu’où peut-on aller dans la représentation du corps

    humain, en particulier celui de l’enfant ?La photographie de presse est-elle unoutil au service de l’information ou uninstrument de manipulation des esprits ?L’exposition Controverses a choisi deconfronter le visiteur avec ces questionsau fil d’un parcours chronologique dequelque quatre-vingts images, prises entre1840 et 2007, choisies parce qu’elles ontchoqué, voire scandalisé, parce qu’ellesont été au cœur de controverses et de pro-cès retentissants, provoquant parfois lesuccès ou la perte de ceux qui les avaientréalisées.

    Une image, une histoireL’historien de l’art Daniel Girardin -conservateur du musée de l’Elysée de Lau-sanne où l’exposition a d’abord été pré-sentée au printemps 2008 - et l’avocatChristian Pirker ont, pendant quatre ans,rassemblé près de 400images, reconstituéleurs histoires et leurs enjeux. «Toute pho-tographie raconte un fragment de vie avectoute la subjectivité qu’elle comporte. Cequi nous a intéressés, c’est le débat public.L’essentiel, c’est l’image, mais aussi la per-ception qu’a chacun de l’image: le débatpublic enrichit cette perception. C’est unedes raisons pour lesquelles nous avonsvoulu montrer les positions qui s’affron-

    Chroniques de la BnF - n°48 - 5

    Expositions >

  • juridique et éthique de la photographie,permettant de mieux comprendre leregard que les sociétés et les cultures por-tent sur les images de leur temps et demettre en perspective les débats actuels. Une image, un texte : tel est le principe

    de l’exposition. « Nous avons choisi deraconter ces photographies qui illustrentune histoire, une controverse, poursuitChristian Pirker. Au-delà de la querelle,ces controverses nous éclairent sur l’artet sur le droit bien sûr, mais aussi surl’histoire, leurs auteurs, le public et sou-vent sur nous-mêmes. » La photographie est née dans la polémique:plusieurs inventeurs en revendiquent enmême temps la paternité, en particulierHyppolite Bayard qui met au point les pre-miers tirages sur papier en même tempsque Daguerre met au point la technique defixation de l’image sur cuivre. Il publie unAutoportrait en noyé, comme une sorte demanifeste ironique mais aussi une des pre-mières mises en scènes photographiques.

    6 - Chroniques de la BnF - n°48

    Expositions >

    Lorsque Marc Garanger réalise le clichéci-contre, il est le photographe durégiment où il effectue son service militaire,en Algérie. Il a reçu l’ordre de faire lesphotographies d’identité de plus de deuxmille Algériens, principalement des femmes,en vue de leur attribuer des papiers français.Nous sommes en 1960, les autoritésmilitaires affirment que « la guerre estgagnée » et parlent de «phase depacification». Pour ces femmes, c’est uneexpérience extrêmement violente : contreleur volonté, leurs croyances et leurs règles,elles doivent montrer, dans la rue, leurvisage nu, à un homme inconnu. « Jeconnaissais les photos prises par Edouard S.Curtis des Indiens d’Amérique au début duXXe siècle, qui montraient un peuple détruitpar un autre peuple ; j’ai pensé que c’étaitune histoire similaire qui recommençait.Dans le cas de ces femmes, la violence de la prise de vue reflète le mépris de lacolonisation, le racisme et la brutalité duconflit. J’ai voulu faire des photographies àla gloire de ces gens. La première fois que je les ai montrées au capitaine du régiment,il s’est écrié : “Venez voir comme elles sont laides, venez voir ces macaques!”Bouleversé, j’ai décidé d’exprimer mondésaccord avec mon objectif et de lancer ces images à la face du monde. Toute lapuissance de la photographie est là, dans ce

    pouvoir de protestation, de dénonciation. »Dans cet esprit de témoignage, MarcGaranger, au retour de son service militaire,publie cette série, qui lui a valu en 1966 leprix Niepce. Plus de deux cents expositionsont été présentées de par le monde, etl’ouvrage Femmes algériennes 1960 esttoujours diffusé (Atlantica.fr). En 2004, le journal Le Monde lui a demandé deretourner dans cette région de montagnes au sud de la Kabylie où il avait effectué son service militaire. Quarante-quatre ans plus tard, il photographie à nouveau CheridBarkaoun, cette fois sereine à 84 ans,entourée de ses petits-enfants.

    3 mars - 24 mai 2009

    CONTROVERSES.PHOTOGRAPHIES À HISTOIRES

    Site Richelieu – Galerie de photographie

    Une exposition du musée de l’Élysée (Lausanne),présentée à la BnF

    Certaines images sont susceptibles de heurter la sensibilité des visiteurs, et tout particulièrement du jeune public.

    Avec le soutien de Champagne Louis RoedererEn partenariat avec Connaissance des Arts, France Inter, Le Monde, Le Point.

    ,,Chacun regarde avec ce qu’il est,

    avec ses connaissances et avec son âme ,,

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    Portrait de CheridBarkaoun, Algérie,1960 et entourée de ses petites-filles,Algérie, 2002.

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    Par la suite, les photographes ont dû lut-ter pour faire reconnaître leurs imagescomme des créations originales et cemédium comme un art à part entière: lejugement du procès Mayer et Pierson éta-blit en France dès avril 1862 que les «des-sins photographiques» sont « le produit dela pensée, de l’esprit, du goût et de l’in-telligence de l’opérateur». Mais les déve-loppements techniques n’ont cessé deposer de nouveaux problèmes légaux etaujourd’hui notamment les pratiques demixage et de retouche d’images. «Les tri-bunaux doivent trancher de plus en plussouvent entre l’inspiration, l’influence, l’interprétation et le vulgaire plagiat», rap-pellent les deux commissaires.

    « En matière de photographie, nous sommes entrés dans l’ère du soupçon. »

    Chroniques : Quelle est votre réaction au propos de cette exposition ?André Gunthert : Controverses illustre parfaitementl’évolution de notre façon de voir les images. Les usages qui sont faits de l’image médiatique et les transformations des techniques d’enregistrementont modifié au cours des quinze dernières années la perception des images par le grand public. On a vuse manifester un soupçon qui venait contredire lavieille tradition de la vérité photographique, laquelledepuis le XIXe siècle avait établi la validité etl’objectivité du document photographique. Ellepermettait en particulier à la presse d’établir lavérité d’un fait par la photographie. Ici, celle-ci n’estpas mobilisée pour ce qu’elle montre mais pour cequ’elle raconte. Ce n’est plus la question de la véritéqui est posée. Le visiteur regarde l’image comme lesujet d’une controverse et comme le support d’unrécit. Par rapport à la vision un peu naïve de laphotographie comme d’un médium qui vise à dévoilerle réel, à le documenter, on perçoit ici combien la photographie participe de ce qu’elle représente :elle n’est pas seulement un miroir du monde mais elle est aussi un acteur des débats et des désordres dumonde. Elle se constitue comme un laboratoire actifde la controverse, un lieu par lequel la discussion seproduit et donne l’occasion à certaines questions dese poser, y compris des questions de société graves etpressantes comme celles qui se posent autour de la pédophilie, de la politique, des faits divers…

    La signification d’une image change-t-elle au cours du temps et en fonction du contexte historique,culturel?C’est l’un des sujets de l’exposition. Lorsque RobertDoisneau réalise Le Baiser de l’Hôtel de Ville en1950, il destine cette photographie à un reportaged’actualité sur les Français et elle est publiée parmid’autres dans le magazine américain Life. C’estseulement en 1986, lorsqu’un éditeur la choisit pouren faire un poster, que l’image devient célèbre. Avec trente ans d’écart, cette image qui était une photo de presse devient une image nostalgiquedu Paris d’après-guerre, et c’est ce décalage qui est intéressant.

    L’intérêt de l’exposition est aussi de montrercomment ces histoires se produisent, autour du droit d’auteur, du droit à l’image…Il y a aujourd’hui autour du droit d’auteur et du droità l’image toutes sortes d’incertitudes et l’expositiona le mérite de répertorier ces différentes formesd’incertitude, juridique, contextuelle, médiatique.Le plus souvent, les histoires surgissent lorsque deuximages sont mises côte à côte : l’image retouchée à côté de l’image originale. C’est à partir d’uneimage de référence que l’on peut dire qu’une imageest retouchée. Opérer le procès en retouche,nécessite d’avoir en tête une autre image. Voyez la photographie de la prise du Reichstag par EvgueniKhaldei (voir page 5), par exemple.

    Certaines images ont fait ou font scandale…Si cette exposition produit du scandale, je pensequ’elle remplira l’un de ses objectifs en montrantque les photos font bouger les mentalités parcequ’elles sont porteuses d’une puissance étonnante,que l’on relie d’ailleurs le plus souvent davantage à l’œuvre d’art qu’à la photo. Il sera intéressant de voir quelles vont être les réactions en France, ce qui va focaliser l’attention : les imagespédophiles, ou d’autres ? Ces réactions seront desindications précieuses sur ce que nous sommescollectivement aujourd’hui.

    Propos recueillis par Sylvie Lisiecki

    Rencontre avec André Gunthert, chercheur en histoire visuelle contemporaine et maître de conférences à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS).

    Nasa, Buzz Aldrin on the Moon, July 20, 1969. La réalité de l’expéditionaméricaine sur la Lune a été remise en cause par certains. Les images prises par la Nasa auraient été mises en scènepar… Stanley Kubrick, dont le film 2001 Odyssée de l’espace est contemporain de l’événement.

    Ci-dessous : Lewis Carroll, Alice Liddell as a beggar Child, 1859. ©

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  • 8 - Chroniques de la BnF - n°48

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    La question du pouvoirUn autre débat récurrent pose la questiondes limites de la liberté d’expression desphotographes. Les normes de représenta-tion et les mentalités changent d’uneépoque à l’autre, d’un pays à l’autre, ainsique les critères de ce qui est ou non accep-table. On pense aux portraits ambigus defillettes de l’écrivain Lewis Caroll, en pleineépoque victorienne, qui n’ont pourtantjamais été interdits; plus près de nous, lesphotographies publiées par Annelies Strbade sa fille de douze ans dans son bain, luiont valu, à l’occasion d’une exposition àLondres en 2002, un procès pour le «carac-tère pédophile et blessant» de l’image. La photographie de presse, notammentdans des contextes de guerre ou deconflits, échappe moins encore à la contro-verse: photos truquées de la propagandesoviétique, images de torture ou d’exécu-

    tions ou témoignage de l’horreur ordinaire.Fallait-il diffuser le portrait d’Aldo Morotransmis par ses ravisseurs au moment del’enlèvement en 1978 du président de ladémocratie chrétienne en Italie ? Faut-ildiffuser les documents et messages des ter-roristes? «La question implicite de la pho-tographie est celle du pouvoir, au senslarge du terme. Pouvoir culturel, politique,idéologique et financier. Créer une imagequi interpelle, qui critique ou qui trans-gresse est une prise de pouvoir», conclutDaniel Girardin. Sylvie Lisiecki

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    Anonyme, Aldo Moro otage, 1978© Bettmann/Corbis/Specter

    Petrificada petrificante, Octavio Paz, gravures de AntoniTapiès. Paris, Maeght, 1978. BnF/Réserve des livres rares.

    spectacle et Réserve des livres rares, notamment,complètent la contribution de la BnF. Antonin Artaud, La Casa encendida, Madrid, Espagne, Du 2 avril au 7 juin 2009

    Et aussi… à ParisLe Siècle du jazzDu 17 mars au 28 juin 2009, musée du Quai Branly – Paris

    Jules Hardouin-MansartDu 2 avril au 28 juin 2009, musée Carnavalet – Paris

    La Double Image : d’Arcimboldo à DalDu 6 avril au 6 juillet 2009, Grand Palais – Paris

    En régionHypnos. Une histoire visuelle de l’inconscient (1900-1956)Du 12 mars au 12 juillet 2009, Musée de l’HospiceComtesse – Lille

    Juliette Récamier et les artsDu 25 mars au 29 juin 2009, musée des Beaux-Arts – Lyon

    De la montgolfière au dirigeable : le pouvoir de volerDu 28 mars au 12 juillet 2009, Musée-Promenade –Louveciennes

    À l’étrangerLabyrinthe (1944-1946)Du 9 avril au 5 juillet 2009, musée Rath – Genève

    NotationDu 28 février au 13 mai 2009, Zentrum für Kunst undMedientechnologie – Karlsruhe

    LES PRÊTS DE LA BNF : EXPOSITIONS HORS LES MURS

    Soustelle et d’Álvarez Bravo qui illustrent le regardmexicain et le regard français sur le Mexique indientraditionnel. Anne-Hélène RigogneMexiques poétiques, réels et surréels Du 6 mars au 16 avril 2009, Institut culturel du Mexique.119, rue Vieille-du-Temple, 75003 Paris

    Antonin Artaud à MadridLa première exposition rétrospective consacrée àAntonin Artaud en Espagne se déroule à Madrid ceprintemps 2009. Le département des Manuscrits aété sollicité pour le prêt d’un nombre important dedocuments : 34 cahiers, écrits par Antonin Artaud àRodez et à Ivry de 1945 à 1948, quelques manuscritsremarquables (dont celui du Retour d’Artaud, le Mômo, écrit en 1946), le Portrait d’Artaud parBalthus (1935), des photographies… Des éditions,des affiches et des photographies issus des fondsd’autres départements de la Bibliothèque, Arts du

    Allers-retours France MexiqueL’exposition Mexiques poétiques, réels et surréelsqui aura lieu du 6 mars au 16 avril 2009 à l’Institut culturel du Mexique montre les liensculturels qui unissent la France et le Mexique depuisla Révolution mexicaine. Illustrer les nombreux croisements entre la Franceet le Mexique dans leurs expressions artistiques etlittéraires à partir des collections de la BnF est lepropos de cette exposition mise en œuvre parAlfonso Alfaro, son commissaire, directeur del’Institut de recherche Artes de Mexico. Les deuxpays exercent une attraction mutuelle considérabledans le domaine culturel. Après la Révolutionmexicaine, dans le souci de réconcilier la nationdéchirée, l’État mexicain a fortement investi dans la culture, suivant en cela le modèle de la France.Celle-ci a été perçue au Mexique, dès le siècle desLumières, comme une sorte de mère nourricière qui s’opposait à la dureté du pouvoir espagnol, père intransigeant et brutal. Les surréalistes ont vudans le Mexique une terre d’utopie, on se souvientde la fascination d’Antonin Artaud découvrant les Indiens Tarahumas, et c’est à Paris, en 1948-1949 qu’Octavio Paz rédigea Le Labyrinthede la solitude, œuvre fondatrice de la culturemexicaine du XXesiècle.L’exposition présente des ouvrages, des estampes et des photographies qui traduisent les influencesréciproques des deux cultures. Le visiteur pourradécouvrir un texte d’André Breton extrait ducatalogue d’une exposition des œuvres de DiegoRivera, Frida Kahlo et Álvarez Bravo à Paris en 1939,des images d’ex-voto, caractéristiques de l’artpopulaire, qui ont intéressé les artistes des deuxpays, ou encore les photographies de Jacques

    La BnF poursuit sa politique de prêts à des expositions extérieures. Elle noue des partenariats diversifiés, en France et à l’étranger, donnant lieu à d’importantes manifestations.

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    TABLE RONDE avec les commissaires de

    l’exposition Daniel Girardin et Christian Pirker

    15 mai 2009 de 14h30 à 18h

    Site Richelieu - Salle des commissionsentrée libre.

  • Chroniques de la BnF - n°48 - 9

    Dessinateur ayant débuté dans lespages de la revue du Chat noir, Henri

    Rivière (1864-1951) fut surtout l’inven-teur, l’animateur et le créateur de décorsdu célèbre Théâtre d’ombres. Graveur etlithographe, il s’est imposé dans l’histoirede l’estampe par sa passion pour la cou-leur. Il participa activement au renou-veau de la gravure sur bois, en adoptantla technique japonaise, et donna à lalithographie en couleurs une importanceproportionnelle aux dimensions muralesde ses réalisations. Autodidacte, en margedes courants de son époque, il puise soninspiration dans les paysages de Bretagneoù il séjourne régulièrement et dans lesestampes japonaises qu’il collectionne.Les séries gravées sur bois La Mer, étudesde vagues (1890-1892) et Paysages bretons(1890-1894) révèlent un coloriste sensibleet un peintre-graveur soucieux de la «belleépreuve». Ses expérimentations font l’ad-miration de tous. Mais les contraintestechniques limitent le nombre des tirageset la diffusion reste confidentielle.

    La nature dans tous ses étatsGrâce à la lithographie et à ses tiragesmassifs, Rivière crée, avec la complicitéde l’imprimeur Eugène Verneau, des«estampes décoratives » destinées à ornermurs privés et publics. Les Aspects de lanature (1897-1899), puis La Féerie desheures (1901-1902) et le Beau Pays de Bre-tagne (1898-1917) témoignent de sonculte de la nature et de sa prodigieusemaîtrise de la lithographie en couleurs.La restitution des effets changeants de lalumière, qui doit autant à l’influence del’art japonais qu’aux impressionnistes,imprègne l’ensemble de l’œuvre. Lors-qu’il abandonne la lithographie, l’eau-forte prend le relais, puis l’aquarelle quireste jusqu’à la fin de sa vie un médiumprivilégié. Peints sur le motif, les paysagesaquarellés permettent de suivre les pérégrinations de l’artiste en France(Bretagne, Provence, Pyrénées, Savoie,Normandie et Ile-de-France). Le fonds d’atelier de Henri Rivière estvenu, par le biais d’une dation récente,enrichir de façon spectaculaire les col-lections du département des Estampes etde la photographie qui avait déjà bénéfi-cié, en 1954, d’un legs de l’artiste. Lescarnets de croquis, dessins préparatoires,

    Henri Rivière,entre impressionnisme et japonismeUne exposition débute le 7 avril, site Richelieu, sur l’œuvre de ce peintre-graveur peu connu du grand public.

    Du 7 avril au 5 juillet 2009

    HENRI RIVIÈRE, ENTRE IMPRESSIONNISME

    ET JAPONISME

    Dans le cadre de la célébration du 40e anniversaire de la loi sur les dations.

    Site Richelieu – Galerie Mazarine

    Commissariat : Valérie Sueur-Hermel,conservateur au département des Estampes et de la photographie

    Le Boqueteau à Loguivy. Étude delumière. Aquarelle,vers 1898.

    matrices (bois et zincs gravés) et épreuvesd’état de certaines estampes ont le méritede dévoiler le processus créateur de l’ar-tiste et de mettre au jour sa capacité àpasser d’une technique graphique àl’autre.Également présente dans la dation, la col-lection d’estampes japonaises de Rivière,dont certaines sont présentées dans l’ex-position, permet d’identifier les sourcesde ce grand admirateur d’Hokusaï etd’Hiroshige. Valérie Sueur-Hermel

    Une redécouverte de l’œuvre de Henri Rivière

    Publié à l’occasion de l’exposition, le catalogue, riche de 160 illustrations en couleurs, embrasse l’œuvre graphiquede Henri Rivière dans la diversité de ses modes d’expression :gravures sur bois, lithographies, eaux-fortes et aquarelles, et rend hommage à ce coloriste hors pair tout entier voué à restituer « les aspects de la nature » au fil des heures et des saisons. Les pièces reproduites sont toutes issues du département des Estampes et de la photographie de la BnF. À côté des œuvres achevées, les travaux préparatoireset les estampes japonaises qui l’ont inspiré, permettent de retracer la genèse de l’œuvre et de comprendre, enparticulier, la manière dont Rivière passe d’une techniquegraphique à l’autre. Les contributions de Jocelyn Bouquillard,Philippe Le Stum, Catherine Méneux, Monique Moulène etValérie Sueur-Hermel apportent des éclairagescomplémentaires sur l’œuvre du peintre-graveur le replaçantnotamment dans l’histoire de l’estampe de la fin du XIXe siècleà laquelle il a apporté une contribution notable par sesinnovations dans le domaine de la couleur.Henri Rivière, entre impressionnisme et japonismeSous la direction de Valérie Sueur-Hermel, Éditions de la BnF, 200 p., 35¤.

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  • Condamnés par l’Église, interdits ou tolérés et taxés par le pouvoir, les jeuxn’ont pourtant cessé de se développerdans le Royaume de France. La bibliothèque de l’Arsenal leur consacreune grande exposition : Jeux de Princes,jeux de vilains, du Moyen Âge jusqu’à la veille de la Révolution.

    La passion du jeu

    diable, conséquence du péché et de lachute : c’est le Malin qui a soufflé auxsoldats romains gardant le tombeau duChrist de jouer sa tunique aux dés –scène souvent représentée dans les Cru-cifixions des artistes de la fin du MoyenÂge. Dès lors une véritable malédictionentoure les dés. «Une autre conceptiondu jeu, comme espace privilégié pour cul-tiver l’intelligence, comme expression del’ingéniosité humaine, coexiste avec cettecondamnation. C’est ainsi que dès leMoyen Âge, l’aristocratie le recommandedans l’éducation des princes », souligneÈve Netchine.

    17 mars 2009 - 21 juin 2009

    JEUX DE PRINCES, JEUX DE VILAINS

    Bibliothèque de l’Arsenal

    Commissariat : Ève Netchine, conservateur en chef,bibliothèque de l’Arsenal, BnF

    Catalogue sous la direction d’Ève Netchine, 160 p, 38 €.

    Installé dans l’hôtel qui deviendra labibliothèque de l’Arsenal, le marquis

    de Paulmy, grand maître de l’artillerie, yavait rassemblé au milieu du XVIIIe sièclemanuscrits médiévaux, estampes, livres,et avait fait le projet de réaliser une Histoire de la vie privée des Français. Seulle premier tome, consacré à la nourriture,vit le jour en 1782, cinq ans avant sa mort– il a donné lieu en 2001 à une exposi-tion intitulée Livres en bouche à la biblio-thèque de l’Arsenal. Le volet suivantdevait traiter de l’histoire des jeux. «Nousaccomplissons aujourd’hui ce que le mar-quis de Paulmy n’a pas pu finir», expliqueÈve Netchine, commissaire de l’exposition.Deux cents pièces sont présentées, desenluminures, gravures et peintures auxmanuels de stratégie en passant par lesjeux eux-mêmes : dés en os, jeux de qua-drille incrustés de nacre, tables avecdamiers d’ébène et d’ivoire, bourses dejeu aux armes des membres de la familleroyale. Une place importante est consa-crée aux jeux pédagogiques - jeu royal decartes pour apprendre la langue latine,puzzle géographique - et au rôle du jeudans l’invention du calcul des probabili-tés par Pascal.

    Une invention du diable Bibliophile érudit, le marquis de Paulmyn’était pas le seul de son époque à s’in-téresser au jeu. « Pour les hommes desLumières, le jeu était un sujet de réflexiontrès vivant», précise Ève Netchine. «Cetteinterrogation philosophique et morale estle fil rouge de notre exposition. »Déjà condamné par Aristote, le jeu esttraditionnellement considéré par l’Églisecatholique comme une invention du

    10 - Chroniques de la BnF - n°48

    Expositions >

    Cavalier, Ivoire, IXe-Xe siècle, Paris,

    musée national du Moyen Âge.

    Loterie de Saint-Roch tirée à Paris le 10 novembre 1705. Paris, Langlois, 1706. Eau-forte et burin. BnF/Dépt des Estampes et de la photographie.

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  • Chroniques de la BnF - n°48 - 11

    Réprimés mais jamais éradiquésLa méfiance des autorités ne suffit pas àéradiquer la passion du jeu. Malgré lesordonnances royales comme celle deCharles V qui interdit en 1369 la pratiquede tous les jeux, de hasard, de réflexionou sportifs, les sujets du royaume deFrance persistent à s’y adonner. Toutd’abord au plus ancien d’entre eux, lesdés, dont le médiéviste Jean-Michel Mehlnote que «nés avec l’histoire, ils font unavec les sociétés humaines » et que « sousdes formes diverses et avec d’infiniesvariantes, ils semblent appréciés partoutes les catégories sociales ».Jeu réputé noble, les échecs, nés en Asiecentrale au Ve siècle et apparus en Europeau XIe siècle, figurent dans l’éducation desjeunes aristocrates des deux sexes maissont également très prisés par les couchesaisées de la population. Ils sont alors d’unusage si courant que le Traité moral deJacques de Cessoles, un dominicain ita-lien de la fin du XIIIe siècle qui décrit lasociété idéale en se fondant sur ce jeu,connaît un immense succès et de nom-breuses traductions et adaptations – troismanuscrits magnifiquement enluminésde ce texte figurent dans l’exposition.Avec des règles très simples et des dépla-cements de pions réduits, la manière dejouer aux échecs au Moyen Âge tenaitplus du combat rapproché que de la finestratégie. Il semblerait même qu’on yjouait avec des dés. «L’opposition jeux dehasard/jeux de stratégie n’était alors pasaussi marquée», indique Ève Netchine.

    Une véritable invasion ludiqueLes premières cartes à jouer connues,retrouvées dans des reliures, datent dumilieu du XIVe siècle et inaugurent l’arri-vée des jeux nouveaux qui vont foison-ner à la Renaissance. Reposant toutd’abord, comme les dés, sur le hasard, lejeu de cartes va bientôt faire appel à laréflexion des joueurs, avec l’apparitionde la notion d’atout dès la première moi-

    tié du XVesiècle. Les cartiers, comme ceuxqui dans le nord de la France fabriquentle «Portrait de Paris », accompagnent dèslors les déciers. Aux XVIe et XVIIe siècles,les jeux se multiplient, des premières lote-ries venues d’Italie et introduites à Lyonsous le nom de blanques, au trictrac etaux dames, en passant par le jeu de l’Oyequi donnera lieu à de nombreusesvariantes éducatives pour enseigner, parexemple, l’héraldique, la lecture ou l’artdes fortifications aux enfants.Le parcours s’achève sur le triomphe desjeux de hasard avec la création de la lote-

    rie royale en 1776 : dans un des quatreextraits de son journal enregistrés par lecomédien Bernard Waver pour les visi-teurs de l’exposition, Casanova se vanted’en avoir inventé le système.Une constante : que ce soit aux dés, auxcartes, ou même au jeu de l’Oye, les par-

    ties sont intéressées, non seulement à laCour où se gagnent et se perdent dessommes considérables, mais égalementdans les salons, les salles de jeu tenueschez les princes étrangers, et bien sûrdans les innombrables tripots clandestinsde la capitale. « À la veille de la Révolution, la sociétéfrançaise est effrénée de jeu, observe ÈveNetchine. L’idée selon laquelle noussommes tous égaux devant le hasarddevient alors particulièrement frappante.Jouer c’est corriger la fortune, commel’écrivait Casanova. » Laurence Paton

    Joueurs d’échecs,vitrail en grisaille, vers 1440-1450,Paris, musée nationaldu Moyen Âge.

    Le jeu, espace privilégié pour cultiver l’intelligence‘‘ ’’•Dés : l’historien Polydore Virgiledécrivait, en 1499, plus de six centsmanières de jouer aux dés. Les parties sejouaient généralement avec trois dés, lebut étant d’obtenir le plus grand nombrede points possibles en un seul jet.•Cartes : on distingue souvent les jeuxconsistant à parier sur la sortie d’une carte– condemnade, lansquenet, bassette – ou sur la constitution d’une combinaison –prime, brelan –, des jeux de levées faisantappel à la réflexion: le piquet, la triomphe(jeu de levée avec atout), l’homme(appelé aussi la bête), le reversis, où il faut éviter de faire des plis, le tarot, très apprécié par le futur Henri IV, ou encore la brusquembille, l’hombre,venu d’Espagne, et le whist. •Loteries publiques comme la blanque,autorisée en 1539 par François 1er, ou de salon comme le hoca, ancêtre de la roulette. Le biribi dit aussi la belle se jouait avec un tableau aux casesnumérotées et des boules creuses.

    JEUX D’AUTREFOIS

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  • 12 - Chroniques de la BnF - n°48

    Conférences > LE MONDE MULTIPOLAIRE DE CARLOS FUENTES > LES FEMMES OUBLIÉES DE L’HISTOIRE LITTÉRAIRE > BIENVENUE AU

    Les femmes, oubliées de l’histoire littéraireUn colloque consacré aux femmes auteurs dans lacritique et l’histoire littéraire réunira le 20 mars 2009,site François-Mitterrand, des universitaires venus de France et des États-Unis.

    La plupart des femmes qui se sontexprimées dans le champ littéraire

    depuis le XIIIe siècle et jusque dans la pre-mière moitié du XXe siècle ne sont plusguère connues aujourd’hui. Leurs œuvresne sont généralement plus disponiblesdepuis longtemps. Seuls quelques grandsnoms continuent, au titre de somptueusesexceptions, de rythmer l’histoire littérairetelle qu’elle s’est constituée peu à peu.Pourtant les femmes ont été de plus enplus nombreuses à exercer le « métierd’écrire» au fil des siècles, et leurs œuvres,loin d’être mineures et de se limiter auxgenres considérés comme mineurs, tel leroman, furent généralement très bienreçues, éditées généreusement et pendantlongtemps, traduites et imitées.Pourquoi cette raréfaction progressive desfigures féminines dans les discours? Quelsont été les arguments qui ont peu à peufait autorité pour installer une telle situa-tion, la banaliser et la justifier ? Quels ontété les acteurs de cette évolution, sestemps forts, ses finalités ? Le colloque du20mars prochain se proposera d’appor-ter des éléments de réponse à ces ques-tions en considérant la nature de la récep-tion réservée aux ouvrages de femmes,en tentant d’en comprendre les motifs,d’en interroger les impensés et d’enmesurer les effets. Une lecture attentivede comptes rendus critiques, d’histoireslittéraires, de dictionnaires et d’antholo-gies sur près de cinq siècles (du XVIe audébut du XXe siècle) devrait permettre detracer les lignes de force d’une histoirequi, pour l’heure et malgré des analysesponctuelles, demeure écrite en pointillés :celle des encouragements et des résis-tances, des approbations et des sarcasmesqui ont continûment accompagné l’ac-cueil fait aux ouvrages de femmes en tantque tels, celle des fonctionnements quiont permis qu’aujourd’hui nombre d’entreelles demeurent marginalisées quand ellesne sont pas complètement oubliées.

    Le silence de l’histoireMises à part quelques « femmes illustres»,rares ont été les voix qui se sont élevéesau cours de l’histoire pour donner au«deuxième sexe» la place qui lui revenait.Michelle Perrot la première a fait état dece « silence de l’histoire » à l’égard des

    femmes. Après quelque quarante ans derecherches, l’histoire des femmes aapporté la preuve de la nécessité, de l’in-térêt et de la pertinence de ses question-nements. Malgré des travaux de plus enplus nombreux consacrés aux femmesauteurs depuis une vingtaine d’années,le domaine de la littérature fémininepeine encore en France à assurer sapleine légitimité et le bien-fondé de sespréoccupations. C’est pourquoi ce col-loque souhaite attester de la vigueur desétudes effectuées à ce propos et leurdiversité. Cette journée fait suite au cycle de confé-rences consacrées aux femmes auteursqui s’est tenu dans le cadre des « lundisde l’Arsenal » entre mars 2008 et février2009. Avec le concours d’universitairesfrançais et étrangers, celui-ci a permis deprésenter et de faire entendre, grâce à un

    large choix d’extraits, des œuvres aussidiverses que celles de Françoise de Graf-figny et de Rachilde, de Marguerite deValois et de Mme d’Aulnoy, de Mme deLafayette et de Marceline Desbordes-Valmore, de Marie de France, Delphinede Girardin et Isabelle de Charrière.

    Martine Reid

    COLLOQUELES FEMMES

    DANS LA CRITIQUE ET L’HISTOIRE LITTÉRAIRE

    20 mars 20099h30–18h30

    Site François-Mitterrand, petit auditorium, hall Est

    Portrait deMarguerite de Valois(1553-1615) parFrançois Clouet.BnF/Dépt desEstampes et de la photographie.

  • Chroniques de la BnF - n°48 - 13

    JEUNE CINÉMA EUROPÉEN > LA SERVANTE MAÎTRESSE DE PERGOLÈSE : UN OPÉRA-COMIQUE INÉDIT > LE MONDE MULTIPOLAIRE DE CARLOS FUENTES >

    C’est avec cette œuvre dans sa ver-sion initiale – italienne –, que Pergo-

    lèse déclencha malgré lui la «Guerre desBouffons » : d’un côté les tenants de lamusique française, de l’autre, les parti-sans de la musique italienne. Cette polé-mique illustre le bouleversement du genrede l’opéra au cœur du XVIIIe siècle. Aprèsune première représentation en 1746 quine fera aucun bruit, La Serva padrona faitscandale en 1752 car elle est présentéecette fois au public de l’Académie royalede musique (le futur opéra), plus sectaireque celui de la Comédie-Française habi-tué aux « farces » de Molière.

    On peut rire à l’opéraLes amateurs d’opéra, habitués à la formeclassique des œuvres de Rameau et deLully découvrent que l’on peut rire àl’opéra. «On y rit à gorge déployée, noteHolbach dans sa Lettre à une dame d’uncertain âge sur l’état présent de l’opéra, enajoutant : “Madame peu s’en faut quecette triste idée ne me fasse pleurer !” »La « querelle des Bouffons » ou « guerredes Coins » est une controverse typique-ment parisienne qui alimente les gazettesdurant deux années. Les défenseurs dela musique française se regroupent der-rière Jean-Philippe Rameau (coin du roi)et ceux de l’ouverture du genre autour deJean-Jacques Rousseau (coin de la reine).Bien plus, il s’agit pour certains d’inven-ter un nouveau genre, au-delà de l’oppo-sition entre la comédie et le drame, quiose mélanger le «parler » au «chanter », entransformant les récitatifs en dialoguesthéâtralisés. On refuse peu à peu de scinder l’opéra seria de caractère noble etsérieux de l’opéra buffa ou opéra-comique(de buffo : qui prête à rire, grotesque).En effet, l’opéra italien a fortement évo-lué, plus rapidement que la tragédielyrique ou tragédie en musique, typique-ment française, malgré l’exception quepouvait représenter le ballet « bouffon »Platée, tragédie en musique de Rameau(1745), où une large place était faite à deséléments parodiques.

    Un comique originalL’opéra bouffe, quant à lui, ne se contentepas de parodier le genre sérieux ; il pro-duit un comique original, plus populaire,proche de la farce et de la comédie demasques. D’ailleurs la Commedia dell’arteet le théâtre de foire parisien ont aussi lar-

    gement inspiré cette Servante maîtressedont la version française inédite pousseencore plus loin la fusion des styles ita-lien et français ! Ainsi pour Jérôme Cor-reas, directeur musical des Paladins : « Iln’est pas étonnant que, dès 1754, une tra-duction française ait vu le jour afin quetous les publics profitent pleinement decette œuvre ; cette version circule bientôtdans toute la France. La plupart des réci-tatifs sont remplacés par des dialoguesparlés, ce qui en fait un véritable opéra-comique. De plus, on trouve quelquesrécitatifs accompagnés absents de la ver-sion originale et surtout un nouvel air

    La Servante maîtresse de Pergolèse :un opéra-comique inéditLe 7 avril, l’ensemble musical Les Paladins, dirigé par Jérôme Correas, jouera La Serva padrona dans sa version française (1754)jusque-là inédite, puisée dans les collections du département de la Musique.

    LES INÉDITS DE LA BnF

    LA SERVANTE MAÎTRESSEDE PERGOLÈSE

    avec Zerbine: Aurélia Legay (soprano), Pandolfe:Vincent Billier (baryton), Scapin: NN (rôle muet).

    Direction musicale Jérôme CorreasMise en scène Vincent VittozLes Paladins: 2 violons, alto, violoncelle,contrebasse, clavecin

    7 avril à 18h30

    Site François-Mitterrand, grand auditorium, hall Est

    Une servante, Zerbine, parvient, avec la complicité du domestique Scapin, à se faireépouser par son maître Pandolfe: déguisé enmilitaire, Scapin demande à Pandolfe la mainde sa servante, ainsi qu’une dot trèsimportante. Effrayé par la somme extravagantequ’il doit débourser, Pandolfe préfère encoreépouser lui-même la jeune femme.

    L’HISTOIRE :

    virtuose pour le rôle de la soprano. Lesdifférences musicales sont très révélatricesde l’assimilation de l’œuvre à l’esprit fran-çais et, par-delà, de la fusion entre la tra-dition italienne de la Commedia dell’arteet le théâtre de foire typiquement pari-sien. » Cette version française, qui n’aencore jamais été jouée de nos jours, estune véritable re-création; elle fait la partbelle aux passages entre voix parlée et voixchantée et représente la première synthèsede cette réunion des goûts tant recher-chée au XVIIIe siècle.Le jeu des personnages, les mimiques duvalet - rôle muet! -, la simplicité des mélo-dies, le double registre comique et senti-mental avec sa crise émotionnelle justeavant le dénouement, et surtout la languefrançaise du XVIIIe, si propre à la comé-die et au chassé-croisé des sentiments,font de ce nouvel inédit un spectacleréjouissant. Jean-Loup Graton

    Jérôme Correas, directeur musical des Paladins.

    À gauche :Giovanni BattistaPergolèse (1710-1736).© Lebrecht/Ruedes Archives

  • 14 - Chroniques de la BnF - n°48

    Chroniques : Parmi les très nombreuxfestivals de films existant en France,

    quelle est la spécificité d’ÉCU ?Scott Hillier: Jusqu’à la création du Fes-tival européen du film indépendant(ÉCU) en 2006, il n’existait pas de mani-festation consacrée à ce cinéma. Pourtant,en Roumanie comme en Espagne, enSuède, en Grèce, en France ou en Italie,de nombreux réalisateurs, extrêmementcréatifs et souvent très jeunes, font desfilms, avec ou sans moyens, parce qu’ilsont envie de raconter une histoire, réelleou inventée. J’ai voulu créer ce festivalpour donner une tribune aux réalisateurseuropéens qui, n’étant pas soutenus pardes maisons de production ou des insti-tutions puissantes, ont du mal à montrerleurs films. Moi-même, bien qu’ayantobtenu un Oscar du meilleur documen-taire en 2003 pour le film Twin Towers, jeme suis rendu compte combien il étaitdifficile de se faire ouvrir la porte des fes-tivals. Créer ÉCU, c’était donner à cescréateurs une possibilité de se faireconnaître tout en offrant aux spectateursune formidable ouverture sur le monde.Depuis quatre ans, j’ai fait de magni-

    Bienvenue au nouveau cinéma européenPour la quatrième année, la BnF accueille une aventure originale : le festival ÉCU, premier festival européen du filmindépendant. Rencontre avec son fondateur, Scott Hillier, réalisateur australien résidant à Paris, passionné d’histoires etd’images venues d’ailleurs.

    Ci-dessous : Scott Hillieret le festival Écu.

    IVe FESTIVAL EUROPÉEN DU FILM INDÉPENDANT (ÉCU)

    13, 14 et 15 mars 2009

    Site François-Mitterrand

    également proposés au public des ateliersde réalisation, de montage, d’écriture descénario, d’art dramatique, et des ren-contres avec les réalisateurs.

    Vous faites partie du comité de sélectionet présidez le jury. Quels sont voscritères de choix ?Je privilégie en premier lieu l’indépen-dance, non seulement économique - lesfilms en compétition ne doivent pas êtrefinancés à plus de 50% par une grandesociété – mais surtout d’esprit : les filmssélectionnés sont des œuvres personnelleset singulières, différentes et originales. Jepense, par exemple, au film, montré en2006, de Mariana Yarevsky, une réalisa-trice russe qui sera membre du jury cetteannée : pendant un an elle a parcouru lesprisons de Russie pour faire un docu-mentaire sur le tatouage. Deuxième cri-tère : une bonne histoire bien racontée,qui vous touche et que vous n’oubliezpas. Comme ce film français en noir etblanc inscrit pour l’édition 2009, SaleTiming de Olivier Barma, montrant unpolicier avec un pistolet dans la bouche,que je viens de visionner et qui m’a laisséun sentiment intense ; ou encore ce filmbelge expérimental, Candy Darling deSylvia Defrance qui, pour conter l’his-toire d’une mère surprotégeant sa fille,mêle images réelles et animation. J’aimequ’un film m’étonne, m’ouvre les yeuxet les idées.

    Propos recueillis par Laurence Paton

    fiques découvertes tant humaines quecinématographiques. Comme celle de cejeune Roumain, Catalin Leescu qui a réa-lisé, à 25ans, un film extraordinaire en16mm, One Shot Wonder, et qui est venuen auto-stop à Paris le présenter à la BnFlors de la première édition du festival.

    En quoi consiste exactement votre partenariat avec la BnF ?La BnF met à la disposition d’ÉCU quatrebelles salles de projection parfaitementéquipées. Aujourd’hui, je suis encoreétonné d’avoir réussi à créer mon festivaldans ce cadre prestigieux : un réalisateuraustralien qui propose à une grande ins-titution française un festival de films dansun pays qui en regorge, ce n’était pasgagné d’avance! La première année, nousavons projeté 35 films, la deuxième année90 et, en 2008, 107 œuvres venues de40 pays. Cette année, après en avoirvisionné un millier, nous en projetteronségalement plus d’une centaine, et atten-dons entre cinq et sept mille spectateurs.Longs et courts métrages de fiction oudocumentaires, films expérimentaux,d’animation, d’étudiants (moins de25ans): au total treize catégories de filmsconcourront pour le grand prix du«meilleur film indépendant d’Europe». Ilsera décerné par un jury internationalcomposé de vingt membres, profession-nels de la BBC ou du National Geogra-phic, réalisateurs, producteurs, monteurs,critiques. En plus des projections, sont

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    Conférences > FEMMES OUBLIÉES DE L’HISTOIRE LITTÉRAIRE > BIENVENUE AU NOUVEAU CINÉMA EUROPÉEN > LA SERVANTE MAÎTR

  • Dans le cadre des auteurs mexicains invités au Salon du livre, le célèbre écrivain évoquera dans une conférence à la BnF, le 11 mars, le roman latino-américain d’aujourd’hui.

    Chroniques de la BnF - n°48 - 15

    Avant tout romancier mais aussi nou-velliste, auteur de théâtre, essayiste et

    rédacteur de milliers d’articles publiésdans les revues et les journaux américainset européens, Carlos Fuentes, aux racinesmexicaines mais à la culture transatlan-tique, ardemment hispanophone et tota-lement polyglotte, parcourt depuis long-temps le monde occidental pour témoi-gner avant l’heure de l’évidente nécessitéd’un monde multipolaire.Polémique, délibérément engagé dans laréalité politique de son temps, privilégiantles rencontres entre l’individu et l’histoire,les destins et les identités nationales, Car-los Fuentes mêle dans ses écrits intime-ment liés à sa vie et à l’histoire du Mexique,

    diverses temporalités. Son œuvre mêle lec-ture et imagination, écriture et mémoire,histoire et littérature. Écrire, lire, voyager,enseigner, converser, participent de laconstruction permanente d’une œuvre quidédouble une vie où chaque roman est unchapitre d’un seul roman qui les englobetous et ne finit jamais.

    Le « boom » de la littératurelatino-américaineLa parution de La Plus Limpide Région en1958 est considérée comme le début dumouvement qualifié par la critique de« boom » de la littérature latino-améri-caine : une constellation littéraire qui, auChili, avait pour nom Donoso, à Cuba,Guillermo Cabrera Infante et, en Argen-tine, Julio Cortazar, bien qu’il fût alorsexilé à Paris. Dans ce premier roman, Carlos Fuentesdit avoir simplement voulu parler de laréalité du Mexique. Fils de diplomate,ayant passé une jeunesse itinérante enAmérique et en Europe, il porte sur leMexique le regard décalé de celui quirevient dans un pays fantasmé. Il dépeintla société post-révolutionnaire, l’avène-ment d’une bourgeoisie mexicaine priseau piège de ses contradictions, Mexico,

    cette ville gigantesque qui ne cesse decroître : autant de manifestations d’unmonde nouveau qui n’avaient pas encoreeu de traduction littéraire dans son pays.Carlos Fuentes servit de déclencheur àcette aspiration nouvelle qui engendra larenaissance du roman latino-américaindurant les années 1960. De Jorge LuisBorges à Mario Vargas Llosa, le mouve-ment noue plusieurs fils d’une traditionpassant aussi par Gabriel Garcia Mar-quez et Alejo Carpentier et dont le traitcommun est l’attitude critique envers lelangage.Ces auteurs héritent d’une langue espa-gnole magnifique mais jugée «dépenailléeet clocharde » par Carlos Fuentes. Sansdoute s’y ajoute-t-il, tant pour les écri-vains espagnols que latino-américains, unsentiment de dépossession de la langueque l’on peut expliquer hâtivement parla succession de régimes autoritaires quiont mis la langue sous le boisseau.Pour Fuentes, Borges fut l’unique sanslequel rien n’aurait été possible car le pre-mier, il a modifié la langue espagnole etfait « d’un vieil arbre rabougri, un belarbuste bien taillé ».

    Un vide narratif à comblerEntre Cervantes et le XXe siècle, la langueespagnole est quasi absente de la tradi-tion narrative. Et voilà que soudain, iciet là, des écrivains latino-américains, cha-cun à sa manière viennent combler ce videen ressuscitant autant qu’en inventant unelangue et racontent avec une « agitationépique » dans l’urgence d’une attente àsatisfaire, ce qui jamais ne s’était écrit : lavie, l’identité, la mémoire, le rêve, l’his-toire ! Outre la rupture avec une langueancienne, une autre rupture plus éton-nante encore se produit : le refus du réa-lisme. Le jeu entre réalité et fantasme,qui plus tard est devenu la marque defabrique du roman latino-américain, étaità ses débuts un enjeu vital : la réalité nes’épuise pas dans le réel, elle comprendaussi ce qui n’a même pas encore été rêvé.À cette quête d’une totalité correspondune révolution du temps qui se manifestepar un rejet du temps linéaire caractéris-tique de la pensée occidentale; elle est toutaussi antinomique avec la vision circu-laire du temps chez les Amérindiens. Le boom des années 1960 ne s’est pasarrêté brutalement ; de nouveaux écri-vains se sont imposés. Carlos Fuentes,qui fut emblématique de ce renouveau,a beaucoup contribué à révéler la richessede la littérature latino-américaine. Il a misen lumière le caractère polyculturel etmultiracial de cette aire linguistique dontla continuité culturelle est assurée par lemétissage. Il sera le 11mars à la BnF, unefois encore, le porte-parole de sa vitalité.

    Anne Dutertre

    LES GRANDES CONFÉRENCES DE LA BnF Institut de France, Fondation del Duca

    AUTOUR DU ROMAN LATINO-AMÉRICAIN

    Conférence par Carlos Fuentes, présentée par Jean Daniel

    11 mars, 18h30–20h

    Site François-Mitterrand, grand auditorium, hall Est

    Organisé avec le soutiende l’Institut de France et de la Fondation del Duca

    m

    ESSE DE PERGOLÈSE : UN OPÉRA-COMIQUE INÉDIT > LE MONDE MULTIPOLAIRE DE CARLOS FUENTES >

    Portrait de CarlosFuentes, 1999. © Denis Dailleux/Agence Vu.

    Le monde multipolairede Carlos Fuentes

  • Collections >

    Depuis les écrits déposés par les missions scientifiques du XIXe siècle qui se sont passionnées pour le Nouveau Monde jusqu’à la littérature la plus contemporaine, la BnF offre des ressources exceptionnelles à tous ceux qui ont l’Amérique latine au cœur.

    Le fonds de langues et littératures latino-américaines

    La BnF aux couleurs du Mexique

    personnage emblématique de ces figuresde grands savants, diplomates etvoyageurs, qui se passionnèrent pour le Nouveau Monde et contribuèrent à la connaissance mutuelle des cultures et des civilisations. Né à Paris en 1808, il accomplit la majeure partie de sacarrière diplomatique en Amérique latine(Pérou, Cuba, Bolivie, Guatemala, etc.).Passionné par la géologie et l’archéologiedu Nouveau Monde, il légua toute sabibliothèque, soit plus de 1200 livres,manuscrits, dossiers d’étude, cartes,photographies, carnets de dessins devoyages en 1885 à la Bibliothèquenationale.

    Après cette période faste, les fondshistoriques latino-américains ont étéquelque peu délaissés à la fin duXIXe siècle. Les Français s’intéressent alors davantage à l’Afrique et àl’Extrême-Orient. En revanche, le fondslittéraire latino-américain, lui, sedéveloppe. À l’orée du XXe siècle, la plupart des auteurs sont des hommespolitiques ou des diplomates, puis une génération d’écrivains à part entièrese révèle (Sarmiento, Marti, Mitre…).

    Le mouvement modernisteLa littérature moderniste est très bienreprésentée dans les collections ; premiermouvement autonome de la littératurelatino-américaine, il est composé denombreux écrivains attirés par la France

    e Mexique occupe une place trèsimportante dans les collections de la BnF. Le fonds mexicain est le

    produit à la fois de certains mouvementsculturels et scientifiques, et de l’histoirepolitique et sociale. La puissanced’attraction du Nouveau Monde aux XIXe

    et XXe siècles a entraîné de nombreusesmissions scientifiques dont les travauxont été déposés à la Bibliothèque. Celle-cia également reçu en don des collectionscomplètes constituées par des diplomates,des anthropologues, des scientifiques lorsde leurs séjours sur le continent latino-américain. A contrario et pour des raisonsévidentes, les acquisitions ont été moinsimportantes lors de la Seconde Guerremondiale.

    Le rayonnement de la culture latino-américaineDepuis 1945, le fonds latino-américain aconnu un développement rapide, lié aurayonnement de la littérature de tous lespays du continent et à l’émergence d’unmarché éditorial propre, avec ses éditeurset ses grands rendez-vous, comme laFoire du livre de Guadalajara (Mexique),équivalent latino-américain de la Foire de Francfort. Les très riches collectionsd’imprimés de la Bibliothèque couvrenttoutes les périodes historiques depuis laconquête du Nouveau Monde. Il restenéanmoins difficile d’établir uneestimation chiffrée. Selon l’étude réaliséepar le professeur Jackson en 1982, les fonds contiendraient de 100000 à200000volumes publiés dans les payslatino-américains à partir de leurindépendance ou les concernant. Les ouvrages datant de l’époque colonialese trouvent pour la plupart dans les collections espagnoles ou portugaises.Plusieurs catalogues permettent dedresser un inventaire plus précis de ces fonds, notamment, le Catalogue del’histoire de l’Amérique de GeorgeBarringer, paru entre 1887 et 1911, donttrois volumes sont consacrés auxdifférents pays d’Amérique latine, et les catalogues de deux donations très importantes : le fonds Angrand –collection d’une importance primordialesur la culture mexicaine – et les fondsargentins. Léonce Angrand fut un

    où ils viennent puiser leur inspiration.Nombre d’entre eux s’installent à Pariscomme journalistes ou diplomates :Rubén Dario, correspondant du journalargentin la Nacion ; Vicente Huidobro,attaché à la délégation du Chili à Paris,ou Enrique Gómez Carrillo qui travailleaux éditions Garnier et collabore aujournal madrilène ABC. Ils créent ouparticipent à plusieurs revues littéraires àParis afin de faire connaître la littératurelatino-américaine en France, comme la revue Nord-Sud dirigée par PierreReverdy. Roger Caillois, avec sacollection La Croix du Sud, créée chezGallimard en 1951, a joué un très grandrôle dans la diffusion de la littératuremexicaine et latino-américaine.

    Une politique d’acquisition volontaristeDepuis 1940, la politique d’acquisition de la BnF a permis d’enrichir les fondslatino-américains, notamment dans ledomaine des sciences humaines. Près de15000ouvrages ont été achetés jusqu’en1971. Depuis cette date, environ milletitres sont entrés à titre onéreux chaqueannée dans les collections. Le Brésil,l’Argentine et le Mexique sont les pays les mieux représentés. Les ouvrageshistoriques intéressent toujours leslecteurs, mais ils se tournent désormaisdavantage vers les bibliographies,l’anthropologie, la sociologie, le folklore,les beaux-arts, la musique, tous domainesjusque-là un peu déficients. La littératureet la linguistique tiennent bienévidemment une très grande place, y compris les langues et les littératuresamérindiennes, bien représentées.Compte tenu du renouveau de ceslittératures et du développement desrecherches les concernant, en particulierdans leurs pays d’origine, aux États-Uniset en Allemagne, la BnF a réalisé depuisdix ans un effort particulier dans ce domaine : la rédaction d’un guide de sources en langues et littératuresamérindiennes a été mise en œuvre afinde faire connaître ce fonds et de l’ouvrir à la recherche. Parmi les innombrablesrichesses qu’il contient, retenons enparticulier le Dictionnaire de la languenahualt ou mexicaine, rédigé d’après les

    16 - Chroniques de la BnF - n°48

    L

    m

    Le Brésil, l’Argentine et le Mexiquesont les pays les mieux représentés‘‘ ’’

  • Chroniques de la BnF - n°48 - 17

    Copie d’un manuscritaztèque extrait deMission scientifiqueau Mexique et dansl’Amérique centrale,de Joseph-Marius-Alexis Aubin, 1885.BnF/Dépt Littératureet art.

    essais) qui entrent à la BnF par le dépôt légal,publications scientifiques des organismes de recherche consacrées à l’Amérique latine…La création des collections en libre accès et celle des départements thématiques ontpermis de développer les fonds d’auteurs, les ouvrages d’histoire et de critique littéraire par pays. Ainsi, le secteur de littérature latino-américaine hispanophone et le secteurdu Brésil et des pays lusophones disposentaujourd’hui de budgets propres.Les collections constituées depuis deux sièclescontiennent des ouvrages exceptionnels, dupassé comme d’époques récentes. À l’instar decette préface à la traduction du livre Le Llano enflammes du grand auteur mexicain Juan Rulfo,écrite par Jean-Marie Gustave Le Clézio, prixNobel de littérature 2008, dont on sait lapassion pour le Mexique: «Le llano en flammesbrûle dans la mémoire universelle, chacun deses récits laisse en nous une marque indélébile,qui dit mieux que tout l’absurdité irréductiblede l’histoire humaine, et fait naître la ferveur del’émotion, notre seul espoir de rédemption.»

    Nira Reyes Morales

    documents imprimés et manuscrits les plusauthentiques, et précédé d’une introductionde Rémi Siméon, publié en 1885. La Missionscientifique au Mexique et dans l’Amériquecentrale, de Joseph-Marius-Alexis Aubin figureégalement parmi les plus belles pièces dufonds. L’ouvrage comprend de magnifiquesreprésentations figuratives aztèques (voirillustration).La politique d’acquisition de la BnF enmatière de langues et littératures hispano-latino-américaines s’efforce de rassemblertoutes les éditions ou rééditions d’un ouvragesusceptibles d’être utiles à la recherche, enprivilégiant chaque fois que c’est possible les éditions originales, tout en restant attentifaux publications dans les autres langues(allemand, anglais, italien, etc.). Les échangesinternationaux, qui se sont considérablementdéveloppés entre la BnF et les bibliothèquesnationales et universitaires latino-américaines,ont également permis d’enrichir ces fonds.Tout comme les nombreux ouvrages publiésen France : ouvrages d’auteurs latino-américains et traductions (poèmes, romans,

    À l’occasion du Salon du livre, une bibliographiedes auteurs invités et de la littérature mexicainecontemporaine seraaccessible sur le siteInternet de la BnF. Uneprésentation d’un choixd’ouvrages sera installée en salle des littératuresétrangères G.

    les collections de littérature latino-américainesont disponibles en libreaccès en salles G et U (départementLittérature et art,bibliothèque du Haut-de-jardin)

    À SAVOIR :

    BNF PRATIQUE :

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    Littératures latino-américaines

    Zoom sur quatre écrivains mexicains d’aujourd’hui

    18 - Chroniques de la BnF - n°48

    ml’image de la littérature hispano-américaine contemporaine, celle du Mexique se caractérise par la variété de ses esthétiques. La définir c’est chercher ce qu’on n’y trouve plus : réalisme magique,fantastique et – dans bien des cas – idéologies. Mêlant les genres, souvent réaliste, elle rompt

    avec la génération précédente – celle de Gabriel García Márquez (Colombie) ou d’Alejo Carpentier (Cuba). Elle entend encore se dégager des particularismes pour donner lieu à une littérature universelle en langueespagnole. Trois portraits illustrent cette diversité; s’y ajoute un quatrième, celui d’Elena Poniatovska, que son année de naissance rattache plus à la génération de Fuentes.

    À

    Journaliste, romancière et

    nouvelliste, née à Paris, en 1933,

    de mère mexicaine et de père

    français, descendant direct

    du roi Stanislas II de Pologne.

    Vers l’âge de 7 ans, elle arrive au

    Mexique où sa famille s’exile en

    raison de la guerre. Elle y est

    frappée par la misère, et c’est

    là qu’il faut chercher sa vocation:

    être la voix des laissés-pour-

    compte, paysans, pauvres,

    femmes écrasées par une société

    de domination masculine,

    prisonniers qu’elle interviewe à

    la prison de Lecumberri, quand

    elle rend visite – avec Buñuel –

    aux intellectuels que le régime

    mexicain enferme dans les

    années 1950. Dissidente, Elena

    Poniatovska avoue sa fascination

    pour des mondes différents du

    sien, tandis que sa vocation de

    journaliste sert ses romans, pour

    mieux dénoncer les oppressions.

    Après une enquête, elle publie

    ainsi La Nuit de Tlatelolco (1971)

    sur les événements tragiques du

    2 octobre 1968 : le gouvernement

    mexicain réprime dans le sang les

    manifestations étudiantes. Elle y

    donne la parole aux familles des

    victimes, ainsi qu’aux prisonniers.

    Vie de Jésusa (1980) est la longue

    confession d’une humble femme

    qui – dans une langue populaire

    et empreinte d’oralité – raconte

    sa vie quotidienne, ses misères,

    ses espoirs. Enfant battue, puis

    femme maltraitée, elle prend

    les armes à la tête d’une troupe

    d’hommes lors de la Révolution

    mexicaine, mais finit dans un

    bidonville.

    Né à Gijón, en Espagne, en 1949, il émigre auMexique en 1958 avec sa famille pour fuir lefranquisme et prend part aux mouvements étudiantsde 1968. Journaliste, historien avec des recherches sur le mouvement ouvrier, il est le fondateur du nouveau roman noir latino-américain. Auteurd’une trentaine de romans policiers à connotationpolitique, il choisit le pseudonyme de Paco IgnacioTaibo II pour se différencier de son père, du mêmenom, célébrité de la télévision mexicaine. Dans Joursde combat (1976), il crée la figure du détective privé,Hector Belascoaran Shayne, policier anticonformisteet taciturne qu’il « tue » dans Pas de fin heureuse (1981)et ressuscite à la demande du public dans Même ville sous la pluie (1989). D’autres romans ont aussi fait sa réputation : Ombre de l’ombre (1986), La Viemême (1992), qui se situent dans un Mexique violent,soumis à l’omnipotence d’un parti unique, auxpoliticiens corrompus, et à la police gangrenée par le trafic de drogue. Taibo II est aussi l’auteur d’une biographie de Che Guevara, et du roman Des morts qui dérangent (2005) co-écrit avec le sous-commandant Marcos. Président de l’Associationinternationale des auteurs de romans policiers, il fonde, en 1987, le festival du roman noir de Gijón(Espagne), dont le succès ne se dément pas et auquelont assisté plus de un million de personnes lors des dernières éditions.

    Paco Ignacio Taibo II

    Elena Poniatovska

    © Daniel Mordzinski

    © Daniel Mordzinski

  • Chroniques de la BnF - n°48 - 19

    Né à Mexico en 1960, Mario Bellatín est l’auteur de courts romans qui échappent aux

    catégories, mêlant réalité et fiction, biographies et documents scientifiques. Leçons

    pour un lièvre mort est un puzzle de 243 fragments qui font des sauts dans le temps pour

    constituer une narration énigmatique. Un auteur sans nom y raconte son séjour dans

    une résidence pour écrivains, aux États-Unis. Il parle de ses rites pour écrire, de son

    fils auquel il raconte des rêves, et de l’histoire de Margo Glantz qui fut clonée.

    Une autre voix – non identifiée – raconte aussi l’histoire d’un poète aveugle. Bellatín

    construit ainsi une machine à raconter qui produit des histoires soumises à un montage

    cauchemardesque.

    Jacob le mutant (2002) est un roman sur La Frontière, œuvre peu connue et fragmentaire

    de Joseph Roth (1894-1939), écrivain juif autrichien. Bellatín y explore les vicissitudes

    du manuscrit et de son auteur sous la forme d’un roman sur un autre roman.

    La Frontière, ouvrage présenté comme le testament de Roth, est une métaphore de

    la limite fragile entre fiction et réalité ; Jacob le mutant devient ainsi une réflexion sur

    la solitude de l’écrivain dans notre société.

    Dans Le Jardin de la dame Murakami (2000) et Shiki Nagaoka : un nez de fiction (2000),

    Bellatín exprime son attirance pour l’esthétique japonaise et la littérature nippone :

    goût pour la forme brève, à la limite du haïku, sobriété, minimalisme.

    Converti au soufisme, s’inspirant d’un roman juif ou de l’esthétique japonaise, Bellatín

    fait partie des nouveaux visages de la littérature mexicaine : une littérature universelle

    qui souhaite rompre avec les clichés trop souvent appliqués à la littérature hispano-

    américaine. Adélaïde de Chatellus

    Jorge Volpi est né à Mexicoen 1968. À la fin des années1990, il fonde lemouvement littéraire duCrack, qui entend rompreavec le réalisme magiquede la générationprécédente. Il affirme ainsique: «Pour être réellementlatino-américain, il estnécessaire de ne pas écrirede littérature latino-américaine.»Volpi s’est fait connaîtreavec sa trilogie surl’effondrement desidéologies au XXe siècle : À la recherche de Klingsor(1999) est ainsi un thrillerpolitico-scientifique surl’Allemagne au début dunazisme; La Fin de la folie(2003) met en scène AnibalQuevedo, psychanalyste qui tombe amoureux d’uneétudiante de Nanterre, et devient un intellectuelengagé dans la France de 1968. À travers sesaventures (il psychanalyseFidel Castro, rencontre le sous-commandant Marcoset fonde la revue Tel Quel),La Fin de la folie est une métaphore de l’échec de la gaucherévolutionnaire. Le Tempsdes cendres traite del’effondrement ducommunisme. De 1950 à nos jours, deux histoires

    se répondent : l’une estdessinée par des figuresillustres (Staline,Khroutchev, Gorbatchev,etc.), l’autre met en scènetrois femmes – unebiologiste russe, uneAméricaine fonctionnairedu FMI, et une Hongroisequi participe au séquençagedu génome humain – ainsiqu’un journaliste etécrivain russe – le narrateurdu Temps de cendres – quitraque tous ceux qui ontvendu leur âme au diable.Emportant le lecteur d’esten ouest, Le Temps descendres illustre lemanifeste du Crack : sansancrage en Amérique latine,le roman mêle les genres(roman scientifique,enquête policière, sagahistorique) et place le lecteur aux premières loges de l’Histoire. Loin de l’exotisme tropical deGarcía Márquez ouCarpentier.

    Jorge Volpi

    Mario Bellatín

    © Daniel Mordzinski

    © Daniel Mordzinski

  • 20 - Chroniques de la BnF - n°48

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    Madame Anne Libert vient d’offrir à la BnF les archives littéraires de son père Jean Libert (1913-1995),co-auteur avec GastonVandenpanhuyse (1913-1981), sous le pseudonyme de Paul Kenny, de la série populaire d’espionnagedes Francis Coplan.

    Francis Coplan :Objectif BnF

    de quitter le Fleuve noir pour les Pressesde la Cité et la demande éditoriale de lacollection «Espionnage» reste forte: Fran-cis Coplan, alias FX 18, agent secret fran-çais du Sdece (Service de documentationet de contre-espionnage), naît ainsi sousla plume de Paul Kenny en 1953 dansSans issue ! Ce roman marque le débutd’une fructueuse collaboration entre lesdeux hommes pendant une trentained’années et près de 180 missions deCoplan, poursuivie quelque temps parJean Libert après la mort de Gaston Van-denpanhuyse, avant que Serge Jacque-mard ne reprenne le flambeau. La sérieatteint son apogée dans les années 1960,avec 200000 exemplaires vendus par titreet une Palme d’or pour le roman d’es-pionnage en 1960 avec Les Silences deCoplan, au point qu’une collection dédiéeà Paul Kenny est créée en 1973. Miroirde l’histoire immédiate autant que visionsubjective de l’actualité, les aventures deFrancis Coplan nous conduisent sur lescinq continents, tout en prenant encompte les inflexions de la politique fran-çaise à l’échelle internationale.

    Paul Kenny dévoile ses sourcesLe fonds Jean Libert est le premier fondsd’archives de littérature d’espionnageconservé dans une bibliothèque patri-moniale et de recherche en France. Il invite à la réévaluation d’une littéra-ture à laquelle les appellations de «para-littérature », de « sous-littérature » ou de«littérature de gare» ont souvent été acco-lées. Les nombreuses dactylographies

    De l’espionnage en littérature à la littérature d’espionnageLe roman d’espionnage, qui prend pourcadre le monde du secret et que l’onpourrait définir comme le récit desaffrontements souterrains entre pays,puise ses racines dans la littérature anglo-saxonne (William Le Queux, EdwardPhillips Oppenheim, John Buchan) ;celle-ci lui a donné par la suite ses lettresde noblesse : Graham Greene, Ian Fle-ming, John Le Carré pour ne citerqu’eux. Si quelques romans français trai-tent de l’espionnage au début duXXe siècle comme L’Espion X 323,L’Homme sans visage (1909) de Pauld’Ivoi, L’Éclat d’obus (1915) de MauriceLeblanc ou Rouletabille chez Krupp (1917)de Gaston Leroux, ce n’est qu’en 1936avec Double Crime sur la ligne Maginot quePierre Nord fonde véritablement le genreen France. Il faut cependant attendre leslendemains de la Seconde Guerre mon-diale et le début du conflit Est-Ouestpour qu’il connaisse le succès commer-cial, avec la création entre autres des édi-tions du Fleuve noir, en 1949. Le tempsdes grandes séries populaires est ouvert :Le Gorille (Antoine-Louis Dominique),OSS 117 (Jean Bruce), Force M (ClaudeRank), SAS (Gérard de Villiers) et Francis Coplan. Jean Libert et GastonVandenpanhuyse, deux amis d’enfancenés à Bruxelles à trois jours d’intervalle,font leur entrée au Fleuve noir au débutdes années 1950. Jean Libert, journalisteet poète, publiait auparavant des nou-velles et romans d’amour ; Gaston Van-denpanhuyse, capitaine de marine mar-chande, écrivait, quant à lui, des articlesde vulgarisation scientifique. Ils signentd’abord dans la collection «Anticipation»une vingtaine de romans de science-fiction sous le pseudonyme de Jean-Gas-ton Vandel, avant d’orienter peu à peuleur écriture vers le roman d’espionnagesous trois autres pseudonymes – GrahamLivandert, Jack Murray et Paul Kenny,dont le dernier est passé à la postérité.Jean Bruce, le créateur d’OSS 117, vient

    corrigées des Coplan illustrent lesméthodes d’écriture de Paul Kenny.Habitant à quelques kilomètres l’un del’autre dans le Val- d’Oise, Jean Libert àMontmorency et Gaston Vandenpan-huyse à Eaubonne, les deux amis tien-nent une conférence de travail deux foispar mois afin d’élaborer l’intrigue, defixer le décor et de décider des rebon-dissements et du dénouement de leurprochaine histoire. Après la séance, cha-cun regagne son domicile et écrit de soncôté un livre différent. Ainsi, tous lesdeux mois, avec une belle régularité, un« Kenny » peut-il sortir, écrit par roule-ment tantôt par Jean Libert, tantôt parGaston Vandenpanhuyse. La genèse desCoplan est, en outre, éclairée par unesource peu courante. Tous les ans, lesdeux hommes organisent un grandvoyage dans un secteur «chaud» de la pla-nète – ou qui risque de le devenir – et serépartissent les villes traversées. Pendantleur séjour, ils repèrent l’hôtel où peu-vent se croiser les agents internationaux,les boîtes de nuit à double issue, les quar-tiers interlopes où les agressions sontmonnaie courante. Armés d’appareilsphotographiques, ils fixent sur la pelli-cule les plaques des rues, les places, leslieux typiques. Ces albums de voyage surlesquels ils ont accumulé photos, notes,timbres ou tickets d’autobus, leur per-mettent des descriptions fidèles qui ser-vent l’effet de réel. C’est désormais audépartement des Manuscrits que PaulKenny nous livre ses secrets.

    Clément Pieyre

    Jean Libert (à gauche) et GastonVandenpanhuyse (à droite), 1965.

    Éditions Fleuve noir, BnF/Dépt littératureet art.

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  • Chroniques de la BnF - n°48 - 21

    Le manuscrit du Mystère de la chambre jaune retrouvé

    Gaston Leroux se donne ainsi les moyens de faire pénétrer le lecteur au plus près ducheminement de la pensée de son héros. Le chapitre XXVIII et dernier de la versionpubliée ne reprend que quelques feuillets du manuscrit : les ajouts sur épreuves l’ontdonc amplifié de trois séquences relatives à Mathilde Stangerson, la dame en noir, dontla plus significative, commençant par « Quantà Mlle Stangerson, que vouliez-vous qu’ellefît, en face du monstre ? », a sans doute été jugée nécessaire par Gaston Leroux pourrendre plus pathétique encore le portrait de celle qui va occuper la place centrale duParfum de la dame en noir quelques mois plus tard. Un examen plus approfondi dumanuscrit permettrait d’ouvrir bien d’autrespistes encore pour mieux comprendrel’histoire du texte : titres et numérotation deschapitres, par exemple, ou construction dupersonnage de Boitabille-Rouletabille au fildes suppressions et ajouts. Contentons-nousd’un vrai scoop pour les fans : sur lemanuscrit, au feuillet n°4, le premier prénomde la dame en noir, biffé et remplacé parMathilde, était Hélène. Guillaume Fau

    la fin du texte de ses 6/8e environ ! Dans le détail, le découpage comparé des deux finsdu roman peut être décrit de la façonsuivante. Le dernier chapitre du manuscrit estnuméroté XXIV et titré « Où Joseph Boitabilleapparaît dans toute sa gloire ». Il est écrit d’uneseule coulée sur les feuillets numérotés 146 à178 par Gaston Leroux. Dans la versionpubliée, la fin du roman est scindée en 4 chapitres numérotés XXVI à XXIX. Les chapitres XXVI-XXVII de la versionpubliée reprennent grosso modo la versionmanuscrite. Le chapitre XXVIII publié ne reprend que la fin du feuillet 176 du manuscrit, moins les cinq dernières lignes. Il a donc été presque entièrement composésur épreuves et c’est tout l’épisode du retourde Versailles après le procès qui a été ajouté in extremis. Or, dans ce passage, Boitabille-Rouletabille revient sur les étapes de sa démarche déductive dont il livre le récitorganisé au témoin privilégié qu’est Sinclair.

    On le pensait perdu, il a été découvert par un des petits-fils de Gaston Leroux qui a retrouvé le manuscrit de ce roman policier cultedans le grenier de sa maison, caché sous de vieux journaux.

    e manuscrit du Mystère de la chambrejaune, premier épisode des Aventuresextraordinaires de Joseph Rouletabille

    reporter, paru en douze livraisons dans le supplément littéraire de l’Illustrationdu 7 septembre au 30 novembre 1907, a étérécemment retrouvé par un des petits-fils de Gaston Leroux. Longtemps resté inconnudes chercheurs, il a pu être présenté au publicdurant le dernier mois de l’exposition Gaston Leroux, de Rouletabille à Chéri-Bibi(BnF, site François-Mitterrand, octobre2008-janvier 2009), avant de rejoindre lefonds Gaston Leroux du département desManuscrits. Il livre aujourd�